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G. Brandler

Contribution à un programme d'action pour l'Allemagne

1927

 

 

Source:

L'Internationale communiste (organe du Comité exécutif de l'Internationale communiste), 9e année (1928), nr. 2 (p. 99‑123) et nr. 3 (p. 158‑182 [1].

Pour la publication initiale en allemand:

"Beiträge zu einem Aktionsprogramm für Deutschland", in: Die Kommunistische Internationale, 9e année (1928), nr. 1, p. 32‑52; et nr. 2, p. 75‑94.

Le document en allemand 

Bureau politique du Comité central du KPD - Le "Programme d'action" de Brandler (Réponse) 

 

 

 

 

 

Établi: mars 2021

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Documents du KPD 1918-1945 - Sommaire

 

 

 

 

 

 

[Première partie]

La rédaction de l'Internationale Communiste a reçu, il y a quelques mois, un article du camarade Brandler sur "un programme d'action" pour l'Allemagne.

Étant donné l'actualité extrême des questions soulevées par Brandler (mots d'ordre du contrôle ouvrier, de la nationalisation, attitude envers la social-démocratie, etc.), la Rédaction publie en entier cet article malgré sa longueur et quoique certains chiffres soient déjà périmés. Nous publions en même temps la réponse du Bureau politique du C. C. du parti communiste allemand, réponse qui exprime également l'opinion du C.E. de l'I.C.

Note de la rédaction

I. La situation actuelle en Allemagne

1. La situation internationale. – Dans sa préface à la Lutte des classes en France, Engels dit[2]:

On ne peut avoir un tableau net de l'histoire économique d'une période tant que cette période n'est pas terminée; on ne peut avoir ce tableau que dans la suite, post factum, lorsque les matériaux sont déjà rassemblés et triés. La statistique est en l'occurrence un moyen auxiliaire nécessaire, mais elle vient toujours après. C'est pourquoi dans l'histoire actuelle, contemporaine, on est trop souvent obligé de considérer comme constant le facteur qui a l'importance la plus décisive, de considérer la situation économique qui s'est formée au début de la période étudiée comme un état permanent et immuable pour toute cette période; on est bien obligé de ne porter attention que sur des changements économiques qui découlent d'événements évidents, indubitables, et qui par conséquent sont aussi évidents et indubitables que ces événements mêmes...

On comprend quelle source d'erreurs constitue cette négligence forcée des modifications qui se produisent en même temps dans la situation économique, base véritable de tous les événements étudiés. Mais toutes les conditions d'un exposé généralisateur de l'histoire actuelle sont nécessairement liées à une possibilité d'erreurs; néanmoins cela ne fait renoncer personne à écrire l'histoire du moment actuel.

Cette thèse, juste pour l'appréciation de la situation économique dans la période révolutionnaire de 1848 et dans la période immédiatement consécutive, est doublement juste appliquée à la situation extrêmement embrouillée et rapidement changeante de l'époque consécutive à la guerre mondiale. Évidemment, cela n'empêche pas les communistes d'écrire et, en quelque sorte, de créer "l'histoire du moment actuel". Mais, de nos jours, quand la stabilisation témoigne en quelque sorte de l'achèvement de cette période, il est nécessaire de tenir compte d'une série de changements profonds qui se sont accomplis depuis 1914 dans le mécanisme de l'économie capitaliste et qui ne s'étaient pas encore manifestés dans une telle mesure il y a quelques années, car cela nous permet de comprendre la situation actuelle.

Le facteur essentiel du développement économique et, en dernière analyse, du développement politique mondial dans les années postérieures à 1914 est la croissance formidable de l'appareil de production capitaliste, croissance complètement disproportionnée aux possibilités d'écoulement. D'un côté, dans les anciens pays capitalistes, les vieilles branches d'industrie se sont développées considérablement et il en a surgi de nouvelles; d'un autre côté il s'est produit une industrialisation considérable des colonies. La puissance de production dans les trois ou quatre pays capitalistes les plus importants et les plus développés (Amérique, Angleterre, France, Allemagne) est telle que a production de ces pays serait plus que suffisante pour couvrir les besoins de tous les marchés existants. Par suite, d'une part, telles ou telles machines ne sont pas utilisées; d'autre part, des millions d'ouvriers sont rejetés de la production et l'armée des sans‑travail s'accroît formidablement. Seule une extension considérable des marchés pourrait tirer, pour un temps plus ou moins long, le capitalisme de ce cercle vicieux. Une extension relative du marché pour un État capitaliste au détriment d'un autre État capitaliste son concurrent ne fait que transférer la contradiction d'un pays dans un autre en accumulant les matières inflammables. La condition nécessaire pour l'extension absolue du marché en Chine, en Russie et dans les autres pays non encore développés serait une guerre du capitalisme contre la révolution russe et chinoise, contre le mouvement libérateur des peuples opprimés, ce qui provoquerait de profonds bouleversements dans l'économie capitaliste. Une extension "normale" du marché (normale pour notre période) dans les pays non développés serait insuffisante, même si la Chine s'engageait temporairement dans la voie du développement capitaliste, à faire disparaître le caractère de déclin de l'époque actuelle du capitalisme. La capacité d'achat de la masse paysanne en Chine est encore minime (environ 4 dollars par tête et par an) et ne représente[3] pour les 70 millions d'exploitations rurales que 300 millions de dollars environ (ce chiffre, évidemment, est très approximatif et changera au cours du développement économique de la Chine). Un développement du capitalisme indigène en Chine équivaudrait, il est vrai, à l'ouverture d'un nouveau débouché pour les moyens de production et pour les investissements de capital étranger, mais d'un autre côté il créerait un nouveau concurrent dont l'existence se ferait de plus en plus fortement sentir et qui aspirerait inévitablement à l'émancipation complète. Pour ce qui est du commerce entre le monde capitaliste et l'U.R.S.S., les possibilités d'écoulement pour quelques pays capitalistes augmenteraient si le capitalisme se résignait au fait de l'édification socialiste de l'économie soviétique et posait des conditions acceptables pour l'économie socialiste de l'U.R.S.S. Mais, même dans ce cas favorable, l'extension du marché serait insuffisante pour épuiser la force de production des principaux pays capitalistes de façon à permettre un nouvel épanouissement du capitalisme en décrépitude. Le développement méthodique des propres moyens de production de l'U.R.S.S. doit, après l'importation des moyens de production et des matières premières indispensables, amener dans un délai relativement rapide la diminution des importations étrangères dans l'Union soviétique.

De nos jours, aucune extension du marché ne peut aller de pair avec la croissance rapide de la puissance de production capitaliste, étant donné les perfectionnements techniques étant donné les perfectionnements techniques (rationalisation, nouvelles inventions, etc.) imposés aux capitalistes par la concurrence internationale et le désir de se frayer un chemin coûte que coûte. Évidemment, il peut se produire des modifications isolées de la situation, qui peut s'améliorer localement ou particulièrement, par exemple grâce à de nouvelles inventions permettant d'avoir des matières premières à bon marché, grâce à de nouvelles voies de communications, à la découverte de nouveaux procédés avantageux de production (par exemple, en Allemagne, fabrication du pétrole au moyen du charbon, conduite des gaz, électrification de la navigation intérieure, production des engrais artificiels).

D'autre part, l'aggravation qui va se produire dans la situation en Amérique aura des conséquences internationales et influera en premier lieu sur l'Allemagne, liée étroitement au capitalisme américain par ses emprunts.

Ces contradictions s'aggravent du fait de l'organisation monopolisatrice du capital qui a atteint de nos jours un degré de concentration sans précédent. Avec la domination des monopoles, la lutte pour les marchés revêt les formes les plus violentes. Sous le régime de la libre concurrence, les perfectionnements techniques entraînent la ruine des entreprises arriérées. Sous le régime des monopoles, le capital de production devenu disponible se transforme en capital fictif; les entreprises qui se ferment deviennent une source de revenus (fixation de la part de participation dans le commerce). En définitive, les monopolisateurs s'efforcent de réaliser une exploitation encore plus grande, d'augmenter leurs surprofits.

Les cartels internationaux, loin d'atténuer les contradictions internes du capitalisme, les aggravent et les étendent; la concurrence à l'intérieur d'un cartel se transforme en lutte pour la quote-part de chaque participant; la concurrence sur le marché mondial revêt la forme d'une lutte de groupes de pays unis en cartels.

Une telle situation pousse fatalement le capitalisme à préparer de nouveaux conflits militaires. Cette préparation se fait dans deux sens: a) formation de coalitions impérialistes hostiles les unes aux autres; b) formation, principalement sous la direction de l'Angleterre, d'une sorte de Sainte-Alliance contre l'U.R.S.S. Ces deux processus ne sont pas strictement délimités, ils s'interpénètrent dans une large mesure. La période actuelle est une période de tâtonnement, une période, où se cristallisent de grands antagonismes d'intérêts autour desquels peuvent se créer de nouveaux groupements de puissances. Ce qu'on appelle le surimpérialisme[4] est une invention social-démocrate. Les social-démocrates confectionnent cette théorie pour détourner l'attention des masses des événements réels et pour leur donner la croyance illusoire à la possibilité d'un capitalisme pacifique, dépourvu de contradictions. Mais il est possible que les puissances impérialistes concluent des alliances temporaires pour la lutte contre la révolution prolétarienne en Russie et contre la révolution nationale en général, et en premier lieu en Chine. Boukharine a indiqué avec justesse l'exemple de la répression de l'insurrection des Boxers en Chine par les grandes puissances en 1900[5]. Mais une telle collaboration temporaire des brigands impérialistes pour l'accomplissement de telle ou telle tâche ne supprime nullement les antagonismes fondamentaux dans le camp de l'impérialisme mondial. De telles alliances ont surgi également avant la guerre, mais loin de prévenir cette dernière elles n'ont fait qu'y conduire.

Depuis la fin de la guerre européenne nous avons eu une série presque ininterrompue de guerres coloniales (guerre gréco-turque, guerre du Maroc, guerre de Syrie, etc.). Dans l'ensemble, l'impérialisme d'après‑guerre a les traits manifestes d'un régime social en déclin. Rosa Luxembourg avait raison d'appeler l'impérialisme la période des crises, des guerres et des catastrophes, de même que Lénine, qui caractérisait l'impérialisme comme la dernière phase du capitalisme. Il va de soi que le déclin du capitalisme ne comporte pas une régression continue et générale de la production; il ne fait que porter à l'extrême tous les antagonismes et contradictions, toutes les "inégalités": le manque de coordination entre les conditions de la production et de la répartition prend des proportions sans précédent; la dépression industrielle devient un phénomène chronique pour une série de pays capitalistes; des millions d'hommes sont en état de chômage permanent, alors que les profits des magnats des trusts s'accroissent monstrueusement et que la bourgeoisie, cherchant une issue à la situation, s'engage fatalement dans la voie de nouvelles guerres, de nouvelles catastrophes mondiales. Si le développement des forces de production diminuait la quantité absolue des ouvriers, c'est‑à‑dire permettait en réalité à toute la nation d'effectuer toute sa production dans un temps plus court, cela provoquerait la révolution parce que la majorité de la population serait sans emploi. Cela manifeste à nouveau la limite de la production capitaliste: cela montre que cette production n'est pas la forme absolue du développement des forces productrices et de la production des richesses, qu'au contraire, à un certain point, elle entre en collision avec ce développement (MARX: Capital, tome III, 1ère partie).

Les phénomènes de la stabilisation, c'est‑à‑dire la reconstitution de l'économie mondiale détruite par la guerre et l'inflation et la liquidation de la majorité des facteurs de désagrégation propres à la crise d'après‑guerre en Europe (par exemple la régression absolue de la production), ne font que souligner plus fortement les contradictions essentielles. La consolidation de la bourgeoisie est incontestable, mais cette consolidation ne fait que frayer la voie à une nouvelle révolution en donnant à cette dernière une base nouvelle, plus large.

Les communistes ne nient pas les faits incontestables, mais ils montrent comment le facteur révolutionnaire creuse le tombeau du capitalisme au plus profond de sa stabilisation; il prouve que les nouveaux problèmes posés par la stabilisation en surgissant sur le terrain de cette stabilisation ne peuvent être résolus qu'au moyen de la révolution.

2. Les rapports de classe dans l'Allemagne stabilisée. — Les traits spécifiques de la situation en Allemagne correspondent entièrement au tableau général que nous avons esquissé. En ce qui concerne la concentration industrielle, l'Allemagne a dépassé les États‑Unis, pays classique des trusts. Les principales branches de l'industrie sont, du faîte à la base, trustées et cartellisées. Le commerce de gros est dirigé et contrôlé par les trusts. Dans le commerce de détail, de grandes firmes se constituent à nouveau, et il se produit une concentration formidable. En Allemagne, une révolution commence à s'opérer dans le domaine de la technique industrielle. L'industrie allemande commence déjà à utiliser toute une série d'inventions ouvrant de nouvelles voies; il suffit d'indiquer la fabrication du pétrole au moyen du charbon, fabrication qui, étendue à une vaste échelle, donnera à l'Allemagne la première place parmi les producteurs d'huile minérale, matière première autour de laquelle se déroule de nos jours la lutte la plus acharnée. L'accumulation annuelle du capital en Allemagne se rapproche déjà du niveau d'avant‑guerre. Les phénomènes concomitants de la déflation (crise monétaire, etc.) sont déjà en partie surmontés. Au début, grâce à l'afflux des capitaux américains, et maintenant déjà grâce à la constitution de nouveaux capitaux dans le pays même, les banques allemandes se développent considérablement et ont recouvré en partie leur ancien rôle dans l'industrie. Ainsi la consolidation économique du capitalisme allemand est indiscutable.

Mais le problème des marchés, qui a une importance décisive pour l'industrie allemande, n'est pas résolu. Après la fin de la grève anglaise[6], il a acquis une nouvelle acuité. Comme en Angleterre, il y a en Allemagne, depuis plusieurs années, plus d'un million de chômeurs. Quoiqu'elle ait dépassé dans certaines branches les chiffres d'avant‑guerre, la production de l'industrie allemande ne correspond pas encore à la capacité de production de cette dernière. Jusqu'à présent le fardeau du plan Dawes[7] n'a pas été un obstacle, mais dans l'avenir il créera des difficultés politiques et économiques.

Grande bourgeoisie et Junkers, république et monarchie

Le bouleversement économique qui a eu lieu pendant et après la guerre a entraîné des modifications profondes dans le bloc des classes dominantes en Allemagne. Le renforcement de la bourgeoisie, et en premier lieu des magnats des trusts, a fait de ces derniers, au point de vue politique, la classe dominante et dirigeante en Allemagne. Les junkers[8] sont sortis économiquement affaiblis de la guerre et de la révolution, de l'inflation et de la déflation. Une partie de leurs domaines est passée aux mains des industriels, pour qui, évidemment, les intérêts spéciaux des agrariens ne comptent pas. Le manque de capitaux a mis les junkers dans la dépendance des banques et des capitalistes produisant les engrais artificiels. Et il est clair que les magnats des trusts ne permettront pas aux junkers de s'emparer de tous les postes gouvernementaux. Le trait caractéristique de la monarchie de Guillaume II[9], c'était que, malgré le rôle dominant de la grande industrie, les junkers restaient cependant la classe dirigeante de l'Allemagne. Actuellement, c'est la bourgeoisie des trusts qui, dans la mesure du possible, exerce directement le pouvoir. C'est par là que s'explique principalement, sinon complètement, la consolidation de la république bourgeoise, la renonciation plus ou moins tacite de la grande bourgeoisie aux plans fascistes ou légitimistes de renversement de la constitution républicaine. Au cours de ces dernières années, la grande bourgeoisie a pris goût au pouvoir et a compris qu'une république dirigée par elle lui est plus avantageuse que l'exercice du pouvoir par une caste limitée de junkers et le régime de l'arbitraire, comme c'était le cas sous la monarchie de Guillaume, où la grande bourgeoisie ne déterminait la politique qu'en dernière instance grâce à sa force économique. Au point de vue de la politique extérieure, la république, plus que la monarchie, permet à la bourgeoisie allemande d'influer sur l'opinion publique des autres pays. En outre, le résultat du plébiscite[10] a montré à la grande bourgeoisie que non seulement la majorité du prolétariat, mais aussi la grande masse de la petite bourgeoisie étaient résolument hostiles à toute restauration de la monarchie. La grande bourgeoisie a rapidement tiré la leçon de ce plébiscite (congrès des industriels à Dresde[11]).

Évidemment, cela ne signifie pas que la grande bourgeoisie ait renoncé à une alliance politique avec les junkers (bloc bourgeois), alliance qui l'aide à sauter par‑dessus les obstacles en politique, mais dans cette alliance elle ne donnera pas aux junkers un rôle dirigeant ou décisif. Sa politique n'est pas dépourvue d'hésitations, elle n'est pas vraiment une. La grande bourgeoisie ne renoncera pas si facilement à influer sur les masses petites bourgeoises au moyen de la propagande monarchique. Ensuite, il convient de tenir compte des conséquences politiques des antagonismes d'intérêts économiques au sein du capital des trusts. Ainsi, dans l'union des industriels du Reich, il se produit une lutte entre les deux groupes les plus forts du capital (chimie et acier): d'un côté Duisburg[12] (trust des produits chimiques), Silberberg[13] (lignite) et Gläckner[14] (qui est sorti du trust de l'acier); de l'autre, les magnats du trust de l'acier: Fritz Thyssen[15], Reusch[16], Reichert[17], Vögler[18], qui sont proches des nationalistes allemands, de la droite du parti populiste[19] et de la droite du centre[20]. Tout récemment, l'industrie lourde se résignait au rôle dirigeant de l'industrie chimique dans l'union nationale des industriels, mais ces derniers temps l'influence du trust de l'acier a considérablement augmenté grâce à la situation favorable créée par la grève des mineurs anglais.

Quoi qu'il en soit, on observe une tendance générale au renforcement de la république bourgeoise. Il ne saurait être question d'un danger direct de restauration monarchique. De même que Silberberg prône la grande coalition, de même Læball[21], conseiller politique de Hindenburg[22] et dirigeant théorique du bloc bourgeois, fait campagne pour la reconnaissance de la république. La grande bourgeoisie comprend que la république à l'heure actuelle est la seule base possible pour sa politique extérieure. Et elle s'efforce, au moyen de mesures législatives, d'accentuer le caractère ploutocratique de cette république (restriction du droit électoral, extension des pouvoirs du président du Reich, etc.). Au fur et à mesure que la république se renforce, elle manifeste de plus en plus son essence, qui est la dictature des trusts, la dictature de la grande bourgeoisie. La constitution du bloc bourgeois a été précédée d'une campagne furieuse des extrémistes, qui réclamaient la suppression radicale de la politique sociale et, en premier lieu, la suppression par voie législative de la journée de huit heures. La tendance de la grande bourgeoisie s'est manifestée nettement dans le domaine de la politique fiscale. Les mesures fiscales de Luther[23] étaient déjà dictées par le désir d'obtenir la majorité des recettes fiscales en imposant les revenus et la consommation des larges masses, tout en abaissant l'impôt sur le revenu frappant le grand capital. D'un autre côté, le bloc bourgeois profitera de son influence dominante dans l'État pour empocher les millions que l'État lui accordera sous forme de subventions (subventions aux armateurs, 700 millions délivrés aux industriels de la Ruhr pour les dédommager de leurs pertes, derniers emprunts à Krupp et autres). Jamais probablement l'État n'avait manifesté aussi ouvertement et aussi cyniquement sa nature d'instrument du capital spoliateur que dans l'Allemagne actuelle. Dans les premières années d'existence de la république, lorsque la grande bourgeoisie caressait encore des plans de coups d'État fascistes, lorsque le gouvernement était aux mains de partis petits-bourgeois, qui menaient une lutte apparente contre les "droites", les illusions démocratiques étaient encore vivaces parmi les masses; maintenant le fait que la démocratie bourgeoise de la république manifeste son caractère véritable et se révèle comme la dictature du capital crée les conditions nécessaires pour la disparition de ces illusions.

La clique militariste et la bureaucratie

La lutte pour l'armée, quoique ne modifiant pas le tableau général, a pourtant un caractère spécifique. Il s'agit de savoir si la Reichswehr, au cas où elle serait appelée à devenir l'armée de l'impérialisme allemand qui renaît[24], doit avoir comme complément des ligues de droite ou des ligues républicaines (Casque d'Acier[25] et autres, ou Bannière d'Empire[26]). L'ancienne clique militaire, qui était l'axe de la monarchie, défend ses positions. Maintenant encore, elle représente une grande force dans l'État. Elle est épaulée par les junkers. Ses intérêts spéciaux s'expriment également, il va de soi, en politique.

Pourtant il ne faut pas oublier que, malgré cette lutte pour la politique militaire, et en partie grâce à cette lutte, il s'est produit un rapprochement sensible entre le Casque d'Acier et la Bannière d'Empire (mesures prises contre les partisans de la politique de revanche du Standart[27], qui ont été exclus du Casque d'Acier; discours d'Ehrhardt[28] hostile à la restauration de la monarchie, passage à la république du Jungdo[29], qui en 1923 marchait la main dans la main avec Hitler). Les cercles monarchiques ne forment pas un tout uni: ils sont divisés par dynasties. Les monarchistes bavarois, partisans des Wittelsbach, aspirent à la réunion avec l'Autriche catholique sous le sceptre des Wittelsbach, dont ils veulent étendre le pouvoir sur tous les territoires allemands, opposant cette dynastie à celle des Hohenzollern. Le porte‑parole de cette idéologie est le parti populaire bavarois[30], qui s'est détaché du centre après la guerre. Malgré l'accord des milieux de la grande bourgeoisie et des agrariens du centre avec les tendances réactionnaires du parti populaire bavarois, il existe entre ces éléments des frictions aggravées par les conflits avec les milieux monarchistes protestants du parti populiste allemand et des nationalistes qui s'orientent vers les Hohenzollern. Ces désaccords entre les monarchistes renforcent la tendance générale de la bourgeoisie à un "républicanisme raisonnable".

Pendant les années consécutives à la révolution, une foule d'éléments nouveaux venus de la social-démocratie, des syndicats chrétiens et d'ailleurs sont entrés dans la bureaucratie. Pour ces éléments, la lutte pour la république équivaut à la défense des places qu'ils ont acquises contre les convoitises de l'ancienne bureaucratie. Mais, là aussi, on remarque un certain rapprochement, car les anciens éléments s'adaptent peu à peu à la nouvelle situation, et cela grâce à l'orientation de plus en plus réactionnaire du gouvernement. Le "républicain raisonnable"[31] est un type extrêmement répandu en Allemagne à l'heure actuelle; le "républicanisme raisonnable" est également un trait spécifique de la classe dominante.

La paysannerie

Les conséquences nuisibles de l'inflation se sont fait sentir en premier lieu sur une partie considérable de la paysannerie, sur les détenteurs d'obligations de l'emprunt de guerre et autres, ainsi que sur les éléments semi-prolétariens les plus pauvres de la paysannerie qui ne peuvent vivre de leur propre récolte et sont obligés d'acheter sur le marché des produits agricoles. L'inflation a été avantageuse non seulement pour les grands et les moyens paysans, mais aussi pour une partie considérable des petits paysans (libération de l'endettement au moyen du paiement des hypothèques avec une monnaie dépréciée; réduction formidable des charges fiscales; baisse des prix sur les produits industriels comparativement aux prix des produits agricoles).

Au cours de la stabilisation, la situation s'est modifiée. Les couches supérieures de la paysannerie sont satisfaites des droits de douane protecteurs. D'autre part, la stabilisation et le besoin de reconstituer le capital de roulement détruit par l'inflation (et transformé partiellement en "valeurs matérielles" inutiles) ont provoqué un nouvel endettement de la masse paysanne. Les crédits ne sont accordés aux paysans pauvres qu'à des conditions extrêmement dures. La concentration croissante de l'industrie mène à la monopolisation de la production des instruments agricoles par les trusts, dans la dépendance desquels tombe la paysannerie. Mais comme la monopolisation de l'industrie est accompagnée d'un progrès technique (progrès dans l'industrie des tracteurs, dans la production des machines agricoles, projet de production d'engrais azotés et mixtes), ce qui entraîne la baisse des prix, la paysannerie n'a pas encore entièrement conscience du fait qu'elle est soumise à la dictature des trusts. La campagne d'approvisionnement en céréales, qui ne s'est pas encore pleinement développée cette année, amènera, les années prochaines, la monopolisation du commerce des grains sous l'égide des industriels qui produisent des engrais artificiels et mettra les propriétaires ruraux dans la dépendance de ces industriels. En résultat, la politique des trusts et leurs prix de monopole exerceront une influence décisive sur la masse paysanne laborieuse. Actuellement déjà, le paysan, outre le manque de crédit déterminé par la politique des grandes banques et des établissements de crédit de l'État, sent douloureusement le fardeau croissant des impôts.

La classe moyenne des villes

Parmi les classes moyennes des villes, il se produit une évolution spéciale vers la gauche. L'intervention des nationalistes allemands contre l'Aufwertung[32] et les exigences exorbitantes des anciens monarques ont dissipé les illusions monarchistes parmi la petite bourgeoisie urbaine. Par milliers, les petits bourgeois abandonnent les anciens partis où, de longues années durant, ils avaient joué le rôle passif de bétail votant. Les nouveaux partis dans lesquels ils entrent (parti économique[33], parti Aufwertung[34]) pratiquent une politique aussi réactionnaire que les anciens. Ce regroupement des masses petites-bourgeoises a une très grande importance. Ces masses se rapprochent partiellement du prolétariat (campagne contre les indemnités aux anciens monarques). Une des causes essentielles de l'évolution des couches moyennes vers la gauche est la rationalisation, qui a laissé sans pain une foule d'employés de commerce et de bureau, et aussi un certain nombre de fonctionnaires. Mais ce qui exerce l'effet le plus durable et le plus néfaste, c'est l'exploitation pratiquée par les trusts qui, au moyen de leur politique douanière et des prix qu'ils établissent, ne cessent d'abaisser le niveau de vie de la masse petite-bourgeoise et amènent progressivement à la ruine les couches dites "indépendantes". Cet état de choses influe sur tous les partis bourgeois et contribue fortement à la désagrégation du Centre. Ce parti, qui est le plus fort des partis petits-bourgeois allemands et renferme en outre une aile ouvrière puissante, est à la veille d'une crise pénible. D'un côté, il voit se dresser contre lui les ouvriers chrétiens, qui s'insurgent contre la politique réactionnaire du comité central, politique qui trahit les intérêts du prolétariat; d'autre part, il est sous la menace d'une révolte des petits bourgeois, dont les intérêts, dans la période d'inflation, de dédommagement des anciens monarques et de rationalisation, ont été foulés aux pieds, de même que ceux des vignerons petits-bourgeois de la Moselle membres du Centre, où ils ont juste le droit de voter. Parallèlement à la révolte des membres et des électeurs de base de ce parti, il se produit des frictions entre les milieux dirigeants du Centre: les grands industriels et les agrariens. Tout l'art des chefs de ce parti ne saurait dissimuler ces contradictions.

Le prolétariat

Parmi le prolétariat, il s'est formé de nouvelles couches à l'époque de la stabilisation. Il existe plus d'un million de chômeurs permanents, qui comprennent de plus en plus nettement qu'ils ne peuvent obtenir du travail dans les conditions actuelles et que le régime social existant les condamne à une existence de misère. Par suite, ils se tournent de plus en plus vers la révolution. (Il suffit de rappeler l'Angleterre qu'une situation analogue a transformée, de pays de la paix sociale, en une vaste arène de batailles de classe.)

D'autre part, la différenciation parmi les ouvriers employés dans la production s'est accrue par suite de la stabilisation. Cette différenciation est favorisée par les entrepreneurs, qui augmentent de nouveau la différence de rétribution des diverses catégories d'ouvriers, différence qui avait diminué dans la période d'inflation. Quoique la rationalisation, qui tend à atténuer les différences entre le travail qualifié et le travail non qualifié (Ford), contribue au nivellement de la classe ouvrière, ce serait une erreur de croire à la disparition de l'aristocratie ouvrière. Sur une échelle restreinte, la stabilisation a indubitablement amené une renaissance de l'aristocratie ouvrière.

C'est ce que montre entre autres l'augmentation des dépôts dans les caisses d'épargne. Sous le régime actuel, où les couches moyennes s'appauvrissent et se prolétarisent de plus en plus, une certaine partie des ouvriers les mieux payés ont la possibilité de faire des économies.

Dans notre presse, on a déclaré parfois qu'en Allemagne l'existence d'une ploutocratie ouvrière est impossible, car la bourgeoisie allemande n'a pas de colonies et, partant, pas de surprofits coloniaux pour corrompre les couches supérieures du prolétariat. Comme si dans l'Allemagne d'avant‑ guerre tous les surprofits de la bourgeoisie allemande étaient tirés des maigres colonies de l'Allemagne, et comme si maintenant les trusts allemands ne réalisaient pas des surprofits! Les illusions que nourrissent les masses ouvrières en raison de la stabilisation sont appelées à disparaître peu à peu. La social-démocratie et les syndicats assurent la classe ouvrière que les conséquences de la stabilisation: chômage de masses, aggravation des conditions de travail, ont un caractère temporaire et créeront les conditions nécessaires pour un nouvel épanouissement du capitalisme, épanouissement qui annulera ces conséquences. Ces illusions n'ont pas encore disparu, mais les effets de la stabilisation et de la rationalisation amèneront progressivement la classe ouvrière à comprendre que les méthodes de la social-démocratie et de la bureaucratie syndicale dans l'époque d'après-guerre sont vouées à la faillite. Les fameuses conquêtes de la révolution sont ou liquidées ou considérablement rognées. C'est ce qui détermine une évolution à gauche des masses, évolution encore timide et mal assurée, mais indubitable. La bureaucratie syndicale s'efforce de ranimer de nouvelles illusions en prêchant ces derniers temps un "surréformisme" d'origine américaine (démocratie économique, etc.). Pour prévenir la déception prochaine des masses, elle revêt ce surréformisme d'une phraséologie gauchiste, promet aux ouvriers la participation à la direction de la production, etc.

II. La social-démocratie

Le fait que la social-démocratie, quoiqu'elle ne cesse de trahir les intérêts de la classe ouvrière, ne compte pas moins de membres qu'auparavant et a trois fois plus d'électeurs que le parti communiste ne s'explique pas seulement par les fautes du P.C.A. Ce fait a aussi des causes objectives.

La social-démocratie allemande est devenue un parti de masse, l'expression du mouvement de plusieurs millions d'hommes à l'époque du développement impétueux du capitalisme. Le grand mérite historique de la social-démocratie à l'époque de son épanouissement, c'est d'avoir créé de larges organisations prolétariennes de masse, d'avoir popularisé les idées du socialisme et défendu de façon efficace les intérêts directs du prolétariat dans la lutte contre les entrepreneurs et l'État bourgeois. Dans la période d'épanouissement du capitalisme (1871‑1914), la révolution, la prise du pouvoir par le prolétariat ne pouvaient être le but immédiat de la lutte de classe prolétarienne. Il s'agissait alors de conquérir une plus grande liberté d'action pour le prolétariat et de lutter pour l'amélioration de sa situation dans le cadre du capitalisme. Dans sa lutte contre l'opportunisme petit-bourgeois, le marxisme révolutionnaire soulignait que la lutte pour les réformes n'était pas une fin en soi, qu'elle était féconde et ne correspondait aux intérêts de l'ensemble de la classe ouvrière que dans la mesure où elle contribuait non pas à réconcilier le prolétariat avec le régime existant, mais au contraire à mettre en lumière par les petits combats journaliers l'inconciliabilité des intérêts de classe de la bourgeoisie et du prolétariat et à préparer les ouvriers à la bataille générale des classes en les convainquant de la nécessité de la révolution; en un mot, dans la lutte, le but final restait le point vers lequel devaient converger les efforts. C'est de cet esprit qu'était pénétré le mouvement ouvrier allemand avant le début du XX° siècle. Néanmoins au fur et à mesure que le mouvement syndical et coopératif se consolidait dans les premières années du XX° siècle, il s'établissait peu à peu, en théorie et en pratique, dans les couches supérieures de la classe ouvrière, un opportunisme qui, malgré les brillantes victoires remportées sur le révisionnisme au congrès du parti, prépara en définitive la trahison de 1914 de la social-démocratie.

Le contenu restreint de la lutte de classe dans cette période ne cessait d'engendrer des courants opportunistes petits-bourgeois dans les rangs de la social-démocratie, courants qui trouvaient un appui dans la couche grandissante de l'aristocratie ouvrière. Ce qui contribuait à renforcer ces courants, c'était que l'aile orthodoxe n'avait pas d'idée concrète de la révolution. L'enseignement de Marx sur la tactique qu'il convient de suivre dans la révolution, enseignement fondé sur l'expérience des révolutions qui avaient eu lieu de 1789 jusqu'à la Commune, n'était plus soumis à une élaboration, à un perfectionnement continus. Le facteur objectif, qui consiste dans l'impossibilité d'une action directement révolutionnaire, et le facteur subjectif, c'est‑à‑dire les lacunes dans l'idéologie de l'orthodoxie marxiste, firent que dans les rangs de la social-démocratie il ne se produisit pas de scission au moment de l'intervention de Bernstein[35] et que les gauches qui se détachèrent de la social-démocratie se trouvèrent portés vers l'anarchisme, comme on le vit par l'exemple des "Jeunes"[36]. Les invitations réitérées d'Engels à la rupture avec les éléments purement opportunistes et la revendication de Rosa Luxembourg, qui réclama l'exclusion de Bernstein, ne furent pas comprises et ne trouvèrent pas d'écho même parmi les marxistes orthodoxes.

Le développement progressif de l'impérialisme modifia la situation. Dans la perspective historique, l'impérialisme apparut déjà comme la phase de déclin du capitalisme. La preuve évidente que le capitalisme avait déjà joué son rôle de facteur de progrès et que la société était mûre pour le socialisme fut la conscience croissante de l'inutilité de la lutte pour les réformes et pour l'amélioration dans le cadre du capitalisme. La monopolisation du capital changea radicalement la perspective de la lutte syndicale. Malgré l'augmentation formidable des mandats parlementaires de la social-démocratie, il s'avérait de plus en plus qu'on ne pourrait rien obtenir au moyen de la lutte parlementaire.

Il fallait de nouvelles méthodes, de nouveaux moyens de lutte. La révolution russe de 1905 inaugurait une nouvelle époque révolutionnaire. Partant de l'analyse de l'impérialisme, les radicaux de gauche, Rosa Luxembourg en tête, réclamaient l'organisation d'actions révolutionnaires de masse, la mobilisation de forces extra-parlementaires. Mais Bebel, Kautsky et, avec eux, la majorité du parti étaient incapables de s'assimiler les nouvelles tâches. Ils se raccrochaient à l'activité purement réformiste, même à cette époque où Kautsky était obligé de reconnaître que les conditions objectives pour le socialisme existaient. Incapables de comprendre le caractère véritable de l'impérialisme, ils déviaient, dans leurs projets de lutte contre ce dernier, vers les pacifistes bourgeois. Le centrisme de Kautsky s'efforçait de coucher le marxisme dans le lit de Procuste de l'activité exclusivement parlementaire, exclusivement réformiste. La bureaucratie du parti, qui s'interpénétrait avec l'aristocratie ouvrière, ne voulait pas entendre parler de perspective révolutionnaire. C'est ainsi que fut créé le terrain pour la trahison du 4 août[37]. La catastrophe se produisit lorsqu'il fallut faire ouvertement sa profession de foi.

La social-démocratie de l'époque d'après‑guerre a réalisé les désirs formulés jadis par Bernstein. Elle a montré ouvertement ce qu'elle est devenue, c'est‑à‑dire un parti petit-bourgeois de réformes. Il n'est pas jusqu'à des mots comme "lutte de classe" et "socialisme" qui ne disparaissent progressivement de sa propagande. Les mitrailleuses du social-démocrate Noske[38] ont montré avec évidence la valeur des propos de la social-démocratie sur le socialisme.

Les masses petites-bourgeoises affluèrent dans le parti social-démocrate allemand immédiatement après la guerre non pas parce que le socialisme figurait dans son programme, mais parce qu'elles voyaient dans ce parti un refuge contre l'Union Spartacus, contre le communisme, contre la réalisation du socialisme. Néanmoins, quoique la social-démocratie se tînt entièrement sur le terrain du régime capitaliste, quoiqu'elle eût noyé dans le sang la révolution ouvrière, elle avait encore de nombreux adhérents parmi les masses prolétariennes. Grâce à leur platitude devant l'impérialisme de l'Entente, les social-démocrates apparaissaient aux masses comme les messagers de la paix, alors que la révolution prolétarienne recelait le danger d'une révolution, d'une nouvelle guerre. La politique de coalition de la social-démocratie était représentée comme la défense de la république, et la république bourgeoise semblait une conquête précieuse aux masses prolétariennes éduquées dans la lutte pour les droits démocratiques. Enfin les réformes sociales et politiques de la révolution de Novembre, réformes qui avaient déchargé l'atmosphère dans les entreprises, étaient un appât de plus qui attirait l'ouvrier vers l'idéologie petite-bourgeoise de la politique de réformes. C'est au moment de l'inflation que cette politique atteignit son plein épanouissement. La situation créée par la période d'inflation écartait alors presque complètement le chômage; parallèlement à l'abaissement du salaire réel, le salaire nominal ne cessait d'augmenter.

La social-démocratie s'appuyait sur une large couche de fonctionnaires républicains frais émoulus. Cet état de choses, à son tour, exerçait une influence déterminée sur la social-démocratie, qui se fondait de plus en plus avec l'appareil d'État. La social-démocratie s'est intégrée dans l'État bourgeois, de même que dans la période antérieure à la stabilisation elle était intervenue en qualité de représentant des intérêts de la société capitaliste dans son ensemble, et non des intérêts de certaines parties de la bourgeoisie, et avait servi de courtier entre la bourgeoisie allemande et le capital financier international.

Après la stabilisation, la situation n'est plus la même. Les fétiches de la social-démocratie ont perdu dans la période d'après‑guerre leur influence sur les masses. La république est apparue comme la domination des magnats des trusts; la politique extérieure de l'Allemagne, au fur et à mesure que l'impérialisme allemand renaît, devient de moins en moins pacifique, et ses conquêtes dans le domaine social et politique sont supprimées.

Par suite, il se produit une nouvelle différenciation dans les rangs de la social-démocratie. Sous la direction du parti et de la bureaucratie d'État, une couche s'efforce de pratiquer coûte que coûte la politique de coalition pour conserver sa part de l'assiette au beurre. Dans la mesure où la social-démocratie pratiquera, en qualité de parti gouvernemental, la politique extrémiste des trusts, elle perdra ses adhérents parmi les masses. D'un autre côté, en vertu des raisons mentionnées plus haut, les masses perdent considérablement de leur enthousiasme pour la politique de coalition. Après l'expérience de la politique de collaboration pratique et de conciliation de classe, l'idée de la lutte de classe gagne de nouveau du terrain. Ayant compris que les mots d'ordre prometteurs de la social-démocratie (république, paix, etc.) n'ont servi qu'à les berner, les ouvriers aspirent à un nouveau grand but susceptible de délivrer le prolétariat de l'enfer capitaliste. Ils se convainquent peu à peu que ce but ne peut être que l'ancien but proclamé tout d'abord, puis trahi par la social-démocratie: le socialisme. Voilà la raison de l'intérêt qu'ils manifestent à nouveau pour l'œuvre d'édification du socialisme poursuivie en U.R.S.S. Cet état d'esprit se manifeste par le renforcement des éléments centristes de gauche du parti social-démocrate, qui ne prêchent le socialisme et la lutte de classe qu'en paroles. Le programme de la gauche centriste repousse plus ou moins résolument la participation à un gouvernement de coalition et prône une opposition purement parlementaire, mais il repousse aussi toute action révolutionnaire de masse. Dans la situation actuelle, où il devient de plus en plus difficile à la social-démocratie de pratiquer une politique de coalition, la gauche du parti social-démocrate prend une importance de plus en plus grande. Elle reflète un double phénomène: tout d'abord, l'indignation des masses contre le gouvernement de coalition; ensuite, la tentative d'une certaine fraction de la bureaucratie du parti d'étouffer cette indignation au moyen d'une politique radicale en paroles. La fondation d'un parti centriste distinct est peu probable, car le trait caractéristique du centrisme c'est que, tout en débitant des tirades d'opposition, il collabore étroitement avec le réformisme avéré. Néanmoins cette possibilité n'est nullement exclue, surtout s'il se produit une situation nettement révolutionnaire amenant un renforcement considérable de la pression des masses.

La tâche des communistes est d'accélérer la désagrégation dans les rangs de la social-démocratie, car cette désagrégation est une des conditions et une des formes du révolutionnement du prolétariat. Un parti centriste n'est pas un instrument de révolution, c'est un obstacle à la révolution. Si cette dernière est appelée à triompher et à se consolider, les partis centristes disparaîtront de la scène, mais à certains moments l'idéologie centriste peut être pour les ouvriers une étape dans la voie menant du réformisme au communisme. Les ouvriers s'attarderont d'autant moins à cette étape que nous saurons, au moyen d'une politique pratique nette et rationnelle, les convaincre plus rapidement que les centristes ne veulent pas la lutte véritable contre les réformistes et qu'à leur tour ils sont incapables de combattre réellement la bourgeoisie et de défendre les intérêts du prolétariat. Voilà pourquoi, partant des principes communistes et les reliant aux besoins actuels de la lutte de classe, les communistes doivent critiquer la position des gauches, pousser ceux‑ci en avant, soustraire les ouvriers à leur direction et les entraîner dans notre front de bataille.

Le mouvement syndical et la coopération

Les syndicats et les coopératives sont de vastes organisations prolétariennes englobant des millions d'hommes, que la bureaucratie social-démocrate dirige et qu'elle utilise au détriment de la masse des membres et dans l'intérêt de la bourgeoisie. De là, la tâche essentielle des communistes à l'égard de ces organisations: elle consiste à les débarrasser de la direction social-démocrate, et c'est là la première condition pour que ces organisations fondées comme organisations de combat du prolétariat puissent de nouveau servir pour le but en vue duquel elles ont été constituées. Quant aux syndicats, il est nécessaire de réorganiser parallèlement les unions centrales et professionnelles, administrées bureaucratiquement, en syndicats de production administrés démocratiquement par leurs membres et construits sur la base des unités de production, car ce n'est qu'ainsi qu'ils pourront, à l'époque de trustification nationale et internationale, s'acquitter de leurs tâches de combat sans en être empêchés par la bureaucratie. Le moyen pour les communistes de conquérir les syndicats et de les imprégner d'un esprit révolutionnaire de classe, d'un esprit combatif, c'est de participer activement à leur travail journalier, à l'organisation de leur direction autonome sur la base des entreprises, et de réduire au minimum indispensable la bureaucratie syndicale. Toute lutte pour les salaires et pour la journée de travail doit être préparée sérieusement parmi les membres et par les membres eux‑mêmes. À cet effet, les communistes doivent tout d'abord étudier la stratégie et la tactique de la lutte syndicale d'avant‑guerre, alors que les syndicats, qui ne comptaient encore que très peu de membres et qui souvent ne disposaient que de ressources insignifiantes, menaient à la bataille, de larges masses non encore organisées, et cela grâce uniquement à l'activité et à l'esprit combatif de leurs membres, sans tutelle démocratique aucune. En ces années où les syndicats menaient furieusement l'offensive, les syndiqués n'auraient pas souffert un seul jour à la tête de leur organisation un dirigeant trahissant leurs intérêts. Un travail syndical actif organisé par les communistes donnera les mêmes résultats. L'histoire réelle du mouvement syndical et coopératif est maintenant oubliée, ce qui fait merveilleusement l'affaire de la bureaucratie dirigeante. Le parti communiste doit exhumer de l'oubli cette histoire, source d'énergie combative. Les nombreuses fautes, la pusillanimité des membres, l'absence de fonctionnaires expérimentés s'expliquent par l'ignorance de l'expérience antérieure et du caractère de la lutte syndicale. Cette ignorance, alliée à l'idée insuffisamment nette des limites de la lutte syndicale, économique, et à l'incapacité de la relier à la lutte politique, est cause que les communistes n'ont pas toujours une position juste devant les réformistes.

À l'époque actuelle de lutte syndicale, époque de monopoles et de trusts, la lutte économique, par suite de la puissance concentrée du capital, est de plus en plus dépourvue de perspectives. Avant la guerre déjà, le marxisme affirmait que, pour obtenir des résultats quelconques, la lutte économique dans les branches les plus concentrées de l'industrie capitaliste, et en premier lieu dans l'industrie minière, devait se transformer en lutte politique. Cela s'applique exactement à l'Allemagne contemporaine, où l'importance absolue et relative des monopoles a formidablement augmenté. C'est en Angleterre que s'est manifesté le plus nettement l'insuffisance des anciennes méthodes syndicales de lutte. De la sorte, si les syndicats veulent s'acquitter de leur tâche, qui est la défense du niveau de vie des ouvriers, ils ne doivent pas craindre de s'assigner des buts politiques révolutionnaires. S'ils ne le font pas, il leur faudra éviter toute lutte, mener, sous une forme ou sous une autre, une politique de collaboration pratique afin d'éviter tout conflit avec la bourgeoisie. C'est en cela qu'est la différence essentielle entre communistes et social-démocrates dans la compréhension des tâches syndicales. Il ne s'agit pas pour les communistes de réclamer, à chaque lutte économique, deux ou trois pfennigs de plus; ils doivent montrer comment tous les avantages obtenus progressivement peuvent être annulés par la bourgeoisie si le prolétariat ne transforme pas sa lutte en lutte politique pour le pouvoir; ils doivent montrer que les grands problèmes actuels (chômage et autres) ne peuvent être résolus que de cette façon. La transformation de la lutte économique en lutte politique, de la lutte des groupes syndicaux ou des groupes de production en une lutte unique de classe ne peut s'effectuer par la simple addition arithmétique des luttes économiques partielles, par l'établissement de la somme des revendications de groupes et des revendications professionnelles. Par suite, le mot d'ordre de l'unification de la lutte économique est insuffisant en tant que mot d'ordre général; la transformation en lutte politique de classe doit s'effectuer sous un mot d'ordre politique de rassemblement. Même sur une échelle restreinte, l'unification de la lutte économique n'est que rarement un moyen tactique juste pour le développement fructueux de la lutte pour les salaires et les conditions de travail. La méthode opposée, succession rapide d'actions de groupes petits mais importants, a donné beaucoup plus fréquemment à de larges couches ouvrières les résultats désirés dans la lutte économique. S'il est impossible de transformer la lutte syndicale en lutte politique, les communistes ne doivent pas craindre d'interrompre la lutte dès que sont épuisées les possibilités syndicales. À ce moment aussi, ils se distinguent des social-démocrates. Les réformistes s'efforcent d'étouffer les grèves parce qu'ils redoutent toute lutte, surtout si elle se développe. Les communistes n'interrompent la lutte qu'après avoir fait tout ce qui dépend d'eux pour la renforcer et la rendre victorieuse tout en ne cessant de montrer aux ouvriers la perspective de cette lutte et d'affermir leur foi en leurs forces.

Les clichés dans la lutte syndicale ne servent de rien. Pour le succès de cette lutte, il faut une capacité manœuvrière extrême, un art de tirer parti des moindres désaccords dans le camp de l'adversaire. Ainsi, dans certaines circonstances, quand le mouvement n'est pas encore suffisamment fort pour écarter l'arbitrage, les communistes doivent l'utiliser et conclure des accords. Un cadre de fonctionnaires ayant passé par une bonne école syndicale et doués d'un esprit combatif, une propagande montrant aux larges masses les limites et les possibilités de la lutte économique, et surtout une direction pratique de cette lutte, telles sont les conditions indispensables pour la conquête des syndicats. Il convient d'estomper les limites du possible dans la lutte économique, contrairement à ce que font les bureaucrates syndicaux et les braillards ultra‑gauches, qui se dérobent à la lutte syndicale, sous prétexte qu'elle ne peut remplacer la lutte de masse révolutionnaire en vue du renversement de la bourgeoisie. Pour un communiste, pour un révolutionnaire véritable, le travail révolutionnaire commence précisément là où une lutte bien menée pour les salaires et pour la journée de travail arrive à ses limites et où il faut alors ou bien la poursuivre comme lutte politique si l'on a des forces suffisantes, ou bien, si l'on n'est pas assez fort, l'interrompre sur un succès partiel ou un compromis en tant que lutte professionnelle pour les salaires et la journée de travail, afin de conserver ses forces et de gagner du temps pour une nouvelle lutte plus importante. Telles sont les tâches essentielles de la direction pratique de la lutte, et c'est de leur exécution que dépend la rapidité à laquelle le parti communiste conquerra les masses.

La tâche de la coopération, c'est de fournir aux travailleurs des produits de première nécessité de bonne qualité et à bon marché, d'éliminer les intermédiaires commerciaux et de mener dans le domaine politique la lutte pour rendre meilleur marché les produits de consommation courante. La lutte contre le profit commercial à une époque où les prix sont dictés par les monopoles qui englobent également le commerce, devient une lutte politique pour le contrôle de la production et des prix, lutte dirigée principalement contre les trusts et les monopoles commerciaux. De telles coopératives combatives peuvent servir d'école de socialisme en montrant comment on peut se passer du capitalisme et en familiarisant les ouvriers avec l'administration des entreprises et leur fonctionnement, Mais la bureaucratie coopérative est encore plus corrompue, elle est encore un obstacle plus grand que la bureaucratie syndicale à la transformation de la coopération en organisation de lutte de classe du prolétariat révolutionnaire. La coopération, si l'on compte avec les sociétaires tous les membres de leur famille, englobe beaucoup plus de personnes que les syndicats. Les coopératives de consommation actuelles dirigées par Kaasch et Kaufmann de l'Union centrale[39] ne sont autre chose que de petites boutiques centralisées et gérées par des mercantis. Elles sont complètement insuffisantes pour la lutte contre la cherté de vie, elles ne peuvent être des appuis pour le prolétariat en lutte, des écoles de préparation et de recrutement pour la lutte révolutionnaire. Le nettoyage de ces écuries d'Augias représente un travail formidable, mais si les communistes déploient une activité rationnelle, s'ils savent en premier lieu mobiliser les ménagères, cette tâche révolutionnaire urgente peut être accomplie: il faut nettoyer soigneusement ce dernier refuge des ennemis de classe dans le camp du prolétariat afin de créer une large base de classe pour la lutte décisive en vue de la domination du prolétariat.

III. La renaissance de l'impérialisme allemand

Les buts de la grande bourgeoisie en politique extérieure

Le renforcement économique et politique de la bourgeoisie allemande modifie la politique extérieure de l'Allemagne, ce qui à son tour, évidemment, influe sur la situation intérieure de l'Allemagne. Alors que, il y a quelques années seulement, tout l'art de la bourgeoisie allemande en politique extérieure consistait à ramper devant l'Entente afin de sauver ce qui était possible et de trouver un appui contre la révolution menaçante des ouvriers allemands (à noter que la grande bourgeoisie confiait volontiers l'exécution de cette politique aux social-démocrates et aux autres politiciens petits-bourgeois), à l'heure actuelle la grande bourgeoisie veut diriger elle-même la politique extérieure, afin de redonner à l'Allemagne sa situation mondiale de puissance impérialiste. Le pacifisme d'apparat n'est qu'un moyen de propagande de cette politique, car il répond mieux aux besoins du temps que le cliquetis des armes, méthode diplomatique de la monarchie de Guillaume II. Les discours sur la réconciliation des peuples correspondent on ne peut mieux à la période actuelle de sondage, de recherches d'alliés, car ce n'est qu'en alliance avec d'autres grandes puissances que la bourgeoisie allemande peut espérer réaliser son désir ardent de reconquérir sa place au soleil. Il est clair que cette politique ne peut rester pacifique et que la participation de l'Allemagne au jeu des groupements impérialistes des puissances l'entraînera fatalement à des préparatifs militaires et, en définitive, à la guerre si la révolution prolétarienne ne survient à temps.

C'est sur ce but général que se règle la politique extérieure de la grande bourgeoisie allemande depuis que le problème des réparations est provisoirement résolu au moyen du plan Dawes. La grande bourgeoisie allemande veut reconquérir sa situation de puissance impérialiste, elle veut être sur un pied d'égalité dans le concert des autres grandes puissances, dans le chœur des brigands de l'impérialisme, car ce n'est que dans ce cas qu'elle peut mener la lutte pour de nouveaux marchés. Or c'est là une question de vie ou de mort pour le capitalisme allemand.

Pour arriver à ce but, la grande bourgeoisie s'assigne actuellement une série de tâches concrètes. Elle cherche à obtenir la révision du traité de Versailles[40] et, en premier lieu, l'évacuation des provinces rhénanes, la restitution du bassin de la Sarre, la rectification des frontières orientales au moyen de la restitution du couloir de Dantzig, en un mot la reconstitution du territoire de l'ancien empire allemand. Au point de vue militaire, elle cherche à se débarrasser de tout contrôle pour reconstituer une armée et une flotte puissantes sans lesquelles sa politique impérialiste est, en définitive, impossible. Elle cherche à se soustraire à un contrôle qui porte atteinte à la souveraineté allemande, et en particulier à obtenir la révision des conditions de paiement fixées par le plan Dawes. Elle réclame la restitution des colonies allemandes comme base pour un nouvel empire colonial. Elle s'efforce de consolider ses positions en politique commerciale afin d'assurer complètement aux trusts le marché intérieur et de pouvoir appliquer le dumping sur le marché mondial. En l'occurrence, elle se heurte à l'obstacle que représentent les lois édictées dans une série d'États contre le dumping; d'un autre côté, les cartels internationaux où l'Allemagne joue un rôle de premier plan sont pour elle une arme puissante dans sa politique commerciale.

Les moyens de la politique extérieure allemande

En politique extérieure, la bourgeoisie allemande est obligée de se contenter des moyens que lui impose sa situation spéciale. Gênée aux entournures par le plan Dawes et par le contrôle militaire des Alliés, elle ne peut encore s'appuyer sur des forces navales et terrestres importantes. Aussi a‑t‑elle érigé le besoin en vertu et profité dans une certaine mesure des leçons de sa défaite militaire. À la politique du "poing de fer" de Guillaume, elle a substitué la diplomatie parée de phrases pacifistes. L'arme principale des magnats des trusts en politique extérieure est, selon le modèle américain, la force économique. Cette politique est d'autant plus dangereuse qu'elle se dissimule plus soigneusement sous le masque du pacifisme, et il est d'autant plus nécessaire de la dévoiler que la social-démocratie la soutient plus fortement. Jamais encore, la liaison pratique et l'étroite affinité spirituelle du social-pacifisme et du social-impérialisme ne s'étaient manifestées aussi ouvertement que maintenant. Ce ne sont que les deux faces d'une seule et même fausse monnaie. En politique extérieure, l'Allemagne s'efforce, avec un certain succès, d'exploiter les rivalités d'intérêts des autres puissances. La social-démocratie a trouvé un fort appui dans le capital américain. En effet, le capital financier américain est intéressé à s'assurer l'Europe, et en premier lieu l'Allemagne, comme sphère d'investissement de capitaux; en outre, les fermiers, couche importante des électeurs américains, sont extrêmement intéressés à conserver l'Europe comme débouché pour leurs produits alimentaires. Ces deux facteurs incitent l'Amérique à demander qu'on donne satisfaction à l'Allemagne, qu'on respecte l'intégrité de son territoire et qu'on lui facilite le paiement de ses dettes.

L'exploitation de la rivalité anglo-française est devenue presque une tradition pour la politique extérieure allemande. Ces derniers temps, l'Allemagne s'efforce d'exploiter également les antagonismes entre la France et l'Italie (accord arbitral conclu avec l'Italie[41] pour contre-balancer l'entrevue de Thoiry[42]). La bourgeoisie allemande s'efforce également d'exploiter à sa manière les antagonismes entre l'U.R.S.S. et les autres États européens. Elle fait des avances à l'Union soviétique, non pas parce qu'elle désire se rapprocher sérieusement de cette dernière, mais uniquement pour avoir par là un moyen de pression sur les puissances d'Europe occidentale et en obtenir des concessions. En outre, tirant parti de sa situation géographique intermédiaire, l'Allemagne s'efforce de faire pression sur l'U.R.S.S. et de renverser les barrières élevées par l'État socialiste contre la pénétration du capital étranger.

Les trusts allemands jouent un rôle formidable en tant que facteur frayant la voie à la politique extérieure allemande. La politique qu'ils pratiquent dans les cartels internationaux détermine la ligne de la politique extérieure allemande. Leur force économique, grâce à laquelle ils jouent un rôle prépondérant dans les cartels internationaux, est maintenant le plus fort atout dans la politique mondiale de l'Allemagne. La force renaissante des financiers allemands sert aussi d'instrument à la bourgeoisie allemande dans sa politique extérieure. Il suffit de rappeler le projet de rachat des mines de la Sarre et la participation de l'Allemagne à l'emprunt belge de stabilisation. Dans sa politique extérieure, la bourgeoisie allemande a déjà obtenu certains succès et quelque peu progressé. La première zone de la Rhénanie est déjà évacuée; Locarno[43] a donné une certaine garantie de maintien de la frontière occidentale actuelle et une garantie contre toute tentative de détachement de la Rhénanie. Le contrôle militaire est remplacé par le contrôle plus doux de la Société des nations. Les premiers paiements annuels fixés par le plan Dawes sont établis sous une forme plus commode pour l'Allemagne. Enfin, l'Allemagne a obtenu une place au conseil de la S.D.N., c'est‑à‑dire, extérieurement tout au moins, est traitée comme une grande puissance.

Actuellement la politique extérieure allemande est en quelque sorte dans une impasse: elle ne peut continuer à se développer dans le même sens qu'au moyen d'un contact plus étroit de l'Allemagne avec les autres puissances impérialistes. Sous ce rapport, on remarque dans les rangs de la bourgeoisie des trusts elle‑même, des fluctuations et des courants divers. La constitution du cartel continental du fer, où le trust allemand de l'acier joue un rôle prépondérant, a été à la base de la conférence de Thoiry, où l'Allemagne a tenté de s'entendre avec la France. Elle voulait, au moyen de cet accord, obtenir en premier lieu l'évacuation des provinces rhénanes et la restitution du bassin de la Sarre. À l'heure actuelle, dans le cartel international du fer et de l'acier, la lutte des différents pays pour leur quote‑part dans la production est régularisée, mais des frictions de même genre se produiront à l'avenir, ce qui, évidemment, influera aussi sur la politique. En attendant, le projet d'accord de Thoiry reste en suspens. Le trust allemand de l'industrie chimique, lié étroitement à la production anglaise des couleurs, manifeste de son côté une tendance à l'accord avec l'Angleterre. La première tentative officielle en ce sens a été la conférence industrielle anglo-allemande de Romsey[44], à laquelle ont participé les dirigeants du trust de l'industrie chimique allemande. Les pourparlers sur l'entrée de l'Angleterre dans le cartel du fer sont en bonne voie. Comme on le sait, l'Angleterre, à son tour, tente d'entraîner l'Allemagne ainsi que l'Italie dans sa politique antirusse par l'offre de mandats sur les colonies.

Ces tendances qui se manifestent en politique extérieure parmi la bourgeoisie des trusts ont joué un grand rôle au cours de la dernière crise gouvernementale. Le bloc bourgeois est devenu possible en grande partie grâce à la rupture temporaire des pourparlers de Thoiry. Selon toute vraisemblance, l'Allemagne continuera encore assez longtemps à louvoyer en politique extérieure. Ce n'est pas sans raison que la bourgeoisie allemande, en se rapprochant de la France, continue à tenir en réserve l'atout anglais afin de contraindre la France à des concessions plus importantes; elle suit la même tactique à l'égard de l'Angleterre en se rapprochant de cette dernière.

Caractère impérialiste de la politique extérieure allemande

La politique extérieure allemande est déterminée par la bourgeoisie des trusts, dont le but est de restaurer l'Allemagne comme puissance impérialiste mondiale. De là le caractère de cette politique. Il va de soi que l'impérialisme allemand n'est pas encore redevenu ce qu'il était auparavant. Il ne fait encore que renaître à la vie. Il est superflu de discuter sur la question de savoir si la définition léniniste de l'impérialisme est applicable en tous points à l'Allemagne. Dans sa formule, Lénine avait en vue non pas l'impérialisme d'un pays quelconque, mais l'impérialisme comme forme mondiale. Par suite, l'assertion que l'Allemagne ne peut pratiquer une politique impérialiste car elle importe des capitaux est dépourvue de toute valeur. Si Lénine avait compris la chose ainsi, il n'aurait pu parler de la politique impérialiste de la Russie pendant la guerre mondiale, car la Russie, on le sait, était un pays important des capitaux. Mais Lénine ne procédait pas mécaniquement dans sa formule, et c'est pourquoi il disait: En Russie l'impérialisme capitaliste nouveau type s'est complètement manifesté dans la politique du tsarisme à l'égard de la Perse, de la Mandchourie et de la Mongolie, mais en général c'est l'impérialisme militaire et féodal qui domine en Russie.

Lénine savait distinguer l'essence des phénomènes dans leur entrelacement et leurs modifications diverses. Comme, à l'époque de l'impérialisme, il faut encore trouver des sphères d'investissement de capitaux, la politique impérialiste peut être considérée comme une prémisse pour l'exportation du capital. D'ailleurs la croissance rapide de l'accumulation du capital en Allemagne, parallèlement à la nécessité de financer l'exportation, doit pousser de plus en plus la bourgeoisie allemande dans la voie de l'exportation du capital. Les paiements des réparations, même s'ils sont effectués, ne sont pas une entrave, car en raison du système fiscal allemand, les milliards prévus par le plan Dawes sont retirés exclusivement des larges masses. Ce n'est pas en prenant sur l'accumulation du capital, mais en abaissant le niveau de vie des masses que l'on réunit les sommes nécessaires à ces paiements.

L'Allemagne capitaliste n'a pas encore reconstitué tous les points d'appui de sa puissance impérialiste. Toute la politique extérieure allemande atteste que l'impérialisme allemand est en voie de reconstitution, ce qui signifie que l'Allemagne, tôt ou tard, est menacée d'être entraînée dans une aventure militaire impérialiste. L'un des principaux obstacles psychologiques à la révolution en Allemagne était la crainte des masses, qui redoutaient qu'une révolution prolétarienne n'entraînât le pays dans une guerre et qui considéraient que la république et le régime bourgeois étaient une garantie de paix. Mais, à l'heure actuelle, il s'avère de plus en plus que la politique de la bourgeoisie est grosse de dangers de guerre.

(À suivre)

[Deuxième partie]

(Suite et fin)

IV. La stabilisation et nos revendications

1. La stabilisation et le caractère général de nos revendications

Du fait de la stabilisation, la révolution ne disparaît pas de l'ordre du jour (voir le discours de Boukharine à la dernière conférence de l'organisation de Léningrad[45]).

Jadis le marxisme révolutionnaire, sur la base de l'analyse de l'impérialisme, en était arrivé à la conclusion théorique (formulée également par Hilferding dans son Capital Financier) que seul le socialisme pouvait succéder à l'impérialisme. Depuis lors, le développement historique nous a fait avancer d'un pas sur le programme d'Erfurt[46], dont la partie concrète représentait un programme de réformes dans le cadre de l'État bourgeois et de l'économie capitaliste, programme destiné à renforcer, à l'époque du capitalisme ascendant, les positions du prolétariat pour la lutte décisive contre la bourgeoisie et à tremper ce dernier dans la lutte de classe pour les réformes afin de le préparer à la bataille plus importante qui approchait.

Comme on le sait, Hilferding ne tira pas de conclusions pratiques de sa thèse. C'étaient les radicaux de gauche, et en premier lieu Rosa Luxembourg, qui devaient formuler pratiquement les nouvelles revendications de l'époque. Dans sa polémique avec Kautsky, qui ne voulait pas démordre de l'ancienne stratégie du "grignotage", qui préconisait exclusivement la lutte parlementaire pour les réformes, Rosa Luxembourg exigea la préparation d'actions révolutionnaires de masse extra-parlementaires au cours desquelles on profiterait de l'expérience de la révolution russe de 1905. Remontrant à Rosa Luxembourg que la tactique qu'elle proposait dans la lutte contre le système électoral prussien contraindrait la social-démocratie à "bondir à la gorge des junkers, pour renverser leur régime ou être renversée par lui", Kautsky se déroba à la tâche pratique de préparation de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir. Rosa Luxembourg posa alors le mot d'ordre de la république, le mot d'ordre du renversement de la monarchie de Guillaume. À ce moment où toute la bourgeoisie allemande était pour la monarchie, qu'elle considérait comme l'instrument de sa politique impérialiste, cela équivalait à poser la question de la lutte pour le pouvoir entre le prolétariat et la bourgeoisie. Ainsi on commençait à comprendre que, dans la période de l'impérialisme, dans la période de dictature des monopoles capitalistes, dans la période d'armements et de guerres, les anciennes méthodes de lutte, la lutte pure et simple pour les réformes étaient déjà insuffisantes, que la révolution prolétarienne devenait une tâche d'actualité et que sa préparation devait avoir un caractère pratique.

Après la première catastrophe mondiale provoquée par l'impérialisme, après la première phase de la révolution mondiale, cela est pour nous plus clair que jamais. Voilà pourquoi les communistes ne peuvent penser que la stabilisation oblige à se limiter à la lutte pour les réformes et pour de petites améliorations de la situation des travailleurs. Il n'est pas vrai que la stabilisation exclue la possibilité même de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir; il n'est pas vrai que les communistes, s'ils parlent de la révolution, n'en parlent que comme lieu commun de propagande en taisant leur programme et en attendant tranquillement que la fin de la stabilisation ouvre de nouvelles perspectives révolutionnaires. Agir ainsi serait, pour les communistes, s'abaisser au niveau d'une secte de propagande révolutionnaire, ou d'un parti centriste dans lequel la lutte pour les revendications immédiates et le but révolutionnaire final n'ont aucune connexion interne. Agir ainsi serait répéter la stratégie kautskiste, doublement erronée à notre époque où le capitalisme est beaucoup moins "stable" et beaucoup plus déchiré de contradictions qu'à l'époque où Kautsky et Rosa Luxembourg polémisaient l'un avec l'autre. De cette conception, il n'y a qu'un pas au liquidationnisme pur et simple des menchéviks russes qui, après l'écrasement de la révolution de 1905 et la "stabilisation du tsarisme par Stolypine", niaient l'existence de toute perspective révolutionnaire, ce pour quoi ils étaient vigoureusement combattus par Lénine et les bolchéviks. Assimiler la reconnaissance de la "stabilisation" à la négation de la possibilité d'une lutte révolutionnaire pour le pouvoir, à la négation de la possibilité d'une aggravation extrême de la lutte de classe, serait ne point comprendre l'époque que nous traversons. Affirmer qu'il faut attendre la fin de la stabilisation, et alors commencer la lutte politique pour le pouvoir, serait capituler devant le plan de stabilisation esquissé par la bourgeoisie. Attendre le moment où la bourgeoisie sera à bout de souffle, serait se condamner à attendre éternellement, car, comme l'a dit Lénine, il n'y a pas pour le capitalisme de situation sans issue au sens absolu du mot. Les communistes affirment que la stabilisation n'est que temporaire, que cette force économique et politique du capitalisme aura nécessairement sa fin, mais, cette fin, ils ne se la représentent pas mécaniquement.

La stabilisation amènera à la révolution, parce que c'est un processus contradictoire en soi dont le développement ne cesse de renforcer les contradictions; parce que ce processus engendre de fortes crises et pousse continuellement la bourgeoisie à de nouvelles offensives contre le prolétariat, à de nouvelles guerres, obligeant ainsi le prolétariat à se défendre de plus en plus fortement et les peuples coloniaux à s'insurger. Chaque jour, la stabilisation pose de nouveaux problèmes, engendre de nouvelles contradictions, crée le terrain pour de nouveaux conflits sociaux puissants. La stabilisation de la devise nationale en Allemagne a mis fin à la situation déterminée par l'inflation et a placé l'impérialisme allemand devant la nécessité de résoudre le problème des marchés; les contradictions ont réapparu sous une nouvelle forme, les salaires de misère de la période d'inflation ont fait place au chômage en masse. D'un côté, la rationalisation empire la crise de la bourgeoisie; de l'autre, les perfectionnements techniques accroissent la puissance de l'appareil de production et le rendement du travail, aggravant ainsi la disproportion entre les possibilités de production et les possibilités d'écoulement. Le rétablissement du crédit international et du commerce mondial aggrave la concurrence entre les différents pays, engendre de nouveaux conflits d'intérêts. Le renforcement politique de la bourgeoisie, qui mène à la dictature intégrale de la bourgeoisie des trusts, enlève, lentement mais sûrement, leurs illusions démocratiques non seulement aux ouvriers mais aussi aux petits bourgeois. La stabilisation, renforcement temporaire de la bourgeoisie, ne cesse d'accumuler de nouveaux facteurs de crise, des sujets de conflits et, parallèlement, crée des prémisses plus profondes pour la victoire sur la bourgeoisie. Par suite, ne pas voir les nouveaux objectifs de la lutte, ne pas voir avec quelle facilité peuvent surgir les conditions de la lutte pour le pouvoir serait une grosse faute. On peut citer comme exemple la grève générale et la grève des mineurs en Angleterre. La tentative de la bourgeoisie anglaise de créer, au moyen de l'abaissement des salaires, une base à la rationalisation de la production afin de consolider la position de la Grande‑Bretagne sur le marché mondial n'a fait qu'entraîner une collision plus forte des classes. La seule tactique révolutionnaire juste a été celle des communistes, qui insistaient sur la nécessité d'accentuer politiquement la lutte, de la transformer en lutte pour le pouvoir. Considérer que la stabilisation exclut la lutte pour le pouvoir équivaudrait à se solidariser avec la conduite traîtresse des réformistes anglais, qui ont arrêté la grève générale sous prétexte qu'elle devait poursuivre des objectifs économiques et non pas des buts politiques.

L'apparition de nouvelles contradictions profondes témoigne avec éclat de la stabilisation actuelle. Le nier serait ne pas voir ce qui va arriver, ne pas comprendre ce qu'il y a de nouveau dans la situation; ce serait en somme chercher peureusement à démontrer qu'il y a dans la stabilisation les mêmes éléments que dans la crise immédiatement consécutive à la guerre. Ce serait une caricature du marxisme, ce ne serait en somme que la paraphrase vulgaire de la thèse bourgeoise et social-démocrate d'après laquelle commence un épanouissement légitime du capitalisme, sans contradictions ni antagonismes. Cela engendre des fluctuations et de la nervosité. Ainsi, au moment de la banqueroute de Stinnes[47] en 1925, Zinoviev estimait que la stabilisation était déjà ébranlée et, au moment de la grève anglaise, qu'elle prenait fin, alors qu'en réalité la "crise d'épuration" provoquée par la faillite de Stinnes n'était qu'un des moments de la stabilisation du capitalisme allemand et que la grève anglaise n'était que la lutte qui trancha la question de la stabilisation et de ses méthodes en Angleterre.

La fin de la stabilisation ne peut venir tout d'un coup sans raison; son point de départ ne peut être qu'une crise économique, une guerre, l'accentuation de la lutte économique de masse; mais ni une crise économique, ni une lutte de masse, ni même la guerre ne marquent par elles‑ mêmes la fin de la stabilisation. Cette fin sera un processus plus ou moins long, elle sera le résultat de l'action réciproque de tous les facteurs de la crise économique, de tous les matériaux accumulés pour les conflits sociaux. L'activité révolutionnaire du prolétariat ne sera pas le moindre des facteurs qui détermineront cette fin.

Il est superflu de signaler que la position des extrêmes-gauches, qui nient catégoriquement la stabilisation, est erronée et dangereuse. Ne pas remarquer les modifications qui surviennent dans la situation économique et politique, c'est se rendre par là même incapable de comprendre les nouvelles conditions de lutte du prolétariat et rouler fatalement au sectarisme: une telle position mène soit au putschisme, soit à l'opportunisme intégral, à la passivité complète masquée d'une phraséologie gauchiste retentissante.

Nous ne contestons pas les faits, nous ne fermons pas les yeux sur le renforcement économique et politique de la bourgeoisie. En ce moment, il n'existe pas de "situation directement révolutionnaire", mais, d'un autre côté, nous ne rejetons pas la perspective révolutionnaire et nous ne nous bornons pas à travailler pour de petites réformes tant que dure la stabilisation. La lutte nouvelle qui doit éclater du fait de la progression de la stabilisation peut s'accentuer au point de devenir une lutte révolutionnaire pour le pouvoir.

L'action révolutionnaire du prolétariat mettra fin à la stabilisation

Il ne s'ensuit pas, évidemment, que nous renoncions à la lutte pour les réformes. Les communistes feront tous leurs efforts pour obtenir les moindres réformes de nature à améliorer la situation des travailleurs, mais ils ne manqueront pas d'indiquer aux ouvriers l'insuffisance de ces réformes en soulignant que, tant que la bourgeoisie exerce sa domination, elle ne cesse d'annuler les réformes accordées en renforçant sa pression et son exploitation des masses laborieuses. La lutte pour les réformes ne peut empêcher la bataille suprême contre la bourgeoisie. Ainsi comprise, la lutte pour les réformes est une des conditions essentielles de la lutte finale. Elle trempe l'ouvrier dans cette lutte. S'il est vrai que le processus d'appauvrissement fait aller l'eau au moulin de la révolution en convainquant les masses de la nécessité de renverser le capitalisme, il n'est pas moins vrai que la victoire sera remportée non pas par le prolétaire qui reste passif devant son appauvrissement, mais par celui qui y résiste et qui, dans la lutte contre cet appauvrissement apporté par le capitalisme se fortifie moralement et matériellement, s'organise, accumule de l'expérience et forge ses armes.

Le parti communiste ne remplira sa tâche à cette époque que si les masses des travailleurs se convainquent que, pour le parti révolutionnaire, ni la lutte pour les revendications immédiates, pour les réformes, ni le but révolutionnaire final ne sont des mots vides; si elles se convainquent que le parti a fixé nettement dans les grands traits sa voie, qui est celle de la révolution victorieuse; si elles voient que les revendications posées par le parti ne sont pas une simple concession à l'état d'esprit qui règne, mais son étroitement reliées les unes aux autres. D'un autre côté, les, communistes, même à l'heure actuelle où les grandes batailles de masse ne sont encore qu'en préparation, ne peuvent rester de véritables révolutionnaires que s'ils ont une idée nette de la façon dont il faut développer la lutte journalière partielle et de la liaison qui doit exister entre les revendications immédiates et le but final.

En un mot, le parti doit avoir un programme d'action reliant en un système cohérent ses revendications. Ce programme d'action ne saurait être une réédition du programme d'Erfurt, comme le proposait Maslow en 1925[48]. Nous ne pouvons, pour les raisons exposées plus haut, nous borner à un programme de réformes dans le cadre de l'État bourgeois et du capitalisme. D'autre part, un programme d'action ne peut être non plus un simple assemblage de mots d'ordre finals. Sa tâche, c'est de relier les revendications immédiates et finales, les unes découlant des autres. Développant conséquemment les revendications journalières immédiates (salaires, journée de travail, etc.), le programme d'action doit poser toute une série de mesures compréhensibles aux travailleurs et dictées par les besoins actuels de ces derniers, mesures dont la réalisation équivaut à une ingérence révolutionnaire dans le système d'économie capitaliste et met en question la domination de la bourgeoisie. Ce sont des mesures transitoires, des revendications transitoires, mais non dans l'esprit du programme d'Erfurt, qui est réalisable dans le cadre de l'État bourgeois; ce sont des revendications qui doivent être satisfaites au cours de la lutte et qui, satisfaites, frayent la voie à la lutte pour les buts finals, pour les mots d'ordre finals.

Ce sont ces revendications dont, il y a 80 ans (en 1847), Engels parlait en ces termes dans la Gazette de Bruxelles [49]:

Toute mesure contribuant à limiter la concurrence et la concentration de grands capitaux entre les mains de certains individus, toute limitation ou suppression du droit d'héritage, toute organisation du prolétariat par la voie de l'État, etc. représentent des mesures qui, en tant que mesures révolutionnaires, sont non seulement possibles mais nécessaires. Elles sont possibles parce que tout le prolétariat soulevé les défend à main armée; elles sont possibles en dépit de toutes les difficultés et mésaventures dépeintes par les économistes, car ces difficultés et mésaventures obligeront le prolétariat à aller sans cesse plus loin, jusqu'à la suppression définitive de la propriété individuelle, afin de ne pas perdre ce qu'il aura déjà conquis. Elles sont possibles en tant que degré préparatoire intermédiaire vers la suppression de la propriété individuelle, mais non autrement.

Nous avons vu qu'à l'heure actuelle la bourgeoisie des trusts, est, en politique intérieure et extérieure, un facteur décisif en Allemagne, qu'elle donne le ton en économie et en politique. La lutte contre la bourgeoisie des trusts doit être la pierre angulaire de notre programme d'action, l'axe sur lequel doivent tourner toutes les revendications. Le caractère de notre programme d'action se détermine également par ce facteur. Ce ne peut être un programme de réformes, car on ne saurait triompher des trusts, des monopoles capitalistes sur le terrain du capitalisme, par le retour à la libre concurrence, mais uniquement par des mesures révolutionnaires développées dans le sens du socialisme.

2. Nos revendications dans le domaine politique

Le gouvernement ouvrier et paysan

Comme mot d'ordre d'unification dans le domaine politique, les communistes réclament la formation d'un gouvernement ouvrier et paysan, d'un gouvernement remplaçant l'appareil bureaucratique de l'État bourgeois par les organes de classe des travailleurs, par l'intermédiaire desquels il exerce le pouvoir d'État. La forme développée de ces organes de classe est constituée par les soviets ouvriers et paysans, mais il peut y avoir différentes formes embryonnaires de soviets (comités de contrôle, centuries de 1923[50]). Le gouvernement ouvrier et paysan s'appuie sur l'armement des ouvriers et réalise le désarmement de la bourgeoisie.

Attitude envers la république bourgeoise

Pendant la campagne pour le plébiscite, notre parti s'est trop borné à une propagande purement républicaine dirigée contre la monarchie et n'a pas relié comme il convenait la question de l'expropriation des princes déchus aux grands problèmes sociaux alors à l'ordre du jour. Il faut réparer cette omission. Au fur et à mesure que la bourgeoisie des trusts s'installe fermement sur le terrain de la république, il est nécessaire de souligner notre attitude de principe à l'égard de la république bourgeoise en en dévoilant le caractère ploutocratique. À l'heure actuelle, la république est en somme consolidée et n'est plus un objet de lutte. Comme en France avant la guerre, la formule "la république est en danger" sert chez nous, dans la plupart des cas, à attraper les masses et à couvrir idéologiquement la lutte qui se déroule au sein des partis bourgeois et de la social-démocratie pour l'obtention des postes de direction dans l'État.

Il ne s'ensuit pas, évidemment, que la question république ou monarchie nous soit indifférente. Il ne s'ensuit pas que nous renoncions à combattre énergiquement tous les facteurs rétrogrades même du point de vue de la république bourgeoise, tous les facteurs contribuant à faire machine en arrière à l'évolution. En particulier, les communistes doivent lutter de la façon la plus énergique contre toute tentative de restriction des droits électoraux, du droit de réunion et de coalition, contre toute tentative d'établissement d'une censure, contre la loi sur l'état de siège, en un mot contre toute limitation des libertés démocratiques au détriment du prolétariat.

Mais les communistes ne peuvent se borner à lutter pour des revendications bourgeoises-démocratiques.

Dans la propagande, il faut opposer à la république bourgeoise, où dominent les parasites, la république soviétique, qui s'appuie sur les larges masses de travailleurs.

Il est d'autant plus nécessaire de bien expliquer par la propagande nos buts finals que notre parti se développe et que de nouvelles forces y affluent. Il faut utiliser également la tribune parlementaire à cet effet.

La Justice

Soutenant toute lutte pour la révocation des juges monarchiques et la suppression de l'inamovibilité des juges, les communistes ne doivent cesser de souligner que la "républicanisation", la réforme de la justice dans le sens bourgeois démocratique n'équivaut pas à la suppression de la justice de classe bourgeoise. La justice de classe américaine qui s'est rendue célèbre par sa cruauté, la justice de classe suisse qui est devenue l'instrument de la contre-révolution européenne sont les produits directs de la république et sont représentées par des juges élus pour une durée déterminée. En Allemagne, les juges républicains ne se sont pas montrés moins hostiles aux ouvriers que les autres (conduite du démocrate Niedner, "haute cour pour la défense de la république" à laquelle siègent des social-démocrates en qualité d'assesseurs). Le but des communistes, but qu'il est nécessaire de souligner dans la propagande, est l'établissement d'une justice de classe prolétarienne agissant dans l'intérêt des travailleurs, l'hégémonie du prolétariat étant, évidemment, la condition de l'instauration de cette justice de classe. En outre, il faut exiger la suppression de tous les articles de la loi qui, comme l'a montré la pratique, servent à ligotter le mouvement ouvrier (loi sur la défense de la république[51], art. 48[52] et autres), et l'amnistie complète pour tous les détenus politiques.

Les problèmes militaires

Contrairement aux social-démocrates, les communistes ne se bornent pas à demander la réforme de la Reichswehr, c'est‑à‑dire sa transformation en une troupe mercenaire commandée par des officiers républicains; ils réclament la dissolution complète de cette force armée de la contre-révolution. Indépendamment de cette revendication générale, les communistes soutiennent toute lutte pour l'élimination des côtés les plus mauvais de la Reichswehr, et, différant en cela des social-démocrates, ils ne se bornent pas à combattre les manifestations extérieures de monarchisme mais défendent en premier lieu les intérêts des soldats de la Reichswehr, réclament pour eux l'intégrité des droits politiques, combattent le régime de caserne, les mauvais traitements auxquels ils sont soumis, etc. Mais cette réforme même, cette suppression des abus les plus criants ne peut être réalisée d'en‑haut, par un décret du gouvernement ou par une décision du parlement. On ne réussira à tenir en mains le corps des officiers que lorsqu'il y aura dans la Reichswehr des soviets de soldats où ne seront pas admis les officiers et sous‑officiers et où seront résolues en dernière instance les questions concernant l'administration et le commandement. Les communistes réclament la dissolution de toutes les organisations fascistes, monarchiques et autres, nettement contre-révolutionnaires, comme le Casque d'Acier, la Jungle[53], etc.

Ils soutiennent les prolétaires conscients de la Bannière d'Empire dans leurs efforts pour transformer cet organe de protection de la république bourgeoise, cet instrument de la politique de coalition, en une arme servant à la population laborieuse pour défendre ses intérêts contre ceux de la bourgeoisie. Le prolétariat doit se donner pour but l'armement des seuls travailleurs, des ouvriers de la ville et de la campagne, des petits paysans. Pour y arriver, il faut développer toutes les organisations prolétariennes de classe qui contribuent à la santé physique et à la préparation militaire de la population laborieuse.

Au fur et à mesure que l'impérialisme allemand se réveille, la bourgeoisie allemande songe à reconstituer ses forces armées détruites par la défaite militaire et interdites par le traité de Versailles. Parmi la bourgeoisie, il s'élève des voix de plus en plus nombreuses pour réclamer le rétablissement du service militaire obligatoire. Certains réclament également l'instauration d'un service général dans la milice: c'est ce que demandait jadis le général Seckt[54], c'est ce que demande maintenant le parti démocratique allemand[55].

Les social-démocrates de gauche (par exemple, Gerhardt Seeger[56], dans la Leipziger Volkszeitung) et autres pacifistes répondent à la réclamation concernant le rétablissement du service militaire obligatoire par des lamentations sur la militarisation de la population et, par là, poussent même des ouvriers dans le camp du fascisme. Ils nient même la nécessité de la milice (Seeger), car elle imprègne les masses d'un esprit de guerre et de violence. L'instauration du service militaire obligatoire équivaut au renforcement du militarisme et de la bourgeoisie. La milice est aussi une institution bourgeoise et, en régime bourgeois, elle est un instrument de la bourgeoisie (Suisse et États-Unis).

Mais, dans l'examen des problèmes militaires également, nous devons nous régler uniquement sur les intérêts de la lutte de classe. Comment créer pour le prolétariat les meilleures conditions de lutte avec le militarisme bourgeois? Les pacifistes, qui préfèrent une armée mercenaire au service militaire obligatoire et à la milice, s'imaginent que l'on peut prévenir une guerre extérieure par des propos pacifistes: en même temps, ils sont prêts à mettre dans les mains de la bourgeoisie une arme pour sa lutte avec l'ennemie intérieur, le prolétariat, en sanctionnant l'entretien d'une troupe de mercenaires qualifiés.

Le militarisme bourgeois ne pourra être renversé que lorsque le prolétariat lui-même s'armera, apprendra à se servir des armes, désagrégera conformément à ses intérêts de classe les forces militaires, expression éclatante de la domination bourgeoise dans l'État, et, l'arme à la main, écrasera les cadres bourgeois et féodaux impossibles à désagréger.

Il est de notre intérêt que le plus possible de prolétaires conscients reçoivent des armes en mains, qu'ils apprennent à s'en servir et qu'ils aient la supériorité numérique dans les troupes. Voilà pourquoi la répudiation pure et simple de toute obligation militaire n'a aucun sens et ne peut que faire aller l'eau au moulin de la bourgeoisie. Du point de vue prolétarien de classe, le service militaire obligatoire vaut mieux qu'une armée mercenaire, car dans une armée fondée sur l'obligation générale du service militaire, ce seront les ouvriers qui domineront et il sera plus facile, au moyen de la propagande révolutionnaire, d'arracher cette armée à la bourgeoisie et d'en faire un instrument de lutte révolutionnaire.

Se basant sur les intérêts de la lutte révolutionnaire, les communistes doivent actuellement faire de l'agitation pour le service militaire obligatoire sous une forme permettant aux ouvriers d'utiliser contre la bourgeoisie l'arme qu'on leur aura confiée. Cette forme c'est la milice.

Cela ne signifie pas, évidemment, que nous soyons prêts à servir les buts de la propagande militaire bourgeoise; au contraire, nous devons réclamer l'instauration de la milice conformément aux paroles de la chanson de Hildebrandt, citées par Engels dans un cas analogue: "Il faut recevoir les dons sur l'épieu, de la pointe à la pointe". Nous demandons la milice, parce que nous pourrons plus facilement, par la propagande en faveur des soviets de soldats et de l'électivité des officiers, la transformer, avec l'aide des ouvriers conscients, en un instrument de nos buts et utiliser les possibilités qu'elle nous offre pour l'armement du prolétariat et le désarmement de la bourgeoisie. Ça été et c'est là notre but.

Suppression du morcellement en états distincts

La liquidation des survivances moyenâgeuses en Allemagne est une revendication particulièrement actuelle, car le morcellement en petits États est une entrave directe au développement économique (problème de l'électrification, équipement du port de Hambourg, etc.) et une forte partie des recettes fiscales est absorbée par la lutte "des grenouilles avec les rats", d'un État provincial avec un autre. Il suffit de rappeler la polémique acharnée entre la Prusse et Hambourg, la république de Lippe et celle de Waldeck. En effet, l'Allemagne est obligée d'entretenir 2.600 députés, 22 organes législatifs et 70 ministres. L'ancienne bureaucratie, qui veut conserver ses sinécures, est intéressée à maintenir le morcellement en petits États, mais y sont intéressés également les social-démocrates et autres braillards de différents partis qui ne veulent pas renoncer à l'assiette au beurre à laquelle viennent manger 22 États et dont la population fait les frais. Néanmoins, il convient de noter que les communistes ne veulent ni l'absorption des petits États par les grands (par la Prusse, par exemple, qui prétend au rôle de grande puissance), ni la centralisation démocratique de l'Allemagne. Ils veulent la centralisation de l'Allemagne par la destruction de l'appareil démocratique pourri, et ils la veulent sur la base d'une autonomie administrative la plus large possible. C'est une république soviétique allemande qui permet le mieux d'arriver à ce résultat, car le pouvoir prolétarien des soviets suppose la destruction complète de l'appareil d'État bureaucratique bourgeois. Tout gouvernement ouvrier et paysan doit parachever sous ce rapport l'œuvre commencée par la révolution bourgeoise.

La séparation de l'Église et de l'État, de l'école et de l'Église

Dans ce domaine, il faut demander que l'école soit débarrassée de la tutelle bureaucratique afin de préserver les enfants de l'influence de la propagande bourgeoise; il faut réclamer que des droits soient attribués aux conseils de parents, que ces conseils ainsi que les syndicats d'instituteurs aient une influence décisive sur la direction de l'école, que l'instruction et la fourniture des manuels soient gratuites dans tous les établissements d'enseignement et que les écoles soient réorganisées sur le principe de l'école de travail.

La lutte contre la politique de coalition

Il faut noter une lutte implacable contre la politique de coalition des social-démocrates; il faut dévoiler non seulement la politique de coalition avérée, mais aussi la politique d'opposition purement parlementaire. En particulier, il faut combattre la théorie du "travail organique"[57] dans les parlements en démontrant que, maintenant moins que jamais, on ne peut obtenir une amélioration réelle de la situation des ouvriers par des moyens purement parlementaires, sans intervention ni pression des masses en dehors du parlement. Il faut démontrer que le "travail organique" parlementaire de la social-démocratie se réduit en grande partie à la fameuse politique du "moindre mal"[58], c'est‑à‑dire à la politique de trahison des ouvriers en gros et en détail. À cette trahison, il faut opposer le travail parlementaire des communistes, dont le caractère révolutionnaire ne doit pas se borner à l'application de l'obstruction parlementaire; le centre de gravité doit être transféré dans une union étroite de l'action parlementaire avec l'action extra-parlementaire des masses. L'obstruction n'est rationnelle que dans les cas où elle contribue à déchaîner l'action extra-parlementaire des masses.

En politique extérieure, nos revendications essentielles sont les suivantes:

1. Annulation du traité de Versailles et droit de disposer d'elles-mêmes pour toutes les régions qui sont une pomme de discorde (Dantzig, couloir de Dantzig, partie allemande et polonaise de Haute‑Silésie). Mais les communistes repoussent toute modification de la situation existante au moyen de la violence, au moyen d'une guerre impérialiste. Les marchandages diplomatiques entre peuples, le fameux "accord" des social-démocrates n'élimineront pas les conséquences du traité de Versailles, en particulier l'oppression nationale. Dans de tels "accords", les peuples ne sont que des balles que l'on se renvoie, des pions que l'on fait marcher sur l'échiquier, alors que se constituent de nouvelles alliances militaires impérialistes. Seule, la révolution prolétarienne peut liquider de façon conforme aux intérêts de la population des nationalités en jeu les conséquences du traité de Versailles et l'oppression nationale. Les communistes indiquent que le triomphe de la révolution et le renversement de la bourgeoisie en Allemagne et dans les pays voisins créeront les conditions nécessaires pour une solution pacifique de toutes les questions de frontières et pour l'abolition de toute oppression nationale au moyen de l'exercice intégral du droit des peuples à disposer d'eux‑mêmes.

Lutte contre l'oppression et l'écrasement des minorités nationales en Allemagne (Polonais, Danois et autres).

2. Répudiation de toute politique coloniale et lutte implacable contre cette politique. Lutte contre la propagande coloniale. Soutien de la lutte de libération des peuples coloniaux.

3. Lutte contre la participation de l'Allemagne à la Société des nations, institution réalisant la politique des groupes impérialistes. En général, lutte contre toute politique d'alliances impérialistes de la part de l'Allemagne.

4. Suppression du contrôle établi par le plan Dawes et annulation des paiements de réparations. Lutte temporaire pour le rejet de ce fardeau sur les épaules des possédants.

5. Alliance avec l'U.R.S.S., soutien actif de cette dernière.

Dans le domaine économique, nos revendications sont les suivantes:

La lutte contre le capital des trusts s'effectuera dans deux directions, conformément à la double exploitation exercée par les trusts: dans la production ainsi qu'au moyen des hauts prix. La lutte contre les prix élevés établis par les monopoles assurera à la classe ouvrière l'appui des couches moyennes de la ville et de la campagne, également exploitées par le capital des trusts.

Au premier groupe de revendications se rapportent l'amélioration des conditions de travail, la suppression des conséquences funestes de la rationalisation pour les ouvriers, l'augmentation des salaires, la diminution de la journée de travail, l'obligation de donner du travail aux chômeurs ou de leur assurer un minimum de vie. La deuxième revendication essentielle est l'abaissement des prix établis par les monopoles et la fourniture d'articles d'usage courant bon marché aux travailleurs.

3. La lutte pour le contrôle de la production

Le mot d'ordre général de cette lutte est celui du contrôle de la production. Ce n'est que par l'instauration d'un contrôle de la production que l'on peut réellement et complètement supprimer les deux maux principaux dont souffrent les masses: le chômage et la hausse des prix. Le contrôle ouvrier de la production consiste à écarter de la gestion des entreprises les capitalistes ou leurs fondés de pouvoir, à transmettre aux organes des travailleurs la direction de la production et la régularisation des échanges commerciaux.

L'établissement d'un contrôle sur la production équivaut à une ingérence révolutionnaire dans l'économie capitaliste; c'est le premier pas vers l'expropriation des expropriateurs; c'est, par suite, une lutte pour le pouvoir. De la sorte, la lutte pour le contrôle de la production est une lutte hautement politique.

La réalisation du contrôle de la production équivalant à la lutte pour le pouvoir, on peut se demander s'il est rationnel de poser ce mot d'ordre au moment actuel où il n'y a pas de "situation directement révolutionnaire" et où les ouvriers ne se sont même pas encore unis pour se défendre contre l'offensive du capital. Ne convient‑il pas de nous borner à présenter des revendications immédiates directement réalisables (en réalité, directement réalisables seulement en apparence)? Nous renvoyons le lecteur au passage où nous avons déjà parlé du caractère général de nos revendications à l'époque de la stabilisation, nous bornant à y ajouter ce qui suit: Le mot d'ordre du contrôle de la production ne peut, évidemment, à l'heure actuelle être posé comme mot d'ordre susceptible d'une réalisation directe (comme c'était le cas en Russie en 1917), avec des tâches de combat concrètes comme la mainmise sur les entreprises; il ne peut être posé temporairement que comme mot d'ordre de propagande servant à grouper les masses en un front de combat unique.

Nous disposant à développer la lutte contre les maux réels du moment présent: longue journée de travail, chômage, conséquences de la rationalisation et bas salaires, loyers trop élevés et cherté, et nous efforçant de donner à cette lutte une ampleur suffisante pour obtenir tout au moins des succès partiels, nous devons recommander des méthodes plus efficaces et plus perfectionnées de lutte aux ouvriers dévoyés par les réformistes et combattant au moyen de méthodes périmées. Il ne suffit pas de flétrir les petites et les grandes trahisons commises par la bureaucratie, qui se raccroche obstinément aux méthodes d'avant‑guerre de la lutte de classe prolétarienne. Dans chaque cas, notre premier devoir est, dans notre propagande, d'opposer aux méthodes de cette bureaucratie des méthodes de direction de la lutte plus efficaces et correspondant mieux à la situation actuelle. Ce n'est que dans ce travail pratique, mais éminemment révolutionnaire, que le parti peut jouer son rôle de chef. Dans la période de stabilisation temporaire c'est la seule méthode d'organisation de la révolution, parce que c'est uniquement en surmontant pratiquement les méthodes périmées et hybrides de lutte et en recherchant les formes supérieures de lutte que l'on peut établir un front de combat révolutionnaire unique et mener le prolétariat à la victoire sur la bourgeoisie. À l'époque du capitalisme monopolisateur, quand les trusts et les consortiums, par mille moyens divers, déterminent directement non seulement la vie économique mais encore la politique extérieure et intérieure, la divulgation de cette activité et l'établissement d'un contrôle rigoureux sur l'activité économique et politique des magnats des trusts et des consortiums permettront de découvrir toutes les manœuvres exécutées par la bourgeoisie pour affermir sa domination. La divulgation des pratiques secrètes et de l'exploitation effrénée des monopoles capitalistes est un chaînon essentiel dans la lutte de classe prolétarienne et une condition permettant de rassembler, d'organiser et de préparer les masses à la lutte pour le renversement définitif des parasites capitalistes. Il ne saurait être question d'une démocratie économique idyllique; ce qu'il faut, c'est une lutte de classe prolétarienne acharnée; il suffirait d'ailleurs pour le prouver de rappeler l'attitude des "socialistes de la chaire" qui, devant les froncements de sourcils menaçants des entrepreneurs, viennent de capituler au Reichstag et ont renoncé à réclamer aux capitalistes des données sur leurs prix de revient. Les économistes allemands qui, avant la guerre, par leurs études sur le travail de l'artisan, sur la situation de l'ouvrier agricole, etc., préparaient indirectement le prolétariat à la lutte de classe bien qu'ils se servissent de leur documentation pour embellir le capitalisme, ont maintenant complètement flanché. Le prolétariat n'a plus rien à attendre de ce côté. Ce n'est qu'au moyen des efforts conjugués des travailleurs que l'on réussira à pénétrer les arcanes des machinations capitalistes, à les dévoiler et à y mettre fin.

12.392 compagnies anonymes, dont le capital nominal représente 20 milliards 12 de marks et qui, dans la proportion de 65 %, sont déjà unies en consortiums, déterminent le sort de 65 millions d'Allemands. 90 % du capital dans l'industrie minière et dans la production des couleurs, 75 % du capital dans l'industrie chimique, la sidérurgie, la métallurgie, l'industrie électrique et les assurances, plus de 50 % du capital dans le commerce, les banques, les transports, les entreprises théâtrales et sportives sont entre les mains des consortiums. Cette force despotique se trouve maintenant opposée au prolétariat allemand, elle dicte les salaires et les prix, fait travailler à journée réduite ou allonge la journée de travail, arrête les entreprises ou les élargit, jette sur le pavé des masses de travailleurs ou les condamne à des salaires de famine. Sans l'établissement du contrôle ouvrier, sans la pénétration des secrets commerciaux de ce capital concentré, sans une lutte acharnée contre chaque cas d'escroquerie, toute lutte syndicale pour les salaires et la journée de travail, toute action coopérative tendant à fournir aux travailleurs des objets d'usage courant à bon marché, tout effort pour l'amélioration des conditions d'habitation, en un mot toute activité sociale et politique est un travail de Sisyphe. Sans contrôle aucun, les magnats des trusts et des consortiums instaurent, selon leurs appétits, des normes pour l'économie à l'insu des masses ouvrières exploitées.

Ainsi la lutte pour le contrôle de la production n'est pas un truc, un mot d'ordre arbitrairement lancé ou rejeté; c'est la tâche cardinale à accomplir pour que le sort des travailleurs ne soit plus déterminé par une poignée de capitalistes. C'est là la question la plus urgente pour les 2 millions de chômeurs permanents.

C'était et c'est encore la manière des extrêmes‑gauches de poser comme mots d'ordre pratiques immédiats des mots d'ordre qui n'ont provisoirement qu'une valeur de propagande et d'agitation et qui sont destinés à rassembler les masses en un tout unique. Cette méthode ne mène ordinairement qu'au putschisme; dans la plupart des cas, elle revient à substituer au travail de propagande minutieux parmi la masse de grands mots d'ordre qui ne disent rien à cette dernière parce qu'ils sont arbitraires et ne correspondent pas à ses besoins réels.

Quand nous posons le mot d'ordre du contrôle de la production, cela ne signifie pas que nous nous disposions à développer, dans les deux mois à venir, une ou plusieurs campagnes sous ce mot d'ordre et ensuite à le reléguer à l'arrière‑plan, pour lui substituer dans notre travail un autre mot d'ordre que nous retirerons au bout de quelque temps. En période de stabilisation, le parti ne peut se borner à rappeler son existence aux masses au moyen de telle ou telle campagne passagère. La stabilisation est une étape déterminée, caractérisée par le fait que le développement impétueux et multiforme de la lutte de classe, comme c'était le cas dans la période immédiatement consécutive à la guerre, fait place à une certaine consolidation du pouvoir de la bourgeoisie et à un certain affaiblissement de la classe ouvrière. Nous devons, sans nous lasser, indiquer la liaison générale des événements et montrer la nécessité d'une solution révolutionnaire aux ouvriers, dont beaucoup ne s'intéressent plus aux grands problèmes actuels, absorbés qu'ils sont par la lutte et les soucis de chaque jour. Pour cela, deux ou trois mois ne suffisent pas. Le mot d'ordre du contrôle de la production n'est pas un mot d'ordre éphémère. Comme nous l'avons dit plus haut, c'est le mot d'ordre général de la lutte de notre époque, de la lutte contre les trusts.

La lutte pour le contrôle de la production ne saurait remplacer la lutte quotidienne pour les salaires et la journée de travail. Mais seul un anarchiste peut s'imaginer qu'il est possible de faire sauter le capitalisme par une offensive économique générale, et seul un réformiste peut s'imaginer qu'il est possible de réaliser le régime socialiste au moyen de l'élévation graduelle des salaires. Seuls des gens ayant des conceptions pareilles peuvent se borner à la lutte économique sans se donner pour tâche de la transformer en lutte politique (pour ce qui est de l'attitude générale envers cet "économisme", voir les raisonnements classiques de Lénine dans Que faire?). Les moyens de cette transformation peuvent varier selon les conditions. Le mot d'ordre du contrôle de la production remplit en Allemagne cette fonction dans les conditions de la lutte contre le capital des monopoles.

Le mot d'ordre du contrôle de la production permet d'expliquer aux ouvriers la nécessité d'une ingérence révolutionnaire dans la production capitaliste sous telle ou telle forme concrète adaptée aux besoins des prolétaires unis dans la lutte pour les revendications immédiates. Ce mot d'ordre, en tant que mot d'ordre central de rassemblement de toute la lutte journalière, relie entre eux les intérêts particuliers des ouvriers. À un certain degré, la lutte pour le contrôle de la production doit amener la formation et l'union des organes de classe, comités d'usines, comités de contrôle, comités pour la lutte contre la cherté et comités d'action, qui, dans la période de lutte résolue et décisive, peuvent donner naissance aux soviets, organes du pouvoir du prolétariat victorieux. Les luttes partielles et isolées dans les syndicats, la coopération, les unions de locataires, les associations sportives et les municipalités seront coordonnées au moyen de la lutte pour le contrôle de la production. Par là même disparaîtront les mots d'ordre non politiques, détachés de la réalité et, partant, erronés et jetant la confusion, tels que le mot d'ordre syndical, par lequel on tente d'unifier la lutte pour les salaires et la journée de travail sans en dépasser les limites, au lieu de lui donner un contenu politique et de compléter les revendications purement économiques concernant les conditions de travail et les salaires, revendications variant selon les professions, par des revendications de classe générales, afin de développer et d'organiser, si l'on a des forces suffisantes, une lutte de masse une et puissante.

L'histoire ne connaît pas d'exemple d'union solide et durable de toutes les forces de la classe ouvrière sur la base des revendications syndicales purement économiques. Les réformistes n'ont réussi à étouffer la grève générale anglaise que parce qu'ils la menaient comme une grève de solidarité purement syndicale. Les communistes, qui s'efforçaient de lui donner plus d'ampleur, posaient des revendications politiques; dans la mesure où la lutte syndicale des masses est possible et existe en effet, la tâche des communistes est de poser des revendications débordant le cadre de la lutte purement économique. La propagande du contrôle de la production ouvre des possibilités pratiques pour une telle transformation. Donner à la lutte un contenu politique, ce n'est pas accoler des revendications politiques à des revendications économiques, par exemple accoler le mot d'ordre du gouvernement ouvrier et paysan ou de la nationalisation à une revendication d'augmentation de salaires dans la proportion de 15 pfennigs, c'est cristalliser les tâches concrètes en revendications générales de classe. Ainsi le mot d'ordre du contrôle de la production est en premier lieu un mot d'ordre de propagande, un mot d'ordre de rassemblement indiquant aux masses la voie dans la lutte économique. La propagande pour le contrôle de la production ne doit pas avoir un caractère abstrait, elle doit se fonder sur des exemples frappants: exploitation renforcée par suite de la rationalisation, surprofits monstrueux, politique des prix pratiquée par les monopoles. (Ainsi le trust chimique, en fabriquant l'azote par le procédé Haber-Bosch, réalise 60 à 80 % de bénéfice net, ce qui, pour une production de 250.000 tonnes, donne un bénéfice net de 100 millions de marks. — Magazin der Wirtschaft.)

Le parti et le prolétariat doivent utiliser toutes les institutions de l'État bourgeois: parlements, commissions d'enquête, instituts des cartels et autres pour obtenir les matériaux qui leur sont nécessaires. Les ouvriers des différentes entreprises et des consortiums doivent s'unir en une organisation commune avec les employés afin de s'assurer la possibilité de pénétrer les secrets commerciaux des trusts. Il faut, en premier lieu, exiger la suppression du secret commercial capitaliste et publier les données de la comptabilité.

Le fait que les ouvriers connaîtront exactement les proportions de leur exploitation et le montant des bénéfices capitalistes sera un stimulant pour un puissant mouvement de masse. La tentative des ouvriers et employés de pénétrer dans le saint des saints du capital, non pas pour servir l'entrepreneur dans l'esprit de "la démocratie économique" mais pour préparer la lutte, est déjà par elle‑même une lutte. Plus les larges masses seront touchées par la propagande pour le contrôle de la production, par la lutte pour la divulgation de la comptabilité commerciale des monopoles, plus l'on devra approfondir la campagne elle‑même et réclamer résolument l'établissement direct du contrôle de la production, du contrôle de la direction des entreprises.

La lutte pour le contrôle de la production, loin de rendre inutile la lutte pour les salaires et la journée de travail la renforce, lui infuse une nouvelle énergie en montrant aux ouvriers comment on les exploite, en cimentant plus fortement ouvriers et employés des grands trusts et en mettant davantage en lumière le grand but pour lequel lutte toute la classe.

Le mot d'ordre du contrôle de la production implique la lutte contre les conséquences funestes aux ouvriers de la rationalisation. Dans la détermination de notre attitude de principe envers la rationalisation préconisée par la bourgeoisie et la social-démocratie, et qui leur sert à embellir la réalité et à induire les masses en erreur, ne fait en somme que grouper une série de méthodes qui au fond ne sont pas nouvelles et qui contribuent à augmenter le profit capitaliste[59]. Pour élucider notre attitude il faut analyser soigneusement chacune de ces méthodes. De cette analyse, il ressortira que nous ne sommes pas opposés aux améliorations techniques, mais que nous devons nous élever contre l'augmentation de la journée de travail et contre toute mesure renforçant l'exploitation.

La lutte contre la politique des trusts sous le mot d'ordre du contrôle de la production donne pour la première fois une base concrète à l'union de tous les travailleurs, à l'union des ouvriers, des paysans et des couches moyennes des villes, sous la direction du prolétariat. Jusqu'à présent l'agitation parmi ces couches suivait le courant général, ou bien était reliée à des phénomènes isolés qui, pour la plupart, n'avaient aucune liaison entre eux. Par suite, nous n'avons pas réussi à nous rapprocher de la masse des couches moyennes urbaines. À l'heure actuelle, l'évolution économique et politique permet au prolétariat d'étendre son influence sur les couches moyennes de la ville et de la campagne dans la lutte contre les monopoles, qui pratiquent une politique des prix ruineuse pour ces couches. En l'occurrence, le mot d'ordre du contrôle ouvrier de la production a une importance particulière. Dans un pays capitaliste aussi développé que l'Allemagne, où l'on applique les procédés de la culture intensive, le besoin de terre ne joue pas pour le petit paysan un rôle décisif comme dans les pays agraires d'Orient. Le petit paysan allemand est intéressé surtout au bon marché des divers moyens de production agricole. Or il souffre de plus en plus de la monopolisation de ces moyens de production (engrais artificiels, machines et instruments agricoles, charbon, etc.) par les trusts. En l'occurrence, il faut lui expliquer que l'exploitation dont il est l'objet de la part des monopoles ne disparaîtra pas du fait des tarifs protectionnistes qui sont établis exclusivement dans l'intérêt des grands propriétaires fonciers, des paysans riches et des paysans aisés et qui ne font que le charger davantage; il faut lui montrer que la hausse des prix ne vient pas d'un bas rendement du travail, mais des profits fabuleux réalisés par les trusts, qu'il doit lutter la main dans la main avec l'ouvrier contre la bourgeoisie des trusts et que l'issue pour lui réside uniquement dans l'organisation de l'échange direct entre une industrie placée sous le contrôle ouvrier et la coopération paysanne. Les autres mots d'ordre posés principalement par la social-démocratie dans la lutte contre la politique des trusts, s'ils ne font pas directement aller l'eau au moulin de l'adversaire, sont en tout cas complètement insuffisants. Le mot d'ordre de la démocratie économique, déformation rée formiste du mot d'ordre du contrôle de la production, ou bien est dénué de tout sens, étant donné que la conciliation des intérêts du prolétariat et des capitalistes présupposée par ce mot d'ordre est impossible, ou bien équivaut à attribuer une situation privilégiée à une partie infime du prolétariat aux dépens de la masse des prolétaires, à faire participer cette partie infime du prolétariat aux bénéfices élevés de l'entreprise, c'est‑à‑dire au renforcement de l'exploitation de tous les autres ouvriers.

La législation contre les trusts aux États-Unis n'a pas arrêté le développement des trusts. Elle ne fait qu'inciter les magnats des trusts à chercher de nouvelles formes et de nouveaux procédés d'union. En Allemagne la législation réglementant l'activité des cartels n'a fait jusqu'à présent que favoriser les trusts et les cartels. Ces exemples montrent que les mesures adoptées par l'État bourgeois pour l'établissement d'un contrôle sur les trusts sont sans efficacité. Il ne s'ensuit pas, évidemment, que nous ne devions pas tirer parti du droit de regard que possède l'État sur les trusts pour dévoiler devant les masses la pratique de ces derniers. Nous devons pénétrer dans tous ces comités pour soutenir la lutte des masses.

En outre, dans certains cas, nous pouvons exiger la nationalisation des entreprises comme punition pour leur fermeture, sans toutefois ériger la nationalisation des trusts en mot d'ordre et sans nous faire d'illusions sur les résultats de la nationalisation des entreprises par l'État bourgeois. La nationalisation des trusts, tant que l'État reste bourgeois, ne change pas au fond le caractère de ces entreprises (voir les entreprises d'État en Allemagne, par exemple le consortium des entreprises allemandes Pläwag ou Preussa[60], les syndicats du charbon et de la potasse contrôlés par l'État). Sans modifications du rapport actuel des forces entre les classes, la nationalisation ne fait que renforcer la concentration de la puissance capitaliste.

Mais nous devons combattre non seulement ces mots d'ordre erronés ou hybrides, mais aussi les conceptions, extérieurement très acceptables, que s'attache à répandre la bureaucratie syndicale. Un des moyens énergiquement préconisés par la bureaucratie syndicale comme issue à toutes les difficultés actuelles, c'est d'en appeler au bon sens des entrepreneurs en leur proposant d'augmenter les salaires. Ainsi tout le monde sera satisfait: les entrepreneurs auront la possibilité d'écouler en plus grande quantité leurs produits et les chômeurs auront du travail, car l'élargissement des débouchés nécessite l'extension de la production. Les crises disparaîtront, la situation générale deviendra favorable. Cette perspective est aussi trompeuse que séduisante. Ceux qui la font miroiter aux yeux des ouvriers ne tiennent pas compte de l'ensemble du mécanisme de l'économie capitaliste, ils négligent le facteur décisif qui détermine la situation en régime capitaliste. Marx dit[61]:

Ce serait une simple tautologie de dire que les crises découlent de l'insuffisance du pouvoir de consommation ou de l'insuffisance de consommateurs en état de payer. Le système capitaliste ne connaît pas d'autres consommateurs que ceux qui payent, exception faite des indigents et des aigrefins. Si les marchandises restent invendues, cela signifie qu'elles ne trouvent pas d'acheteurs en état de les payer, c'est‑à‑dire de consommateurs (du moment que les marchandises sont achetées en définitive pour la consommation productive ou individuelle). Mais quand on cherche à donner à cette tautologie un semblant de fondement en affirmant que la classe ouvrière touche une partie trop petite de sa propre production et que, par suite, il est possible de remédier au mal en lui en attribuant une plus grande, c'est‑à‑dire en élevant le salaire, il suffit pour réfuter ce raisonnement de remarquer que chaque crise est préparée précisément par une période où il se produit une élévation générale du salaire et où la classe ouvrière reçoit en réalité une part plus grande de la quantité de la production annuelle destinée à la consommation. Du point de vue de ces chevaliers du "simple" bon sens, une telle période devrait au contraire éloigner la crise. Ainsi la production capitaliste renferme en elle des conditions qui ne dépendent de la bonne ou de la mauvaise volonté de personne et qui ne permettent un bien‑être relatif de la classe ouvrière que pour un temps, et encore ce bien‑être n'est‑il que le présage d'une crise (Karl MARX: Capital, tome II).

Rosa Luxembourg, à son tour, se moque de ces conceptions, que soutenait jadis Sombart[62] : L'entrepreneur ne doit pas, en cas de hausse des prix, compenser la hausse des salaires au moyen d'un élargissement de la production. Mais les entrepreneurs depuis des temps immémoriaux agissent ainsi, sans les conseils de M. Sombart. De telles périodes d'élargissement de la production, c'est‑à‑dire d'essor industriel, sont évidemment très favorables pour des revendications d'augmentation de salaires. Mais l'élargissement de la production n'est pas un moyen commode pour compenser l'augmentation du salaire; au contraire, c'est une prémisse qui rend possible l'augmentation des salaires, et cette prémisse à son tour est liée à la situation du marché, c'est‑à‑dire aux intérêts de la réalisation du capital.

Mais peut‑être les entrepreneurs devraient‑ils compenser l'augmentation des salaires par des améliorations techniques. Simplicité d'âme, Monsieur le Professeur! De tout temps, les perfectionnements techniques ont été appliqués par les entrepreneurs pour paralyser la lutte économique des ouvriers et non pas pour satisfaire ces derniers (Rosa LUXEMBOURG: Contre Sombart, t. II).

Si, pour justifier sa conception, la bureaucratie syndicale se réfère à l'exemple des États‑Unis, elle ne fait par là qu'attester sa profonde incompréhension de la situation économique dans ce pays. Ce n'est pas seulement l'ouvrier américain, mais en premier lieu le fermier exploitant de façon indépendante son bien qui forment la base d'un puissant marché intérieur pour l'industrie américaine. Le fermier est le principal acheteur des automobiles Ford, des tracteurs et autres articles d'usage courant. La masse des fermiers, dont chacun ressemble au paysan français comme une pomme de terre à une autre, pour employer l'expression de Marx, constitue une base solide pour la production industrielle américaine standardisée.

De même que l'augmentation du salaire, la réduction générale de la journée de travail ne peut supprimer le chômage pour longtemps. En régime capitaliste, une telle réduction permettant de donner du travail à tous les ouvriers entraîne soit l'adoption générale du travail à journée réduite, soit une surproduction permanente, une crise permanente. Quelque nécessaire que soit la lutte pour les salaires et la journée de travail, lutte où il importe que les communistes donnent le ton, elle n'est pas suffisante pour améliorer de façon durable la situation des masses à notre époque. Pour combattre le mal à sa racine, il faut transformer cette lutte en lutte pour le contrôle de la production.

Pour ce qui est des grandes entreprises agricoles, les mêmes revendications qu'aux entreprises industrielles leur sont applicables, en d'autres termes, il faut faire ici le premier pas dans la voie de l'expropriation, préconiser le contrôle de la production par les ouvriers agricoles. En outre, nous demandons qu'on prenne sur les grands domaines de la terre arable assurant complètement la subsistance des petits paysans et d'une certaine partie des ouvriers agricoles qui ont ou veulent avoir une exploitation agricole.

Ce que nous demandons immédiatement, aujourd'hui même, c'est l'exonération de l'impôt pour les paysans pauvres et les petits paysans, jusqu'à une certaine limite de revenu et l'octroi de crédits à long terme fournis par l'État aux petits paysans à des conditions avantageuses. Dans notre agitation parmi la paysannerie, nous ne devons pas commettre la faute d'isoler nos revendications pour la paysannerie de la lutte générale du prolétariat et de suivre ainsi le principe de l’"entr'aide" paysanne. Au contraire, nous ne devons cesser de souligner que la paysannerie laborieuse ne peut s'aider elle‑même seule, qu'elle ne progressera pas sans l'aide des ouvriers. Sinon, nous établirions, dans l'hypothèse la plus favorable, une liaison personnelle avec les couches et organisations paysannes, et non pas l'union combattive du prolétariat et de la paysannerie laborieuse.

 

 

 

 

 

Notes



[1].       [321ignition] Les annotations sont formulées par nous en tenant compte d'éventuelles notes figurant dans la source.

[2].       Friedrich Engels: Introduction à l'édition 1895 de "Luttes de classe en France 1848 à 1850".

Tel que reproduit ici, la citation est le résultat de la traduction en français effectuée à partir du texte de Brandler en allemand. Voici le texte selon l'édition des oeuvres de Marx et Engels par les Éditions sociales:

Dans l'appréciation d'événements et de suites d'événements empruntés à l'histoire quotidienne, on ne sera jamais en mesure de remonter jusqu'aux dernières causes économiques. Même aujourd'hui où la presse technique compétente fournit des matériaux si abondants, il sera encore impossible, même en Angleterre, de suivre jour par jour la marche de l'industrie et du commerce sur le marché mondial et les modifications survenues dans les méthodes de production, de façon à pouvoir, à n'importe quel moment, faire le bilan d'ensemble de ces facteurs infiniment complexes et toujours changeants, facteurs dont, la plupart du temps, les plus importants agissent, en outre, longtemps dans l'ombre avant de se manifester soudain violemment au grand jour. Une claire vision d'ensemble de l'histoire économique d'une période donnée n'est jamais possible sur le moment même; on ne peut l'acquérir qu'après coup, après avoir rassemblé et sélectionné les matériaux. La statistique est ici une ressource nécessaire et elle suit toujours en boitant. Pour l'histoire contemporaine en cours on ne sera donc que trop souvent contraint de considérer ce facteur, le plus décisif, comme constant, de traiter la situation économique que l'on trouve au début de la période étudiée comme donnée et invariable pour toute celle-ci ou de ne tenir compte que des modifications à cette situation qui résultent des événements, eux-mêmes évidents, et apparaissent donc clairement elles aussi. En conséquence la méthode matérialiste ne devra ici que trop souvent se borner à ramener les conflits politiques à des luttes d'intérêts entre les classes sociales et les fractions de classes existantes, impliquées par le développement économique, et à montrer que les divers partis politiques sont l'expression politique plus ou moins adéquate de ces mêmes classes et fractions de classes.

Il est bien évident que cette négligence inévitable des modifications simultanées de la situation économique, c'est-à-dire de la base même de tous les événements à examiner, ne peut être qu'une source d'erreurs. Mais toutes les conditions d'un exposé d'ensemble de l'histoire qui se fait sous nos yeux renferment inévitablement des sources d'erreurs; or, cela ne détourne personne d'écrire l'histoire du présent.

[Source: Karl Marx, Les luttes de classes en France 1848-1850; Paris, Éditions sociales, 1984]

[3].       Concernant le passage "représente pour les 70 millions d'exploitations rurales... il créerait un nouveau concurrent".

Dans l'édition prise comme source, ce passage a été altéré par une faute de composition d'imprimerie que nous avons rectifiée. Une ligne s'était trouvée déplacée:

"représente pour les 70 millions d'exploitations rurales que 300 mil-/lions de dollars environ (ce chiffre, évidemment, est très approxi-/Chine). Un développement du capitalisme indigène en Chine équi-/vaudrait, il est vrai, à l'ouverture d'un nouveau débouché pour/les moyens de production et pour les investissements de capital/matif et changera au cours du développement économique de la/
étranger, mais d'un autre côté il créerait un nouveau concurrent"

[4].       "Surimpérialisme".

Dans l'original en allemand, "Ultraimperialismus". Le terme a été utilisé par Karl Kautsky. Ainsi, par exemple, Lénine cite Kautsky dans son ouvrage "L'impérialisme, stade suprême du capitalisme":

Du point de vue purement économique, écrit Kautsky, il n'est pas impossible que le capitalisme traverse encore une nouvelle phase où la politique des cartels serait étendue à la politique extérieure, une phase d'ultra-impérialisme", c'est-à-dire de superimpérialisme, d'union et non de lutte des impérialismes du monde entier, une phase de la cessation des guerres en régime capitaliste, une phase "d'exploitation en commun de l'univers par le capital financier uni à l'échelle internationale.

Lénine se réfère à deux textes de Kautsky publiés dans Die Neue Zeit (Le Temps nouveau). Voici les paragraphes en question.

Karl Kautsky: "Der Imperialismus"; Die Neue Zeit, 32e année vol. 2, n° 21, 11 septembre 1914; p. 908-922 (ici p. 921)
http://library.fes.de/cgi-bin/nzpdf.pl?dok=191314b&f=905&l=936

Vom rein ökonomischen Standpunkt ist es also nicht ausgeschlossen, daß der Kapitalismus noch eine neue Phase erlebt, die Übertragung der Kartellpolitik auf die äußere Politik, eine Phase des Ultraimperialismus, den wir natürlich ebenso energisch bekämpfen müßten wie den Imperialismus, dessen Gefahren aber in anderer Richtung lägen, nicht in der des Wettrüstens und der Gefährdung des Weltfriedens.

[D'un point de vue purement économique, on ne peut donc pas exclure que le capitalisme connaisse encore une nouvelle phase, le transfert de la politique des cartels à la politique étrangère, une phase d'ultra-impérialisme, que nous devons bien sûr combattre aussi vigoureusement que l'impérialisme, mais dont les dangers se situeraient dans une direction différente, pas dans celle de la course aux armements et de la mise en danger de la paix mondiale.]

Karl Kautsky: "Zwei Schriften zum Umlernen" (fin); Die Neue Zeit, 33e année vol. 2 n° 5, 30 avril 1915; p. 138-146 (ici p. 144)
http://library.fes.de/cgi-bin/nzpdf.pl?dok=191415b&f=129&l=160

Der Rückgang der schutzzöllnerischen Bewegung in England, die Herabsetzung der Zölle in Amerika, die Bestrebungen nach Abrüstung, der rasche Rückgang des Kapitalexports aus Frankreich und Deutschland in den letzten Jahren vor dem Kriege, endlich die zunehmende internationale Verfilzung der verschiedenen Klüngel des Finanzkapitals veranlaßten mich, zu erwägen, ob es nicht möglich sei, daß die jetzige imperialistische Politik durch eine neue, ultraimperialistische verdrängt werde, die an Stelle des Kampfes der nationalen Finanzkapitale untereinander die gemeinsame Ausbeutung der Welt durch das international verbündete Finanzkapital setzte. Eine solche neue Phase des Kapitalismus ist jedenfalls denkbar. Ob auch realisierbar, das zu entscheiden fehlen noch die genügenden Voraussetzungen.

[Le déclin du mouvement en faveur des droits de douane protecteurs en Angleterre, la baisse des droits de douane en Amérique, les efforts de désarmement, le déclin rapide des exportations de capitaux de la France et de l'Allemagne dans les dernières années avant la guerre, et enfin l'enchevêtrement international croissant des différents cliques du capital financiers m'ont amené à examiner s'il ne serait pas possible que la politique impérialiste actuelle soit remplacée par une nouvelle politique ultra-impérialiste, qui au lieu de la lutte des capitaux financiers nationaux exercerait l'exploitation conjointe du monde par le capital financier internationalement allié. Une telle nouvelle phase du capitalisme est en tout cas concevable. Les prémisses préalables suffisantes manquent encore pour décider si cela puisse également être faisable.]

[5].       Chine, révolte des Boxers, 1898‑1900.

La Révolte des Boxers fut une révolte menée en Chine contre l'influence commerciale et politique des puissances occidentales dans le pays.

La société secrète dite des Boxers, apparue probablement dès le début du 18e siècle, atteint son apogée vers 1896‑1897 dans la province du Shandong. Son nom de "Boxers" vient de ce que ses membres pratiquaient un art martial ressemblant à de la boxe. Le nom officiel de la société est cependant "Yìhétuán Yùndòng" (milices de la justice et de la concorde), ou "Yi he quan" (poings de la justice et de la concorde). Ces milices, initialement opposées à la dynastie impériale Qing, se sont surtout développées en réaction aux missionnaires occidentaux implantés sur le territoire chinois. Les révoltes qu'ils suscitent se traduisent par des attaques contre les missions étrangères, ainsi que des actions visant les technologies importées d'occident (lignes de télégraphe et voies de chemin de fer), essentiellement dans le nord‑est du pays, où les puissances européennes et japonaise avaient commencé à étendre leurs concessions.

À l'époque le pouvoir dynastique en Chine est marqué par des rivalités internes. A la mort de l'empereur Xianfeng, en 1861, son fils Tongzhi n ' avait que cinq ans. L ' impératrice consort Ci - an et la mère du nouvel empereur, Ci - xi, deviennent impératrices douairières. Tongzhi décède en 1875. Ci-xi réussit à faire en sorte que son neveu, alors agé de trois ans, soit désigné comme empereur Guangxu et elle-même comme régente. Le meurtre de deux missionnaires allemands en novembre 1897 amène l'occupation du port de Qingdao par l'Allemagne, un mouvement d'appropriation de concessions qui est rapidement suivi par des interventions de la Russie avec Lushun (nommé aussi Port-Arthur), la France (avec Zhanjiang) et la Grande-Bretagne (avec Weihai). Les Boxers en mars 1898 manifestent ouvertement dans les rues sous le slogan "Renversons les Qing, détruisons les étrangers". Cependant un groupe d'intellectuels, mené notamment par Liang Qichao, Kang Youwei et Tan Sitong, impulse un mouvement réformiste visant à moderniser et occidentaliser le pays. Ils parviennent en 1898 à s’imposer au gouvernement avec le soutien de l’empereur Guangxu. L'expérience est interrompue par l'impératrice douairière Ci Xi soutenue par les forces conservatrices au sein de l'armée qui, se rapprochant des Boxers. C'est ce qu'on désigne comme la "réforme des cent jours" (11 juin - 21 septembre 1898). Ci Xi commence à écarter les généraux modernistes qui réprimaient la rébellion (tels Yuan Shikai) et proclame des édits de reconnaissance et de soutien envers les sociétés secrètes (janvier 1900).

Après un dernier accrochage avec les troupes impériales en octobre 1899, l'activité des boxers se concentre contre les missionnaires et leurs convertis. Début juin 1900, près de 450 hommes de troupes occidentaux pénètrent dans la capitale chinoise pour protéger les délégations étrangères. Des insurgés (désormais soutenus par des éléments de l'armée et dont le slogan est changé en "Soutenons les Qing, détruisons les étrangers") attaquent les quartiers occidentaux des villes de Tianjin et Pékin. Le chancelier japonais Sugiyama est assassiné le 6 juin, le ministre allemand von Ketteler le 20. Plusieurs dizaines de milliers de Boxers tiennent la ville et assiègent le quartier des ambassades. Les puissances étrangères constituent un corps expéditionnaire de près de 20.000 hommes pour aller secourir les délégations assiégées. Formé de troupes issues de huit nations (Allemagne, Autriche-Hongrie, États‑Unis, France, Italie, Japon, Grande-Bretagne, Russie), il atteint bientôt 45.000 hommes et est placé sous le commandement du vice-amiral Edward Seymour. Après la prise de Tianjin le 14 juillet, Pékin tombe le 14 aout, la cour impériale quitte la capitale pour Xi'an.

Un mois après la chute de la capitale impériale, l'effectif allié atteint les 100.000 hommes, dont 15.000 français et 18.000 allemands. Le comte allemand von Waldersee prend la direction des opérations à la mi‑octobre. D'octobre 1900 au printemps 1901, les troupes allemandes effectuent plusieurs dizaines d'expéditions punitives dans l'arrière-pays. Cette terreur commanditée par l'empereur Wilhelm II a pour but ouvertement revendiqué d'imposer le respect aux Chinois et de prévenir toute autre révolte. Les puissances étrangères s'accordent d'abord difficilement, puis débutent les pourparlers avec la Chine, et les termes sont formalisés et acceptés le 7 septembre 1901.

Le protocole de 1901 Tandis que les soldats étrangers écrasent les Boxeurs et massacrent la population, Ci-xi nomme Li Hong-zhang plénipotentiaire. Le 16 janvier 1901, il accepte les exigences étrangères, qui sont consacrées dans un protocole signé le 7 septembre 1901 par les représentants de onze Puissances, le prince Qing et lui-même. Aux termes de l'accord, les principaux coupables sont punis de mort ou de bannissement. Afin de châtier les lettrés, les examens sont suspendus pendant cinq ans dans 45 districts où les Boxeurs ont été actifs; les sociétés anti-étrangères sont interdites. Le zongli yamen prend le nom de waiwubu (ministère des Affaires étrangères) et a préséance sur les autres ministères. La Chine s'engage à verser aux Puissances une indemnité de 450 millions de taëls, payable en or en 39 annuités, et garantie par les recettes des douanes et de la gabelle; compte tenu des intérêts et des taux de conversion, le total s'élève en réalité à plus de 980 millions de taëls. Plusieurs forts entre Pékin et la mer, dont ceux de Dagu, seront rasés; pendant deux ans, la Chine n'aura le droit d'importer aucune arme. Le quartier des légations, au cour de la capitale, est agrandi et interdit aux résidents chinois; il est placé sous la garde permanente de troupes étrangères, ainsi que douze points sur les voies d'accès de Pékin à la mer. L'impératrice revient à Beijing en janvier 1902. Le pays resta occupé jusqu'au début des années 1930. La Russie augmenta son emprise sur les territoires du nord-est mandchou, jusqu'à la conflagration de 1905 contre le Japon.

[6].       Grande‑Bretagne, mines, 1925-1926.

En Grande‑Bretagne, le 30 juin 1925 les propriétaires des mines annoncent qu'ils réduiront les salaires des mineurs. Suite à l'opposition du Syndicat national des travailleurs des mines (National Union of Mineworkers), soutenu par le Trades Union Congress (Congrès de Syndicats, TUC, l'unique organisation centralisée de syndicats, liée au Labour Party), le gouvernement conservateur de Stanley Baldwin décide d'intervenir et accorde les fonds nécessaires pour maintenir le niveau des salaires, pendant une période de neuf mois. Il constitue une commission présidée par Herbert Samuel chargée d'examiner la situation de l'industrie minière, laquelle publie son rapport en mars 1926. Elle écarte l'idée d'une nationalisation, recommande l'arrêt des subventions et que les salaires des mineurs soient effectivement réduits. Au même moment les propriétaires des mines, au‑delà des réductions de salaires, modifient de façon plus générale les conditions d'emploi, notamment par un prolongement de l'horaire journalier et la fixation des taux de salaires par district; ils annoncent que si les mineurs n'acceptent pas ces décisions avant le 1er mai, ils procèderont à un lockout.

Le 1er mai, le TUC annonce un appel à la grève pour le 4 mai, et entame des négociations dans l'espoir d'arriver à un accord avant. Depuis le décès du Secrétaire général du TUC Fred Bramley en octobre 1925, Walter Citrine assume la fonction à titre provisoire, il sera officiellement désigné comme Secrétaire général en septembre 1926. Ramsay MacDonald, le dirigeant du Labour Party, est opposé au déclenchement d'une grève générale. Les négociations échouent. Le TUC applique la méthode de mettre en grève d'abord les travailleurs de certains secteurs clé ‑ chemins de fer, transports, ports, imprimeries, construction, sidérurgie. Le 7 mai, Samuel prend contact avec le TUC. Sans se coordonner avec les mineurs, les représentants du TUC s'accordent avec Samuel sur les conditions dans lesquelles la grève pourrait être révoquée en échange d'une poursuite des négociations. Les mineurs rejettent l'arrangement, mais le 11 mai le Conseil général du TUC l'entérine et déclare la fin de la grève. Cependant, le gouvernement ne reprend pas à son compte les termes de l'arrangement.

Le 21 juin, le gouvernement fait adopter une loi qui suspend la loi concernant la journée de travail de sept heures dans les mines (Miners' Seven Hours Act) pour une durée de cinq ans, ce qui autorise le retour à la journée de huit heures. Ainsi en juillet les propriétaires des mines confirment les mesures annoncées. Les mineurs poursuivent la grève, mais sont contraints de reprendre progressivement le travail; un grand nombre parmi eux sont sanctionnés et restent au chômage.

Par la suite, en 1927, le gouvernement adopte le Trade Disputes and Trade Unions Act (Loi sur les conflits de travail et les syndicats), qui prohibe les grèves générales ainsi que les grèves de solidarité, et interdit aux fonctionnaires publics d'adhérer aux syndicats affiliés au Trade Union Congress.

[7].       Plan Dawes.

Le 1er septembre 1924 entre en vigueur le plan Dawes, du nom du banquier américain Charles Dawes. Adopté à Londres par un comité d'experts, il fixe le montant des réparations de guerre dues par l'Allemagne au titre du traité de Versailles (cf. note 40 ) et prévoit leur paiement sous la forme d'un emprunt et d'impôts, ainsi que l'évacuation progressive de la région de la Ruhr par les troupes françaises et belges.

.         Plan Young.

Le 31 mai 1929, une commission interalliée réunie à Paris adopte un plan pour le rééchelonnement sur 59 ans (jusqu'en 1988) du reliquat des réparations de guerre dues par l'Allemagne au titre du traité de Versailles. Il prend le nom de plan Young, d'après l'un des membres de la Commission, Owen Young (président du conseil de surveillance de General Electric). Il se substitue au plan Dawes (cf. ci-dessus) adopté en 1924. Cependant les USA refusent, au sujet des dettes des alliés à leur égard, que le remboursement de celles‑ci soit lié à la question des réparations allemandes. Une nouvelle conférence tenue du 16 juin au 9 juillet 1932 à Lausanne, réduit le montant des réparations et concède un moratoire de trois ans. Finalement, les comptes ne seront soldés définitivement qu'en 2010, par la République Fédérale Allemande.

[8].       Junker.

Mot allemand, littéralement "jeune seigneur". Couramment utilisé pour désigner les hobereaux prussiens. Plus spécifiquement, s'applique à un fils de propriétaires terriens nobles qui entre à l'armée comme simple soldat.

[9].            Friedrich Wilhelm Viktor Albrecht von Hohenzollern

Sous le titre de Guillaume II, il est Empereur allemand et Roi de Prusse (1888-1918). Le 9 novembre 1918 il est contraint d’abdiquer, le lendemain, quelques heures avant la signature de l’Armistice, il s'exile aux Pays-Bas.

[10].     Demande d'expropriation des familles princières, Allemagne, janvier 1926.

Les possessions princières ont été confisquées lors de la révolution de 1918/19, mais pas expropriées. Puisque la Constitution de Weimar garantit la propriété privée à l'article 153, les princes exigent le rétablissement de la libre disposition sur leurs biens, ainsi qu'une compensation financière pour la perte de gains subie. Ils prétendent à des indemnités totalisant 2,5 milliards de Reichsmarks. Aux tribunaux, des juges élevés acceptent régulièrement ces demandes. Le 25 novembre 1925, le KPD présente un projet de loi au Reichstag, dont le premier article se lit comme suit: "L'ensemble du patrimoine des princes régnant autrefois ainsi que de tous les membres de leur famille avec tous leurs biens immeubles, meubles et autres éléments sont expropriés sans compensation." ["Das gesamte Vermögen der ehemals regierenden Fürsten sowie aller ihrer Familienangehörigen mit allen seinen unbeweglichen, beweglichen und sonstigen Bestandteilen wird ohne Entschädigung enteignet."] La loi devrait être rétroactive au 8 novembre 1918, afin que toutes les faveurs accordées précédemment soient annulées. Le 19 janvier 1926, la direction du SPD décide de soutenir la campagne. Un projet d'expropriation des princes, signé par le président du SPD, Otto Wels, conjointement avec Ernst Thälmann pour le KPD, est présenté dans le cadre d'une procédure dite de plébiscite (Volksbegehren). 12,5 millions d'électeurs se sont inscrits sur les listes référendaires entre le 12 et le 17 mars, ce qui a pour conséquence que le projet soit soumis au vote au Reichstag. Le 6 mai, le vote aboutit au rejet. La procédure se poursuit alors, selon les dispositions législatives, par un référendum (Volksentscheid) mis en oeuvre le 20 juin. Près de 14,5 millions de votes, soit 36,4% de l'électorat se prononcent en faveur de l'expropriation des princes; cependant, 20 millions de voix auraient été nécessaires pour adopter la loi. Après l'échec du référendum, la plupart des gouvernements des États (Länder) et leurs familles princières parviennent assez rapidement à un accord sur des compromis financiers.

En Prusse en octobre 1925, Hermann Höpker Aschoff (DDP) (cf. note Erreur ! Signet non défini. ), ministre des finances dans le gouvernement dirigé par Otto Braun (SPD), avait présenté un projet d'un "Accord sur le différend entre l'État prussien et les membres de la maison royale prussienne anciennement régnante, au sujet des possessions" ["Vertrag über die Vermögensauseinandersetzungen zwischen dem Preußischen Staat und den Mitgliedern des vormals regierenden Preußischen Königshauses"] qui prévoyait que les Hohenzollern récupèrent les trois quarts des propriétés foncières et en outre une somme de 30 millions Reichsmark à titre de compensation pour les propriétés qui seraient transférées à l'État. Passé l'intermède du référendum, ce projet est repris en octobre 1926. Après avoir subi quelques adaptations, il est adopté avec 257 voix de DDP, DVP (cf. note 19 ), Zentrum (cf. note 20 ), DNVP (cf. note 19 ) contre 37 voix du KPD et de la représentation polonaise. Les députés du SPD participant au vote respectent la décision adoptée par le parti en faveur de l'abstention, mais un certain nombre quittent l'assemblée avant le vote en signe de désaccord. Ainsi, à la lignée principale des Hohenzollern sont attribués 250.000 Morgen * et une somme de 15 Millions de Reichsmark; aux lignées secondaires sont attribués 137.000 Morgen. De l'ensemble des possessions confisquées en 1918, l'État de Prusse retient 250.000 Morgen ainsi que diverses propriétés immobilières.

Morgen (arpent, littéralement: matin, matinée): une mesure de superficie ancienne, à l'origine un morceau de terre sur lequel on pouvait effectuer la récolte en une matinée. La superficie désignée variait selon la région, entre environ 0,255 ha (en Prusse) et 1,2 ha (en Oldenburg).

[11].     Assemblée générale de l'Union nationale de l'industrie allemande (Reichsverband der Deutschen Industrie, RDI), 1926.

Les 3 et 4 septembre à Dresden se tient la 7e Assemblée générale du RDI. Le RDI est présidé depuis le 1er avril 1925 par Carl Duisberg (cf. note 12 ) qui a entamé une réorientation politique. Lors de l'assemblée générale de 1925, il avait déclaré: "Je reste fidèle à la constitution telle qu'elle a été adoptée à Weimar, et je souhaite seulement qu'elle s'adapte à l'évolution des circonstances de l'époque, que l'administration devienne toujours meilleure et plus parfaite. De fait, le meilleur État, c'est simplement État le mieux administré. En cela, le salut du point de vue de l'État ne dépend pas du fait qu'il soit gouverné selon des principes monarchiques ou républicains, mais de la manière dont il est gouverné." ["Ich stehe zur Verfassung, wie sie in Weimar beschlossen ist, und wünsche nur, daß sie sich den Zeitverhältnissen entwicklungsgemäß anpaßt, daß die Verwaltung immer besser und vollkommener wird. Der bestverwaltete Staat ist nun einmal der beste Staat. Dabei hängt das Staatswohl nicht davon ab, ob monarchisch oder republikanisch regiert wird, sondern davon, wie er regiert wird."] Durant l'assemblée de 1926 cette vision est affirmée, en particulier par la voie d'un discours prononcé par Paul Silverberg (cf. note 13 ):

La révolution politique, par laquelle a commencé l'après-guerre après la perte de la guerre, s'est rapidement transformée en une révolution économique et sociale. L'entrepreneuriat allemand, jusqu'à la guerre et, à part quelques-uns, également durant la guerre, politiquement indifférent, du moins pas actif, s'est soudainement vu comme un objet de la lutte politique. Il considérait les ouvriers révolutionnaires et l'État qu'ils dirigeaient comme leur opposant immédiat. Il a dû mener une lutte pour son existence dans de nombreuses directions: contre le développement économique et financier, qui l'a frappé à égalité avec le peuple tout entier, en outre contre les gouvernements révolutionnaires qui représentaient l'État. Il a dû lutter contre eux dans leurs tendances à la socialisation et à l'économie commune, pour sa propriété et la base de son existence. Il en découlait que l'entrepreneuriat allemand adopte en rangs serrés son attitude de rejet à l'égard du nouvel État tel qu'il se présenta et se comporta dans la première période après la révolution. Alors que, d'une part, les représentants de l'État ont nié toute bonne tradition et tiré dans la poussière tous les souvenirs d'un passé glorieux proche et lointain, d'autres se surenchérissent pour détruire les fondements de l'entrepreneuriat allemand par vandalisme malveillante ou incompréhension idéaliste. Cette lutte devait être menée jusqu'au bout, ou du moins jusqu'au point où une base passablement stable soit gagnée et construite pour le peuple et l'économie. Cet objectif a été atteint dans une certaine mesure aujourd'hui, et il est particulièrement intéressant de noter que c'est la détresse politique du peuple tout entier - je nomme la question des réparations et de la guerre de la Ruhr - et donc la politique étrangère, qui ont amené l'entrepreneuriat et les gouvernements post-révolutionnaires à une coopération active pour la État. Et malgré toutes les nouvelles difficultés et critiques particulières concernant le faire ou ne pas faire, cette coopération a eu pour résultat positif que l'attitude de l'entrepreneuriat vis-à-vis de l'État actuel a été amené vers une ligne claire: l'entrepreneuriat allemand se place totalement sur le point de vue affirmatif à l'égard de l'État. Un tel ou un tel peut encore être plus ou moins influencée par des ressentiments de nature plus personnelle: tous les gens sérieux et consciencieux se sont placés sur le terrain de l'État actuel et de la constitution du Reich: la constitution du Reich, mais cela soit dit aussi en aller Öffentlichkeit, avec tout les dispositions prévoyant des modifications à apporter sur certains points, manquant de clarté intentionnellement ou non. De même que l'entrepreneuriat allemand rejette tous les éléments extrêmes de droite et de gauche, dont le but ouvert ou secret est la modification inconstitutionnel et violent de la constitution du Reich, l'entrepreneuriat allemand rejette également ces défenseurs de la république qui encore aujourd'hui voient dans la constitution avant tout un instrument pour des objectifs de révolution économique. Car ces amis de la république doivent être clairs à ce sujet: pour toutes les personnes sérieuses dans le pays et à l'étranger, la reconnaissance de la République allemande et de sa constitution par l'entrepreneuriat allemand pèse mille fois plus que tout le battage médiatique de tactique de parti, qui ne fait que semer la méfiance, créer des troubles et absorbe des forces. C'est précisément cette attitude de l'entrepreneuriat allemand qui est à la base de la confiance de la part de l'étranger dans la stabilité des conditions allemandes.

[12].     Carl Duisberg.

En 1900, Duisberg devient membre du conseil d'administration du groupe Bayer (dont l'origine date de la constitution en 1863 par Friedrich Bayer, de la "Friedr. Bayer & Co."); en 1912, il est désigné comme président du conseil d'administration. Depuis 1905 existe une association (Interessengemeinschaft) entre Bayer, BASF, Agfa. En 1915-1916, à l'initiative de Duisberg, elle est élargie à d'autres entreprises de l'industrie des colorants allemande. Finalement, en 1925, l'ensemble des entreprises associées fusionnent en une société dénommée I.G. Farbenindustrie AG. Duisberg devient président du conseil de surveillance de cette société (jusqu'en 1935).

Par ailleurs, en 1914, Duisberg devient membre du directoire et du comité principal de la Chambre de l'industrie et du commerce allemande (Deutscher Industrie- und Handelstag). En 1919 il devient membre du présidium de l'Union nationale de l'industrie allemande (Reichsverband der deutschen Industrie, RDI) nouvellement constituée; il en devient président en 1925, poste qu'il occupe jusqu'en 1931.

Cf. "Quelques têtes de grands capitalistes allemands des années 1920" .

[13].     Paul Silverberg.

En 1898, Adolf Silverberg le père de Paul acquiert quatre mines de lignite, rassemblées dans le consortium dénommé Gewerkschaft Fortuna, transformé en 1902 en Fortuna AG. Après la mort du père, en 1903, Paul Silverberg devient directeur général de la Fortuna AG. En 1908 cette société fusionne avec la Gruhlwerk GmbH et la Gewerkschaft Donatus, et se transforme en Rheinische AG für Braunkohlenbergbau und Brikettfabrikation (RAG, en abrégé aussi Rheinbraun) ayant son siège à Köln (Cologne). En 1908 la RAG constitue la Rheinisches Elektrizitätswerk im Braunkohlenrevier AG (REW). En 1924 la RAG acquiert une participation dans la Harpener Bergbau AG installée à Dortmund; en 1925 Silverberg devient membre du conseil de surveillance de la Harpen, puis président de cette instance. En 1926 il devient président du conseil de surveillance de la RAG.

En 1927 Silverberg détient environ 60 mandats dans divers conseils de surveillance, entre autre: les entreprises Clouth, Colonia ainsi que Felten & Guilleaume installées à Köln, Charlottenhütte contrôlée par Friedrich Flick *, RWE (en tant que président adjoint du conseil de surveillance), VEW, Deutsche Bank, HAPAG, Norddeutscher Lloyd, DEMAG, Harpener Bergbau, Metallgesellschaft, Mitteldeutsche Stahlwerke, Vereinigte Stahlwerke, Siemens, Universum Film.

À partir de 1914 il est président de la Société unie de mines de lignite rhénane (Vereinigungsgesellschaft Rheinischer Braunkohlenwerke), président du conseil de surveillance du Syndicat du lignite rhénan (Rheinisches Braunkohlensyndikat), il est membre du comité de direction de la Fédération des Unions d'employeurs allemandes (Vereinigung der Deutschen Arbeitgeberverbände). En 1927 il devient président adjoint de l'Union nationale de l'industrie allemande (Reichsverband der deutschen Industrie, RDI) (cf. note 11 ).

À partir de 1929 il est membre du Deutsche Volkspartei (DVP) (cf. note 19 ). Il est membre de diverses organisations, entre autre: Bund zur Erneuerung des Reiches (Union pour le renouveau de l'empire), Deutsche Gesellschaft zum Studium Osteuropas (Société allemande pour l'étude de l'Europe de l'Est), Deutsche Kolonialgesellschaft (Société coloniale allemande), Deutscher Flottenverein (Association navale allemande), Komitee Pro Palästina zur Förderung der jüdischen Palästinasiedlung (Comité Pro-Palestine pour la promotion de la colonisation juive en Palestine), Deutscher Herrenclub [cercle à tendances conservatrices, composé d'éléments de l'aristocratie prussienne, de Junkers et de hauts fonctionnaires], Industrieclub Düsseldorf.

Cf. "Quelques têtes de grands capitalistes allemands des années 1920" .

Friedrich Flick (18831972)[21]

En 1906, Flick termine des études par un diplôme en commerce. En 1913, il entre au conseil d'administration de la Westfälische Eisengesellschaft, en 1915 à celui de la Charlottenhütte à Niederschelden près de Siegen. En 1917 il devient président du conseil d'administration de la Charlottenhütte. À la fin de la guerre il procède à des achats d'actions de la Charlottenhütte, en 1920 il arrive à détenir la majorité et au cours des années suivantes il accroit sa participation jusqu'à 95 %. Au cours des années 1920 il étend son consortium dans le secteur du charbon et de l'acier, en particulier à travers des participations dans des usines sidérurgiques en Haute-Silésie.

En 1926 Flick participe à la constitution de la Vereinigte Stahlwerke AG (VStAG) (cf. l'entrée correspondante dans la page "Quelques têtes de grands capitalistes allemands des années 1920" ). Initialement, il en contrôle environ 20 % du capital. Il est membre du conseil de surveillance et du conseil d'administration. La même année est constituée la Mitteldeutsche Stahlwerke AG (dite “Mittelstahl”) qui intègre des entreprises contrôlées par Flick: la Linke-Hofmann-Lauchhammer AG, le Stahl- und Walzwerk Weber cédée par la VStAG, ainsi que des mines de lignite en Allemagne du centre, une fabrique de briquette et une centrale électrique. La Mittelstahl est une filiale de la VStAG, Flick est actionnaire principal et président du conseil de surveillance. Par la suite, à travers des manoeuvres de restructuration de ses propres sociétés et des acquisitions d'actions des autres entités composant le VStAG, il réussit à établir une situation où il contrôle 51 % du capital de la Gelsenkirchener BergwerksAG (GBAG), et celle-ci contrôle 56 % du capital de la VStAG.

En 1929 Flick acquiert la Maxhütte (située à Haidhof en Oberpfalz, la Maxhütte s'était développée avant la première guerre mondiale pour devenir la plus grande usine sidérurgique en Allemagne du Sud, puis en 1921 elle avait été acquise par les frères Röchling alliés à un groupe belge). En 1931 Flick acquiert la majorité du capital de la Mittelstahl. Cette société constitue un groupement d'intérêt économique [Interessengemeinschaft] avec la Maxhütte.

Sous l'effet de la crise économique de 1929, le consortium de Flick se trouve fortement endetté. En 1932 le gouvernement dirigé par Heinrich Brüning vient à son secours en rachetant les actions de la GBAG pour une somme dépassant le triple de la valeur en bourse (acquérant ainsi environ 23 % des actions de la VStAG).

En 1934 la Mittelstahl fusionne avec la Charlottenhütte. Maintenant Flick détient environ 99 % du capital de Mittelstahl. En 1936 l'état rétrocède à la VStAG sa participation dans le groupe, dans des conditions qui notamment sont favorables à Flick. À travers les mesures d'“aryanisation” d'entreprises allemandes, Flick élargit encore son consortium, qui est rassemblé en 1937 dans le cadre de la Düsseldorfer Holdinggesellschaft Friedrich Flick KG. En 1943 Mittelstahl est transformé en GmbH.

[14].     Peter Klöckner.

Lorsque Peter Klöckner commence à investir des fonds dans l'industrie, il ne se contente pas d'être actionnaire, mais intervient dans la gestion commerciale et opérationnelle des usines. Il réorganise l'usine sidérurgique Krieger & Co. à Hagen-Haspe. Sa nomination au conseil de surveillance du A. Schaaffhausenscher Bankverein (Association bancaire de A. Schaaffhausen) à Köln (Cologne) joue un rôle important dans l'industrie rhéno-westphalienne. La structure de propriété établie dans la région de la Ruhr fixe des limites à l'expansion de son influence. Il se tourne vers la Lorraine. Au nom de l'Association bancaire, il rejoint le conseil de surveillance du Lothringer Hüttenverein (Association lorraine de mines), qui exploite une aciérie à Kneuttingen près de Diedenhofen. L'entreprise possède également la mine "General" près de Bochum, dont Klöckner avait déjà acquis les parts des partenaires lorrains en 1908. Pour le compte de cette société, il acquiert des parts dans "Königsborn AG für Bergbau" à Unna. En 1913, il assume la présidence du conseil de surveillance du Lothringer Hüttenverein. Il réussit à compenser la perte des sites lorrains en acquérant la majorité des parts de "Georgsmarien-Bergwerks- und Hüttenwerke AG" à Osnabrück. Le 9 février 1923, les usines qui existaient auparavant sous des noms différents sont réunies pour former "Klöckner-Werke AG".

Outre les usines sidérurgiques et les houillères de Klöckner-Werke AG, Klöckner détient la majorité des parts de plusieurs petites usines: "Union Quint" près de Trier, "Eisen- und Drahtindustrie AG" à Düsseldorf, "Fassonwalzwerk Mannstaedt" à Troisdorf près de Köln et la "Isselburger Hütte AG" à Isselburg. Pour vendre les produits de son groupe et comme base pour d'autres entreprises, il fond la société commerciale "Klöckner u. Co." à Duisburg.

L'Association bancaire de Schaaffhausen a mis K. en contact avec l'industrie de la transformation du fer, y compris la "Maschinenbauanstalt Humboldt AG" à Köln-Kalk. À la demande de la famille Langen, qui était étroitement liée à l'Association bancaire, à l'époque encore l'actionnaire principal de "Gasmotorenfabrik Deutz AG", il rejoint leur conseil de surveillance en 1906. Il réussit à acquérir la majorité des actions de sorte qu'en 1924, il prend la présidence du conseil de surveillance. Puisqu'il était également président du conseil de surveillance de la "Maschinenbauanstalt Humboldt AG" à Köln-Kalk (depuis 1915), il unit les deux sociétés. En 1930, il procédé à la fusion de la Maschinenbauanstalt Humboldt AG avec la Motorenfabrik Deutz AG (y compris la Motorenfabrik Oberursel AG, qui y est associée depuis 1921). En 1936 est acquise la société "C. D. Magirus AG ".

Avec August Thyssen (père de Fritz Thyssen) (cf. note 15 ), il a participé à la fondation d'une usine d'acier inoxydable à Krefeld. En collaboration avec "Wintershall AG", il fonde le "Gewerkschaft Victor, Chemische Werke AG" en 1926, et en 1938, il parachève le développement de son groupe en rejoignant la société de Köln avec les usines de Köln-Deutz, Köln-Kalk et Ulm et Oberursel au moyen du rattachement à la Klöckner-Werke AG. Lors de cette réorganisation, la société, qui était auparavant connue sous le nom de "Humboldt-Deutz-Motoren AG", est rebaptisée "Klöckner-Humboldt-Deutz AG".

[15].     Fritz Thyssen.

À partir de 1898 Fritz Thyssen est membre du conseil de surveillance de l'August-Thyssen-Hütte, fondée par son père August. Après la mort de celui-ci en 1926, Fritz lui succède à la tête de l'entreprise. En 1926 il participe à la création de la Vereinigte Stahlwerke AG (VStAG) (cf. l'entrée correspondante dans la page "Quelques têtes de grands capitalistes allemands des années 1920" ). Il en est président du conseil de surveillance jusqu'en 1935. En 1923 Thyssen devient membre de l'Union nationale de l'industrie allemande (Reichsverband der deutschen Industrie, RDI), en 1926 il devient membre du présidium de celle-ci. De 1933 à 1935 il est président du Groupe Nord-Ouest (Nordwestliche Gruppe) de l'Association d'industriels du fer et de l'acier allemands (Verein deutscher Eisen- und Stahlindustrieller, VdESI). Il est membre du parti DNVP (cf. note 19 ).

Cf. "Quelques têtes de grands capitalistes allemands des années 1920" .

[16].     Paul Reusch.

En 1905 Paul Reusch entre au conseil d'administration de la Gutehoffnungshütte (GHH) à Oberhausen, en 1909 il en devient président. Il met en oeuvre l'extension de l'entreprise à travers diverses acquisitions. Il occupe diverses fonctions de direction dans les organismes d'employeurs: président adjoint de l'Association d'industriels du fer et de l'acier allemands (Verein deutscher Eisen- und Stahlindustrieller, VdESI) (1922-1929) membre du présidium de l'Union nationale de l'industrie allemande (Reichsverband der deutschen Industrie, RDI) (1923 à 1933).

Cf. "Quelques têtes de grands capitalistes allemands des années 1920" .

[17].     Jakob Wilhelm Reichert.

En 1912, Jakob Reichert devient directeur général et plus tard membre du conseil d'administration de l'Association d'industriels du fer et de l'acier allemands (Verein deutscher Eisen- und Stahlindustrieller, VdESI). De 1920 à 1930, il est membre du Reichstag pour le DNVP (cf. note 19 ), en 1930, il quitte ce parti.

[18].     Albert Vögler.

En 1912 Albert Vögler entre au conseil d'administration de la Hüttenwerk Dortmunder Union, société que Hugo Stinnes (cf. note 47 ) a acquise en 1910 pour l'intégrer dans la Deutsch-Luxemburgischen Bergwerks- und Hütten-AG (appelée Deutsch-Lux en abrégé). En 1917 Vögler est nommé président du conseil d'administration. En 1920 est formé la Rheinelbe-Union, groupement d'intérêts [Interessengemeinschaft] entre la Deutsch-Lux et la Gelsenkirchener Bergwerks AG (GBAG); la Rheinelbe-Union devient Siemens-Rheinelbe-Schuckert-Union lorsque s'y joint aussi la Siemens-Schuckertwerke GmbH, puis s'y ajoute en 1921 le Bochumer Verein für Bergbau und Gußstahlfabrikation. Vögler y détient une position dirigeante. Lors de la constitution de la Vereinigte Stahlwerke AG (VStAG) (cf. l'entrée correspondante dans la page "Quelques têtes de grands capitalistes allemands des années 1920" ), Vögler devient président du conseil d'administration. À la fondation de l'Union nationale de l'industrie allemande (Reichsverband der deutschen Industrie, RDI) en 1919 il devient membre du présidium. Il est membre du comité de direction de l'Association d'industriels du fer et de l'acier allemands (Verein deutscher Eisen- und Stahlindustrieller, VdESI). En 1918 Vögler participe à la fondation du parti DVP (cf. note 19 ). Il quitte ce parti en 1924.

Cf. "Quelques têtes de grands capitalistes allemands des années 1920" .

[19].     Parti allemand du peuple (Deutsche Volkspartei, DVP).

Après l'effondrement de l'Empire allemand, l'aile droite de l'ancien Parti national libéral (Nationalliberale Partei) et une partie de l'ancien Parti progressiste du peuple (Fortschrittlichen Volkspartei) fusionnent pour former le Parti populaire allemand (DVP) en décembre 1918. Les principes du DVP publiés en octobre 1919 visent toujours à restaurer l'empire. Avec le soutien financier massif de l'industrie lourde, le DVP est en confrontation avec les objectifs politiques du SPD. Tout aussi clairement que le DNVP (cf. ci-après), le DVP en tant que parti du "national-libéralisme" rejette en principe la révolution de 1918-19. La revendication d'une séparation claire de l'Église et de l'État, faite en particulier par le DDP (cf. note Erreur ! Signet non défini. ) et le DVP, conduit à plusieurs reprises à des conflits avec le Parti du centre (Zentrumspartei) (cf. note 20 ). Avec l'adhésion à la coalition du Zentrumspartei et du DDP formée sous Konstantin Fehrenbach en juin 1920, le DVP participe pour la première fois à un gouvernement du Reich.

.         Parti allemand-national du peuple (Deutschnationale Volkspartei, DNVP)

Des représentants du Parti conservateur libre (Freikonservative Partei), du Parti allemand-conservateur (Deutschkonservative Partei), du Parti allemand de la patrie (Deutsche Vaterlandspartei,), de l'Association pangermaniste (Alldeutscher Verband), du mouvement social-chrétien et celui allemand-national signent un appel publié le 24 novembre 1918 pour la création d'un nouveau parti de droite, connu sous le nom de Parti allemand-national du peuple (DNVP). Alfred von Tirpitz et Wolfgang Kapp, les deux fondateurs du Parti de la patrie, ainsi qu'Alfred Hugenberg (cf. note 47 ), chef d'un groupe de médias, figurent parmi les membres les plus connus du parti. Le DNVP représente principalement les intérêts politiques et économiques des élites de l'empire: la noblesse, les fonctionnaires du secteur public, le corps des officiers et la haute bourgeoisie. Le parti trouve un soutien solide chez l'Église protestante, parmi les agrariens de l'Elbe oriental et les représentants de l'industrie et du commerce. Les allemand-nationaux combattent le système parlementaire-démocratique de la République de Weimar, ils exigent la restauration de la monarchie des Hohenzollern. L'abrogation du traité de Versailles (cf. note 40 ) et le retour des zones cédées et des anciennes colonies allemandes sont au cœur de leurs revendications de politique étrangère.

Le DNVP obtient près de 19,5 pour cent de tous les votes aux élections du Reichstag le 4 mai 1924, par la suite le nombre de membres et les résultats des élections diminuent. La politique des allemand-nationaux étant trop modérée pour une partie des allemand-populistes, beaucoup d'entre eux quittent le DNVP en 1922 et fondent le Parti allemand-populiste de la liberté (Deutschvölkische Freiheitspartei, DVFP). Dans la phase de relative stabilisation de la république, la DNVP met temporairement en retrait ses réserves sur le système parlementaire et participe pour la première fois à un gouvernement du Reich. En 1928, en tant que représentant de l'aile nationaliste radicale, Hugenberg prend la présidence du parti et remet le parti sur une voie stricte de rejet du "système de Weimar".

[20].     Deutsche Zentrumspartei (Parti allemand du centre, Zentrum).

Le Zentrum a été fondé en 1870 en tant que représentant politique du catholicisme. Après la Deuxième guerre mondiale, ses principaux dirigeants contribueront à la formation de l'actuelle Christlich-Demokratische Union Deutschlands (Union chrétien-démocrate d'Allemagne, CDU).

[21].     Friedrich Wilhelm von Loebell.

En mai 1914 Friedrich Loebell est nommé Ministre de l'intérieur de Prusse, il démissionne en juillet 1917. Il est nommé président en chef (Oberpräsident) de la Province Brandenburg, fonction qu'il garde jusqu'en mars 1919. À la fin de 1919, il assume la présidence du Conseil des citoyens du Reich (Reichsbürgerrat), initialement dirigé principalement contre les conseils ouvriers, en tant que point de rassemblement de toutes les forces considérées comme piliers de l'État, et bourgeoises. Son activité la plus significative ici concerne la candidature de rassemblement bourgeois à la présidence du Reich au printemps 1925, pour laquelle Karl Jarres a été présenté au premier tour, puis Hindenburg au second tour.

[22].     Paul von Hindenburg.

En 1911 arrivé au grade de général commandant un corps d'Armée, et ayant atteint la limite d'âge, Paul von Hindenburg quitte le service militaire. Le 21 aout 1914, trois semaines après le début de la Première Guerre mondiale, il est rappelé et assume le commandement de la 8e armée en tant que commandant en chef avec Erich Ludendorff en tant que chef d'état-major. Le 29 aout 1916 il assume commandement suprême de l'armée (OHL) avec Ludendorff comme premier quartier-maitre général. Le 10 novembre 1918 il se prononce en faveur de la signature de l'accord d'armistice. Il se met à la disposition du gouvernement provisoire du Conseil des délégués du peuple (Rat der Volksbeauftragten) pour lutter contre les troubles révolutionnaires et ramener les troupes du front au pays. 1919 il part à la retraite. Lors des élections présidentielles d'avril 1925, consécutives au décès de Friedrich Ebert (SPD), les partis de droite pressent Hindenburg, sans-parti, de se présenter au second tour de l'élection présidentielle. Il est élu à la majorité relative devant le candidat du Zentrum (cf. note 20 ), Wilhelm Marx. Malgré son attachement à la monarchie, il prête serment sur la Constitution de Weimar.

[23].     Hans Luther.

En 1922 Hans Luther assume le poste de Ministre du Reich pour l'alimentation et l'agriculture, en octobre 1923 celui de ministre des Finances. Le 15 janvier 1925, à l'issue de plusieurs semaines de négociations de coalition à la suite des élections du Reichstag du 7 décembre 1924, il réussit à former un gouvernement à majorité bourgeoise comprenant le Parti allemand-national du peuple (DNVP) (cf. note 19 ). Le 19 janvier 1926 il forme un gouvernement minoritaire sans la participation du DNVP, il démissionne le12 mai après un vote de défiance du Reichstag. En 1927 Luther rejoint le Parti populaire allemand (DVP) (cf. note 19 ).

[24].     Reichswehr.

C'est la désignation officielle pour les forces armées allemandes, composées de l'armée de terre et de la marine. Les dispositions du Traité de Versailles (cf. note 40 ) interdisent la création d'une armée de l'air. Néanmoins des efforts sont entrepris pour établir les conditions en vue d'une reconstitution de forces aériennes. Le Traité de Rapallo conclu en avril 1922 avec l'Union soviétique permet une coopération en ce sens. En 1930 sont formées trois escadrilles d'avions camouflées comme civiles. Le régime national-socialiste, en avril 1933, crée le ministère de l'aviation, puis en 1935 proclame la souveraineté de défense de l'Allemagne, et le développement de l'armée de l'air se déroule de façon ouverte.

[25].     L'organisation “Casque d'acier, Ligue des soldats du front” (“Stahlhelm, Bund der Frontsoldaten”).

L'organisation Casque d'acier est créée en décembre 1918 à Magdeburg par l'officier de réserve Franz Seldte. En 1930 elle est avec environ 500.000 membres la plus puissante fédération de défense d'Allemagne. En octobre 1931 le Casque d'acier, le NSDAP et le Parti allemand-national du peuple (Deutschnationale Volkspartei, DNVP) (cf. note 19 ) forment le “Front de Harzburg” (“Harzburger Front”). En 1934 le Casque d'acier est intégré dans la SA (Sturmabteilung, c'est-à-dire Section d'assaut) en tant que “NS-Frontkämpferbund” (“Ligue des combattants du Front - National-socialiste”), puis l'organisation est dissoute en 1935.

.         Die Standarte.

Le périodique Die Standarte (L'étendard) a été fondée en juin 1925 sous la direction de Helmut Franke, par ailleurs rédacteur en chef de l'organe du Casque d'Acier, intitulé Stahlhelm - Wochenschrift des Bundes der Frontsoldaten (Stahlhelm - hebdomadaire de la Ligue des soldats du front). Die Standarte est destinée à être le porte-parole de la jeune génération de combattants. Elle parait comme supplément spécial à l'hebdomadaire du Casque d'Acier. Cependant, les concepts radicaux du groupe rassemblé autour de la Standarte incommodent la direction du Casque d'Acier; celui-ci s'était adapté à une orientation vers la légalité, ce qui à son tour entraine des critiques de la part des auteurs de la Standarte. C'est pourquoi la Standarte est détachée de l'hebdomadaire en mars 1926 et reçoit le titre modifié Standarte - Wochenschrift des neuen Nationalismus (Standarte - Hebdomadaire du nouveau nationalisme) en tant que magazine indépendant, mais toujours en association avec l'hebdomadaire du Casque d'Acier. Quand le 12 aout 1926 parait un article dans la Standarte dans lequel le combattant de la Ruhr Leo Schlageter *, l'assassin de Erzberger (Tillesen) ** et les assassins de Rathenau (Fischer et Kern) *** sont salués comme des "martyrs nationalistes", le journal est interdit pendant trois mois. Franke est congédié de sa fonction de rédacteur en chef, et par la suite lui et la plupart des autres auteurs de la Standarte se séparent du Stahlhelm.

Restant fidèles à leur programme politique, ils utilisent leurs contacts avec Hermann Ehrhardt (cf. ci-après). Celui-ci finance alors le magazine Arminius - Kampfschrift für deutsche Nationalisten (Arminius - publication de combat pour des nationalistes allemands) qui succède à la Standarte. Le Arminius est officiellement publié par Helmut Franke en association avec Ernst Jünger et Wilhelm Weiß. Ce dernier est membre du NSDAP et en janvier 1927 il passe à la tête du service du Völkischer Beobachter, organe du NSDAP. Le Arminius ne se maintient que jusqu'en septembre 1927.

.         Hermann Ehrhardt.

Hermann Ehrhardt a été impliqué dans les luttes politiques intérieures de l'après-guerre en tant que capitaine de corvette pendant la Première Guerre mondiale, commandant la 2e Brigade de Marine. L'article 160 du Traité de Versailles (cf. note 40 ) prescrit la réduction de l'armée allemande à 100.000 soldats de métier, et la dissolution des corps francs composés de volontaires. Pour respecter ces limitations, à partir de l'été 1919 environ 200.000 soldats de corps francs sont démobilisés. En particulier, sur ordre des puissances alliées vainqueurs doit être dissoute la Brigade Ehrhardt. Le général le plus haut gradé de l'armée (dénommée à cette époque "Reichswehr provisoire"), Walther von Lüttwitz, initie un putsch; le 13 mars 1920, à la tête de la Brigade Ehrhardt qui est sous ses ordres, il occupe le quartier gouvernemental de Berlin et nomme Wolfgang Kapp, un fonctionnaire de l'administration prussienne, comme chancelier. Cependant les travailleurs réagissent par la grève générale et la résistance armée, de sorte qu'après quatre jours le putsch est mis en échec.

Ehrhardt constitue alors une union secrète dénommée "Organisation Consul". Celle-ci joue un rôle clé dans le meurtre d'Erzberger ** et de Rathenau ***. Elle est interdite dans le cadre de la loi sur la protection de la République (Republikschutzgesetz, du 21 juillet 1922), elle se maintient sous la forme du " Neudeutscher Bund", puis du "Bund Wiking" constitué en 1923. En 1926 le Bund Wiking est interdit dans plusieurs États (Länder), en Bavière il se dissout en avril 1928.

Ehrhardt et ses partisans rejoignent le Stahlhelm en mai 1926. Ehrhardt publie à partir de juin 1927 le Vormarsch; en octobre, il démissionne du Stahlhelm. À partir de juin 1928, le Vormarsch s'intitule Kampfschrift des Deutschen Nationalismus.

          * Albert Leo Schlageter.

Avec la fin de la 1e Guerre mondiale, la défaite de l'Allemagne et les amorces de mouvements anticapitalistes, se constituent des Corps francs contrerévolutionnaires. Schlageter rejoint le Freikorps Medem et participe aux combats dans le Baltikum. En 1920 il participe en tant que membre de la 3e Brigade de Marine à la répression des mouvements insurrectionnels qui se développent en réaction au putsch Lüttwitz-Kapp. En 1921 il rejoint le Freikorps Hauenstein en Haute-Silésie et participe aux opérations contre les combattants polonais. L'entrée dans la région de la Ruhr, le 11 janvier, de troupes françaises et belges déclenche une résistance active et passive de la part des travailleurs et d'autres couches de la population. Schlageter participe au 1er Congrès du NSDAP, tenu du 27 au 29 janvier à Munich. Il organise un groupe de sabotage contre les troupes d'occupation. Il est arrêté le 7 avril, condamné à mort le 7 mai et exécuté le 26.

          ** Assassinat de Matthias Erzberger.

En février 1919 Erzberger assume dans le cabinet Scheidemann le poste de ministre sans portefeuille avec une responsabilité pour les questions concernant l'armistice; en juin il est nommé vice-chancelier et ministre des Finances du cabinet Bauer. Le 26 aout 1921 il est attaqué et abattu par Heinrich Tillessen et Heinrich Schulz. L'assassinat a été préparé par l'Ordre Germanique (Germanenorden) sous Manfred von Killinger.

Heinrich Tillessen: En 1917 il sert sous la 17e flottille de torpilleurs, directement subordonnée au lieutenant de vaisseau Hermann Ehrhardt, en 1920 pendant le Putsch Lüttwitz-Kapp il se trouve dans le corps franc "Offiziers-Sturmkompanie Wilhelmshaven" de Ehrhardt. Durant les années 1920-1921 il est membre du Deutscher Schutz- und Trutzbund (Union allemande de protection et de défense) et de l'Organisation Consul. Après l'attentat il se réfugie d'abord en Hongrie, puis en Espagne. En 1932 il retourne en Allemagne, en 1933 il bénéficie d'un décret d'impunité, il est accueilli au NSDAP et nommé SA Sturmbannführer à titre honorifique.

Heinrich Schulz: Après l'attentat il est en fuite jusqu'en 1933, puis retourne en Allemagne.

          *** assassinat de Walther Rathenau.

En mai 1921 Rathenau assume dans le cabinet Wirth le poste de ministre pour la Reconstruction; en février 1922 il est nommé ministre des Affaires étrangères du deuxième cabinet Wirth. Le 24 juin 1922 il est attaqué et abattu par Erwin Kern et Hermann Fischer. Les deux assassins sont interceptes le 17 juillet, Kern est blessé mortellement, Fischer commet suicide.

Erwin Kern et Hermann Fischer étaient membres de l'Organisation Consul.

[26].     Organisation "Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold"

L'organisation "Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold" ("Bannière du Reich Noir-Rouge-Or") est une organisation de masse proche du SPD, fondée en 1924 par ce parti ensemble avec le Parti du centre (Zentrumspartei, Zentrum) (cf. note 20 ), le Parti démocratique allemande (Deutsche Demokratische Partei, DDP) (cf. note Erreur ! Signet non défini. ) et quelques petits partis, ayant comme but la protection de la République contre les activités d'extrême droite et aussi du KPD. De la fondation jusqu'en 1931, le président est Otto Hörsing (SPD). Les couleurs noir-blanc-rouge constituaient à partir de 1867 le drapeau de l'Union allemande du Nord [Norddeutscher Bund], puis servaient de 1871 à 1919 ainsi que de 1933 à 1945 comme couleurs de l'Empire allemand. En 1919 l'Assemblée nationale de Weimar décide que les couleurs nationales sont noir-rouge-or, mais les groupes monarchistes, conservateurs et national-socialistes continuaient à arborer les couleurs noir-blanc-rouge.

[27].     Die Standarte.

Cf. Stahlhelm (note 25 )

[28].     Hermann Ehrhardt.

Pour la période avant 1926, cf. Stahlhelm (cf. note 25 )

L'amnistie est accordée à Ehrhardt en automne 1925. En mars 1926 est publié un "programme de travail du capitaine Ehrhardt et de ses unions affiliées". Il va dans le sens d'une rupture avec les orientations et méthodes précédentes. Il s'agit toujours de devenir "pouvoir et État" ["Macht und Staat"]. Mais il ne vise plus d'obtenir ce pouvoir par un coup d'État, car l'État était considéré comme trop puissant et la position de l'Allemagne trop précaire. "Le seul moyen légal d'accéder au pouvoir est l'élection." ["Das einzig legale Mittel, zur Macht zu kommen, ist die Wahl."] Le "Wiking" ne se conçoit plus comme une association purement militaire, mais veut déployer un travail politique en tant que "pionnier" et "éducateur" ["Wegbereiter", "Erzieher"]. Néanmoins, il rejette explicitement l'"esprit de parti" ["Parteigeist"] et aspire à l'établissement d'un "front uni national" ["nationale Einheitsfront"] du DVP (cf. note 19 ) aux Deutschvölkische en passant par le DNVP (cf. note 19 ) et le BVP (cf. note 3020 ), si possible aussi avec des éléments du Zentrum (cf. note 20 ).

Ehrhardt se trouve au départ politiquement du côté de la réaction, puisque la république, à ses yeux, a éliminé l'empire avec l'aide des "criminels de novembre", ["Novemberverbrecher"]. Cependant, il ne rejoint pas une direction politique déterminé. Ce qui prime, c'est le maintien de "la paix et de l'ordre": "Il n'y a pas de politisation dans les troupes car nous devons cultiver la camaraderie." ["Ruhe und Ordnung": "Politisieren in der Truppe gibt es nicht, da wir Kameradschaftlichkeit zu pflegen haben.".

Pour les jeunes officiers qui avaient fait leurs preuves pendant la guerre, comme Ehrhardt, la monarchie était devenue un problème secondaire. Ils ne tournent pas le dos à la monarchie comme forme de gouvernement, mais ils sont marqués par la déception que cause l'abdication sans résistance de Guillaume II. Dans les associations "patriotiques" ["vaterländisch"], la fuite de l'empereur, du prince héritier et du prince fédéral produit des tensions. Il arrive à Ehrhardt, en 1926, de prononcer un discours contre la monarchie, accusant Wilhelm II d'avoir abandonné l'Allemagne. Le président Hindenburg s'en trouve offensé, au point que lui et Mackensen - les seuls membres honoraires du Casque d'Acier - menacent de démissionner. Par la suite, en novembre 1926, en soutien à Ehrhardt, dans une lettre aux termes clairs adressé au Präsidium der Vereinigten Vaterländischen Verbände, un groupe de jeunes officiers déclare leur prétention de "faire la distinction entre la monarchie et le porteur individuel après que ce dernier ait abandonné la monarchie". ["zwischen der Monarchie und dem einzelnen Träger zu unterscheiden, nachdem dieser die Monarchie preisgegeben hat"] Parmi les signataires, Dietrich v. Jagow et Manfred Freiherr v. Killinger font déjà partie du mouvement national-socialiste à l'époque. Ehrhardt quitte la direction du Casque d'Acier en novembre 1927.

[Cf. Gabriele Krüger: Die Brigade Ehrhardt, Leibniz-Verlag Hamburg 1971 S. 121, 127]

Rétrospectivement Ehrhardt commente ces évènements en 1958 dans les termes suivants:

La monarchie était finie pour moi et une grande partie de mes officiers après que l'empereur et le prince héritier aient quitté le front pendant la guerre et traversé la frontière au lieu de tomber sur les marches de leur trône les épées tirées. En pratique, au lieu de se rendre à Berlin avec quelques régiments de gardes et d'abattre le peloton rouge. [...]. Personnellement, j'aurais été tout à fait prêt à collaborer à bâtir une république ordonnée et forte.

[Die Monarchie war für mich und einen großen Teil meiner Offiziere erledigt, nachdem der Kaiser und der Kronprinz noch im Kriege die Front verlassen haben und über die Grenze gingen, statt mit gezogenem Schwert auf den Stufen ihres Thrones zu fallen. In Praxis, statt mit ein paar Garderegimentern nach Berlin zu reiten und das rote Pack niederzuschlagen. [...]. Ich persönlich wäre durchaus bereit gewesen, an dem Aufbau einer geordneten und starken Republik mitzuarbeiten.

Cf. Johannes Erger: Der Kapp-Lüttwitz-Putsch: Ein Beitrag zur deutschen Innenpolitik 1919/20, Droste, 1967 (Extrait d'une lettre de Ehrhardts de 19. 6. 1958 à l'auteur)]

[29].     Jungdeutscher Orden (Ordre Jeune-allemand).

Le Jungdeutscher Orden (Ordre Jeune-allemand) est une organisation à caractère militaro-réactionnaire créée en 1920 par Artur Mahraun, qui avait été officier dans l'armée impériale. Lors de la convention de fondation de l'Ordre, ont été adopté des "directives et statuts" selon lesquels l'objectif est la réconciliation des Allemands et la réémergence du Reich, "libre de contradictions de position sociale et de parti" ["frei von Standes- und Parteiengegensätzen"]. Les plans de Mahraun envisagent un État populaire [Volksstaat] à caractère démocratique et chrétien dirigé par une personnalité forte. En 1920, l'Ordre s'impliqué du côté du gouvernement dans la répression des travailleurs qui se soulèvent après l'échec du Putsch Lüttwitz-Kapp et en 1921, 3.500 membres sont envoyés pour intervenir dans batailles aux frontières de la Haute-Silésie. Avec probablement plus de 200.000 membres, c'était l'un des plus grands groupes paramilitaires au milieu des années 1920.

Mahraun voyait la République de Weimar uniquement comme une phase de transition de courte durée, néanmoins il était prêt à la défendre contre un renversement imminent, que ce soit de la droite ou de la gauche. Cette attitude le différencie de nombreux autres groupes radicaux de droite, par exemple le Casque d'acier. L'élection de Paul Hindenburg (1847–1934) à la présidence du Reich en 1925 a été saluée par l'Ordre en raison de son passé militaire et de ses opinions conservatrices. Cela a conduit l'Ordre à abandonner définitivement son attitude réservée envers la république.

En 1927 Mahraun publie un document programmatique "Jungdeutsches Manifest". Il écrit: le "mouvement de défense allemand" a "cru assez longtemps qu'il servirait à l'entretien de la force de défense à travers des jeux de soldats et des sociétés secrètes militaires". Cependant, son "vrai champ de travail" est "l'armement intellectuel et spirituel de la jeunesse vaillante". ["Jungdeutsches Manifest": die "deutsche Wehrbewegung" habe "lange genug geglaubt, durch Soldatenspielerei und militärische Geheimbünde der Pflege der Wehrkraft zu dienen." Ihr "wahres Feld der Arbeit" jedoch sei "die geistige und seelische Rüstung der wehrhaften Jugend." (Cf. https://books.ub.uni-heidelberg.de/arthistoricum/reader/download/359/359-17-80673-1-10-20180319.pdf)]

[30].     Parti bavarois du peuple (Bayerische Volkspartei, BVP)

Le 12 novembre 1918, le Parti bavarois du peuple (BVP) se constitue à partir de la partie bavaroise du Parti du centre (Zentrumspartei) (cf. note 20 ). Les membres protestent ainsi principalement contre la politique centraliste du politicien du Zentrum Matthias Erzberger, qui se conforme aux résultats de la révolution de 1918/19 et à la constitution de Weimar. Le BVP développe un programme indépendant basé sur des fondements catholiques avec un accent clairement conservateur et fédéraliste. Bien que la République de Weimar soit reconnue en principe, le BVP favorise une confédération allemande dotant la Bavière d'une autonomie étendue en tant qu'état État et le rétablissement de droits spéciaux traditionnels. Suite à l'écrasement du gouvernement des conseils de Munich, le BVP participe au gouvernement social-démocrate de Bavière. Après sa démission forcée au cours du putsch de Lüttwitz-Kapp en 1920, Gustav Ritter von Kahr, du BVP, devient Premier ministre de Bavière. Dans les années 1920, le BVP reste le parti le plus fort de Bavière avec des résultats électoraux réguliers de plus de 30% et, avec Heinrich Held comme Premier ministre, dirige tous les cabinets bavarois entre 1924 et 1933.

[31].     "Vernunftrepublikaner" ("Républicain de raison").

L'utilisation de ce terme s'est répandue, après que Friedrich Meinecke l'a appliqué à lui-même: "Ich bleibe, der Vergangenheit zugewandt, Herzensmonarchist und werde, der Zukunft zugewandt, Vernunftrepublikaner." ["Tourné vers le passé, je reste un monarchiste de coeur et, tourné vers l'avenir, je serai un républicain de raison." (Cf. Verfassung und Verwaltung der deutschen Republik - Janvier 1919), in: Politische Schriften und Reden, hg. v. Georg Kotowski, Darmstadt 1979, S. 280–298, ici p. 281)]. En 1893 Meinecke prend en charge la direction de la Historische Zeitschrift (Revue historique), qui s'était développée pour devenir une revue spécialisée importante; il dirige la rédaction jusqu'en 1935. Il participe à la fondation du Parti démocratique allemand (Deutsche Demokratische Partei, DDP) (cf. note Erreur ! Signet non défini. ).

Voici quelques échantillons des appels à la raison (cf. https://media.dav-medien.de/sample/400009110_p__v2.pdf).

Philippe Scheidemann (SPD) le 7 octobre 1919 à l'Assemblée nationale, en direction de la droite monarchiste:

"(Aujourd'hui) dans les circonstances changées, chaque Allemand doit au moins être un républicain de raison." ["(Heute muß) unter den veränderten Verhältnissen jeder Deutsche zum mindesten Vernunftrepublikaner sein."]

Wilhelm Dittmann (USPD), en automne 1920:

"(Par rapport au mauvais chemin des bolcheviks), il ne pouvait y avoir d'autre remède que la vérité nue; seule une explication sans réserve de la réalité russe pourrait convertir les masses de leur erreur et les ramener progressivement à leurs sens et à leur conscience."["(Gegenüber dem Irrweg der Bolschewiki) konnte es kein anderes Heilmittel geben als die nackte Wahrheit; nur die rückhaltlose Aufklärung über die russische Wirklichkeit konnte die Massen von ihrem Irrtum bekehren und sie allmählich wieder zur Vernunft und Besinnung bringen."]

DDP, 1921, pour expliquer les résultats électoraux en baisse:

"... que depuis le début il (le DDP) s'est résolue à ne faire que ce qui est raisonnable. Pour nous, il s'agit maintenant de savoir si nous devons rejoindre le slogan politique ou continuer la politique précédente de la raison." ["... daß sie (die DDP) von Anfang an sich vorgenommen hat, nur das Vernünftige zu tun. Für uns handelt es sich nun darum, ob wir uns der Schlagwortepolitik anschließen oder die bisherige Politik der Vernunft weiter führen sollen."]

Appel du gouvernement du Reich concernant le plébiscite contre le Plan Young (cf. note 7 ), le 10 octobre 1929:

"Aucun Allemand réfléchissant de façon raisonnable (...) ne peut soutenir un tel projet. (...) Le peuple allemand doit maintenant choisir entre raison et non-sens." ["Kein vernünftig denkender Deutscher (...) kann ein solches Vorhaben fördern. (...) Das deutsche Volk hat jetzt zwischen Vernunft und Unsinn zu wählen."]

[32].     Aufwertung.

[Währungs-]Aufwertung: réévaluation de la monnaie nationale.

Cf. Parti pour le droit populaire et la réévaluation (note 34 ).

[33].     Parti des couches moyennes allemandes - Parti de l'économie (Reichspartei des deutschen Mittelstandes - Wirtschaftspartei, WP)

Dans le contexte de la hausse continue de l'inflation dans la phase initiale de la République de Weimar, de nombreuses associations économiques sont créées pendant la révolution de 1918/19. Ils représentent principalement les intérêts économiques de la classe moyenne bourgeoise, en particulier les propriétaires de maisons et de terres, les artisans et les commerçants. Afin de pouvoir défendre leurs préoccupations au Reichstag, diverses associations des couches moyennes s'unissent pour former le Parti de l'économie. Il demande la protection du secteur privé, un allègement fiscal pour la classe moyenne, le démantèlement de la règlementation concernant les logements et se prononce contre les représentants des travailleurs dans les entreprises et les grèves. Puisque le WP ne commente guère les questions fondamentales de politique, il reste dans un premier temps un petit parti sans importance. Surtout lors des élections régionales, le WP arrive à prendre pied parmi les cercles petits-bourgeois et urbains à partir du milieu des années 1920 et est représenté dans plusieurs parlements d'État. Lorsqu'il entre au Reichstag en 1924, le WP a été contraint de prendre position aussi sur les questions de politique étrangère et intérieure. En référence au Parti allemand-national du peuple (DNVP) (cf. note 19 ), il représente des positions national-conservatrices et, entre autres, se prononce en faveur de l'abrogation du traité de Versailles. Sur le plan intérieur, il concentre son intérêt sur la politique fiscale et économique, qu'il essaie de modifier avec des propositions radicales en faveur des couches moyennes.

[34].     Parti pour le droit du peuple et la réévaluation (Reichspartei für Volksrecht und Aufwertung - Volksrecht-Partei)

En tant que fusion de nombreuses organisations qui représentent les intérêts des épargnants endommagés par l'inflation, est formé en 1923/24. le «Sparerbund», qui en 1926 s'affilie à une organisation politique qui a pour nom "Reichspartei für Volksrecht und Aufwertung (Volksrecht-Partei)". Selon les principes directeurs adoptés en 1926, le programme du Parti des droits du peuple se limite essentiellement à une seule revendication: «Expiation pour l'injustice de la politique d'inflation», supposée être contenue dans la législation de réévaluation de 1924/25.

[35].     Eduard Bernstein.

En 1872 Eduard Bernstein adhère au Parti ouvrier social-démocrate (Sozialdemokratische Arbeiterpartei, SDAP). Le SDAP a été fondé en 1869 par le congrès tenu à Eisenach, sous la direction d'August Bebel et Wilhelm Liebknecht. En 1875 se tient à Gotha le congrès qui constitue le Parti ouvrier socialiste d'Allemagne (Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands, SAPD) par l'unification entre le SDAP et l'Association ouvrière générale allemande (Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein, ADAV) de Ferdinand Lassalle. De 1878 à 1890 est en vigueur la dite "loi contre les socialistes" ("Sozialistengesetz") Ainsi, toutes les "tentatives social-démocrates, socialistes ou communistes" visant à "renverser l'ordre étatique et social existant" ["sozialdemokratische, sozialistische oder kommunistische Bestrebungen", "Umsturz der bestehenden Staats- und Gesellschaftsordnung"] sont interdites.

Bernstein est recherché en Allemagne par la police dans le cadre de la loi contre les socialistes (les poursuites seront abandonnées en 1901.), il se rend à Zurich où parait, à partir d'octobre 1879, l’organe officiel en exil du SAPD, Der Sozialdemokrat. Bernstein participe à la direction de cette publication. Il fait la connaissance de Karl Kautsky qui se trouve également à Zürich. En décembre 1880 lui ainsi que Bebel voyagent à Londres et rendent visite à Marx et Engels. Kautsky séjourne à Londres entre mars et juin 1881 et voit également Marx.

En avril 1888, la rédaction du Sozialdemokrat est expulsée de Suisse. Bernstein se rend alors à Londres où se resserrent ses liens avec Engels. Il devint correspondant de l'organe central du SPD, Vorwärts (En avant), et de la revue publiée par Kautsky, Die Neue Zeit (Le Temps nouveau). À la fin de la loi contre les socialistes, Bernstein est toujours recherché, il reste à Londres.

En 1891 se tient à Erfurt le congrès du parti désormais dénommé SPD. Un programme est adopté dont le projet avait été élaboré par Kautsky pour la partie théorique et Bernstein pour la partie "pratique".

A la mort d’Engels, Bernstein devient un des exécuteurs testamentaires. Il entreprend alors de mettre en cause pas à pas des points fondamentaux du marxisme. À partir de 1896, il publie dans la Neue Zeit la série d’articles intitulée "Problèmes du socialisme". Les social-démocrates originaires de l’empire russe l’attaquent les premiers: Parvus, Rosa Luxemburg, Plekhanov. Kautsky conseilla à Eduard Bernstein d’écrire un ouvrage pour préciser ses positions: "Die Voraussetzungen des Sozialismus und die Aufgaben der Sozialdemokratie" ("Les présupposés du socialisme et les tâches de la social-démocratie") parait en 1899.

Kautsky aussi, dans un premier temps, s'oppose à Bernstein. En septembre 1903 se tient à Dresden le congrès du SPD. Sur initiative de Kautsky le congrès rejette à une forte majorité la position théorique de Bernstein. En 1909, Kautsky publie une brochure, "Der Weg zur Macht" ("Le Chemin du pouvoir"), où il prétend réfuter le révisionnisme.

Bernstein est député au Reichstag de 1902 à 1907, puis de 1912 à 1918 et enfin de 1920 à 1928. Il approuve les crédits de guerre le 4 aout 1914, mais s’allie ensuite aux pacifistes bourgeois et entre ainsi en conflit avec la plupart de ses partisans. En juin 1919 se tient le premier congrès du SPD après la guerre. Bernstein se prononce pour la reconnaissance de la culpabilité de l'Allemagne concernant le déclenchement de la guerre, et pour la signature du traité de Versailles. Il se trouve isolé dans le parti.

À partir de 1912, Bernstein et Kautsky se rejoignent finalement dans le rejet du marxisme et du pouvoir soviétique en Russie. Bernstein décède en 1932. En 1959, avec le programme adopté au congrès de Godesberg, les concepts révisionnistes de Bernstein deviennent définitivement la base du SPD. En 1964, le ministre fédéral Carlo Schmid (SPD), déclare à l'occasion du 100e anniversaire de la 1e Internationale (Association internationale des travailleurs): "Eduard Bernstein à vaincu sur toute la ligne".

[36].          Les "Jeunes" du SPD, Allemagne, années 1890.

En 1890 interviennent des modifications significatives de la situation politique, avec le congédiement de Bismarck, un succès considérable des social-démocrates aux élections au Reichstag (doublement des voix avec 1,4 millions correspondant à 20 %, triplement de mandats par rapport à 1887), et le 1er octobre la fin de la validité de la loi sur les socialistes. La perspective de la légalité stimule l'expression d'une opposition au sein du parti vis-à-vis de la direction, de la part de membres appartenant principalement à la jeune génération - ce qui est le cas de certains porte-paroles (Bruno Wille, Paul Ernst). C'est ainsi que ce groupe est désigné comme "les Jeunes". Au centre des critiques se trouvent des aspects du parlementarisme et de la structure organisationnelle héritée de la clandestinité. L'opposition est marquée par un rejet du poids que revêt la fraction au parlement, centraliste, autoritaire, réformiste et de tendance petite-bourgeoise. Un élément qui contribue au déclenchement des controverses vient du fait que le congrès de fondation en juillet 1889 de l'Association internationale des travailleurs décide de manifester le 1er mai 1890 pour la journée de travail de huit heures. Or la direction du SPD reste dans un premier temps passive pour ne pas mettre en péril la perspective d'une légalisation prochaine. Puis suite à un appel à la grève lancé à Berlin où l'opposition est forte, la direction pousse à la modération. L'année suivante se reproduit un contexte similaire autour du 1er mai. Cette même année, au congrès d'Erfurt, le groupe oppositionnel est exclu du parti. Ils créent alors un "Union de socialistes indépendants" ("Verein Unabhängiger Sozialisten"), avec comme organe le Sozialist dont le sous-titre est "Organe des socialistes indépendants" ("Organ der unabhängigen Sozialisten"). Gustav Landauer prend en charge la rédaction, en 1893 il se déclare anarchiste, le sous-titre du Sozialist devient "Organe de tous les révolutionnaires" ("Organ aller Revolutionäre"). Ceux parmi les militants du groupe qui se conçoivent encore comme socialistes radicaux marxistes quittent le groupe et en partie retournent au SPD. L'Union se dissout officiellement en 1894.

[Cf. Walter Fähnders: Anarchismus und Literatur: Ein vergessenes Kapitel deutscher Literaturgeschichte zwischen 1890 und 1910, Springer-Verlag, 2016, p. 4-8.]

[37].     4 aout 1914, Allemagne.

Le 1er aout 1914, l'Allemagne déclare la guerre à la Russie, puis le 3, à la France. Au départ, il y a l'approbation unanime des crédits de guerre au Reichstag, y compris par le SPD. Même Karl Liebknecht s'est soumis à la discipline de parti et a approuvé les crédits de guerre; le président du SPD et du groupe parlementaire, Hugo Haase, a présenté la déclaration sur l'approbation des crédits au Reichstag, bien qu'il ait voté contre elle au sein du groupe parlementaire du parti.

Dès le tournant de l'année 1914/15, une discussion sur les objectifs de la guerre se développe après que des groupes d'intérêts influents aient exigé des conquêtes qui allaient bien au-delà de la défense nationale déclarée. À l'exception d'une minorité des sociaux-démocrates, tous les camps politiques sont en faveur de buts de guerre offensifs; néanmoins l'ampleur des annexions désirées et la mesure dans laquelle des formes directes ou indirectes de domination allemande devraient être recherchées deviennent controversées. À partir de décembre 1914, Liebknecht, suivi un peu plus tard par Otto Rühle, vote au Reichstag contre de nouveaux crédits de guerre. Des critiques proviennent aussi des révisionnistes déclarés comme Eduard Bernstein, qui, en juin 1915, avec Haase et Karl Kautsky publie un appel "L'impératif de l'heure" ["Das Gebot der Stunde"] contre le soutien à la guerre. En décembre 1915, en plus de Liebknecht et Rühle, 18 autres membres du SPD votent contre les crédits de guerre. En mars 1916 la minorité rejette un budget d'urgence, elle est expulsée du groupe parlementaire du parti. En janvier 1917, une conférence nationale se tient à l'appel des minoritaires, la direction du parti proclame que l'opposition s'est mise "hors du Parti". En avril les opposants créent le Parti social-démocrate indépendant d'Allemagne (Unabhängige sozialdemokratische Partei Deutschlands, USPD), dirigé par Hugo Haase; il inclut le Spartakusbund qui quittera l'USPD seulement en décembre 1918 pour fonder le Parti communiste d'Allemagne.

[38].     Gustav Noske.

En 1884 Noske adhère au Parti ouvrier socialiste d'Allemagne (Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands, SAPD), qui en 1890 adopte le nom de Parti social-démocrate d'Allemagne (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD). De 1906 à 1918 il est député pour le SPD. En 1914 il publie un livre "Kolonialpolitik und Sozialdemokratie" ("Politique coloniale et social-démocratie"), qui juge favorablement la politique coloniale de l'Allemagne. Durant la Première guerre mondiale il soutient la position de défense nationale. En décembre 1918, il devient membre du Conseil des mandatés du peuple qui exerce la fonction de gouvernement provisoire. En janvier 1919 il dirige l'écrasement, imposé avec le concours de corps francs, de la tentative d'insurrection révolutionnaire. En février il est nommé ministre de la défense et met en oeuvre la reconstruction des forces armées. En mars 1920, au moment de la mise en échec du putsch Lüttwitz-Kapp, il est forcé de démissionner sous la pression des travailleurs en lutte. De 1920 à 1933 il occupe le poste de président [Oberpräsident] de la province Hannover.

[39].          Allemagne, Coopératives de consommation.

En Allemagne, en 1850, est fondée la première coopérative de consommation, la "Association de denrées alimentaires" ("Lebensmittel-Association"). Ouvriers et artisans se sont réunis pour former cette coopérative censée améliorer la subsistance de tous les groupes de population menacés par la pauvreté et la misère. Par la suite de nombreuses autres coopératives de consommateurs sont fondées dans toute l'Allemagne. Avec la création de la "Société d'achat en gros d'associations de consommateurs allemandes" ("Großeinkaufs-Gesellschaft Deutscher Consumvereine m.b.H. - GEG") à Hamburg en 1894, les coopératives individuelles de consommateurs peuvent profiter des avantages des achats à grande échelle dans toutes les coopératives. À partir de 1910, la GEG crée ou reprend des sociétés de production et devient progressivement la plus grande société commerciale allemande.

En 1903 est fondée la "Union centrale d'associations allemandes de consommateurs" ("Zentralverband deutscher Konsumvereine eG"), dont le siège est établi à Hambourg. Environ 80% des associations de consommateurs sont organisées dans le Zentralverband. Il existe en outre la "Union du Reich de d'associations allemandes de consommateurs" ("Reichsverband deutscher Konsumvereine e.V.").

.         Heinrich Kaufmann:

Il rejoint en 1901 la Großeinkaufs-Gesellschaft. En 1903 il devient secrétaire du Zentralverband dès la fondation de celui-ci, 1907 il devient membre du conseil de surveillance de la Großeinkaufs-Gesellschaft,  1908 secrétaire général du Zentralverband puis membre du comité directeur en 1912. Par ailleurs en 1902 il entre au conseil d'administration de l'Union internationale de coopératives (Internationaler Genossenschaftsbund) puis aussi au comité directeur central en 1921.

.         August Kasch

Rédacteur en chef de la Konsumgenossenschaftliche Rundschau , organe du Zentralverband et de la Großeinkaufs-Gesellschaft.

[40].     Traité de Versailles, 1920.

Pour rétablir l'état de paix avec l'Allemagne, les vingt‑sept puissances vainqueurs alliées ou associées (en fait, trente‑deux, dans la mesure où la Grande‑Bretagne parle au nom du Canada, de l'Australie, de l'Afrique du Sud, de la Nouvelle-Zélande et de l'Inde) se réunissent en conférence de la paix à Paris, du 18 janvier 1919 au 10 aout 1920; lors de ses négociations sont élaborés, en outre, les quatre traités secondaires de Saint-Germain-en-Laye, Trianon, Neuilly-sur-Seine et Sèvres.

En pratique, les travaux sont dominés par un directoire de quatre membres: Georges Clemenceau pour la France, David Lloyd George pour la Grande‑Bretagne, Vittorio Emanuele Orlando pour l'Italie, Thomas Woodrow Wilson pour les USA. Le pacte de la Société des Nations (SdN) est incorporé au texte du traité de paix sous forme de préambule.

Les principales clauses territoriales concernent la restitution de l'Alsace-Lorraine à la France, l'administration de la Sarre d'abord par la SdN pendant quinze ans, puis l'organisation d'un plébiscite, ainsi que l'organisation d'un autre plébiscite, revendiquée par l'Allemagne et la Pologne, au Schleswig et en Silésie. Toruń (antérieurement Thorn) est cédée à la Pologne; Dantzig (aujourd'hui Gdansk) devient une ville libre administrée sous le contrôle de la SdN, et le “corridor” de Dantzig, qui assure à cet État un accès à la mer, isole ainsi la Prusse orientale des autres territoires d'Allemagne. Les Allemands des Sudètes sont intégrés à la Tchécoslovaquie. Aussi, l'Allemagne renonce à toutes ses colonies, et ceci au profit des puissances alliées, la SdN ayant charge d'en attribuer le mandat à certaines d'entre elles.

Après suppression du service militaire, l'armée allemande est ramenée à 100.000 hommes (contre 400.000 au début de 1919) et la marine à 15.000. La fabrication d'un nouveau matériel de guerre (sous-marins, artillerie lourde et chars) est interdite, la flotte de guerre confisquée et les ouvrages fortifiés doivent être détruits sous le contrôle de la Commission des réparations. L'Allemagne doit, à titre transitoire, verser 20 milliards de marks‑or en attendant que la Commission des réparations fixe le montant des réparations destinées à couvrir les dommages de guerre.

Pour garantir l'exécution des clauses du traité, la rive gauche du Rhin ainsi que trois têtes de pont sur la rive droite doivent être occupées pendant (au maximum) quinze ans par les puissances alliés, la Rhénanie est démilitarisée, et l'Allemagne doit reconnaitre sa responsabilité concernant les dommages causés du fait de la guerre.

[41].     Traité d'arbitrage Allemagne-Italie, 1926.

À l'été 1926, il devient clair que l'Allemagne et l'Italie se rapprochent progressivement après la controverse au sujet du Tyrol du Sud. Lors de la négociation d'un traité, la partie allemande se conforme aux souhaits italiens en acceptant notamment la restriction suivante: "Le contrat actuel ne s'applique pas aux questions qui, selon les contrats en vigueur entre les deux parties et le droit international, sont de la compétence des deux parties." ["Der gegenwärtige Vertrag findet keine Anwendung auf die Fragen, die nach den zwischen den beiden Parteien geltenden Verträgen und dem internationalen Recht zur Zuständigkeit der beiden Parteien gehören."] Selon l'interprétation juridique allemande, la possibilité que des controverses sur la question des minorités fassent l'objet d'un acte transactionnel subsiste à l'avenir. L'interprétation italienne, en revanche, considère qu'en réaffirmant la reconnaissance du traité de Saint-Germain, l'Allemagne admet que le traitement des Tyroliens du Sud est une affaire intérieure italienne. Mussolini a tenté de présenter ce traité comme une réplique à Thoiry (cf note). Le ministre allemand des Affaires étrangères Constantin von Neurath et Mussolini signent la convention d'arbitrage le 29 décembre 1926 à Rome. Les deux États s'engagent à régler les différends qui surviennent par le biais d'une procédure de règlement. C'est le premier traité d'arbitrage que l'Allemagne conclut avec une grande puissance après la guerre. Sous cette forme, le contrat fait suite à des conventions d'arbitrage antérieures, il a une durée de dix ans et transfère la fonction d'arbitrage à un comité permanent de règlement, éventuellement un tribunal d'arbitrage spécial ou la Cour internationale de justice de La Haye.

[42].     Négociations Allemagne-France, Thoiry, septembre 1926.

Le ministre allemand des Affaires étrangères Gustav Stresemann et le ministre français des Affaires étrangères Aristide Briand tiennent des négociations secrètes à Thoiry (France) le 17 septembre 1926 sur des questions économiques et politiques en suspens (retour de la région de la Sarre à l'Allemagne, fin de l'occupation de la Rhénanie et autres ) dans le but de parvenir à une entente entre l'impérialisme allemand et français. En contrepartie, le gouvernement allemand devrait accompagner la France dans la restructuration de ses finances en vendant des obligations ferroviaires allemandes. Les négociations suscitent l'indignation des milieux nationalistes en France et, aussi à cause de l'intervention du gouvernement britannique, n'aboutissent pas à un accord. Cependant, ils contribuent à l'intensification ultérieure des antagonismes entre les puissances impérialistes en Europe.

[43].          Traité de Locarno, 1925.

Le 5 octobre 1925, une conférence internationale sur les questions de sécurité européenne débute à Locarno, en présence du chancelier allemand Hans Luther ‑ qui en 1927 adhèrera au Parti allemand du peuple (Deutsche Volkspartei, DVP) (cf. note 19 ) ‑ et de son ministre des Affaires étrangères Gustav Stresemann (DVP), ainsi que des principaux hommes d'État d'Italie, de France, de Grande-Bretagne, de Belgique, de Pologne et de Tchécoslovaquie. Le 16, des traités sont conclus pour établir un système européen de sécurité et de paix. L'Allemagne, la France et la Belgique renoncent à un changement par la force de leurs frontières. La frontière occidentale allemande définie dans le traité de Versailles (cf. note 40 ) est confirmée par l'Allemagne, de même que la démilitarisation de la Rhénanie. La Grande-Bretagne et l'Italie assument la garantie de venir en aide, en cas d'une violation du traité, à la partie lésée respective.

En outre, lors de la conférence est convenue l'adhésion de l'Allemagne à la Société des Nations, laquelle est officialisée le 10 septembre 1926. En revanche, la reconnaissance de la frontière germano-polonaise ne s'est pas matérialisée à Locarno, l'Allemagne s'est explicitement réservé la possibilité de réviser sa frontière orientale.

[44].     Entente internationale de l’acier (EIA) - Westeuropäische Rohstahlgemeinschaft, septembre 1926.

Le 30 septembre 1926 a été signé une entente internationale de l'acier, entrant en vigueur le lendemain pour une durée de cinq ans. Les signataires sont: Allemagne, France, Belgique, Luxembourg, ainsi que la Sarre. (En vertu des dispositions du traité de Versailles (cf. note 40 ), le territoire de la Sarre fut, de 1920 à 1935, séparé de l’Allemagne et placé sous la tutelle de la Société des Nations, la France disposant de la propriété de ses houillères en compensation des destructions de son propre bassin minier pendant la guerre.) Cette association ne constitue pas un cartel achevé, mais seulement une base pour aller dans cette direction. L'entente devait être assez efficace pour régulariser la production, et assez souple pour ne pas porter préjudice à l'industrie sidérurgique dans son ensemble. À cet effet, il est décidé: 1. Que la part de chaque pays sera arrêtée à un pourcentage fixe; 2. Que chacun des pays faisant partie de l'entente répartit la production entre ses adhérents; 3. Que le quantum général de la production est déterminé au commencement de chaque trimestre. La répartition générale a été établie comme suit: Allemagne 43,50 %, France 31,19 %, Belgique 11,56 %, Luxembourg 8,50 %, Sarre 5,25 %. À l'époque le total de la production de ces 5 pays ne représente qu'une faible partie de la fabrication mondiale de l'acier. Elle égale un peu moins des 2/7 de la production internationale. Cette dernière atteint environ 97 millions de tonnes, dont plus de la moitié pour les USA. L'URSS, dont la production dépasse un million de tonnes annuellement, les pays de l'Europe non compris dans le cartel, soit La Grande Bretagne d'une part, et la Tchécoslovaquie, la Pologne et l'Autriche d'autre part, ne peuvent faire état que de 10 millions et demi de tonnes. À elle seule, la Grande-Bretagne s'inscrit pour 6 millions et demi, soit un peu plus de deux fois la capacité de la Belgique.

En Grande-Bretagne, l'industrie de l'acier garde une attitude d'expectative. L'Observer estime que "comme l'industrie charbonnière, l'industrie métallurgique anglaise n'est pas organisée pour pouvoir remplir les obligations qu'implique la participation à un accord de ce genre".

Début octobre, des négociations entre industriels allemands et britanniques ont eu lieu à Romsey, près de Southampton, pour examiner les conditions mondiales de production et de consommation.. Le président, Robert Home, met en relief que la production, dans les principales industries, est en train de se développer hors de toute proportion avec la capacité d'absorption. Au milieu du mois, des représentants des milieux financiers et industriels européens et américains de 16 pays, réunis pour une conférence, ont pris personnellement position contre les barrières douanières excessivement élevées, les spécialisations, les offres, les tarifs ferroviaires, etc. qui empêchent les économies de la plupart des pays européens, presque détruits par la guerre et ses conséquences, de se redresser. Les principales causes du déclin économique de l'Europe se trouvent dans la désintégration de communautés interdépendantes et la création de nouvelles frontières; Le rétablissement de la liberté du commerce est le meilleur moyen de restaurer le commerce et le crédit dans le monde. L'appel a été accueilli avec un jugement partagé. Les USA rejettent pour eux-mêmes tout démantèlement des droits de douanes et d'autres obstacles à la libre circulation. L'Italie et la France ont également soulevé des objections. La France en particulier craint une forte augmentation de l'influence allemande si les barrières tarifaires disparaissent effectivement.

Cette première Entente internationale de l’acier s'avère impuissante à contrôler le développement de nouvelles capacités de production dans les pays membres. Fin 1929, les maitres de forges sont convaincus que l’EIA ne peut survivre qu’en passant à une règlementation des exportations. Ils lancent l’entreprise des Comptoirs internationaux d’exportation dont la mise en route s’avère aussi difficile que leur fonctionnement ultérieur. Ils échouent après quelques mois seulement (été 1930). En mars 1931, la première EIA cesse de fonctionner. On assiste alors à un déchainement sans précédent de la concurrence. Les prix s’effondrent. Les dirigeants des firmes sidérurgiques cherchent alors le salut dans une nouvelle entente internationale. Les tractations aboutissent à la création de la seconde EIA (février 1933) qui, à l’opposé de la première, est axée sur un partage des seules exportations. Elle est coiffée d’une demi-douzaine de Comptoirs de vente internationaux qui règlementent les ventes à l’exportation. En même temps, on note une tendance très nette à la protection mutuelle des marchés intérieurs au sein de l’EIA.

[45].     N. Boukharine, 24e Conférence de la région de Leningrad du PC(b) de l’URSS, février 1927.

Discours de N. Boukharine (extrait):

Révolution "internationale" ne veut pas dire qu’elle doit se faire dans les différents pays, au même moment, le même jour.

La révolution "internationale" consiste en ce que tout le monde capitaliste est empêtré dans un tel réseau de contradictions qu’il commence à craquer, qu’il est devenu fatal qu’il sera vaincu par la révolution, que les éruptions révolutionnaires se suivront les unes les autres, bien que le temps qui s’écoulera entre ces différentes éruptions puisse durer des années.

Le synchronisme de la révolution internationale, dont il fut question lorsque nous donnions la formule générale, n’est pas non plus le synchronisme d’un jour, d’une heure ou d’une année. Ce synchronisme est maintenant déchiffré comme synchronisme d’une époque, d’une grande époque historique dont le courant se cristallise d’un système de différents canaux de ce formidable processus révolutionnaire mondial qui comprend les révolutions prolétariennes victorieuses et les défaites partielles de la classe ouvrière, les révolutions en Orient aussi bien que les premières tentatives positives d'édifier le socialisme, les guerres de libération nationale et les insurrections coloniales. Ce n’est que lorsque l’humanité aura traversé tout le cycle de sa propre transformation, quand la classe ouvrière victorieuse se sera consolidée partout, que l’on pourra dire que le grand cycle historique est fermé, que la révolution internationale a couronné son oeuvre.

Voilà, camarades, comment il faut caractériser la situation mondiale. Non pas: ou bien stabilisation ou bien révolution mondiale - mais: aussi bien stabilisation partielle que révolution mondiale s’opérant effectivement, minant systématiquement les forces de la stabilisation capitaliste.

C’est d’une telle appréciation de la situation mondiale, d’une telle compréhension de la stabilisation et de la révolution internationale, mais aussi en même temps de notre conception sur l'édification socialiste dans un seul pays, que découle la position toute spéciale de la question de savoir quel est notre rôle dans le processus de la révolution internationale.

[Source: La Correspondance Internationale, n°21, 7e année, 12 février 1927, p. 277-279 (ici p. 278)
https://pandor.u-bourgogne.fr/img-viewer/CI/CI_1927_02/viewer.html?ns=CI_1927_02_0032.jpg et CI_1927_02_0033.jpg]

[46].     Programmes des partis social-démocrates en Allemagne.

Le 23 mai 1863, l'Association générale des travailleurs allemands (Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein, ADAV) est fondée à Leipzig en tant que premier parti ouvrier orienté vers l'ensemble des territoires allemands. Les premières sections locales de l'ADAV se trouvent à Leipzig, Hambourg, Düsseldorf, Solingen, Cologne, Barmen et Elberfeld. L'organisation, pour des raisons de droit d'association, ne sollicite pas de fusions régionales. Ferdinand Lassalle est élu président.

Lors du "Premier Congrès général allemand social-démocrate des travailleurs " le 9 août 1869 à Eisenach, le Parti social-démocrate des travailleurs (Sozialdemokratische Arbeiterpartei, SDAP) est fondé par 262 délégués de 193 localités, présidé par August Bebel et Wilhelm Liebknecht. Il est issue du Congrès des associations ouvrières allemandes (Vereinstag Deutscher Arbeitervereine, VDAV), lesquelles initialement avaient adopté des positions bourgeois-libérales, dans lesquelles, cependant, en 1869, une forte prépondérance de travailleurs s'était développée. Les délégués adoptent le "Programme d'Eisenach" élaboré par Bebel et Liebknecht, ce qui aboutit au retrait des forces bourgeoises restantes du VDAV. Le SDAP s'affilie à l'Association internationale des travailleurs (AIT) fondé en 1964, également connue sous le nom de "Première Internationale".

À partir de 1875, des négociations entre le SDAP et l'ADAV ont lieu, qui aboutissent au congrès constitutif du Parti Socialiste Ouvrier (Sozialistische Arbeiterpartei SAP) du 22 au 27 mai à Gotha. Pour la première fois, le nouveau parti vise à développer une implantation globale, locale et régionale. Le "programme de Gotha" est un compromis entre les deux composantes, car il contient des points essentiels des programmes des deux partis qui fusionnent.

Lorsque la "loi sur les socialistes" n'est pas prolongée, le SAP est officiellement rétabli en 1890 sous le nom de Parti social-démocrate d'Allemagne (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD). Le congrès tenu à Erfurt en 1891 adopte un nouveau programme qui restera en vigueur jusqu'au congrès tenu à Görlitz en 1921.

[47].     Hugo Stinnes.

En 1892 Stinnes constitue la Hugo Stinnes GmbH, dont l'activité consiste dans le traitement et le commerce du charbon. En 1898 il est un des principaux fondateurs de la Rheinisch-Westfälisches Elektrizitätswerk AG (RWE). La même année il constitue ensemble avec August Thyssen (père de Fritz Thyssen) (cf. note 15 ) l'AG Mülheimer Bergwerksverein. En 1901 il constitue la Deutsch-Luxemburgische Bergwerks- und Hütten AG (Deutsch-Luxemburg). En 1902 il acquiert en commun avec August Thyssen la majorité des actions de la RWE, dont il devient président du conseil de surveillance. En 1910, la Deutsch-Luxemburg, après d'autres opérations, acquiert la Dortmunder Union AG et devient une des plus grandes entreprises d'Allemagne dans le secteur de l'industrie minière. En 1913 il forme avec Alfred Hugenberg * et Emil Kirdorf ** une “commission de trois” qui agit parallèlement à la direction officielle de la CDI. En 1920 Stinnes constitue ensemble avec Albert Vögler (cf. note 18 ) la Rhein-Elbe-Union GmbH, en tant que réunion de la Deutsch-Luxemburg, de la Gelsenkirchener Bergwerks AG (GBAG) et du Bochumer Verein für Bergbau und Gußstahlfabrikation. Parallèlement, la Rhein-Elbe-Union constitue un groupement d'intérêt avec le groupe Siemens, dans le cadre de la Siemens-Rhein-Elbe-Schuckert-Union GmbH créée à cet effet à Düsseldorf. En 1920 Stinnes adhère au DVP (cf. note 19 ).

Stinnes décède en 1924. L'année suivante Edmund, l'un de ses fils, se retire du groupe Stinnes, et se fait délivrer ses parts d'héritage sous forme monétaire. Le groupe est rapidement exposé à des difficultés financières, les 23 banques qui détiennent des participations procèdent à des cessions. La participation à la Deutsch-Luxemburg est reprise par un groupe anglo-américain et la Deutsch-Luxemburg sera peu après intégrée à la (VStAG) (cf. l'entrée correspondante dans la page "Quelques têtes de grands capitalistes allemands des années 1920" ). La participation à la RWE est reprise par l'état Prusse. En 1926, la famille Stinnes conclut un accord avec des banques US et les actifs restants sont transférés à deux holdings américaines, Hugo Stinnes Industries Inc. et Hugo Stinnes Corporation.

Alfred Hugenberg (18651951)[23]

De 1883 à 1888, Hugenberg effectue des études de droit. Après différents emplois dans le secteur bancaire ainsi que l'administration publique, il est président du conseil d'administration de la Friedrich Krupp AG à Essen, de 1909 à 1918. À partir de 1911 il est membre du comité de direction de l'Union centrale d'industriels allemands (Centralverband Deutscher Industrieller, CDI). En 1912 il devient président de l'Association pour les intérêts miniers dans le district Oberberg-Dortmund (Verein für die bergbaulichen Interessen im Oberbergamtsbezirk Dortmund) ainsi que président de l'Association de mines (Zechenverband) (il occupera ce dernier poste jusqu'en 1925). En 1913 il devient membre du conseil d'administration de la Fédération d'Unions d'employeurs allemands (Vereinigung Deutscher Arbeitgeberverbände, VDAV) nouvellement créée; il est aussi nommé président de la Chambre de l'industrie et du commerce pour Essen, Mülheim (Ruhr) et Oberhausen, ainsi que de l'association des chambres du commerce de la région industrielle du Bas-Rhin et de Westphalie. En 1919 il devient membre du présidium de l'Union nationale de l'industrie allemande (Reichsverband der deutschen Industrie, RDI) nouvellement constituée (cf. plus loin), en même temps que président de la section industrie minière au sein de la RDI (il occupera ce dernier poste jusqu'en 1928).

En 1913 il forme avec Hugo Stinnes et Emil Kirdorf (cf. ci-dessous) une “commission de trois” qui agit parallèlement à la direction officielle de la CDI. Par la suite s'y joint Wilhelm Beukenberg (président du conseil d'administration de la Phoenix AG, ce qui en fait un “groupe de quatre”. En 1916 ce groupe s'élargit sous la forme de la “Wirtschaftliche Gesellschaft” (“Société économique”) qui intègre des entreprises et des unions industrielles.

Entre 1916 et 1920 Hugenberg constitue un conglomérat composé de maisons d'édition, agences de presse, journaux, sociétés de production cinématographique etc. En 1919 est constituée la “Wirtschaftsvereinigung zur Förderung der geistigen Wiederaufbaukräfte" (“Association d'économie pour la promotion des forces de reconstruction spirituelles”) qui prend la suite de la Société économique. Elle exerce la fonction de société holding du consortium de Hugenberg. Douze personnalités dirigent cette structure: Hugenberg, Albert Vögler (cf. note 18 ), Emil Kirdorf, Franz Winkhaus (fonctionnaire dans le secteur des mines), Eugen Wiskott (magistrat dans le secteur des mines), Hans von und zu Loewenstein (magistrat dans le secteur des mines), Franz-Heinrich Witthoeft (sénateur), capitaine à la retraite Mann, Johann Neumann (maire), Johann Becker (ex-ministre des finances de Hessen et ex-ministre de l'économie), Leo Wegener (ex-directeur de la Posensche Landesgenossenschaftsbank), Ludwig Bernhard (professeur d'université)

En 1894 Hugenberg participe à la fondation du “Alldeutscher Verband” (“Union panallemande”). En 1918 il participe à la fondation du “Deutschnationale Volkspartei” (“Parti allemand-national du peuple”, DNVP) (cf. note 19 ), dont il est président à partir de 1928.

** Emil Kirdorf (18471938)[24]

En 1873 Kirdorf devient directeur commercial de la Gelsenkirchener BergwerksAG (GBAG) nouvellement fondée. En 1889 il participe à la constitution du Syndicat du charbon de Rhénanie-Westphalie (Rheinisch-Westfälisches Kohlensyndikat) (cf. plus loin). Entre 1903 et 1910 Kirdorf oeuvre à l'élargissement de l'activité de la GBAG et du Syndicat du charbon de Rhénanie-Westphalie vers les secteurs du fer et de l'acier. Par là il entre en concurrence notamment avec les entreprises d'August Thyssen (cf. note 15 ) et Hugo Stinnes.

En 1913 il forme avec Hugo Stinnes et Alfred Hugenberg (cf. ci-dessus) une “commission de trois” qui agit parallèlement à la direction officielle de la CDI.

En 1920 le consortium de Stinnes reprend des parts importantes de la GBAG et du Syndicat du charbon de Rhénanie-Westphalie. En 1926 la GBAG est absorbée par la Vereinigte Stahlwerke AG (VStAG) (cf. l'entrée correspondante dans la page "Quelques têtes de grands capitalistes allemands des années 1920" ); Kirdorf démissionne de son poste de directeur générale.

En 1894 Kirdorf participe à la fondation du “Alldeutscher Verband” (“Union panallemande”). En 1927 il adhère au NSDAP. Il en sort en 1928 au motif de son désaccord vis-à-vis de l'influence de Gregor Strasser, puis rejoint le parti de nouveau en 1934.

[48].     Quelques éléments concernant les discussions au sujet du contrôle ouvrier du point de vue des programmes des Partis communistes.

La remarque de Brandler qui attribue à Maslow une certaine conception en matière de programme est trop allusive pour qu'on puisse la commenter en tant que telle. Toutefois, il faut la mettre en rapport avec ce que Brandler écrit au sujet du programme d'Erfurt (cf. ici dans le texte ) (concernant le programme d'Erfurt cf. note 46  ), à savoir que "la partie concrète" du programme d'Erfurt "représentait un programme de réformes dans le cadre de l'État bourgeois et de l'économie capitaliste", et qu'il était "destiné à renforcer, à l'époque du capitalisme ascendant, les positions du prolétariat pour la lutte décisive contre la bourgeoisie et à tremper ce dernier dans la lutte de classe pour les réformes afin de le préparer à la bataille plus importante qui approchait"; sont à prendre en considération également les considérations par lesquelles Brandler enchaine en rapport avec Rosa Luxemburg.

Quoi qu'il en soit, il convient de rappeler quelques éléments concernant d'une part les discussions au sein de l'Internationale communiste au sujet de la question du programme, et d'autre part la trajectoire parcourue par le KPD du point de vue des organismes de direction. (Cf. entre autre "L'Internationale communiste et la question de la tactique - documents" .)

Du 7 au 11 juin 1922 se tient le 2e plénum, élargi, du Comité exécutif de l'Internationale communiste (le 1er plénum, élargi, s'était tenu du 21 février au 4 mars). Il forme une commission chargée d'élaborer un projet de programme pour l'IC. Le KPD délègue August Thalheimer pour y participer, et constitue par ailleurs en automne de 1922 une commission en vue de l'élaboration d'un programme pour le Parti. Cette dernière est dirigée par Thalheimer et comprend Heinrich Brandler, Edwin Hoernle, Wilhelm Koenen, Emil Ludwig, Clara Zetkin. Un projet est publié le 7 octobre 1922. La Centrale du KPD décide, par 29 voix contre 23, de le soumettre au 4e Congrès de l'IC. Celui-ci se tient du 5 novembre au 5 décembre 1922. A. Thalheimer intervient en tant que membre de la commission de programme qui avait été formée par le Comité exécutif de l'IC. Voici un extrait de son intervention (cf. des extraits plus larges ici ):

Et, camarades, il n'existe pas seulement de tels problèmes de la transition qui soient variés selon différents pays et qui soient variés de semaine en semaine et de mois en mois, il existe aussi toute une série de telles questions de la transition, de telles questions de nature générale, qui doivent impérativement être fixés dans un programme communiste. Et je dis, un programme générale de l'Internationale communiste, qui sur ce large parcours présenterait ici une tache blanche, un tel programme général n'a que peu de valeur pratique pour les partis de l'occident. (Très juste! chez les Allemands.) Pour un temps proche, le l'accent principale porte justement sur ce parcours transitoire et son jalonnement. Je voudrais mentionner quelques-unes parmi ces questions concernant la transition, qui à mon avis doivent impérativement avoir leur place dans un tel programme communiste. J'y inclue la question du contrôle de production, la question du capitalisme d'État, des lignes directrices pour une politique de fiscalité et une politique budgétaire des différents partis. (Très juste!) En effet, ces questions se posent tous les jours aux partis, la question concrète change. (Boukharine: Ah!) Oui, mais il faut avoir des lignes directrices, dont peut être dérivé le comportement pratique. Par comparaison prenez le Programme d'Erfurt: Celui-ci contenait des principes pour la politique fiscale, qui naturellement aujourd'hui sont dépassés. Vous ne nierais quand même pas, camarade Boukharine, que les conditions fiscales et budgétaires des différents pays et aussi de l'Allemagne, étaient variées dans les différentes années, et pourtant un tel fil conducteur est important, utile et nécessaire.

Le congrès décide de ne pas adopter de programme lui-même et renvoie la question au congrès suivant. Cependant, le 5e congrès de l'IC, en juin 1924, ne tranchera pas non plus la question du programme.

Durant les années 1923‑1925, des modifications considérables interviennent en ce qui concerne les organismes de direction du KPD.

Du 28 janvier au 1er février 1923 se tient à Leipzig le 8e Congrès du KPD. Une résolution, "Lignes directrices sur la tactique du front uni et du gouvernement ouvrier", présentée par H. Brandler, est adoptée par 118 voix contre 59. Elle stipule notamment (cf. le document, en allemand ):

Le gouvernement ouvrier n'est ni la dictature du prolétariat ni une ascension pacifique vers elle. Elle est une tentative de la part de la classe ouvrière de mener une politique ouvrière, dans le cadre et dans un premier temps avec les moyens de la démocratie bourgeoisie, appuyé sur des organes prolétariens et des mouvements de masse.

Un certain nombre de membres du Parti autour de R. Fischer, Arkadij Maslow, Werner Scholem, Ernst Thälmann, s'opposent à cette orientation. Un texte alternatif "Thèses sur le front uni et le gouvernement ouvrier" est soumis au congrès. Cependant, le congrès élit à la Centrale principalement des représentants en accord avec l'orientation proposée, comme H. Brandler, Hugo Eberlein, Paul Frölich, A. Thalheimer, Jakob Walcher, C. Zetkin. En mai, les délégués des deux tendances du KPD se rendent à Moscou pour discuter avec le Bureau de l'IC. Les thèses du congrès sont condamnées. Le 17 mai, R. Fischer, O. Geschke, A. König et E. Thälmann sont cooptés à la Centrale comme représentants de l'orientation divergente au sujet de la question des gouvernements ouvriers.

Du 7 au 10 avril 1924, se réunit clandestinement le 9e Congrès du KPD, à Francfort-sur-le-Main. La nouvelle Centrale est composée de 15 membres: H. Eberlein, R. Fischer, Wilhelm Florin, O. Geschke, F. Heckert, I. Katz, A. König, A. Maslow, W. Pieck, H. Remmele, Arthur Rosenberg, Ernst Schneller, W. Scholem, Max Schütz, E. Thälmann. Dimitrij Manuilskij, représentant du Comité exécutif de l'Internationale communiste, est préoccupé par le manque d'unité du Parti et préconise sans succès l'inclusion dans la nouvelle Centrale de quelques dirigeants écartés. Fischer est désignée comme Présidente du Bureau politique du Comité central, qui comprend en outre Katz, Maslow, Rosenberg, Paul Schlecht, Scholem, Schütz, Thälmann. Le Secrétariat est composé de Fischer, Maslow et Scholem. Maslow est arrêté le 20 mai suite à un contrôle de police (il sera condamné à 4 ans d'emprisonnement, mais libéré en juillet 1926 pour de raisons de santé) et Remmele, qui avait été inclus à la Centrale comme représentant du groupe intermédiaire mais s'était ensuite rapproché des positions du groupe autour de Fischer, est coopté au bureau politique.

Du 12 au 17 juillet 1925 se tient le 10e Congrès du KPD à Berlin. Depuis le printemps une partie du groupe autour de R. Fischer et A. Maslow, notamment W. Scholem, I. Katz et A. Rosenberg avaient formé une nouvelle opposition. Au congrès Fischer, soutenue par E. Thälmann, E. Schneller et H. Remmele, les critiquent. Une nouvelle direction, appelée maintenant Comité central, est élue. Sont membres Konrad Blenkle, Philipp Dengel, H. Eberlein, Fischer, W. Florin, O. Geschke, A. Gohlke, F. Heckert, Maslow, W. Pieck, Remmele, Fritz Schimanski, Joseph Schlaffer, P. Schlecht, F. Schmidt, Schneller, Scholem, Wilhelm Schwan, Thälmann, Hugo Urbahns. D. Manuilskij, présent au congrès au nom de l'IC, avait demandé en vain que la direction ne soit pas composée exclusivement de membres du groupe autour de Fischer, mais que soient représentées également les deux autres orientations. En novembre 1925 le bureau politique est composé comme suit: Blenkle, Dengel, Ewert, Geschke, Schneller, Schwan, Remmele, Thälmann.

Du 12 au 14 aout 1925, des discussions ont lieu entre le présidium du Comité exécutif de l'IC et des représentants du Comité central du KPD. Il en résulte une Lettre ouverte du Comité exécutif de l'Internationale communiste critiquant la situation qui prévaut au sein du KPD (cf. le document, en allemand ). Le 20 aout une majorité du Comité central approuve la lettre ouverte contre la voix de J. Lenz (Winternitz); font partie de cette majorité entre autre K. Blenkle, Ph. Dengel, H. Eberlein, A. Ewert, W. Florin, O. Geschke, F. Heckert, W. Pieck, H. Remmele, E. Thälmann, J. Schehr, E. Schneller, J. Winterich. Les 31 octobre et 1er novembre se tient la 1e Conférence nationale du KPD. Les délégués ont été désignés sur la base de cellules d'entreprise. Le 11 novembre, E. Thälmann devient président du Bureau politique. La direction comprend notamment Dengel, Schneller, Ernst Meyer, Ewert. R. Fischer, A. Maslow et W. Scholem sont exclus du Comité central, puis le seront du Parti (Fischer et Maslow en aout 1926, Scholem en novembre 1926). Seront également exclus I. Katz (en janvier 1926) et H. Urbahns (en novembre 1926); A. Rosenberg quittera le Parti en avril 1927.

Du 2 au 7 mars 1927 se tient à Essen le 11e Congrès du KPD. Le Comité central désigné comprend K. Becker, Adolf Betz, K. Blenkle, Franz Dahlem, Ph. Dengel, Paul Dietrich, H. Eberlein, A. Ewert, Leo Flieg, W. Florin, Max Gerbig, O. Geschke, Arthur Golke, Walter Hähnel, F. Heckert, Wilhelm Hein, Paul Merker, E. Meyer, W. Münzenberg, Michael Niederkirchner, Helene Overlach, W. Pieck, H. Remmele, J. Schlaffer, E. Schneller, Hans Schröter, Fritz Schulte, G. Schumann, W. Stoecker, E. Thälmann, W. Ulbricht, J. Winterich, John Wittorf, C. Zetkin, Julius Biefang. Le Bureau politique est composé de Thälmann comme président, Dengel, Eberlein, Ewert, Heckert, Merker, Meyer, Remmele et Schneller comme membres; en outre Flieg occupe la fonction de secrétaire du Bureau politique. Le Secrétariat politique est formé de Dengel, Ewert, Meyer et Thälmann.

(Pour un exposé plus détaillé des controverses au sein du KPD, cf. dans le dossier "1933‑1945: Le KPD dans la lutte contre la dictature national-socialiste", la partie "1923‑1932: Réaction et contre-attaque" ).

.         Heinrich Brandler.

Brandler fait partie du Groupe Spartakus formé à partir de 1915 autour de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, puis il est membre du KPD fondé en décembre 1918. Au 2e congrès du Parti (octobre 1919) il est élu comme membre de la direction, en février 1921 il devient co-président (aux côtés de Walter Stoecker), en juillet 1922 il est désigné secrétaire du bureau politique. Du 10 au 29 octobre 1923 il fait partie d'un gouvernement régional social-démocrate-communiste dans la région de Sachsen. En janvier 1924 il est démis de ses fonctions dans le parti. Il se rend Moscou, où il poursuit des activités en tant que membre du PCR. En octobre 1928 il revient en Allemagne. En décembre 1928 il est avec August Thalheimer l'un des principaux fondateurs du KPD Opposition (KPD O, aussi KPO). En janvier 1929 il est exclu du PCUS et de l'Internationale communiste.

.         August Thalheimer.

Lors congrès de fondation du KPD, Thalheimer est élu à la Centrale, dont il est membre jusqu'en février 1924. Après l'échec de l'action d'insurrection d'octobre 1923, il défend, comme Heinrich Brandler, la tactique de la Centrale et devint l'un des représentants les plus importants de la droite, qui perd la position dirigeante au 9e congrès du parti en 1924. Recherché par la police, il doit quitter l'Allemagne et se rendre à Moscou, où réside également Brandler. Les deux appartiennent maintenant au PCUS. En mai 1928, il peut retourner à Berlin. Il rassemble à nouveau le groupe de droite du KPD. En décembre 1928, Brandler et lui sont les principaux cofondateurs de l'organisation KPD-Opposition (KPD-O, également KPO). En janvier 1929, il est expulsé du PCUS et de l'Internationale communiste.

[49].     Friedrich Engels: "Les Communistes et Karl Heinzen" (1847).

Friedrich Engels: "Die Kommunisten und Karl Heinzen", Deutsche-Brüsseler-Zeitung, N° 79 du 3. octobre 1847; Karl Marx - Friedrich Engels, Werke, Band 4, Berlin, Dietz Verlag, 1977; p. 309.

Ici p. 313:

Alle Maßregeln zur Beschränkung der Konkurrenz, der Anhäufung großer Kapitalien in den Händen einzelner, alle Beschränkung oder Aufhebung des Erbrechts, alle Organisation der Arbeit von Staats wegen etc., alle diese Maßregeln sind als revolutionäre Maßregeln nicht nur möglich, sondern sogar nötig. Sie sind möglich, weil das ganze insurgierte Proletariat hinter ihnen steht und sie mit bewaffneter Hand aufrechterhält. Sie sind möglich, trotz aller von den Ökonomen gegen sie geltend gemachten Schwierigkeiten und Übelstände, weil eben diese Schwierigkeiten und Übelstände das Proletariat zwingen werden, immer weiter und weiter zu gehen bis zur gänzlichen Aufhebung des Privateigentums, um nicht auch das wieder zu verlieren, was es schon gewonnen hat. Sie sind möglich als Vorbereitungen, vorübergehende Zwischenstufen für die Abschaffung des Privateigentums, aber auch nicht anders.

[50].     Centuries, Allemagne, 1923.

En mars 1923, des groupes dits Centuries prolétariens [proletarische Hundertschaften] se forment initialement en Thüringen, où un gouvernement SPD est au pouvoir. Par la suite, ces organes d'autodéfense du mouvement ouvrier se sont également développés en Sachsen, à Berlin et dans la région de la Ruhr. Pour la Prusse, le ministre de l'Intérieur, Carl Severing (SPD), prononce une interdiction des Centuries prolétariens le 12 mai 1923.

[51].     Loi pour la protection de la République [Republikschutzgesetz], 1922‑1932.

Durant la phase initiale de fondation de la République les décrets d'exception émis par l'Exécutif au cas par cas selon l'art. 48 par. 2 (cf. note 52 ) de la Constitution dite "de Weimar" (Constitution du Reich allemand, adoptée le 11 aout 1919 à Weimar) sont d'usage. Suite à l'assassinat de Walter Rathenau en juin 1922, le parlement entreprend l'introduction d'une loi générale pour la protection de la république. Le 4 juillet 1922, les syndicats organisent une grève générale pour appuyer leur revendication d'une protection efficace de la république. Le 21 juillet, le Reichstag adopte la première loi sur la protection de la République à la majorité des deux tiers, ce qui donne au texte le statut de modification de la constitution (cf. le document ). Elle est limitée à cinq ans et contient dans sa partie principale des dispositions pénales pour la protection de la république, qui visent la préparation et le soutien de l'assassinat de politiciens républicains et la participation à des associations criminelles, ainsi que des actes d'insulte ou d'outrage envers la république, ses symboles ou ses représentants. Dans d'autres parties, est règlementée l'instauration d'une Haute Cour constitutionnelle (Staatsgerichtshof) pour la protection de la république ainsi que l'interdiction d'associations et d'rassemblements et des restrictions à la liberté de la presse. Les dispositions pénales les plus sévères de la loi visent les "organisations d'assassins et leurs instigateurs"; de manière caractéristique, ces faits n'ont même pas été abordés dans le procès contre l'Organisation Consul, qui a été accusé des meurtres d'Erzberger (cf. note 25 ) et de Rathenau (cf. note 25 ). Un autre ensemble de dispositions pénales, qui a acquis une importance pratique beaucoup plus grande, est dirigé contre le soutien accordé aux "associations hostiles à l'État" qui cherchent à "saper la forme de gouvernement républicain constitutionnellement établie". Presque toutes les parties de la loi étaient dirigées contre les opposants de droite et de gauche à la république.

Le fait est que l'application et la pratique d'interprétation par le pouvoir judiciaire ont conduit à une action particulièrement sévère contre la politique communiste. Cette tendance a été favorisée par un étatisme qui plaçait l'État en tant que tel au centre, mais pas la protection de la république démocratique. Étant donné que les infractions organisationnelles de la loi sur la protection de la République étaient liées à l'existence d'une organisation criminelle au sens de l'article 129 du Code pénal, le KPD a été placé au centre des poursuites pénales. Depuis 1925, sa politique a toujours été considérée comme la préparation d'une entreprise de haute trahison au titre de l'article 86. La jurisprudence a interprété le concept de violence dans le paragraphe sur la haute trahison de manière si extensive qu'en fin de compte, toute forme de propagande communiste a été évaluée comme une préparation au "but ultime" de la révolution. Il en résulte que le KPD, en tant qu'organisation criminelle accusée de haute trahison, a toujours été qualifié d '"association hostile à l'état" au sens de l'article 7 (4) de la loi sur la protection de la République. Les tribunaux ont procédé différemment dans le cas du NSDAP: alors que le caractère antiétatique du KPD était présumé "connu du tribunal" et devait être réfuté au cas par cas pour parvenir à l'impunité, à l'inverse, le même caractère du NSDAP devait être établi au cas par cas.

La loi de protection de la république de juillet 1922 a été prolongée de deux ans par la loi du 2 juin 1927 (RGBl. I p. 125). En juin 1928 est formé un gouvernement de coalition incluant SPD, DVP (cf. note 19 ), Zentrum (cf. note 20 ), DDP (cf. note Erreur ! Signet non défini. ) et BVP (cf. note 3020 ) avec Hermann Müller (SPD) comme chancelier. Une nouvelle extension a échoué parce que la majorité des deux tiers au Reichstag, qui était nécessaire en raison du caractère de changement constitutionnel de certaines dispositions particulières, n'a pas pu être obtenu du fait que le Parti allemand-national du peuple (Deutschnationale Volkspartei) ne participe pas au gouvernement. Ainsi, la loi expira le 22 juillet 1929. Le ministre de l'Intérieur, Severing (SPD), a ensuite présenté un nouveau projet modifié, qui est approuvé par l'assemblée nationale, avec 265 voix contre 150. Cette loi, qui n'avait donc pas caractère constitutionnel, a été qualifiée de conforme à la constitution dans la jurisprudence. Elle est publiée le 25 mars (cf. le document ). Son objet est globalement similaire à loi précédente. Elle vise à réprimer et punir la participation directe ou indirecte à des actes considérés comme menace pour la République: assassinat en général, en particulier attentat contre le président de la République ou un membre de gouvernement, un comportement susceptible d'ébranler ou dénigrer la forme d'état républicaine constitutionnelle au niveau nationale ou régional (notamment dans le cadre d'une association), actes de violence contre des personnes en rapport avec leur activité politique, réunions et imprimés contrevenant à la loi en rapport avec les actes mentionnés. Cette loi cesse d'être en vigueur le 20 décembre 1932 sous l'effet du décret pour la préservation de la paix intérieure du 19 décembre 1932.

[52].     Allemagne, Constitution de Weimar, Article 48.

Le 6 février 1919, une Assemblée constituante allemande se réunit dans la ville de Weimar. La nouvelle constitution fixe à l'Allemagne un cadre institutionnel défini comme république fédérale. L'assemblée législative (Reichstag) est élue pour une période de quatre ans. Le président est élu au suffrage universel pour une période de sept ans et dispose de larges prérogatives. Il peut dissoudre le Reichstag, et l'article 48 de la constitution lui donne le droit, en cas de menace à la sécurité publique, d'instaurer l'état d'exception et d'édicter des décrets d'urgence ayant caractère de loi.

[53].          "la Jungle".

Ainsi dans le document original en français. Il s'agit en fait de l'organisation Jungdo (pour "Jungdeutscher Orden") (cf. note 29 ).

[54].     Hans von Seeckt.

Seeckt est à partir d'octobre 1919, avec l'instauration du Truppenamt [Office des troupes] dans le cadre du ministère de la Reichswehr [défense], Chef de l'état‑major. En mars 1920 survient la tentative de putsch Lüttwitz-Kapp (cf. note 25 ). Seeckt refuse d'engager la Reichswehr pour mettre en échec l'opération, craignant une division au sein de l'armée. Suite à ces évènements, le 14 mars 1920, Walther Reinhardt démissionne du poste de chef de la direction de l'armée [Oberste Heeresleitung, OHL] qu'il occupait depuis octobre 1919. Seeckt est d'abord chargé des affaires courantes à sa place, puis nommé officiellement à ce poste en juin. 1923, dans le contexte de l'occupation de la région du Ruhr par les puissances alliées vainqueurs, le gouvernement allemand réagit d'abord par une politique de "résistance passive". Une grève générale s'étend largement, le SPD décide de retirer sa confiance au gouvernement de Wilhelm Cuno, qui démissionne le 12 aout. Le 26 septembre le nouveau chancelier Gustav Stresemann (DVP) annonce la décision prise par le gouvernement, de mettre la fin à la “résistance passive”. Le gouvernement du Reich craint alors un putsch bavarois dirigé contre Berlin et le président Friedrich Ebert (SPD) instaure l'état d'exception dans tous le Reich. Le pouvoir exécutif est conféré au ministre de la défense O. Geßler. En novembre, après la tentative de putsch d'Adolf Hitler, Ebert modifie cette dernière disposition et confère pouvoir exécutif à Seeckt. L'état d'exception est révoqué le 1er mars 1924. Seeckt est sollicité par divers représentants de cercles réactionnaires, parmi lesquels Stinnes, en vue de la formation d'un gouvernement dictatorial. Il envisage différentes options en ce sens, mais ne donne finalement pas suite. En 1926, à cause d'un conflit avec le ministre de la Reichswehr Otto Geßler, Seeckt est mis en congé de son service militaire. Entre 1930 et 1932 il est député au parlement (Reichstag) pour le DVP. Durant les années 1930‑1932 puis 1934‑1935 il tient un rôle en Chine comme conseiller du général Jiang Jieshi (Chiang Kai‑shek), dirigeant du Guomindang. À son retour en Allemagne il est nommé commandant d'un régiment d'infanterie.

[55].     Deutsche demokratische Partei (Parti démocratique allemand, DDP).

Le DDP est fondé le 20 novembre 1918 comme successeur du Fortschrittliche Volkspartei (Parti progressiste du peuple, FVP), formé en 1910. Le DDP inclut aussi des ex-membres du Nationalliberale Partei (Parti national-libéral, NLP), fondé en 1866 et dont l'existence se termine en novembre 1918.

[56].     Gerhart Seger (Seeger).

Gerhart Seger est d'abord en 1921 membre de l'USPD, puis suit la réintégration de l'USPD au SPD en 1922. À partir de 1923 il est secrétaire général de la Société allemande de la paix *; lors de l'Assemblée générale de février 1929 il démissionne du Présidium. Il est à partir de 1928 collaborateur du périodique La lutte de classe (Der Klassenkampf) auquel participe notamment Paul Levi **.

.         * DFG

En novembre 1892, à l'initiative de l'éditeur Alfred Hermann Fried et de la baronne Bertha von Suttner, est fondée la Société allemande de la paix (Deutsche Friedensgesellschaft, DFG) sur le modèle de la Société autrichienne des amis de la paix (Österreichischen Gesellschaft der Friedensfreunde, fondée en 1891). La DFG établit son siège central à Berlin. Les orientations de la DFG incluent le refus du service militaire et de toute guerre en général.

.         ** Paul Levi.

Levi fait partie des fondateurs du KPD, dont il est président à partir de mars 1919. Lorsqu'en 1920 une partie de l'USPD rejoint le KPD, il est co-président du VKPD au côté d'Ernst Däumig qui vient de l'USPD. Au bout de conflits au sein du parti et avec la direction de l'IC Levi est exclu du KPD en 1921. Certains autres dirigeants du KPD, dont Däumig, quittent alors le parti. Däumig constitue avec Levi la Communauté communiste de travail (Kommunistische Arbeitsgemeinschaft, KAG), laquelle en 1922 rejoint l'USPD et suit le retour au SPD. À partir de 1923 Levi publie le périodique Politique et économie socialiste (Sozialistische Politik und Wirtschaft). En octobre 1927parait un bimensuel La lutte de classe. Feuilles marxistes (Der Klassenkampf. Marxistische Blätter), avec l'objectif de regrouper l'opposition au sein du SPD; comme rédacteurs apparaissent  Max Adler (Vienne), Kurt Rosenfeld, Max Seydewitz et Heinrich Ströbel. En 1928 le Klassenkampf est réuni avec la publication de Levi, lequel devient coéditeur.

[57].     "Travail organique".

Le 2e Congrès de l'Internationale communiste, en juillet 1920, adopte des "Lignes directrices sur les partis communistes et le parlementarisme". Elles stipulent entre autre:

On ne peut pas invoquer contre l'action parlementaire, la qualité bourgeoise de l'institution même. Le Parti communiste y entre non pour s'y livrer à une action organique, mais pour saper de l'intérieur la machine gouvernementale et le Parlement.

Concernant la teneur de cette phrase, on peut signaler que dans la version en allemand, elle est quelque peu plus précise (en italiques, la partie qui diffère):

[...] mais pour saper de l'intérieur la machine gouvernementale et le Parlement.

[...] sondern um vom Parlament aus den Massen zu helfen, die Staatsmaschine und das Parlament selbst durch die Aktion zu sprengen.

À savoir en français:

[...] mais pour aider les masses, à partir du Parlement, à faire éclater elles-mêmes la machine d'état et le parlement par l'action.

[58].          Politique du "moindre mal"("Kleineres Übel").

La formule se réfère à un type de raisonnement appliqué couramment par le SPD - et d'autres - pour justifier des choix en matière de soutien ou du moins de tolérance à l'égard de tel ou tel parti, gouvernement, candidat aux élections. Concrètement il s'agissait en général de considérer Hitler et les national-socialistes comme "le plus grand mal".

[59].     Phrase telle quelle dans le texte.

En la comparant avec la version en allemand, on constate qu'il manquent quelques mots. Voici la phrase complétée (l'ajout en italiques):

Dans la détermination de notre attitude de principe envers la rationalisation, il faut avant tout constater que cette devise, préconisée par la bourgeoisie et la social-démocratie, et qui leur sert à embellir la réalité et à induire les masses en erreur, ne fait en somme que grouper une série de méthodes qui au fond ne sont pas nouvelles et qui contribuent à augmenter le profit capitaliste.

En effet, en allemand:

Bei der Bestimmung unserer grundsätzlichen Stellung zur Rationalisierung ist vor allem festzustellen, daß dieses von der Bourgeoisie und Sozialdemokratie zu Beschönigungszwecken und zur Irreführung der Massen in die Welt gesetzte Schlagwort in Wirklichkeit nur eine ganze Reihe grundsätzlich nicht neuer Methoden zur Erhöhung des kapitalistischen Profits umfaßt.

[60].     Preussag.

En octobre 1923 est publiée la loi créant la Société prussienne par actions de mines et de haut-fourneaux (Preußische Bergwerks- und Hütten-Aktiengesellschaft, Preussag) qui transforme les entreprises minières de l'État de Prusse en société par actions. Preussag gère les mines et les forges de l'État prussien en Basse-Saxe, en Sarre et en Haute-Silésie; l'État reste propriétaire du capital. Après la Deuxième guerre mondiale, la société déménage son siège à Hannover. Elle passe au secteur privé en 1959 et par la suite diversifie ses activités qui vont du pétrole au bain de bouche. Dans les années 1980 elle se sépare de l'exploitation minière. Depuis 1994, Preussag s'est transformé en groupe de tourisme TUI au moyen d'acquisitions ciblées.

[61].     Karl Marx, Le Capital - Livre 2e,

          3e section: La reproduction et la circulation de l'ensemble du capital social, Chapitre 20: La reproduction simple, Sous-chapitres 1 à 8,
IV. Les échanges à l'intérieur de la section II. Subsistances nécessaires et objets de luxe.

Le Capital - Livre deuxième - Tome II, Paris, Éditions sociales, 1974, p. 4684

C'est pure tautologie que de dire: les crises proviennent de ce que la consommation solvable ou les consommateurs capables de payer font défaut. Le système capitaliste ne connaît d'autres modes de consommation que payants, à l'exception de ceux de l'indigent ou du "filou". Dire que des marchandises sont invendables ne signifie rien d'autre que: il ne s'est pas trouvé pour elles d'acheteurs capables de payer, donc de consommateurs (que les marchandises soient achetées en dernière analyse pour la consommation productive ou individuelle). Mais si, pour donner une apparence de justification plus profonde à cette tautologie, on dit que la classe ouvrière reçoit une trop faible part de son propre produit et que cet inconvénient serait pallié dès qu'elle en recevrait une plus grande part, dès que s'accroîtrait en conséquence son salaire, il suffit de remarquer que les crises sont chaque fois préparées justement par une période de hausse générale des salaires, où la classe ouvrière obtient effectivement une plus grande part de la fraction du produit annuel destinée à la consommation. Du point de vue de ces chevaliers, qui rompent des lances en faveur du "simple" (!) bon sens, cette période devrait au contraire éloigner la crise. Il semble donc que la production capitaliste implique des conditions qui n'ont rien à voir avec la bonne ou la mauvaise volonté, qui ne tolèrent cette prospérité relative de la classe ouvrière que passagèrement et toujours seulement comme signe annonciateur d'une crise.

[62].     Werner Sombart.

Werner Sombart débute en 1890 un poste de Professeur d'économie politique (Nationalökonomie) à Wroclaw *. En 1906 il passe à un poste de Professeur d'économie politique à l'École des hautes études commerciales à Berlin. En 1918 il passe à l'Université de Berlin comme professeur de d'économie politique et sociologie. Il enseigne jusqu'à sa mort en 1941 (à partir de 1935 seulement économie).

Dès le début il acquiert une réputation de connaisseur du marxisme et du mouvement social. Lorsqu'en 1894 parait le troisième volume du Capital de Marx, Sombart publie lui-même une étude du système marxiste. Engels lui adresse alors une lettre de politesse dans lequel il évalue positivement la parution du livre de Sombart, dans la mesure où il se démarque de l'esprit qui prévaut dans les universités allemandes **. En 1896 est publié un recueil de conférences de Sombart, intitulé "Socialisme et mouvement social au XIXe siècle" (Sozialismus und soziale Bewegung im 19. Jh.).

En 1902 Sombart publie "Le capitalisme moderne" ("Der Moderne Kapitalismus"). Ici, il lie la justification théorique de la supériorité de l'économie capitaliste sur les anciennes formes d'économie telles que l'artisanat et l'industrie domestique, à la question historique de la genèse du capitalisme. Il conçoit cette genèse comme une psychogenèse, il s'interroge donc entre autre sur les racines d'une nouvelle mentalité économique.

En 1903 il publie "L'économie nationale allemande au dix-neuvième siècle et au début du 20. siècle" ("Die deutsche Volkswirtschaft im neunzehnten Jahrhundert und im Anfang des 20. Jahrhunderts"). Ce texte connaitra des modifications dans des éditions ultérieures.

En 1919 parait la 7e édition de "Socialisme et mouvement social au 19e siècle". À ce stade Sombart tient encore à faire semblant d'accorder au marxisme un rôle historique positif, mais fait entrevoir déjà la réorientation totale qui marqueront - dès la même année - ses écrits ultérieurs.

[...] il n'y a qu'un seul socialisme vivant à notre époque: le marxisme [...] tous les mouvements socialistes du présent sont remplis d'un esprit marxiste dans la mesure où ils aspirent à la socialisation des moyens de production par la voie de la lutte de classe et sont portés par le prolétariat: le socialisme est devenu prolétarien, le prolétariat socialiste: cette unification est l'acte de Karl Marx contribuant à l'histoire universelle.

[(...) es gibt nur einen lebendigen Sozialismus in unserer Zeit: den Marxismus (...) alle sozialistischen Bewegungen der Gegenwart sind aber insofern von Marxistischem Geiste erfüllt, als sie auf dem Wege des Klassenkampfes die Vergesellschaftung der Produktionsmittel anstreben und vom Proletariate getragen werden: der Sozialismus ist proletarisch, das Proletariat sozialistisch geworden: diese Vereinigung ist die weltgeschichtliche Tat von Karl Marx.]

En 1919 Sombart publie "Fondements et critique du socialisme" ("Grundlagen und Kritik des Sozialismus").

Mais ce qui fait la spécificité du socialisme moderne, c'est concours de l'idéal socialiste avec toutes sortes de choses qui au fond n'ont absolument rien à voir avec le socialisme. Le premier corps étranger à s'être associé au socialisme, ce sont les efforts d'émancipation d'une classe sociale: le prolétariat, c'est-à-dire de la classe ouvrière salariée, et par conséquent les "idéologies" d'un intérêt de classe tout à fait déterminé, précisément celui prolétarien. (...) En principe, l'intérêt de classe du prolétariat n'a pas plus à voir avec du socialisme que l'intérêt de classe de la bourgeoisie. Les folies et les crimes dont les masses arrivées au pouvoir se rendent souvent coupables aujourd'hui sont la meilleure preuve de la justesse de cette affirmation. L'esprit qui emplit actuellement le prolétariat non seulement n'est pas du socialisme: c'est le contraire du socialisme. Le deuxième corps étranger rattaché au socialisme est une théorie du développement social, dont le contenu devrait avoir et a une validité pour les socialistes comme pour les non-socialistes: la théorie marxiste. (...) Et ce qui est le plus bizarre, c'est: (...) que cet étrange formation hybride, le "marxisme", est considéré comme une variété particulièrement significative du socialisme, alors que le marxisme en tant que tel, c'est-à-dire en tant que le système théorique de Karl Marx, n’est pas du tout du socialisme. (...) Marx n'a pas apporté la moindre contribution à la substance des idées du socialisme. Il n'a créé pas une seule nouvelle idée socialiste et, bien sûr, ses partisans encore moins. Ce qui fait du marxisme une doctrine spécifique n'a rien à voir avec du socialisme, car c'est justement de nature scientifique et peut (même doit, dans la mesure où il s'agit de connaissances tenables) être dévendu par un socialiste aussi bien que par un non-socialiste.

[Was aber die Besonderheit des modernen Sozialismus ausmacht, ist die Verquickung des sozialistischen Ideals mit allen möglichen Dingen, die im Grunde gar nichts mit Sozialismus zu tun haben. Der erste Fremdkörper, der sich mit dem Sozialismus verbunden bat, sind die Emanzipationsbestrebungen einer sozialen Klasse: des Proletariats, d. h. der Lohnarbeiterklasse, und demgemäß die "Ideologien" eines ganz bestimmten Klasseninteresses, eben des proletarischen. (...) An und für sich hat das Klasseninteresse des Proletariats nicht mehr mit Sozialismus zu tun als das Klasseninteresse der Bourgeoisie. Die Tollheiten und Verbrechen, deren sich die zur Herrschaft gelangten Massen heute vielfach schuldig machen, sind der beste Beweis für die Richtigkeit dieser Behauptung. Der Geist, der im Augenblick das Proletariat erfüllt, ist nicht nur kein Sozialismus: er ist das Gegenteil von Sozialismus. Der zweite Fremdkörper, der dem Sozialismus angeschlossen ist, ist eine soziale Entwicklungstheorie, deren Inhalt für Sozialisten wie Nicht-Sozialisten Geltung haben soll und hat: die marxistische. (...) Und was nun das allerseltsamste ist, ist dieses: (...) daß man dieses seltsame Zwittergebilde, den "Marxismus", für eine besonders bedeutsame Spielart des Sozialismus hält, während doch der Marxismus als solcher, d. h. als das theoretische System Karl Marxens, überhaupt kein Sozialismus ist. (...) Marx hat zu dem Ideengehalt des Sozialismus nicht den allergeringsten Beitrag geliefert. Er hat keine einzige neue sozialistische Idee geschaffen und seine Anhänger natürlich noch viel weniger. Was den Marxismus zu einer besonderen Doktrin macht, hat mit Sozialismus nichts zu tun, weil es eben wissenschaftlicher Natur ist, und kann (muß sogar, soweit es haltbare Erkenntnisse sind) ebensogut von einem Sozialisten als von einem Nicht-Sozialisten vertreten werden.]

En 1924 parait la dixième édition, remaniée, de "Socialisme et mouvement social au XIXe siècle" sous le titre "Le Socialisme prolétarien (Marxisme)" [Der proletarische Sozialismus (Marxismus)], composée de deux volumes. Les réflexions consistent en un exposé niais, et le rejet du marxisme vire au ridicule.

En 1928 parait un troisième volume de "Le capitalisme moderne". Dans la préface Sombart explique que cet ouvrage ne constitue pour l'essentiel "rien d'autre qu'une suite et en un certain sens un achèvement des travaux de Marx".

En conclusion, je voudrais seulement évoquer encore en quelques mots ma relation avec Karl Marx et son oeuvre, ce qui est d'autant plus nécessaire qu'après la publication de mon "socialisme prolétarien", il pourrait sembler que je me trouve constamment dans une opposition fondamentale d'avec ce génie. De cela il n'est pas question, au point que je peux plutôt assurer: ce travail ne veut être rien d'autre qu'une continuation et, en un certain sens, l'achèvement de l'œuvre de Marx. Autant je rejette vertement la vision du monde de cet homme et par là tout ce qu'on désigne maintenant, en résumé et en mettant en exergue la valeur, comme "marxisme", autant je l'admire sans retenue en tant que théoricien et historien du capitalisme. (...) Et tout ce qui éventuellement a du bon dans mon travail le doit à l'esprit de Marx. Ce qui n'exclut certainement pas que je m'éloigne de lui non seulement dans des détails, voire dans la plupart des points de vue détaillés, mais aussi sur des points essentiels de la conception d'ensemble.

[Nur über mein Verhältnis zu Karl Marx und seinem Werke will ich zum Schluß noch ein paar Worte bemerken, was um so notwendiger ist, als es nach der Veröffentlichung meines "Proletarischen Sozialismus" den Anschein gewinnen könnte, als stände ich durchgängig in einem grundsätzlichen Gegensätze zu diesem Genius. Davon ist so wenig die Rede, daß ich vielmehr versichern kann: dieses Werk will nichts anderes als eine Fortsetzung und in einem gewissen Sinne die Vollendung des Marxschen Werkes sein. So schroff ich die Weltanschauung jenes Mannes ablehne und damit alles, was man jetzt zusammenfassend und wertbetonend als "Marxismus" bezeichnet, so   bewundere ich ihn als Theoretiker und Historiker des Kapitalismus. (...) Und alles, was etwa Gutes in meinem Werke ist, verdankt es dem Geiste Marx. Was gewiß nicht ausschließt, daß ich nicht nur in Einzelheiten, ja in den meisten einzelnen Ansichten, sondern auch in wesentlichen Punkten der Gesamtauffassung von ihm abweiche.]

Dans ce volume il présente l'époque du haut capitalisme comme un processus de rationalisation progressive, l'artisanat et l'agriculture constituant les derniers refuges avant que le capitalisme et le socialisme ne partagent la rationalisation et l'aliénation qui va avec.

À partir de 1904 il édite avec Max Weber et Edgar Jaffé l'Archive pour Science sociale et politique sociale (Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik), qui parait jusqu'en 1933.

En 1911 il publie "Les Juifs et la vie économique" ("Die Juden und das Wirtschaftsleben").

Sombart a été membre de l'Académie pour le droit allemand (Akademie für Deutsches Recht), fondée en 1933. Il a prétendu être le père spirituel du national-socialiste. Ainsi il écrit dans une lettre à Johann Plenge, en septembre 1933:

En ce qui concerne votre revendication de la paternité du national-socialisme, cela ne se passe pas différemment pour vous qu'aussi pour d'autres. Je suis donc conscient que depuis longtemps j'ai également défendu de nombreuses idées qui font bouger la politique d'aujourd'hui. (...) Moi aussi, je suis "disparu et oublié". De pères spirituels, on n'en veut pas. Toutes les pensées commencent avec l'année I de la "révolution nationale".

[Was Ihren Anspruch auf die Vaterschaft des Nationalsozialismus betrifft, so geht es Ihnen nicht anders wie andern auch. So bin ich mir bewußt, ebenfalls zahlreiche Ideen schon seit langem vertreten zu haben, die die heutige Politik bewegen. (...) Auch ich bin "versunken und vergessen". Man will keine geistigen Väter haben. Alle Gedanken fangen mit dem Jahre I der "nationalen Revolution" an.]

[Source: Dieter Krüger, Nationalökonomen im wilhelminischen Deutschland; Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1983; p. 240.]

Après le décès de Paul von Hindenburg, Adolf Hitler met en scène, le 19 aout 1934, un plébiscite pour faire approuver la fusion des postes de président et de chancelier du Reich. À cette occasion, le Völkischer Beobachter (organe du NSDAP) publie deux appels: un "Appel des créateurs culturels" ("Aufruf der Kulturschaffenden"), et un autre, intitulé "Scientifiques allemands derrière Adolf Hitler" ("Deutsche Wissenschaftler hinter Adolf Hitler"). Sombart figure parmi les signataires de ce dernier, dont voici un extrait:

Nous signataires, représentants de la science allemande, (...) avons confiance en Adolf Hitler en tant que guide de l'État, en qu'il conduira le peuple allemand hors de sa misère et oppression. Notre espoir repose sur lui, que sous sa direction la science également bénéficiera de la promotion dont elle a besoin dans sa globalité pour s’acquitter de la noble tâche qui lui revient dans la reconstruction de la nation.

[Wir unterzeichneten Vertreter der deutschen Wissenschaft, (...) haben das Vertrauen zu Adolf Hitler als Staatsführer, daß er das deutsche Volk aus seiner Not und Bedrückung herausführen wird. Wir vertrauen auf ihn, daß auch die Wissenschaft unter seiner Führung die Förderung erfahren wird, deren sie in ihrer Gesamtheit bedarf, um die hohe Aufgabe zu erfüllen, die ihr beim Wiederaufbau der Nation zukommt. ]

["Deutsche Wissenschaftler hinter Adolf Hitler", in: Völkischer Beobachter. Kampfblatt der nationalsozialistischen Bewegung Großdeutschlands, Berliner Ausgabe/Ausgabe A, 47. Jg., Berlin, Sonntag/Montag, 19./20. August 1934, 231. und 232. Ausg., S. 2.]

En 1934 Sombart publie "Le socialisme allemand" ["Deutscher Sozialismus"]

La tâche que je me suis assignée dans ce livre est de donner une vue unifiée des divers problèmes sociaux de l'époque, comme on peut l'obtenir du point de vue d'une mentalité national-socialiste (...). La contradiction est ce par quoi la vérité est susceptible de se révéler au mieux. Et je peux donc espérer que les idées développées dans ce livre auront quand même un jour une influence, bien que modeste, sur le cours des évènements politiques. (...) Toute conviction honnête doit pouvoir participer à cette lutte, à condition, bien entendu, qu'elle reste dans le cadre de l'éventail des idées du mouvement. Elle doit être nationaliste, mais aussi socialiste. Que par ces termes peuvent souvent être entendu des choses très différentes, de cela témoignent les manifestations de nos tenants du pouvoir en paroles et en actes, et ce livre sur le socialisme allemand en témoigne également. Sa tâche déclarée est l'intention de diriger les forces manifestement puissantes qui aspirent à mener à bien l'idée national-socialiste de son côté socialiste de manière à ce qu'elles puissent avoir un effet non pas dévastateur mais fructueux.

[Die Aufgabe, die ich mir in diesem Buche gestellt habe, eine einheitliche Ansicht von den verschiedenen sozialen Problemen der Zeit zu geben, wie sie sich vom Standpunkt einer nationalsozialistischen Gesinnung aus gewinnen läßt (...). Durch Widerspruch kommt am ehesten die Wahrheit an den Tag. Und so darf ich hoffen, daß die in diesem Buche entwickelten Ideen doch auch einmal auf den Gang der politischen Ereignisse einen, wenn auch bescheidenen Einfluß, gewinnen werden. (...) An diesem Ringen darf jede ehrliche Ueberzeugung sich beteiligen, vorausgesetzt natürlich, daß sie sich im Rahmen des Ideenkreises der Bewegung hält. Sie muß nationalistisch, sie muß aber auch sozialistisch sein. Daß unter diesen Begriffen oft recht verschiedenes verstanden werden kann, bezeugen die Kundgebungen unserer Machthaber in Wort und Tat, und bezeugt auch dieses Buch über den Deutschen Sozialismus. Seine ausgesprochene Aufgabe soll die sein, die offenbar starken Kräfte, die einer Vollendung der nationalsozialistischen Idee nach ihrer sozialistischen Seite hin zustreben, in Bahnen zu lenken, in denen sie nicht verheerend, sondern befruchtend sich auswirken können.

Sombart prête aussi intérêt à Otto Strasser, un de ses anciens élèves, dissident du NSDAP qui insiste comme Sombart sur le terme "socialisme" dans "national-socialisme". Otto Strasser est auteur d'un livre intitulé "L'édification du socialisme allemand" ("Der Aufbau des deutschen Sozialismus").

Le 5 octobre 1934 parait dans le Völkischer Beobachter (organe du NSDAP) une recension, écrite par Fritz Nonnenbruch, du livre "Deutscher Sozialismus". On y lit:

Il n'y a qu'une seule voie, celle de notre Führer Adolf Hitler, et aucune seconde du professeur Sombart.

[Es gibt nur einen Weg, den unseres Führers Adolf Hitler, und keinen zweiten des Herrn Professor Sombart.]

Le 25 mars 1936 Sombart s'exprime dans le journal de Londres The Times, en se défendant contre l'allégation d'avoir modifiée sa position concernant les Juifs:

Je suis national-socialiste depuis plus d'un quart de siècle, bien avant de faire les commentaires sur les Juifs qui ont été cités.

[I have been a National-Socialist for more than a quarter-century, long before I made the comments about the Jews which have been quoted.]

[Cf. http://hicks.wiwi.hu-berlin.de/history/start.php?type=sombart]

          * Wrozlaw.

Passée de la Pologne à la Bohême (Saint-Empire germanique) en 1335, puis à l'Autriche en 1526, conquise par la Prusse, Wroclaw fait ensuite partie de l'Empire allemand en 1871. En Silésie, Les pertes de territoires à l'Est (à la suite du plébiscite du 20 mars 1921, les communes polonaises de haute Silésie ont été attribuées à la Pologne) et les questions nationales non résolues laissent la région dans un climat d'instabilité. La situation stratégique de Breslau est considérablement modifiée. Du statut de base de ravitaillement pour la ligne de défense contre les russes, elle devient un poste avancé d'une zone sensible, à la frontière de la Pologne nouvellement indépendante. Suite aux accords de Potsdam, Wroclaw fut en 1945 à nouveau rattachée à la Pologne.

          ** Engels à Werner Sombart à Breslau - Londres, le 11 mars 1895.

Monsieur, En réponse à vos quelques lignes du 14 dernier, permettez-moi de vous remercier pour votre aimable envoi de votre ouvrage sur Marx. Je l'avais déjà lu avec beaucoup d'intérêt dans le fascicule de l’"Archive" [revue Archiv für sociale Gesetzgebung und Statistik (Archive pour les questions de législation sociale et statistique)] que m'avait envoyés le docteur H. Braun, et je me suis réjoui alors d'avoir rencontré enfin une telle compréhension du Capital dans une université allemande. Il va de soi que je ne puis entièrement partager votre interprétation des vues de Marx.

[Karl Marx et Friedrich Engels, Œuvres choisies, Tome 3; Moscou, Éditions du Progrès, 1970.]

[Hochgeehrter Herr, Ich danke Ihnen in ergebner Erwiderung Ihrer Zeilen vom 1 4. v. M. für gütige Einsendung Ihrer Arbeit über Marx; ich hatte sie bereits in dem mir von Dr. H. Braun freundlichst zugesandten Heft des "Archivs" ["Archiv für sociale Gesetzgebung und Statistik"] mit großem Interesse gelesen und mich gefreut, ein solches Verständnis des "Kapital" endlich auch einmal an einer deutschen Universität zu finden. Selbstverständlich kann ich mich nicht mit allen den Ausdrücken identifizieren, in welche Sie die Marxsche Darstellung hineinübersetzen.]

[Karl Marx-Friedrich Engels, Werke, Band 39; Berlin, Dietz-Verlag, 1968; p. 427.]