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Karl Marx

Le Capital - Livre 3e
3e section : La loi de la baisse tendancielle du taux de profit

Chapitre 15 : Développement des contradictions internes de la loi

 

 

Source:

Le Capital - Livre troisième - Tome I
Paris, Éditions sociales, 1969, p. 254‑278

 

 

 

 

 

 

 

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Textes de Karl Marx ‑ Sommaire

 

 

 

 

 

 

I. ‑ Généralités.

Dans la première section de ce livre, on a vu que le taux de profit donne toujours du taux de plus‑value une expression inférieure à ce qu'il est en réalité. Nous venons à l'instant de voir que même un taux de plus‑value en hausse a tendance à se traduire par un taux de profit en baisse. Le taux de profit serait seulement égal au taux de la plus‑value si c = 0, c'est-à-dire si la totalité du capital était investis en salaire. Une baisse du taux de profit ne traduit une baisse du taux de la plus‑value que si le rapport de la valeur du capital constant à la quantité de force de travail qui le met en oeuvre reste le même, ou si cette dernière a augmenté par rapport à la valeur du capital constant.

Sous prétexte d'étudier le taux de profit, Ricardo étudie en réalité le seul taux de la plus‑value et encore ne l'étudie-t-il qu'en posant l'hypothèse que la journée de travail est une grandeur d'intensité et de durée constantes.

Baisse du taux de profit et accélération de l'accumulation ne sont que des expressions différentes d'un même procès, en ce sens que toutes deux expriment le développement de la productivité. De son côté, l'accumulation accélère la baisse du taux de profit dans la mesure où elle implique la concentration du travail sur une grande échelle, d'où une composition plus élevée du capital. D'autre part, la baisse du taux de profit accélère à son tour la concentration du capital et sa centralisation par la dépossession des capitalistes de moindre importance, l'expropriation du dernier carré des producteurs directs, chez qui il restait encore quelque chose a exproprier. Ce qui d'un autre côté accélère à son tour l'accumulation, quant à la masse, bien que le taux de l'accumulation baisse avec le taux du profit.

Par ailleurs, si le taux de mise en valeur du capital total, le taux de profit, est bien l'aiguillon de la production capitaliste (de même que la mise en valeur du capital est son unique fin), sa baisse ralentira la constitution de nouveaux capitaux autonomes et elle semble dès lors menacer le développement du procès de production capitaliste, elle favorise la surproduction, la spéculation, les crises, la constitution de capital excédentaire à côté d'une population en excédent. Les économistes qui, à l'exemple de Ricardo, considèrent le mode de production capitaliste comme un absolu, sentent bien que ce mode de production crée ici sa propre limite, mais ils en attribuent la responsabilité non à la production, mais à la nature (dans la théorie de la rente). Ce qu'il y a d'important toutefois dans l'horror [horreur] qui les saisit devant la baisse du taux de profit, c'est le sentiment que dans le développement des forces productives le mode de production capitaliste trouve une limite qui n'a rien à voir avec la production de la richesse en soi; et cette limitation bien particulière témoigne du caractère limité et purement historique, transitoire, du système de production capitaliste. Elle témoigne qu'il n'est pas un mode absolu de production de la richesse, qu'au contraire il entre en conflit avec le développement de celle-ci à une certaine étape de l'évolution.

Ricardo et son école, il est vrai, n'étudient que le profit industriel dans lequel est compris l'intérêt. Mais même le taux de la rente foncière a tendance à baisser bien que la masse absolue de celle-ci augmente et qu'il puisse également augmenter relativement au profit industriel (cf. Ed. West qui avant Ricardo a exposé la loi de la rente foncière)[1]. Considérons le capital social total C; soit p1 le profit industriel qui subsiste après déduction de l'intérêt et de la rente foncière, i l'intérêt et r la rente foncière, on a alors: pl/C = p/C = (p1 + i + r)/Cp1/C + i/C + r/C.

Nous avons vu que, bien que dans le développement de la production capitaliste pl, somme totale de la plus‑value, augmente toujours, pl/C n'en diminue pas moins tout aussi constamment, parce que C grandit encore plus vite que pl. Il n'y a nulle contradiction dans le fait que p1i et r puissent, chacun pour sa part, s'accroître sans cesse, tandis qu'aussi bien pl/C = p/C que p1/Ci/Cr/C diminuent toujours, chacun pour sa part, ou dans le fait que p1 augmenterait par rapport à i, ou r relativement à p1, ou encore relativement à p1 et i. Quand augmente la plus‑value totale ou profit pl = p, mais que simultanément baisse le taux de profit: pl/C = p/C, le rapport de grandeur des éléments p1i et r en quoi pl = p se décompose, peut varier ad libitum dans les limites fixées par la somme totale pl, sans que la grandeur de pl ou de pl/C en soit affectée.

La variation réciproque de p1i et r n'est qu'une simple différence dans la répartition de pl entre différentes rubriques. D'où il se peut que p1/Ci/C ou r/C, taux du profit industriel individuel, taux de l'intérêt et rapport de la rente au capital total, s'accroissent l'un par rapport à l'autre, bien que pl/C, taux de profit général, baisse. La seule condition, c'est que la somme des trois reste égale à pl/C. Si le taux de profit tombe de 50 % à 25 %, quand par exemple la composition du capital, le taux de plus‑value étant de 100 %, passe de 50c + 50v à 75c + 25v, dans le premier cas un capital de 1.000 donnera un profit de 500 et dans le second un capital de 4.000 un profit de 1.000 [2]: pl ou p ont doublé, mais [3] a baissé de moitié; et si dans les premiers 50 %, 20 étaient du profit, 10 de l'intérêt, 20 de la rente, p1/C se montait alors à 20 %, i/C à 10 %, r/C à 20 %. Si le rapport restait le même lors de la transformation des 50 % en 25 %, nous aurions p1/C = 10 %, i/C = 5 % et r/C = 10 %. Si, par contre, p1/C tombait alors à 8 % et i/C à 4 %, r/C passerait à 13 %. La grandeur relative de r aurait augmenté par rapport à p1 et i et néanmoins  serait resté le même. Dans les deux hypothèses, la somme de p1i et r étant produite à l'aide d'un capital quatre fois plus grand aurait augmenté. Du reste, l'hypothèse de Ricardo selon laquelle à l'origine le profit industriel (plus l'intérêt) absorbe toute la plus‑value est fausse historiquement et conceptuellement. C'est au contraire seul le progrès de la production capitaliste qui 1° donne aux capitalistes industriels et commerçants tout le profit en première main en vue d'une distribution ultérieure, et 2° réduit la rente à l'excédent du profit. C'est sur cette base capitaliste que se développe ensuite à son tour la rente, qui est une partie du profit (c'est-à-dire de la plus‑value considérée comme produit du capital total), mais n'est pas la partie spécifique du produit que le capitaliste empoche.

En supposant qu'existent les moyens de production nécessaires, c'est-à-dire une accumulation de capital suffisante, la création de plus‑value ne rencontre d'autre limite que la population ouvrière si le taux de la plus‑value, donc le degré d'exploitation du travail, est donné, et nulle autre limite que le degré d'exploitation du travail si c'est la population ouvrière qui est supposée donnée. Et le procès de production capitaliste consiste essentiellement à produire de la plus‑value qui se manifeste par le surproduit ou fraction aliquote des marchandises produites qui matérialise le travail non payé. Il ne faut jamais oublier que la production de cette plus‑value, ‑ et la reconversion d'une partie de celle-ci en capital, ou accumulation, constitue une partie intégrante de cette production de plus‑value[4] ‑ est la fin immédiate et le motif déterminant de la production capitaliste. On ne doit donc jamais la présenter comme ce qu'elle n'est pas, je veux dire une production ayant pour fin immédiate la jouissance ou la création de moyens de jouissance pour le capitaliste. Ce serait faire tout à fait abstraction de son caractère spécifique qui se manifeste dans toute sa structure interne.

L'acquisition de cette plus‑value constitue le procès de production immédiat qui, nous l'avons dit, n'a pas d'autres limites que les limitations précitées. Dès que la quantité de surtravail qu'on peut tirer de l'ouvrier est matérialisée en marchandises, la plus‑value est produite. Mais avec cette production de la plus‑value, c'est seulement le premier acte du procès de production capitaliste, du procès de production immédiat qui s'est achevé. Le capital a absorbé une quantité déterminée de travail non payé. À mesure que se développe le procès qui se traduit par la baisse du taux de profit, la masse de plus‑value ainsi produite s'enfle démesurément. Alors s'ouvre le deuxième acte du procès. La masse totale des marchandises, le produit total, aussi bien la portion qui remplace le capital constant et le capital variable que celle qui représente de la plus‑value, doivent être vendues. Si cette vente n'a pas lieu ou n'est que partielle, ou si elle a lieu seulement à des prix inférieurs aux prix de production, l'ouvrier certes est exploité, mais le capitaliste ne réalise pas son exploitation en tant que telle: cette exploitation peut s'allier pour le capitaliste à une réalisation seulement partielle de la plus‑value extorquée ou à l'absence de toute réalisation et même aller de pair avec la perte d'une partie ou de la totalité de son capital. Les conditions de l'exploitation immédiate et celles de sa réalisation ne sont pas identiques. Elles ne diffèrent pas seulement par le temps et le lieu, théoriquement non plus elles ne sont pas liées. Les unes n'ont pour limite que la force productive de la société, les autres les proportions respectives des diverses branches de production et la capacité de consommation de la société. Or celle-ci n'est déterminée ni par la force productive absolue, ni par la capacité absolue de consommation, mais par la capacité de consommation sur la base de rapports de distribution antagoniques, qui réduit la consommation de la grande masse de la société à un minimum susceptible de varier seulement à l'intérieur de limites plus ou moins étroites. Elle est en outre limitée par la tendance à l'accumulation, la tendance à agrandir le capital et à produire de la plus‑value sur une échelle élargie. C'est là, pour la production capitaliste, une loi, imposée par les constants bouleversements des méthodes de production elles-mêmes, par la dépréciation du capital existant que ces bouleversements entraînent toujours, la lutte générale de la concurrence et la nécessité de perfectionné la production et d'en étendre l'échelle, simplement pour se maintenir et sous peine de disparaître. Il faut donc que le marché s'agrandisse sans cesse, si bien que ses connexions internes et les conditions qui le règlent prennent de plus en plus l'allure de lois de la nature indépendantes des producteurs et échappent de plus en plus à leur contrôle. Cette contradiction interne cherche une solution dans l'extension du champ extérieur de la production. Mais plus la force productive se développe, plus elle entre en conflit avec la base étroite sur laquelle sont fondés les rapports de consommation. Étant donnée cette base pleine de contradictions, il n'est nullement contradictoire qu'un excès de capital s'y allie à une surpopulation croissante. Car s'il est vrai que le couplage de ces deux facteurs accroîtrait la masse de la plus‑value produite, par là même s'accroît précisément la contradiction entre les conditions dans lesquelles cette plus‑value est produite et celle où elle est réalisée.

Étant donné un taux de profit déterminé, la masse du profit dépend toujours de la grandeur du capital avancé. Mais l'accumulation, elle, est alors déterminée par la fraction de cette masse qui est reconvertie en capital. Or cette fraction puisqu'elle est égale au profit moins le revenu que consomment les capitalistes, ne dépendra pas seulement de la valeur de cette masse, mais aussi du bon marché des marchandises qu'elle va permettre au capitaliste d'acheter: marchandises qui entrent soit dans sa consommation, son revenu, soit dans son capital constant. (On suppose ici que le salaire est donné.)

La masse de capital que l'ouvrier met en oeuvre, et dont il conserve la valeur par son travail en la faisant réapparaître dans le produit, est absolument distincte de la valeur qu'il y ajoute. Si la masse du capital est de 1.000 et le travail ajouté de 100, le capital reproduit sera de 1.100. Si la masse = 100 et que le travail ajouté = 20, le capital reproduit = 120. Le taux de profit est dans le premier cas égal à 10 %, à 20 dans le second. Et néanmoins, de 100, on peut tirer plus d'accumulation que de 20. Et c'est ainsi que le fleuve du capital continue à rouler ses flots (abstraction faite de la dépréciation provenant de l'accroissement de la force productive), autrement dit que son accumulation se poursuit en fonction de la puissance qu'il possède déjà et non du niveau du taux de profit. On peut avoir un taux de profit élevé, pour autant qu'il se fonde sur un taux de plus‑value élevé, si la journée de travail est très longue, bien que le travail soit improductif; pareil taux est encore possible, si les besoins des travailleurs sont très modestes et, de ce fait, le salaire moyen très bas, bien que le travail soit improductif[5]. Au bas niveau des salaires correspondra une absence d'énergie chez l'ouvrier. Le capital s'accumule alors très lentement en dépit du taux élevé du profit. La population reste stagnante et le temps de travail que coûte le produit est considérable, bien que le salaire payé à l'ouvrier soit réduit.

Le taux de profit baissera, non parce que l'ouvrier sera moins exploité, mais parce que, relativement au capital employé, on utilisera, d'une façon générale, moins de travail.

Si, comme nous l'avons montré, un taux de profit décroissant coïncide avec un accroissement de la masse de profit, le capitaliste s'appropriera une portion plus grande du produit annuel du travail sous la rubrique capital (pour remplacer le capital consommé) et une portion relativement moindre sous la rubrique profit. C'est de là que procèdent les illusions imaginatives du curé Chalmers: selon lui, plus serait faible la masse du produit annuel que les capitalistes dépensent comme capital, plus seraient grands les profits qu'ils ingurgiteraient: et alors l'église nationale leur vient en aide pour s'occuper de la consommation, sinon de la capitalisation d'une grande partie du surplus produit. Notre curé confond cause et effet. Du reste, la masse du profit augmente bien avec la grandeur du capital investi, même si le taux est moins élevé. Mais ce fait entraîne en même temps une concentration du capital puisque les conditions de production commandent alors l'emploi de capitaux massifs. Il conditionne aussi sa centralisation, c'est-à-dire l'absorption des petits capitalistes par les gros et la décapitalisation des premiers. C'est encore, mais au deuxième degré seulement, le processus qui aboutit à séparer les conditions de travail et les producteurs, à la catégorie desquels les petits capitalistes appartiennent encore, puisque chez eux leur propre travail joue encore un rôle. Le travail du capitaliste est, en général, en raison inverse de la grandeur de son capital, c'est-à-dire du degré où il est capitaliste, C'est cette séparation entre conditions de travail, d'un côté, et producteurs de l'autre qui constitue le concept de capital, qui, inauguré par l'accumulation primitive[6], apparaît ensuite comme procès ininterrompu dans l'accumulation et la concentration du capital et ici se traduit finalement par la centralisation en peu de mains de capitaux existant déjà et la décapitalisation (c'est maintenant la nouvelle forme de l'expropriation) d'un grand nombre de capitalistes. Ce procès ne tarderait pas à mener la production capitaliste à la catastrophe, si, à côté de cette force centripète, des tendances contraires n'avaient sans cesse un effet décentralisateur.

II. ‑ Conflit entre l'extension de la production et la mise en valeur.

Le développement de la productivité sociale du travail se manifeste de deux manières: primo, dans la grandeur des forces productives déjà créées, dans le volume des conditions de production, ‑ qu'il s'agisse de leur valeur ou de leur quantité, ‑ dans lesquelles a lieu la production nouvelle et dans la grandeur absolue du capital productif déjà accumulé; secundo, dans la petitesse relative, par rapport au capital total de la fraction de capital déboursée en salaire, c'est-à-dire dans la quantité relativement minime de travail vivant requis pour reproduire et mettre en valeur un capital donnée en vue d'une production de masse, ce qui suppose en même temps la concentration du capital.

Si l'on se réfère à la force de travail employée, le développement de la force productive se manifeste encore de deux façons: primo, dans l'allongement du surtravail, c'est-à-dire la réduction du temps de travail nécessaire pour reproduire la force de travail; secundo, dans la diminution de la quantité de force de travail (nombre d'ouvriers), qui est, somme toute, employée pour mettre en oeuvre un capital donné.

Non seulement ces deux mouvements se déroulent parallèlement, mais ils se conditionnent réciproquement; ces deux phénomènes sont l'expression d'une même loi. Néanmoins, ils agissent sur le taux de profit en sens opposé. La masse totale du profit est égale à la masse totale de la plus‑value; le taux de profit: pl/C = plus‑value/capital total avancé.

Mais la plus‑value, en tant que somme totale, est déterminée, primo: par son taux; secundo: par la masse du travail utilisé en même temps à ce taux ou, ce qui revient au même, par la grandeur du capital variable. D'un côté, un des facteurs s'accroît: le taux de la plus‑value; de l'autre, baisse (relativement ou absolument) le second facteur, le nombre des ouvriers. Dans la mesure où le développement des forces productives[7] réduit la part payée du travail utilisé, il augmente la plus‑value, parce qu'il en augmente le taux; toutefois, dans la mesure où il réduit la masse totale de travail employée par un capital donné, il diminue le facteur nombre, par lequel on multiplie le taux de la plus‑value pour obtenir sa masse. Deux ouvriers travaillant douze heures par jour ne peuvent fournir la même quantité de plus‑value que vingt-quatre qui ne travaillent que deux heures, même s'ils pouvaient vivre de l'air du temps et n'avaient pas besoin de travailler du tout pour eux-mêmes. À cet égard, la compensation de la réduction du nombre d'ouvriers par l'accroissement du degré d'exploitation se heurte à certaines limites qu'elle ne peut franchir; donc, si elle peut entraver la baisse du taux de profit, elle ne saurait la faire cesser.

Par conséquent, avec le développement du mode de production capitaliste, le taux de profit diminue, alors que sa masse augmente, à mesure qu'augmente la masse du capital employé. Le taux une fois donné, la masse absolue, dont s'accroît le capital, dépend de sa grandeur présente. Mais d'un autre côté, cette grandeur, une fois donnée, la proportion dans laquelle il croit, le taux de son accroissement dépend du taux de profit. L'augmentation de la force productive (qui, par ailleurs, nous l'avons mentionné, va toujours de pair avec une dépréciation du capital existant) ne peut directement accroître la grandeur de la valeur du capital que si, en élevant le taux de profit, elle augmente l'élément de valeur du produit annuel qui est reconverti en capital. S'il s'agit de la force productive du travail, ce résultat ne peut se produire (car cette force productive n'a directement rien à voir avec la valeur du capital existant), qu'autant qu'elle entraîne une élévation de la plus‑value relative ou encore une réduction de la valeur du capital constant, donc que si les marchandises entrant, soit dans la reproduction de la force de travail, soit dans les éléments du capital constant, sont produites à meilleur marché. Or, ces deux conséquences impliquent une dévalorisation du capital existant et vont de pair avec la réduction du capital variable par rapport au capital constant. Toutes deux entraînent la baisse du taux de profit et toutes deux la ralentissent. Dans la mesure, enfin, où un accroissement du taux de profit provoque un accroissement de la demande de travail, il influe sur l'augmentation de la population ouvrière et par suite de la matière dont l'exploitation seule donne au capital sa véritable nature de capital.

Mais le développement de la force productive du travail contribue indirectement à augmenter la valeur-capital existante en multipliant la masse et la diversité des valeurs d'usage qui représentent la même valeur d'échange et constituent le substrat matériel du capital, ses éléments concrets, les objets matériels qui composent directement le capital constant et, au moins indirectement, le capital variable. Avec le même capital et le même travail, on crée davantage d'objets susceptibles d'être convertis en capital, abstraction faite de leur valeur d'échange; objets qui peuvent servir à absorber du travail additionnel, donc du surtravail additionnel aussi, et donc peuvent servir à créer du capital additionnel. La masse de travail que le capital peut commander ne dépend pas de sa propre valeur, mais de la masse des matières premières et auxiliaires, de l'outillage mécanique et autres éléments du capital fixe, des subsistances qui le composent, quelle que soit la valeur de ces composantes. Quand s'accroît ainsi la quantité du travail employé, donc du surtravail, la valeur du capital reproduit et celle de la valeur supplémentaire nouvellement ajoutée s'accroissent aussi.

Mais il ne faut pas se contenter, à la manière de Ricardo, d'étudier ces deux phases, incluses dans le procès d'accumulation, dans leur coexistence paisible: elles renferment une contradiction qui se manifeste en tendances et phénomènes contradictoires. Les facteurs antagoniques agissent simultanément les uns contre les autres.

Simultanément aux tendances à une multiplication réelle de la population ouvrière, ayant leur origine dans l'augmentation de la fraction du produit social total qui fait fonction de capital, agissent les facteurs qui créent une surpopulation seulement relative.

En même temps que baisse le taux de profit, la masse des capitaux s'accroît. Parallèlement se produit une dépréciation du capital existant qui arrête cette baisse et imprime un mouvement plus rapide à l'accumulation de valeur-capital.

En même temps que se développe la force productive, s'élève la composition organique du capital: il y a diminution relative de la fraction variable par rapport à la fraction constante.

Ces diverses influences ont tendance à s'exercer tantôt simultanément dans l'espace, tantôt successivement dans le temps; périodiquement, le conflit des facteurs antagoniques se fait jour dans des crises. Les crises ne sont jamais que des solutions violentes et momentanées des contradictions existantes, de violentes éruptions qui rétablissent pour un instant l'équilibre rompu.

Pour lui donner une expression tout à fait générale, voici en quoi consiste la contradiction: le système de production capitaliste implique une tendance à un développement absolu des forces productives, sans tenir compte de la valeur et de la plus‑value que cette dernière recèle, ni non plus des rapports sociaux dans le cadre desquels a lieu la production capitaliste, tandis que, par ailleurs, le système a pour but la conservation de la valeur-capital existante et sa mise en valeur au degré maximum (c'est-à-dire un accroissement sans cesse accéléré de cette valeur). Son caractère spécifique est fondé sur la valeur-capital existante considérée comme moyen de mettre en valeur au maximum cette valeur. Les méthodes par les quelles la production capitaliste atteint ce but impliquent: diminution du taux de profit, dépréciation du capital existant et développement des forces productives du travail aux dépens de celles qui ont déjà été produites.

La dépréciation périodique du capital existant, qui est un moyen immanent au mode de production capitaliste, d'arrêter la baisse du taux de profit et d'accélérer l'accumulation de valeur-capital par la formation de capital neuf, perturbe les conditions données, dans lesquelles s'accomplissent les procès de circulation et de reproduction du capital, et, par suite, s'accompagne de brusques interruptions et de crises du procès de production.

La baisse relative du capital variable par rapport au capital constant, qui va de pair avec le développement des forces productives, stimule l'accroissement de la population ouvrière, tout en créant constamment une surpopulation artificielle. L'accumulation du capital, au point de vue de sa valeur, est ralentie par la baisse du taux de profit, qui hâte encore l'accumulation de la valeur d'usage, tandis que celle-ci, à son tour, accélère le cours de l'accumulation, quant à sa valeur.

La production capitaliste tend sans cesse à dépasser ces limites qui lui sont immanentes, mais elle n'y parvient qu'en employant des moyens, qui, de nouveau, et à une échelle plus imposante, dressent devant elle les mêmes barrières.

La véritable barrière de la production capitaliste, c'est le capital lui-même: le capital et sa mise en valeur par lui-même apparaissent comme point de départ et point final, moteur et fin de la production; la production n'est qu'une production pour le capital et non l'inverse: les moyens de production ne sont pas de simples moyens de donner forme, en l'élargissant sans cesse, au processus de la vie au bénéfice de la société des producteurs. Les limites qui servent de cadre infranchissable à la conservation et la mise en valeur de la valeur-capital reposent sur l'expropriation et l'appauvrissement de la grande masse des producteurs; elles entrent donc sans cesse en contradiction avec les méthodes de production que le capital doit employer nécessairement pour sa propre fin, et qui tendent à promouvoir un accroissement illimité de la production, un développement inconditionné des forces productives sociales du travail, à faire de la production une fin en soi. Le moyen ‑ développement inconditionné de la productivité sociale ‑ entre perpétuellement en conflit avec la fin limitée: mise en valeur du capital existant. Si donc le mode de production capitaliste est un moyen historique de développer la force productive matérielle et de créer le marché mondial correspondant, il représente en même temps une contradiction permanente entre cette tâche historique et les rapports de production sociaux qui lui correspondent.

III. ‑ Excédent de capital accompagné d'une population excédentaire.

Avec la baisse du taux de profit augmente le minimum de capital que le capitaliste individuel doit avoir en main pour employer le travail productivement; le minimum requis, aussi bien pour exploiter du travail en général que pour obtenir que le temps de travail utilisé soit le temps de travail nécessaire à la production des marchandises et ne dépasse pas la moyenne du temps de travail socialement nécessaire pour les produire. Et en même temps augmente la concentration, parce qu'au-delà de certaines limites un gros capital à faible taux de profit accumule plus vite qu'un petit capital à taux élevé. Cette concentration croissante entraîne de son côté, à un certain niveau, une nouvelle chute du taux de profit. La masse des petits capitaux éparpillés est ainsi contrainte à s'engager dans la voie de l'aventure: spéculation, gonflement abusif du crédit, bluff sur les actions, crises. Ce qu'on appelle la plethora [pléthore] de capital concerne toujours essentiellement la pléthore du capital pour lequel la chute du taux de profit n'est pas compensée par sa masse ‑ et c'est le cas toujours des bourgeonnements de capital frais qui viennent de se former ‑ ou la pléthore qui, sous forme de crédit, met ces capitaux, incapables d'exercer une action à leur propre bénéfice, à la disposition de ceux qui dirigent les grands secteurs commerciaux ou industriels. Cette pléthore de capital naît des mêmes conditions qui provoquent une surpopulation relative, et c'est donc un phénomène qui vient compléter celle-ci, bien que les deux faits se situent à des pôles opposés, capital inemployé d'un côté et population ouvrière non occupée de l'autre.

Surproduction de capital, non de marchandises singulières ‑ quoique la surproduction de capital implique toujours surproduction de marchandises ‑ signifie donc simplement suraccumulation de capital. Pour comprendre cette suraccumulation (plus loin on en trouvera l'étude détaillée), il suffit de supposer qu'elle est absolue. Quand la surproduction de capital pourrait-elle donc être absolue? Et il s'agit ici d'une surproduction qui n'intéresserait pas seulement tel ou tel secteur de production, ou quelques secteurs importants, mais qui serait absolue dans son volume même, donc engloberait tous les secteurs de production.

Il y aurait surproduction absolue de capital dès que le capital additionnel destiné à la production capitaliste égalerait 0. Or la fin de la production capitaliste, c'est la mise en valeur du capital; c'est-à-dire l'appropriation de surtravail, la production de plus‑value, de profit. Donc, dès que le capital aurait augmenté par rapport à la population ouvrière dans des proportions telles que ni le temps de travail absolu, que fournit cette population, ne pourrait être prolongé, ni le temps de surtravail relatif étendu (ce qui, de toute manière, serait impossible dans une situation où la demande de travail serait si forte; car les salaires auraient tendance à monter); donc, si le capital accru ne produisait qu'une masse de plus‑value tout au plus égale et même moindre qu'avant son augmentation, alors il y aurait surproduction absolue de capital; c'est-à-dire que le capital augmenté C + DC ne produirait pas plus de profit ou même en produirait moins que le capital C avant qu'il ne s'accroisse de DC. Dans les deux cas, se produirait une forte et brusque baisse du taux général de profit, mais cette fois en vertu d'un changement dans la composition du capital qui ne serait pas dû au développement de la force productive, mais à une hausse de la valeur-argent du capital variable (en raison de la hausse des salaires) et à la diminution correspondante dans le rapport du surtravail au travail nécessaire.

Dans la pratique, les choses se présenteraient de la sorte: une portion du capital resterait totalement ou partiellement en jachère (parce que, pour pouvoir seulement se mettre en valeur, il lui faudrait d'abord supplanter du capital déjà en fonction) et l'autre portion, sous la pression du capital inoccupé ou à demi-occupé, serait mise en valeur à un taux peu élevé. Dans cette opération, il importerait peu qu'une fraction du capital additionnel vienne prendre la place d'ancien capital et que celui-ci aille alors occuper une place dans le capital additionnel. Nous aurions toujours d'un côté l'ancienne somme de capital, de l'autre la somme additionnelle. La chute du taux de profit s'accompagnerait cette fois d'une baisse absolue de la masse du profit, étant donné que, dans notre hypothèse, la masse de la force de travail utilisée ne pourrait être augmentée, ni le taux de plus‑value élevé, de sorte que la masse de la plus‑value non plus ne pourrait être augmentée. Et cette masse de profit réduite, il faudrait la calculer sur un capital total agrandi. Mais à supposer même que le capital occupé continue à être mis en valeur à l'ancien taux, que la masse de profit reste donc la même, elle se calculerait toujours par rapport à un capital total augmenté, et ce cas aussi implique une baisse du taux de profit. Si un capital de 1.000 donnait un profit de 100 et qu'après être passé à 1.500 il ne rapporte encore que 100, dans le deuxième cas 1.000 ne rapporte que 66 2/3. La mise en valeur de l'ancien capital aurait donc diminué en valeur absolue. Le capital de 1.000 ne rapporterait pas plus, dans les conditions nouvelles, qu'auparavant un capital de 666 2/3.

Mais il est évident que cette dépréciation effective de l'ancien capital ne pourrait avoir lieu sans lutte, que le capital additionnel à C ne pourrait remplir sans lutte la fonction de capital. Le taux de profit ne baisserait pas à cause d'une concurrence qui proviendrait de la surproduction de capital. C'est l'inverse qui se produirait. C'est parce que les mêmes circonstances font diminuer le taux de profit et provoquent la surproduction de capital, que s'engagerait maintenant la lutte concurrentielle. La portion de DC qui se trouverait entre les mains des premiers capitalistes en fonction, ils la laisseraient plus ou moins en sommeil, pour ne pas dévaloriser eux-mêmes leur capital primitif et ne pas réduire son champ d'activité dans le domaine de la production; ou bien ils l'utiliseraient pour faire supporter aux intrus et d'une façon générale à leurs concurrents, même au prix d'une perte momentanée de leur part, la mise en sommeil du capital additionnel.

La portion de à C qui se trouverait en de nouvelles mains chercherait à se faire une place aux dépens de l'ancien capital et elle y réussirait en partie, en réduisant à l'inactivité une fraction de l'ancien capital, qu'elle obligerait à lui laisser l'ancienne place pour prendre la place du capital additionnel partiellement en fonction ou même complètement inoccupé.

Il devrait dans tous les cas y avoir mise en sommeil d'une partie de l'ancien capital. Il cesserait d'agir en sa qualité de capital, dans la mesure où il doit fonctionner et se mettre en valeur en tant que capital. C'est la concurrence qui déciderait quelle portion cette mise en sommeil affecterait particulièrement. Tant que tout va bien, la concurrence, on l'a vu dans la péréquation du taux de profit général, joue pratiquement le rôle d'une amicale de la classe capitaliste: celle-ci se répartit collectivement le butin commun proportionnellement à la mise de chacun. Mais dès qu'il ne s'agit plus de partager les bénéfices, mais les pertes, chacun cherche autant que possible à réduire sa quote-part et à la mettre sur le dos du voisin. Pour la classe capitaliste, la perte est inévitable. Mais savoir quelle part chaque individu en supportera, si même il doit en prendre sa part, c'est alors affaire de force et de ruse, et la concurrence se mue en combat de frères ennemis. L'opposition entre l'intérêt de chaque capitaliste individuel et celui de la classe capitaliste se fait jour alors de même qu'auparavant l'identité de leurs intérêts s'imposait pratiquement par la concurrence.

Comment ce conflit se résoudrait-il alors et comment seraient rétablies les conditions correspondant au mouvement "sain" de la production capitaliste? Le simple énoncé du conflit qu'il s'agit contient déjà la manière de le résoudre. La solution implique une mise en sommeil et même une destruction partielle d'un montant de valeur équivalent à tout le capital additionnel DC ou au moins à une fraction de ce dernier. Cependant, comme cela résulte déjà de l'exposé du conflit, cette perte ne se répartit nullement de manière uniforme entre les capitaux particuliers: c'est la concurrence qui opère la répartition. Et dans cette lutte, la perte se répartit fort inégalement et sous les formes les plus diverses, selon les avantages particuliers de chacun et les positions qu'il s'est assuré: ainsi un capital sera en sommeil, un autre complètement détruit, un troisième ne subira qu'une perte relative ou ne connaîtra qu'une dépréciation passagère, etc.

Mais, dans tous les cas, l'équilibre se rétablirait par mise en sommeil et même destruction de capital: ces phénomènes pouvant revêtir une ampleur plus ou moins grande. Ils s'étendraient même en partie à la substance matérielle du capital; c'est-à-dire qu'une partie des moyens de production, capital fixe et circulant, ne serait plus en fonction n'agirait plus comme capital; une partie des entreprises en cours d'installation serait fermée. Sans doute, de ce point de vue, le temps attaque et détériore tous les moyens de production (la terre exceptée), mais ici, de par l'interruption de fonction, il se produirait une destruction effective de moyens de production bien plus considérable. Toutefois, sur ce plan, l'effet principal serait que ces moyens de production cesseraient d'agir en qualité de moyens de production; il aurait abolition, pour un temps plus ou moins long, de leur fonction de moyens de production.

La destruction principale, celle qui présenterait le caractère le plus grave, affecterait les valeurs-capital, le capital en sa qualité de valeur. La portion de la valeur-capital qui existe simplement sous la forme de titre sur des parts à venir de plus‑value ou de profit, c'est-à-dire de simples créances sur la production sous diverses formes, est dévaluée aussitôt que baissent les recettes sur lesquelles elle est calculée. Une partie de l'or et de l'argent en espèces est gelée, ne fait plus office de capital. Une partie des marchandises se trouvant sur le marché ne peuvent accomplir leur procès de circulation et de reproduction que grâce à une énorme contraction de leurs prix, donc à une dépréciation du capital qu'elles représentent. De même les éléments du capital fixe sont plus ou moins dépréciés. Il faut ajouter que le procès de reproduction est conditionné par des rapports de prix déterminés, fixés à l'avance et que la chute générale des prix le bloque et le perturbe. Cette perturbation et ce blocage paralysent la fonction de moyen de paiement de l'argent qui repose sur ces rapports de prix fixés à l'avance et qui est donnée en même temps que le développement du capital; ils interrompent à cent endroits la chaîne des obligations de paiement à échéances déterminées; ils sont encore aggravés par l'effondrement correspondant du système de crédit, qui s'est développé avec le capital, et aboutissent ainsi à des crises aiguës et violentes, à de soudaines et brutales dévaluations et à un blocage et une perturbation[8] réels du procès de reproduction entraînant une diminution effective de la reproduction.

Mais, en même temps, d'autres facteurs eussent joué. L'arrêt de la production aurait mis en chômage une partie de la classe ouvrière et ainsi placé la partie occupée dans des conditions telles qu'elle aurait dû consentir à un abaissement de salaire même au-dessous de la moyenne; pour le capital, l'effet est le même que si, avec un salaire moyen, on élevait la plus‑value relative ou absolue. L'ère de prospérité aurait favorisé les mariages ouvriers et réduit la décimation de leur progéniture. Ces faits ‑ quelque accroissement réel de la population qu'ils impliquent ‑ n'impliquent nullement une augmentation de la population qui travaille réellement; mais, pour ce qui est du rapport des ouvriers au capital, cela revient au même que si le nombre des ouvriers vraiment en fonction avait augmenté. La baisse des prix et la concurrence auraient par ailleurs stimulé chaque capitaliste, l'incitant à élever la valeur individuelle de son produit total au-dessus de la valeur générale de celui-ci, grâce à l'emploi de nouvelles machines, de nouvelles méthodes de travail perfectionnées, à de nouvelles combinaisons; elles l'auraient incité, autrement dit, à accroître la productivité d'une quantité de travail donnée, à abaisser la proportion du capital variable par rapport au capital constant et, ce faisant, à libérer des ouvriers, bref, à créer une surpopulation artificielle. En outre, la dépréciation des éléments du capital constant serait elle-même un facteur qui impliquerait l'élévation du taux de profit. La masse du capital constant employé aurait augmenté proportionnellement au capital variable, mais il se pourrait que la valeur de cette masse eût diminué. L'arrêt de la production ainsi survenu aurait préparé un élargissement ultérieur de la production, dans les limites capitalistes.

Et ainsi la boucle serait de nouveau bouclée. Une partie du capital dévalué pour avoir cessé de fonctionner retrouverait son ancienne valeur. Pour le reste, les choses décriraient de nouveau le même cercle vicieux sur la base de conditions de production élargies, d'un marché plus vaste, d'une force productive augmentée.

Mais même dans l'hypothèse extrême que nous avons émise de surproduction absolue de capital, il n'y aurait pas en fait surproduction absolue tout court, surproduction absolue de moyens de production. Il n'y a surproduction de moyens de production que dans la mesure où ceux-ci font office de capital et, partant, impliquent [‑] par rapport à leur valeur qui s'est gonflée avec leur masse [‑] une mise en valeur de cette valeur, dans la mesure où ils doivent créer une valeur additionnelle.

Mais il y aurait néanmoins surproduction, parce que le capital deviendrait incapable d'exploiter le travail au degré voulu par le développement "sain et normal" du procès de production capitaliste, de manière à faire augmenter au moins la masse du profit à mesure que s'accroît la masse du capital employé; cette exploitation devrait donc exclure la possibilité de voir le taux de profit baisser dans la même proportion qu'augmenterait le capital, ou même de le voir baisser plus vite que ne s'accroîtrait le capital.

Surproduction de capital ne signifie jamais autre chose que surproduction de moyens de production ‑ moyens de travail et de subsistance ‑ pouvant exercer la fonction d'être utilisés pour exploiter le travail à un degré d'exploitation donné; cependant que, si ce degré d'exploitation tombe au-dessous d'une certaine limite, cette chute provoque des perturbations et des arrêts de la production capitaliste, des crises, une destruction de capital. Il n'y a pas de contradiction dans le fait que cette surproduction de capital s'accompagne d'une surpopulation relative plus ou moins grande. Les mêmes circonstances qui ont augmenté la force productive du travail, multiplié la masse des produits-marchandises, élargi les marchés, accéléré l'accumulation du capital en masse et en valeur, et abaissé le taux de profit, ont donné naissance à une surpopulation relative et l'engendrent en permanence; les ouvriers en surnombre ne sont pas employés par le capital en excédent en raison du faible degré d'exploitation du travail auquel on pourrait seulement les employer, ou du moins en raison du faible taux de profit qu'ils fourniraient pour un degré d'exploitation donné.

Si on exporte des capitaux ce n'est pas qu'on ne puisse absolument les faire travailler dans le pays. C'est qu'on peut les faire travailler à l'étranger à un taux de profit plus élevé. Mais ces capitaux constituent un excédent absolu de capital pour la population ouvrière occupée et plus généralement pour le pays en question. Ils existent sous cette forme, à côté de la population en excédent relatif, et cet exemple montre comment les deux phénomènes peuvent coexister et se conditionner réciproquement.

D'autre part, la baisse du taux de profit, liée à l'accumulation, suscite nécessairement la lutte concurrentielle. La compensation de la chute du taux de profit par l'accroissement de la masse du profit ne vaut que pour le capital total de la société et les grands capitalistes déjà bien en place. Le nouveau capital additionnel, qui fonctionne de façon autonome, ne trouve pas des compensations de ce genre: il lui faut d'abord les conquérir, et ainsi c'est la baisse du taux de profit qui suscite la concurrence entre les capitaux et non l'inverse. Cette lutte, il est vrai, s'accompagne de hausses de salaire passagères et d'un nouvel abaissement momentané du taux de profit, qui en résulte. Le même phénomène se manifeste dans la surproduction de marchandises, dans la saturation du marché. La fin du capital étant la production de profit et non la satisfaction des besoins, le capital n'atteignant ce but que par des méthodes qui adaptent la masse de sa production à l'échelle de production et non inversement, il doit nécessairement y avoir sans cesse discordance entre les dimensions restreintes de la consommation sur la base capitaliste et une production qui sans cesse tend à franchir cette barrière qui lui est immanente. Du reste, on sait que le capital se compose de marchandises et par suite la surproduction de capital inclut celle des marchandises. D'où la bizarrerie du fait que les mêmes économistes qui nient toute surproduction de marchandises reconnaissent la surproduction de capital. Si l'on vient dire qu'il n'y a pas surproduction générale, mais disproportion à l'intérieur des différentes branches de production, cela revient à dire que, dans le cadre de la production capitaliste, la proportionnalité des secteurs de production particuliers apparaît comme naissant de leur disproportionnalité par un procès constant: l'interdépendance de l'ensemble de la production s'impose aux agents de la production comme une loi aveugle au lieu d'être une loi que la raison associée des producteurs aurait comprise et partant dominée, ce qui leur aurait permis de soumettre le procès de production à leur contrôle collectif. De plus, avec cette thèse, on exige que des pays où le système de production capitaliste n'est pas développé maintiennent leur consommation et leur production au niveau qui convient aux pays de production capitaliste. Dire que la surproduction n'est que relative est tout à fait juste; mais le mode de production capitaliste tout entier n'est précisément qu'un mode de production relatif, dont les limites pour n'être pas absolues, ont, pour lui, sur sa propre base, une valeur absolue. Comment, sinon, serait-il possible que la demande de ces mêmes marchandises, dont la masse du peuple ressent la carence, soit insuffisante et qu'il faille rechercher cette demande à l'étranger, sur de lointains marchés, pour pouvoir payer aux ouvriers du pays la quantité moyenne de subsistances indispensables? C'est parce que ce système spécifique capitaliste avec ses interdépendances internes est le seul où le produit en excédent acquiert une forme telle que son possesseur ne puisse le livrer à la consommation que lorsqu'il se reconvertit pour lui en capital. Dire enfin que les capitalistes n'ont en somme qu'à échanger et à consommer leurs marchandises entre eux, c'est oublier tout le caractère de la production capitaliste et oublier qu'il s'agit de mettre le capital en valeur, non de le consommer. Bref, toutes les objections qu'on fait aux phénomènes palpables de la surproduction (qui, eux, ne se soucient guère de ces objections) tendent à affirmer que les limites de la production capitaliste ne sont pas des limites de la production en soi et partant qu'elles ne peuvent non plus constituer des limites pour ce mode de production spécifique, la production capitaliste. Mais, justement, la contradiction de ce mode de production capitaliste réside dans sa tendance à développer absolument les forces productives, qui entrent sans cesse en conflit avec les conditions spécifiques de production, dans lesquelles se meut le capital, les seules dans lesquelles il puisse se mouvoir.

On ne produit pas trop de subsistances proportionnellement à la population existante. Au contraire. On en produit trop peu pour satisfaire décemment et humainement la masse de la population.

On ne produit pas trop de moyens de production pour occuper la fraction de la population apte au travail. Au contraire. Premièrement, on produit une trop grande fraction de la population qui effectivement n'est pas capable de travailler, qui par les conditions dans lesquelles elle vit n'a d'autre ressource que d'exploiter le travail d'autrui[9], ou est réduite à des travaux qui ne peuvent être tenus pour tels que dans le cadre d'un mode de production misérable. Deuxièmement, on ne produit pas assez de moyens de production pour permettre à toute la population apte au travail de travailler dans les conditions les plus productives, donc pour permettre de réduire son temps de travail absolu grâce à la masse et à l'efficacité du capital constant employé pendant le temps de travail.

Mais on produit périodiquement trop de moyens de travail et de subsistances pour pouvoir les faire fonctionner comme moyens d'exploitation des ouvriers à un certain taux de profit. On produit trop de marchandises pouvoir réaliser et reconvertir en capital neuf la valeur et la plus‑value qu'elles recèlent dans les conditions de distribution et de consommation impliquées par la production capitaliste, c'est-à-dire pour accomplir ce procès sans explosions se répétant sans cesse.

On ne produit pas trop de richesse. Mais on produit périodiquement trop de richesse sous ses formes capitalistes, contradictoires.

La limite du mode de production capitaliste apparaît dans le fait que:

1. Avec la baisse du taux de profit, le développement de la force productive du travail donne naissance à une loi, qui, à un certain moment, entre en opposition absolue avec le propre développement de cette productivité. De ce fait, le conflit doit être constamment surmonté par des crises.

2. C'est l'appropriation de travail non payé et le rapport entre ce travail note payé et le travail matérialisé en général ou, pour parler en langage capitaliste, c'est le profit et le rapport entre ce profit et le capital utilisé, donc un certain niveau du taux de profit qui décident de l'extension ou de la limitation de la production, au lieu que ce soit le rapport de la production aux besoins sociaux, aux besoins d'êtres humains socialement évolués. C'est pourquoi des limites surgissent (déjà pour la production à un degré de son extension, qui, sinon, dans la seconde hypothèse, paraîtrait insuffisant et de loin. Elle stagne, non quand la satisfaction des besoins l'impose, mais là où la production et la réalisation de profit commandent cette stagnation.

Si le taux de profit décroît, il se produit, d'une part, une tension du capital, dans le but de permettre au capitaliste individuel d'abaisser, par de meilleures méthodes, etc., la valeur individuelle de ses marchandises au-dessous de leur valeur sociale moyenne et de réaliser un profit extra pour un certain prix de marché; d'autre part, se développe la spéculation; ce qui la favorise, c'est que tout le monde se lance dans des tentatives passionnées pour trouver de nouvelles méthodes de production, réaliser de nouveaux investissements de capitaux, se lancer dans de nouvelles aventures en vue de s'assurer quelque surprofit, indépendant de la moyenne générale et plus élevé qu'elle.

Le taux de profit, c'est-à-dire l'accroissement relatif de capital, est surtout important pour toutes les nouvelles agglomérations de capital qui se forment d'elles-mêmes. Et si la formation de capital devenait le monopole exclusif d'un petit nombre de gros capitaux arrivés à maturité, pour lesquels la masse du profit l'emporterait sur son taux) le feu vivifiant de la production s'éteindrait définitivement. Celle-ci tomberait en sommeil. Le taux de profit est la force motrice de la production capitaliste, et on n'y produit que ce qui peut être produit avec profit et pour autant que cela peut être produit avec profit. D'où l'angoisse des économistes anglais au sujet de la baisse du taux de profit. Que la simple possibilité de cette baisse puisse faire frémir Ricardo, voilà qui montre précisément quelle compréhension profonde il avait des conditions de la production capitaliste. On lui reproche d'étudier la production capitaliste sans se soucier des "hommes", de ne considérer que le développement des forces productives ‑ de quelque sacrifice en hommes et en valeurs-capital que soient payés ces progrès ‑ c'est justement ce qu'il y a d'important chez lui. Le développement des forces productives du travail social est la tâche historique et la justification du capital. Ce faisant, il crée précisément, sans le savoir, les conditions matérielles d'un mode de production supérieur. Ce qui inquiète Ricardo, c'est que le taux de profit, aiguillon de la production capitaliste, et à la fois condition et moteur de l'accumulation, est menacé par le développement même de la production. Et le rapport quantitatif est ici l'essentiel. En fait, tout cela repose sur une raison plus profonde, dont Ricardo a seulement l'intuition. On aperçoit ici, sur le plan purement économique, c'est-à-dire du point de vue du bourgeois, dans le cadre de la raison capitaliste, du point de vue de la production capitaliste elle-même, les limites de celle-ci, sa relativité; on voit qu'elle n'est pas un système de production absolu, mais un simple mode historique de production correspondant à une certaine époque de développement restreint des conditions matérielles de production.

IV. ‑ Addenda.

La productivité du travail se développe très inégalement dans des branches de production différentes, et il n'y a pas qu'une différence de degré; mais encore ce développement s'opère souvent dans des directions opposées: il en résulte que la masse du profit moyen (= plus‑value) sera nécessairement très au-dessous du niveau qu'on attendrait, à voir le développement de la productivité dans les branches d'industrie les plus avancées. Que la force productive du travail dans les diverses branches d'industrie ne se développe pas seulement dans des proportions différentes mais aussi fréquemment dans des directions opposées, cela ne provient pas seulement de l'anarchie de la concurrence et des particularités du mode bourgeois de production. La productivité du travail est aussi liée à des conditions naturelles, dont souvent le rendement diminue dans la même proportion qu'augmente la productivité ‑ dans la mesure où elle dépend de conditions sociales. D'où un mouvement en sens contraire dans ces sphères différentes. Ici progrès, là régression. Que l'on pense par exemple à la seule influence des saisons dont dépend la quantité de la majorité des matières premières, à l'épuisement des bois, des mines de charbon et de fer, etc.

Si la portion circularité du capital constant, telle que matières premières, etc., augmente sans cesse, quant à sa masse, à proportion de la productivité du travail, ce n'est pas le cas du capital fixe: immeubles, outillage, installations d'éclairage, de chauffage, etc. S'il est vrai que la machine devient plus chère, en valeur absolue, à mesure qu'augmente sa masse physique, relativement, elle devient meilleur marché. Si cinq ouvriers produisent dix fois plus de marchandises qu'auparavant, la dépense de capital fixe ne décuple pas pour autant; la valeur de cette portion du capital constant augmente certes avec le développement de la productivité: elle ne s'accroît tant pas ‑ et de loin ‑ dans la même proportion. Nous avons souligné déjà à plusieurs reprises la différence qu'il y a entre le rapport du capital constant au capital variable, tel qu'il s'exprime dans la chute du taux de profit, et le même rapport, tel qu'il apparaît, avec le développement de la productivité du travail, par référence à la marchandise singulière et à son prix.

[La valeur de la marchandise est déterminée par le temps de travail total, passé et vivant, qu'elle absorbe. L'augmentation de la productivité du travail réside précisément en ceci que la part du travail vivant est réduite et que celle du travail passé augmente, mais de telle sorte que la somme totale de travail contenu dans la marchandise diminue, autrement dit, le travail vivant diminue plus que n'augmente le travail passé. Le travail passé, matérialisé dans la valeur d'une marchandise ‑ la portion de capital constant ‑ se compose pour une part de l'usure du capital constant fixe, pour l'autre de capital constant circulant: matières premières et auxiliaires, absorbées en totalité dans la marchandise.

La portion de valeur provenant des matières premières et auxiliaires doit nécessairement diminuer avec [l'augmentation de] la productivité du travail, parce que, par rapport à ces matières, celle-ci se marque justement par la diminution de leur valeur. Par contre, ce qui précisément caractérise l'augmentation de la force productive du travail c'est que la part fixe du capital constant subit une très forte augmentation et, partant, qu'augmente aussi la fraction de valeur de celui-ci qui est transférée aux marchandises par l'usure. Or pour qu'une nouvelle méthode de production s'avère accroître réellement la productivité, il faut qu'elle transfère à la marchandise prise à part une portion supplémentaire de valeur pour usure de capital fixe moindre que la part de valeur qu'on économise en raison de la diminution de travail vivant : en un mot, il faut que la nouvelle méthode réduise la valeur de la marchandise. Il le faut, cela va de soi, même si, comme cela se produit dans des cas isolés, en plus du supplément d'usure du capital fixe, il vient s'ajouter une portion de valeur supplémentaire pour l'augmentation ou le renchérissement des matières premières et auxiliaires qui entrent dans la valeur de la marchandise créée. Il faut que tous ces suppléments de valeur soient plus que compensés par la réduction de valeur résultant de la diminution du travail vivant.

Cette diminution de la quantité totale de travail entrant dans la marchandise semble donc être la caractéristique essentielle de l'augmentation de productivité du travail, quelles que soient les conditions sociales de production. Dans une société où les producteurs régleraient leur production selon un plan établi à l'avance, et même dans la simple production marchande, la productivité du travail serait de fait mesurée nécessairement à cet étalon. Mais qu'en est-il dans la production capitaliste?

Soit une certaine branche de production capitaliste qui produise une unité normale de sa marchandise aux conditions suivantes: l'usure dit capital fixe se monte par pièce à 1/2 shilling ou 1/2 mark; il entre dans la fabrication pour 17 shillings 1/2 de matières premières et auxiliaires, 2 shillings de salaire; avec un taux de plus‑value de 100 % la plus‑value s'élève à 2 shillings. Valeur totale: 22 shillings ou 22 marks. Pour simplifier, nous supposerons que dans cette branche de production la composition sociale moyenne, donc que le prix de production de la marchandise coïncide avec sa valeur et le profit du capitaliste avec la plus‑value obtenue. Alors le prix de production de la marchandise = 1/2 + 17 1/2 + 2 = 20 shillings, le taux de profit moyen 2/20 = 10 % et le prix de production de chaque pièce de marchandise est égal à sa valeur = 22 shillings ou marks.

Admettons qu'on invente une machine qui réduise de moitié le travail vivant nécessaire pour chaque pièce, mais qui, par contre, triple la fraction de valeur provenant de l'usure du capital fixe. L'affaire se présente alors ainsi: usure = 1 shilling 1/2, matières premières et auxiliaires 17 shillings 1/2 comme naguère, salaire 1 shilling, plus‑value 1 shilling, total 21 shillings ou marks. La valeur de la marchandise a donc baissé de 1 shilling; la nouvelle machine a accru nettement la productivité du travail. Mais pour le capitaliste voici comment la chose se présente: son coût de production est maintenant le suivant: 1 shilling 1/2 d'usure; 17 shillings 1/2 de matières premières et auxiliaires, 1 shilling de salaire, total 20 shillings. La nouvelle machine ne modifiant pas du même coup le taux de profit, il lui faut obtenir 10 % en sus du coût de production, soit 2 shillings; le prix de production est donc inchangé = 22 shillings, mais il est de 1 shilling au-dessus de la valeur. Pour une société produisant dans des conditions capitalistes la marchandise n'est pas devenue meilleur marché, la nouvelle machine ne représente pas un perfectionnement. Le capitaliste n'a donc aucun intérêt à introduire la nouvelle machine; et comme, s'il l'adoptait, il rendrait tout simplement sans valeur son outillage actuel, qui n'est pas encore usé, qu'il le transformerait en simple ferraille, donc qu'il subirait une perte positive, il se garde bien de commettre ce qui serait pour lui une sottise et une utopie.

Donc, pour le capital, la loi de l'augmentation de la force productive du travail ne s'applique pas de façon absolue. Pour le capital, cette productivité est augmentée non quand on peut réaliser une économie sur le travail vivant en général, mais seulement quand on peut réaliser sur la fraction payée du travail vivant une économie plus importante qu'il n'est ajouté de travail passé, comme nous l'avons déjà brièvement indique au livre Ier[10]. Ici, le système de production capitaliste tombé dans une nouvelle contradiction. Sa mission historique est de faire s'épanouir, de faire avancer radicalement, en progression[11] géométrique, la productivité du travail humain. Il est infidèle à sa vocation dès qu'il met, comme ici, obstacle au développement de la productivité. Par là il prouve simplement, une fois de plus, qu'il entre dans sa période sénile et qu'il se survit de plus en plus][12].

*

Voici sous quel aspect se présente, dans la concurrence, la quantité minima de capital, en hausse constante, que l'augmentation de la productivité rend indispensable pour exploiter avec fruit une entreprise industrielle autonome: dès qu'on a introduit partout les nouvelles installations plus coûteuses que les précédentes, les capitaux de moindre importance ne trouvent plus désormais à s'employer dans de telles exploitations. Ce n'est que lorsque les inventions mécaniques dans les diverses sphères de production en sont à leur début, que des capitaux assez petits peuvent fonctionner de manière autonome. D'autre part de très grosses entreprises, qui possèdent une proportion extraordinairement élevée de capital constant, telles que les chemins de fer, n'apportent pas le taux de profit moyen, mais elles n'en versent qu'une partie, sous forme d'intérêt, Sinon le taux de profit général tomberait encore plus bas. Par contre, il y a ici encore pour une grande concentration de capitaux une possibilité d'emploi direct sous forme de capital-actions.

Toute augmentation du capital, donc toute accumulation de capital, n'implique de diminution du taux de profit que si cet accroissement s'accompagne des modifications étudiées plus haut dans le rapport des composantes organiques du capital. Or, en dépit des perpétuels et quotidiens bouleversements dans le mode de production, des fractions plus ou moins grandes dit capital total continuent ici ou là à accumuler pendant certaines périodes sur la base d'un rapport moyen donné de ces composantes, de sorte que leur accroissement n'implique pas de modification organique, ni par conséquent de causes de baisse du taux de profit. Cet accroissement continu du capital ‑ partant, cette extension de la production, sur la base de l'ancienne méthode de production, qui se poursuit tranquillement alors que parallèlement on introduit déjà des méthodes nouvelles ‑ explique à son tour que le taux de profit ne diminue pas dans la même proportion que s'accroît le capital total de la société.

L'accroissement du nombre absolu des ouvriers ne se produit pas dans toutes les branches de production et en tout cas n'y est pas uniforme, en dépit (le la diminution relative du capital variable investi en salaire. Dans l'agriculture, la diminution de l'élément travail vivant petit être absolue.

Du reste, c'est seulement dans le mode de production capitaliste que doit s'accroître absolument le nombre de salariés, en dépit de leur diminution relative. Pour lui, des forces de travail sont en excédent dès lors qu'il n'est plus indispensable de les faire travailler de douze à quinze heures par jour. Un développement des forces productives qui réduirait le nombre absolu des ouvriers, c'est-à-dire permettrait en fait à la nation tout entière de mener à bien en un laps de temps moindre sa production totale, amènerait une révolution, parce qu'il mettrait la majorité de la population hors du circuit. Ici encore apparaît la limite spécifique de la production capitaliste, et on voit bien qu'elle n'est en aucune manière la forme absolue du développement des forces productives et de la création de richesses, mais au contraire qu'elle entre en conflit avec eux à un certain point de son évolution. On a un aperçu partiel de ce conflit dans les crises périodiques qui résultent du fait qu'une partie de la population ouvrière, tantôt celle-ci, tantôt une autre, se trouve être superflue dans son ancienne branche d'activité. La limite de cette production c'est le temps excédentaire des ouvriers. L'excédent de temps absolu dont bénéficie la société ne l'intéresse nullement. Pour elle, le développement de la force productive n'est important que dans la mesure où il augmente le temps de surtravail de la classe ouvrière et non pas où il diminue le temps de travail nécessaire à la production matérielle en général; ainsi elle se meut dans des contradictions.

Nous avons vu que l'accumulation croissante du capital implique l'accroissement de sa concentration. C'est ainsi que s'accroît la puissance du capital, celle des conditions de production sociales rendues autonomes et incarnées par le capitaliste, vis-à-vis des producteurs réels. Le capital apparaît de plus en plus comme un pouvoir social dont le capitaliste est l'agent. Il semble qu'il n'y ait plus de rapport possible entre lui et ce que peut créer le travail d'un individu isolé; le capital apparaît comme un pouvoir social aliéné, devenu autonome, une chose qui s'oppose à la société et qui l'affronte aussi en tant que pouvoir du capitaliste résultant de cette chose. La contradiction entre le pouvoir social général, dont le capital prend la forme, et le pouvoir privé des capitalistes individuels sur ces conditions sociales de production devient de plus en plus criante et implique la suppression de ce rapport en incluant en même temps la transformation de ces conditions de production en conditions de production sociales, collectives, générales. Cette transformation est impliquée par le développement des forces productives en système de production capitaliste et par la manière dont s'accomplir ce développement.

*

Aucun capitaliste n'emploiera de son plein gré un nouveau mode de production, quelle que soit la proportion dans laquelle il augmente la productivité ou le taux de la plus‑value, dès lors qu'il réduit le taux de profit. Mais tout nouveau mode de production do ce genre diminue le prix des marchandises. À l'origine donc le capitaliste les vendra au-dessus du prix de production, peut-être même au-dessus de leur valeur. Il empoche la différence existant entre les coûts de production de sa marchandise et le prix de marché des autres marchandises dont les coûts de production sont plus élevés. Il peut le faire, parce que la moyenne du temps de travail social requis pour produire ces marchandises est supérieure au temps de travail exigé par le nouveau mode de production. Son procédé de production est supérieur à la moyenne des procédés sociaux. Mais la concurrence le généralise et le soumet à la loi générale. Alors intervient la baisse du taux de profit ‑ peut-être d'abord dans cette sphère de production, mais il y aura ensuite péréquation avec les autres secteurs ‑ baisse qui est donc tout à fait indépendante de la volonté des capitalistes.

Sur ce point, il faut encore noter que la même loi règne aussi dans les sphères de production dont le produit n'entre pas, directement ou indirectement, dans la consommation de l'ouvrier, ni dans les conditions de production de ses subsistances; donc, dans les sphères de production où la production à meilleur compte de marchandises ne peut jamais augmenter la plus‑value relative en rendant meilleur marché la force de travail. (Dans toutes ces branches, il est vrai, une réduction du prix du capital constant peut augmenter le taux de profit, l'exploitation de l'ouvrier restant la même.) Dès que le nouveau mode de production commence à se répandre, fournissant ainsi la preuve effective que ces marchandises peuvent être produites à meilleur compte, les capitalistes qui travaillent aux anciennes conditions de production sont obligés de vendre leur produit au-dessous de leur prix de production total, parce que la valeur de cette marchandise a baissé, et que le temps de travail requis chez eux pour sa production est supérieur au temps de production social. En un mot ‑ ce phénomène est un effet de la concurrence ‑ il leur faut également adopter le nouveau mode de production, où le rapport du capital variable au capital constant est moindre que dans l'ancien.

Tout ce qui a pour effet de réduire, par l'emploi de machines, le prix des marchandises ainsi produites, revient toujours à diminuer la quantité de travail absorbée par la marchandise singulière; mais aussi, en second lieu, à diminuer la fraction d'usure de l'outillage, dont la valeur entre dans la marchandise singulière. Moins est rapide l'usure de l'outillage plus est grand le nombre de marchandises sur lequel elle se répartit, plus est considérable le travail vivant que remplace cet outillage, jusqu'au jour où il doit être renouvelé. Dans les deux cas, la quantité et la valeur du capital constant fixe augmentent par rapport au capital variable.

Toutes choses égales d'ailleurs, la capacité d'une nation à économiser sur ses profits varie avec le taux de profit; elle est grande s'il est élevé, faible s'il est bas, mais, quand baisse le taux de profit, il se produit d'autres changements... Un taux de profit bas s'accompagne d'ordinaire d'un taux d'accumulation rapide (rapid rate of accumulation) par rapport aux chiffres de population, comme c'est le cas en Angleterre... un taux de profit élevé, d'une accumulation plus lente (slower rate of accumulation) par rapport aux chiffres de population[13].

Exemples: la Pologne, la Russie, les Indes, etc.  Jones souligne à juste titre qu'en dépit de la baisse du taux de profit les inducements and faculties to accumulate (incitations à accumuler et capacités de le faire) se multiplient. Premièrement, en raison de l'augmentation de la surpopulation relative. Deuxièmement, parce qu'avec l'accroissement de productivité du travail s'accroît la masse des valeurs d'usage, représentées par la même valeur d'échange, donc celle des éléments matériels du capital.  Troisièmement, parce que les branches de production se multiplient. Quatrièmement, par le développement du système de crédit, des sociétés par actions, etc., et de la facilité ainsi créée de convertir de l'argent en capital, sans devenir soi-même capitaliste industriel. Cinquièmement, augmentation des besoins et de la passion de s'enrichir. Sixièmement, augmentation des investissements massifs de capital fixe, etc.

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Trois faits principaux de la production capitaliste:

1. Concentration des moyens de production en peu de mains; ainsi ils cessent d'apparaître comme la propriété des ouvriers qui les utilisent directement et se transforment, au contraire, en puissances sociales de la production. Mais, d'abord, ils apparaissent comme propriété privée des capitalistes. Ceux-ci sont les trustees [syndics] de la société bourgeoise, mais ils empochent tous les fruits qui résultent de cette fonction.

2. Organisation du travail lui-même comme travail social: par la coopération, la division du travail et la liaison du travail et des sciences de la nature.

Dans les deux sens, le système de production capitaliste abolit la propriété privée et le travail privé, quoique sous des formes contradictoires.

3. Constitution du marché mondial.

Par rapport à la population, l'énorme force productive, qui se développe dans le cadre du mode de production capitaliste, et l'accroissement des valeurs-capital (pas seulement de leur substrat matériel), même s'il ira pas lieu dans la même proportion, qui augmentent bien plus vite que la population, entrent en contradiction avec la base du profit de laquelle s'exerce cette énorme force productive et qui, relativement à l'accroissement de richesse, s'amenuise de plus en plus, et avec les conditions de mise en valeur de ce capital qui s'enfle sans cesse. D'où les crises.

 

 

 

 

 

Notes



[1].       Ed. West, Essay on Application of Capital to Land, Londres, 1815. (N. R.)

[2].       [321ignition] Notons que le choix des valeurs pour l'exemple tient compte du lien, analysé par ailleurs, entre d'une part l'élévation de la composition organique du capital et d'autre part l'accroissement du capital total. Ainsi le premier cas (50c + 50v) est illustré en partant d'un capital de 1.000, tandis que le deuxième cas (75c + 25v) l'est en partant d'un capital de 4.000.

[3].       [321ignition] Selon la convention d'écriture appliquée dans l'ensemble du Capital:

Soit C le capital total, qui se divise en un capital constant c et un capital variable v, et qui produit une plus‑value pl. Alors pl´ désigne le taux de plus‑value, c'est-à-dire pl´ = pl/v, et p´ désigne le taux de profit, c'est-à-dire pl/C.

[4].       [321ignition] Cf. notamment: Le Capital, Livre 1er, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1983, Chapitre 22, Sous-chapitre 3: "Partage de la survaleur en capital et en revenu. La théorie de l'abstinence" (dont un extrait ici ►).

[5].       Le texte allemand est bien unproduktiv. Le contexte cependant montre qu'il ne peut pas s'agir ici du "travail improductif" au sens habituel, dans la théorie marxiste, mais seulement d'un travail dont la productivité est très faible. (N. R.)

[6].       Le Capital, Livre I, t. III, chap. XXVI, p. 153. (N. R.)

          [321ignition] Le Capital, Livre 1er, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1983, Chapitre 24, p. 803.

[7].       Dans la première édition "force de production"; corrigé d'après le manuscrit de Marx. (N. R.)

[8].       Dans la première édition, Sturz (effondrement); corrigé sur la base du manuscrit de Marx. (N. R.)

[9].       Traduction littérale du texte allemand. (N. R.)

[10].     Le Capital, Livre I, t. II, chap. XV, p. 76‑77. (N. R.)

          [321ignition] Le Capital, Livre 1er, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1983, Chapitre 13, p. 440‑441:

Si l'on considère la machinerie exclusivement comme moyen de rendre le produit meilleur marché, la limite de son utilisation réside dans le fait que la production proprement dite de celle-ci coûte un moindre travail que celui que son utilisation permet de remplacer. Pour le capital, cependant, cette limite s'exprime d'une manière plus étroite. Puisqu'il ne paye pas le travail employé, mais la valeur de la force de travail employée, l'utilisation des machines sera pour lui limitée par la différence entre la valeur des machines et la valeur de la force de travail qu'elles remplacent. Comme la division de la journée de travail en travail nécessaire et surtravail est différente selon les pays, ou dans un même pays selon les époques, ou encore à une même époque selon les branches d'activité ; comme en outre le salaire réel de l'ouvrier tantôt descend au-dessous de la valeur de sa force de travail, tantôt monte au-dessus, la différence entre le prix de la machinerie et le prix de la force de travail qu'elle est censée remplacer variera fortement, même si la différence entre la quantité de travail nécessaire à la production de la machine et la quantité globale du travail qu'elle remplace reste la même*. Mais c'est seulement la première différence qui détermine pour le capitaliste lui-même les coûts de production de la marchandise, et qui, par les lois impératives de la concurrence, l'influence.

* Note de la deuxième édition. Dans une société communiste la machinerie jouerait donc tout autrement que dans la société bourgeoisie.

[11].     Dans la première édition en allemand: Progressive au lieu de Progression. (N. R.)

[12].     Ce qui précède est entre crochets parce que quelques développements, bien que rédigés d'après une note du manuscrit de Marx, vont plus loin que la matière fournie par l'original. (F. E.)

[13].     Richard Jones: An introductory Lecture on political economy, Londres, 1833, p. 50 et suiv.