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Indonésie 1954‑1966

 

 

Nous reproduisons ici partiellement un dossier sur l'histoire du Parti communiste d'Indonésie, en relation avec le coup d'État de 1965, publié par le CEMOPI.

 

 

 

 

 

 

Bulletin international
Nouvelle série n° 16‑17 (98‑99), juillet 2001
Nouvelle série n° 18‑19 (100‑101), troisième et quatrième trimestres 2001
édité par le CEMOPI
(Centre d'étude sur le mouvement ouvrier et paysan international),
France

 

 

 

 

 

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Notes introductives

I

II

Éléments de chronologie (dernière modification: mars 2008)

L'Indonésie au VIe Congrès de l'Internationale Communiste - 1928

Intervention de Mauawar

Rapport de K. Samine

Intervention de Visser

Intervention de Alphonso

Textes de D. N.  Aidit, secrétaire général du Parti communiste indonésien

Les communistes et le Front national (Présentation d'extraits de textes, 1951‑1961)

Comment achever la révolution indonésienne (1958)

Intensifier l'offensive révolutionnaire et s'opposer avant tout aux “cinq maux” (mai 1965)

Les controverses publiques sont utiles; il n'y a pas lieu d'y mettre fin (16 août 1965)

Textes du Parti du Travail d'Albanie

Le 15e Plénum du Comité central du Parti du Travail d'Albanie exprime la solidarité du PTA avec le Parti communiste d'Indonésie, 26 octobre 1965

Déclaration du Comité central du Parti du Travail d'Albanie, 16 mars 1966

Le Putsch fasciste en Indonésie et les enseignements qu'en tirent les communistes, Zëri i Popullit, 11 mai 1966 [Enver Hoxha]

Déviations idéologiques, Enver Hoxha, 23 août 1966

Textes du Parti communiste de Chine

Changements soudains et brutaux dans la situation politique en Indonésie - Récit des événements par l’Agence Hsinhua, 19 octobre 1965

Peuple indonésien, unissez-vous et luttez pour renverser le régime fasciste, Éditorial de Hongqi, 1967

Déclaration du Bureau politique du Comité central du Parti communiste d'Indonésie, 17 août 1966

Autocritique du Bureau Politique du Comité Central du Parti communiste d'Indonésie, septembre 1966

Textes du Parti communiste d'Indonésie

Intervention de Sugiri au VIe Congrès mondial de la FSM, 15 octobre 1965

Déclaration du délégué du PKI, Youssouf Adjitorop, au 5e congrès du Parti du Travail d'Albanie, Tirana, 4 novembre 1966

Indonésie: des communistes analysent les causes de la tragédie, L’Humanité, 11 décembre 1967

Notes introductives

I

On n'a pas utilisé pour caractériser les massacres de 1965‑1966 ‑ plus de 500 000 morts ‑ le terme de génocide. Dans le sens courant et dans sa caractérisation officielle il aurait certes toute sa validité[1]. À notre avis, cependant, l'accent mis sur les victimes, et d'autant plus qu'il est répétitif, aboutit qu'on le veuille ou non, à estomper la responsabilité des bourreaux. Du moins cela permet de les singulariser alors qu'ils sont la conséquence d'un système mondial même dans leur diversité et leurs motivations.

À une époque où, au nom de la mémoire, il est de bon ton moral de mettre en avant “la repentance”, ce qui est une manière comme une autre de tuer justement la mémoire, de faire la paix avec les assassins sur le dos des cadavres, ou bien pour des raisons qui n'ont rien de moral, de juger tel ou tel, le cas de l'Indonésie est singulier. Non pas que l'on puisse attendre des États-Unis qu'ils assument leur rôle d'assassins ‑ ils n'y ont pas intérêt ‑ mais bien par ce que ce massacre-là est généralement évacué de la mémoire. Les victimes, en effet, en grand nombre, étaient des communistes. Et aujourd'hui qui va pleurer sur des communistes! et s'intéresser aux responsables de leur mort quand cet “intérêt” ne sert pas la cause de l'anti-communisme! Quant aux autres c'est comme s'ils n'existaient pas. Mais c'est des “autres”, rescapés démocrates, anti-impérialistes, progressistes, que viendra peut-être la mise en lumière de cet événement, de ceux qui ont commis les massacres et de ceux qui les ont inspiré. Du moins ils le tentent.

Quant à nous, cette mémoire-là nous la revendiquons, comme moment de notre histoire.

*

La destruction, l'autodestruction du mouvement communiste et ouvrier international, puis du mouvement international marxiste-léniniste n'a pas conduit à la mort du rêve, et ce mot est pris dans le sens où l'entendait Lénine, d'une conception du monde basée sur le marxisme et le léninisme. Cependant, aujourd'hui, les divergences ne concernent plus des Partis communistes  ‑ ou se réclamant du communisme ‑ exerçant le pouvoir. Ces divergences sont portées par des partis et des organisations, des groupes dont certains tendent même à leur effacement idéologique dans une grande concorde réactionnaire face à un ennemi désigné, l'impérialisme des États-Unis, mais dans un contexte qui n'est que rarement mis en cause, sauf en quelques rares paroles. Il ne s'agit plus de la destruction radicale du mode de production capitaliste, mais de son aménagement, de son humanisation, de son dépassement.

Il est vrai qu'il n'y a pas d'imminence pour la réalisation d'un projet marxiste, léniniste, que cela soit en Europe ou en Amérique du Nord. Ce que nous apprend le marxisme, cependant, c'est que notre conception du monde est ouverte sur l'avenir. Et que, un jour ou l'autre, se posera concrètement la question de la destruction du mode de production capitaliste qui, certes, ne se suicidera pas. Cet avenir, il faut le préparer concrètement tout en sauvegardant une Histoire dont il sera la conclusion, une conclusion qui ne sera pas une fin. Dans ce projet l'impatience petite-bourgeoise, tant de fois dénoncée, n'a pas de place.

On l'a maintes fois dit: cela signifie, pour que cette Histoire reste vivante, intervenir dans le déroulement même des événements actuels. Sauvegarder notre Histoire ne consiste pas à la figer dans un mausolée, mais la préserver avec esprit critique.

*

Avec la Révolution d'Octobre 1917 on pouvait à juste titre mettre en avant l'existence de Deux Mondes. Ce qui est sous-entendu dans le terme même de mondialisation c'est bien, aujourd'hui, l'existence d'un seul monde, le monde capitaliste. Cela n'induit pas bien entendu la fin des oppositions entre les différents pays, l'inéluctabilité des guerres, qu'elles soient locales, régionales ou internationales, qu'il s'agisse de guerres entre États impérialistes ou de guerres de libération économique, anti-impérialistes, qualifiées parfois de “révolutionnaires”. De fait le terme de révolutionnaire utilisé pour qualifier certains mouvements ou régimes sert à déformer la nature même de leur révolution. Ce qui a été “révolutionné” dans le meilleur des cas c'est le rapport politique de ces pays vis-à-vis de leurs colonisateurs, le renversement d'un rapport de dépendance direct issu de la violence, la possibilité, de diversifier leurs rapports économiques mêmes inégaux. Quant à la révolution sociale elle avait ses limites dans la mesure même de la dépendance économique, soit par rapport à une puissance donnée, dont il fallait adopter l'idéologie et les objectifs stratégiques, soit par rapport à des organismes internationaux qui ont pour mission d'assurer non pas la liberté réelle de ces pays, mais leur insertion dans le marché mondial capitaliste au détriment même de cette liberté. Et qui du fait de leurs aides ont un pouvoir politique discrétionnaire.

Cela ne veut pas dire que face à cette situation il n'existe pas des hommes et des femmes qui luttent, mais en ordre dispersé, contre le nouvel ordre mondial capitaliste. Si l'objet de leur lutte est le même, ce qui les sépare dramatiquement est la tactique, les principes même sur lesquels leur lutte est fondée, lutte qui devrait s'inscrire dans une stratégie globale.

*

Dans les années 60 la grande divergence qui oppose révisionnisme et marxisme, léninisme va se concrétiser et apparaître sur la scène publique. C'est dans le cours même de cette lutte, illustrée tout d'abord par la rupture entre le Parti du Travail d'Albanie et “Moscou”, puis avec la rupture sino-soviétique, que se situent les choix politiques du PKI, du moins l'expression de ses choix.

Une des questions essentielles est celle de la “voie pacifique” ou non pacifique au socialisme, ce terme étant pris ici comme définissant une étape avant la construction du communisme. Et cette “voie pacifique” s'inscrit tout naturellement au 20e Congrès du PCUS dans le contexte de la “co-existence pacifique”.

Le terrain principal des oppositions sur cette question entre partis communistes n'est pas l'Europe: le révisionnisme y règne. Le dogme de la voie “non pacifique au socialisme” ne s'y pose plus depuis longtemps, si jamais même elle fut posée. La création de nouveaux partis à partir de 1963 n'aura pas d'incidences, tant en ce qui concerne la déstabilisation des anciens partis toujours dominants, que dans leur hypothétique influence sur la politique menée par les différents pays dirigés par leur bourgeoisie sous quelque couleur que ce soit.

La situation est bien entendu plus complexe dans ce qui fut appelé les Trois À: Afrique, Asie, Amérique Latine. Les différentes révolutions qui vont se développer, victorieuses, qu'il s'agisse de Cuba, du Vietnam par exemple n'ont rien de commun entre elles. Ni avec les différentes luttes armées qui furent menées dans les trois continents, et celles qui se déroulent aujourd'hui. Là, se pose effectivement la question de la lutte armée, justifiée toujours aujourd'hui, contre les thèses du groupe Khrouchtchev et de ceux qui lui ont succédé, par une référence aux positions prises par le Parti communiste de Chine et la mise en avant de mots d'ordre issus des oeuvres de Mao Tsé-toung.

*

Dans le contexte international des années 60 le cas de l'Indonésie et du PKI est singulier. Si Cuba et le Vietnam furent autant de défaites, en particulier pour l'impérialisme américain, les États-Unis gagnèrent en Indonésie une guerre non-déclarée, menée en sous-main. L'échec du PKI dans sa politique d'alliance avec la bourgeoisie dite nationale, s'appuyant sur le président Sukarno, déborde bien entendu le cadre même de l'Indonésie. Ici, ce qui est en cause, c'est la nature même des bases idéopolitiques du PCUS et du PCC qui, toutes deux, contribuèrent à l'anéantissement du PKI par ailleurs enjeu dans la lutte d'influence politique et économique des deux puissances alors ennemies, I'URSS et la Chine. Mais c'était compter sans les États-Unis. De fait on ne pouvait envisager une intervention directe des États-Unis pour stopper le rapprochement entre l'Indonésie de Sukarno et la République populaire de Chine. La guerre américaine du Vietnam ne se déroulait pas selon les pronostics de la CIA et des autres services américains. C'était oublier toutes les aides apportées aux groupes indonésiens hostiles à la politique de Sukarno et à l'appui qu'il donnait au PKI contre l'armée.

*

En 1965, le PKI était numériquement le troisième plus grand parti au monde, après celui d'URSS et de République populaire de Chine. Le Mouvement du 30 septembre 1965 où certains de ses membres étaient impliqués, l'arrivée sur le devant de la scène du général Suharto et le retrait forcé de Sukarno, l'implication de la CIA, allaient en quelques mois le transformer en proscrit et détruire non seulement son existence politique mais son existence physique: la répression, si chaleureusement acclamée aux États-Unis, allait se concrétiser par plus de 500 000 morts, l'enfermement dans des camps d'un nombre incalculé de ses militants, dirigeants, syndicalistes, sympathisants ou soi-disants, neutralistes, anti-impérialistes, démocrates.

La relecture ‑ ou lecture ‑ des textes qui ont précédé et suivi la destruction pratiquement sans lutte (du moins sans lutte organisée) de ce Parti démontre de toute évidence que cet événement dramatique n'appartient pas à une histoire morte, enclose dans des cartons poussiéreux. Mais il ne s'agit pas de dénoncer une fois encore, avec plus ou moins de violence verbale, la barbarie impérialiste, qu'il s'agisse du rôle joué par les États-Unis, la France ou tant d'autres puissances capitalistes. Ce dont il s'agit c'est d'analyser l'enchaînement des événements et des contradictions de toute nature qui ont abouti à la catastrophe, contradictions internes au PKI lui-même en rapport avec les contradictions au niveau international. Ce dont il s'agit également c'est d'intégrer cette histoire particulière dans notre Histoire général qui est partie de l'histoire même du monde.

Ne pas combattre l'ignorance, la propagande de la bourgeoisie et de ses chiens de garde, c'est une forme de reniement.

Les problèmes théoriques et politiques qui se posaient, mais ces derniers dans un contexte différent, alors sont toujours actuels même si le cadre où ils se posent est singulièrement rétréci. Quant à la question du passage pacifique au socialisme ou du recours, en dernier ressort ou non, à la lutte armée, elle n'est plus posée dans les États capitalistes, sinon dans de vagues discours qui sont autant de hochets. Le parlementarisme est la recette, du moins la seule issue.

Dans le cas de la France, aujourd'hui, ce qui divise (par exemple la construction de l'Europe, l'affaiblissement des États-nation, le rejet de la domination mondiale par les États-Unis) est moins important fondamentalement que le consensus qui s'est établi par rapport à la “légalité”, au Droit bourgeois, à ce juste-milieu rêvé par la petite bourgeoisie et qui, à des degrés divers bien entendu rapproche les nouveaux bien-pensants.

Quand on parle dans ce contexte de socialisme, il s'agit bien évidemment d'un socialisme dans le cadre même du capitalisme.

Mais il ne s'agit pas seulement de la “voie pacifique” ou non pacifique au socialisme en tant que telle. Ces “voies” impliquent en effet, hier comme aujourd'hui, pour ceux qui se prétendent révolutionnaires, des choix politiques, qu'il s'agisse des rapports avec la bourgeoisie nationale (encore faut-il qu'elle soit définie), d'analyses concernant la question paysanne, des rapports avec le pouvoir établi, de la conception de la question nationale conception qui implique une position devant les problèmes internationaux et pour les pays impérialistes devant la question coloniale et néo-coloniale, etc. Elle pose également le rôle de l'armée.

Ces choix politiques permettent de définir si les régimes au pouvoir sont, mais dans quelle acceptation du terme, révolutionnaires.

*

Dans les années 50-70 quelques textes soviétiques mettaient en avant le rôle progressiste de l'armée, de ses cadres subalternes. Et ces derniers étaient considérés en quelque sorte comme une “nouvelle classe” intermédiaire.

G. Mirskij écrit ainsi en 1966:

L'armée ne se présente pas comme une classe. Mais on peut considérer que, dans la mesure où l'armée est composée des représentants des classes déterminées, chacun des militaires représente incontestablement les intérêts de la classe à laquelle il appartient. De la même manière, il serait inexact d'affirmer que l'armée dans les pays en voie de développement exprime automatiquement et intégralement les intérêts de la classe qui est au pouvoir. On a déjà dit ici qu'à l'étape du passage de la soumission coloniale à l'indépendance, le pouvoir politique peut s'arracher à son origine de classe et, un certain temps, exister sans être le représentant des intérêts d'une classe déterminée. L'armée, dans ces pays, représente une classe incontestablement plus indépendante que dans les pays capitalistes avancés. Elle n'est pas la somme arithmétique d'un certain nombre d'hommes issus de la paysannerie ou de la petite bourgeoisie: au service militaire tous acquièrent une qualité nouvelle, se fondent dans un corps nouveau[2].

Le rôle de l'armée et des militaires est posé depuis des siècles, pour se développer au 20e siècle après la Première Guerre mondiale. Coups d'État, putschs, ou de tentatives de cet ordre ont caractérisé nombre d'États dans les divers continents. L'Armée a également joué un rôle en tant que groupe de pression, en tant que force économique.

Il s'agit ici, en Indonésie, de l'Armée dans un État issu d'une guerre de libération nationale.

En 1968 G. Mirskij est obligé de tempérer ses analyses précédentes fondées sur le cas de l'Egypte. De fait la grande majorité des divers coups d'État qui se sont produits ont été organisés par les officiers supérieurs des armées[3]:

L'idée que le rôle de l'armée en Asie et en Afrique est continûment progressiste s'est avérée fort illusoire. L'exemple de l'armée égyptienne témoigne que l'armée peut jouer un rôle de progrès à l'étape de la lutte pour l'indépendance nationale et pour la liquidation de la domination féodale, et aussi dans la période initiale des transformations sociales. Mais au stade d'une révolution sociale approfondie, on voit couramment apparaître dans l'armée des tendances conservatrices.

On voit mal ce que Mirskij entend par “tendances”. Ces tendances sont-elles en contradiction avec d'autres tendances? et puis que représente ces tendances? S'agit-il uniquement de tendances concernant la politique intérieure des pays d'Asie et d'Afrique? S'il ne s'agit pas d'une lutte de classes au sein de l'armée ‑ et c'est bien le cas en Indonésie ‑ que signifiera par exemple la caractérisation par la Chine des généraux indonésiens qui organisent le changement politique par l'éradication du PKI, de “généraux de droite”. De fait, pour parler de lutte de classes au sein de l'armée il eut fallu que le PKI ait mené ce combat à l'extérieur de l'armée, dans la société indonésienne. Ce qui ne fut pas le cas.

Ce dont Mirskij ne tient pas compte c'est de l'enjeu que les forces armées représentent au niveau politique international pour l'impérialisme, qu'elles aient été encouragées, aidées, mises en mouvement ou non par les puissances impérialistes. Leur objectif était l'instauration d'un Ordre réactionnaire, allié de l'anti-communisme, agissant au nom de l'anti-communisme, celui-ci servant de paravent aux intérêts de ces puissances, que ces intérêts soient communs ou opposés. Il est tout aussi vrai que dans le contexte de l'opposition entre le capitalisme impérialiste et les pays “socialistes”, ces derniers ont également tenté d'influencer les pays émergents par une aide militaire. Cette aide, au gré des revirements politiques des pays concernés, est passée des États- Unis à l'URSS, à la République populaire de Chine, ou vice-versa. Elle a parfois co-existé. L'exemple de l'Indonésie est flagrant: tant les États-Unis que I'URSS avaient intérêt à la rupture entre l'Indonésie et la Chine.

*

Il nous a semblé important de publier, en Annexe à la Chronologie qui introduit ce Premier Dossier une étude soviétique de 1975 sur “l'idéologie nationale indonésienne”[4].

Si le texte soviétique, par sa provenance même, dans le contexte du conflit sino-soviétique, n'évite pas des prises de position parfois sommaires concernant la Chine, il permet d'éclairer certains symboles, certaines constructions de mots d'ordre, certaines références historiques propres à l'Indonésie.

Le rôle du président Sukarno est bien entendu considérable dans la mise en avant de la filiation dont il se réclame en tant que père-créateur de la nation. Se plaçant sous la protection de Sukarno le PKI mêlait ainsi sa propre compréhension du marxisme, du léninisme (“appliqué avec souplesse”) avec une imagerie mentale certes populaire, mais qui l'entraînait vers des confusions, des revirements, des contradictions fatales. Le poids de sa dépendance vis-à-vis de Sukarno ‑ son protecteur face à l'armée ‑ l'inclinait, en dépit de quelques accents guerriers, trop tardifs et surtout velléitaires, vers la coexistence pacifique au sein du régime indonésien au nom d'un nationalisme anti-impérialiste. Ce nationalisme, dans le contexte né de Bandoeng, créait l'illusion d'un renversement des forces au niveau mondial, sinon d'un renversement, de la possibilité de créer une zone neutre entre l'URSS et les États-Unis.

L'Indonésie allait progressivement remettre en cause sa position initiale de neutralité. Avec la scission du mouvement des non-alignés, son rapprochement avec la Chine populaire allait influer sur les positions même du PKI qui avait adopté généralement, sinon dans sa totalité, les thèses soviétiques.

Plus fondamentalement ce qui est posé c'est l'affirmation d'une “nationalisation” du marxisme, du léninisme. Le Parti communiste chinois a revendiqué, quant à lui, la “sinisation du marxisme”[5]. Parlant du PKI, lui rendant hommage, ce qu'il a mis en avant c'est “l'indonéisation du marxisme-léninisme”. Ce ne sont pas que des formules. Certes, chaque pays a ses spécificités historiques, un niveau de développement économique qui s'apprécie notamment en nombre d'ouvriers, de paysans, par le poids de la petite bourgeoisie. De fait il s'agit de réduire le marxisme, le léninisme à un contexte géographique, celui de l'Europe et à un stade de développement particulier. La parodie de cette conception fut en Afrique la dénonciation de Marx et de Lénine en tant que blancs.

Une nouvelle thèse se développe en Chine populaire, que le PKI va faire sienne, celle de l'encerclement des villes ‑ les pays industrialisés ‑ par les campagnes. Il s'agit principalement de la négation du rôle que le PCUS et l'URSS “pays européen” veulent jouer dans le monde comme centre. Mais cette thèse tendait également à maximiser le rôle des paysans alors que la classe ouvrière des pays émergents était en constitution. Mais où se classaient alors le Japon, l'Inde... et bien d'autres pays alors en voie de développement. Cette question a été réglée par la mondialisation, c'est-à-dire l'extension du mode de production capitaliste à la planète tout entière.

*

Il serait erroné de ne reprocher qu'au PKI son nationalisme. Pour nous, en France, l'exemple proche du Parti communiste français nous épargne cette erreur. De fait on peut déjà suggérer que l'appartenance à un mouvement international ‑ structuré comme il l'était au temps de la 3e Internationale, ou même régional en Europe avec la création du Bureau d'information (1947-1956) ‑ permit la mise en avant d'un nationalisme de “gauche” que l'appartenance même à un camp communiste permettait d'opposer à celui de la droite ou de l'extrême droite. Faut-il encore que ce nationalisme ne se confonde pas avec la défense de la nation telle qu'elle est, que l'intérêt national ne soit pas l'intérêt du capital, comme le souligna Engels. De fait le PCF ‑ comme d'autres Partis communistes ‑ devait franchir allégrement le pas, comme en témoigne par exemple sa politique coloniale.

Ce qui nous distingue, parmi nombre d'autres points, des trotskystes, et nous oppose à eux, c'est la nécessité ‑ en tout état de cause ‑ de faire la révolution dans nos propres pays. C'est-à-dire, faut-il le souligner, d'avoir une politique révolutionnaire qui nous engage dans notre pays. Et ici on emploie le mot révolutionnaire dans un sens qui n'a rien à voir avec les idéologies petites-bourgeoises. Cette politique n'exclut certes pas des alliances, mais temporaires: ces alliances en effet changent selon les étapes de la lutte et son caractère, ne pas tenir compte du renversement des alliances, du rôle majeur que doit y jouer le Parti, c'est s'exposer sinon toujours à la répression, du moins à l'impuissance, c'est-à-dire à l'échec et à la disparition à plus ou moins brève échéance.

*

Sans anticiper sur la seconde partie de ce Dossier Indonésie on peut déjà souligner que l'attachement du PKI à la “bourgeoisie nationale” devait le conduire à négliger la lutte de classes, à la subordonner à la lutte contre les impérialismes, en particulier l'impérialisme américain. C'était faire abstraction des intérêts économiques de cette bourgeoisie. Et ce d'autant plus que des pans essentiels de l'économie nationalisée se trouvait entre les mains de l'armée indonésienne.

La “démocratie” retrouvée avec la chute du général Suharto est une démocratie économique au profit de la bourgeoisie, qu'on la qualifie de nationale ou non, d'une bourgeoisie qui veut récupérer l'intégralité de son pouvoir économique.

Le problème posé est celui de la référence à l'histoire nationale de chaque pays et du rapport des partis communistes à cette histoire. Ce rapport a été encouragé par le 7e Congrès de l'Internationale Communiste (1935)[6], mais il n'est pas de même nature quand il s'agit de pays anciennement constitués (particulièrement de ce que l'on appelle les États-nation) ou de ceux qui ont émergé de leur lutte contre le colonialisme, l'impérialisme.

Il serait erroné par exemple de comparer, dans cette perspective, le PKI et le PCF, un parti communiste d'un pays colonialiste, impérialiste, et un parti comme le PKI issu d'une longue lutte contre le colonialisme et dont les dirigeants ont été formés au cours même de guerre pour l'indépendance nationale.

Il faut encore souligner les différences quant au développement économique des différents pays, qu'ils soient nés de l'exploitation coloniale ou soumis au neo-colonialisme ou qu'il s'agisse de pays où l'accumulation capitaliste primitive s'est effectuée sur une plus ou moins longue période historique mais est aujourd'hui achevée. La dépendance est alors d'une autre nature.

La bourgeoisie n'est pas de même type dans ces différents pays. Dans le sens strict du terme, dans les pays nouvellement constitués ou en voie de constitution, ce que l'on appelle bourgeoisie nationale n'a pas le même sens que dans les pays capitalistes avancés.

En Indonésie, par exemple, ce que l'on appelait avant l'indépendance économique ‑ toute relative à plus d'un titre ‑ bourgeoisie nationale était principalement constituée de commerçants[7]. C'est l'expropriation des intérêts étrangers, qui devait permettre la nationalisation de grandes entreprises appartenant à de puissants groupes financiers établis depuis l'époque coloniale ou relayés par d'autres impérialismes, qui est à l'origine de la naissance et du développement d'une véritable bourgeoisie, au sens strict du terme, possédant les moyens de production. En Indonésie, du fait du rôle constant de l'Armée, on pourrait même, dans un certain sens parler de “bourgeoisie militaire” et de “bourgeoisie civile”. Avec l'apparition de banques “nationales”, contrôlées par l'État, c'est une bourgeoisie financière qui se crée et se développe justement dans la sphère de l'État, dans la zone “familiale” qui règne sur l'État.

Les aides internationales ‑ FMI, etc. ‑ qui se substituent à une accumulation inexistante vont concourir au développement, non pas des intérêts économiques industriels de la bourgeoisie qui permettrait un développement du prolétariat et de la classe ouvrière, mais bien d'une corruption qui a des effets encore plus visibles que dans les pays capitalistes dits avancés. En Indonésie, les quatre Présidents qui se sont succédés depuis l'indépendance ont été accusés et convaincus en général de corruption, de détournements, qu'il s'agisse des fonds publics, de l'aide internationale.

Au pouvoir, ce sont des familles, des clans, des castes religieuses ou militaires, des partis mis en avant soit pour des raisons historiques, soit par intervention impérialiste, tout autant pour des raisons stratégiques que pour des raisons économiques. Dans un certain sens l'éviction de tel ou tel pays de grands groupes liés à l'impérialisme justifie des interventions ouvertes ou masquées, qui ont tout autant un intérêt de protection des intérêts de ces groupes que des considérations stratégiques, elles-mêmes porteuses ou nourries de facteurs économiques. Il y a par exemple empathie entre les grandes sociétés pétrolières et les ambitions politiques qu'elles soutiennent, ou qu'elles déterminent[8].

De ce point de vue la lutte contre le communisme a constitué un remarquable écran de fumée, que ce communisme ait été rouge ou rose. Il fallait un ennemi, la “diabolisation” au sens religieux du terme de cet ennemi qui mettait en cause ‑ en actes ou en paroles ‑ l'expansion du capitalisme au niveau mondial. La mise en avant de références religieuses, la dénonciation de l'athéisme comme synonyme de communisme, a joué dans cette affaire un rôle non négligeable, et elle le joue encore aujourd'hui. Un allié ambigu de l'impérialisme américain, par exemple, ce sont les représentants intégristes de l'Islam. Alliés positifs en Afghanistan contre le gouvernement soutenu par l'URSS, avec l'aide du Pakistan, mais qui ont été l'“ennemi” en Iran parce qu'il mettaient en cause les intérêts américains soutenus par le Shah.

Quand le président indonésien Wahid a voulu légaliser, au début de l'an 2000, l'enseignement du communisme et du marxisme ‑ interdits depuis 1966 ‑ des manifestations violentes se sont produites en Indonésie provoquées par les mouvements intégristes. Les Ulémas, de leur côté, au nom d'un Islam qui était la religion de 90 % des Indonésiens, s'opposèrent à cette mesure. Et en Indonésie l'Islam n'est pas religion d'État et ses éléments intégristes organisés en partis politiques ont toujours été combattus au cours de la lutte pour le pouvoir. Mais l'Islam est la religion dominante en Indonésie. C'est ainsi que l'anticommunisme peut toujours y servir d'épouvantail. Ainsi, alors que d'anciennes victimes, dont l'écrivain Pramoedya[9] entendent créer un institut d'études sur les massacres de 1965-1966, se constitue un Nouveau Front anticommuniste (FAK).

De fait dans ce cas ‑ entre d'autres‑ ce n'est pas la menace communiste qui est d'abord en cause, mais la défense de normes morales mises en avant par l'Islam[10] (plus ou moins impératives et variées selon son interprétation) qui sont, elles, principalement menacées par l'athéisme, un certain mode de vie et de pensée qui peut se développer dans le cadre de la démocratie bourgeoise et donc affaiblir le pouvoir de la religion dominante, totalitaire et protectrice. À la limite, comme en Indonésie en 1966, l'Islam modéré est prêt à tolérer d'autres religions.

*

On trouvera dans les textes publiés dans cette Première Partie du Dossier Indonésie nombre d'indications sur les éléments économiques, la richesse de l'Indonésie et donc les convoitises que ces richesses suscitent. Mais ce n'était pas l'objet du Dossier. Ce qui est principalement son objet c'est le PKI, son évolution politique et idéologique qui l'ont conduit à sa destruction et les sources de cette évolution.

L'important comme il l'a reconnu lui-même (Aidit), c'est que sans l'aide du Parti communiste de Chine il n'aurait sûrement pas compris la nature révisionniste de l'URSS: la base de ses hésitations entre le PCUS et le PCC est bien sûr le produit des faiblesses théoriques de la direction du PKI, de la mauvaise application de la théorie, des éléments dont il disposait, confronté aux problèmes concrets qu'il avait à résoudre. Mais ces problèmes n'étaient pas inédits même s'ils se posaient dans un contexte différent, celui d'une confrontation à plusieurs dimensions.

Certains textes publiés ici peuvent être qualifiés de “descriptifs” quant aux événements de 1965-1966 qui ont conduit à la destruction du PKI. Ce qui compte cependant c'est l'origine de ces “descriptions”. On a privilégié une origine particulière, celle du Parti communiste chinois dans la mesure même où il joue un rôle particulier à plusieurs niveaux: celui des thèses politiques et idéologiques qui ont influencé le PKI, sa volonté d'hégémonisme en Asie du Sud-Est, et dans d'autres continents, en tant que centre de la lutte anti-impérialiste et nouveau modèle au niveau mondial.

L'exemple historique fourni par le PKI s'inscrit dans un contexte particulier, celui des conséquences d'une ligne politique oscillante entre les thèses khrouchtchéviennes et “maoïstes”. De fait, l'indonéisation du marxisme mis en avant par le PKI se nourrit en même temps de deux thèses opposées, qui soit se superposent, soit s'excluent temporairement l'une l'autre, soit empruntent des éléments de l'une et de l'autre. L'engagement du PKI vis-à-vis de la Chine devient certes l'élément essentiel de sa politique internationale (empruntant des accents marxistes-léninistes) en concordance avec celle du président indonésien Sukarno. Quant à sa politique intérieure, elle est également marquée par l'idéologie du sukarnoisme.

Patrick Kessel.


II

Le propos de ce Second DOSSIER Indonésie n'est pas de porter de jugement a posteriori sur le Parti communiste d'Indonésie (PKI) et encore moins d'isoler son histoire de celle du Mouvement communiste international et de son éclatement dans les années 60. C'est dans ce contexte qu il faut appréhender les documents publiés, un contexte qui les situe également dans un cadre plus large, celui de la situation internationale. Pour courte qu'elle soit la Chronologie qui ouvre le Premier DOSSIER avait cet objectif.

La lecture de ces textes, notamment ceux qui concernent les réactions qui ont suivi la destruction du PKI et le basculement de la politique extérieure de l'Indonésie, publiés dans la Seconde Partie du Dossier, doit sans doute poser des “problèmes” aux lecteurs d'aujourd'hui, du moins à ceux qui n'appartiennent pas aux partis et organisations qui ont survécu à la réalité d'un monde d'abord bi-polarisé puis éclaté. La Révolution d'Octobre avait engagé la coupure du monde en deux. Avec le Conflit sino-soviétique, la transformation de I'URSS en grande puissance et l'apparition de la Chine connue alternative au pseudo communisme soviétique l'existence de Deux mondes était abolie[11]. Et c'est dans ce contexte bien défini que s'inscrivent ces textes: ils s'adressaient alors aux protagonistes de l'histoire en cours, et cette histoire concernait des hommes et des femmes qui se comptaient par centaines de milliers, par millions, qu'ils en aient été acteurs ou sujets, abusés ou non, qu'ils aient tenté de reconstruire ou de détruire.

La connaissance du passé, de notre passé, est primordiale. Abandonner le passé aux falsifications de la bourgeoisie qui tendent à l'annuler, accepter que notre ennemi puisse en toute quiétude et impunité “criminaliser” le mouvement communiste international, c'est se désarmer et balbutier quant à une prétendue lutte contre l'impérialisme dont on “oublie” de dire que ce qui le fonde est le système capitaliste.

Il est singulier qu'en France d'anciens dirigeants ou membres de partis et organisations qui mettaient en avant leur lutte contre le révisionnisme se rapprochent aujourd'hui qui du PCF, qui d'une de ses fractions prétendument “révolutionnaires”. C'est vouloir jouer un rôle dans un théâtre d'ombres[12].

Dans les années 60, l'URSS, la Chine populaire et les Etats-Unis sont trois puissances en compétition mondiale. Et les relations bi-latérales qu'elles entretiennent vont être sujettes à fluctuations, à revirements et ce dans un laps de temps très court. Les objectifs des “trois grands” ont un dénominateur commun, l'extension géographique ‑ politique et économique ‑ de leur influence respective. Mais cet objectif n'est pas exprimé, bien entendu, sous la même forme, les mêmes déguisements idéologiques, et les voies pour l'atteindre sont bien entendu différentes.

Pour les Etats-Unis le masque de leurs interventions est l'anti-communisme: le mal absolu en terme d'idéologie religieuse.

Pour l'URSS il s'agit de la mise cri avant d'un “nouveau communisme” né après la mort de Staline en 1953 et dont l'élaboration dans son premier état est concrétisée au 20e Congrès du PCUS en février 1956 par le groupe khrouchtchev; un “renouveau” symbolisé par la rupture que constitue la condamnation de Staline et qui, selon le PCUS, doit engager tous les partis communistes dans le monde. Cette unanimité est nécessaire au Parti soviétique dans la mesure où elle prouve sa bonne foi ‑ par rapport aux Etats-Unis ‑ dans la politique de co-existence pacifique mise en avant comme caractérisant la nouvelle époque. Deux conférences internationales (1957 et 1960) vont s'efforcer de concrétiser cette unanimité. Si la Résolution de 1957 est un compromis, la rupture se concrétise en 1960.

Il va de soi que la politique de I'URSS ne sera pas linéaire, pour ne pas parler de celle des États-Unis, En 1956 il y a accord entre les deux pour arrêter l'intervention anglo-française à Suez alors qu'en même temps les Etats-Unis soutiennent l'insurrection en Hongrie, notamment par Radio Free Europe. Pour mémoire on peut également citer l'installation de fusées à Cuba par I'URSS, fusées qui menacent le territoire américain et que le groupe khrouchtchev devra retirer. De fait, la co-existence pacifique, qui a pour second volet la thèse du passage pacifique au socialisme ‑ sa fonction est de rassurer les interlocuteurs capitalistes quant à leur paix intérieure ‑ a ses propres limites: celle des intérêts directs américains ou soviétiques dans les cinq continents.

Ce qui menace la co-existence pacifique ne tient pas seulement aux intérêts économiques et politiques extérieurs aux deux puissances. Un facteur non négligeable concerne l'existence tant aux Etats-Unis qu'en URSS[13] de véritables lobby militaro-industriels dont la puissance influe sur la politique intérieure - et tend à déterminer la politique extérieure, hier comme aujourd'hui[14].

Quant à la République populaire de Chine elle procède également à des revirements notables, qu'il s agisse de ses rapports avec la Yougoslavie de Tito, avec le mouvement des non-alignés et dans ses relations même avec I'URSS et les Etats-Unis. Mao Tsé-toung reçoit le président Nixon à Pékin en 1972.

C'est en 1960 que la Chine populaire s'oppose pour la première fois, de manière encore voilée, à la politique menée par l'URSS, aux thèses qui servent de justification à cette politique. Le premier accroc est la publication d'un texte intitulé Vive le léninisme! Et le PCUS va tenter de faire condamner le PCC lors de la réunion d'un certain nombre de partis au Congrès du Parti roumain en juin de la même année. Devant la menace que constituent les positions exprimées par le PCC quant à la volonté soviétique d'hégémonie idéopolitique la riposte a été immédiate. Elle n'aboutira pas du fait d'un “petit” parti, celui d'Albanie qui refuse de s'associer au texte accusateur présenté par les délégués soviétiques à Bucarest même.

Il n'y a certes pas que des divergences idéologiques entre le PCC et le PCUS mais ce sont elles qui vont focaliser l'attention et les réactions des différents partis communistes dans le monde. Si la rupture entre le Parti du Travail d'Albanie et le PCUS, entre l'Albanie et l'URSS va être effective et publique a la Conférence de novembre 1960, le PCC attendra une attaque publique du PCUS avant de mettre également en cause le PCUS et en nom propre Khrouchtchev ainsi que le dirigeant du Parti italien Togliatti et Maurice Thorez[15]. C'est ainsi que le PCC et la Chine vont apparaître très rapidement comme un nouveau centre mondial défendant les principes du marxisme-léninisme et principalement, comme le seul et puissant adversaire de l'impérialisme américain au niveau mondial.

La scission qui s'amorce va avoir des causes de différente nature selon les conditions concrètes où luttent les différents partis communistes, selon l'ancienneté ou non de leur indépendance politique, selon le degré de développement de leurs pays respectifs et leur dépendance économique et dans une large mesure selon leur situation géographique par rapport au “centre du monde”: l'Europe et l'Amérique du Nord[16].

L'attirance chinoise, si l'on excepte la Roumaine, touchera peu en Europe les démocraties populaires, même si se forment ça et là d'éphémères partis ou groupes marxistes-léninistes (Pologne).

Dans les pays capitalistes dits avancés les partis communistes anciens ne subiront que peu de “dommages”: si se constituent de nouveaux partis, marxistes-léninistes, ils entraîneront peu de membres des vieux partis. Ces derniers se sont avec plus ou moins de difficultés pliés au “nouveau communisme” et ceci pour deux raisons essentielles: la peur savamment entretenue de la guerre thermo-nucléaire (un prétexte) et l'abandon depuis fort longtemps de tout projet révolutionnaire, l'illusion, ou le mensonge, de la possibilité du passage pacifique au socialisme. Mais de quel “socialisme” parlait-on!

Les événements de Mai 68 vont servir d'accélérateur et ‑ compte tenu de la position du PCF[17] ‑ entraîner une fraction de la petite bourgeoisie à la révolte (parfois contre sa propre classe et sa morale), éléments qui constitueront la majeure partie des cadres des nouveaux partis et organisations.

La violence, quant elle s'exprime concrètement, sera le fait d'éléments extérieurs au mouvement communiste “classique”, que cela soit en Allemagne de l'Ouest ou en Italie. Quant aux “nouveaux communistes”, les maoïstes, cette violence sera le fait de quelques éléments et sera plus une provocation vis-à-vis de l'ordre établi, qu'un processus de rupture délibéré[18]. De nombreux militants furent effectivement emprisonnés pour appels à la violence, et puis la GP devait se dissoudre et ses principaux dirigeants retourner à leur origine de classe, la petite bourgeoisie.

De fait, si l'on parle de l'Europe, ces partis maoïstes auront eu ‑ malgré eux, du moins malgré l'engagement de nombre de leurs membres ‑ pour fonction essentielle de servir de relais à la propagande d'État de la Chine populaire et à la popularisation de Mao Tsé-toung comme seul dirigeant marxiste-léniniste dans le monde. Il est vrai que l'Europe pouvait servir de relais à “la pensée-mao-tse-toung” vers de nombreux pays africains, entre autres, que ce relais ait été matériel ou idéologique.

La situation est radicalement différente dans les pays soumis directement à la pression de l'impérialisme américain que cela soit notamment en Afrique, en Amérique Latine ou en Asie, dans des pays qui ont gagné leur indépendance politique les armes à la main et qui sont en butte aux interventions, complots fomentés par les Etats-Unis. Là, la coexistence pacifique n'a aucun sens comme la voie pacifique au socialisme. Ce que défendent ces partis, c'est le succès de leurs luttes, leur existence même. Quant aux Partis au pouvoir dans “la zone des tempêtes”, nombreux vont tenter de rester “neutres” entre I'URSS et la Chine populaire dans une perspective réaliste, celle de bénéficier de l'aide de l'un et de l'autre des ennemis. Au mieux resteront-ils effectivement “neutres” mais au prix souvent de concessions contradictoires, à la longue intenables.

Quant aux partis qui ne sont pas au pouvoir ils tenteront de rester à l'écart, ou bien de garder des liens avec les uns et les autres, comme en témoigne une recension d'oeuvres du dirigeant du PKI, D. N. Aidit, publiée à Moscou en 1962 (recension opportunément publiée en 1963!) que l'on peut comparer par exemple à ses discours “maoïstes” de 1965!

C'est en tenant compte de ces quelques éléments que peuvent être appréciés les textes publiés ici.

Différentes nuances et positions les caractérisent: on passe d'une solidarité de principe vis-à-vis du PKI à un soutien du PKI que I'URSS critique, et que vont critiquer les partis qui lui sont fidèles, tel le PCF.

Une autre question va accentuer la division qui existe déjà: celle de l'intervention américaine au Vietnam qui se radicalise fin 1965. Et quand le Parti du Travail du Vietnam consacre un article conséquent à la question indonésienne et au PKI, alors qu'il est en partie soutenu militairement par l'URSS, c'est bien un témoignage politique qu'il exprime publiquement suite à la position du PKI contre les initiatives de I'URSS qui tend à un règlement pacifique de la guerre par l'intervention de l'ONU. “Paix au Vietnain” clament les partis dans la mouvance de l'URSS. “Victoire du Vietnam” est la position juste que défend effectivement la Chine et nombre de partis et de communistes dans le inonde.

L'objectif américain de détruire le PKI n'avait rien à voir avec une quelconque “menace communiste” en Indonésie. Il s'agissait essentiellement de priver le président Sukarno de son principal soutien dans le changement de la politique extérieure de l'Indonésie, son rapprochement avec la République populaire de Chine.

Les dirigeants du PKI devaient vivre en dehors du monde réel pour croire que la protection que Sukarno apportait au Parti, dans son propre intérêt, était éternelle. L'erreur fatale du PKI est d'avoir cru à la coexistence pacifique au sein même de l'Indonésie, à un équilibre entre les éléments actifs de la société indonésienne, et d'avoir sous-estimé, contrairement à l'histoire récente de l'Indonésie, les possibilités d'interventions américaines. La popularité dont jouissait Sukarno était avant tout de façade et il avait contre lui les principaux responsables militaires. Le poids de la crise économique fragilisait encore un équilibre fissuré. La destruction du PKI entraîna la chute de Sukarno.

Plus qu'un détail, les dirigeants du PKI n'avaient jamais songé ‑ malgré la propre histoire du Parti ‑ à mettre sur pied une direction clandestine, et ce d'autant plus en période de “paix”. Un seul membre du Bureau politique ‑ malade, il était alors soigné à Pékin ‑ put échapper à la mort ou à l'internement.

Par deux fois (1926 et 1943) le PKI avait pu renaître, se reconstituer et donner l'impression de sa puissance. Sans sous-estimer la vaillance de ses militants il fut aidé dans sa tâche par la situation internationale et notamment par le conflit entre les États-Unis et l'URSS, ce que l'on a appelé la Guerre Froide,

Dans le cadre de la nouvelle situation internationale, les rapprochements successifs et remis en question de l'URSS puis de la Chine avec les Etats-Unis, la destruction du mouvement communiste international, le PKI a cessé de jouer un rôle politique en Indonésie même si quelques traces de son existence subsistent.

Il serait cependant erroné de n'attribuer son destin qu'au rôle joué par les Etats-Unis. Ce serait une position fataliste. De nombreux facteurs ont joué, comme ils ont joué pour la grande majorité des partis communistes dans le monde, qu'ils aient été ou non au pouvoir. Et parmi ces facteurs il faut souligner une fois de plus la responsabilité des dirigeants communistes soviétiques et chinois et celle de ceux qui leur ont emboîté le pas[19].

Patrick Kessel - Collectif Bulletin international


Notes

 

 

 

 



[1]. Voir Bulletin International, n° 11 (93), Deuxième trimestre 1999, pp. XII-XIII.

[2]. G. Mirskij & T. Pokotaeva (1966 en russe) cité par H. Carrère d'Encausse & S. R. Schram, L'URSS et la Chine devant les révolutions dans les sociétés pré-industrielles, Paris, 1970, Armand Colin, pp. 88‑89.

[3]Idem, p. 90. (Kommunist, 17, Moscou, novembre 1968). À l'exception en Europe même du Portugal en 1975. En France les tentatives des généraux de l'armée coloniales en Algérie furent mises en échec en 1958 et en 1961 par un ancien militaire, de carrière, de Gaulle, qui rétablit, puis défendit le pouvoir civil, son pouvoir.

[4]. Non reproduit ici (Note 321ignition).

[5]. Voir Bulletin International, n° 4‑5 (86‑87); Premier trimestre 1997, pp. 16‑18.

[6]. Voir notre Présentation à la brochure Résolutions du 7e Congrès de L'Internationale Communiste, Bibliothèque 3e Internationale Communiste, n° 1, slnd, 12 p.

[7]. Un problème particulier à l'Indonésie et à certains pays africains, c'est la domination, dans ce domaine du commerce, d'un groupe d'origine étrangère, notamment chinois.

[8]. En France le cas ELF est exemplaire.

[9]. Anciennement détenu dans le camp de l'île de Buru. Les derniers prisonniers politiques ont été libérés en février 1999 et rapportées les mesures d'interdictions professionnelles.

[10]. Ou le christianisme et certaines sectes comme aux États-Unis.

[11]. Ce sera l'invention de la Théorie des trois mondes par le PCC et Mao Tsé-toung et sa mise en pratique.

[12]. L'exemple le plus frappant est le ralliement de Jacques Jurquet, ancien dirigeant du PCMLF, à la fraction de la Coordination communiste demeurée au PCF.

[13]. Pour l'économiste Charles Bettelheim la destitution de Khrouchtchev en 1964 a été provoquée par le “lobby” militaro-industriel soviétique dans la perspective d'une réduction des armements et des forces militaires.

[14]. Le rôle de ce lobby aux Etats-Unis a toujours été considérable, comme a pu le dénoncer Eisenhower à la fin de sa Présidence, et l'arrivée de Bush comme président a renforcé se pouvoir.

[15]. Lettre en 25 points - Les 9 articles de 1963.

[16]. Sans le dire explicitement certains en reviennent aujourd'hui à la thèse de Lin Piao selon laquelle les campagnes encerclent les villes.

[17]. Par exemple l'article de Georges Marchais dans l'Humanité parlant du “juif allemand” Cohn-Bendit et le recours électoraliste du PCF en juin.

[18]. Le cas de la Gauche Prolétarienne est exemplaire à ce titre. Après l'assassinat aux usines Renault de Pierre Overney le meurtrier fut enlevé, puis rendu à la liberté. Pour certains ouvriers cela fut considéré comme un recul inacceptable: "Ils l'avaient, ils n'avaient qu'à le liquider", devait-on entendre. En 1968 certains dirigeants de l'UJCMI dont devait sortir la GP, avaient envisagé de provoquer, dans une usine de la région parisienne, de violents affrontements qui auraient eu pour conséquence la mort d'ouvriers. Selon la thèse selon laquelle “une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine” ils en escomptaient un embrasement général dans la classe ouvrière!!! (Témoignage d'un membre de l'UJCML - PK.)

[19]. Les deux Autocritiques du PKl publiées ici n'ont pas été diffusées intégralement (en français) par le PCC. Les coupures effectuées ont été rétablies dans ce DOSSIER, qu'elles aient ou non un sens politique