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11e Plénum du Comité exécutif
de l'Internationale communiste
(26 mars - 11 avril 1931)

Dmitrij Zaharovič Manuilʹskij
Rapport : Les Partis communistes et la crise du capitalisme
(Extraits)

26 mars 1931

 

 

Source:

D.-Z. Manouilski: Les partis communistes et la crise du capitalisme - Rapport à la 11e Assemblée plénière du Comité exécutif de l'Internationale communiste; Paris, Bureau d'éditions, 1931; p. 48‑56 [1].

Le document en allemand 

 

 

 

 

 

 

Établi: février 2017

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Documents de l'Internationale communiste ‑ Sommaire

 

 

 

 

 

 

Rapport

Introduction

[...]

4. Le principal obstacle, s'opposant à la conquête de la majorité de la classe ouvrière par les partis communistes, à la transformation du mouvement révolutionnaire actuel en luttes décisives du prolétariat et des travailleurs contre le système capitaliste, est représenté par la social-démocratie mondiale et l'appareil des syndicats réformistes. La crise actuelle met en lumière, avec une netteté particulière, le fait que la social-démocratie est devenu un parti du capitalisme parasitaire en voie de décomposition, à sa phase de crise générale, ce qui en fait un parti de régression, de désagrégation sociale et politique, un parti plus réactionnaire, plus contre-révolutionnaire que ne le furent jadis les partis bourgeois, dans la période ascendante du capitalisme. En désorganisant la classe ouvrière, en la poussant dans la voie de la capitulation devant le fascisme, en masquant la fascisation de l'État de classe de la bourgeoisie par des phrases sur le “capitalisme organisé”, sur un “État social au‑dessus des classes”, la social-démocratie tente de réaliser toutes les conditions pour l'écrasement de la classe ouvrière, de ses organisations, de ses conquêtes, en vue de sauver le capitalisme en décomposition, frappé d'une crise générale et par cela même préparer le terrain au fascisme. La social-démocratie est devenue partie intégrante de la dictature bourgeoisie sous toutes ses formes et, notamment, du système fasciste. Elle a pour fonction principale de fournir au fascisme une base sociale, car, comme l'a souligné avec raison Lénine, aucun régime ne peut subsister sans une certaine base sociale. Cela n'exclut pas le fait que, sous les coups de la crise économique qui radicalise les masses, la social-démocratie se voit contrainte de recourir à des manoeuvres de “gauche”, dans les limites où la confine la capacité de manoeuvre du Capital. L'année écoulée a été marquée par une accélération extrême de la fascisation de la social-démocratie, fascisation qu'elle essaie de masquer par des manoeuvres de gauche, qui, ici et là, ont trouvé les partis communistes non préparés à y faire face. Cette combinaison de méthodes fascistes et de phraséologie de “gauche” constitue un nouveau zigzag caractéristique pour la social-démocratie dont ne peuvent pas ne pas tenir compte, pour leur ligne tactique, les partis communistes.

[fin section 4.]

[...]

I. Deux mondes

[...]

II. Menaces de guerres impérialistes et de fascisme

Conséquences sociales et politiques de la crise

Quelles sont les conséquences sociales et politiques de la crise actuelle? La première conséquence, la conséquence principale est une radicalisation de plus en plus marquée de la classe ouvrière, une accentuation de la lutte de classe. La crise, liée à la compression de la production, a transformé, dans tous les pays capitalistes, à quelques exceptions près, le tiers ou la moitié des ouvriers en chômeurs. Cette immense armée de réserve du travail ne sera que partiellement résorbée en cas d'atténuation de la crise actuelle. Elle constitue et constituera à l'avenir une menace permanente pour la société capitaliste, étant un milieu extrêmement sensible à la propagande révolutionnaire. Les nouvelles tentatives de rationalisation capitaliste ‑ qui accompagneront la crise actuelle ‑ vont, à leur tour, disqualifier de nouvelles et immenses couches d'ouvriers et contribuer à l'aggravation de leur situation. La ruine des colonies et des pays agricoles semi-coloniaux, déterminée par la crise, signifie une diminution des surprofits à l'aide desquels la bourgeoisie corrompt l'aristocratie ouvrière. Les faillites de petites banques (aux États‑Unis, par exemple), dont les principaux déposants, outre les fermiers les plus aisés, appartenaient à ces couches de l'aristocratie ouvrière, sapent la situation matérielle de celles‑ci. Et cela mine inévitablement et continuera à miner le terrain sous les pieds de la social-démocratie, laquelle se cramponnera aux postes de l'État capitaliste avec une ténacité d'autant plus grande, afin de conserver comme base d'appui une nombreuse bureaucratie ouvrière intégrée dans l'appareil de l'État capitaliste. D'où rétrécissement de la base d'appui de la social-démocratie dans la classe ouvrière, avec un renforcement continu de sa fascisation.

En outre, les tentatives de la bourgeoisie de spolier la classe ouvrière en profitant de la crise n'ont nullement un caractère épisodique. La bourgeoisie vise à créer un nouveau niveau de vie, plus bas encore qu'auparavant, pour la classe ouvrière.

Ce n'est pas une augmentation du taux des salaires jusqu'au niveau “élevé” de ceux de l'ouvrier américain que le capitalisme apporte au prolétariat, dans la période actuelle de l'accentuation de toutes les contradictions capitalistes; c'est un abaissement des salaires de l'ouvrier américain jusqu'au niveau européen (autrichien), un rapprochement du niveau de vie de l'ouvrier européen de celui des ouvriers coloniaux. Il faut avoir perdu la raison pour penser que la classe ouvrière se laissera éventrer sans résistance pour le salut douteux du capitalisme en voie de désagrégation. Et cela mène, tant dans les conditions du développement de la crise, qu'aux premiers symptômes éventuels d'amélioration de la situation économique, à des luttes formidables de la classe ouvrière.

Une deuxième conséquence de la crise est la radicalisation des masses paysannes. La crise agraire, ayant entraîné la baisse la plus accentuée des prix des produits agricoles et des matières premières coloniales qu'on ait eu à enregistrer durant les années de l'écart entre le prix des produits agricoles et ceux des produits de l'industrie (les “ciseaux”), a porté le dernier coup à la petite propriété paysanne, déjà écrasée par le taux élevé des fermages, par les intérêts usuraires d'emprunts mettant le débiteur à la merci du créancier, par les impôts qui n'ont cessé de s'accroître, par le fardeau de plus en plus lourd du militarisme. La paupérisation des masses paysannes, qui progresse rapidement et crée d'immenses masses d'affamés, ne trouvant aucun emploi, radicalise les paysans, brise en Europe et en Amérique le “front unique” du petit propriétaire paysan avec les koulaks, le grand propriétaire foncier et le capitaliste, engendre une crise dans les "partis paysans" en déterminant au sein de ces partis une différenciation politique qui reflète les processus de différenciation économique dans la classe paysanne.

Les processus de cette radicalisation des paysans, commençant par les formes élémentaires les plus simples d'opposition à la bourgeoisie, se traduisant par un sabotage ou par un refus ouvert du payement des impôts (Indes, Ukraine occidentale), par l'incendie des domaines des propriétaires fonciers (Ukraine occidentale, Mexique), par des soulèvements de paysans spontanés (Syrie, Palestine, Amérique latine), vont jusqu'à la véritable guerre de classe (armées ouvrières et paysannes de Chine).

Une troisième conséquence de la crise est le mécontentement qui commence à se manifester dans les couches inférieures des employés de l'État ou des entreprises privées, par suite d'un abaissement de leur niveau de vie et des “compressions” dictées par les raisons “d'économie”, parmi les intellectuels et le personnel technique de l'industrie, les ingénieurs, les techniciens, en raison de leur “surproduction”, parmi les petits commerçants, intermédiaires, artisans, propriétaires de petits ateliers ruinés par la crise, dans les classes dites moyennes enfin, spoliées, comme au temps de l'inflation, par les gros requins capitalistes, c'est‑à‑dire dans les couches, qui, par suite de notre faiblesse, à nous communistes, constituent le principal réservoir où le fascisme puise ses recrues.

En quatrième lieu, dans le camp des classes dirigeantes, la crise mène au renforcement des positions du capital financier dans tout le système du capitalisme monopolisateur sur la base des processus de concentration du Capital, activés par la crise. Le capital financier absorbe les concurrents plus faibles, submergés avant les autres par l'épidémie des faillites et la baisse des valeurs. Il utilise le mécanisme des trusts et des cartels pour maintenir les prix à un niveau élevé, en faisant retomber les conséquences de leur baisse, principalement sur les branches non protégées de l'économie et sur les producteurs non protégés par des groupements. Il spolie surtout les travailleurs en faisant peser sur eux toutes les suites de la crise. Par ces moyens, le capital financier vise à obtenir une répartition nouvelle, à son plus grand profit, du revenu national diminué du fait de la crise. Cela s'accompagne de l'aggravation de la lutte entre les divers groupes de capitalistes pour leur part de profit: lutte entre capital industriel et capital bancaire, entre rentiers et industriels, entre agrariens et industriels, entre trusts et “outsiders”, entre les différents trusts, etc.

Ce fait, à son tour, mène à la destruction du cadre des anciens partis politiques de la petite bourgeoisie, qui se constituèrent lors d'autres combinaisons des forces des divers groupes de la bourgeoisie; cela provoque chez la bourgeoisie le besoin d'une centralisation extrême des moyens de coercition par l'État. Pour surmonter ses dissensions intérieures en face des masses laborieuses qui la menacent, la bourgeoisie recourt à des tentatives de création d'un parti de coalition ou d'organisation d'un parti fasciste de masse, qui toucherait les masses petites-bourgeoises au seuil de la ruine Ayant perdu la masse qui fut autrefois son ancienne base sociale, la bourgeoisie est obligée de chercher un point d'appui dans une couche nouvelle, flottante, mobile au plus haut point dans ses tendances, dont l'appui ne peut lui être assuré qu'à la condition d'une démagogie sociale, dangereuse et grosse de conséquences.

Dans le domaine des rapports internationaux, une conséquence directe de la crise consiste dans le fait qu'elle pèse surtout sur les faibles et les plus faibles. Son poids retombe sur les pays coloniaux et semi‑coloniaux, sur les pays agricoles constituant le hinterland des grands pays capitalistes. Elle pèse sur les pays politiquement et financièrement dépendants des grands États; comme par exemple la Pologne, les États de la Baltique, les Balkans. Elle pèse sur les pays vaincus dans la dernière guerre impérialiste de 1914‑1918 comme l'Allemagne et l'Autriche. La baisse inégale des prix crée des conditions particulièrement désavantageuses sur le marché mondial pour les pays exportateurs de produits agricoles et de matières premières coloniales, les pays agricoles. Si l'on considère que ces pays sont dans la plupart des cas des pays débiteurs, on comprendra que, en raison de la basse des prix, ils doivent payer plus qu'avant la crise actuelle pour les intérêts de leurs emprunts, exprimés en marchandises. L'Allemagne même, pays hautement industrialisé, doit payer, pour le plan Young[2], 20 % de plus environ, par suite de la baisse générale des prix de 20 %. Et cela mène à une aggravation du problème des réparations, du problème des dettes interalliées et des dettes mondiales en générales; en voilà assez pour activer la maturation d'une crise politique dans ces pays au regard des grands pays capitalistes créanciers.

En même temps, la diminution des chiffres du commerce mondial, témoignant d'une diminution générale de la capacité des marchés extérieurs, ajoute une acuité particulière à la lutte pour ces marchés entre les pays capitalistes, qui recourent, pour conserver leurs positions sur ces marchés et pour conquérir des marchés nouveaux, au système du dumping et du protectionnisme le plus effréné. Dumping et protectionnisme sont deux éléments constitutifs, inséparables l'un de l'autre, de la politique économique du capitalisme monopolisateur. Il est absolument évident que plus les pays capitalistes se barricadent contre la concurrence étrangère derrière un mur de tarifs douaniers élevés, plus les concurrents de ces pays recourent activement au dumping pour battre en brèche le système protectionniste. D'autre part, plus le dumping de ces concurrents est actif, plus les tarifs douaniers deviennent élevés, le but étant de protéger contre ce dumping l'industrie et l'agriculture (nationales).

On entend souvent hurler au “dumping” soviétique. Mais que disent les chiffres de tout le commerce mondial des pays capitalistes? Le sucre polonais, par exemple, est vendu à l'étranger 5 fois moins cher que sur le marché intérieur polonais; les articles en fer se vendent presque deux fois moins cher; la tôle, aux États‑Unis, en Angleterre, en Allemagne, se vend sur les marchés extérieurs à moitié prix en comparaison des prix du marché intérieur. Ces exemples pourraient être multipliés.

Un trait caractéristique du système du dumping consiste en ce que les pertes qu'il fait subir aux capitalistes sur les marchés extérieurs sont compensées par une hausse correspondante des prix sur le marché intérieur. Le système protectionniste, frappant de tout son poids le consommateur du marché intérieur, agit dans le même sens. Autrement dit, les frais de la guerre douanière entre les possesseurs des gros capitaux sont payés en fin de compte par les travailleurs.

Le protectionnisme, s'accroissant sous l'influence de la crise, tend à morceler l'économie capitaliste mondiale, préparant ainsi une sorte de “balkanisation” économique, qui multiplie les contradictions et les causes de conflits, de collisions entre les États capitalistes. Cette balkanisation n'exclut certes pas le fait que ces contradictions et ces conflits qui vont se multipliant gravitent dans l'orbite des antagonismes fondamentaux liés à la lutte pour l'hégémonie mondiale.

Cette guerre économique à foyers multiples crée une multitude de poudrières, une énorme quantité de matériel explosif pour de nouvelles guerres impérialistes et, notamment, pour une nouvelle guerre mondiale. Et enfin, la lutte autour du protectionnisme, se transformant sous l'action de la crise en un débat des classes dirigeantes sur les moyens permettant de prévenir la désagrégation du système capitaliste, entraîne un regroupement dans le camp de la bourgeoisie, un remaniement de ses partis politiques. En Angleterre, qui fut naguère le pays classique de la liberté du commerce, le protectionnisme, devenu le drapeau de la lutte pour la transformation des Dominions et des colonies en pays agricoles, pour leur étouffement économique par le capital anglais, contre la pénétration économique des États‑Unis sur les marchés de l'Empire britannique, bat en brèche, dès à présent, le système traditionnel des “trois partis”[3], en gagnant un nombre de plus en plus grand de partisans au sein de ces partis. Ce processus a trouvé son expression au dernier congrès des trades-unions à Nottingham[4], où la plupart des bureaucrates des syndicats se prononcèrent en faveur du protectionnisme, le reste, représentent les industries d'exportation (houille, textile, industrie électrique) s'étant abstenu. La formation par Mosley[5], ancien membre du Parti labouriste, d'un "Nouveau Parti" ‑ empruntant à Rothermere[6] et à Beaverbrock[7] leur programme protectionniste et au parti soi‑disant ouvrier sa démagogie sociale ‑ parallèlement à l'évolution de la social-démocratie, dans d'autres pays, vers le protectionnisme, montre que le programme protectionniste réactionnaire du capital financier est activement soutenu par la 2e Internationale[8] en voie de fascisation.

Toutes ces conséquences sociales et politiques de la crise donnent un caractère de gravité, de tension extrême à la lutte de classe à l'intérieur des pays capitalistes et à la lutte des cliques dirigeantes de ces pays entre elles, aussi bien sur l'arène internationale qu'à l'intérieur de ces divers pays.

Elles aboutissent:

1. À une aggravation extrême des contradictions qui germent dans le système des rapports internationaux instaurés à Versailles, à une aggravation de la prochaine conflagration armée entre les États impérialistes pour un nouveau partage du monde;

2. À un renforcement de toutes les formes de réaction politique du régime de la dictature de la bourgeoisie et à un passage de plus en plus net aux formes fascistes déclarées de répression contre les travailleurs;

3. À une continuation du développement de l'essor révolutionnaire, à une maturation des prémisses de la transformation de cet essor en crise révolutionnaire.

Aggravation des antagonismes et danger de guerres impérialistes

Le système de Versailles est un système de rapports internationaux issus de la guerre mondiale, dans les circonstances de la crise générale du capitalisme d'après‑guerre. La crise actuelle, découlant de la crise générale du capitalisme, a aggravé à l'extrême toutes les contradictions que ce système implique. Qu'est-ce que le système de Versailles? Lénine, au 2e congrès de l'I.C., en donnait la définition suivante:

1 ¼ milliard d'habitants pour les colonies opprimées, les pays démembrés vivants, comme la Perse, la Turquie, la Chine, pays vaincus et réduits à l'état de colonies. Un quart de milliard au plus pour les pays conservant leur situation d'avant‑guerre, mais tombés, tous sans exception, sous la dépendance économique de l'Amérique, après avoir été pendant la guerre sous sa dépendance du point de vue militaire. Car la guerre s'étendit au monde entier et ne permit à aucun État de rester neutre en fait. Nous avons enfin un quart de milliard au plus d'habitants dont seuls les éléments dominants, bien entendu, les capitalistes, ont profité du partage de la terre.

(Lénine, rapport au 2e congrès de l'I.C.)

Ainsi le système de Versailles est un système d'impérialisme mondial basé sur une longue chaîne d'oppression, c'est une pyramide dont le sommet est représenté par le capital monopolisateur des États‑Unis, qui a soumis à sa dépendance économique certains des pays capitalistes les plus importants (France, Italie, etc.). Les pays tels que la France, maintiennent à leur tour, dans la situation de vassaux une série de pays “victorieux” plus faibles: la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie. Ces derniers pays, dans les limites de leurs frontières, oppriment Ukrainiens, Allemands, Blancs‑Russiens, Croates, Slovènes, Macédoniens, Slovaques, etc. Et à la base de cette pyramide, nous avons 1 ¼ milliard d'habitants des colonies opprimées.

Comment se présente aujourd'hui ce système de Versailles?

En 1931, il revêt un aspect un peu différent de ce que nous avions en 1919‑20. À cette époque, le système de Versailles représentait un agrégat de contradictions politiques et économiques, issues directement de la répartition des forces à la fin de la guerre mondiale. Au bout de dix années de crise du capitalisme d'après‑guerre de nouvelles contradictions se sont manifestées, lesquelles, s'entremêlant avec celles que légua la guerre impérialiste en les reproduisant sur une base plus large, ont créé dans les rapports entre les États capitalistes un écheveau plus complexe, plus embrouillé encore que ce n'était le cas à l'issue de la guerre mondiale. Dans le cadre d'antagonismes capitalistes multiples, dont chacun, pris isolément, peut, dans les stades futurs de son développement, jouer le rôle d'un nouveau Sarajévo[9], l'antagonisme fondamental, décisif du monde capitaliste est celui qui met aux prises l'Angleterre et l'Amérique. Le développement du mouvement révolutionnaire dans l'Inde, où l'Angleterre a investi un milliard de livres sterling, c'est‑à‑dire plus que dans tous les Dominions, les tendances centrifuges de ces derniers, qui évoluent vers leur détachements de l'Empire britannique, l'impétueux assaut des États‑Unis dans les Dominions, aussi bien qu'au Brésil et dans l'Argentine, l'état de crise où se trouve depuis des années l'économie anglaise, l'immense armée de chômeurs qui a existé durant toute la période d'après-guerre, tout cela pose dès maintenant et posera avec une acuité de plus en plus grande la question de l'avenir de l'Empire britannique. La Grande Bretagne, à côté de l'Allemagne, est un pays où s'entrecroisent les contradictions fondamentales de la crise du capitalisme d'après‑guerre. Ici, ces contradictions se développent plus lentement qu'en Allemagne, mais comportent pour l'impérialisme britannique des conséquences tout aussi graves que celles de la guerre impérialiste mondiale pour l'Allemagne. Toutes ces tendances se sont particulièrement accentuées sous l'influence de la crise mondiale, attisant la lutte entre les États‑Unis et la Grande‑Bretagne. Luttant opiniâtrement pour chacune de ses positions, serrée de près par les États‑Unis, la Grande‑Bretagne se voit contrainte de reculer pas à pas: elle a dû reculer devant l'Amérique à la conférence navale de Londres[10], lorsque, après avoir capitulé devant les États‑Unis à la conférence de Washington[11] dans la question de la parité pour les vaisseaux de ligne, elle a dû accepter cette parité, dans les armements navals, pour tous les autres types de vaisseaux également; elle a été obligée de reculer devant la France, rompant avec toutes les traditions de la vieille politique britannique en Europe, dans la question de la reconnaissance de l'hégémonie française sur le continent européen; elle a dû reculer dans les pays de l'Amérique latine, où éclatèrent en 1930, six “révolutions” organisées dans la plupart des cas, par des agents de l'impérialisme américain (Haïti, Saint-Domingue, Pérou, Bolivie, Argentine, Brésil); elle a été forcée de reculer devant les Dominions (derrières lesquels on retrouve les États‑Unis) à la dernière conférence d'Empire[12], dans la question du régime douanier de la nation la plus favorisée, pour les marchandises anglaises dans les Dominions, c'est‑à‑dire de la protection de la Grande‑Bretagne contre la concurrence de tous les autres pays, des États‑Unis en premier lieu. Et ce recul n'est point fortuit ni passager; c'est l'expression des changements intervenus dans la corrélation des forces des puissances capitalistes, changements en maturation lente depuis des décades; c'est le déclin historique de la Grande‑Bretagne, en tant que puissance coloniale, que ne sauveront en fin de compte ni les Baldwin[13], ni les Mac Donald[14] et les Thomas[15], ni les Beaverbrock et les Mosley. Les fossoyeurs de l'Empire britannique seront les peuples coloniaux et semi-coloniaux, entrant dans la voie révolutionnaire sur quatre continents. Pour prévenir la catastrophe vers laquelle la Grande‑Bretagne est amenée par la politique de ses classes dirigeantes, pour prévenir la conflagration armée entre les impérialistes mondiaux, qui aura pour résultat inévitable la défaite de l'Angleterre, pour se sauver elle-même et sauver en même temps tous les travailleurs d'Angleterre, la classe ouvrière, seule capable de le faire ne possède qu'un moyen, la révolution prolétarienne, sous la direction d'un parti communiste de masse.

Mais la bourgeoisie anglaise ne recule pas sans résistance; plus expérimentée dans la politique de la domination mondiale qu'aucune autre bourgeoisie, elle lutte, en remportant des succès passagers sur les divers secteurs du front impérialiste. L'Angleterre avec ses Dominions contrôle encore 87 % de la production mondiale du caoutchouc, 88 % pour le nickel, 69 % pour l'or, 43 % pour l'étain, 30 % pour le zinc, 23 % pour le plomb, 15 % pour l'argent, 77 % pour la laine, 66 % pour le seigle, 27 % pour le froment, etc.; ses compagnies pétrolières luttent, non sans succès parfois, contre les compagnies américaines. Sur tous les points de la terre, l'Angleterre mène une politique extrêmement active, envoyant des missions en vue du renforcement de ses liens économiques et politiques (voyage du prince de Galles dans l'Amérique latine).

Grâce à des méthodes de cruelle répression contre les masses laborieuses, méthodes combinées avec quelques petites concessions à la bourgeoisie nationale, l'Angleterre maintient pour le moment sa domination aux colonies: jusqu'à présent, sa flotte est plus forte que la flotte américaine qui ne représente que 60 % de la flotte anglaise. Ayant admis la parité quantitative, l'amirauté anglaise fait un immense effort en vue d'augmenter la capacité de combat de ses navires et c'est sur ce terrain qu'elle place maintenant la question de la compétition navale. Spéculant sur le “péril jaune”, que représente le Japon pour des Dominions tels que l'Australie et la Nouvelle-Zélande, sur la nécessité de la défense de ces Dominions par la flotte anglaise contre l'invasion japonaise, l'Angleterre tient encore avec ténacité ses Dominions dans l'orbite de sa politique. En face des difficultés intérieures engendrées par la crise, la bourgeoisie anglaise appelle au pouvoir le "Parti ouvrier", qui est à ses ordres, en lui faisant assumer toute la responsabilité de l'odieuse rationalisation capitaliste, de la répression du mouvement révolutionnaire aux colonies, d'un chômage qui prend des proportions gigantesques, de l'offensive capitaliste contre la classe ouvrière. En même temps, les véritables mouvements révolutionnaires qui mûrissaient d'année en année au sein de la grande masse des travailleurs de l'Amérique latine, ont été accélérés par la crise actuelle. Ces mouvements sont déterminés par l'entrelacement dans ces pays de trois formes sociales et politiques (esclavage, féodalité, capitalisme monopolisateur); par la révolution agraire, en maturation, des péons et du prolétariat agricole; par un large mouvement national des Indiens. Ces mouvements sapent la base de l'impérialisme américain dans la même mesure où le mouvement révolutionnaire hindou sape la domination de l'impérialisme anglais. Tout cela montre que la lutte anglo-américaine, dont les péripéties rempliront la troisième période du développement du capitalisme d'après-guerre, sera longue et opiniâtre. En dépit de la théorie ultra-impérialiste d'une victoire économique “pacifique” des États‑Unis sur la Grande‑Bretagne, toute l'évolution de l'antagonisme entre ces deux pays mène inévitablement à une guerre impérialiste mondiale pour un nouveau partage du monde.

La deuxième contradiction qui s'est accentuée et qui sape également le système de Versailles est le plan Young. Bien des gens pensent que le plan Young ne règle que les rapports entre les alliés et l'Allemagne. C'est une erreur, car le plan Young est le pivot du système de Versailles. De même que le plan Dawes[16], il devait, dans la pensée de ses auteurs, constituer le principal point d'appui de la bourgeoisie en ce qui concerne le maintien de la stabilisation capitaliste; et si la stabilisation capitaliste traverse une crise, le plan Young doit également en traverser une.

Vaincue dans la guerre, spoliée, grevée pour plusieurs générations de contributions fantastiques, l'Allemagne, durant toute la période d'après-guerre, a été une plaie sur le corps du monde capitaliste. Les payements au titre des réparations ont été effectués par elle surtout à l'aide des emprunts obtenus. Pour ne pas faire faillite, elle a dû faire tout pour accroître ses exportations. Un fait symptomatique à cet égard est que de tous les pays capitalistes, l'Allemagne seule a augmenté, durant l'année écoulée, ses exportations dans les pays de l'Amérique latine. Mais cela n'a fait qu'augmenter davantage encore l'intensité de la lutte pour les débouchés et rendre plus complexes encore les contradictions du système de Versailles. Privée des minerais lorrains, des bassins houillers de la Sarre et d'une partie de la Haute‑Silésie, ayant renforcé et développé son appareil de production, dans les années de stabilisation relative, par l'application de la rationalisation capitaliste, mais n'ayant plus de colonies, l'Allemagne a été durant toute la période d'après‑guerre en proie à une dépression chronique, déterminée par la contradiction croissante entre son économie et la politique de Versailles et interrompue par des périodes très brèves d'essor fébriles. Pour pouvoir supporter la pression de la France impérialiste sur le terrain des réparations, pour conserver les positions du capital allemand tant à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur, les classes dirigeantes de l'Allemagne reportèrent le fardeau des réparations sur les épaules de la classe ouvrière, abaissant progressivement son niveau de vie. C'est précisément le système de Versailles, avec ses conséquences politiques et sociales, qui a été une des causes de la radicalisation de la classe ouvrière allemande et de la force crois sante du Parti communiste allemand, issu de la révolution et de la guerre civile de 1918‑19.

La crise ayant éclaté, toutes les contradictions, tant intérieures qu'extérieures, se trouvèrent portées à l'extrême, créant pour le prolétariat allemand une situation intolérable: d'où la maturation des prémisses d'une crise politique en Allemagne, développement du fascisme, croissance du mouvement communiste, témoignant d'un revirement de plus en plus marqué des masses, qui s'engagent dans la voie de la révolution prolétarienne. D'où également tension des rapports entre les cliques capitalistes des pays vainqueurs et tous ceux que Versailles rabaissa et frustra (Bulgarie, Hongrie, etc.) et dont le fascisme italien tenta de diriger le mouvement “antiversaillais”. L'accord naval provisoire conclu entre la France et l'Italie sur l'initiative du gouvernement travailliste[17], les pourparlers secrets[18] des fascistes allemands avec les représentants de l'impérialisme français[19], toute l'évolution du fascisme dans le sens de loyauté à l'égard des engagements de Versailles après les élections du 14 septembre en Allemagne (vote contre la proposition communiste de suspendre les payements au titre des réparations[20]) confirment une fois de plus que le Parti communiste et le prolétariat sont le seul parti et la seule classe luttant effectivement contre le système de Versailles.

En troisième lieu, l'année écoulée a été marquée par une aggravation des antagonismes entre les colonies et tout le système de l'impérialisme mondial. Les mouvements révolutionnaires aux colonies, durant toute la période d'après‑guerre, ont été la conséquence d'une dure oppression féodale et impérialiste, du réveil de la conscience nationale de la masse des travailleurs, d'une exploitation barbare des ouvriers coloniaux, de la spoliation des paysans indigènes par les méthodes de rapine les plus brutales.

La crise mondiale a aggravé et intensifié toutes les formes d'esclavage de centaines de millions de travailleurs indigènes, aux colonies. La chute des prix mondiaux les a frappés les premiers, et plus durement, en accélérant le processus de paupérisation des paysans coloniaux, ce qui devait forcément provoquer des manifestations de mécontentement de la part des masses. Les années 1929‑1930 se sont écoulées sous le signe d'insurrections coloniales spontanées, qui ont englobé les pays du Pacifique, l'Orient arabe et le coeur de l'Afrique nègre.

Mais ce fut dans l'Inde, en Chine et en Indochine que le mouvement national révolutionnaire revêtit les formes les plus intenses. La lutte révolutionnaire dans ces pays menace directement les fondements mêmes de la domination coloniale des impérialistes. Dans ces pays la classe ouvrière apparaît peu à peu au premier plan. En Chine, le Parti communiste devient déjà le dirigeant du fort mouvement ouvrier et paysan. Dans ces pays, les problèmes du pouvoir et de la révolution agraire sont posés d'une manière radicale. En Chine, sur un vaste territoire, ils reçoivent une solution pratique.

En rétrécissant ou en supprimant tout à fait un certain hombre des débouchés les plus importants, en augmentant les risques et en diminuant les profits de l'investissement des capitaux par les impérialistes, le mouvement révolutionnaire aux colonies a contribué à son tour à l'approfondissement de la crise mondiale.

Et enfin, il est nécessaire de noter l'aggravation de la question nationale, qui s'est traduite par le mouvement paysan dans l'Ukraine occidentale, réprimé avec une cruauté inouïe par le gouvernement fasciste polonais. Ce mouvement, qui a éclaté, au coeur même de l'Europe, parmi les paysans ukrainiens, échus en partage à la Pologne du fait du traité de Versailles, a une importance symptomatique beaucoup plus grande qu'il ne semblerait au premier abord. Le mouvement en Ukraine occidentale, c'est la révolte des travailleurs contre la balkanisation capitaliste de l'Europe, contre le système des parcelles éparses appliqué par le pacte de Versailles dans le domaine politique et national. De tels mouvements, au fur et à mesure de l'ébranlement du système de Versailles, doivent inévitablement se développer partout: en Alsace-Lorraine et dans les Flandres, aux Balkans et dans la partie orientale de l'Europe capitaliste. D'où nécessité, pour les communistes, de réserver une plus grande attention à la question de l'oppression nationale, de montrer plus d'activité dans la mobilisation des masses pour lutter contre cette oppression et pour défendre le droit de libre disposition allant jusqu'à la séparation.

Le cadre du système de Versailles, créé par le jeu des forces des pays vainqueurs à l'issue de la guerre mondiale, est devenu trop étroit pour tous. Pour les États‑Unis, parce que les principales colonies et les plus vastes continents sont exploités par l'Angleterre, parce que l'Angleterre veut garder l'empire absolu des mers. Pour l'Angleterre, parce que la France domine l'Europe capitaliste, parce que la France est devenue une rivale dangereuse de l'Angleterre en ce qui concerne la mainmise sur les colonies et la possession de "mandats" de la Société des nations. Pour la France, parce que l'Allemagne n'est pas définitivement écrasée. Pour l'Allemagne parce qu'on lui a enlevé “ses propres” sources de matières premières, les colonies, parce que de riches régions industrielles ont été détachées d'elle, parce que des "corridors"[21] ont été créés sur son territoire. Pour l'Italie, parce qu'elle a besoin d'une route libre, vers l'Afrique par la Méditerranée pour y diriger l'excédent de sa population et pour spolier les indigènes africains. Pour tous les petits rapaces, les pays vassaux, parce qu'ils se trouvent à l'étroit sur les territoires qui leur ont été réservés par leurs maîtres, parce que chacun d'eux vise à l'expansion aux dépens du voisin.

Le résultat de tout cela est que, la crise, en aggravant les antagonismes entre les États impérialistes, en intensifiant le joug impérialiste pesant sur les pays coloniaux et les nations opprimées, ébranle le système de Versailles, rapproche le début d'une période de guerres, renforce le mouvement révolutionnaire aux colonies et le mouvement national révolutionnaire dans les pays capitalistes groupant des nations différentes.

Le fascisme

Au développement des contradictions et de l'offensive de l'impérialisme dans les rapports internationaux correspond, à l'intérieur des États capitalistes, une accentuation de la lutte de classe, un renforcement de la dictature bourgeoisie, qui prend de plus en plus des formes franchement fascistes pour écraser les travailleurs. La réaction politique qui, en tant que système gouvernemental, s'est accentuée dans tous les pays capitalistes au fur et à mesure du développement de l'impérialisme, constitue un second aspect de ce dernier, celui de son offensive intérieure.

Le régime du fascisme ne représente pas un type nouveau de gouvernement; il n'est qu'une des formes de la dictature bourgeoisie dans la phase impérialiste. Le fascisme est un produit organique en quelque sorte de la démocratie bourgeoise. Le processus de passage de la dictature bourgeoise à des formes de répression ouverte contre les travailleurs constitue l'essence même de la fascisation de la démocratie bourgeoisie. Il n'existe nulle part aujourd'hui de démocratie bourgeoise du type qui caractérisait les révolutions bourgeoises du siècle dernier; en fait, nous avons des formes bourgeoises démocratiques de dictature capitaliste dans l'époque impérialiste et de crise générale du capitalisme, c'est-à-dire des démocraties bourgeoises en voie de fascisation.

L'ensemble des États capitalistes modernes offre l'aspect d'un agrégat composé d'États fascistes (Italie, Pologne) et de démocraties bourgeoises pénétrées d'éléments fascistes et arrivées à des stades divers de fascisation, comme par exemple la France et l'Angleterre. Même les pays qui sont encore actuellement au stade de la révolution bourgeoise-démocratique, comme par exemple le Mexique et d'autres pays de l'Amérique latine dans l'entourage mondial impérialiste, franchissent l'étape menant aux formes fascistes de dictature bourgeoise dans un laps de temps très court, dont les jours et les semaines correspondent à des années et des décades de l'histoire des démocraties bourgeoises européennes. Marx a dit que la démocratie bourgeoise est une forme de tournant historique, non une forme de conservation de la bourgeoisie. En prenant une forme démocratique, la bourgeoisie achetait la participation active du prolétariat aux révolutions bourgeoises démocratiques. Mais, le lendemain de la prise du pouvoir par elle, cette forme évoluait vers la réaction politique.

D'où cette première déduction que, seul un libéral bourgeois peut opposer la démocratie bourgeoise actuelle au régime fasciste, la considérer comme une forme politique procédant d'un type différent. En l'opposant ainsi au fascisme, la social-démocratie trompe consciemment les masses, leur cache le fait que l'État capitaliste moderne représente la dictature de la bourgeoisie aussi bien lorsqu'il revêt la forme d'une démocratie bourgeoise en voie de fascisation que lorsqu'il adopte la forme ouverte du fascisme.

Mais la seconde et très importante déduction est qu'on ne saurait méconnaître les étapes du développement de la fascisation des états capitalistes; que, pour l'élaboration d'une ligne tactique et juste, il faut soigneusement analyser et étudier les conditions et facteurs concrets accélérant le processus de la fascisation de la bourgeoisie et de l'État bourgeois. Les erreurs qui ont été commises dans certaines sections en ce qui concerne le fascisme montrent que les unes (du groupe Kostjeva[22] en Pologne) tendaient à opposer au fascisme le principe de la démocratie bourgeoise alors que d'autres (Autriche et Finlande) se réduisaient en fait à la négation des étapes dans le développement de la dictature fasciste. Les unes et les autres étaient dues à l'absence d'une analyse concrète du degré d'acuité de la lutte de classe, de celui de la crise des milieux dirigeants, de celui, par conséquent, de la fascisation des partis bourgeois. L'erreur opportuniste du groupe Kostjeva n'a pas consisté dans l'assimilation du social-fascisme au fascisme, mais dans le fait que ce groupe n'a pas discerné le degré avancé de la fascisation du Parti socialiste polonais dans les conditions concrètes de la Pologne.

L'établissement de la dictature fasciste peut se faire de différentes manières: progressivement, par ce qu'on appelle la voie “sèche”, elle se produit là où une forte social-démocratie désarme le prolétariat en l'exhortant à respecter la légalité, livre ses positions une à une au fascisme et le mène à la capitulation, comme ce fut le cas en Autriche. En Allemagne, on travaille aussi de cette façon‑là à l'établissement du fascisme par “voie sèche”. Mais c'est précisément parce qu'il existe en Allemagne un fort parti communiste, mobilisant chaque jour les ouvriers pour la lutte contre la dictature bourgeoise fasciste, que la méthode autrichienne d'établissement de la dictature fasciste en Allemagne est impossible.

La forme fasciste de la dictature bourgeoise n'est pas seulement le produit de processus "objectifs" dans le camp des classes dirigeantes, mais un produit du rapport des forces de classe. L'établissement de la dictature fasciste suppose soit une retraite du prolétariat (sans lutte ou avec lutte même), soit sa défaite temporaire dans la lutte. Un autre mode d'établissement de la dictature fasciste (Italie, Pologne) est le coup d'État fasciste. Prenant, en ce qui concerne les rapports entre les diverses cliques bourgeoisies se combattant, un caractère de vaudeville, de tels coup d'État sont exclusivement dirigés contre le prolétariat, classe opprimée qui menace la société capitaliste d'une révolution générale. Mais dans l'un et l'autre cas, l'établissement de la dictature fasciste demeure, dans une égale mesure, une contre-révolution préventive.

Fréquemment, on considère ces “révolutions” fascistes comme l'instauration de la dictature fasciste ou sa consolidation définitive. Cela est faux. Le fascisme italien a réalisé la plupart des tâches de fascisation après la “marche sur Rome”[23]. La social-démocratie, en particulier, spécule sur le fantôme de la "révolution fasciste", et endort la vigilance des ouvriers au sujet de la fascisation par la voie “sèche”. Mais il y a également des communistes qui, hypnotisés par l'idée de la "révolution fasciste", pensent que la lutte contre les fascistes commence à partir du moment où ceux-ci descendent en armes dans la rue pour réaliser le "coup d'État". La théorie du "fascisme coup d'État" procède en fait d'une conception absolument superficielle, parlementaire du fascisme. L'élément décisif dans le fascisme serait soi‑disant l'abolition du Parlement, la liquidation des institutions de la démocratie bourgeoise. En réalité, ce qui constitue l'élément essentiel du fascisme ‑ c'est son offensive ouverte contre la classe ouvrière par toutes les méthodes de la contrainte et de la violence; c'est la guerre civile contre les travailleurs. La suppression de tous les vestiges de la démocratie bourgeoisie n'est qu'un résultat accessoire, secondaire de cette ligne fondamentale décisive, de l'offensive de classe contre le prolétariat. D'ailleurs, la suppression du Parlement sous la dictature fasciste n'est point obligatoire, exemple: la Pologne.

Souvent nous voyons des camarades souligner, dans leurs définitions du fascisme, les traits que ceux‑ci eux‑mêmes font particulièrement ressortir quand ils parlent de leur régime de brigandage, comme, par exemple, le caractère corporatif de l'État fasciste, l'idéologie nationaliste renforcée ("la Grande Italie", "Le Troisième Empire"), ainsi que toute l'enveloppe moyenâgeuse dont le fascisme entoure son offensive, etc. Mais ce n'est pas là non plus l'essence du fascisme, c'est plutôt un revêtement idéologique qui montre toute l'incapacité des classes dirigeantes de donner à l'époque de crise générale du capitalisme de nouvelles idées, et la nécessité pour elle d'évoquer le passé, de même que le tsarisme russe, qui, à la veille de sa chute, tentait d'évoquer les temps de Minine et de Pojarski ou d'Ivan Kalita[24].

La forme corporative de l'État n'est destinée en réalité qu'à masquer l'établissement d'une dictature bourgeoise ouverte sur la classe ouvrière. L'idéologie nationaliste ne sert en fait qu'à envelopper l'offensive impérialiste très moderne des États capitalistes. Le fascisme n'est pas une réminiscence du moyen‑âge, c'est le produit du capitalisme monopolisateur, basé sur la concentration et la centralisation du capital (trusts et cartels) aboutissant à une centralisation monstrueuse de tout l'appareil d'oppression des masses, avec intégration dans cet appareil des partis politiques, de l'appareil de la social-démocratie, des syndicats réformistes, des coopératives etc. Le fait contribuant à donner un caractère monstrueux aux formes idéologiques du fascisme est qu'il représente la façade politique du capitalisme en décomposition. Mais cette idéologie rétrograde est mêlée à des attributs idéologiques de la démocratie bourgeoise de l'époque du capitalisme monopolisateur, avec la théorie du “capitalisme organisé”, de “la démocratie économique”, de “paix industrielle”, du “capitalisme d'État ère nouvelle des rapports sociaux”, de l´“État au-dessus des classes”, etc. Le fascisme, qui n'a pas inventé la poudre, n'a pas non plus inventé ces théories, il les a empruntées toutes faites à la social-démocratie, en les enveloppant de formules moyenâgeuses. Et cette communion idéologique est la meilleure preuve de l'affinité qui existe entre le fascisme et le social-fascisme. C'est ce que dit la social-démocratie elle‑même par la bouche d'Albert Thomas: "Le socialisme et le fascisme ne diffèrent que dans leurs méthodes. Ils représentent, l'un comme l'autre, les intérêts des ouvriers"[25]. Cela est encore confirmé par le changement de base sociale de la social-démocratie, qui s'oriente de plus en plus vers les couches constituant la base de masse du fascisme (petite bourgeoisie, employés, etc.). Cette idéologie et cette base sociale communes découlent de ce facteur essentiel que le fascisme et le social-fascisme servent dans une égale mesure les intérêts du capitalisme en décomposition, au stade de sa crise générale. La social-démocratie fait l'apologie non seulement du capitalisme en général, mais du capitalisme en décomposition, et elle assume la responsabilité de l'existence de ce capitalisme, avec toutes ses contradictions et toutes ses conséquences. Au commencement de 1930, Renner[26] écrivait (Gesellschaft, n° 2, 1930)[27]:

La guerre civile détruit notre économie à tel point qu'il devient indifférent, en fin de compte, de savoir qui est vainqueur et qui est vaincu! Les deux parties sont réduites à la misère, et, dans l'état actuel de l'économie mondiale, elles sont incapables de se relever.

Renner dit ensuite:

Les intérêts de la classe ouvrière, à l'heure actuelle, dans l'état présent de l'évolution économique et politique, s'identifient presque toujours avec l'intérêt général suprême.

...l'intérêt général suprême ‑ c'est l'économie “générale”, c'est-à-dire l'économie capitaliste en voie de décomposition[28].

Ici, l'ancienne notion de “la défense de la patrie”, au nom de laquelle la social-démocratie poussa les ouvriers de tous les pays à la boucherie en 1914, est dépassée; la social-démocratie pose ouvertement, cyniquement, en tant qu'idée centrale au stade de la crise actuelle, la tâche de sauver le capitalisme, expirant même sous l'action de facteurs objectifs.

Qu'y a‑t‑il donc de décisif dans le fascisme au point de vue de notre tactique?

Tout d'abord, l'offensive de la bourgeoisie contre la classe ouvrière, les coups successifs portés à ses organisations révolutionnaires ‑ partis communistes, syndicats rouges et autres organisations de masse; le but est d'écraser le mouvement ouvrier révolutionnaire en exterminant son noyau actif par la destruction physique ou les arrestations en masse, la suppression de la presse ouvrière, l'abolition d la liberté, déjà restreinte par la démocratie bourgeoisie, de la parole, de réunion, de participation ouvrière aux élections, par un système de terreur inouïe à l'égard des ouvriers, par l'écrasement dans le sang de chaque mouvement du prolétariat, par l'attribution d'un pouvoir illimité au patronat. Cet écrasement du mouvement ouvrier s'accompagne soit de l'incorporation par la violence de tous les ouvriers dans les organisations fascistes (Italie), soit d'un partage de l'influence entre fascistes et social-fascistes, ces derniers devenant les agents du fascisme au sein de la classe ouvrière (Pologne). Dépassant même les méthodes tsaristes d'étouffement du mouvement ouvrier, le fascisme base sa domination sur l'esclavage économique et politique d la classe ouvrière avec la dictature bourgeoise et perfectionne le système de l'asservissement du travail à l'État capitaliste.

Deuxièmement, la bourgeoisie, aidée par le fascisme, s'efforce d'annihiler la lutte de classe en lui substituant une offensive unilatérale de la classe capitaliste contre les travailleurs; il réalise la fameuse "collaboration de classe" de la démocratie bourgeoise par des méthodes de violence ouverte, aussi bien économiquement que politiquement. Il abolit le droit de grève, en le remplaçant par le système de l'arbitrage obligatoire, que, d'un trait de plume, on incorpore dans le code du travail des démocraties bourgeoisies en voie de fascisation. La notion de l´“État au‑dessus des classes” lui sert, comme à la social-démocratie, de moyen d'étouffer la lutte de classe du prolétariat, en rejetant le langage hypocrite de la démocratie bourgeoise, ce qui donne à l'oppression de la dictature bourgeoise un caractère de plus en plus franc et cynique.

Troisièmement, la bourgeoisie, aidée par le fascisme, transforme définitivement les organisations syndicales réformistes ou même les nouveaux syndicats fascistes, spécialement créés par lui, en instruments de coercition de l'État capitaliste, tout comme la police, les tribunaux, la caserne, la prison. S'efforçant ainsi d'incorporer des couches isolées de la classe ouvrière dans le système de dictature fasciste, renforçant à l'extrême la capacité d'oppression de l'appareil d'État, le fascisme tend à parachever dans le domaine politique, ce que fait dans le domaine économique le système du travail à la chaîne, c'est-à-dire transformer l'ouvrier en un appendice de toute la machine d'oppression capitaliste.

Quatrièmement, le capitalisme monopolisateur remplace le vieux système des partis politiques par une organisation terroriste semi‑militaire ou militaire du Capital, qui prend la forme d'un "parti fasciste unique", adapté aux buts de guerre civile. Ce réarmement de la bourgeoisie s'exprime premièrement par la réorganisation de ses forces armées en une armée mécanisée des cadres; deuxièmement par la formation, parallèlement à cette armée, de détachements spéciaux de cadres fascistes. On délaisse l'ancien type d'armée, basé sur le principe du service obligatoire, parce qu'il peut menacer d'insurrections révolutionnaires. Dans cette période de guerres et de révolutions, la bourgeoisie craint d'armer le peuple. De là l'idée d'une armée mercenaire, d'une armée de cadres, mécanisée, d'une armée de spécialistes dans l'art de détruire les hommes. Le porte-parole de ces tendances est le général anglais Fuller[29]. Fuller défend l'idée d'une "petite armée de machines", c'est‑à‑dire une "armée de chevaliers cuirassées" composée de fascistes à toute épreuve. Aux ouvriers et paysans, chair à canon, il assigne un rôle d'auxiliaire, d'armée d'occupation, à laquelle on ne saurait confier de puissants engins de guerre. Le général allemand Seckt[30] se prononce également pour une petite armée de mercenaires; il se base en cela sur l'expérience de la dernière guerre et surtout sur l'exemple de l'armée russe, "qui a succombé par suite de sa complète désagrégation". La bourgeoisie rêve d´"une garde bourgeoise d'élite" hautement mécanisée et qui aura pour tâche de porter le premier coup à l'adversaire et d'assurer les cadres dirigeants de la "grande" armée, du "peuple armé". Cette même idée, sous couleur de "réduction des armements" est soutenue en fait par la social-démocratie.

En même temps, on voit se multiplier partout, dans les pays capitalistes, les détachements fascistes armés (les casques d'acier[31] en Allemagne, les streletz[32] en Pologne, les schutzkor[33] en Finlande, la Heimwehr[34] en Autriche, etc.). Pour juger de la force numérique de ces troupes fascistes, il faut savoir que l'organisation polonaise des streletz compte plus de 600.000 membres, dont 1.000 officiers et 5.000 sous‑officiers, qui s'occupent de la préparation militaire constante des autres membres de l'organisation; en Roumanie, l'organisation des "Voinici"[35] compte 200.000 membres. En Finlande, une seule organisation fasciste féminine, la "Lotta Sviard"[36] compte 50.000 membres ayant reçu une préparation militaire. En outre, il existe dans tous les pays des organisations patriotiques, sportives, boys-scouts et autres, qui, au fond, sont également des organisations fascistes. La "Ligue polonaise de défense aérienne et chimique"[37] compte 500.000 membres, la "Légion britannique"[38] 500.000 membres, etc.

Le fascisme pourrait‑il réaliser toute cette politique de brigandage sans avoir une certaine base de masse? Certes, non! Le capitalisme monopolisateur développe le déclassement des couches de la société, par suite de la ruine de paysans, petits producteurs, artisans et commerçants, d'une surproduction de cadres techniques, de l'augmentation du nombre des commissaires et en général de gens vivant de revenus fortuits. Les villes modernes des pays capitalistes regorgent d'éléments de ce genre, parmi lesquels se recrutent les criminels de droit commun, les prostituées et les aventuriers de toutes sortes. Dans les périodes critiques, comme, par exemple, après la fin de la guerre mondiale, cette armée de déclassés a vu ses rangs grossir par l'afflux d'officiers sans emploi, dont l'unique profession était l'art de tuer et qui procurèrent des bandes à tous les aventuriers d'alors: Mussolini, d'Annunzio[39], Noske[40], Kapp[41] et autres. La crise actuelle augmente encore le nombre des éléments déclassés. Par la corruption politique, la bourgeoisie en voie de fascisation fait de ces éléments le squelette de son mouvement; ce dernier englobe encore la petite bourgeoisie urbaine, les paysans riches, une grande partie des étudiants, des ecclésiastiques, des militaires, etc.

Pour retenir dans son camp toute cette masse de ses partisans extrêmement bigarrée et sujette à des fréquentes fluctuations, pour gagner certaines couches de la classe ouvrière, le fascisme doit recourir à une démagogie grossière, unissant les exigences réactionnaires les plus inouïes à une phraséologie presque socialiste. L'existence de l'Union soviétique, dont la création a ouvert l'ère des révolutions prolétariennes, et le développement de l'esprit révolutionnaire parmi les masses, obligent le fascisme à s'adapter à l'époque actuelle, à lancer des appels “révolutionnaires”, contre la démocratie bourgeoise prostituée. En spéculant sur la misère et la détresse des masses, entraînant dans la politique les couches passives de la population, en détruisant l'influence de la social-démocratie, un des solides piliers du capitalisme, en brisant par sa politique de violence ouverte les préjugés profondément enracinés de la légalité bourgeoise, le fascisme, produit de la crise capitaliste, accentue lui-même l'instabilité du système capitaliste, prépare sa propre ruine et la ruine de tout ce système. Mais la défaite du fascisme n'est point assurée. Elle ne le sera qu'en face d'une lutte active de la classe ouvrière, organisée et dirigée politiquement par un parti communiste fort, mobilisant les masses dans une haine de classe contre le fascisme. Souvent, cette haine de classe profonde, farouche du fascisme ne se traduit pas complètement dans la politique des communistes, qui, de même que les masses, se laissent jusqu'à un certain point hypnotiser par la phraséologie “presque révolutionnaire” du fascisme. Il est inexplicable que la presse communiste ait pu parler des fascistes comme des ennemis de l'ordre existant. Duquel? Du régime de la dictature bourgeoise, ou seulement de la forme parlementaire de ce régime? Mais ce n'est pas ce qui détermine la nature du fascisme. Le fascisme n'est point ennemi de la dictature bourgeoise; il est au contraire sa forme la plus nette. On ne saurait lutter contre le fascisme sans lutter contre toutes les formes de la dictature bourgeoise, contre toutes ses mesures réactionnaires frayant la voie à la dictature fasciste.

Et cela signifie premièrement qu'il faut, pour lutter contre le fascisme, dénoncer systématiquement les mensonges social-démocrates; en effet, ces mensonges couvrent le caractère contre-révolutionnaire de la dictature bourgeoise, de phrases sur la "démocratie", paralysent ainsi la classe ouvrière dans sa lutte contre la dictature du Capital et endorment sa vigilance au sujet du fascisme qui monte. Cela signifie deuxièmement que seule une lutte résolue des communistes contre la dictature bourgeoise, qui revêt encore la forme de la démocratie bourgeoise, assurera le succès dans la lutte contre le fascisme. Cela signifie, en troisième lieu, que la lutte contre le fascisme, de même que la lutte contre la guerre doit être menée non seulement lorsque canons et mitrailleuses sont entrés en action, mais tous les jours, contre toutes les formes de l'offensive du Capital, dans le domaine économique, comme dans le domaine politique.

Le développement du fascisme pose devant les partis communistes les tâches suivantes:

Large défense des ouvriers contre les bandes fascistes par la création dans les entreprises d'organismes de lutte de masse sur la base du plus large front unique avec les ouvriers social-démocrates; renforcement du travail parmi la jeunesse ouvrière qui n'a connu ni la guerre ni la révolution; lutte sans répit pour la jeunesse ouvrière contre le fascisme, contre l'Église catholique et protestante, les organisations à caractère militaire qui empoisonnent la jeunesse avec leur propagande réactionnaire; renforcement du travail parmi les chômeurs et lutte contre l'influence fasciste parmi cette catégorie; création de gardes ouvrières pour défendre la presse et les organisations de la classe ouvrière, la vie des militants révolutionnaires les plus actifs contre le fascisme qui saccage et assassine; propagande, organisation et réalisation de grèves politiques de masse, un des moyens de lutte les plus efficaces contre le fascisme; lutte pour l'hégémonie du prolétariat sur les éléments laborieux, semi‑prolétariens et petit-bourgeois des villes et des campagnes, avant tout par le renforcement des organisations révolutionnaires du prolétariat, par la mobilisation de ces masses autour de mots d'ordre de lutte concrets, contre les impôts ruineux, contre le renchérissement de la vie et la politique des prix pratiquée par les trusts et cartels, contre la spéculation bancaire, contre l'usure et le paiement des fermages, pour la confiscation de la terre, pour le programme des revendications du prolétariat rural, contre toutes les formes d'oppression nationale (économique, politique, culturelle).

III. L'essor révolutionnaire

La troisième partie de mon rapport sera consacrée aux caractéristiques de l'essor révolutionnaire.

La première question qu'il faut examiner est celle du caractère de la poussée révolutionnaire actuelle. Est‑elle un épisode déterminé par des facteurs agissant temporairement, ou bien définit‑elle toute une période historique du mouvement ouvrier mondial? Le mouvement ouvrier connaît des flux et des reflux. Au cours de ces dernières années, nous avons été les témoins d'un mouvement aussi grand que celui de la grève générale anglaise après laquelle la vague révolutionnaire a quelque peu reflué en Angleterre. Nous nous souvenons que la fin de la guerre impérialiste en Allemagne, fin provoquée par la révolution de Novembre, a été marquée par une grande poussée révolutionnaire dont l'aboutissement a été le renversement de la monarchie, aussi bien en Allemagne qu'en Autriche-Hongrie, et la formation des Soviets des ouvriers et des soldats.

En quoi l'essor révolutionnaire actuel se distingue-t-il de celui de 1918‑19? Dans la phase de stabilisation partielle du capitalisme, des mouvements de masse ont éclaté spontanément. Quelle place occupent‑ils dans la caractéristique que nous donnons de l'essor révolutionnaire? Toutes ces questions sont sciemment estompées par les renégats de droite et trotskistes pour démontrer qu'il n'y a aucune poussée en 1931 (?)[42], mais qu'il y a une offensive du Capital, le triomphe de la réaction politique et l'accroissement du fascisme, que la classe ouvrière se trouve au cours de la crise dans une position de défensive plus prononcée que jusqu'à présent. Il faut établir avant tout que la poussée révolutionnaire actuelle est la poussée d'une seconde vague de révolutions et de guerres en voie de maturation. Elle se distingue de la première vague de 1918‑19 en ce qu'elle n'a pas encore atteint la même intensité; par contre elle se déroule dans des conditions où l'État de la dictature prolétarienne s'est renforcée; où s'édifie le socialisme et où la construction du fondement de l'économie socialiste est en train de s'achever, où la différenciation du mouvement ouvrier est fortement avancée contrairement aux années 1918‑19; où des partis communistes se sont formés et renforcés politiquement après 12 années d'expérience de la classe ouvrière qui a vu la social-démocratie au pouvoir dans différents pays capitalistes avancés; où l'aggravation des contradictions du capitalisme était beaucoup plus profonde qu'en 1918‑19.

Le fait seul que le nombre des foyers révolutionnaires s'est multiplié dans tous les coins du monde capitaliste (Chine, Inde, Indochine, Amérique latine) témoigne que la seconde vague des révolutions et des guerres n'aura pas un caractère purement européen, mais un caractère mondial.

C'est pourquoi aussi la deuxième vague des guerres et des révolutions ébranlera le monde plus profondément que la poussée révolutionnaire de 1918‑19; elle sera, de par son ampleur, la continuation de la révolution d'Octobre 1917 et, dans différents pays capitalistes, conduira à la victoire du prolétariat.

Contrairement à ce que pense Otto Bauer[43], il n'y aura pas un retour de la crise actuelle à la stabilisation capitaliste. Mais la décomposition du capitalisme se poursuivra, de même que la croissance de la poussée révolutionnaire continuera avec une force nouvelle. C'est précisément parce qu'il s'agit de la poussée de toute une époque historique, et non pas d'une poussée momentanée, que des oscillations conjecturales y sont possibles. Nous en avons eu des exemples plus d'une fois au cours de l'année dernière. Aux États‑Unis, le Parti communiste a réussi, le 6 mars, à faire descendre dans la rue près de 1 million un quart d'ouvriers. Néanmoins, cette année, le 25 février, les communistes américains ne sont parvenus à mettre sur pied que 300.000 hommes environ.

La poussée révolutionnaire actuelle se développe d'une façon inégale. C'est ainsi que certains pays en dépassent d'autres puis régressent quelque peu et se laissent devancer par les retardataires. Ainsi, il n'est pas exagéré de dire que, en comparaison avec tous les autres pays, c'est en Tchécoslovaquie que la journée internationale de lutte contre le chômage a été le mieux réalisée cette année, tant en ce qui concerne sa préparation que par son caractère combatif. Mais malgré cette inégalité, ces flux et reflux du mouvement, la ligne générale du développement de l'essor révolutionnaire suit sans conteste dans son ensemble une courbe ascendante.

Ici se pose la question des explosions spontanées partielles du mouvement (insurrection de Cracovie en 1923[44], où les soldats polonais sont passés aux côtés des ouvriers, manifestations contre l'exécution de Sacco et Vanzetti[45] en 1927, insurrection de Vienne du 15 juin[46]), et celle du rôle et de la portée de pareilles explosions à l'époque de la poussée révolutionnaire actuelle. Lénine écrivait en 1916 que tant de matières inflammables s'étaient accumulées en Europe, qu'un incident, comme celui de Saverne[47], pouvait aboutir à une explosion de la révolution. Depuis lors, ces matières inflammables ont encore augmenté. Mais l'esprit d'organisation et l'expérience de la bourgeoisie dans sa lutte contre la révolution prolétarienne sont également devenus plus grands. Il est incontestable cependant, que dans les conditions actuelles, l'épouvantable situation des masses, par suite de la faim, de la misère et des souffrances qu'elles endurent, provoque un mécontentement de plus en plus grand et chaque explosion peut devenir le point de départ de plus grands mouvements révolutionnaires.

L'erreur de certains communistes fut, surtout pour le camarade Zinoviev[48], qu'ils considéraient chacune de ces explosions partielles d'importance locale, comme la fin de la stabilisation capitaliste et le commencement d'une nouvelle ère révolutionnaire. D'autre part, le point de vue opportuniste qui représente l'offensive du Capital et l'accroissement du fascisme comme un processus unilatéral, comme étant seulement un renforcement des positions de la bourgeoisie, témoigne d'un défaitisme et d'une capitulation complète devant l'ennemi de classe. Ce point de vue n'est pas juste, ne serait‑ce que parce que l'offensive la plus opiniâtre du Capital et l'accroissement le plus grand de la réaction politique ont lieu précisément dans les pays dont la situation économique est la plus ébranlée, et où les prémisses de crise révolutionnaire sont en train de mûrir. Mais si l'on se figure même une telle situation paradoxale où la classe ouvrière des pays capitalistes ne fait que reculer, ce qui est contraire aux faits de la lutte de classe, alors l'offensive gigantesque seule que mène le prolétariat de l'U.R.S.S. contre les éléments capitalistes de la ville et de la campagne réfute totalement cette théorie de liquidateurs, cette théorie de retraite générale du prolétariat mondial.

Mais affirmer que dans les pays capitalistes le prolétariat ne fait que reculer, c'est mentir ignominieusement. La crise économique révolutionnarise les masses. Que signifient donc une manifestation comme celle du 1er septembre à Budapest[49], des collisions sanglantes comme celles qui se répètent presque chaque jour en Allemagne, des grèves qui se sont déroulées contre toutes les forces coalisées du Capital comme celle de la Ruhr[50], des événements comme ceux de Chine et des Indes, d'Espagne et des pays de l'Amérique latine, l'effervescence qui commence parmi la social-démocratie, l'inquiétude des classes dirigeantes?

On ne doit pas considérer d'une façon trop simpliste la question de la poussée révolutionnaire, mais on ne peut pas ne pas voir aussi les difficultés qui sous la crise se présentent dans la lutte de la classe ouvrière. La tactique du patronat dans sa lutte contre le mouvement de grève est devenue plus complexe: le Capital s'efforce maintenant de diviser la résistance des ouvriers en déclenchant une offensive, non pas seulement dans chaque rayon, mais fréquemment aussi dans chaque entreprise; lors de la conclusion des contrats sur les tarifs, il fixe pour chaque région des délais différents pour la durée des contrats, afin de briser de la sorte l'unité d'offensive du prolétariat; enfin, il a recours au système des contrats à brève échéance qui lui permettent de réduire peu à peu les salaires. La crise, selon les déplacements qu'elle opère au sein du prolétariat (chômeurs et non chômeurs), selon qu'elle entraîne dans le mouvement d'autres couches sociales (paysannerie, population pauvre des villes, employés) a fait modifier également l'importance des différentes formes de lutte. Si jusqu'à la fin de 1929, la forme prédominante qui caractérisait la poussée révolutionnaire était le mouvement de grève, à présent, par contre, il y a, outre les grèves, d'autres formes de lutte qui trouvent une application toujours plus vaste: manifestations de chômeurs, collision des masses avec la police dans les rues, refus de payer les impôts, soulèvements de paysans avec des formes de lutte comme celles qui furent employées en Ukraine occidentale. Le mouvement de grèves qui se développa au cours de cette année réfute le mensonge des réformistes et des opportunistes qui prétendent qu'en temps de crise il est impossible de faire grève. À Berlin[51], dans la Ruhr[52], en Ecosse[53], dans le Pays de Galles[54], et surtout dans le Lancashire[55] et dans d'autres endroits encore, le prolétariat a fait grève et pas mal du tout. Mais il devient plus difficile d'utiliser les grèves comme moyen de lutte. À présent, l'importance de toute grève économique a considérablement augmenté par rapport aux années précédentes de la poussée révolutionnaire. En quoi s'exprime le niveau plus élevé de la poussée révolutionnaire actuelle, par rapport aux années précédentes? En ce que les communistes dans différents pays capitalistes et dans certains cas commencent à diriger eux-mêmes les batailles de classe.

Actuellement, en Chine, les communistes ne sont certes pas en train d'accomplir une campagne du nord victorieuse, n'occupent ni Shanghai ni d'autres centres industriels, mais, d'autre part, ils n'ont pas un Tchang Kaï Chek pour les frapper dans le dos au moment de la victoire[56]. En tant que parti, ils dirigent maintenant eux-mêmes l'Armée rouge chinoise des paysans et des ouvriers contre Tchang Kaï Chek, contre tous les généraux contre-révolutionnaires et les forces coalisées du front impérialiste. Dans la conquête de l'hégémonie du prolétariat au sein du mouvement national-révolutionnaire, ils ont accompli depuis 1926 un énorme progrès décisif, en portant le mouvement révolutionnaire à un niveau plus élevé, par suite de sa différenciation de classe.

Les communistes d'Europe ne mènent pas en ce moment des grèves générales de l'ampleur de la grève anglaise de 1926[57] qui, au moment décisif, a été trahie par les Purcell[58], les Citrine[59] et autres membres du Conseil général[60]. Mais en tant que parti ils mènent en toute indépendance, à l'encontre des syndicats réformistes, des grèves, comme celle de la Ruhr, en faisant un sérieux pas en avant en vue de conquérir la direction du mouvement ouvrier. Ces faits témoignent que le Parti communiste allemand et le Parti communiste chinois, malgré le niveau différent de leur développement, de leur influence, de leur expérience bolchévik, résout à sa façon, selon la situation nationale concrète dans laquelle ils se trouvent, la question primordiale, celle de la conquête de la majorité de la classe ouvrière, par de justes moyens bolchéviks.

Depuis le 10e Plénum[61], nous avons fait encore très les peu en ce qui concerne la direction indépendante des combats de classe. Mas il serait sot de geindre comme le font dans nos rangs les opportunistes sur le prétendu rétrécissement de la base de l'influence communiste, du fait que les communistes sont passés à une direction indépendante des combats de classe. Si les communistes dirigeaient eux‑mêmes, seuls, des mouvements tels que la grève générale anglaise ou la campagne du Nord, cela signifierait qu'ils ont conquis la majorité de la classe ouvrière et des masses travailleuses et cela entraînerait la victoire rapide de la révolution prolétarienne. Ce stade supérieur de la poussée révolutionnaire se caractérise par la radicalisation des combats de classe, par suite de la direction indépendante de ces combats par les communistes. C'est précisément pour cela que les grèves économiques, comme l'a démontré la Ruhr, acquièrent une importance politique sous la direction indépendante des communistes. Aussi, on peut affirmer que tout mouvement s'effectuant sous une direction communiste tendra à passer à un stade supérieur, car son développement ne sera pas entravé par les fonctionnaires réformistes qui ont toujours tiré le mouvement en arrière. Notre faiblesse consiste en ce que, dans la plupart des partis communistes, nous ne sommes pas allés au‑delà de l'adoption de résolutions, approuvant en principe la direction indépendante des combats de classe. Assurer une direction indépendante des batailles de classe n'est pas une tâche qui se résout en deux ou trois mois ou en deux ou trois semaines. Parmi les communistes, il y en a qui éprouvent toujours le besoin d´“imaginer” quelque nouvelle tâche pour chaque Plénum du C.C.: certains estiment que pour résoudre la tâche il suffit d'écrire une résolution et croient qu'en 1931 nous avons déjà dépassé toutes les tâches des "trois périodes" d'après‑guerre. C'est le plus néfaste des préjugés. La direction indépendante des batailles de classe exigera encore beaucoup de temps pour être réalisée. Elle est une partie intégrante du grand problème stratégique de la conquête de la majorité de la classe ouvrière posé par le C.E. de l'I.C. devant les partis communistes au 10e Plénum. Or, la solution de cette tâche présume, en plus de la direction indépendante des batailles de classe, l'ébranlement de la base de la social-démocratie qui trouve un solide appui dans les syndicats réformistes. La décision de différents partis communistes de s'orienter sur une organisation indépendante du mouvement syndical révolutionnaire est une décision d'une portée vraiment historique. Elle prouve que la question de la poussée révolutionnaire est posée sérieusement devant les masses et que les communistes tirent les déductions révolutionnaires pratiques de leur travail courant d'organisation en se basant sur le caractère et le rythme de la poussée révolutionnaire actuelle. C'est seulement sur sa force montante que les communistes pourront reconstruire et consolider un mouvement syndical révolutionnaire indépendant.

La politique de trahison de la bureaucratie syndicale réformiste au cours de la crise actuelle crée pour les partis communistes des conditions favorables à la réalisation de cette tâche. Partout où les partis communistes étaient encore faibles, de vastes possibilités s'ouvrent à eux pour développer et renforcer rapidement le mouvement de l'opposition syndicale révolutionnaire. Pour ces partis, c'est ici la voie la plus importante pour gagner une direction indépendante des luttes de classe, pour gagner la majorité de la classe ouvrière.

Dans les pays où le prolétariat possède de forts partis communistes, ceux‑ci doivent renforcer et étendre le mouvement syndical révolutionnaire indépendant au cours de mouvement de masse du prolétariat, ils doivent oeuvrer par tous les moyens à élever la combativité des syndicats rouges dans la lutte contre l'offensive du Capital. C'est seulement dans la lutte dc classe que les communistes peuvent forger des syndicats révolutionnaires de masses, capables en réalité de préparer et de diriger les luttes économiques du prolétariat et de devenir en matière d'organisation des points d'appuis des partis communistes pour la conquête de la majorité de la classe ouvrière. Or, où en sont maintenant les choses dans le domaine de la conquête de la majorité de la classe ouvrière? Nous devons constater que depuis le 10e Plénum, parmi les quatre partis indiqués par le Plénum et qui se sont rapprochés le plus de la conquête de la majorité de la classe ouvrière, l'un d'entre eux, le P.C.A., a fait un réel progrès; le P.C. de Tchécoslovaquie a commencé à bien travailler ces derniers temps pour résoudre cette tâche, le P.C. de Pologne a également fait des progrès, mais le Parti français a quelque peu régressé.

L'erreur de nombreux communistes après le 10e Plénum venait de ce qu'ils considéraient le problème de la conquête de la majorité de la classe ouvrière, de la conquête de la direction indépendante des batailles de classe comme pouvant être résolu d'un seul effort. Cette erreur n'était pas fortuite. Elle découlait d'un point de vue erroné sur le caractère et le rythme de la poussée révolutionnaire. Ces camarades en avaient considérablement réduit les délais et simplifié ce mouvement en se le représentant comme suivant une ligne sans cesse ascendante en quelque sorte comme une fusée qui s'élèverait sans se ralentir et sans aucun flottement résultant des conjonctures; cette erreur s'aggrave encore du fait que la question de la poussée révolutionnaire se posait devant la masse du Parti d'une façon excessivement abstraite, d'une façon mécanique sans qu'il soit tenu compte des particularités spécifiques de chaque pays, particularités qui déterminent son rythme et sa forme de développement. Or, cette position poussait à passer par-dessus les problèmes compliqués et minutieux du "gros travail" d'organisation, créait un état d'esprit d'enthousiasme aveugle, incitait à s'orienter sur le laisser-aller, sur la spontanéité et simplifiait trop la façon de poser toutes les tâches du Parti. L'élément révolutionnaire, pensait‑on, pousserait spontanément les masses vers les communistes; la direction indépendante des luttes de classe par les communistes s'imposerait dans la classe ouvrière sans faire de grands efforts: la social-démocratie est déjà démasquée, elle s'effondrera pour ainsi dire d'elle‑même et les communistes n'auront plus qu'à donner un coup de pouce. La grève économique "dégénérera" en grève politique dans les conditions de la "troisième période", sans que les communistes aient ébranlé les positions des réformistes dans la classe ouvrière, etc. Nombre de communistes ont abordé trop facilement le problème décisif et important de la grève politique de masse. Maintenant, après s'être heurté aux difficultés qui se sont présentées dans la réalisation d'une telle grève, certains pensent que la question de la grève politique de masse a été remise à un avenir lointain. Or, le 10e Plénum du C.E. de l'I.C. a précisé que le problème de la grève politique de masse est le problème décisif dans la période actuelle:

L'emploi d'une arme telle que la grève politique de masse aidera les partis communistes à apporter plus d'unité d'action dans les luttes économiques dispersées de la classe ouvrière, à procéder à une vaste mobilisation des masses prolétariennes et à augmenter par tous les moyens leur expérience politique, en les amenant directement à la lutte pour la dictature du prolétariat.

(Extrait de la résolution du 10e Plénum "Sur la situation internationale et les tâches à l'ordre du jour de l'I.C.".)

La question de la grève politique de masse acquiert à présent, au moment où, dans certains pays capitalistes, la crise économique tend à se transformer en crise politique, une importance d'actualité encore plus grande que lors du 10e Plénum du C.E. de l'I.C. La radicalisation rapide des masses, la désorientation des classes dirigeantes, une certaine désorganisation de la machine étatique du Capital, la profonde effervescence régnant au sein de la social-démocratie créent les prémisses de l'emploi avec succès de cette arme de lutte de classe. La grève politique de masse est importante pour lutter contre l'offensive du fascisme et la menace d'intervention.

Toute l'expérience du mouvement ouvrier mondial a montré que c'est précisément au moment de la maturation de la crise politique révolutionnaire que la grève politique de masse devient de mot d'ordre d'agitation et de propagande un mot d'ordre d'action. Ce fut le cas en 1905 en Russie, ce fut le cas au cours des années révolutionnaires de 1918‑23 en Allemagne, c'est le cas actuellement en Espagne, en Chine, aux Indes, c'est‑à‑dire partout où le pouvoir est ébranlé et où le mouvement révolutionnaire prend de l'extension.

Les grèves politiques de masse se succédant alors rapidement et augmentant en force, en proportion et en intensité, deviennent le prélude de la lutte armée de la classe ouvrière pour le pouvoir. Mais il ne faut pas appliquer d'une façon machinale et erronée à tous les pays, ce que Lénine a écrit sur la grève politique de masse dans les conditions existantes en‑1905. Dans les pays capitalistes les plus importants, le prolétariat ne marche pas vers une révolution démocratique bourgeoise, mais vers une révolution prolétarienne; la disposition des forces de classe y est tout autre, la question des alliés du prolétariat se pose autrement, le degré d'influence de la social-démocratie est différent, etc. La transition des grèves économiques aux grèves politiques est beaucoup plus difficile dans ces pays qu'elle ne l'est en Chine, aux Indes et en Espagne. Pour que le mot d'ordre de la grève politique de masse, de mot d'ordre d'agitation, devienne un mot d'ordre d'action, il faut encore un grand travail politique et d'organisation pour gagner la direction indépendante des batailles de classe, pour saper la base sociale de la social- démocratie, principal obstacle à la réalisation de la grève politique de masse.

Or, dans la pratique, les communistes n'avaient pas lié le problème de la réalisation de la grève politique de masse à celui de la direction indépendante des batailles de classe et l'ébranlement de l'influence de la social-démocratie; ils fondaient beaucoup plus d'espoir sur le facteur spontané qui joue dans les pays capitalistes ayant une forte social-démocratie, un rôle moindre qu'aux Indes ou en Chine et en 1905 en Russie.

De là au vertige par suite des succès, il n'y a pas loin. Le P.C. des États‑Unis après le succès vertigineux remporté le 6 mars n'a pas remarqué à temps que les syndicats révolutionnaires avaient perdu de leurs effectifs au cours du déchaînement de la crise mondiale et que ses campagnes de recrutement au Parti qui annonçaient l'adhésion de nouveaux milliers de membres n'avaient pas fortement augmenté les effectifs par suite de grandes fluctuations et du fait que les jeunes membres du Parti qui, faute d'avoir alors reçu une éducation politique suffisante, s'écartaient tranquillement. En Hongrie, après le succès du 1er septembre du Parti communiste, celui‑ci fixa une "marche de la faim", sans procéder à un sérieux travail politique et organique préalable, escomptant qu'à présent tout était évident pour les masses, comme c'était évident à la jeune direction combative du Parti communiste hongrois. Or, comme la grande masse ouvrière ignorait tout, même à Budapest, de la "marche de la faim", celle‑ci échoua, n'aboutissant qu'à la mobilisation de grandes forces de la gendarmerie et de la police hongroises. Le P.C. français, lui, au cours de l'année écoulée, n'avait eu aucune raison d'être pris de vertige, mais cela ne l'a pas empêché aussi dans la pratique de commettre des exagérations du même genre dans son travail journalier.

À l'occasion du 6 mars et du 1er Mai 1930, le Parti communiste français a lancé le mot d'ordre "grève politique de masse" sans avoir aucunement préparé les masses à un mouvement de ce genre. Lorsqu'on s'aperçut que le mouvement gréviste dans le nord de la France contre la loi sur les assurances sociales[62] tirait à sa fin, le Parti communiste, bien avant la cessation effective de la grève, lança le mot d'ordre "revanche en Octobre" sans la moindre tentative de réaliser quoi que ce soit dans ce sens.

En Angleterre, la façon toute mécanique des communistes d'aborder la question de la direction indépendante des batailles de classe eut pour résultat que les communistes abandonnèrent le travail dans les syndicats sous le prétexte d'orienter le travail du Parti vers les entreprises et réduisirent le mouvement minoritaire, en le “politisant” d'une façon excessivement maladroite à une base à peine aussi large que celle du Parti; ils n'accordèrent que très peu d'attention à la lutte tour les revendications immédiates de la classe ouvrière et pendant un moment le Parti fut sous la menace d'être isolé des masses ouvrières.

Mais l'erreur des communistes dans la question du caractère et du rythme de la poussée révolutionnaire s'est exprimée le plus nettement dans l'appréciation de la maturation de la crise politique des différents pays. Si nous ne rendons pas banale la notion de la crise politique, si nous ne la réduisons pas à des formes parlementaires, si nous ne confondons pas la crise politique avec l'accroissement du fascisme, si nous ne la représentons pas comme un processus unilatéral où les couches dirigeantes sont désorientées, si nous ne la confondons pas avec les éléments politiques de la crise générale d'après‑guerre du capitalisme, nous devons dire alors qu'il n'existe pas de différence entre la crise politique et révolutionnaire. Naturellement, les changements de cabinets dans les conditions de la crise actuelle ont une signification quelque peu différente de celle des crises ministérielles de la phase de stabilisation capitaliste; naturellement, le renforcement des tendances fascistes dans un pays ou dans un autre indique une maturation des éléments de crise politique et témoigne de la désorientation des classes dirigeantes. Le développement de la crise économique en crise politique dans le monde capitaliste est déterminé, naturellement à une grande échelle historique par des facteurs de la crise d'après‑guerre du capitalisme, tels que l'existence de l'U.R.S.S., l'accroissement du mouvement ouvrier et paysan révolutionnaire mondial, le mouvement national révolutionnaire dans les colonies, l'accentuation des antagonismes dans le système de la paix de Versailles, les tendances de séparation des Dominions, etc. Mais de là à la crise politique avec le contenu révolutionnaire que nous lui attribuons il y a une distance énorme. La crise d'après‑guerre du capitalisme a créé objectivement un état révolutionnaire dans le monde capitaliste, mais cet état ne signifie pas l'existence d'une crise révolutionnaire. La maturation de la crise politique ne se produit pas seulement d'une façon inégale au point de vue géographique, mais aussi au point de vue de la maturation inégale des divers éléments de la crise politique, des éléments d'ordre objectif et subjectif. La grève générale anglaise a créé une crise politique en Angleterre, quoique jusqu'alors il n'y avait pas eu de crise parmi les milieux dirigeants. À présent, le facteur objectif se développe beaucoup plus rapidement que le facteur subjectif. L'accroissement du fascisme témoigne tout au moins du retard de ce dernier facteur. La hâte à vouloir généraliser aboutit à ce que les communistes proclament l'existence d'une crise politique, alors que seuls certains de ses côtés se sont partiellement développés. Ainsi, les camarades français virent dans l'avènement du ministère Steeg[63], le commencement d'une crise politique en France; les camarades américains virent la même chose dans la victoire électorale des démocrates. Les communistes tchèques battirent tous les records lorsque dans leur premier projet de thèse pour leur dernier congrès[64] ils proclamèrent qu'une crise politique mondiale commençait, etc.

De la crise politique révolutionnaire

Malheureusement, dans aucun pays, nous n'avons encore une crise révolutionnaire pleinement développée. On s'en approche en Chine où nous pouvons déjà dire que nous sommes en face d'une crise révolutionnaire, mais cette crise n'a pas encore pris une ampleur nationale; à un degré plus faible, on s'en approche aux Indes; des prémisses d'un tel développement existent en Allemagne et en Pologne. Mais ces prémisses se développeront‑elles en une crise révolutionnaire? Cela dépend de toute une série de conditions: de l'essor ultérieur de l'U.R.S.S., du degré d'aggravation ultérieure de la crise mondiale, du degré d'accroissement des antagonismes internationaux, du degré d'ébranlement et d'affaiblissement du capitalisme dans les pays capitalistes décisifs (États‑Unis, Angleterre, France), des succès que remporteront les divers partis communistes, etc.

Des éléments de crise révolutionnaire se trouvent à l'état latent dans tout le système capitaliste de la période d'après‑guerre. Ces éléments proviennent de la crise générale du capitalisme, la crise économique mondiale actuelle les accentue et la poussée révolutionnaire du mouvement de masse les développe; ils sont liés à une aggravation extrême par suite de la crise, de la misère et de la détresse des masses, ils sont liés à l'activité révolutionnaire croissante de ces masses, à l'ébranlement de tout le système international et intérieur de domination capitaliste, au regroupement rapide des forces de classe, à la crise croissante des "milieux dirigeants" qui recherchent une issue aux diverses contradictions dans la voie du fascisme, de la guerre et de l'intervention. Les éléments de crise politique qui mûrissent ont à leur tour une répercussion sur une nouvelle aggravation et extension de la crise mondiale. Ce n'est pas par un effet du hasard que la Chambre de commerce internationale estime que l'une des sources de la crise actuelle est l´"inquiétude politique" qui s'est emparée d'une partie du monde. Pour poser exactement la question de la crise révolutionnaire, il faut analyser concrètement la situation de chaque pays.

Les prémisses du développement de la poussée révolutionnaire en une crise révolutionnaire se manifestent tout d'abord dans les parties faibles du système capitaliste. Elles se manifestent dans les pays qui, dans le système général du capitalisme d'après‑guerre, ont toujours été des "points faibles" et où la crise économique coïncide avec les conditions spéciales, particulièrement pénibles, de la crise générale d'après‑guerre du capitalisme dans ces pays. Au nombre de ceux‑ci, il faut compter l'Allemagne où le fardeau du système de Versailles, du plan Young, la possibilité réduite de l'exploitation coloniale parallèle à un développement excessif du capitalisme monopolisateur, l'existence d'un fort prolétariat qui a fait l'expérience de la révolution et de la guerre civile influent sur les rythmes particulière du développement des prémisses de la crise révolutionnaire. Il faut ensuite y compter la Pologne, État composé de plusieurs nations, avec son oppression nationale et sa lutte nationale qui crée une profonde instabilité de ses frontières. Ce qui influe ici pour activiter le rythme de développement des tendances de la crise, c'est la faiblesse générale de l'appareil économique capitaliste, jointe à la perte des anciens débouchés russes, aux difficultés de concurrence sur les marchés étrangers, au fardeau monstrueux du militarisme, étant donné le rôle que joue la Pologne dans la préparation de la guerre contre l'U.R.S.S. Il faut y compter aussi les pays comme l'Espagne, où les survivances du féodalisme de même que l'exploitation capitaliste créent des matières inflammables supplémentaires pour le développement de la crise révolutionnaire. Enfin, les colonies, la Chine, les Indes où la maturation de la crise politique est déterminée par l'enchevêtrement étroit de la crise économique, avec une forme particulièrement pénible de la crise agraire; par l'offensive effrénée contre les colonies, sous l'influence du Capital; par l'exploitation impérialiste et féodale croissante des travailleurs des colonies; par la ruine monstrueuse des masses; par la vague du mouvement national-révolutionnaire énorme par son ampleur et son intensité.

L'Allemagne

En Allemagne où, de tous les pays capitalistes de l'Europe, l'essor révolutionnaire a pris la plus grande envergure, les prémisses de la crise révolutionnaire s'expriment par les faits suivants:

a) L'indignation croissante des masses travailleuses contre l'offensive du Capital, la misère et le chômage.

b) L'accroissement des forces révolutionnaires du prolétariat, le développement de masse du Parti communiste et du mouvement syndical révolutionnaire.

c) Le sérieux progrès du Parti communiste dans la conduite indépendante des luttes du prolétariat (Ruhr).

d) La démarcation tranchée des forces de classe, pendant laquelle la nature même des différents partis et leurs programmes "apparaît spontanément", comme disait Lénine, tandis que la social-démocratie se désagrège sur tout le front (dans tout le pays, même là où elle était la plus forte, comme dans le Brunswick et l'Allemagne méridionale).

e) L'évolution rapide de la dictature bourgeoise vers sa forme la plus marquée, le fascisme, à la suite de l'accentuation de la lutte de classe, témoignant ainsi de l'impossibilité pour la bourgeoisie allemande de gouverner à la vieille manière en utilisant seulement le social-fascisme pour tranquilliser les masses.

f) L'ébranlement du système de Versailles[65] et du plan Young.

Le mérite du Parti communiste allemand est d'avoir su lier la lutte pour l'affranchissement national des masses travailleuses allemandes ave la lutte pour leur affranchissement social, pour la dictature du prolétariat. Ce programme de lutte révolutionnaire du prolétariat, dirigeant de tous les travailleurs, doit devenir le pivot de toutes les luttes révolutionnaires de classe, dans le but de combiner la lutte pour les intérêts immédiats des masses avec la lutte pour le renversement de la dictature bourgeoise.

La tâche centrale du P.C.A. est de conquérir rapidement la majorité de la classe ouvrière et d'enlever à la social-démocratie sa base de masse. Cela exige, en premier lieu, un développement hardi de la direction indépendante des luttes de classes du prolétariat, sur la base d'un large enrôlement des ouvriers social-démocrates et sans parti dans tous les organismes de front unique créés à la base. Le P.C.A. est assez fort pour prouver en fait que la classe ouvrière est capable d'arrêter l'offensive du Capital contre les salaires et le niveau de vie des masses travailleuses. Cela exige, en outre, l'attention la plus sérieuse pour la transformation véritable de l'O.S.R. (Opposition syndicale rouge) et des syndicats révolutionnaires en organisations de masses, en de vrais guides des luttes économiques du prolétariat. Le P.C.A. est assez fort pour prouver en fait aux ouvriers que l'O.S.R. et les syndicats révolutionnaires sont capables d'organiser et de conduire ces luttes. Cela implique enfin la lutte du P.C.A. pour donner des alliés à la révolution prolétarienne en Allemagne, pour conquérir l'hégémonie sur les masses petites-bourgeoises des villes et des campagnes, avec une énergie et un mouvement beaucoup plus forts que jusqu'à présent. Le P.C.A. doit arrêter les progrès des fascistes parmi les masses, en combinant sa lutte contre le fascisme avec les luttes générales de la classe ouvrière et s'occupant particulièrement des branches d'industrie où les fascistes ont déjà pris pied (produits chimiques, mines, chemins de fer).

Nous devons approuver entièrement la ligne générale du P.C.A. qui, tout en luttant pour réaliser rapidement ces tâches, mène sans arrêt une propagande systématique en faveur de la dictature du prolétariat, prouve de la façon la plus convaincante aux masses travailleuses d'Allemagne que la seule issue des crises capitalistes et de l'esclavage établi par le traité de Versailles est celle du renversement de la dictature de la bourgeoisie et de la création d'une Allemagne soviétique.

La Pologne

Le fait que les prémisses de la crise révolutionnaire mûrissent en Pologne est prouvé d'abord par la croissance formidable du mécontentement des masses ouvrières et paysannes, à la suite de l'extrême aggravation de la crise économique qui fait chômer entièrement ou partiellement plus de la moitié de tous les ouvriers industriels, alors qu'en Pologne n'existent pas de secours aux chômeurs. Dans les campagnes, la crise agraire ne se fait pas moins fortement sentir; elle est accompagnée d'une expropriation en masse des petits et moyens paysans par suite du non-paiement des impôts et de l'intérêt des dettes. Dans l'Ukraine et la Russie‑Blanche occidentales et les autres régions annexées, le mécontentement se renforce encore plus par suite de la répression sauvage du mouvement d'émancipation nationale. Le mécontentement des masses se manifeste par de violentes manifestations de chômeurs, dont l'ampleur dépasse celle des mouvements de 1930; le mouvement antifiscal dans les villages, qui prend une ampleur toujours plus grande; le mouvement national-révolutionnaire des paysans de l'Ukraine occidentale, etc. Le fait que la crise révolutionnaire mûrit est également attesté par le rétrécissement[66] de la base sociale de la "Sanatsia"[67] et des organisations servant à la dictature fasciste de moyen d'action parmi les masses travailleuses. Enfin, avec l'aggravation de la crise, les frictions dans le camp fasciste et même dans la "Sanatsia" se multiplient.

Dans une telle situation, les principales tâches du Parti communiste polonais sont:

1. Renforcement de la base du Parti, surtout dans les grandes entreprises de Varsovie, du bassin de la Dombrowa et de l'Ukraine occidentale.

2. Renforcement des syndicats révolutionnaires, tout en intensifiant le travail dans les syndicats réformistes.

3. Lutte pour la conquête de la paysannerie, par sa mobilisation contre les redevances et les impôts, en tenant compte des particularités de chaque rayon et de chaque région, du degré de développement du mouvement paysan dans chacune des régions et en donnant à ce mouvement un caractère aussi organisé que possible.

4. Mobilisation des travailleurs contre l'oppression nationale, pour le droit des nations à disposer d'elles‑mêmes, y compris le droit de séparation; lutte pour le soutien actif par les ouvriers et les paysans polonais du mouvement contre l'oppression nationale.

5. Lutte contre le fardeau de la militarisation et contre la menace d'intervention militaire de l'impérialisme polonais en U.R.S.S.; cette lutte doit être liée à la défense des intérêts immédiats des masses et le mouvement antifiscal des paysans avec une large popularisation des succès de l'U.R.S.S. dans tous les domaines de l'édification socialiste, à la lutte pour la solution révolutionnaire de la crise, pour la Pologne soviétique.

L'Espagne

L'Espagne également doit être considérée comme un des pays capitalistes les plus faibles d'Europe. Tout son régime social et politique porte l'empreinte de profondes survivances du féodalisme. Les traces du féodalisme s'expriment, premièrement dans la prédominance en Espagne de la grande propriété foncière qui tient sous sa tutelle des millions de paysans et de prolétaires agricoles condamnés à périr de faim; deuxièmement dans la domination politique de l'aristocratie agraire qui s'est intégrée au capital industriel et bancaire; troisièmement, dans la dictature de la camarilla et de l'Église catholique qui possède aussi une grande propriété foncière et qui réalise sa domination à l'aide du pouvoir énorme des différents ordres de religieux. Ces vestiges du féodalisme, entretenus par la division de l'Espagne en plusieurs provinces, semblent témoigner qu'une révolution bourgeoise démocratique mûrit en Espagne. Mais une pareille déduction serait erronée. En Espagne, il y a un prolétariat industriel; la monarchie espagnole s'est étroitement liée à tout le système du capital financier et de l'impérialisme; la masse paysanne, dans son mouvement pour la liquidation du féodalisme, peut y devenir l'alliée naturelle du prolétariat dans sa lutte pour le renversement du système capitaliste. Les forces motrices de la révolution espagnole ne peuvent être que le prolétariat et la paysannerie. Elles ne le deviendront que par l'action du jeune Parti communiste d'Espagne qui doit pour cela venir à bout de la division du prolétariat espagnol, de l'influence néfaste des traditions réformistes et anarchistes sur celui‑ci; il doit prendre la tête du mouvement des masses prolétariennes et entraîner la paysannerie aux côtés du prolétariat. C'est pourquoi, le renforcement du Parti communiste sur la base de la lutte pour la conduite des revendications ouvrières et paysannes, est la condition de la transformation de la révolution démocratique bourgeoise en Espagne en une révolution prolétarienne. C'est seulement si le Parti communiste sait démasquer la politique de trahison du républicanisme bourgeois en Espagne et de ses agents au sein de la classe ouvrière, représentés par la social-démocratie et l'anarchisme, si dans la lutte pour les revendications de masses il sait détruire les illusions républicaines au sein de celles‑ci, qu'il saura transformer le mouvement des masses en lutte pour le renversement du système capitaliste. La révolution espagnole commence en tant que mouvement dirigé contre la monarchie, mais elle peut et doit devenir un mouvement dirigé contre le régime capitaliste. Le Parti doit exprimer cette transformation dans sa plate-forme de lutte. Dès aujourd'hui, le Parti communiste doit mobiliser les masses ouvrières et paysannes pour lutter pour la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie, pour un gouvernement ouvrier-paysan sur la base des Soviets, réalisant la révolution agraire, c'est-à-dire: remise sans rachat des terres des propriétaires fonciers, des monastères et de l'Église aux paysans, journée de 7 heures, assurances sociales aux frais des capitalistes, liquidation du pouvoir de l'Église catholique, libération du Maroc et des autres colonies, octroi aux Catalans et aux Basques du droit d'autonomie nationale. Dans la révolution démocratique bourgeoise, le Parti doit assumer dès le début la défense, pleine d'abnégation, des intérêts de la classe ouvrière, surtout contre le chômage.

La Chine

En Chine, la profonde crise politique a trouvé son expression dans l'organisation des Soviets et de l'Armée rouge sur un territoire de plusieurs dizaines de millions d'habitants. C'est maintenant le facteur décisif de l'essor révolutionnaire en Chine, qui met celle-ci au premier rang du mouvement national-révolutionnaire dans le monde colonial; c'est la forme supérieure du mouvement révolutionnaire; c'est déjà sur une partie considérable du territoire chinois, la victoire de l'insurrection se transformant en guerre civile. La création des Soviets et de l'ossature de l'Armée rouge donne une base solide à l'hégémonie du prolétariat dans le mouvement national-révolutionnaire, dans le mouvement antiimpérialiste et dans la révolution agraire. Cette hégémonie se réalise et se consolide non seulement par le Parti communiste, mais aussi par un embryon de gouvernement.

Ce n'est pas le peuple sans armes en face des troupes de l'ancien gouvernement, c'est le peuple armé en la personne de son armée révolutionnaire. En Chine, la révolution armée lutte contre la contre-révolution armée. C'est là une des particularités et un des avantages de la révolution chinoise.

(Staline, "Des perspectives de la révolution chinoise".)

La formation des Soviets et de l'Armée rouge, dans le déclenchement de la révolution agraire et de la guerre paysanne, exerce à son tour une influence révolutionnaire sur les millions de paysans qui se soulèvent dans les rayons non soviétiques contre la propriété féodale des propriétaires fonciers.

L'établissement du pouvoir soviétique dans des rayons entiers, l'expérience concrète de la politique révolutionnaire de ce jeune gouvernement est un puissant moyen d'agitation parmi les travailleurs de toute la Chine.

L'existence des Soviets et de l'Armée rouge ébranle le régime de bourreaux du Kuomintang contre-révolutionnaire dans les villes et dans les centres industriels, et augmente par là même la confiance de la classe ouvrière dans ses propres forces. Le mouvement de grève déferle jusque dans les centres les plus éloignés, malgré la terreur la plus féroce. D'autre part, le mouvement soviétique en Chine révolutionnarise le monde colonial tout entier; l'Armée rouge se renforce chaque mois, principalement aux dépens des détachements punitifs de Tchang-Kai-Chek qu'elle a battus.

L'Armée rouge des Soviets de Chine a déjà remporté de brillantes victoires; elle a repoussé la première offensive du Kuomintang dans la province de Kiangsi, elle s'étend victorieusement dans le Hounan et le Houpéi et ces derniers temps elle a porté de rudes coups à la contre-révolution bourgeoise et féodale dans la province de Honan, dans le nord de la Chine.

Le Parti communiste chinois doit résoudre, à l'étape actuelle, les trois tâches suivantes:

1. Transformer l'Armée rouge en une Armée rouge ouvrière et paysanne régulière, soumise à la discipline du Parti et du pouvoir soviétique et ayant une base territoriale précise.

2. Établir un gouvernement soviétique qui réalisera dans les limites de territoire le programme de la révolution antiimpérialiste et agraire.

3. Développer les luttes économiques et politiques de la classe ouvrière et des paysans sur les territoires non soviétiques et organiser les masses au cours de cette lutte (syndicats, comités paysans, renforcement du Parti, travail dans l'armée du Kuomintang).

Les Indes

Aux Indes, l'essor révolutionnaire est caractérisé par les faits suivants:

1. Des millions d'Hindous ont rejoint la lutte antiimpérialiste rendant celle‑ci générale. En 1930, le mouvement englobe non seulement de nouvelles parties de la classe ouvrière, mais la grande majorité de la petite bourgeoisie urbaine et, sous influence de la ville, des masses paysannes toujours plus grandes.

2. La lutte antiimpérialiste des masses renverse de plus en plus les barrières qui lui sont imposées par le gandhisme contre-révolutionnaire[68]. En dépit du congrès les grèves ouvrières se multiplient, ainsi que les grèves politiques, les conflits entre les masses paysannes et les forces armées de l'impérialisme (Bombay, Calcutta, Madras, Karatchi, etc.); la croissance, l'étendue extraordinaire du mouvement terroriste montrent que la petite bourgeoisie et en particulier la jeunesse révolutionnaire s'éloignent du congrès; les insurrections armées avec passage d'une partie des troupes aux côtés du peuple (Peschéwhar[69]); enfin, dirigées par les ouvriers comme à Cholapour[70], les masses passent à des formes plus élevées de lutte.

3. Le mouvement des masses paysannes devient de plus en plus une révolution agraire antiimpérialiste, comme par exemple, dans le Bengale[71], le Bérar[72].

4. Bien qu'avec de grandes difficultés, la classe ouvrière se sépare des autres classes, se constitue en force indépendante de classe, se libère de l'influence du nationalisme bourgeois.

5. En Angleterre, se constitue le front unique national de tous les partis politiques de l'impérialisme (conservateurs, libéraux et travaillistes) pour la lutte contre la révolution hindoue. Le gouvernement “ouvrier”[73], agent de l'impérialisme, rassemble toutes les forces de la contre-révolution aux Indes (princes indigènes, maharadjas, propriétaires féodaux, usuriers et grande bourgeoisie des compradores), tout en déchaînant la terreur la plus féroce contre le mouvement révolutionnaire.

Le marché conclu entre le national-réformisme et le social-impérialisme anglais et qui signifie la capitulation de la bourgeoisie hindoue, effrayée par le mouvement de masse, ne mettra pas fin à la lutte révolutionnaire. Au contraire, il accélérera la différenciation de classe dans la révolution hindoue et élévera le mouvement à un niveau supérieur.

6. Les faiblesses du mouvement étaient: la lenteur du processus de différenciation et de démarcation des classes (il s'accélère actuellement); le manque de liaison entre la lutte ouvrière et la lutte paysanne; la faible organisation de la classe ouvrière; l'influence des national-réformistes dans les syndicats, (la majorité de ces derniers sont dans les mains des premiers). Mais la faiblesse fondamentale était l'absence aux Indes d'un parti communiste.

7. Tout ce qui précède détermine comme suit les tâches du Parti communiste:

a) Renforcer le Parti, en faire un parti pan‑indien centralisé et travaillant illégalement.

b) Former et renforcer l'opposition syndicale révolutionnaire dans les syndicats nationaux-réformistes et réformistes.

c) Consolider les syndicats rouges existants et en créer de nouveaux.

d) Organiser le mouvement paysan et lancer hardiment les mots d'ordre de révolution agraire.

e) Diriger indépendamment et audacieusement la lutte antiimpérialiste, tout en combattant de la façon la plus impitoyable le national-réformisme et en particulier sa variété de gauche.

L'essor révolutionnaire en Indochine

Les signes de la crise croissante du système colonial impérialiste ne se manifestent pas seulement en Chine et aux Indes, mais aussi en Indochine.

Le mouvement révolutionnaire se développe en des conditions inouïes de terreur (fusillades en masse, exécutions, destruction de villages entiers par les troupes françaises d'occupation). Les manifestations de masse se multiplient, de même que les conflits armés, se transforment en attaques de l'armée et en insurrections dispersées; la mise à sac des maisons des notables, des fonctionnaires, des propriétaires, des mandarins; pillage des magasins de riz et partage du riz entre les pauvres; saisie de l'administration rurale; guerre de partisans et, par endroits dans le nord, où l'influence de la révolution chinoise est particulièrement forte, création de Soviets.

Conclusions

1. Le pronostic, établi par le C.E. de l'I.C. tant au 10e Plénum qu'au Présidium élargi de février, au sujet du développement inévitable et de l'accélération de l'essor révolutionnaire, s'est entièrement confirmé. Malgré l'inégalité de son développement, l'essor révolutionnaire, parallèlement à l'évolution de la crise mondiale, a englobé de nouveaux territoires, de nouvelles couches du prolétariat et des masses travailleuses; il a atteint dans certains pays un degré de développement plus élevé, dans d'autres, il est arrivé même à des prémisses de transformation de la crise économique en crise révolutionnaire.

2. Dans la réalisation pratique de la conduite indépendante des luttes de classe, certaines sections de l'Internationale communiste (Allemagne), ont remporté de sérieux succès par l'organisation du front unique ouvrier à la base, ce qui a conduit à saper réellement et non pas en paroles l'influence de la social-démocratie dans la classe ouvrière. Cette expérience que ces sections ont réalisée aussi bien dans le domaine politique que celui d'organisation, doit servir à toutes les sections de l'Internationale communiste.

3. La maturation de la crise politique dans certaines colonies, semi‑colonies et pays capitalistes d'Europe, dont le développement futur menace tout le système de l'impérialisme mondial, pose avec une acuité particulière la question du retard du mouvement communiste dans trois grands pays capitalistes: les États‑Unis, la France et l'Angleterre.

Pour le succès du mouvement révolutionnaire en Allemagne, en Pologne, en Chine, aux Indes, il est indispensable de concentrer l'attention sur le mouvement communiste aux États‑Unis, en Angleterre et en France, surtout dans les deux premiers (États‑Unis et Angleterre) dont les partis communistes sont maintenant les "points faibles" du mouvement révolutionnaire mondial.

4. Tous les partis communistes doivent déployer le mouvement de solidarité internationale et de soutien révolutionnaire des actions de masse du prolétariat allemand et polonais ainsi que des travailleurs de la Chine et des Indes. Les P.C. de tous les pays, mais en particulier des États‑Unis, de l'Angleterre, du Japon et de la France doivent mobiliser la classe ouvrière afin d'empêcher l'intervention de l'impérialisme en Chine.

5. Le travail de mobilisation et d'organisation des masses acquiert maintenant pour les partis communistes d'Allemagne, de Pologne, de Chine et pour le jeune parti de l'Inde en formation, une portée extrêmement grande; leurs succès dans l'élargissement du mouvement révolutionnaire sur la base de la mobilisation de nouvelles grandes couches ouvrières et travailleuses exercent et exerceront une influence révolutionnaire toujours plus grande sur le mouvement ouvrier des pays retardataires.

IV. La social-démocratie principal appui social de la bourgeoisie

La crise clôt le bilan du développement d'après‑guerre de la social-démocratie qui, par le chemin de sa "fascisation", a parcouru plusieurs étapes.

Première étape: Guerre de 1914‑1918. En dépit de toutes les résolutions des congrès internationaux de la 2e Internationales sur l'attitude des partis social-démocrates envers la guerre, la social-démocratie internationale, sous le mot d'ordre de la “défense de la patrie”, prend une part active à la guerre; elle conclut l´“Union sacrée” avec la bourgeoisie, étouffe la lutte de classe du prolétariat, soutient la dictature féroce de la soldatesque, et ainsi, sauve le régime capitaliste du naufrage dont le menaçait la guerre. Elle revêt sa trahison de l'idéologie de la promesse d'un nouvel “âge d'or” qui doit venir pour la classe ouvrière à la suite de la guerre mondiale, elle promet le désarmement des forces, la paix éternelle, l'avènement d'une ère de justice sociale, la victoire de la démocratie.

Ici ce rapporte la période des révolutions prolétariennes interrompant la guerre, la révolution d'Octobre en 1917 en Russie. La social-démocratie allemande trahit le prolétariat russe au moment le plus critique en soutenant de toutes ses forces la marche de l'armée impérialiste allemande contre les ouvriers et les paysans russes qui avaient cessé la guerre; en soutenant l'occupation par les généraux du kaiser des territoires des peuples révolutionnaires de l'ancien empire du tsar (Ukraine, Don, Lettonie, Pologne); en imposant à la révolution russe la paix de Brest-Litovsk, paix bien plus infâme que celle de Versailles. Dans la même période, elle fait noyer dans le sang l'insurrection des ouvriers et des marins par ce chien sanglant de Noske[74], en sauvant le capitalisme allemand de la révolution prolétarienne.

Deuxième étape: La social-démocratie aide le capitalisme à sortir de la forte crise résultant de la guerre; elle restaure le capitalisme. C'est la période de stabilisation capitaliste, achetée au prix des plus grandes souffrances des travailleurs et liée avec l'inflation, la ruine, le chaos européen d'après-guerre.

Troisième étape: Période de la rationalisation capitaliste, “du capitalisme organisé”. La social-démocratie ne sauve plus le capitalisme elle le reconstruit, elle élargit la base économique de la dictature du capital financier. Elle n'est pas seulement le parti de la stabilisation du capitalisme, elle devient encore plus le parti des trusts, des cartels. C'est la période de sa fascisation intense. Elle se prépare déjà, de ses propres mains, à réaliser la dictature du capital financier; par la bouche de Wells, au congrès de Magdebourg[75], elle menace les travailleurs de la "dictature" du Parti social-démocrate.

Et soudain, tout s'effondre, et le “capitalisme organisé”, et la stabilisation capitaliste. La social-démocratie revient au point de départ: elle doit encore une fois sauver le capitalisme des terribles ébranlements sociaux et politiques que lui occasionne la crise. Elle retombe de nouveau dans le cercle vicieux,  mais dans une situation où l'expérience des masses est déjà plus grande: le capitalisme a déjà été une fois sauve après la guerre et ultérieurement à toutes ses étapes, dans une situation où l'on exige des masses de nouveaux sacrifices, où l'on établit un nouveau niveau de vie, analogue à celui des semi‑colonies, à un moment où le socialisme dans l'U.R.S.S. leur prouve avec évidence les avantages du système d'économie socialiste. Dans la conscience des millions de travailleurs s'opère un processus douloureux de “révision des valeurs”, les masses font le bilan de la politique de la social-démocratie.

La social-démocratie a promis de mettre fin aux guerres, d'amener les États capitalistes au désarmement. En réalité, elle a amené les masses au bord du gouffre avec les nouvelles guerres impérialistes qui approchent, les guerres de forbans impérialistes dans les colonies, la course frénétique aux armements.

La social-démocratie a promis de faire du “socialisme de guerre” la base de la transformation socialiste de la société capitaliste après la guerre. En réalité, elle a rétabli le capitalisme avec son exploitation acharnée.

La social-démocratie a promis aux masses mises en mouvement par la révolution de réaliser le socialisme par la voie "légale", en élaborant des projets de "socialisation". En réalité, par la voie légale, elle a réalisé et réalise encore le vol des travailleurs en réduisant les assurances sociales, en augmentant les impôts et les taxes douanières sur les denrées alimentaires.

La social-démocratie a promis d'inaugurer l'ère de la justice sociale après la guerre. En réalité, elle a inauguré pour la classe ouvrière l'ère d'un esclavage capitaliste pire que celui d'avant-guerre.

La social-démocratie, en invitant pendant et après la guerre le prolétariat à cesser la lutte de classe, a promis de réaliser la “démocratie économique”, la “paix dans l'industrie”, etc. En réalité, elle a conduit à une offensive générale du Capital des plus sauvages contre les ouvriers de tous les pays capitalistes.

La social-démocratie a promis "que par la démocratie le capitalisme passerait au socialisme". En réalité, par le fascisme, elle s'est intégrée en tant que parti au capital monopolisateur.

La social-démocratie a dit qu'avec la rationalisation capitaliste, la situation de la classe ouvrière s'améliorerait. En réalité, des dizaines de millions d'ouvriers ont été mis à la porte des usines et le niveau de vie de la classe ouvrière a été réduit à l'extrême.

La social-démocratie a promis de rehausser le salaire des ouvriers de l'Europe "jusqu'au niveau des salaires des ouvriers de Ford". En réalité, le salaire des ouvriers de Ford est rabaissé au niveau de celui des ouvriers d'Europe.

La social-démocratie a promis d'amener le monde capitaliste au “capitalisme organisé”, de liquider les crises, de créer les bases du bien-être universel. En réalité elle a conduit au déchaînement inouï de l'anarchie capitaliste, à la plus grande crise connue de l'histoire, à la plus terrible misère des masses.

La social-démocratie a prédit la perte de l'Union soviétique, en s'efforçant, par de continuelles calomnies, de saper la confiance des masses ouvrières des pays capitalistes dans la dictature du prolétariat et les succès de l'édification socialiste. En réalité le socialisme triomphe malgré la lutte que mènent contre lui le capital mondial et la social-démocratie; des millions de travailleurs se rallient autour de l'Union soviétique.

La social-démocratie était contre les méthodes de violence que la dictature du prolétariat appliquait contre les oppresseurs, les parasites, les saboteurs; mais elle était pour la violence des exploiteurs sur les ouvriers, sur les travailleurs révoltés des colonies; elle était pour les méthodes de violence de la dictature du Capital. La politique de la social-démocratie, c'est le chemin de Versailles, c'est le plan Young, c'est la dictature du capital français dans l'Europe, en un mot c'est le capitalisme avec ses guerres, avec le fascisme, avec l'écrasement des colonies, avec l'intervention contre l'U.R.S.S., avec la baisse du standard de vie des ouvriers jusqu'au standard misérable des peuples des colonies.

Celui qui, jusqu'au bout, soutient le capitalisme doit aussi soutenir toute sa politique, c'est là la source de la fascisation de la social-démocratie. Beaucoup d'ouvriers social-démocrates, lorsque les communistes parlaient de fascisation de la social-démocratie, pensaient que les communistes ne faisaient là que de l'agitation sans avoir en vue l'évolution réelle du Parti. En réalité, la fascisation de la social-démocratie découlait du fait que cette dernière, rivée par une chaîne au capitalisme monopolisateur, accomplissait de concert et jusqu'au bout toute l'évolution de ce dernier. Elle a trompé les masses et son mensonge était la conséquence de la contradiction entre les restes de phraséologie démocratique bourgeoise et le développement fasciste du capital monopolisateur. Les dernières années de la fascisation de la social-démocratie ont ceci de particulier que cette "contradiction" des premières étapes de sa fascisation s'efface peu à peu et que l'idéologie s'adapte, pour ainsi dire, aux lois de la "nécessité historique".

Si l'on réfléchit aux arguments qu'elle avance pour défendre sa politique devant les masses on se rend compte que c'est une répétition inlassable des paroles historiques de Bethmann-Hollweg[76]: "la nécessité ne connaît pas de loi". Ébranlé par la crise, le capitalisme a besoin pour en sortir de réduire les salaires, ‑ Snowden[77] exige ce sacrifice des ouvriers. Le capitalisme a besoin ensuite de réduire les dépenses pour les assurances sociales, ‑ la social-démocratie allemande adopte le programme de Brüning[78]. Le capitalisme a besoin que cesse la lutte de classe des ouvriers et les mouvements de grève, ‑ la social-démocratie, suivant l'exemple du fascisme italien, introduit le fameux arbitrage obligatoire. Le capitalisme a besoin de rétablir le calme aux Indes, ‑ le gouvernement du Labour Party assume ce rôle de bourreau à l'égard des ouvriers et paysans hindous. Le capitalisme a besoin du gouvernement Brüning pour passer à la dictature fasciste, ‑ la social-démocratie adopte aussi le fameux paragraphe 48 [79] et soutient sans mot dire, fidèlement, comme aucun autre parti bourgeois en Allemagne, le gouvernement Brüning.

Nécessité n'a pas de loi!

La fascisation de la social-démocratie est justifiée par la loi suprême de la nécessité. Elle devient fasciste parce que le capital monopolisateur devient fasciste lui aussi et elle ne peut sortir de là. La phase actuelle de la fascisation de la social-démocratie, liée à la crise, consiste en ce que le capitalisme se désagrégeant avec intensité, la social-démocratie se transforme non pas en parti du capitalisme en voie de stabilisation, de rationalisation, mais en parti du capitalisme en voie de décomposition profonde. De là, découlent toutes ces qualités: politique de spoliation monstrueuse des masses, politique d'appui aveugle du gouvernement Brüning, politique d'intervention contre l'U.R.S.S., etc. Nous soulignons particulièrement ce dernier point, le passage de la 2e Internationale à la tactique de sabotage et d'intervention, car c'est là le fait nouveau et décisif dans toute l'évolution d'après‑guerre de la social-démocratie. Dès le premier jour de l'apparition de l'État prolétarien, la social-démocratie internationale fut l'idéologue des organisateurs du sabotage, des soulèvements contre-révolutionnaires, du sabotage, de l'espionnage et des actes de diversion. Certes, on ne pouvait lancer d'ignobles légendes sur "l'impérialisme rouge menaçant le monde entier", présenter le bolchévisme sur le même plan que le fascisme comme une "source d'inquiétude universelle", comme l'inspirateur des guerres impérialistes dans les colonies, on ne pouvait enfin représenter le régime social et politique de l'U.R.S.S. comme étant une dictature sur les ouvriers et paysans sans que les classes et groupes contre-révolutionnaires (koulaks, bourgeoisie des nepmans, anciens spécialistes) en tirassent des déductions pratiques. Par toute son agitation contre l'U.R.S.S., la social-démocratie a préparé le sabotage et l'intervention. Mais se prononcer ouvertement en faveur de la lutte armée des États impérialistes contre l'U.R.S.S., comme l'a fait Kautsky[80] à l'esprit sénile[81], la 2e Internationale ne l'a pas osé par crainte des ouvriers qui la suivaient encore.

De là, la tactique ignoble et équivoque des menchéviks.

"Cher Edé, on fait cela, mais on n'en parle pas", ‑ c'est par cette courte phrase, tirée de la lettre d'Auer à Bernstein, que l'un des accusés au procès des mencheviks, le vieux liquidateur Ikov, a caractérisé la tactique interventionniste de la 2e Internationale.

Dans ses sessions publiques, la 2e Internationale décidait de rétablir les relations économiques avec l'U.R.S.S.; dans les coulisses, elle fournissait, en la personne de la social-démocratie allemande, des moyens matériels aux menchéviks russes, liés au Torgprom[82] et agissant en fait selon les indications de l'état-major général français, pour organiser le sabotage dans tout le domaine de l'économie nationale et pour faciliter les tâches des interventionnistes par un affaiblissement de la capacité de défense de l'U.R.S.S. Les défaitistes de l'époque du tsarisme sont devenus les défaitistes de l'époque du socialisme en voie de construction. Cela dit tout.

Qu'a montré le procès des menchéviks russes qui s'est tenu il y a peu de temps? Les menchéviks, et avec eux la 2e Internationale, n'étaient pas des défaitistes platoniques; ils ont toujours été des défaitistes de la dictature du prolétariat édifiant le socialisme.

Le nouveau est qu'ils sont devenus des défaitistes contre-révolutionnaires actifs, que la différence entre les fonctionnaires tsaristes qui pénètrent dans les organes d'approvisionnement pour les désorganiser, les saboter, et les menchéviks s'est effacée. Le nouveau est que la 2e Internationale et sa section "russe", les menchéviks émigrés, sont passés de la propagande défaitiste au sujet de la révolution prolétarienne au sabotage, non seulement en travaillant l'opinion en faveur de l'intervention militaire contre l'U.R.S.S., mais en travaillant pratiquement à la préparation de celle‑ci.

De là le bloc avec le Parti industriel dont le leader Ramzine[83] déclarait au procès avec ironie:

Les désaccords au sujet du régime futur ne nous intéressaient pas. Pour nous, le plus important était que les menchéviks se mettent pratiquement au sabotage.

Et les menchéviks, section de la 2e Internationale, se mirent à saboter, à désorganiser les approvisionnements, à retarder la répartition des marchandises parmi la population travailleuse, à gonfler les besoins de crédit, à diminuer les plans de grands travaux de construction, à ébranler la valeur de la devise soviétique.

Tout cela fut fait non seulement à la connaissance, mais sous les ordres de la 2e Internationale et de son noyau principal, la social-démocratie allemande qui, par Hilferding, Breitscheid, ont donné des instructions à Abramovitch et à Dan dans les questions de la nouvelle tactique envers l'U.R.S.S[84]. Après le procès des menchéviks, les travailleurs de l'U.R.S.S., les ouvriers des pays capitalistes doivent se rendre clairement compte que l'Internationale social-fasciste est devenue la brigade de choc de l'impérialisme français de ce qui touche l'intervention armée qu'organise ce dernier. L'important n'est pas de savoir comment les rôles seront répartis au moment de l'intervention, l'essentiel c'est de balayer le pays des Soviets, car il apporte la mort à la social-démocratie internationale.

On peut déjà prévoir les idées dirigeantes et les moyens par lesquels la social-démocratie internationale s'efforcera de faire une auréole à l'intervention, si la classe ouvrière internationale ne la prévient pas. L'agresseur sera naturellement l'U.R.S.S. C'est l'Union soviétique qui a fait échouer les efforts de la social-démocratie vers la paix. C'est l'U.R.S.S. qui, en inondant les marchés mondiaux de marchandises à bon marché, fabriquées par les ouvriers russes soumis au travail forcé, ruine les paysans, accroît le chômage dans l'industrie et contribue à la réduction des salaires des ouvriers dans les pays capitalistes. C'est l'U.R.S.S. qui a réduit les salaires des ouvriers allemands en faisant à l'industrie allemande des commandes à des prix bas, ne satisfaisant pas les industriels allemands. Désespérant de ne pouvoir provoquer le chaos en Europe et en Amérique par des mesures de désorganisation économique, perdant l'espoir de réaliser le socialisme dans un pays arriéré, l'U.R.S.S. recourt à la guerre, dernière tentative pour se maintenir contre une révolte croissante des masses qui ne veulent pas vivre sans démocratie, sans emprunts français, sans Abramovitch et Dan! La guerre du monde capitaliste contre l'U.R.S.S. est une guerre de la démocratie contre la dictature...

C'est ainsi qu'idéologiquement on justifie et justifiera aux dépens de la vie des ouvriers la prochaine “guerre sainte” contre l'U.R.S.S.

Qu'est‑ce donc qui, malgré cette longue chaîne de trahisons successives, retient les ouvriers dans les rangs de la social-democratie? Parmi les causes pouvant en fournir l'explication nous nous contentons généralement de mentionner l'intégration de la social-démocratie au capitalisme monopolisateur et à son État; la puissance de l´"appareil" du parti de la social-démocratie, multipliée par celle de l'appareil de l'État; la corruption de l'aristocratie ouvrière; le développement de la bureaucratie social-démocrate, sans donner toutefois une analyse concrète de ces phénomènes et sans montrer aux masses comment ces processus ont lieu, nous bornant à répéter les formules des thèses relatives à cette question. La base des rapports entre l'appareil de la social-démocratie et les ouvriers social-démocrates a perdu son caractère spontané, libre. Ils reposent sur la contrainte sous toutes ses tonnes. Tout le régime capitaliste est fondé sur la contrainte. Le capitalisme ne durerait pas même quelques jours s'il était privé de cette base de domination. Cette contrainte trouve son expression dans la dépendance économique du travail à l'égard du Capital, dépendance qui, en fait, est un véritable esclavage, masqué par une phraséologie vide de sens sur l'égalité politique proclamée par les révolutions bourgeoises. Le travail forcé fait partie intégrante du régime capitaliste. La domination économique du Capital crée une base pour sa domination politique fondée sur la police, la gendarmerie, l'armée, les prisons, etc.

L'intégration de la social-démocratie dans tout l'appareil du régime capitaliste s'est traduite par le fait que, devenue partie intégrante de ce régime, elle a copié tout le système de ses rapports avec les masses sur l'appareil de l'État. L'ouvrier, selon la loi, est libre de travailler ou de rester oisif; mais en fait il est contraint de travailler s'il ne veut pas mourir de faim; d'après la loi il est libre de professer n'importe quelle opinion, mais il est jeté en prison et chassé des entreprises pour ses opinions; on tire sur lui s'il les proclame publiquement dans la rue. L'ouvrier est libre d'adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat réformiste, mais en fait il y est contraint par la nécessité économique. L'ouvrier est pris dans les “fils de fer barbelés” du système de contrainte des syndicats réformistes, de la social-démocratie et de l'État bourgeois. L'État dit “social”, qui contrôle toute la vie de l'ouvrier, depuis sa naissance jusqu'à sa mort, réalise ce contrôle par les syndicats réformistes ou fascistes. Pour obtenir du travail, l'ouvrier s'adresse au syndicat; c'est la caisse syndicale qui lui délivre les allocations de chômage; le système des assurances sociales est étroitement lié à l'appareil syndical. Des social-démocrates se sont retranchés dans toutes les institutions sociales. Le patron consent à mener des pourparlers par l'entremise des social-démocrates, s'efforçant de relever leur autorité aux yeux de la masse ouvrière; un membre social-démocrate du conseil d'entreprise a ses entrées chez le directeur; il diffuse, pour ainsi dire, une lumière empruntée au Capital; les petites démarches qu'il entreprend en faveur des ouvriers sont immanquablement couronnées de succès, le but étant de persuader l'ouvrier de l'utilité de ce social-démocrate loyal à l'égard des patrons. La mort, la maladie, l'invalidité, la vieillesse, autant de causes utilisées par le fonctionnaire social-démocrate pour enchaîner les ouvriers et ne point leur permettre d'échapper à la domination de l'appareil du Parti. Un exemple typique de ce système de contrainte nous est fourni par la méthode que les social-démocrates ont employée après la grève des tramways à Chemnitz: seuls les grévistes qui s'étaient fait enregistrer durant la grève au syndicat réformiste furent repris.

À côté de cette forme de contrainte, on pratique largement toutes les formes de la corruption; des dizaines de milliers de social-démocrates sont intégrés dans l'appareil de l'État capitaliste. Ils occupent des postes dans la police, la police de sûreté (Parti socialiste polonais), ils deviennent les chiens de garde les plus fidèles du régime capitaliste et sont intéressés, même au point de vue grossièrement matériel, à son existence. Il résulte de là que la social-démocratie non seulement est utilisée par le capitalisme pour liquider le mouvement ouvrier, mais utilise elle‑même tout l'appareil de l'État capitaliste dans le but de renforcer la pression qu'elle exerce sur la classe ouvrière. On ne saurait briser les liens social-démocrates sans porter un coup à tout l'État capitaliste, de même qu'on ne saurait lutter contre cet État sans atteindre tout le système de contrainte de la social-démocratie. Aussi, d'ordinaire, l'influence de la social-démocratie commence nettement à faiblir dans les moments où tout l'appareil de l'État capitaliste se trouve ébranlé. Le fait que dans les rangs de la social-démocratie allemande nous constatons une fermentation déjà intense et que les ouvriers, les jeunes surtout, commencent à s'en détacher, montre que tout le système du capitalisme en Allemagne commence à se désagréger.

Telle est la première raison de l'ordre objectif des forces de la social-démocratie. Mais ce n'est pas la seule.

De la tactique classe contre classe

Il y a encore d'autres facteurs qui empêchent les P.C. de briser toute l'influence de la social-démocratie. Parmi eux, il faut classer nos propres fautes et en premier lieu notre fausse application de la tactique classe contre classe.

La tactique classe contre classe, dictée à l'I.C. par l'aggravation de la lutte de classe, par le processus de fascisation de la social-démocratie, par l'accroissement de l'importance des partis communistes dans le mouvement ouvrier par la bolchévisation de ces derniers, s'est pleinement justifiée. Son importance grandit surtout dans le moment actuel de la crise, de la lutte renforcée du travail contre le Capital et en liaison avec le brusque déplacement de tous les groupes de la bourgeoisie, entre autres l'orientation plus à droite des partis social-démocrates, c'est‑à‑dire leur fascisation. Elle grandit en raison de la nécessité d'une lutte des plus acharnée contre la social-démocratie, en tant que police du Capital. La tactique de classe contre classe, c'est la tactique qui tourne son tranchant du côté de la social-démocratie dans le but de la démasquer aux yeux des grandes masses qui l'acceptent souvent comme le “moindre mal”. De plus, en Finlande, après le coup d'État de Lapuas[85], nous avons vu que même des ouvriers à mentalité communiste, craignant la "victoire" du fascisme, ont voté pour le parti social-fasciste, qui a profité du coup d'État de Lapuas pour s'emparer du mouvement syndical, de ses biens, de ses locaux. Un phénomène du même genre a pu être observé en Autriche. La crainte de la victoire des conservateurs en Angleterre maintient encore les ouvriers anglais, chaque jour trahis par le gouvernement de Mac Donald, sous l'influence du Labour Party; une mentalité analogue rend difficile les succès des partis communistes dans les pays scandinaves. Tout cela indique que les communistes n'ont pas encore réalisé de revirement non seulement dans la conscience de millions d'ouvriers sans parti, mais même chez les ouvriers communistes.

La tactique de classe contre classe n'a pas été assimilée par les masses; nos paroles sur la fascisation de la social-démocratie en liaison avec l'aggravation de la lutte de classe, sont acceptées d'une manière formelle, superficielle, sans avoir véritablement pénétré les partis communistes. Il ne faut point cacher ce fait regrettable. Le danger des illusions qui considèrent la social-démocratie comme capable de lutter contre la réaction est un danger d'actualité qui se fait particulièrement sentir dans les pays tels que la Pologne, où, dans le camp même du fascisme une querelle s'engage autour du gouvernement au sujet des méthodes les plus efficaces pour réprimer la classe ouvrière et la paysannerie révolutionnaire. Les communistes, malgré les conditions favorables, n'ont pas su, par leur tactique de "classe contre classe" ébranler toutes les positions de la social-démocratie dans la classe ouvrière. Il est évident qu'en ce qui concerne l'application de cette tactique, les communistes ont commis des erreurs.

Quelles sont ces erreurs? Premièrement, les communistes ont fait preuve d'une passivité opportuniste dans la lutte contre la social-démocratie pour avoir adopté une tactique de défensive au lieu d'une tactique d'offensive. Cela s'est manifesté et se manifeste encore particulièrement chez les communistes qui travaillent dans les syndicats réformistes. On pourrait donner des dizaines d'exemples où, dans les syndicats réformistes, les communistes sont restés muets en motivant leur passivité par la nécessité de ne pas être chassés des syndicats. La lutte contre ce que l'on appelle le "légalisme" syndical a été une lutte des partis communistes contre cette variété de la passivité opportuniste. Tout le brandlérisme[86] international construisait sa politique syndicale sur ce système de capitulation devant la social-démocratie. Dans le passé, cette tactique défensive était motivée par les conditions de la période de "stabilisation". L'Internationale communiste et ses sections ont dû faire un gros effort pour engager les communistes à lutter plus énergiquement contre la social-démocratie, conformément à l'accentuation de la lutte de classe et à l'essor croissant du mouvement révolutionnaire. Ce revirement est‑il achevé? Avons-nous triomphé de la passivité opportuniste dans les rangs communistes? On ne peut pas encore le dire. Il y a encore des cas de récidive opportuniste même dans les meilleurs partis. Bien souvent, les militants du Parti, dans leur activité révolutionnaire, le cèdent aux ouvriers sans parti nouvellement venus au mouvement révolutionnaire. En Autriche, par exemple, les ouvriers qui viennent de la social-démocratie dans les rangs du Parti communiste sont souvent des éléments bien meilleurs et plus combatifs que les communistes ayant un long stage dans nos rangs. Le succès de la lutte contre la social-démocratie exige avant tout des partis communistes qu'ils convergent leurs efforts contre la passivité opportuniste, quelle qu'elle soit.

Deuxièmement, les communistes oublient souvent que la tactique classe contre classe n'est pas la renonciation à la tactique du front unique ouvrier; bien au contraire, c'est son application la plus large en tant que tactique de la lutte de classe avant tout. C'est précisément parce que nous luttons, que, par les faits, par les actes, par l'expérience acquise par la classe ouvrière au cours de la lutte, nous démasquons la social-démocratie. C'est ce langage là que comprend la masse des ouvriers et non pas les thèses sur la fascisation de la social-démocratie. Pour bien démasquer la social-démocratie, il faut se placer au point de vue de ces ouvriers. Il faut apprendre à mettre la social-démocratie dans une position telle que l'ouvrier en aperçoive la trahison plus que par les discours communistes les plus enflammés, dont le but est de généraliser les pensées et les conclusions de l'ouvrier. Or, les méthodes de notre agitation parmi les ouvriers social-démocrates sont des plus mauvaises. Nous nous adressons à eux comme si nous avions affaire à un auditoire communiste, pour lequel la trahison social-démocrate est déjà absolument évidente, ou à des gens ayant déjà rompu idéologiquement avec la social-démocratie et qu'il suffit de pousser un peu pour qu'ils adhèrent à notre parti. Dans les congrès et conférences du Parti, nous cherchons bien plus à nous convaincre mutuellement de la fascisation de la social-démocratie qu'à destiner nos discours à la grande masse des sans-parti et des social-démocrates. Si l'ouvrier n'abandonne pas les rangs du Parti social-démocrate, c'est qu'il n'est pas convaincu de sa trahison et estime que la voie des compromis et la collaboration de classe sont préférables à la lutte de classe. Il faut, par un travail systématique et opiniâtre, lui prouver le contraire et notre agitation doit être au niveau de sa conception des choses.

En même temps, les communistes doivent organiser le front unique ouvrier, c'est‑à‑dire garder un contact permanent avec les masses ouvrières social-démocrates dans les usines. Nous devons organiser des conférences et des réunions communes, élaborer avec elles et avec les délégués sans parti un programme de revendications, les convaincre, discuter, apprendre à écouter les arguments de la masse des ouvriers social-démocrates pour pouvoir d'autant mieux les réfuter. Cela veut dire discuter avec les délégués syndicaux qui ne sont pas compromis par le mouchardage et la collaboration servile avec les patrons, les questions qui touchent de près les ouvriers dans le but d'organiser, avec les ouvriers social-démocrates, des actions communes. Et cela est particulièrement important en ce moment alors que l'appareil social-démocrate commence par‑ci par‑là à se désagréger à la base. Cela veut dire aussi que la lutte pour une direction indépendante des luttes de classe du prolétariat doit varier suivant les pays. Elle dépend de l'importance acquise par le Parti communiste, des divers rythmes de la radicalisation des masses, de la mesure dans laquelle elle a perdu confiance dans la social-démocratie. On ne saurait par exemple appliquer d'une façon toute mécanique au Parti anglais ou américain les méthodes employées par le Parti allemand dans sa lutte pour une direction indépendante des luttes de classe.

Pour savoir comment s'y prendre pour résoudre cette tâche, il faut tenir compte d'une série de circonstances: la force de notre parti, le degré de son influence, la force des syndicats réformistes et l'influence de ses derniers sur les masses, le degré de radicalisation des masses, le rôle de la spontanéité dans le mouvement, etc. Les partis communistes faibles comme, par exemple, le Parti anglais qui est en présence de grands syndicats, doivent faire un grand travail préparatoire au sein des syndicats, amener à eux les meilleurs militants de la base de ces syndicats, renforcer leurs positions en conquérant la direction à la base des syndicats. Grâce à un tel travail préparatoire, les comités de grève et les comités de lutte pourront effectivement s'appuyer sur les larges masses. Le succès de la lutte contre la social-démocratie dans les conditions d'un essor révolutionnaire exige de la part des partis communistes faibles un travail des plus actifs au sein de la social-démocratie et la création dans les rangs de cette dernière de groupes d'opposition de façon à détacher ces groupes les uns après les autres de la social-démocratie pour les incorporer dans le Parti communiste. Les communistes doivent dans les conditions actuelles intervenir activement pour hâter la désagrégation qui commence de la social-démocratie et ne pas compter sur un processus spontané qui se fera de lui-même. Ils doivent, par leur politique active, combattre par tous les moyens la tendance qui veut former au sein de la social-démocratie une “aile gauche” qui jouera seulement le rôle d'une barrière empêchant les ouvriers qui se radicalisent de se tourner vers le Parti communiste.

Troisièmement, la tactique "classe contre classe" ne doit nullement reposer sur l'idée que toutes les autres classes forment une masse réactionnaire compacte, sans aucune nuance et sans aucune différence. Il y a des communistes qui identifient complètement le social-fascisme avec le fascisme; d'autres, les ouvriers social-démocrates avec leurs chefs, avec la bureaucratie social-démocrate au service du Capital et de son État. C'est ainsi qu'à un des Plénums du Comité central norvégien il a été dit: "Le Parti ouvrier est le parti dirigeant du capitalisme non seulement au point de vue politique, mais aussi au point de vue de sa composition sociale." Une telle position tactique est radicalement fausse et a pour seul effet de nous détacher complètement de la masse ouvrière social-démocrate. Elle est en même temps une preuve de sectarisme à l'égard de la masse ouvrière sans parti. C'est une position de désespoir, de passivité, un produit de la période de stabilisation, une position n'ayant rien de commun avec le léninisme. Elle est une des causes pour lesquelles le démasquement de la social-démocratie par les communistes ne produit pas un effet suffisant sur la masse qui la suit. Les masses sentent instinctivement que cette position est simpliste et ne coïncide pas avec la réalité. Dire qu'il n'existe pas de dissensions au sein des classes bourgeoises (y compris la social-démocratie en tant que parti bourgeois de par sa politique), est faux. La naissance même du fascisme est liée à ces dissensions car celui‑ci est un des éléments de la crise qui mûrit parmi les milieux dirigeants. Les classes bourgeoises et leurs partis ne sont d'accord que lorsqu'il s'agit de combattre la classe ouvrière et en général le mouvement des travailleurs. Croire que l'unité de la réaction est garantie sur toute la ligne depuis l'oligarchie financière jusqu'à l'ouvrier social-démocrate, c'est, au fond, glisser vers la conception du capitalisme organisé qui triomphe de toutes ses contradictions internes. Ce ne serait pas la tactique classe contre classe, mais la tactique qui isolerait les communistes de la classe ouvrière. Cette position est nuisible dans la pratique du fait qu'elle équivaut à renoncer à démasquer réellement la social-démocratie et à travailler à la conquête des ouvriers social-démocrates.

Quatrièmement, la tactique classe contre classe est dirigée contre la théorie du “moindre mal” avec laquelle la social-démocratie trompe les masses en spéculant avec le “spectre de la réaction”. La social-démocratie déclare tous les jours aux ouvriers qu'elle soutient le gouvernement Brüning parce qu'il est un moindre mal que le gouvernement Hitler qui pourrait lui succéder. Les indépendants de “gauche” en Angleterre invitent les ouvriers à soutenir le gouvernement travailliste parce qu'il vaut mieux qu'un gouvernement conservateur et ainsi de suite. Les communistes, dans nombre de cas, n'ont pas montré d'une façon claire et précise aux masses pourquoi la social-démocratie n'est nullement un “moindre mal”. Ce n'est nullement parce qu'elle est "pire" que les fascistes ou parce qu'elle est "pareille" aux fascistes, mais parce qu'elle est le principal obstacle qui gêne la mobilisation des masses pour la lutte contre la dictature de la bourgeoisie sous toutes ses formes, parce qu'elle est le principal appui social de la bourgeoisie. Toute l'expérience de la social-démocratie internationale, en Autriche, en Allemagne et dans les autres pays montre qu'elle aide la bourgeoisie à instaurer la forme fasciste de dictature en capitulant devant elle, en lui cédant le terrain pas à pas; elle opère la fascisation de l'État, soit de ses propres mains, en étant au pouvoir, soit en soutenant les autres fractions de la bourgeoisie, comme en Allemagne, par exemple, où elle fait semblant de sauver la prétendue "démocratie" contre le fascisme. Elle émousse ainsi la vigilance des masses et étouffe leurs luttes spontanées contre le fascisme. En Angleterre, la bourgeoisie tient au pouvoir les travaillistes au moment le plus critique, elle leur laisse le soin d'appliquer son programme, en collant à ce programme l'étiquette de "gouvernement ouvrier". Ceux qui s'appellent les indépendants de “gauche” étouffent, à leur tour, l'indignation des masses contre le gouvernement et le couvrent d'une phraséologie de “gauche”. Si le gouvernement ouvrier n'était pas au pouvoir en Angleterre, la lutte de la classe ouvrière se développerait beaucoup plus fortement et les masses en viendraient beaucoup plus vite aux méthodes violentes. L'ouvrier anglais, d'esprit pratique, se sauverait bien mieux de l'offensive du Capital par la lutte de classe que par la capitulation devant les agents du Capital comme Mac Donald, Thomas, etc. En Allemagne, le gouvernement Brüning, comme l'a très justement dit le Comité central allemand, est le gouvernement de la réalisation de la dictature fasciste, et la social-démocratie est la force qui aide le plus activement le gouvernement Brüning, dans sa mission. Mais il serait faux de ne pas voir la différence entre ce gouvernement et la social-démocratie qui le soutient, d'une part, et le gouvernement Hitler qui pourrait lui succéder, d'autre part.

Cinquièmement, la tactique classe contre classe ne veut pas dire renoncer à manoeuvrer. Si l'adversaire a encore de fortes positions dans la classe ouvrière, il est nécessaire aux communistes de manoeuvrer pour saper ses positions en le démasquant habilement. Or, depuis le 10e Plénum, nos manoeuvres ont été pauvres. Ce n'est pas nous qui avons manoeuvré, mais la social-démocratie qui a manoeuvré contre nous. Beaucoup de communistes partant de l'idée que la social-démocratie a achevé le cycle de son développement fasciste, n'attendaient d'elle nulle capacité de manoeuvrer. Ils ont été pris à l'improviste par les manoeuvres des social-démocrates, comme on a pu le voir particulièrement en France dans la question de l'unité du mouvement syndical. En réalité, la social-démocratie manoeuvre de nouveau ces derniers temps, précisément à un moment où sa fascisation s'accélère. Sous l'influence de la crise, la radicalisation des masses se renforce, elles commencent à se détourner de la social-démocratie. Les communistes doivent donc manoeuvrer davantage et plus activement et impitoyablement la social-démocratie.

De la désagrégation de la social-démocratie

Ces derniers mois par suite de la radicalisation croissante de la classe ouvrière, on voit se manifester toujours plus fortement dans les différents pays capitalistes les indices d'une effervescence au sein de la social-démocratie. Cette effervescence prend une forme particulièrement aiguë dans les pays où on voit des prémisses de transformation de la crise économique en crise révolutionnaire, comme, par exemple, en Allemagne. Cette effervescence au sein de la social-démocratie se développe d'une façon inégale: en plus de l'Allemagne, elle s'est étendue à la partie allemande de la social-démocratie de Tchécoslovaquie, elle se manifeste en Autriche et elle pénètre progressivement dans les autres pays capitalistes. Dans certains pays, comme en Allemagne, elle s'exprime par le passage d'organisations locales entières de Jeunesses dans les rangs du Parti communiste; dans d'autres, comme en Autriche, en Tchécoslovaquie, elle s'exprime par une opposition croissante contre la politique des organismes dirigeants; dans d'autres encore, comme en Angleterre, par exemple, par l'abandon du Labour Party, etc. Les partis communistes doivent en conséquence se comporter d'une façon très réfléchie et adapter leur politique à chacun de ces cas en particulier. Tout en menant sans relâche de l'agitation pour que les ouvriers quittent les rangs de la social-démocratie, tout en luttant contre les tendances à la passivité, passivité qui se manifeste par un simple abandon de la social-démocratie et de la "politique" en général, les communistes doivent pour gagner à eux les ouvriers social-démocrates adapter leurs méthodes de travail aux conditions concrètes de chaque pays, et même aux conditions concrètes des différentes régions de ce pays. Les communistes doivent dans tous les cas faire preuve d'une activité intense dans la lutte contre la trahison des social-démocrates: la ligne de conduite politique des communistes doit être dans cette question l'offensive contre la social-démocratie.

Autour de quels points se cristallise cette effervescence au sein de la social-démocratie? Premièrement autour de la question de l'attitude envers l'Union soviétique. En Autriche, en Tchécoslovaquie et en France, les ouvriers protestent contre la politique anti-soviétique du social-fascisme. Cela témoigne du fait que la victoire du socialisme en U.R.S.S. a une influence décisive sur les positions de la social-démocratie dans la classe ouvrière des pays capitalistes et ébranle ses positions; deuxièmement cette effervescence se cristallise au cours de la lutte économique de la classe ouvrière contre l'offensive du Capital; troisièmement le mécontentement des ouvriers est dirigé contre la politique de capitulation des leaders en face du fascisme. Dans tous les cas, les ouvriers social-démocrates réclament le front unique avec les ouvriers communistes; la nécessité de l'unité de la classe ouvrière est une question qui se pose spontanément à eux dans la lutte contre la dictature de la bourgeoisie. Les communistes doivent en tenir compte et intensifier leur agitation en expliquant sans relâche aux masses les succès du prolétariat de l'U.R.S.S., les succès de l'édification socialiste et les avantages du système socialiste de l'économie sur le système capitaliste, avantages qui sont prouvés par toute l'expérience de la lutte de ces deux mondes: du monde du socialisme en voie de construction et du monde capitaliste. En mène temps, les communistes doivent être partout les initiateurs du front unique révolutionnaire des masses à la base, et lutter sans relâche pour l'unité révolutionnaire de la classe ouvrière contre la dictature de la bourgeoisie.

Des manoeuvres de la social-démocratie

La capacité pour la social-démocratie de manoeuvrer dépendait toujours de trois facteurs: a) de l'accroissement du mécontentement de la classe ouvrière; b) de la force du Parti communiste et de son activité dans la divulgation des manoeuvres de la social-démocratie; c) des possibilités pour le Capital de manoeuvrer. Lorsque la vague révolutionnaire du mouvement ouvrier montait, menaçait de balayer le régime capitaliste et obligeait le Capital à faire en hâte des concessions, la social-démocratie s'empressait aussitôt de déclarer que ces concessions étaient le résultat de sa “pression sur le Capital”. Lorsque le Parti communiste démasquait avec succès la politique de trahison de la social-démocratie devant les masses, la social-démocratie y répondait par une nouvelle manoeuvre de “gauche”. Lorsque le Capital grâce à ses "surprofits", tirés des colonies et des industries monopolisatrices, avait la possibilité de corrompre les couches supérieures des ouvriers, la social-démocratie proclamait que c'était la une grande victoire qu'elle avait remportée. Il en fut toujours ainsi.

Qu'y a‑t‑il de changé depuis lors? La crise générale du capitalisme liée à ce que l'U.R.S.S. est sortie du milieu capitaliste, liée aux insurrections coloniales, à l'aggravation de la lutte pour les marchés mondiaux, a, après la guerre, rétréci sans cesse la base économique du réformisme. L'offensive du Capital sur la classe ouvrière au cours de la crise actuelle a considérablement limité la capacité de manoeuvre du Capital. Que peut-il opposer maintenant comme programme de réformes pour tromper les ouvriers?

Quel programme de réformes la social-démocratie peut‑elle opposer? Dans quelles limites peut‑elle manoeuvrer? Il fut un temps où, par la main de Noske, elle fusillait les ouvriers, par la main de Hilferding et d'Otto Bauer elle préparait des projets de socialisation; à présent elle vote pour les lois de Brüning.

Auparavant, elle pouvait lancer sans compter des mots d'ordre pour l'augmentation des salaires, maintenant elle réduit partout les salaires de concert avec le Capital. Son programme pour sortir de la crise est le programme du Capital, le programme de consolidation de la dictature bourgeoise. Actuellement, la social-démocratie peut manoeuvrer dans la question du fascisme ou dans la question de la proportion de la réduction des salaires, ou encore dans la question de la forme que prendra cette réduction. Elle peut encore manoeuvrer dans des questions qui ne l'engagent à rien dans sa politique pratique, telles le "front unique", l´"unité syndicale", etc.

Et nous avons pu voir ces derniers temps que les manoeuvres de la social-démocratie se développaient précisément dans ce sens. À la session de Zurich de la 2e Internationale et de l'Internationale d'Amsterdam[87], les bluffeurs social-démocrates ont lancé le mot d'ordre de la journée de 6 heures, de la semaine de 5 jours, des assurances sociales, le mot d'ordre contre la rationalisation capitaliste, pour la reprise des relations avec l'U.R.S.S., pour le désarmement, etc. En même temps, dans des pays comme la France, ses agents opportunistes au sein de la C.G.T.U., en la personne des soi‑disant minoritaires, de concert avec des militants de la C.G.T, aussi roués que Dumoulin lancent un manifeste sur la nécessité de l'unité du mouvement syndicat. L'ignominie de ce mensonge qui n'est qu'une nouvelle évolution des chenapans social-fascistes, apparaît d'autant plus nettement qu'en préconisant la journée de 6 heures, la semaine de 5 jours, la social-démocratie internationale ne fait qu'appliquer la directive du Capital sur la nécessité de fixer aux ouvriers une journée de travail incomplète avec réduction de salaire. Son rôle dans la lutte contre les assurances sociales, l'appui qu'elle assure à la rationalisation capitaliste, ses campagnes incessantes de calomnies contre l'U.R.S.S., sa politique de militarisme, sa politique de scission au sein des syndicats, ses méthodes de sabotage du front unique des ouvriers, tout cela constitue des faits connus de chaque communiste. Il n'est pas question des communistes, mais des ouvriers qui se trouvent encore sous la domination de la social-démocratie. Les communistes doivent dessiller les yeux aux ouvriers sur le véritable caractère de ces manoeuvres. Or, ils ne peuvent le faire qu'en mobilisant les masses autour de notre programme de revendications journalières des ouvriers: a) journée de 7 heures, avec maintien intégral du salaire, assurances sociales aux frais des capitalistes et de l'État, aide immédiate aux chômeurs; b) lutte contre toutes les formes d'oppression des ouvriers par le Capital, contre toutes les formes de dictature bourgeoise; liberté des organisations révolutionnaires, de la presse, de réunion, de parole; dissolution immédiate et désarmement des organisations fascistes; armement des ouvriers; c) lutte pour la défense de l'Union soviétique contre l'intervention.

En proposant ouvertement aux ouvriers social-démocrates une action commune sur la base du front unique révolutionnaire et en leur montrant la trahison des leaders social-démocrates par des exemples concrets, ‑ les communistes doivent de partout prendre entre leurs mains le mouvement spontané de la classe ouvrière vers l'unité révolutionnaire. Ce mouvement qui va toujours en grandissant n'est nullement un effet du hasard. Il résulte du fait que la classe ouvrière a pris conscience de l'abîme où la politique des social-démocrates l'a plongée, politique qui divise la classe ouvrière dans l'intérêt du Capital. Il est dirigé contre la social-démocratie en tant que parti soutenant la dictature du Capital, dictature qui ne peut se maintenir que grâce à la division de la classe ouvrière. Les communistes doivent montrer aux masses que, voulant précisément le renversement de la dictature de la bourgeoisie, ils sont les seuls à accomplir véritablement leur mission historique et que dans ses luttes journalières, le Parti communiste est le parti de l'unité révolutionnaire de la classe ouvrière; sans établir cette unité sur la base de la lutte révolutionnaire, la classe ouvrière ne pourra pas vaincre son ennemi de classe qui a ses agents au sein du prolétariat. En mobilisant les masses autour de leurs mots d'ordre, les communistes doivent poser résolument dans la presse, au Parlement, dans les réunions, dans la rue, les questions de la lutte de classe et placer ainsi les leaders social-démocrates dans une situation qui montre clairement leur trahison aux ouvriers. Ainsi, on peut citer la fraction communiste au Parlement tchèque qui, par sa proposition d'introduire les assurances sociales, permit de démasquer l'ignominie des social-démocrates, qui votèrent contre cette proposition. Là où les social-démocrates ont recours à des manoeuvres et sont prêts à voter en faveur de la proposition des communistes pour la seule raison que cette proposition ne recueillera pas la majorité, les communistes doivent démasquer les social-démocrates, en posant catégoriquement la question de la continuation de la lutte pour leurs propositions, en particulier pour la question de la grève politique de masse.

V. Etat des sections de l'I.C.

Les succès et les faiblesses du travail des sections de l'I.C.

Le C.E. de l'I.C. peut compter à son 11e Plénum de sérieux succès. En l'espace d'une année, depuis le Présidium de février, le C.E. est parvenu sur la base de la ligne générale fixée par son 6e congrès[88] et son 10e Plénum[89] à consolider, dans l'esprit bolchévik, ses rangs, à faire de l'I.C. l'unique parti mondial du prolétariat révolutionnaire. L'application conséquente de la ligne générale a eu pour résultat: la débâcle politique des droitiers du P.C. de l'U.R.S.S., agents des koulaks dans les rangs du Parti léniniste; l'épuration continuelle des parti communistes des pays capitalistes des éléments renégats de droite et la défaite des conciliateurs et des “gauchistes” dont les hésitations reflétaient l'influence de classe de la bourgeoisie et de la social-démocratie.

[...]

La seconde grande victoire de l'I.C., dans la période envisagée, consiste dans les succès du P.C.A. Les 4.600.000 suffrages recueillis aux élections de septembre 1930 [90] témoignent de l'influence énorme de ce P.C. sur les masses, par suite de l'application exacte et conséquente de la ligne politique du Parti; ses succès aux élections des comités d'usine, croissance organique de près de 80 % au cours d'une année, croissance parallèle des organisations de J.C., tout cela montre que le Parti poursuit fermement la conquête de la majorité de la classe ouvrière. Par sa lutte contre l'offensive du Capital (grève des métallurgistes de Berlin[91], des mineurs de la Ruhr[92], des dockers de Hambourg[93]), par ses manifestations de masse contre le fascisme, il prouve aux masses qu'il est l'unique force susceptible de les tirer de la misère, de la famine et de les diriger dans la voie de leur affranchissement du joug du Capital. Il faut dire que pour le moment le P.C.A. est l'unique parti qui, dans un pays à forte social-démocratie, ait réussi à s'emparer effectivement de la direction autonome des luttes de classes; qui soit parvenu à détacher des réformistes des masses importantes et qui ait procédé sur cette base à la création de syndicats révolutionnaires de masse, à un réseau d'organisations de masse dans les entreprises, en ébranlant ainsi fortement les positions de la social-démocratie. L'accroissement du P.C.A., en tant que force de combat qui s'impose aux autres couches de la population en train de se ruiner, assure l'extension de son influence sur ces couches (paysans, employés), que le fascisme espère gagner sous son influence.

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Les P.C. à la remorque du mouvment ouvrier

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Discours de clôture

De notre retard

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De la crise révolutionnaire

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Sixièmement, le fascisme dans notre définition n'est pas érigé en une sorte de facteur décisif de la crise révolutionnaire, mais il a le rôle modeste d'un des symptômes de la désorientation des classes dirigeantes, et de leur désir de trouver une issue à la situation par l'écrasement de la classe ouvrière. Le fascisme doit être placé dans des limites précises. Il fallait le faire d'autant plus que sur la question de la crise des systèmes dirigeants du fascisme et de la crise révolutionnaire il y a beaucoup de confusion. Nous repoussons l'idée que la crise révolutionnaire et le fascisme sont identiques. Le fait que la bourgeoisie a dû recourir aux méthodes fascistes d'écrasement du mouvement des travailleurs ne veut pas du tout dire que les sphères dirigeantes ne peuvent plus diriger comme avant. Le fascisme n'est pas une nouvelle méthode de direction qui se distingue de tout le système de dictature bourgeoise. Celui qui pense cela n'est qu'un libéral.

Enfin, septièmement, dans notre définition de la crise révolutionnaire nous soulignons enfin pourquoi nous avons parlé de la menace de nouvelles guerres impérialistes et d'une intervention contre l'U.R.S.S. précisément en connexion avec la crise révolutionnaire.

Est‑ce pur hasard? Non, camarades. Nous avons précisément souligné cette aggravation des contradictions extérieures, le danger de guerres impérialistes et en particulier le grand danger d'une guerre contre-révolutionnaire contre l'Union soviétique pour montrer le caractère dialectique de la transformation et du développement de la crise révolutionnaire. De ce fait, nous ne représentons pas la crise révolutionnaire comme un processus unilatéral qui va seulement en montant, nous l'analysons dans les rapports dialectiques de la lutte de classe extrêmement accentués. Du même coup nous répudions toute espèce de formules schématiques d'après lesquelles l'aggravation de la crise révolutionnaire serait liée seulement à l'offensive du prolétariat; nous subordonnons la question de l'offensive et de la défensive des classes à l'analyse concrète du rapport des forces à chaque étape de la lutte de classe. Prenez l'intervention contre l'U.R.S.S. On a dit ici que le fascisme, à l'échelle historique est la défense de la bourgeoisie contre la révolution prolétarienne. Mais à l'échelle historique l'intervention est aussi la défensive de la bourgeoisie contre le socialisme victorieux. Mais ce serait commettre une grande faute de tactique que de bâtir là‑dessus la ligne tactique de notre Parti. L'intervention contre l'U.R.S.S. n'est pas la défensive du monde capitaliste contre l'U.R.S.S., mais l'offensive contre le premier État prolétarien du monde. Nous devons expliquer cela aux masses quotidiennement, inlassablement, dans notre agitation. Sans doute, cette offensive du Capital mondial contre l'U.R.S.S. dans les conditions de la crise révolutionnaire mûrissante dans certains pays se transformerait évidemment en une offensive générale du prolétariat international contre le capitalisme mondial. Mais celui‑là ferait une erreur qui, partant de cette perspective, dirait que, par l'intervention, la bourgeoisie se défend parce que en définitive, historiquement, c'est une classe qui se défend. Cette bourgeoisie “qui se défend” attaque et non sans succès la classe ouvrière, bat durement la classe ouvrière, la classe qui, en définitive, historiquement, attaque.

Il faut souligner encore un facteur excessivement important pour la fixation de la perspective révolutionnaire. Il nous arrive très souvent, lorsque nous analysons les éléments de la crise révolutionnaire dans un pays, de ne lier la perspective révolutionnaire de ce pays qu'avec sa situation intérieure. Prenez, par exemple, un pays tel que l'Espagne ou bien prenez les pays de l'Europe centrale. Serait‑il juste d'examiner la situation allemande, par exemple, et les perspectives de sa révolution exclusivement du point de vue du rapport des forces de classe à l'intérieur du pays? Peut‑on considérer la perspective de la révolution populaire en Allemagne en dehors de tout l'ensemble complexe de tous les rapports internationaux et, avant tout, en dehors de la question de l'U.R.S.S.? Peut‑on s'imaginer un seul instant qu'un mouvement révolutionnaire tant soit peu important dans l'Europe centrale n'entraînerait pas une grande lutte internationale?

Nous ne sommes plus en 1918 ou 1919, ni même en 1923. Maintenant, aucun Parti communiste ne peut se fixer de grandes perspectives en ignorant l'U.R.S.S.

Ainsi, en résumant la caractéristique de la crise révolutionnaire donnée par les thèses on doit reconnaître que cette caractéristique est complète et c'est à peine s'il est besoin d'ajouter quoi que ce soit.

Je passe maintenant aux dangers qu'il y aurait à opposer la crise politique, en tant que phase particulière à la crise révolutionnaire. Les camarades allemands ont parfaitement raison de dire que la crise économique conduit à une aggravation extrême de la lutte de classe et à des ébranlements politiques croissants, ce qui accélère la maturation de la crise révolutionnaire. C'est indiscutable. On ne peut pas se représenter le développement des conséquences de la crise économique seulement dans le domaine économique. La crise économique provoque de grands ébranlements politiques qui facilitent la maturation de la crise politique. Certains sont enclins à entendre par crise politique un état de la poussée révolutionnaire qui est caractérisé principalement et exclusivement par la décomposition déjà commencée des classes dirigeantes, mais lorsque l'activité révolutionnaire des masses est encore en retard. La crise politique est représentée ici comme l'expression de la disproportion entre les facteurs objectifs et subjectifs de l'essor révolutionnaire. Pour défendre cette idée le camarade Garlandi[94] a cité un passage de mon discours à la réunion de la commission italienne en juin 1930. Qu'ai‑je dit à cette réunion de la commission italienne?

Le camarade Ercoli[95], qui a été rapporteur à cette commission a parlé de la crise politique qui commençait en Italie. Nous avons été plus modestes et nous avons mis en doute cette affirmation. Voici ce que j'ai dit:

Le camarade Ercoli, dans son rapport, a caractérisé la situation actuelle du fascisme comme étant le commencement de la crise politique. Il me semble qu'il importe avant tout de préciser ce que veut dire le commencement de la crise politique du fascisme. En examinant certains articles de la presse communiste italienne, on peut constater qu'il y a une exagération certaine des éléments de désagrégation, de crise du fascisme. Il serait plus juste de dire que nous avons en Italie les premiers signes d'une crise politique commençante, des signes encore faibles pour le moment. Précisément à cause de l'absence de notre parti communiste en tant que facteur politique.

Et j'ai alors posé la question:

Quelle différence y a‑t‑il entre la crise Matteotti[96] et la crise qui mûrit maintenant? La crise Matteotti a été la crise de la superstructure politique. Maintenant, c'est la base économique qui s'ébranle et, à ce point de vue, la crise actuelle aura en Italie des conséquences beaucoup plus profondes que la crise Matteotti.

Et actuellement en mars 1931, j'estime cette caractéristique de la situation en Italie juste à 100 %, car précisément en Italie, nous nous sommes opposés à ce qu'on joue avec la définition de la crise politique qui, en Italie, n'existait pas en juin 1930 ni en mars 1931. Nous avons dit que la “crise Matteotti” ne s'est pas transformée en crise politique, justement parce que la dictature fasciste ne fut pas ébranlée jusqu'à ses bases économiques. C'est tout. Mais où la crise politique, à un stade particulier est‑elle opposée à la crise révolutionnaire qui vient? Nulle part et les déductions de Garlandi sont erronées.

Camarades, je pense qu'il faut être d'accord avec Thälmann qui, dans son discours, a dit qu'il s'agissait de trouver la meilleure terminologie. Hier, à la commission politique, sur la proposition allemande, nous avons remplacé le terme de "crise politique" par celui de "crise révolutionnaire". Pourquoi? Parce que nous avons reconnu que les camarades allemands avaient raison, que le terme de "crise politique" est usé dans notre vocabulaire politique pour exprimer les choses les plus diverses, même une crise ministérielle. S'il s'agit de trouver une terminologie plus précise, nous pouvons, sans aucun dommage pour la révolution mondiale, remplacer dans nos thèses le terme de "crise politique" par celui de "crise révolutionnaire". Car nous ne pouvons chasser de nos discours et de nos écrits un terme qui sert à qualifier les situations politiques les plus variées. Et cela explique en partie la confusion qui s'est créée autour de ce terme et qui menaçait même de troubler les débats de ce Plénum.

Mais, camarades, il en est tout autrement lorsque la question se pose non au sujet de la terminologie, mais au sujet du fond, lorsqu'on oppose la crise politique à la crise révolutionnaire? Ici, il s'agit déjà de la méthode dialectique révolutionnaire du marxisme, que nous sommes obligés d'adopter dans l'analyse de l'essor révolutionnaire. Nous ne devons pas substituer aux processus révolutionnaires dynamiques des formules qui fixent seulement l'état statique du mouvement. Nous ne devons pas faire entrer la dynamique de la lutte de classe dans un schéma imaginé. Quel est le fond de notre méthode révolutionnaire, bolchévik, léniniste. En tant que marxistes-léninistes nous avons le devoir dans chaque cas d'analyser l'état concret du rapport des forces de classes, de tenir compte du degré de désorientation des forces dirigeantes, du degré de mécontentement et d'activité combative des masses, du degré de décomposition de la social-démocratie, ce principal appui social de la dictature bourgeoise, de la force et de l'influence politique du Parti communiste et de la mesure dans laquelle il organise les masses. Ce n'est qu'à cette condition que nous pourrons fixer une ligne tactique juste, la changer rapidement dans les grands tournants qui, dans les périodes révolutionnaires, sont déterminés par les changements extrêmement rapides dans les rapports des forces de classe, ne pas retarder sur les événements, sur le rythme, qui s'accélère impétueusement, des mouvements de masses.

Que nous donne de concret par lui‑même, au point de vue de l'analyse du rapport des forces de classe le terme nu de "crise politique", en tant que phase de la poussée révolutionnaire où il n'y a pas encore de situation insurrectionnelle? Mais toutes les situations, jusqu'au moment même du début de la révolution prolétarienne, ou de la révolution bourgeoise démocratique dans les colonies sont caractérisées, parce qu'on ne se trouve pas en présence d'insurrections[97]. Essayez donc de classifier toutes ces situations à la manière de Lamarck ou de Buffon et vous obtiendrez non pas le processus de la poussée révolutionnaire, mais comme un film cinématographique où vous retrouverez à la suite l'une de l'autre les photographies des diverses situations correspondant à un niveau différent de mécontentement et d'activité des masses, d'influence du Parti communiste. Eh bien, essayez maintenant, de donner une définition exacte de la poussée révolutionnaire trouvant son expression dans ces situations. Vous obtiendrez une formidable collection de définitions qui n'aideraient en rien le parti révolutionnaire mondial à approcher de la juste estimation du processus révolutionnaire qui se développe. Vous obtiendrez un schéma et non pas un processus vivant. Abordons du côté opposé la question de la crise révolutionnaire, en tant que crise caractérisée par une situation insurrectionnelle, par la présence d'une situation d'insurrection. Peut‑on considérer cette situation, dite insurrectionnelle, comme le critère pour définir la crise révolutionnaire? Lénine a parlé bien des fois de la situation insurrectionnelle et nous en parlerons aussi plus d'une fois, mais Lénine a toujours donné à ce propos une analyse concrète. Prenez l'Inde. Y a‑t‑il dans l'Inde une situation insurrectionnelle ou non? Qui pourrait prouver que dans l'Inde si les masses avaient des armes, elles ne s'arrangeraient pas pour amener une situation insurrectionnelle, quoiqu'on en dise dans les thèses de l'Internationale communiste. Prenons l'Indochine. Y a‑t‑il en Indochine une situation insurrectionnelle ou non? Et pourtant, des insurrections ont lieu dans diverses régions. Cependant, le mouvement dans l'Inde a pris un caractère national beaucoup plus large qu'en Indochine. C'est une formule qu'il faut déchiffrer. Mais si nous en abusons, sans en faire l'analyse concrète, nous assoupissons les facultés analytiques des communistes, qui se contenteraient d'employer cette formule au lieu d'analyser concrètement le rapport des forces et les difficultés de la maturation et du développement de la crise révolutionnaire dans une série de pays capitalistes. Si nous posons concrètement la question des difficultés, au lieu de nous en détourner en opposant la crise politique à la crise révolutionnaire, nous devons dire qu'en Allemagne, par exemple, le principal frein à la crise révolutionnaire est, tout d'abord, le fait que la base de masse des syndicats réformistes et de la social-démocratie n'est pas encore définitivement sapée, que l'avant‑garde de la classe ouvrière: le Parti communiste, n'est pas encore assez fort pour entraîner à sa suite les alliés que le fascisme possède encore. Il est vrai que les communistes ont déjà enrayé l'influence des fascistes en Allemagne. La révolution allemande est menacée à sa frontière occidentale par l'impérialisme français. La bourgeoisie a dans la Reichswehr[98] une armée fasciste de classe tandis que le prolétariat est désarmé. Ces éléments empêchent le développement de la crise révolutionnaire en Allemagne, la formation de ses éléments et son aboutissement à une situation immédiatement révolutionnaire.

Prenons l'Inde. Dans ce pays, quelle est l'entrave à la crise révolutionnaire. Le fait que l'impérialisme britannique n'est pas encore ébranlé par le prolétariat anglais, qui ne s'est pas encore cristallisé, qu'il n'a pas encore pris conscience de soi en tant que classe, que le mouvement national-réformiste entraîne à sa suite des couches considérables du prolétariat, et qu'enfin le développement de la crise révolutionnaire en une situation révolutionnaire est empêché par l'absence d'un parti communiste. Prenez la Chine. Le principal frein y est le front unique de tous les pays impérialistes pour l'écrasement du mouvement révolutionnaire des masses laborieuses, sans compter les autres facteurs.

Or, ces facteurs si différents, qui gênent le développement des éléments de la crise révolutionnaire et qui sont d'ordre tantôt subjectif tantôt objectif, on veut les faire entrer de force dans une seule formule générale: la crise politique, en tant que phase préliminaire de la crise révolutionnaire. Les processus révolutionnaires sont plus complexes que les formules et renversent celles qui reposent non pas sur l'analyse du rapport des forces de classes, mais sur une solution toute prête et bonne en toute circonstance.

L'opposition de la crise politique à la crise révolutionnaire, en tant que phase particulière, est inapproprié parce qu'elle peut aboutir à certains écarts, tant à droite qu'à gauche[99]. Si nous adoptions avec vous le point de vue qu'en Allemagne la crise politique est une étape déjà franchie, que nous sommes entrés dans la phase de crise révolutionnaire, cela signifierait que nous brûlons trop rapidement toutes les étapes: cela pourrait nous amener à commettre des fautes de tactique. Si nous adoptions en Allemagne ce point de vue, nous nous mettrions aussi rapidement à éliminer des tâches non encore résolues, ce serait une tactique de saut par‑dessus les tâches  complexes, mais non une lutte persévérante pour leur solution.

Mais cette opposition de la crise politique à la crise révolutionnaire est aussi grosse d'erreurs de droite. En considérant la crise politique comme une phase particulière précédant la “vraie” crise révolutionnaire, on sanctionne jusqu'à un certain point la période dite transitoire, dans le sens brandlérien[100] du mot, avec les mots d'ordre transitoires tels que le contrôle de la production. Souvenez‑vous du grand travail bolchévik qu'il a fallu faire, dans le Parti allemand, contre cette théorie des stades. Et cette théorie on veut essayer de nous la représenter par un autre bout. Il est également dangereux d'opposer la crise politique à la crise révolutionnaire parce que, du point de vue tactique, ce serait ériger presque en nouvelle loi sociale le retard du mouvement révolutionnaire mondial sur la situation objective favorable. Nous ne voulons établir dans aucun document fondamental de l'Internationale communiste cette distinction de la poussée révolutionnaire en crise politique et en crise révolutionnaire, en perpétuant ainsi ce qui n'a, nous l'espérons, qu'un caractère temporaire, transitoire. Dans la pratique, la mise en usage du terme de crise politique, considéré comme une sorte de "crise des classes dirigeantes" signifierait seulement que les partis communistes s'embusqueront dans les tranchées de la crise politique pour justifier leur retard. Si un parti, par exemple, ne répondait pas à l'offensive du Capital par la mobilisation des forces prolétariennes pour la contre-offensive, s'il ne ripostait pas à l'offensive du fascisme, il pourrait toujours se justifier en disant que dans son pays il n'y a que crise politique et non crise révolutionnaire.

Le danger qu'il y a à opposer la crise politique à la crise révolutionnaire est de réduire en fait toute la question de la crise politique, à la crise du fascisme. Le fascisme grandit, donc c'est la décomposition des classes dirigeantes qui commence, donc il y a des éléments de crise politique. Ce serait cultiver une sorte de théorie mécanique de la révolution, comme une espèce de processus objectif où il ne nous resterait plus, à vrai dire, qu'à déblayer les décombres de l'édifice du capitalisme, croulant sous le poids des facteurs objectifs. La tâche des communistes serait très simplifiée. La solution des tâches serait presque une marche triomphale ininterrompue. Vaincre le fascisme, quelle bagatelle. Il pourrit sur pied de lui‑même. La petite-bourgeoisie, d'elle‑même, est déjà désabusée du fascisme et lui tourne le dos. Une fois que le fascisme s'est usé en voulant pénétrer dans les usines, nous pourrions encore une fois faire une déduction erronée en partant de cette opinion, qu'il est déjà battu. Si le vieux Guesde, lorsqu'il était encore marxiste, disait que la guerre est la mère de la révolution, il ne s'ensuit pas que nous pouvons dire que le fascisme en est le père.

Le fascisme n'est pas seulement l'expression de la crise du capitalisme et de la décomposition commençante des classes dirigeantes. Dire seulement cela, c'est se tromper. Le fascisme est une des formes de l'offensive du Capital, contenant les éléments pouvant surmonter la crise bourgeoise. Le fascisme est aussi bien l'offensive que la défensive du Capital.

Le camarade Remmele[101] polémisa avec la droite sur la question de l'offensive ou de la défensive de la classe ouvrière et montra que dialectiquement la défensive de la classe ouvrière se transforma en contre-offensive. C'est exact; et c'est aussi exact si nous employons cette même dialectique pour le fascisme. Il faut seulement un peu plus détailler pour chaque pays ce qu'il a dit.

Qu'avons-nous en réalité? Nous avons une offensive du prolétariat sur certains secteurs du front: C'est l'U.R.S.S.; sur d'autres, nous avons une offensive du Capital avec une contre-offensive du prolétariat: avant tout en Allemane, en France, en Pologne, en Angleterre, mais ici il est nécessaire d'analyser en détail chaque cas et ne pas se limiter à établir une thèse générale sur le passage de la défense à la contre-attaque du prolétariat.

Enfin, dans d'autres pays, nous avons une offensive du Capital avec une résistance très faible de la classe ouvrière. Voyez la Yougoslavie, l'Italie. On ne peut parler de contre-offensive que lorsqu'elle existe en réalité. À quoi cela sert-il de proclamer la contre-offensive mondiale? Si le prolétariat ne se met pas assez en mouvement pour la lutte, il n'y aura aucune contre-offensive.

En quoi l'offensive actuelle du Capital se distingue‑t‑elle des précédentes? Je ne pense pas que ce soit en ce qu'il est devenu plus fort, en ce que ses positions se soient renforcées, mais en ce qu'il est devenu plus faible, en ce que ses positions sont entamées. En second lieu, en ce que cette offensive du Capital va de pair avec la croissance du fascisme, ce qui témoigne que les classes dirigeantes commencent à être désorientées. Mais la seule croissance du fascisme ne signifie pas encore un renforcement des positions du Capital. Quand on installe des mitrailleuses dans les rues, c'est que le pouvoir ne se sent pas bien ferme et bien tranquille. Ce n'est nullement un signe de la force du régime.

Mais, si le Capital engage l'offensive, c'est précisément pour renforcer ses positions, pour devenir plus fort, pour écraser l'offensive du prolétariat sur toute la ligne, sur le terrain économique et sur le terrain politique. L'offensive du Capital contient aussi ses éléments de défensive contre la révolution, mais, en même temps, des éléments d'offensive. Il est vrai qu'une phase plus élevée de lutte révolutionnaire des masses donne naissance à un degré plus élevé de défense contre-révolutionnaire du Capital.

Mais le parallélisme absolu n'est pas obligatoire toujours et en toutes circonstances. C'est précisément en passant à de nouvelles formes de lutte qu'une classe prend l'adversaire à l'improviste et qu'elle le bat. Il en fut toujours ainsi dans l'histoire. En octobre 1905, en passant à une nouvelle forme de lutte telle que la grève générale, nous avons pris le tsarisme à l'improviste, mais, pour décembre 1905, il s'était déjà préparé. Il sera plus difficile au prolétariat des pays capitalistes d'accomplir la révolution prolétarienne, parce que la bourgeoisie a déjà tenu compte de l'expérience d'Octobre. La tâche de notre tactique n'est nullement de proclamer objectivement ce parallélisme de formes de la révolution et de la contre-révolution, mais de le rompre en notre faveur par la tactique des coups inattendus. Celui qui passe à la tactique des coups inattendus, celui‑là bat l'ennemi. C'est pourquoi il faut voir le danger, sans emballement, sans se laisser griser par les succès, il faut calculer froidement ses forces et celles de l'ennemi, savoir exactement estimer c'est‑à‑dire ni sous-estimer, ni exagérer ses succès, ni sous-estimer, ni surestimer les forces de l'ennemi; c'est là la première obligation des communistes. Si nous proclamons la tactique exclusive de la contre-offensive générale à un moment où on nous bat assez sérieusement en maints endroits, il n'y aura pas pour cela de contre-offensive.

On dit qu'historiquement, la bourgeoisie se trouve dans une position de défensive. Mais il  ne faut pas tirer de ce fait une théorie de l'offensive générale, pour aujourd'hui. Actuellement, en Allemagne, la bourgeoisie essaie de refouler les communistes jusqu'à l'illégalité; dans d'autres pays, elle les jette en prison, les fusille, les étouffe, jette des masses d'ouvriers hors des usines, baisse les salaires, réduit les assurances sociales. Et nous continuerons à appeler tout cela de la défensive? Mais qu'est‑ce que cela nous donnerait pour l'établissement de la tactique à adopter aujourd'hui?

Le fascisme de la nuance Hitler peut décliner, et vraisemblablement décline déjà sous l'influence de l'activité de notre parti. Mais la dictature bourgeoise qui se fascise en Allemagne et qui est réalisée par le gouvernement Brüning et par la social-démocratie, peut se renforcer, s'il se produit cette situation paradoxale où le prolétariat allemand se tranquilliserait après sa victoire sur la force hitlérienne du mouvement fasciste.

L'erreur des droitiers dans l'appréciation du fascisme consiste à ne voir dans le fascisme qu'une offensive ordinaire du Capital, que le renforcement de la réaction fasciste. Ils ont pris le renforcement de la réaction fasciste pour le renforcement des positions du Capital. De là, la déduction que la classe ouvrière est devenue plus faible, qu'elle doit battre en retraite, qu'il est impossible de faire grève pendant la crise, qu'il faut transiger avec le fascisme pour éviter la guerre civile. Autrement dit, c'est justifier toute la tactique de trahison de la social-démocratie.

Nous concevons autrement au point de vue théorique, la faute des prétendus “gauchistes”. Leur faute est de ne voir dans le fascisme que le produit de la décomposition du capitalisme. Les mouvements fascistes seraient, en quelque sorte, des “alliés” objectifs des communistes, détruisant la stabilité du système capitaliste, enlevant la base de masse de la social-démocratie du côté opposé à celui des communistes, si l'on peut s'exprimer ainsi. Si les communistes avaient adopté ce point de vue, ils auraient méconnu cette circonstance si importante que le fascisme est une forme de l'offensive du Capital. Ils auraient estimé que l'apparition du fascisme montre que le Capital est devenu plus faible et le prolétariat plus fort. Ils auraient attribué au fascisme un rôle exclusivement révolutionnaire. De là, la déduction que la venue du fascisme est presque désirable, car plus ça va mal, mieux ça vaut: la croissance du fascisme, paraît‑il, aurait préparé la victoire du communisme.

Cette façon d'envisager la question du fascisme aurait conduit à la passivité dans la lutte contre le fascisme. Les communistes, c'est certain, ne peuvent se placer à un tel point de vue.

Le mouvement fasciste, en réalité, est une des formes de l'offensive du Capital dans les conditions de la crise générale du capitalisme et de la désagrégation commençante des classes dirigeantes. Cela fait du fascisme une forme particulière et inhabituelle de l'offensive du Capital.

Le fascisme reflète la contradiction dialectique du développement social. Il contient les deux éléments: celui de l'offensive des classes dirigeantes, celui de leur décomposition. Autrement dit, le développement fasciste peut conduire à la victoire du prolétariat ou à sa défaite. Ce qui tranche la question c'est le facteur subjectif, c'est‑à‑dire la lutte de classe du prolétariat. Plus la classe ouvrière mène une lutte de classe active contre le fascisme et plus se développent dans ce dernier les éléments de décomposition. Si le prolétariat bat en retraite sans combattre, comme en Italie en 1920, apparaissent d'autant plus fortement dans le fascisme les caractères de l'offensive contre la classe ouvrière. Le premier chemin conduit à la victoire sur la dictature fasciste, le second à la défaite du prolétariat. Le camarade Thälmann a cité le cas Scheringer[102]. Cas très intéressant. Sans aucun doute, c'est un signe de la différenciation qui commence dans le mouvement fasciste. Mais pourquoi ce processus a-t-il commencé en Allemagne et non en Autriche?

Parce qu'au cours des derniers mois notre fort parti communiste d'Allemagne a mené une lutte offensive contre le fascisme. Il a montré ainsi la force du prolétariat. Le prolétariat ne peut conquérir des alliés qu'en faisant la démonstration de sa force et de la force de son avant-garde: le Parti communiste. La petite bourgeoisie est habituée à respecter la force. Quand, par exemple, les membres du conseil des trades-unions sont venus en U.R.S.S.[103], ils ont dû considérer la force du gouvernement de la dictature prolétarienne. Lorsque la petite bourgeoisie perd confiance en la force du Capital elle s'en laisse imposer par la force du prolétariat.

Les bolchéviks se sont toujours distingués des menchéviks en ce qu'ils estimaient que l'on ne peut pousser les classes moyennes dans le chemin de la révolution que par l'activité révolutionnaire du prolétariat et non pas par des compromis avec ces classes, par un abaissement à leur niveau. Il est vrai que l'apparition et même le progrès momentané du mouvement fasciste ne signifie nullement la défaite du prolétariat. Mais l'instauration de la dictature fasciste, qui a pour effet l'illégalité du Parti communiste, l'écrasement sanglant de la lutte de classe du prolétariat, la transformation des syndicats en organes de l'État capitaliste au même titre que la police, la prison, la caserne, constituent une défaite temporaire du prolétariat si celui‑ci ne riposte pas suffisamment. Mais ce n'est pas une défaite pour le prolétariat s'il combat pour chacune de ses positions, même au cas où, sous le poids des forces supérieures de l'ennemi, il est obligé de reculer dans le combat. Même au moment de la crise révolutionnaire, nous ne sommes pas certains de n'être pas obligés de reculer, par moments, dans le combat. En juillet 1917, nous avons momentanément reculé. Mais il serait faux de croire que l'on puisse empêcher l'instauration de la dictature fasciste seulement par la révolution prolétarienne. La révolution prolétarienne est l'unique moyen de renverser la dictature bourgeoisie en général, indépendamment de la forme de celle‑ci. Nous ne pouvons dire avec certitude que par notre lutte nous pouvons toujours empêcher la dictature fasciste. Ce dont nous sommes certains, c'est que nous pouvons gêner l'instauration de la dictature fasciste. C'est absolument certain. On peut gêner la croissance de la réaction fasciste, donc l'instauration de la variété fasciste de la dictature bourgeoise par la lutte quotidienne du prolétariat, par la lutte économique, politique etc... Nous pouvons, par notre contre-offensive, empêcher l'offensive de la bourgeoisie, par exemple sur le terrain économique. Nous nous distinguons en cela des réformistes et des brandlériens qui affirment que les grèves sont impossibles pendant les crises, qu'elles sont d'avance vouées à l'échec. Ne serait‑ce pas le même fatalisme opportuniste que de ne voir l'échec de l'instauration de la variété fasciste de la dictature bourgeoise qu'en liaison avec la révolution prolétarienne? Cela voudrait dire que les luttes partielles du prolétariat contre le gouvernement réalisant la dictature fasciste seraient stériles, qu'elles n'apporteraient aucun changement dans le rapport des forces de classe. Mais en quoi cette question se distinguerait‑elle de celle des brandlériens au cas où les communistes viendraient à s'y placer? Par les luttes partielles on peut non seulement gêner l'instauration de la variété fasciste de la dictature bourgeoise, mais aussi lutter avec succès contre la dictature fasciste déjà instaurée, comme en Italie ou en Yougoslavie. Nous ne disons pas aux camarades italiens et yougoslaves qu'ils doivent se retirer du combat jusqu'au moment de la lutte finale décisive, mais nous critiquons cette conception fataliste engendrée chez certains par les conditions extrêmement difficiles de la lutte. Les combats partiels du prolétariat ne renversent pas la dictature bourgeoise, mais ils la désorganisent, ils préparent sa chute sous les coups de la révolution prolétarienne, unissant ces combats partiels en un puissant mouvement de toute la classe ouvrière et de tous les travailleurs. Les combats partiels, toujours plus fréquents et plus large, à condition qu'on ne perde pas de vue la perspective révolutionnaire du renversement de la dictature bourgeoisie, peuvent obliger la bourgeoisie à reculer sous la pression du prolétariat, à atténuer momentanément le régime fasciste, ils peuvent obliger la bourgeoisie à faire certaines concessions aux classes opprimées dans l'espoir de sauver la dictature bourgeoise. En Italie par exemple, la crise Matteotti a failli créer une telle situation.

Il serait faux de croire que la variété fasciste de la dictature bourgeoisie est la dernière "superstructure politique", que la disparition de cette superstructure ne soit possible qu'avec la disparition du capitalisme en général. Il est probable qu'il en sera ainsi en Italie. En Espagne, nous avons vu d'autres voies de désagrégation de la dictature de Primo de Rivera. On ne peut établir une telle loi, comme on ne peut affirmer que partout le capitalisme, avant que d'être détruit par la révolution prolétarienne, passera par la forme fasciste de la dictature de la bourgeoisie. Ce serait encore mécaniser le processus dialectique du développement social.

À la Commission du programme du 6e Congrès, il y a eu des camarades qui ont défendu ce point de vue. Dans ce schéma, le fascisme est une sorte de fatalité historique que le prolétariat ne peut empêcher par sa lutte de la même façon que le capitalisme monopolisateur, la phase impérialiste du capitalisme, etc.

Premièrement, cette phase monopolisatrice du capitalisme, l'impérialisme, n'est pas obligatoire. Lénine l'a souvent indiqué. Lénine a souvent combattu cette conception fataliste pleine de dangers qui, avant la guerre, dans la social-démocratie allemande, a amené certains radicaux comme Paul Lentsch, dans le camp des idéologues du superimpérialisme. Souvenons‑nous de sa lutte contre Boukharine, Radek et Piatakov dans la question nationale, c'est‑à‑dire contre des camarades qui, partant d'un point de vue fataliste de l'impérialisme, schématisant le développement impérialiste, niaient la possibilité pour les peuples de disposer d'eux‑mêmes à l'époque de l'impérialisme. Les processus de transformation de la dictature bourgeoise sous la forme fasciste sont des processus extrêmement inégaux, surtout à l'échelle internationale, et ce serait un grand pessimisme que de penser que la forme fasciste de la dictature bourgeoisie deviendra la superstructure universelle du capitalisme avant que la révolution mondiale ne mette en général fin au capitalisme. Mais précisément cette théorie entretient l'idée qu'on ne peut empêcher la croissance de la réaction fasciste que par la révolution prolétarienne. Poser ainsi la question, ce serait exiger de nos partis communistes des choses qui ne dépendent pas seulement de leurs forces, mais de l'ensemble des facteurs, tant intérieurs qu'extérieurs.

L'Internationale communiste ne peut exiger d'aucun parti communiste qu'en toutes circonstances il arrête le développement du fascisme par la révolution prolétarienne. Par exemple, nous n'avons pas exigé de nos camarades finlandais qu'ils fassent la révolution en réponse au coup d'état de Lapouas. Ce que nous avons exigé d'eux, c'est la lutte active contre la dictature bourgeoisie, estimant que par cela même ils pourront gêner et peut‑être même empêcher l'instauration de la forme fasciste de la dictature bourgeoisie. Par exemple, est‑ce que les sections de l'Internationale communiste peuvent exiger de nos camarades allemands, dans les circonstances actuelles, d'empêcher l'instauration de la dictature bourgeoisie et de préparer la révolution populaire en Allemagne? Empêcher l'offensive du Capital contre la classe ouvrière, empêcher de réduire le Parti communiste à l'illégalité, se renforcer dans les usines, diriger d'une façon indépendante les luttes économiques, renforcer et développer le mouvement syndical indépendant, saper la base de classe de la social-démocratie, déclencher la grève politique de masse dans la lutte contre la dictature bourgeoisie, ce sont là des tâches que les sections de l'Internationale communiste peuvent exiger du PC allemand. Mais le Parti communiste allemand le fait déjà maintenant.

En quoi consiste concrètement notre retard dans la question du fascisme? Premièrement, en ce que, par notre passivité, nous permettons à la bourgeoisie de manoeuvrer dans les questions du parlementarisme, du plan Young, du protectionnisme, etc., précisément au moment où se rétrécit la base économique dont le réformisme a besoin, au moment où se réduit la capacité de manoeuvres du Capital sur le terrain économique. Deuxièmement, en ce que nous permettons à la social-démocratie de manoeuvrer dans la question des formes de la dictature bourgeoise. Et c'est maintenant sa principale manoeuvre de toute une période historique. La social-démocratie cherche à détourner les masses des questions fondamentales de la lutte de classe pour les entraîner dans des discussions sur la forme de leur oppression, sur la question, quelle est la forme de la dictature bourgeoise qui est la meilleure: la forme parlementaire ou la forme extra-parlementaire. La théorie dite du “moindre mal”, dont ont parlé dans leurs discours les camarades Thälmann et Pollitt, est maintenant le principal canal pour des illusions parlementaires des masses. Ce n'est pas aujourd'hui seulement, mais durant toute une période, que la social-démocratie va manoeuvrer avec sa prétendue lutte contre le fascisme, en dissimulant ce fait essentiel, que le fascisme et le social-fascisme ne sont que les variétés d'une seule et même base sociale de la dictature bourgeoise. Détruire cette illusion des masses, c'est saper la base de masse de la social-democratie dans la classe ouvrière.

Comment peut‑on détruire ces illusions dans cette question essentielle ? Par les faits de la lutte économique et politique contre le Capital. C'est l'anneau principal de notre lutte contre la social-démocratie, contre l'influence de celle‑ci sur les masses.

L'erreur qui, dans nos milieux, conduit à opposer en principe la démocratie bourgeoise au fascisme, la social-démocratie au Parti hitlérien, cette erreur, objectivement, pousse les communistes dans le camp de gens comme le libéral italien Nitti et sont des plus nuisibles pour le mouvement communiste. C'est maintenant notre principal danger.

Il faut dire franchement que le fait de décliner constamment le mot "fascisme", d'opposer le fascisme à la dictature bourgeoisie comme une sorte de "chose en soi", sans y mettre un contenu historique de classe concret, montre que les camarades, tout en se plaçant entièrement sur la ligne de l'Internationale communiste, ne se sont pas encore entièrement débarrassés de l'influence libérale de l'agitation que la social-démocratie fait sciemment autour de la forme fasciste de la dictature bourgeoise pour tromper les grandes masses. Nous tombons tous un peu sous l'influence de cette idéologie et cela s'est senti dans les discours de certains camarades. Par exemple, pour caractériser le fascisme en France, on a cité le cas si monstrueux d'un maire communiste qu'on n'a pas laissé entrer dans sa mairie, ou, pour prouver la fascisation en Hollande, on a cité comme exemple que deux communistes (chose extraordinaire pour les Hollandais) ont déjà été condamnés à trois mois de prison; si tragiques que puissent être ces faits, nous estimons que la destruction de villages entiers en Indochine par des aéroplanes français et l'écrasement dans le sang du soulèvement indonésien en disent beaucoup plus sur la fascisation de la dictature bourgeoise que les pirouettes quasi-inoffensives de cette dictature avec un maire communiste.

Ensuite nos savants, jeunes ou même vieux, recherchent littéralement à la loupe les moindres subtilités distinguant la forme fasciste de la dictature bourgeoisie pour ainsi dire “normale”, en se mettant vainement à la recherche d'une définition universelle du fascisme. Pourquoi faire, camarades? Comme si la définition marxiste-léniniste de la dictature bourgeoise était déjà désuète et ne convenait plus pour les formes fascistes de cette même dictature. Toutes ces élucubrations théoriques ne font que jeter la confusion, en réalité, et dissimulent l'idée d'une opposition du fascisme, en tant que “type nouveau” de l'État bourgeois au vieux type démocratique de ce dernier. Or, l'acuité croissante de la lutte de classe montre que la différence entre les méthodes de domination de classe de la démocratie bourgeoise et du fascisme s'efface de plus en plus et commence déjà à s'effacer dans la pratique. Qu'on essaie de prouver que la politique de la social-démocratie allemande envers l'U.R.S.S., le pays édifiant le socialisme, est plus “progressive” et meilleure que celle du fascisme italien. La social-démocratie, de propos délibéré, pour tromper les masses, proclame que le principal ennemi de la classe ouvrière est le fascisme, afin de supprimer ainsi la question de la lutte contre la dictature du Capital en général, d'embellir les formes démocratiques de cette dernière, de créer chez les ouvriers l'impression qu'ils doivent lutter pour les formes “démocratiques” de leur exploitation, contre les formes fascistes. Cela a surtout lieu en France où cela coïncide, à l'intérieur, avec la politique contre la bourgeoisie italienne. Notre première tâche, dans la lutte contre les illusions parlementaires des masses est de démasquer cette manoeuvre. Les communistes doivent avant tout se faire eux-mêmes une idée claire de cette question; le principal ennemi de la classe ouvrière a toujours été, est et sera la bourgeoisie. Inutile d'inventer de nouvelles formules. Dans les démocraties bourgeoises qui se fascisent, dans les États fascistes, partout, à toutes les étapes de la fascisation des États capitalistes, le principal ennemi de la classe ouvrière est la dictature du Capital, quelle que soit sa forme, démocratique ou fasciste. Cela veut dire que dans des pays tels que la France, les communistes ne doivent pas permettre aux social-démocrates de duper les masses avec le fantôme du fascisme menaçant, mais qu'ils doivent frapper la dictature du Capital existant dès aujourd'hui, la République démocratique bourgeoise prostituée. Cela veut dire qu'en Allemagne, le principal ennemi est aujourd'hui le gouvernement Brüning soutenu par la social-démocratie, le gouvernement de l'instauration de la dictature fasciste incarnant dès aujourd'hui toute l'oppression de la classe ouvrière par la dictature bourgeoise. Nous devons toujours diriger nos principaux efforts contre l'aile sur laquelle la bourgeoisie s'appuie dans la lutte contre le prolétariat. En Allemagne, nous devons diriger nos coups contre la dictature bourgeoise personnifiée par le gouvernement Brüning, comme le prouve parfaitement le dernier discours de Wirth[104] qui révèle les plans d'étouffement de la classe ouvrière allemande par la dictature du Capital avec l'aide de la social-démocratie et du parti Hitler. Le gouvernement Brüning est maintenant le principal ennemi, pour cette raison encore que, sous l'influence de la différenciation qui commence au sein du mouvement hitlérien, des derniers changements dans la situation internationale et qui détruisent l'espoir des hitlériens en un accord des États‑Unis et de l'Angleterre pour la révision du plan Young et du traité de Versailles, l'arrivée de Hitler au pouvoir se heurte à une certaine résistance.

Précisément, cette façon d'envisager la question nous permet de mieux démasquer la théorie du moindre mal. Précisément parce que les communistes allemands luttent contre la dictature bourgeoise, en tant que leur principal ennemi, représenté aujourd'hui par le gouvernement Brüning, ils démasquent la manoeuvre de la social-démocratie qui présente le gouvernement Brüning comme étant un “moindre mal”, en comparaison du fascisme genre hitlérien. Car toute la théorie du moindre mal repos sur l'idée que le fascisme genre hitlérien est le principal ennemi. Partant de cette idée, il est impossible de prouver aux ouvriers, sans identifier complètement Brüning avec le gouvernement possible de Hitler, que le premier ne soit pas le moindre mal. Et pourtant nous n'identifions pas Brüning avec Hitler, le social-fascisme, soutenant Brüning, avec le fascisme hitlérien.

Pour détruire la théorie du moindre mal, les communistes doivent expliquer aux masses que le système de la dictature bourgeoise repose sur l'utilisation, dans la lutte contre la classe ouvrière, de la prétendue démocratie bourgeoise et du fascisme. Le programme de l'Internationale communiste parle clairement de ce système de dictature bourgeoise[105]:

S'adaptant aux changements de la conjoncture politique, la bourgeoisie se sert des méthodes du fascisme et des méthodes de coalition avec la social-démocratie... pour ralentir la marche offensive de la révolution.

Il est impossible de séparer cette méthode de tout le système de la dictature bourgeoise. L'existence de ces deux méthodes de domination permet à la bourgeoise de manoeuvrer durant un certain nombre d'années.

Si la tactique de la bourgeoisie était toujours uniforme ‑ a dit une fois Lénine[106] ‑ ou même toujours homogène, la classe ouvrière apprendrait vite à y répondre par une tactique tout aussi uniforme ou homogène. En réalité, dans tous les pays, la bourgeoisie élabore deux systèmes de gouvernement, deux méthodes de lutte pour ses intérêts et de défense de sa domination et ces méthodes, tantôt se succèdent, tantôt s'entremêlent dans les combinaisons les plus variées.

Que dit Staline à ce sujet[107]?

Le fascisme est l'organisation de combat de la bourgeoisie, avec l'appui actif de la social-démocratie. La social-démocratie, objectivement, est l'aile modérée du fascisme. Il n'y a pas de raison de supposer que l'organisation de combat de la bourgeoisie puisse remporter des succès décisifs dans les combats ou dans le gouvernement du pays, sans appui actif de la social-démocratie.

Il n'y a pas non plus de raison de croire que la social-démocratie puisse remporter des succès décisifs dans les combats ou dans le gouvernement du pays sans l'aide active de l'organisation de combat de la bourgeoisie. Ces organisations, loin de s'annihiler, se complètent l'une l'autre. Ce ne sont pas des antipodes, ce sont des jumeaux.

L'utilisation de ces deux méthodes permet à la bourgeoisie de serrer toujours plus fort la vis de l'oppression des masses, de tenir les masses par le chantage du danger de “droite” et elle aide en même temps la social-démocratie à prendre figure de champion pour la “démocratie”.

[...]

Deuxièmement, c'est l'expérience du Parti communiste allemand, qui est fixée dans son programme d'affranchissement social et national, dans sa lutte pour la paix, dans la concrétisation de son principal mot d'ordre stratégique, celui de la "révolution populaire".

À ce propos, il faut dire que certains camarades ont eu des doutes sur le mot d'ordre de la révolution populaire. Est‑ce la peine, disaient‑ils, de remplacer notre vieux et clair mot d'ordre de la révolution prolétarienne par un nouveau terme emprunté à l'époque des révolutions de 1848.

Mais, premièrement, les camarades allemands n'ont pas remplacé le mot d'ordre de la révolution prolétarienne par celui de la révolution populaire. Ils n'ont jamais supprimé les vieux mots d'ordre bolchéviks. Le mot d'ordre de la révolution populaire, dans leurs documents, dans leur agitation quotidienne, est le synonyme de celui de la révolution prolétarienne, parce que le Parti communiste allemand dans les conditions concrètes de l'Allemagne où se produisent de formidables bouleversements de classe, le Parti communiste, bien qu'il n'ait pas encore conquis la majorité de la classe ouvrière, devient cependant le parti des millions de travailleurs opprimés et exploités de l'Allemagne.

Le camarade Thälmann a raison lorsqu'il déclare dans son discours qu'on ne peut opposer la conquête des alliés pour le prolétariat à la conquête de la majorité de la classe ouvrière. Ces deux tâches sont intimement liées entre elles. Plus le prolétariat approche de la conquête de la majorité de la classe ouvrière et plus grandes deviennent sa force et son influence sur les autres couches, non prolétariennes, de la population.

Est‑ce que cela veut dire qu'en Allemagne nous devons déjà enlever de l'ordre du jour le mot d'ordre, la tâche de la conquête de la majorité de la classe ouvrière? Nullement. Cela reste en Allemagne la principale tâche, la tâche stratégique. Nous n'y avons pas encore conquis  la majorité de la classe ouvrière. Voyez les dernières élections des conseils d'usines. Tous les partis perdent, notre parti gagne. Mais il y a des endroits où tous les partis perdent, et notre parti perd aussi, mais proportionnellement moins. Voyez les récentes élections dans la Ruhr.

[...]

 

 

 

 

 

Notes



[1].       [321ignition] Les annotations sont formulées par nous en tenant compte d'éventuelles notes figurant dans la source.

[2].       Plan Young.

Le 31 mai 1929, une commission interalliée réunie à Paris adopte un plan pour le rééchelonnement sur 59 ans (jusqu'en 1988) du reliquat des réparations de guerre dues par l'Allemagne au titre du traité de Versailles. Il prend le nom de plan Young, d'après l'un des membres de la Commission, Owen Young (président du conseil de surveillance General Electric). Il se substitue au plan Dawes (cf. note 16 ) adopté en 1924. Cependant les USA refusent, au sujet des dettes des alliés à leur égard, que le remboursement de celles‑ci soit lié à la question des réparations allemandes. Une nouvelle conférence tenue du 16 juin au 9 juillet 1932 à Lausanne, réduit le montant des réparations et concède un moratoire de trois ans. Finalement, les comptes ne seront soldés définitivement qu'en 2010, par la République Fédérale Allemande.

[3].       En Grande-Bretagne, historiquement, les partis dominants sont: Conservateurs (Conservative Party, auquel est associée la désignation plus ancienne Tory), Libéraux (Liberal Party, auquel est associée la désignation plus ancienne Whig); les Travaillistes (Labour Party) sont d'origine plus récente.

[4].       Le Trades Union Congress (Congrès de Syndicats, TUC), en Grande Bretagne, est l'unique organisation centralisée de syndicats; des organisations syndicales non affiliées au TUC existent, mais à quelques exceptions près il s'agit de très petits syndicats. Le TUC est lié au Labour Party, lequel historiquement est une émanation du TUC.

En septembre 1930 se tient un congrès du TUC à Nottingham. Un rapport, entériné préalablement par le Comité économique, est présenté au sujet de la Conférence impériale devant se tenir cette même année.

Les Conférences impériales (dénommées Conférences coloniales avant 1917) sont des réunions périodiques de dirigeants gouvernementaux des colonies à statut d'autonomie et des dominions composant l'empire britannique (British Commonwealth of Nations, à partir de 1926).

À la Conférence de 1930, est discutée l'instauration d'un système de préférence impériale basé sur des barrières tarifaires appliquées par l'ensemble de l'empire vis‑à‑vis du reste du monde. La Conférence de 1932 aboutit effectivement à l'adoption d'une série d'accords bilatéraux fixant des tarifs réduits à l'intérieur de l'empire et des tarifs élevés vis‑à‑vis du reste du monde. Les USA sont hostiles à ces mesures. Ainsi, en 1935, suite notamment à un changement de gouvernement au Canada, la pression exercée par les USA fait son effet; le Canada renonce au principe de la préférence impériale.

Le rapport présenté au Congrès du TUC de 1930 déclare notamment:

La politique de bon sens consiste certainement à regarder vers l'avenir et à déterminer comment au mieux, à la lumière des tendances actuelles, la Grande‑Bretagne peut édifier des liens économiques resserrés avec ces nations dont les intérêts paraissent être complémentaires aux nôtres. Si la politique de former des blocs économiques est poursuivie par les nations, il semblerait que le groupement le plus praticable de notre point de vue devrait paraitre la consolidation du Commonwealth britannique.

[The commonsense policy is surely to look ahead and to determine how best Britain in the light of present-day tendencies can build up closer economic bonds with those nations whose interests appear to be complementary to our own. If the policy of forming economic blocks is pursued by the nations the most practicable group from our point of view would appear to be consolidation of the British Commonwealth.]

[Report of Proceedings at the Annual Trades Union Congress, Volume 62, Trades Union Congress, 1930.]

[5].       Oswald Mosley.

En 1918 Mosley est élu à la Chambre des communes (House of Commons) pour le Parti conservateur, puis réélu en 1922 comme candidat conservateur indépendant, finalement en 1924 il adhère au Parti travailliste (Labour Party), il est élu à la Chambre des communes en 1926. En 1927 il est élu au Comité exécutif national du Parti travailliste. Dans le cadre du gouvernement travailliste en place de mai 1929 à aout 1931 il est chargé de la question de la reconstruction nationale, mais le gouvernement rejette les plans qu'il élabore à ce sujet, à la suite de quoi il démissionne de son poste en mai 1930. Il fonde le New Party (Parti nouveau). Lors des élections d'octobre 1931, le New Party n'obtient aucun siège. En octobre 1932, après une visite auprès de Benito Mussolini en janvier de la même année, il dissout le New Party et crée le British Union of Fascists (Union britannique de fascistes, BUF). (Ne pas confondre le BUF avec le National Union of Fascists, NUF; ce dernier groupe est créé en 1961 par Keith Goodall lorsque celui‑ci quitte le BUF.)

[6].       Harold Sydney Harmsworth (alias Lord Rothermere par anoblissement).

          Alfred Charles William Harmsworth (alias Lord Northcliffe par anoblissement), frère de Harold.

Ensemble, Harold et Alfred achètent en 1894 l'Evening News puis fondent le Daily Mail, en 1896. En 1903, Alfred fonde le Daily Mirror, que rachète Harold en 1913. En 1908, Alfred acquiert The Times. Après le décès d'Alfred en 1922, Harold prend entièrement en charge le Daily Mail comme le Daily Mirror.

En 1929, H. Harmsworth ensemble avec William Aitken (cf. note 7 ), forme le United Empire Party. Il suggère au Parti conservateur d'écarter son dirigeant Stanley Baldwin pour le remplacer par Aitken. Le 14 septembre 1930 ont lieu des élections en Allemagne, à l'occasion desquelles le NSDAP remporte un succès considérable. Peu après, H. Harmsworth rencontre Adolf Hitler. Le 24 septembre, il publie un article dans le Daily Mail, dans lequel il commente le nombre de voix et d'élus obtenus par le NSDAP, chiffres qui selon lui "représentent la renaissance de l'Allemagne en tant que nation" ["represent the rebirth of Germany as a nation."]

En 1931, H. Harmsworth cède ses participations dans le Daily Mirror en Bourse, et se concentre sur l'Evening News et le Daily Mail. À l'occasion de la venue au pouvoir d'Adolf Hitler, il publie une série d'articles louant le régime national-socialiste. Il affirme que Hitler a sauvé l'Allemagne des "Israelites aux attaches internationaux" ["Israelites of international attachments"] et que les "méfaits mineurs de nazis à titre individuel seront submergés par les immenses bienfaits que le nouveau régime accorde d'ores et déjà à l'Allemagne" ["minor misdeeds of individual Nazis will be submerged by the immense benefits that the new regime is already bestowing upon Germany"]. (Cf. http://www.themalcontent.rocks/here-is-some-content/rotter-rothermere) Pendant un certain temps, H. Harmsworth soutient aussi activement le British Union of Fascists d'Oswald Mosley (cf. note 5 ), mais s'en détourne subitement en juillet 1934.

[7].       William Maxwell Aitken (alias Lord Beaverbrook par anoblissement).

Né au Canada, il développe des activités d'homme d'affaire. En 1910 il s'installe à Londres. Cette année‑là il est élu comme candidat du Parti conservateur. Après la Première guerre mondiale, il édifie une chaine de journaux. Il achète le Daily Express et l'Evening Standard, et crée le Sunday Express. En 1929, ensemble avec Harold Harmsworth (cf. note 6 ), il forme le United Empire Party. Il se prononce activement en faveur de la "préférence impériale"(cf. note 4 ). Après la nomination de Joachim von Ribbentrop comme ministre des Affaires étrangères en Allemagne, en 1937, il prône une attitude conciliatrice vis‑à‑vis du régime national-socialiste. En septembre 1941 il rencontre J. Staline, et par la suite il fait campagne pour des fournitures d'armements à l'URSS.

[8].       Internationale socialiste.

En 1864 est constituée à Londres l'“Association internationale des travailleurs”, à laquelle Karl Marx et Friedrich Engels participent activement; elle est dissoute par décision de son assemblée générale tenue à Philadelphie en 1876. En 1889 se tient un congrès ouvrier international à Paris. La coordination ainsi établie entre partis d'orientation marxiste est désignée couramment comme “Deuxième Internationale”. Dans un premier temps, aucune structure organisationnelle particulière n'est mise en place, en dehors de la convocation de congrès. En 1900 est constitué un Bureau socialiste international, ainsi qu'un comité exécutif chargé des affaires courantes, avec siège à Bruxelles.

Les 14 et 15 février 1915 se tient à Londres une conférence des partis socialistes des pays alliés. Le nombre de délégués s'élève à 46. La France est représentée de la façon suivante: pour le Parti socialiste Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) Alexandre Desrousseaux dit Bracke, Adéodat Compère-Morel, Marcel Cachin, Jean Longuet, Marcel Sembat, Pierre Renaudel, Édouard Vaillant, Louis Dubreuilh, Ernest Poisson, Braemer; pour la Confédération générale du travail Léon Jouhaux, Alexandre Luquet, Moulinier, Albert Bourderon et Alphonse Merrheim. La Grande Bretagne est représentée entre autres par Arthur Henderson, Ramsay Macdonald, Keir Hardie, William Anderson, Bruce Glasier; la Belgique est représentée notamment par Émile Vandervelde et Camille Huysmans; pour la Russie participent entre autres Ivan M. Maisky du Parti ouvrier social-démocrate - menchévik), Viktor M. Černov et Ilja A. Rubanovič du Parti des socialistes-révolutionnaires, etc.

Après la 1e guerre mondiale se tient d'abord en février 1919 une conférence à Bern, puis en aout 1920 à Genève la 2e Internationale est reconstituée avec la participation d'un nombre réduit de partis. Elle établit son siège à Londres.

Un certain nombre d'autres partis constituent en février 1921 à Vienne en Autriche la “Communauté internationale de travail de partis socialistes”. Friedrich Adler et Otto Bauer jouent un rôle important. Officiellement l'organisation est désignée aussi comme “Internationale de Vienne”, mais elle est couramment nommée “Internationale 2 ½”.

En mai 1923 durant un congrès tenu à Hambourg cette Internationale et la 2e Internationale créent en commun l'“Internationale ouvrière socialiste”.

[9].       Le 28 juin 1914, l'archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d'Autriche-Hongrie, se rend à Sarajevo, le jour de la fête nationale serbe, pour commander des manoeuvres militaires dont le thème est une attaque contre la Serbie. Lui et son épouse sont assassinés par un étudiant serbe, Gavrilo Princip. Le gouvernement autrichien utilise l'évènement comme prétexte pour justifier une déclaration de guerre.

[10].     Conférences internationales sur les armements navals.

Entre 1921 et 1935 se déroule une série de cinq négociations ayant pour objet la limitation de la capacité de la marine des plus grandes puissances maritimes. Les négociations sont initiées par la Conférence de Washington de 1921‑1922 avec la participation de la Grande‑Bretagne, des USA, du Japon, de la France et de l'Italie (cf. note 11 ). En 1927 se tient une réunion à Genève, qui reste sans résultat. En 1930 une réunion se tient à Londres avec la participation de la Grande‑Bretagne, des USA, du Japon, de la France et de l'Italie. L'enjeu concerne à la fois le rapport entre le nombre respectif de navires pour chacun des pays, que le tonnage des navires. Les accords obtenus sont prévus d'expirer en 1936. En 1935 se tient une seconde conférence de Londres, que le Japon et l'Italie quittent, mais la Grande‑Bretagne, la France et les USA signent un accord concernant le tonnage.

[11].     Conférence de Washington, novembre 1921 - février 1922.

Du 12 novembre 1921 au 6 février 1922 se tient à Washington une réunion à laquelle participent les USA, la Grande-Bretagne, le Japon, la France, l'Italie, la Belgique, les Pays‑Bas, le Portugal et la Chine. Elle a un double but: régler les questions d'Extrême‑Orient et du Pacifique, limiter les armements navals. Le problème du Pacifique est réglé par un traité à quatre (USA, Grande‑Bretagne, Japon et France), signé le 13 décembre 1921 et qui remplace le traité anglo-japonais de 1902: les signataires promettent d'observer le statu quo dans les possessions insulaires. La question chinoise fait l'objet d'un traité à neuf (les quatre précédents, plus l'Italie, la Belgique, les Pays‑Bas, le Portugal et la Chine), par lequel les contractants s'engagent à respecter la souveraineté chinoise et le principe de la “porte ouverte”. Le traité à cinq (Grande‑Bretagne, USA, Japon, France, Italie), du 6 février 1922, impose une limitation des armements navals, selon le nombre de navires chiffré pour chacun des pays signataires. Ces dispositions, qui consacrent l'égalité des flottes anglaise et américaine, resteront en vigueur jusqu'à la conférence de Londres en 1936, où l'Italie et le Japon reprendront leur liberté en matière d'armements navals (cf. note 10 ).

[12].     Cf. note 4 .

[13].     Stanley Baldwin.

En Grande‑Bretagne, en 1908 Baldwin est élu au Parlement pour les Conservateurs. En 1922 il est nommé chancelier de l'Échiquier (ministre des Finances), en 1923 il devient Premier ministre. Il convoque des élections pour faire approuver le projet d'introduire des tarifs protectionnistes, mais ce sont les Travaillistes qui obtiennent la majorité, et Ramsay MacDonald forme un gouvernement avec le soutien des Libéraux. Cependant en 1924 les Conservateurs reviennent au gouvernement, Baldwin est à nouveau Premier ministre. Durant le mouvement de grève de 1926 (cf. note 57 ), il proclame l'état d'urgence et refuse de négocier. En 1927, il fait passer la Loi sur les conflits de travail et les syndicats (Trade Disputes and Trade Unions Act) (cf. note 57 ). En 1929 les Travaillistes gagnent les élections à leur tour, MacDonald est premier ministre; puis en 1931 ils subissent une défaite mais MacDonald se maintient à titre personnel en formant un gouvernement de coalition nationale qui inclut Baldwin. Finalement en 1935 MacDonald démissionne et Baldwin lui succède comme Premier ministre.

[14].     Cf. note 13 .

  Pour plus de détails sur les gouvernements dirigés par le Parti travailliste, cf.: Éléments d'histoire - Labour Party.

[15].     James Henry Thomas.

En Grande‑Bretagne en 1910, Thomas est élu à la Chambre des communes (House of Commons) pour le Parti travailliste (Labour Party). Il occupe divers postes dans les gouvernements successifs dirigés par Ramsay MacDonald (cf. note 14 ): de janvier à novembre 1924 Secrétaire d'état pour les colonies; de juin 1929 à juin 1930 Lord Privy Seal (le Lord Privy Seal administre le Privy Council, le conseil de la Reine auquel les membres du Cabinet et de la Chambre des Lords appartiennent automatiquement; des membres de la Chambre des communes peuvent également y être appelés) et ministre pour l'Emploi; d'aout 1931 à novembre 1931 Secrétaire d'état pour les colonies et aussi de juin 1930 à juin 1935 Secrétaire d'état pour les dominions. Suite à sa participation au gouvernement de coalition nationale dirigé par MacDonald en 1931, il est exclu du Parti travailliste, de même que MacDonald. Il est à nouveau Secrétaire d'état pour les colonies de novembre 1935 à mai 1936 dans le gouvernement dirigé par le Conservateur Stanley Baldwin.

En 1904 il est élu comme président de l'organisation syndicale des employés de chemins de fer (Amalgamated Society of Railway Servants), et en 1918 il devient secrétaire général de l'Union national des cheminots (National Union of Railwaymen, NUR). De 1920 à 1924 il est président de la Fédération syndicale internationale (FSI) (cf. note 87 ).

[16].     Plan Dawes.

Le 1er septembre 1924 entre en vigueur le plan Dawes, du nom du banquier américain Charles Dawes. Adopté à Londres par un comité d'experts, il fixe le montant des réparations dues par l'Allemagne au titre du traité de Versailles et prévoit leur paiement sous la forme d'un emprunt ainsi que d'impôts, ainsi que l'évacuation progressive de la Ruhr par les troupes françaises et belges.

[17].     Après la conférence de Londres de printemps 1930 concernant l'armement naval (cf. note 10 ), les tractations multilatérales se poursuivent, notamment entre la France et la Grande‑Bretagne et parallèlement entre la France et l'Italie. La France et la Grande-Bretagne élaborent un projet de dispositions en la matière, au sujet duquel les gouvernements britannique et italien arrivent à un accord de principe le 28 février 1931, l'Italie soumettant néanmoins des contrepropositions. Le 1er mars est conclu un accord tripartite en la matière.

[18].     Dans la publication en langue allemande du rapport: "Scheinverhandlungen", c'est-à-dire "faux‑semblant de négociations".

[19].     En absence d'indications précises permettant de savoir à quoi est fait référence, voici quelques éléments situant le contexte relatif au sujet évoqué.

Au printemps et en été 1931 un nommé Georg Bell entreprend des démarches exploratoires en Suisse, en France et en Italie pour le compte d'Ernst Röhm. Celui‑ci est à la tête de la SA (Sturmabteilung, c'est‑à‑dire Section d'assaut), organisation paramilitaire rattachée au NSDAP. Le but est de gagner des soutiens aux plans de Röhm visant à imposer la SA comme force militaire dominante au détriment du commandement traditionnel de l'armée, la Reichswehr. Par ailleurs, vers la fin de l'année 1931, des tentatives de prise de contact sont déployées impliquant du côté français l'ambassadeur à Berlin, André François-Ponçet, ainsi que Roland de Margerie (fils de l'ex‑ambassadeur Pierre de Margerie). Comme homme de liaison sert le banquier et collectionneur d'art Eduard von der Heydt, qui a des relations avec la Thyssen‑Bank et la famille des Hohenzollern. Il semble que l'initiative vient des national-socialistes, en accord avec des représentants de la grande industrie.

De façon générale, l'hostilité au bolchévisme et la crainte de voir se déclencher une nouvelle vague révolutionnaire, favorisées en France par l'alliance avec l'URSS, motivent chez beaucoup d'hommes politiques, d'écrivains et de publicistes l'idée d'un rapprochement avec l'Allemagne, bien qu'éventuellement nationale-socialiste. Il en est ainsi du rédacteur en chef de La République, Émile Roche, de Joseph Caillaux, François Piétri, Jean Montigny, Pierre-Étienne Flandin.

J. Caillaux est un représentant du parti radical, dont il devient le président en 1912. Partisan de longue date d'un rapprochement franco-allemand, durant la Première guerre mondiale il est soupçonné de trahison. Arrêté en janvier 1918 pour "intelligence avec l'ennemi", il est condamné en 1920 à trois ans de prison et à la privation de ses droits politiques. En 1924 il bénéficie d'une loi d'amnistie. Il réapparait sur la scène politique, mais se situe désormais à la droite des radicaux. Il participe à une des multiples organisations faisant la promotion de l'union européenne, le Comité français de Coopération européenne (aux côtés d'Édouard Herriot, Raymond Poincaré).

Édouard Herriot parraine diverses associations du même type: Pan‑Europe de Richard Coudenhove-Kalergi, et aussi l'Union douanière européenne (UDE) fondée en 1924 par l'Allemand Edgar Stern-Rubarth, auteur en 1930 d'un opuscule intitulé "Europe". Il est chef du parti radical, qu'il préside de 1919 à 1926, de 1931 à 1936 et de 1945 à 1957. Il est président du conseil ‑ ainsi que ministre des Affaires étrangères ‑ de juin 1924 à avril 1925, puis en juillet 1926 (mais son gouvernement n'obtient pas la majorité à la Chambre).

Cette idée de l'unité européenne se manifeste alors sous des formes variées. Elle intègre des thèmes tels que le rapprochement franco-allemand, la complémentarité des industries, la nécessité d'affirmer la communauté culturelle face à l'influence américain.

C'est Aristide Briand qui incarne particulièrement ces tendances. Il propose le 5 septembre 1929, au cours d'une intervention à la Société des Nations, d'instituer "une sorte de lien fédéral" entre les 27 États européens membres de l'institution. Briand est alors président du conseil et ministre des Affaires étrangères. Le projet suscite des réactions favorables dans la presse du centre droit au centre gauche, du Temps à L'Oeuvre, tandis qu'à la fois Le Figaro et L'Humanité le rejettent. Avant Briand, Henri Poincaré avait été président du conseil et dans les deux gouvernements successifs qu'il avait formés, Briand avait été déjà ministre des Affaires étrangères; sa politique avait ainsi été entérinée par Poincaré.

[20].     Le 24 aout 1930 le Parti communiste d'Allemagne (Kommunistische Partei Deutschlands, KPD) publie un document "Déclaration de programme sur la libération nationale et sociale du peuple allemand - Proclamation du CC du KPD" ("Programmerklärung zur nationalen und sozialen Befreiung des deutschen Volkes - Proklamation des ZK der KPD") (cf. le texte ), dont voici un extrait:

Seuls nous, communistes, luttons aussi bien contre le plan Young que contre la paix de rapine de Versailles, le point de départ de l'asservissement de toutes les masses travailleuses d'Allemagne, de même que tous les traités, accords et plans internationaux (traité de Locarno, plan Dawes, plan Young, accord germano-polonais etc.), qui sont issus du traité de paix de Versailles. Nous, communistes, sommes contre tout accomplissement de paiements à titre de réparations, contre tout acquittement de dettes internationales.

[Nur wir Kommunisten kämpfen sowohl gegen den Youngplan als auch gegen den Versailler Raubfrieden, den Ausgangspunkt der Versklavung aller Werktätigen Deutschlands, ebenso wie gegen alle internationalen Verträge, Vereinbarungen und Pläne (Locarnovertrag, Dawesplan, Youngplan, deutsch-polnisches Abkommen usw.), die aus dem Versailler Friedensvertrag hervorgehen. Wir Kommunisten sind gegen jede Leistung von Reparationszahlungen, gegen jede Bezahlung internationaler Schulden.]

[21].     Dantzig.

Incorporée à l'État prussien en 1815, la ville de Dantzig (aujourd'hui Gdansk) devient avec le traité de Versailles (1919), le centre de la "ville libre de Dantzig", territoire doté d'un statut international sous mandat de la Société des Nations. La Prusse orientale est alors séparée du reste de l'Allemagne par ce qu'on appelle le "couloir" ou "corridor" de Dantzig. L'accord de Varsovie du 24 octobre 1921 limite la souveraineté du territoire au profit de la Pologne. Après la prise du pouvoir par les national-socialistes, le gouvernement polonais entame des entretiens exploratoires avec Hitler, notamment au sujet de Dantzig. En avril 1933, les national-socialistes obtiennent la majorité à la Diète de Dantzig. Le 5 aout 1933, un accord est conclu entre la Pologne et les autorités de Dantzig. Les négociations bilatérales consécutives se caractérisent par l'exclusion de représentants de la Société des Nations, tandis que le régime national-socialiste met en sourdine les prises de positions hostiles à la Pologne à ce sujet. Parallèlement, des représentants de l'Allemagne explorent auprès de la Grande-Bretagne des possibilités du rattachement direct de Dantzig à l'Allemagne en échange d'une compensation territoriale de la Pologne à l'Est, ce qui suscite des protestations de la part de l'URSS. Le 9 octobre, un groupe d'experts allemands se rend à Varsovie pour conduire des entretiens visant à mettre fin à la guerre commerciale entre l'Allemagne et la Pologne. Le 14 octobre Hitler annonce la sortie de l'Allemagne de la Société des Nations et de la Conférence de Genève sur le désarmement. Pour contrebalancer cette accentuation de l'isolement internationale de l'Allemagne, celle‑ci poursuit les pas vers une amélioration des relations avec la Pologne. Le 26 janvier 1934 les deux pays adoptent une déclaration commune de non‑agression mutuelle. Le 28 avril 1939, Hitler dénonce cette déclaration. Il exige la réintégration de Dantzig à l'Allemagne; s'en suivra le 1er septembre 1939 l'invasion de la Pologne.

[22].     Wera Kostrzewa (pseudonyme de Marianna Koszutska).

Kostrzewa est membre du Comité central du Parti communiste ouvrier de Pologne (Komunistyczna Partia Robotnicza Polski, KPRP, à partir de 1925 Komunistyczna Partia Polski, KPP) après sa fondation en 1918. Au 5e Congrès de l'Internationale communiste en 1924 l'orientation de la direction du KPRP est critiquée. Au 3e Congrès du KPP en 1925 Kostrzewa n'est pas réélue au Comité central. Au 5e Plénum du Comité exécutif de l'Internationale communiste en juin 1929, la position du KPP au sujet du fascisme est critiquée, dans la mesure où elle considère qu'il existe un antagonisme entre fascisme et parties réformistes et que, par conséquent, le Parti socialiste polonais (Polska Partia Socjalistyczna, PPS) serait amené à s'opposer au fascisme. Kostrzewa est alors écartée de toutes fonctions de direction.

[23].     Le régime instauré en Italie par le Parti national fasciste.

Le 28 octobre 1922 les fascistes italiens organisent la “marche sur Rome”, une démonstration de force qui a pour résultat, le 30, la formation d'un gouvernement dirigé par Benito Mussolini. Auparavant, celui‑ci avait fondé le Parti national fasciste (Partito Nazionale Fascista, PNF) en novembre 1921, et en juin 1922, des syndicats fascistes s'étaient constitués en se réunissent en une Confédération générale des syndicats nationaux. La répression policière frappe certes les communistes. Néanmoins, après une vague d'arrestations en février 1923, leurs procès se terminent, en octobre, par l'acquittement. En définitive, entre janvier 1925 et mars 1929, Mussolini met peu à peu en place une dictature qui s'appuie sur un état aux prérogatives étendues, incarné par son chef (Il Duce). Sur la base de la loi de décembre 1925, celui‑ci est uniquement et personnellement responsable devant le roi. À compter de janvier 1926, l'exécutif légifère sans restriction, par décrets‑lois. En novembre 1926, après une tentative d'assassinat contre Mussolini, les "lois de défense de l'État" ("leggi per la difesa dello Stato") suppriment la liberté de presse, interdisent les partis politiques autres que le PNF, réorganisent la police sous le contrôle de l'Organisation de surveillance et de répression de l'antifascisme (Organizzazione di vigilanza e repressione dell'antifascismo, OVRA) et créent un Tribunal spécial de protection de l'État (Tribunale Speciale per la Difesa dello Stato). Ainsi l'État va de pair avec un parti unique, subordonné à un Grand Conseil du Fascisme (Gran Consiglio del Fascismo), qui choisit les candidats aux élections législatives et peut en présenter au poste de chef de gouvernement en cas de vacance du pouvoir (lois de 1928). À compter de 1929, le PNF est partie intégrante des institutions; la Chambre des députés, si elle est maintenue jusqu'en 1938, lui est de fait subordonnée.

[24].     Ivan Ier (Ivan Danilovitch, surnom: Kalita).

Ivan Ier, petit‑fils d'Alexandre Nevski, est Grand‑prince de Moscou de 1325 jusqu'à sa mort en 1341. Les souverains mongols régnaient alors sur la Russie depuis la chute de Kiev en 1240. Ivan réussit à doubler le territoire de sa principauté, il lance un large processus de rassemblement des terres russes sous l'autorité des grands‑princes de Moscou, qui va mener jusqu'à l'indépendance par rapport à la tutelle mongole. Sous son règne également, Moscou devient la capitale religieuse de la Russie.

          Kouzma Minine, prince Dimitri Pojarski.

En Russie, à la fin du 16e et au début du 17e siècle, règne une situation marquée par des rivalités autour du pouvoir. Ivan IV, dit Ivan le Terrible, n'a que 3 ans lorsqu'il succède en 1533 à son père, le Grand‑prince de Moscou Vassili III. Dès l'âge de 16 ans, Ivan entreprend de restaurer le pouvoir monarchique dans les territoires autour de Moscou: il se fait proclamer "Tsar et Grand-prince de toute la Russie", puis sacrer par le métropolite de Moscou, chef de l'Église orthodoxe russe. À sa mort en 1584, lui succède un de ses fils, Fedor Ier. Celui‑ci meurt en 1598 sans descendant, ce qui met fin à la dynastie qui avait à son origine le premier prince de Novgorod, Riourik, qui régna à la fin du 9e siècle. Est désigné tsar Boris Godounov, beau‑frère de Fedor Ier, et boyard. Boyard est un titre non héréditaire conféré par le souverain; les boyards comprennent les proches conseillers du tsar, chefs d'armée, ambassadeurs de haut rang, chefs de départements ministériels, gouverneurs des villes les plus importantes. Godounov meurt en avril 1605, lui succède son fils Fedor II. Entretemps Grégoire Otrepiev ‑ un moine défroqué, qui prétend être un des fils d'Ivan, Dimitri, assassiné en fait en 1591 ‑ obtient l'appui de nobles polonais et lituaniens. Fedor II est assassiné le 10 juin 1605, le 20 Otrepiev entre dans Moscou, se proclame tsar.

Boris Godounov en 1597 avait promulgué une loi, destinée à favoriser le développement de l'agriculture, qui liait les paysans à la terre qu'ils cultivent, créant ainsi un nouveau type de servage. Otrepiev prend immédiatement des mesures en faveur des paysans, il mécontente les boyards qui l'assassinent et mettent sur le trône le prince Vassili Chouïski. Leur action rencontre l'opposition des cosaques et des paysans, révoltés contre les lois de servage et craignant la sévérité du gouvernement des boyards. Ils se soulèvent en Russie du Sud et se joignent à un deuxième “Faux Dimitri”, qui avance déjà sur Moscou. Dans le même temps, le roi de Pologne Sigismond III, espérant lui aussi s'emparer du trône russe, envahit le pays par l'ouest tandis que la Suède envoie une armée en réponse à la demande d'aide de Vassili Chouïski.

Ce dernier est déposé en 1610. Un groupe de boyards propose la candidature de Ladislas Vasa, fils de Sigismond III, qui se fait élire tsar et entre dans Moscou accompagné par une armée polonaise. Kouzma Minine, un boucher de Nijni‑Novgorod, réussit à lever au nord‑est de la Russie une armée populaire, dont le prince Pojarski prend le commandement. Soutenue par les cosaques, cette armée marche sur Moscou et en expulse les Polonais en 1612. En 1613, est désigné tsar Michel Romanov, petit‑neveu d'Anastasia Romanovna, la veuve d'Ivan IV. Michel fonde ainsi la dynastie des Romanov qui va régner jusqu'en 1917.

[25].     Albert Thomas.

En 1904, membre de la SFIO, Thomas est chargé de la rubrique syndicale de L'Humanité et est élu conseiller municipal de Champigny‑sur‑Marne, dont il deviendra maire huit ans plus tard. En tant que journaliste, il écrit pour L'Information et la Revue socialiste, fonde la Revue syndicaliste et ensuite L'Information ouvrière et sociale. En 1910, il est élu député de l'une des circonscriptions du département de la Seine, et il sera réélu en 1914. En mai 1915, il est nommé sous-secrétaire d'État à l'Artillerie et aux Équipements militaires. Il devient ministre de l'Armement l'année suivante. En novembre 1919, à Washington, à la première session de la Conférence internationale du Travail (à laquelle il n'est pas présent), le Conseil d'administration de l'Organisation internationale du Travail (OIT) ainsi constituée, le désigne comme Directeur du Bureau international du Travail (BIT), organisme qui exerce la fonction de secrétariat pour l'OIT.

En mai 1928, Thomas en sa qualité d'observateur et directeur du BIT, effectue un voyage en Italie. Il est reçu par divers représentants du régime, et à ces occasions il fait des déclarations, dont une le 3 mai, en réponse au discours de Giuseppe Bottai, sous‑secrétaire du Ministère des Corporations. Voici un extrait:

Les Hautes Parties contractantes qui ont conclu les Traites de Paix de 1919 ont promis aux travailleurs du monde certaines réformes en accord avec certains droits et principes reconnus. La Carta del Lavoro de l'Italie fasciste, elle aussi, a promis aux travailleurs d'Italie un certain nombre de réformes précises. J'ai observé des similarités nombreuses entre ces deux documents importants. J'ai néanmoins aussi observé une omission. La Carta del Lavoro ne mentionne pas explicitement la journée de huit heures. Bien que j'aie pu ressentir quelque malaise sur ce point, la déclaration que le Chef du gouvernement a faite il y a quelques jours, éclaircit la question. "Nous", a‑t‑il dit, "avons été les premiers à établir une législation au sujet la journée de huit heures, bien que des pays plus nantis, dont on dit qu'ils sont démocratiques, poursuivent encore la discussion sur la question." La similitude qui existe entre la Carta del Lavoro et le Traité est sans doute ce qui a permis à l'Italie de ratifier un nombre considérable de Conventions. [...] À la récente Conférence sur la population mondiale nous nous sommes trouvés, étant donné notre préoccupation pour la justice internationale, en plein accord avec les déclarations des représentants italiens. Cependant le Gouvernement fasciste désire aller plus loin. Il ne souhaite pas seulement assurer aux travailleurs le bénéfice de justes réformes, mais comme vous l'avez vous‑même formulé, il désire de réorganiser la société italienne en commençant par ses fondations. La Carta del Lavoro non seulement promet certaines réformes précises, mais établit également certaines règles et principes, et une tentative est en train d'être faite d'organiser la société sur la base de ces principes. [...] D'autre part, je suis sûr que vous allez être d'accord avec moi que, lorsque les classes travailleuses d'une communauté jouissent de certains droits, lorsqu'elles sont prospères, et avant tout lorsque l'amélioration de leur situation est parallèle à un accroissement de la production, le moyen le plus sûr de maintenir et promouvoir la production est de faire montre de justice sociale envers les travailleurs. Je ressens la confiance la plus haute en notre coopération sur ces lignes, [...] l'Italie et la France, et en fait les pays latins en général, ont été accusés d'avoir de grands principes mais de ne pas les appliquer pleinement. Plus je vois des aspects des faits, plus je suis sûr que c'est un jugement hâtif et injuste. Il y a un an vous avez promulgué votre Carta del Lavoro. J'ai noté avec satisfaction votre déclaration que vous êtes en train de vous efforcer graduellement et progressivement de mettre en oeuvre les principes de votre Charte du travail, et que des progrès substantiels ont déjà été faits.

[The High Contracting Parties who concluded the Treaties of Peace in 1919 promised certain reforms to the workers of the world in accordance with certain recognised rights and principles. The Carta del Lavoro of Fascist Italy also promised a number of definite reforms to the workers of Italy. I have observed numerous similarities between these two important documents. I have, however, also observed one omission. The Carta del Lavoro does not explicitly mention the 8‑hour day. Although I may have felt some uneasiness on this point, the statement which the Head of the Government made some days ago clears up the matter. "We", he said, "were the first to establish legislation on the 8‑hour day, although wealthier countries, which are said to be democratic, are still discussing the matter." The similarity which exists between the Carta del Lavoro and the Treaty is no doubt what has enabled Italy to ratify a considerable number of Conventions. [...] At the recent World Population Conference we found ourselves, owing to our anxiety for international justice, in full agreement with the declarations of the Italian representatives. The Fascist Government, however, desires to go further. It does not merely wish to secure the benefit of just reforms for the workers, but as you yourself have put it, it desires to reorganise Italian society from its foundations. The Carta del Lavoro does not merely promise certain definite reforms, but also establishes certain rules and principles, and an attempt is being made to organise society on the basis of those principles. [...] On the other hand, I am sure you will agree with me that when the working classes of a community enjoy certain rights, when they are prosperous, and above all when the improvement in their position is parallel with an increase in production, the surest means of maintaining and promoting production is to show social justice towards the workers. I feel the utmost confidence in our collaboration on these lines [...] Italy and France, and indeed the Latin countries in general, have been accused of having great principles but not applying them completely. The more I see of the facts, the more sure I am that that is a hasty and unjust judgment. A year ago you promulgated your Carta del Lavoro. I noted with satisfaction your statement that you are gradually and progressively endeavouring to carry out the principles of your Labour Charter, and that substantial progress has already been made.]

[Industrial and Labour Information, Volume 26, International Labour Office, 1928.]

Et voici ce que Thomas note dans son Journal du voyage:

Et si, du côté fasciste, il n'y a pas lieu de penser qu'on a tout inventé et tout créé, s'il n'y a pas lieu de penser qu'on a donné l'exemple car partout se manifestent les mêmes phénomènes, il serait, d'autre part, stupide de nier, en raison des circonstances politiques et de la méthode dictatoriale, le fait que l'Italie a donné des formules nouvelles et plus systématiques qu'ailleurs de toutes ces constructions nécessaires.

[http://www.cedias.org/pdf/guerin_thomas.pdf]

[26].     Karl Renner.

Après la chute de la monarchie en Autriche en 1918, Renner, appartenant au Parti ouvrier social-démocrate d'Autriche allemande (Sozialdemokratischen Arbeiterpartei Deutsch‑Österreichs, SDAPDÖ) (à partir d'octobre 1933 Sozialdemokratischen Arbeiterpartei Österreichs, SDAPÖ), forme le premier gouvernement de la République nouvellement instaurée; il est également membre de l'Assemblée constituante. Il est considéré comme un des représentants du dit "austro-marxisme". Lorsque, à partir de janvier 1934, le régime procède à l'élimination complète des social-démocrates, la direction du SDAPDÖ, notamment Renner ainsi qu'Otto Bauer, adopte une position de capitulation tacite. Cependant au sein du parti se forme une opposition de gauche. Le 12 février, ces militants réagissent face à une opération policière, des affrontements armés se développent au niveau national durant plusieurs jours. Renner est arrêté et reste quelques mois en prison.

Le 12 Mars 1938 le régime national-socialiste d'Allemagne effectue l'annexion d'Autriche. Le 10 avril a lieu dans le pays occupé un référendum associé à des élections à l'Assemblée nationale, sur le texte suivant: "Est‑ce que tu es d'accord avec la réunification d'Autriche avec le Reich allemand, accomplie le 13 Mars 1938, et est‑ce que tu votes pour la liste de notre Führer Adolf Hitler?" Une semaine auparavant, le 3 avril, le quotidien Neues Wiener Tagblatt publie une interview dans lequel Renner déclare: "Bien que remporté par des méthodes qui ne sont pas celles dont je me réclame, le rattachement est désormais accompli, est un fait historique; et celui-ci, je le considère comme une véritable réparation des humiliations de 1918 et 1919. [...] En tant que social-démocrate et donc partisan du droit à l'autodétermination des nations [...] je voterai Oui." ["Obschon nicht mit jenen Methoden, zu denen ich mich bekenne, errungen, ist der Anschluss nunmehr doch vollzogen, ist geschichtliche Tatsache; und diese betrachte ich als wahrhafte Genugtuung für die Demütigungen von 1918 und 1919 (...) Als Sozialdemokrat und somit als Verfechter des Selbstbestimmungsrechtes der Nationen (...) werde ich mit “Ja” stimmen."]

[Rolf Steininger, Streiflichter des 20. Jahrhunderts - Zeitungsartikel von 1986 bis 2011 - eine Auswahl, Innsbruck, Innsbruck Univ. Press, 2011, p. 149.]

[27].     Karl Renner: "Grundsätzliches zum Kampf der österreichischen Sozialdemokratie gegen den Faschismus", Die Gesellschaft, Berlin, Jg. 7 (1930/1), p. 130‑140.

Voici un extrait plus exhaustif:

Toutefois nous ne déclarons pas être des Tolstoïens ou Gandhiens, et que comme tels nous affronterions la violence, quand elle s'oppose à nous, en l'endurant passivement. Mais la violence est devenue pour nous, dans l'urgence, un simple palliatif à titre défensif! Le résultat de cette attitude, apprécié du point de vue théorique, est: la lutte de classe n'est plus un moyen absolu sans limites, il se trouve soumise à des limitations. Tout notre raisonnement se résume en une idée: la guerre civile détruit notre économie, et ceci à un tel degré qu'à la fin peu importe qui remporte la victoire et qui est vaincu! Les deux se retrouvent en état de mendiants et, dans les conditions actuelles de l'économie mondiale, ne s'en remettront plus. [...] Les évènements confirment une grande vérité, que nous et nous seuls avons annoncée: la bourgeoisie et le prolétariat mènent leur lutte de classe ‑ mais ils peuvent la conduire en pratique uniquement dans le cadre de la préservation d'un tout plus élevé! Si, en passant, celui‑ci tombe en ruines, alors toute lutte de classe se trouvera privée de ses fruits potentiels. Ce tout plus élevé, c'est la communauté économique d'un peuple! Dans cette lutte il ne peut s'agir que de savoir si l'un ou l'autre domine, dirige, exerce une influence sur, cette économie; mais la lutte ne peut jamais aller jusqu'au point que cette économie elle‑même souffre, s'appauvrisse, se brise! La négation absolue du tout rend vide de sens la lutte des composants entre eux. Que les composants en lutte restent des simples membres d'un tout plus élevé, cela justement fait de la lutte de classe ce concept dialectique, qu'elle a toujours été dans le sens de nos mentors, lequel cependant a été interprété à la manière scolastique par quelques élèves scolastiques. Thèse - antithèse - synthèse. Le tout ‑ dans notre cas l'économie ‑ reste toujours la synthèse plus élevée des composants. Et ainsi il s'est trouvé que la mission de préserver l'intérêt du tout contre les classes, y compris contre nous‑mêmes et nos traditions, incombait à la classe ouvrière autrichienne. C'est elle qui a sauvé l'intérêt général, en faisant ressortir et en imposant la nécessité de la paix intérieure, sans négliger ne serait‑ce qu'un instant la disposition à la lutte de classe, par‑dessus tous les préjugés persistants. Notre situation est certainement unique, sans doute elle ne se répète à l'identique dans aucun autre pays. Malgré tout, ces nouvelles expériences ressortent de manière prononcée à tel point que j'arrive à la conclusion: l'intérêt des classes laborieuses est aujourd'hui, compte tenu de l'état de notre développement économique et politique, presque toujours identique à l'intérêt général le plus élevé! [...] Nous en Autriche, c'est ainsi, jurons sur l'intérêt de la paix civile * et l'intérêt économique d'ensemble, et nous sommes confiants à ce que, avec cet objectif, nous terminerons victorieusement la lutte.

* Dans l'original "Bürgerfrieden". En Allemand, on parle couramment de "Burgfrieden", expression équivalente à "union sacrée". "Burgfrieden" signifie littéralement "paix aux châteaux forts" (en quelque sorte l'inverse de l'expression "guerre aux châteaux, paix aux chaumières"). Par ailleurs, en Allemand, l'équivalent de "guerre civile" est "Bürgerkrieg". "Bürger" signifie "citoyen". Dans le terme "Bürgerfrieden", "Krieg" est remplacé par "Frieden" qui signifie "paix", ce qui donne "paix civile".

[Allerdings erklären wir uns nicht als Tolstoianer oder Ghandisten, welche der Gewalt, wenn sie uns gegenübertritt, passiv als bloße Dulder begegnen. Aber die Gewalt ist uns ein bloßes Notmittel der Defensive geworden! Das Ergebnis dieser Haltung ist in theoretischer Würdigung: Der Klassenkampf ist kein absolutes schrankenloses Mittel mehr, er hat seine Schranken. [...] Alle unsere Argumentationen laufen auf den einen Gedanken hinaus: Der Bürgerkrieg zerstört unsere Wirtschaft, und zwar in einem solchen Maße, daß es am Ende gleichgültig ist, wer siegt und wer besiegt ist! Beide bleiben als Bettler zurück und kommen unter den heutigen weltwirtschaftlichen Verhältnissen nicht mehr hoch. [...] Die Ereignisse bestätigten eine große Wahrheit, deren Verkünder wir und nur wir gewesen waren: Bourgeoisie und Proletariat führen ihren Klassenkampf ‑ aber sie können ihn praktisch nur führen in dem Rahmen der Aufrechterhaltung eines höheren Ganzen! Geht dieses dabei in Trümmer, so ist aller Klassenkampf um seine möglichen Früchte betrogen. Dieses höhere Ganze ist die Wirtschaftsgemeinschaft eines Volkes! Es kann sich bei diesem Kampfe nur darum handeln, ob der eine oder der andere diese Wirtschaft beeinflusse, führe, beherrsche, der Kampf aber kann niemals so weit gehen, daß diese Wirtschaft selbst leide, verelende, zerbreche! Die absolute Negation des Ganzen macht den Kampf der Teile untereinander sinnlos! Daß die kämpfenden Teile immer noch bloße Glieder eines höheren Ganzen sind, macht den Klassenkampf eben zu dem dialektischen Begriff, der er immer im Sinne unserer Altmeister war, der jedoch von manchem scholastischen Schüler scholastisch ausgelegt wurde. These - Antithese - Synthese. Das Ganze ‑ in unserem Falle die Wirtschaft ‑ bleibt immer die höhere Synthese der Teile. Und so kam es, daß das Interesse des Ganzen gegen die Klassen, auch gegen uns selbst und unsere Traditionen, zu wahren das Amt der österreichischen Arbeiterklasse wurde. Sie ist es, die das allgemeine Interesse gerettet hat, indem sie, ohne die Bereitschaft zum Klassenkampf auch nur einen Augenblick zu vernachlässigen, über alle überlieferten Vorurteile hinweg die Notwendigkeit des inneren Friedens betont und durchgesetzt hat. Unsere Lage war gewiß einzigartig, sie wiederholt sich in genau derselben Weise wohl in keinem anderen Lande. Dennoch aber prägen sich diese neuen Erfahrungen so deutlich aus, daß ich zu dem Schlusse komme: Das Interesse der arbeitenden Klassen ist heute, beim Stande unserer wirtschaftlichen und politischen Entwicklung, fast immer identisch mit dem höchsten Allgemeininteresse! [...] Wir in Österreich sind nun einmal auf das Interesse des allgemeinen Bürgerfriedens und des Gesamtwirtschaftsinteresses eingeschworen und haben die Zuversicht, daß wir mit diesem Ziele den Kampf siegreich beenden werden.]

[28].     [321ignition] Dans l'édition prise comme source, des guillemets mal placés mélangent la citation et le commentaire. Nous avons rectifié le découpage.

[29].     John Frederick Charles Fuller.

Fuller est un officier britannique, entré à l'armée en 1898. Il sert d'abord lors de la guerre des Boer, en Afrique du Sud. Pendant la Première guerre mondiale, il développe des plans d'attaque basés sur l'intervention massive et coordonnée de chars et d'avions. Après la guerre il pousse à la création d'une armée totalement mécanisée associée à des forces aériennes, mais ses idées restent ignorées. Il écrit notamment un livre intitulé "Sur la conduite future de la guerre", dont voici un extrait:

À mon avis le cycle de la guerre basé sur l'artillerie, ou cycle mécanique, finira par réintroduire l'armée hautement professionnelle et la conscription sera reléguée aux troupes de seconde ligne, la milice occupera le pays de l'ennemi après que les forces mécanisées de celui‑ci aient été défaites, repoussées ou détruites.

[Finally, in my opinion, the artillery, or mechanical, cycle of war will reintroduce the highly professional army and conscription will be relegated to the troops of the second line, the militia which will occupy the enemy's country after his mechanised forces have been defeated, driven back, or destroyed.]

[John Frederick Charles Fuller: On Future Warfare; Sifton, Praed & Company, Limited, 1928.]

[30].     Hans von Seeckt.

Von Seeckt, en Allemagne, est d'abord Chef de l'état‑major [Truppenamt] d'octobre 1919 à mars 1920, puis chef de la direction de l'armée de juin 1920 à octobre 1926. Durant les années 1930‑1932 puis 1934‑1935 il tient un rôle en Chine comme conseiller du général Jiang Jieshi (Chiang Kai‑shek), dirigeant du Guomindang (cf. note 56 ). À son retour en Allemagne il est nommé commandant d'un régiment d'infanterie.

[31].     L'organisation Casque d'acier, Ligue des soldats du front (“Stahlhelm, Bund der Frontsoldaten”).

L'organisation Casque d'acier est créée en décembre 1918 à Magdeburg par l'officier de réserve Franz Seldte. En 1930 elle est avec environ 500.000 membres la plus puissante fédération de défense d'Allemagne. En octobre 1931 le Casque d'acier, le NSDAP et le Parti populaire national-allemand (Deutschnationale Volkspartei, DNVP) forment le Front de Harzburg” (“Harzburger Front”). En 1934 le Casque d'acier est intégré dans la SA (Sturmabteilung, c'est‑à‑dire Section d'assaut) en tant que “NS-Frontkämpferbund” (Ligue des combattants du Front - National-socialiste), puis l'organisation est dissoute en 1935.

[32].     Strzelec, ou Związek Strzelecki.

En 1815, le congrès de Vienne, qui établit un accord de paix général pour l'Europe après la chute de Napoléon, crée le royaume de Pologne (appelé aussi “Pologne du Congrès”), qui est constitué des trois quarts environ du territoire de l'ex‑duché de Varsovie, formé en 1807; l'empereur de Russie, en union personnelle, est également Roi de Pologne. Le reste du territoire polonais est réparti entre la Russie, l'Autriche et la Prusse.

En 1892 est constitué à Paris le Parti socialiste polonais (Polska Partia Socjalistyczna, PPS); Józef Piłsudski le rejoint. En 1905 le PPS crée une milice armée dénommée “Organisation de combat du PPS” (“Organizacja Bojowa PPS”, OB‑PPS, ou Bojowka), placée sous la direction de Piłsudski. En 1906 au congrès de Vienne du PPS, des divergences internes conduisent à une scission qui aboutit à la création du “PPS-Fraction révolutionnaire” (“Polska Partia Socjalistyczna-Frakcja Rewolucyjna”, PPS‑FR). Piłsudski, avec une partie considérable des membres de l'OB‑PPS, rejoint le PPS‑FR. En 1908 ces militants commencent à s'établir en Galicie, rattachée depuis 1772 à l'Empire austro-hongrois, où le gouvernement impérial autrichien leur accorde une autonomie considérable. Kazimierz Sosnkowski, associé étroitement à Piłsudski, forme à Lwów (aujourd'hui Lviv en Ukraine), l'“Union pour la lutte active” (“Związek Walki Czynnej”, ZWC). À partir de 1909 il devient possible de créer légalement des associations de tireurs, le ZWC constitue l'“Association de tir” (“Związek Strzelecki”, ZS) à Lwów et la “Société 'Le Tireur'” (“Towarzystwo 'Strzelec'”, TS) à Kraków.

Outre le PPS, un des principaux partis est la National-Démocratie (Narodowa Demokracja, ND), fondé en 1897 par Zygmunt Balicki, Jan Ludwik Poprawski et Roman Dmowski. Dans le camp politique associé à ce parti, existe depuis 1867 la “Société polonaise de gymnastique 'Le Faucon'” (“Polskie Towarzystwo Gimnastyne Sokół”); celle-ci constitue à Lwów les “Escouades de terrain 'Les Faucons'” (“Polowe Drużny Sokole”). En milieu paysan existent les “Escouades de Bartosz” (“Drużyny Bartoszowe”), formellement non‑politiques mais de fait sous l'influence du ND. En outre, indépendamment aussi bien de la coalition autour de Piłsudski que du ND, l'organisation de jeunesses “Braise” (“Zarzewie”) à Lwów constitue les “Escouades de tireurs polonaises” (“Polski Drużyny Strzeleckie”).

Après 1912, le ZWC est transformé en une organisation paramilitaire plus large, connue comme “Tireur” (“Strzelec”). Elle est liée à un conseil comprenant des représentants politiques de différents groupes de gauche incluant des groupes de paysans et des groupes socialistes. Le commandement revient à Piłsudski. Après la création de la Pologne indépendante, le Strzelec est reformé comme organisation paramilitaire des jeunesses liée politiquement au camp de Piłsudski.

[33].     Finlande et Russie.

La Russie conquiert la Finlande durant la guerre de 1808–1809 contre la Suède; la Finlande revêt alors le statut de Grand‑Duché autonome. Le 7 mars 1917 le gouvernement provisoire établi en février en Russie, assure la Finlande de la préservation de son "indépendance intérieure". Un comité militaire formé par des activistes ayant pour objectif l'indépendance de la Finlande vis‑à‑vis de la Russie, entame l'édification de troupes de milices locales, dénommés “Corps de protection” (“Schutzkorps”, en suédois “Skyddskär”). Des représentants de ce comité militaire s'adressent à l'Allemagne pour obtenir des armes. Le parlement finnois, avec les voix des socialistes et de la droite adopte une loi de pleins pouvoirs, sur la base duquel le 20 juillet est déclarée l'indépendance de la Finlande dans tous les domaines à l'exception des affaires étrangères et la politique de défense. Le 8 novembre, les dirigeants de soviets russes à Helsinki déclarent l'état de siège pour la Finlande. Le 10, arrive un nouveau gouverneur général nommé par le pouvoir soviétique, le parlement finlandais récuse son mandat. Les bolchéviques finnois, pour appuyer la Révolution russe, déclenchent avec succès une grève générale, mais elle se termine le 20 novembre suite à un appel en ce sens par les socialistes au parlement. Des dissensions existent entre celles‑ci et les Gardes Rouges bolchéviques qui sont au nombre d'environ 30.000. Le 4 décembre le président (Procurator) du Senat Svinhufvud déclare l'indépendance de la Finlande qui est confirmée par le parlement le 6. Elle est reconnue par le pouvoir soviétique, cependant environ 40.000 soldats soviétiques restent sur le territoire.

Le 12 janvier 1918 le parlement donne au Senat le pouvoir de constituer des forces de maintien de l'ordre; le président Svinhufvud charge Carl Gustaf Emil Mannerheim de cette tâche. Le 24 le gouvernement finlandais demande le retrait des troupes soviétiques. À ce moment l'effectif des troupes finlandaises composées de divers corps de maintien de l'ordre, s'élève à environ 40.000 personnes; celles‑ci acquièrent maintenant le statut de forces armées gouvernementales. Le 27 des heurts locaux entre corps de protection et gardes rouges déclenchent une situation de guerre civile. Le lendemain des gardes rouges occupent le quartier gouvernemental à Helsinki et proclament la formation d'un gouvernement révolutionnaire. Les forces contrerévolutionnaires obtiennent le soutien de l'Allemagne, notamment par l'envoi de troupes. Le 13 avril le gouvernement révolutionnaire capitule. Quant au social-démocrates autour de Väinö Tanner, ils se tiennent du côté du gouvernement de Svinhufvud.

En 1931, l'effectif des corps de protection est estimé à 100.000, alors que l'armée basée sur la conscription obligatoire compte seulement environ 30.000.

[34].     “Heimwehr”, en Autriche.

En Autriche, par ce terme générique “Heimwehr” (milice patriotique) (ou les variantes Heimatschutz, Heimatwehr, Heimwehren) on désigne des unités de milices volontaires formées initialement après la 1e guerre mondiale, puis regroupées à différents niveaux régionaux.

[35].     Organisations fascistes en Roumanie.

En Roumanie, dans le contexte entre les deux guerres mondiales, la principale organisation purement fasciste est la “Ligue de défense nationale chrétienne” (“Liga Apărării Naționale Creștine”), dénommée aussi “Légion de l'archange Michel”; fondée en 1927, elle est dirigée par Alexandru C. Cuza et Corneliu Zelea-Codreanu. Par la suite elle est appelée “Garde de Fer”. D'autres organisations du même type existent. La “Fédération nationale roumaine” (“Fascia Națională Română”) apparait sous deux versions successives: d'abord celle créé par Elena Bacaloglu en 1923, dont après une scission la partie prépondérante est dirigée par Titus Vifor; ensuite la version du colonel Stoica en 1929, de courte durée puisque Stoica est aussitôt arrêté).

En 1918 est constituée la “Grande Roumanie” à laquelle est intégrée la région de Transylvanie, auparavant partie de l'Empire austro-hongrois *. En Transylvanie est créé en 1869 le Parti national roumain (Partidul Naţional Român), dont à partir de 1896 un des principaux dirigeants est Iuliu Maniu. Le parti dominant de la région est le Parti national-libéral (Partidul naţional liberal).

En 1926 est effectué la fusion entre le Parti national roumain de Transsylvanie, le Parti paysan (Partidul Ţărănesc) dirigé par Ion Mihalache créé en 1918 et implanté dans la région correspondant à l'ancien Royaume de Roumanie, ainsi que les partis paysans de Bessarabie et Bukovina pour former le Parti paysan national appelé aussi Parti national-tsaraniste (Partidul Naţional Ţărănesc, PNT). Dans son opposition au Parti national-libéral, le PNT s'appuie sur une organisation des jeunesses, Chemarea. Aux élections de décembre 1928 ce parti atteint une large majorité, Maniu devient premier ministre. Il met en oeuvre une association avec le Parti social-démocrate roumain (Partidul Social Democrat Român, RSDP), qui détient des sièges au parlement au titre du PNT, et dont des membres occupent des positions importantes au ministère de travail.

En juillet 1929, 40 membres de la Garde de Fer sont arrêtés, sous accusation de comploter contre le gouvernement. À l'issue du procès, 26 sont acquittés, les autres condamnés à des peines légères. Dans ce contexte, l'organisation Chemarea tend à se transformer en organisation paramilitaire, son noyau étant connu sous la désignation de “roate de voinici” (“unités de jeunes: “voinic” signifie jeune homme brave, fort, vaillant). Maniu démissionne en octobre 1930 (puis dirige un gouvernement de courte durée d'octobre 1932 à janvier 1933).

En 1932, la Garde de fer obtient quatre sièges dans le parlement. Elle entame une campagne violente, des membres proéminents du gouvernement et de l'administration sont tués, en décembre 1993 le premier ministre Ion Duca en est victime.

  * Pour plus de détails concernant la Transylvanie, cf.: Éléments de géographie - Transylvanie.

[36].     Lotta‑Svärd.

En 1917 des activistes ayant pour objectif l'indépendance de la Finlande vis‑à‑vis de la Russie (cf. note 33 ), commencent à constituer des formations armées, qui se présentent comme des unités de pompiers volontaires. Parallèlement sont organisées des unités locales de maintien de l'ordre. Progressivement ces différents groupes se transforment en organisations du type de gardes civiles locales (Suojeluskunta). À cela s'ajoutent des associations de femmes qui soutiennent ces groupes, puis durant la guerre civile de 1918 contribuent aux actions de l'armée blanche. Finalement elles s'orientent vers une organisation permanente. Le nom “Lotta‑Svärd” apparait d'abord au début de 1919, puis est adopté officiellement en 1921. Il est inspiré par un recueil de poèmes de J. L. Runeberg, situés dans le contexte de la guerre avec la Russie de 1808‑1809; parmi les personnages figure une femme de nom Lotta Svärd (le mot suédois svärd signifie d'ailleurs épée). En principe les Lotta‑Svärd sont non armées, néanmoins cela n'est pas une règle stricte. L'éventail des orientations politiques couvertes par les Lotta‑Svärd va du centre à la droite. En 1930 les membres sont exhortés à voter pour les "forces anticommunistes". Durant la guerre contre l'URSS à partir de 1940, les Lotta‑Svärd assument de nouveau le rôle d'auxiliaire de l'armée. Dans ce cadre, elles se lient également au Parti social-démocrate finnois (Suomen Sosialidemokraattinen Puolue, SSP).

[37].     Ligue de défense aérienne et chimique, en Pologne.

En 1922 est constituée la Ligue de défense aérienne de l'État (Liga Obrony Powietrznej Państwa, LOPP), qui en 1928 est renommé en Ligue de défense aérienne et anti‑gaz (Liga Obrony Powietrznej i Przeciwgazowej). La LOPP vise à embrigader la jeunesse des écoles et la jeunesse ouvrière, moyennant d'activités les dimanches et durant les heures libres de leurs soirées: cours, conférences, affiches, articles dans la presse, projections de films, édition et distribution de publications, expositions mobiles, etc., tout cela autour du thème de la défense de la population civile. Notamment, à l'école, les élèves sont encadrés militairement en vue de la manipulation des masques à gaz et des brancards.

[38].     British Legion.

En 1921 est constituée en Grande‑Bretagne la “British Legion”, par la fusion de plusieurs organisations d'anciens combattants [ex‑servicemen] formées durant la 1e Guerre mondiale. En 1971 le préfixe "Royal" est ajouté à son nom.

Bien qu'il n'y ait pas lieu de porter un jugement général sur les orientations politiques des membres de la British Legion, on peut constater des signes marqués d'inclinaisons vers la droite fasciste, autant dans les origines de l'organisation que dans ses activités ultérieures. Parmi les membres fondateurs se trouve Graham Seton Hutchinson. Celui‑ci s'engage par la suite dans des activités à tendance fasciste, cherchant d'abord en 1931 à s'associer au British Union of Fascists dirigée par Oswald Mosley (cf. note 5 ), puis constituant en 1933 le British Empire Fascist Party, ainsi qu'un autre groupe dénommé National Workers Movement (puis National Socialist Workers Party ensuite National Workers Party) (Mouvement ouvrier national /Parti ouvrier national socialiste / Parti ouvrier national). Autre exemple, Charles Bentinck-Budd, qui en 1926 est élu, dans la ville où il réside, vice‑président de la branche locale de la British Legion; en 1933 il annonce son adhésion au British Union of Fascists.

En juillet 1935 une délégation de la British Legion, conduite par le président de celle‑ci, Francis Fetherston-Godley, se rend en Allemagne. Le programme inclut une visite du camp de concentration de Dachau. Extrait du compte rendu fait par la délégation à son retour en Grande-Bretagne:

[Les visiteurs ont quitté le] "camp avec un sentiment de désolation causé en partie par l'idée de ce que signifie pleinement l'isolement de détenus dans une cellule sombre, mais peut‑être plus par l'aperçu des spécimens inférieurs de l'humanité que l'inspection des détenus offrait" [...] "en considérant les conditions dans un camp de concentration allemand il sera nécessaire de ne pas perdre de vue le fait que le pays est encore en état de révolution et que les forces subversives ne sont nullement inactives".

[They left the] "camp with a feeling of depression, caused in part by the thought of the full meaning of solitary confinement in a dark cell, but perhaps more by the glimpse into the low types of humanity which an inspection of the inmates afforded"; "in considering the conditions in a German concentration camp it will be necessary not to lose sight of the fact that the country is still in a state of revolution and that the subversive forces are by no means quiescent".

[https://research‑repository.st‑andrews.ac.uk/bitstream/10023/7101/3/NialJABarrPhDThesis.pdf, p. 228]

En aout 1938, Ian Hamilton, président de la British Legion pour l'Ecosse, effectue une visite en Allemagne et est reçu par Adolf Hitler. Voici quelques phrases extraites des commentaires qu'il livre à la presse à son retour en Grande-Bretagne (citées selon les articles de journaux de l'époque):

"Le plus grand danger de guerre se situe aux frontières actuels de l'Allemagne." [...] "J'ai eu l'impression que l'Allemagne ne tolèrera indéfiniment d'être provoquée." [...] "Les Allemands sont beaucoup plus actives dans l'intérêt de la paix que les Britanniques et pensent fermement que Hitler peut les tenir à l'écart d'une guerre." [...] "Je suis sûr que le Führer est horrifié à l'idée d'une guerre européenne, mais il y a une limite à la patience d'une grande nation."

["The greatest danger of war lies on the actual frontiers of Germany." [...] "I got the impression that Germany will not indefinitely tolerate being provoked." [...]"The Germans are much more active in the interests of peace than the Britons and firmly believe that Hitler can keep them out of war." [...] "I am sure the Fuehrer is horrified at the idea of a European war, but there is a limit to the patience of a great nation."]

[39].     Fiume (Rijeka).

Le Traité de Londres de 1915 n'avait pas accordé à l'Italie le port de Fiume (Rijeka en croate) et son arrière-pays. La décomposition de l'Empire austro-hongrois à la fin de la 1e Guerre mondiale amène l'Italie à réitérer ses revendications territoriales sur la côte est de l'Adriatique.

Après la signature de l'armistice de Villa Giusti (Padoue), le 3 novembre 1918, les troupes italiennes occupent un certain nombre de ports de la côte Adriatique dont celui de Fiume où un Comité National Italien réclame le rattachement à l'Italie. En réaction, la ville est réinvestie par des troupes des puissances alliées vainqueurs. À la conférence de la Paix qui s'ouvre à Paris en janvier 1919 les alliés imposent la décision de rattacher la Dalmatie au futur État yougoslave avec création d'un État libre pour Fiume et son arrière-pays. Certains officiers italiens qui refusent ce résultat, décident de faire appel au poète nationaliste Gabriele d'Annunzio, qui prend la tête d'environ 2000 volontaires, s'empare de la ville le 12 septembre 1919, et la déclare comme annexée au royaume d'Italie. En novembre 1920, suite à la signature du traité de Rapallo avec le royaume des Serbes, Croates et Slovènes pour régler les différends territoriaux entre les deux États, les forces italiennes interviennent pour reprendre la ville en main, puis en mars 1922, les fascistes chassent le gouvernement local dominé par les autonomistes, et en mars 1924 Fiume est annexé à l'Italie. Avec le traité de Paris de 1947, la ville de Fiume, qui reprend son nom croate de Rijeka, sera attribuée à la Yougoslavie.

[40].     Gustav Noske.

En 1884 Noske adhère au Parti ouvrier socialiste d'Allemagne (Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands, SAPD), qui en 1890 adopte le nom de Parti social-démocrate d'Allemagne (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD). De 1906 à 1918 il est député pour le SPD. En 1914 il publie un livre "Kolonialpolitik und Sozialdemokratie" ("Politique coloniale et social-démocratie"), qui juge favorablement la politique coloniale de l'Allemagne. Durant la Première guerre mondiale il soutient la position de défense nationale. En décembre 1918, il devient membre du Conseil des mandatés du peuple qui exerce la fonction de gouvernement provisoire. En janvier 1919 il dirige l'écrasement, imposé avec le concours de corps francs, de la tentative d'insurrection révolutionnaire. En février il est nommé ministre de la défense et met en oeuvre la reconstruction des forces armées. En mars 1920, au moment de la mise en échec du putsch Lüttwitz-Kapp (cf. note 41 ), il est forcé de démissionner sous la pression des travailleurs en lutte. De 1920 à 1933 il occupe le poste de président [Oberpräsident] de la province Hannover.

[41].     Wolfgang Kapp.

L'article 160 du Traité de Versailles prescrit la réduction de l'armée allemande à 100.000 soldats de métier, et la dissolution des corps francs composés de volontaires. Pour atteindre ces limitations, à partir d'été 1919 environ 200.000 soldats de corps francs sont démobilisés. En particulier, sur ordre des puissances alliées vainqueurs doit être dissoute la brigade de marine Ehrhardt, commandée par Hermann Ehrhardt. Le général le plus haut gradé de l'armée (dénommée à cette époque Reichswehr provisoire), Walther von Lüttwitz, refuse d'appliquer cette disposition. Le 13 mars 1920, à la tête de la brigade de marine Ehrhardt, qui est sous ses ordres, il occupe le quartier gouvernemental de Berlin et nomme Wolfgang Kapp, un fonctionnaire de l'administration prussienne, comme chancelier. Cependant les travailleurs réagissent par la grève générale et la résistance armée, de sorte qu'après quatre jours le putsch est mis en échec.

[42].     "(?)": Les parenthèses et le point d'interrogation figurent tels quels dans la source en langue française; ils sont absents dans la publication en langue allemande du rapport.

[43].     Otto Bauer.

En 1900 Bauer adhère au Parti ouvrier social-démocrate d'Autriche (Sozialdemokratische Arbeiterpartei Deutsch-Österreichs, SDAPDÖ). En 1904 il prend contact avec Karl Kautsky, qui dirige l'organe du Parti social-démocrate d'Allemagne (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD), le Neue Zeit (Temps nouveau). Bauer collabore par la suite à ce journal, en 1907 il est chargé également de la direction du mensuel nouvellement créé, Der Kampf (Le combat) et fait partie aussi de la direction de l'organe du SDAPÖ, l'Arbeiter‑Zeitung (Journal ouvrier). Au cours de la Première guerre mondiale, il est fait prisonnier par les troupes russes, il revient à Vienne après l'éclatement de la Révolution russe. Il devient collaborateur étroit du président du SDAPÖ, Victor Adler. Il prépare notamment le programme qui est adopté en novembre 1926 au Congrès de Linz du Parti.

[44].     Pologne, mouvements de grève 1923.

À partir de juillet 1923 se développent en Pologne une série de mouvements de grève, des ouvriers de textile, des mineurs, des employés de l'administration publique, des cheminots, des postiers. Vers la fin d'octobre, s'établit une situation de grève générale. Les communistes participent activement, mais le Parti socialiste polonais (Polska Partia socjalistyczna, PPS) exerce un rôle prépondérant. Sous l'influence de l'agitation communiste les luttes se transforment parfois en affrontements armées et combats avec la police et les militaires, notamment à Kraków (Cracovie), Tarnów, Borysław (aujourd'hui Borislaw en Ukraine), Lwów (aujourd'hui Lwiw en Ukraine). À Kraków les grévistes désarment les militaires envoyés pour les réprimer, ils contrôlent la ville durant plusieurs jours. Cependant, la direction du PPS finit par s'accorder avec le gouvernement et arrive à mettre un terme au mouvement.

[45].     Nicola Sacco, Bartolomeo Vanzetti.

Sacco et Vanzetti sont deux immigrés italiens aux USA. Après avoir rejoint, séparément, la même aile du mouvement anarchiste (celle ayant pour principal représentant l'avocat Luigi Galleani), ils se rencontrent en 1917 lorsqu'ils passent au Mexique pour se soustraire à l'enregistrement obligatoire en vue de la mobilisation pour l'armée. Le 15 avril 1920, le caissier de la manufacture de chaussures Slater and Morril, à South Braintree (Massachusetts), située à une vingtaine de kilomètres de Boston, et son garde du corps, porteurs de deux coffres contenant la paie du personnel, sont abattus à coups de révolver par deux hommes. À cette date, la police du Massachusetts enquête sur une affaire semblable, survenue quelques mois plus tôt dans la petite ville de Bridgewater. Le 4 mai 1920, elle arrête Sacco et Vanzetti. Ce dernier est inculpé dans l'affaire du hold‑up de Bridgewater, et condamné à quinze ans de prison. Le procès des auteurs présumés du hold‑up de South Braintree a lieu à Dedham, du 31 mai au 14 juillet 1921, Sacco et Vanzetti sont condamnés à mort. Différentes requêtes en révision du procès sont déposées entre 1921 et 1927, en vain. Le 23 aout 1927 Sacco et Vanzetti sont exécutés à la prison de Charlestown, Massachusetts.

[46].     Autriche, Vienne, juillet 1927.

          (Le texte indique juin par erreur.)

Le 30 janvier 1927, à Schattendorf, localité de la province du Burgenland, un groupe d'anciens combattants monarchistes ouvre le feu sur un défilé du Republikanischer Schutzbund (Ligue de protection républicaine), une organisation prolétarienne armée créée en 1923, liée à la social-démocratie. L'attaque fait deux morts, dont un enfant. Jugés le 14 juillet, les tireurs ‑ qui pourtant n'avaient nullement nié les faits ‑ sont acquittés. Le 15, une grève générale spontanée éclate et conduit à des affrontements autour du Palais de Justice de Vienne. La police fait usage d'armes à feu; le lendemain, les fusillades continuent encore. La Ligue de protection laisse d'abord les manifestants seuls face à la police; ensuite elle intervient, mais non armée, et contre les travailleurs en essayant de désamorcer leur action; finalement, exposée aux attaques meurtrières de la police, elle se retire. Au total on comptera 86 morts parmi la population, ainsi que 4 policiers; plus de 1000 blessés sont hospitalisés. Dès la nuit du 15 au 16 juillet, le Parti communiste d'Autriche (Kommunistische Partei Österreichs, KPÖ) diffuse une édition spéciale de son organe Die Rote Fahne énonçant les revendications formulées par le Parti: dissolution et désarmement de toutes les organisations fascistes, épuration de l'appareil d'état (police, armée, gendarmerie) d'éléments réactionnaires, armement des travailleurs. L'après‑midi du 15 juillet, le Parti ouvrier social-démocrate d'Autriche (Sozialdemokratische Arbeiterpartei Deutsch-Österreichs, SDAPDÖ) et les dirigeants syndicaux se décident à appeler à une grève générale de 24 heures ainsi qu'une grève illimitée des transports et des postes, télégraphes et téléphones, en adressant au gouvernement une série de revendications: fin des représailles, inculpation des responsables du carnage, convocation du Parlement. Le chancelier fédéral Ignaz Seipel rejette les revendications et remarque pour se moquer de la délégation, qu'en vue de la tenue d'une session du parlement, ils devraient "d'abord faire en sorte que les trains circulent à nouveaux, puisqu'autrement les députés ne peuvent pas se rendre à Vienne". Les social-démocrates annulent effectivement la grève des transports. Le 16 juillet, le Bulletin d'information de la social-démocratie (Mitteilungsblatt der Sozialdemokratie) écrit: "Plus est total, de la part des camarades, le respect de la consigne de rester aujourd'hui à la maison et de ne pas descendre dans la rue, d'autant plus efficace sera la prompte disposition du Schutzbund d'intervenir en cas de besoin." Puis le 7 aout, l'Arbeiter‑Zeitung écrit: "Nous n'avons pas été vaincus dans le combat, c'est plutôt que nous avons évité le combat."

[47].     L'affaire de Saverne, 1913.

Le 6 novembre 1913 à Saverne, deux journaux locaux l'Elsässer et le Zaberner Anzeiger rapportent dans leur édition un fait divers caractéristique des brimades quotidiennes que subit la population alsacienne de la part des autorités impériales allemandes. Le lieutenant von Forstner apprenant qu'un soldat prussien avait pris deux mois de prison pour avoir poignardé un Alsacien, lui aurait apporté son soutien et aurait déclaré: "Ach! Ce n'est pas moi qui t'aurais puni pour ce coup‑là. Au contraire, pour chacun de ces sales Wackes (“Wackes” signifie “voyou”) que tu abattras, je t'en donnerai 10 marks." Le sous‑officier Hoefflich aurait ajouté: "Et moi, je t'en donnerai trois de plus." Les deux officiers ont ensuite ordonné aux recrues alsaciennes de hurler: "Je suis un Wacke, nous sommes des Wackes!". Cet évènement déclenche des émeutes qui se poursuivent durant trois semaines, tandis que les forces prussiennes accentuent les provocations. Dans son édition du 15 novembre, l'Elsässer révèle que, s'adressant à ses hommes, Forstner a affirmé: "Pour ma part, je vous autorise à chier sur le drapeau français." Le journal est perquisitionné par l'armée. Forstner sera jugé et condamné à 43 jours de prison pour avoir frappé un infirme à coups de sabre, mais le jugement sera annulé en appel.

[48].     Grigory Yevseyevich Zinovyev.

Zinoviev adhère au POSDR en 1901. En 1902 il quitte la Russie, revient en 1905, puis s'établit en Suisse en 1906. Il fait partie de la délégation des bolcheviks à la conférence de Zimmerwald en 1915 puis celle de Kienthal en 1916. Après la révolution russe de février 1917 il revient en Russie. Au congrès de fondation de l'Internationale communiste en 1919 il est élu président du comité exécutif. À partir d'avril 1926 il s'allie à Trotski, il est alors démis de sa fonction de président du CE de l'IC. En novembre 1927 il est exclu du PCUS en même temps que Trotski, mais en décembre il modifie ses positions et est réadmis en 1928. Il est expulsé à nouveau en 1932, réadmis encore, puis condamné à dix ans de prison. Après un nouveau procès en 1935 il est exécuté en 1936.

[49].     Hongrie, Budapest, septembre 1930.

Vers l'été 1930, en Hongrie, la volonté de lutte des masses travailleuses se renforce. Sous la pression des circonstances, la social-démocratie décide d'organiser des manifestations contre le chômage. Ainsi le 1er septembre à Budapest et dans d'autres villes elle appelle à des manifestations associées des grèves partielles. De la part de la social-démocratie il devait s'agir d'actions pacifiques. Le Parti communiste appelle à la grève générale et à des manifestations combattives. Les protestations prennent une ampleur jamais atteinte depuis l'écrasement de la république des soviets de 1919. Dès la veille, le pouvoir mobilise la police fortement armée, des chars, procède à plus de 300 arrestations. Les travailleurs ne suivent pas les consignes des social-démocrates, mais celles des communistes. Des affrontements se développent, avec des nombreux blessés des deux côtés, la circulation est totalement désorganisée. Le député social-démocrate Karl Peyer tente de calmer les masses par une tirade anticommuniste et en appelant à la coopération avec la police; il est malmené par les manifestants et se sauve sous protection de la police. Le dirigeant social-démocrate Qarami est extrait de sa voiture, tabassé, la voiture est renversée et incendiée. L'armée intervient. Des restaurants fréquentés par les bourgeois sont dévastés. Des barricades sont érigées. Tard dans la soirée la police réussit à pousser les travailleurs hors du centre vers les quartiers périphériques. Le rapport officiel fait état de deux morts et 57 blessés graves, des récits de la part de la social-démocratie indiquent dix travailleurs tués et 600 personnes blessées. Selon la police, ce sont les dirigeants social-démocrates qui ont appelé la police au secours. Le nombre de manifestants est estimé à 250.000.

[50].     Allemagne, Ruhr, 1928.

Au printemps 1928, un conflit est en cours dans les mines de charbon de la Ruhr, au sujet des salaires et des horaires de travail. Les fédérations des travailleurs des mines pour la région revendiquent l'introduction de l'équipe de 7 heures sous terre et 8 heures en surface, ce que les employeurs refusent. Le 14 avril est prononcée, par l'administration gouvernementale, une sentence arbitrale, elle est rejetée autant par le l'Association de mines (Zechenverband, l'union des employeurs des mines de la Ruhr) que par les syndicats. Le ministre du travail Heinrich Brauns entreprend des négociations avec les syndicats, mais ses propositions sont rejetées par les syndicats de l'ADGB. De leur côté les employeurs font savoir qu'aucune des solutions proposées par Brauns n'est acceptable de leur point de vue. Le 23 avril, Brauns valide la sentence arbitrale d'autorité.

En automne de la même année, dans le secteur de la métallurgie de la Ruhr, des négociations ont lieu à l'approche de l'expiration, au 30 octobre, de la durée d'une sentence arbitrale de décembre 1927. Une nouvelle sentence arbitrale est rendue par le conciliateur Wilhelm Joetten. Mais les employeurs du Groupe Nord‑Ouest de l'Association d'industriels du fer et de l'acier brusquent la situation en annonçant le 15 octobre le licenciement de l'ensemble des travailleurs, au nombre d'environ 213 000, à l'échéance du 1er novembre. Les négociations se poursuivent avec le ministre du travail Rudolf Wissel qui rend une sentence arbitrale acceptée par les syndicats. Les employeurs imposent néanmoins le lockout. S'ensuite une procédure judiciaire prolongée. En attendant l'issue de celle-ci, le gouvernement du Reich charge le ministre de l'Intérieur Carl Severing d'une médiation qui aboutit à la fin du conflit.

[51].     Allemagne, métallurgie, 1928.

À Berlin, le 12 décembre 1927 l'Union allemande des travailleurs de la métallurgie (Deutscher Metallarbeiter-Verband, DMV) initie vis‑à‑vis de l'Union d'industriels de la métallurgie berlinois (Verband Berliner Metall-Industrieller, VBMI) une demande de négociation concernant la catégorie des mécaniciens outilleurs. Le VBMI refuse de signer un accord de profession. Les mécaniciens outilleurs décident la grève, mais l'action est ajournée dans un premier temps en attendant la fin du conflit en cours dans l'industrie métallurgique d'Allemagne du Centre.

En janvier 1928 est prononcée une sentence arbitrale concernant l'industrie de la métallurgie dans la province Sachsen et en Anhalt. Dans un certain nombre d'entreprises débutent des grèves auxquelles participent 50.000 travailleurs, notamment environ 6000 à Dessau. Les employeurs imposent un lockout aux travailleurs dans le secteur couvert par l'Union d'industriels de la métallurgie de l'Allemagne du Centre (Verband Mitteldeutscher Metall-Industrieller), ensuite l'Union générale d'industriels de la métallurgie allemands (Gesamtverband Deutscher Metallindustrieller) menace d'un lockout général concernant les 750 000 travailleurs de la métallurgie. Les instances de conciliation se saisissent du litige, rendent une sentence arbitrale, que le ministre du travail Heinrich Brauns valide d'autorité, contre l'avis négatif des deux parties. Cette intervention termine le conflit au bout de plus de cinq semaines.

Finalement, le 27 février 1928 environ la moitié des 4000 mécaniciens outilleurs de Berlin se mettent en grève. Toutes les grandes usines à l'exception d'AEG sont concernées. Le 28, le VBMI décide de fermer les usines touchées par la grève. Le président de la commission de conciliation entreprend une nouvelle tentative de médiation. Sa proposition est rejetée par les employeurs, et le 5 mars les usines sont fermées, ce qui impose le lockout à environ 60.000 travailleurs. La procédure d'arbitrage se poursuit. Le DMV Berlin élargit le mouvement de grève en incluant de nouvelles usines, notamment AEG. Le litige est soumis au ministre du travail Brauns qui, le 12, prononce une sentence d'autorité, contre l'opposition du DMV. La reprise du travail intervient le 14.

[52].     Cf. note 50 .

[53].     Grande‑Bretagne, NUWM, Écosse 1931‑1932.

En Grande‑Bretagne, durant la période d'automne 1931 à automne 1932, se produisent de multiples mouvements de protestation impulsés par le Mouvement national de travailleurs sans‑emploi (National Unemployed Workers' Movement, NUWM). Le NUWM avait été constitué en 1921, l'un de ses principaux dirigeants étant Walter Hannington, membre par ailleurs du CPGB. En 1922 le NUWM avait organisé une “marche de la faim” au niveau national, au cours de laquelle environ 2000 personnes partant de diverses régions du pays convergeaient à Londres pour une manifestation commune. Une action similaire avait été organisée en automne 1927, à partir de la région de la vallée de la Rhondda en pays de Galles, en réaction à des restrictions imposées en matière d'allocations versées aux mineurs sans emploi.

Durant l'automne 1931, diverses manifestations de ce type ont lieu à travers le pays, notamment en Écosse: à Dundee plus de 50.000 manifestants, trente arrestations; à Glasgow le 1er octobre une manifestation d'environ 50.000 de personnes, des affrontements avec la police ont lieu, une autre manifestation rassemble environ 150.000 participants le 8 octobre. Le 18 janvier 1932 à Glasgow a lieu le procès de treize personnes qui avaient été arrêtées suite à une manifestation, des milliers de manifestants se rassemblent en soutien aux accusés, des affrontements avec la police se produisent, cependant les accusés sont acquittés. En février une marche est organisée à travers l'Écosse, 1500 manifestants arrivent à Edinburg où des affrontements ont lieu avec la police.

[54].     Grande‑Bretagne, mines de charbon, Pays de Galles janvier 1930.

En Grande‑Bretagne, dans la région du Pays de Galles, lorsque les propriétaires des mines de charbon veulent imposer des réductions d'horaires de travail allant de pair avec une réduction correspondante des salaires, les syndicats appellent à une grève à partir du 1er janvier 1930, impliquant environ 150.000 mineurs. Les grévistes reprennent le travail le 19.

[55].     Grande‑Bretagne, textile, 1928‑1931.

Depuis la fin du 18e siècle l'industrie du coton occupe une place importante dans l'industrie de la Grande‑Bretagne. Elle est en expansion encore dans les années avant la Première guerre mondiale. C'est à l'époque la branche d'industrie qui occupe le plus de main d'oeuvre, elle emploie plus d'un demi‑million de personnes, dont plus de la moitié sont des femmes. Parmi les différentes professions, le groupe principal sont les tisserands; bien que non reconnu comme qualifié, ce travail nécessite une pratique de douze ans pour devenir tisseur pleinement confirmé. En 1914 le syndicat des tisserands (Weavers' Association) compte 200.000 membres et est le second plus grand syndicat du pays. Il se trouve fortement concentré sur la région de Lancashire. En son sein, la filature et le tissage sont deux processus nettement distincts. Au sud de la région se trouvent les centres de filature, notamment à Oldham et Bolton; au nord‑ouest se trouvent les centres de tissage, notamment Blackburn et Burnley.

Vers 1928 les employeurs tendent à vouloir procéder à des réductions de salaire pour tous les travailleurs du coton. Parallèlement, un groupe de propriétaires d'usines à Burnley tente d'expérimenter un nouveau système, en soumettant 4 % des métiers à tisser dans 12 usines à un fonctionnement sur la base de huit métiers par tisserand au lieu de quatre. Les tisserands concernés sont payés plus, mais l'organisation implique le licenciement de quatre tisserands par usine. La mise en oeuvre démarre en avril 1929, après un accord conclu avec le syndicat des tisserands. Après quelques mois, l'hostilité au nouveau système se développe parmi les tisserands. Au début de 1931 les employeurs répondent avec un lockout qui frappe plus de 100.000 tisserands, il dure sept semaines, mais le syndicat refuse fermement de céder. Finalement, les employeurs, connaissant également des divisions en leur sein, renoncent, le 14 février. Cependant certaines usines suivent leur propre chemin séparément et introduisent différents variantes du système “plus de métiers”. Dans certains cas, sans modifier le nombre de métiers affectés à un tisserand, les employeurs baissent cependant le taux de salaire selon le taux par métier qui résulterait du système “plus de métiers”.

[56].     Guomindang ou Kuomintang ("Parti nationaliste")

Au cours de l'année 1911, l'Alliance révolutionnaire (Zhongguo geming Tongmenghui, c'est‑à‑dire Ligue révolutionnaire unie de Chine, ou simplement Tongmenghui), fondée par Sun Yìxian (Sun Yat‑sen) en 1905, intervient activement pour développer l'agitation, qui se dirige contre le régime impérial et amène l'effondrement de celui‑ci. Le 29 décembre, des représentants des diverses provinces choisissent Sun Yìxian comme président de la République. En février 1912 Yuan Shikai, chargé par la Cour de réprimer les révoltes, obtient l'abdication du jeune empereur Puyi; une Assemblée réunie à Nanjing (Nanking) désigne Yuan Shikai comme président de la République. La Tongmenghui est transformée en Guomindang, qui formule comme programme les “Trois Principes du peuple”: nationalisme, démocratie, bienêtre *. Cependant en 1913 des soulèvements provoquent la dissolution du Guomindang par le régime. En 1914 le Japon s'empare des concessions allemandes en Chine (Qingdao, dans la province Shandong) et en 1915 impose à la Chine son protectorat. Yuan Shikai décède en 1916, la Chine entre alors dans une longue période de luttes entre les chefs républicains et les généraux. En Chine du Nord les dujun ("seigneurs de la guerre") rivaux, Zhang Zuolin, gouverneur de Mandchourie, Cao Kun, gouverneur du Zhili (correspondant approximativement à la province actuelle Hebei), etc., s'opposent dans des conflits armées qui se poursuivront jusqu'en 1927.

En 1921 est créé à Shanghai le Parti communiste chinois (PCC), qui adhère à l'Internationale communiste l'année suivante. En 1922 Sun Yìxian est porté à Guangzhou (Canton) à la présidence de la République. Il se donne pour objectif la reconquête de toute la Chine du Sud et la prise de Beijing (Pékin), face aux deux factions ennemis, dont l'une soutenue par le Japon, l'autre par la Grande‑Bretagne. À partir de 1923‑1924 il obtient le soutien de l'U.R.S.S. et le Guomindang accepte le principe d'un front uni impliquant l'intégration des communistes en son sein. Après la mort de Sun Yìxian en 1925, s'opère une scission au sein du Guomindang entre, d'une part, une fraction autour de Wang Jingwei et Song Qingling (veuve de Sun Yìxian) et, d'autre part, celle dirigée par Jiang Jieshi (Chiang Kai‑shek). En 1926 Jiang Jieshi l'emporte et exclut les communistes des organes dirigeants. Il organise une “expédition vers le Nord” dans l'objectif de reconquérir les provinces tenues par les divers gouverneurs. Le 12 avril 1927 un soulèvement des travailleurs de Shanghai, animé par le PCC, est réprimé par l'armée de Jiang Jieshi, le massacre fait des milliers de victimes. Nanjing devient le siège du gouvernement du Guomintang de Jiang Jieshi. Les communistes sont privés de leurs bases urbaines, Mao Zedong, Zhou Enlai et Zhu De rassemblent des troupes pour former une armée populaire de libération qui se regroupe dans les montagnes du Hunan puis du Jiangxi. En 1928 Jiang Jieshi marche vers le nord et entre en juin à Beijing, qui est déclaré capitale.

          * “Trois Principes du peuple” (en chinois “Sanmin zhuyi”, “min” signifie peuple, citoyen): nation (minzu), democratie (minquan), bienetre (minsheng).

[57].     Grande‑Bretagne, mines, 1926.

En Grande‑Bretagne, le 30 juin 1925 les propriétaires des mines annoncent qu'ils réduiront les salaires des mineurs. Suite à l'opposition du Syndicat national des travailleurs des mines (National Union of Mineworkers), soutenu par le Trades Union Congress (Congrès de Syndicats, TUC, l'unique organisation centralisée de syndicats, liée au Labour Party), le gouvernement conservateur de Stanley Baldwin décide d'intervenir et accorde les fonds nécessaires pour maintenir le niveau des salaires, pendant une période de neuf mois. Il constitue une commission présidée par Herbert Samuel chargée d'examiner la situation de l'industrie minière, laquelle publie son rapport en mars 1926. Elle écarte l'idée d'une nationalisation, recommande l'arrêt des subventions et que les salaires des mineurs soient effectivement réduits. Au même moment les propriétaires des mines, au‑delà des réductions de salaires, modifient de façon plus générale les conditions d'emploi, notamment par un prolongement de l'horaire journalier et la fixation des taux de salaires par district; ils annoncent que si les mineurs n'acceptent pas ces décisions avant le 1er mai, ils procèderont à un lockout.

Le 1er mai, le TUC annonce un appel à la grève pour le 4 mai, et entame des négociations dans l'espoir d'arriver à un accord avant. Depuis le décès du Secrétaire général du TUC Fred Bramley en octobre 1925, Walter Citrine assume la fonction à titre provisoire, il sera officiellement désigné comme Secrétaire général en septembre 1926. Ramsay MacDonald, le dirigeant du Labour Party, est opposé au déclenchement d'une grève générale. Les négociations échouent. Le TUC applique la méthode de mettre en grève d'abord les travailleurs de certains secteurs clé ‑ chemins de fer, transports, ports, imprimeries, construction, sidérurgie. Le 7 mai, Samuel prend contact avec le TUC. Sans se coordonner avec les mineurs, les représentants du TUC s'accordent avec Samuel sur les conditions dans lesquelles la grève pourrait être révoquée en échange d'une poursuite des négociations. Les mineurs rejettent l'arrangement, mais le 11 mai le Conseil général du TUC l'entérine et déclare la fin de la grève. Cependant, le gouvernement ne reprend pas à son compte les termes de l'arrangement.

Le 21 juin, le gouvernement fait adopter une loi qui suspend la loi concernant la journée de travail de sept heures dans les mines (Miners' Seven Hours Act) pour une durée de cinq ans, ce qui autorise le retour à la journée de huit heures. Ainsi en juillet les propriétaires des mines confirment les mesures annoncées. Les mineurs poursuivent la grève, mais sont contraints de reprendre progressivement le travail; un grand nombre parmi eux sont sanctionnés et restent au chômage.

Par la suite, en 1927, le gouvernement adopte le Trade Disputes and Trade Unions Act (Loi sur les conflits de travail et les syndicats), qui prohibe les grèves générales ainsi que les grèves de solidarité, et interdit aux fonctionnaires publics d'adhérer aux syndicats affiliés au Trade Union Congress.

[58].     Albert Arthur Purcell.

En 1919 Purcell devient membre du Comité parlementaire du Congrès de Syndicats britannique (Trades Union Congress, TUC, l'unique organisation centralisée de syndicats, liée au Labour Party), puis de l'instance qui succède au Comité parlementaire, le Conseil général, jusqu'en 1927. En aout 1920, il participe au congrès de fondation du Parti communiste de Grande‑Bretagne (Communist Party of Great Britain, CPGB), mais se tourne ensuite vers le Parti travailliste (Labour Party), et est élu à la Chambre des Communes (House of Commons) de 1923 à 1929. Il est président de la Fédération syndicale internationale (FSI) (cf. note 87 ) de 1924 à 1927.

En mai‑juin 1920 une délégation conjointe du TUC et du Parti travailliste dont fait partie Purcell, visite l'URSS, puis il participe à une deuxième visite en novembre-décembre 1924. À cette époque, des contacts sont en cours entre l'URSS et la FSI. Le TUC et notamment Purcell se prononcent en faveur d'un développement des relations avec l'URSS. Un Conseil consultatif commun anglo-russe (Anglo-russian joint advisory committee) tient une première réunion en septembre 1925. À l'issue de la grève des mineurs de mai 1926, les représentants soviétiques au Conseil consultatif commun anglo-russe accusent les dirigeants du TUC comme traitres; néanmoins les contacts au niveau du Conseil consultatif se poursuivent encore quelque temps. Finalement au congrès de la FSI en 1927 à Paris, Walter Citrine remplace Purcell à la direction de la celle‑ci, et le TUC se rallie à la position hostile aux syndicats russes.

[59].     Walter Citrine.

En 1906 Citrine adhère au Parti travailliste britannique (Labour Party). En 1911 il rejoint le Syndicat des électriciens (Electrical Trades Union, ETU). En janvier 1924 il est élu comme secrétaire général adjoint du Congrès de Syndicats (Trades Union Congress, TUC, l'unique organisation centralisée de syndicats, liée au Labour Party). En octobre 1925 il effectue une visite en URSS, mais il interrompt le séjour suite au décès du Secrétaire général du TUC, Fred Bramley; il assume la fonction à titre provisoire, puis est officiellement désigné comme Secrétaire général en septembre 1926. De ce fait il dirige l'action du TUC en rapport avec la grève de mai 1926 (cf. note 57 ). En septembre 1928, il est élu président de la Fédération syndicale internationale (FSI) (cf. note 87 ), poste qu'il occupera jusqu' à la dissolution ‑ suite à la constitution de la Fédération syndicale mondiale (FSM) ‑ de la FSI en décembre 1945.

[60].     Il s'agit du Conseil général du Congrès de Syndicats britannique (Trades Union Congress, TUC).

[61].     Le 10e Plénum du Comité exécutif de l'Internationale communiste s'est tenu du 3 au 19 juillet 1929.

[62].     France, textile, Roubaix-Tourcoing 1930‑1931.

Un puissant mouvement de grève a lieu dans l'industrie textile du nord de la France, du 18 mai au 28 juillet 1931.

Le contexte est marqué par un conflit qui s'était déroulé auparavant entre juillet et septembre 1930. Le 1er juillet 1930 entre en application la loi instituant les Assurances Sociales. Les salariés gagnant moins de 18.000 Francs par an y sont seuls assujettis. Ils sont classés en 5 catégories de salaires auxquelles correspondent des cotisations fixes variant de 1,50 à 10,00 F par semaine. L'employeur doit prélever la cotisation à compter de la première paie suivant le 1er juillet 1930. Les ouvriers demandent la prise en charge de leur cotisation par l'employeur, ou à défaut, une hausse de salaires de 0,25 F de l'heure. Dans l'industrie du textile de la région Roubaix-Tourcoing, quelques entreprises indépendantes du Consortium de l'industrie textile de Roubaix-Tourcoing (cf. la note plus loin ) acceptent de prendre en charge la cotisation ouvrière. Mais le Conseil d'Administration du Consortium s'y refuse et annonce le 1er juillet à Roubaix-Tourcoing et dans la Vallée de la Lys une "prime de fidélité" ayant pour but de masquer l'effet de la cotisation ouvrière sur le salaire, sans pour autant accepter officiellement sa prise en charge. La prime, payable après un an de présence dans l'entreprise à la condition que le travail n'ait pas été interrompu au cours de l'année, quelles que soient la cause et la durée de l'interruption, est critiquée par les syndicats qui demandent la prise en charge de la cotisation ouvrière. Des mouvements de grève s'observent çà et là à partir du 16 juillet; les entreprises n'adhérant pas au Consortium ‑ qui paient les cotisations ouvrières aux Assurances Sociales ‑ continuent à travailler. Devant l'inflexible rigueur du Consortium, le 4 aout la grève s'étend, à l'appel de la CGT, à l'ensemble des usines du Consortium. Elle se termine le 15 septembre sur l'arbitrage de Pierre Laval, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale: la prime de "fidélité" est supprimée, elle est remplacée par une prime de "présence", versée à l'issue de la première année, et cette prime est ensuite incorporée au salaire et payée en même temps que celui‑ci. La pression des industriels, désireux d'en terminer, est telle que l'administrateur-délégué du Consortium, Désiré Ley, doit s'incliner. Le 11 septembre, la Commission intersyndicale de l'industrie textile de Roubaix-Tourcoing (cf. la note plus loin ) accepte les propositions du ministre du Travail. D'un autre côté, les syndicats CGT et chrétiens acceptent que les ouvriers supportent la retenue de leur cotisation aux Assurances Sociales. Les communistes et la CGTU sont hostiles à la loi sur les Assurances et refusent les retenues sur salaire tout en rejetant la "prime de présence".

Puis, le 14 avril 1931, le Consortium annonce aux délégués de la CGT et des syndicats chrétiens qu'à partir du 20 avril suivant, tous les salaires seront réduits de 10 %; l'échéance est finalement repoussé au 11 mai. Quelques jours avant l'échéance, Adolphe Landry, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale dans le cabinet formé le 27 janvier 1931 sous la présidence du Conseil de Pierre Laval, se saisit du litige et obtient un nouveau sursis jusqu'au 18 mai. Le 16, des assemblées des syndicats CGT et chrétiens décident d'appeler à la grève pour le 18. Au même moment, le Consortium annonce par voie d'affiches qu'il n'applique pas la baisse de salaires, mais qu'il supprime la prime de présence, ce qui équivaut à une diminution des salaires de 4 à 5 %. Cependant la Commission intersyndicale précise le sens de cette position en indiquant que la question de la diminution de salaires, en dehors de la suppression de la prime de présence, ne serait pas posée à nouveau avant un délai minimum de trois mois ‑ ce qui signifie qu'elle sera effectivement posée ultérieurement. Les dirigeants des syndicats chrétiens sollicitent la médiation du ministre du travail. Dès le premier jour de la grève, on compte 93.000 grévistes à Roubaix-Tourcoing, le 20, on compte au total 112.000 grévistes sur les 128.000 ouvriers du secteur textile (43.000 sur 47.000 à Tourcoing). Le 6 juin, un industriel qui n'adhère pas au Consortium offre à ses ouvriers de reprendre le travail aux mêmes conditions qu'avant la grève (la question de la prime de présence ne se posant pas puisque les cotisations ouvrières aux Assurances Sociales étaient prises en charge par cet employeur), une réduction de salaires limitée à 3 % n'étant appliquée que le 1er septembre 1931. Un certain nombre de firmes, qui se constituent en Groupement Patronal Interprofessionnel, distinct du Consortium, font leur cette initiative. Le 26 juin le ministre du travail et le président du Conseil entament des nouvelles médiations avec les représentants patronaux et ouvriers, il en ressort le 30 juin la proposition de supprimer la prime de présence tandis que les ouvriers recevraient une augmentation de 2 %. Par une note du 2 juillet, la Commission intersyndicale déclare les pourparlers clos. Le 3 juillet, un accord est conclu entre les industriels indépendants et les syndicats CGT et chrétiens: prime de présence supprimée, prime de compensation de 3 % jusqu'au 15 septembre, puis ramenée à 1 % et intégrée dans le salaire. Le 20 juillet, 46.000 ouvriers ont repris le travail, dont 90 % au moins dans les firmes du Groupement Patronal Interprofessionnel. Le Consortium, qui ne veut pas céder, trouve un allié dans le gouvernement belge qui insiste vivement pour que les travailleurs frontaliers impliqués dans le mouvement cessent la grève. Le 21 juillet, il reste 64.000 grévistes, contre 62.000 ouvriers au travail; le 22, 43.000, contre 83 000; le 23, 31.000, contre 95.000. Le weekend des 25‑26 juillet, la CGT et les syndicats chrétiens annoncent la reprise du travail pour lundi. La CGTU tente de de poursuivre le mouvement mais au bout du compte constate que la grève est terminée le 28 juillet.

          Note au sujet du Consortium de l'industrie textile de Roubaix-Tourcoing et de la Commission intersyndicale de l'industrie textile de Roubaix-Tourcoing:

Durant la Première guerre mondiale, le syndicalisme purement patronal, inconnu en 1914 du fait de la doctrine du syndicat mixte qui avait la préférence des industriels catholiques, s'organise. Les membres de l'Association catholique des patrons du Nord tiennent en commun des réunions bi‑mensuelles à Tourcoing et à Roubaix. Elles commencent le 8 juin 1915 à Tourcoing, le 29 septembre suivant à Roubaix. Louis Tiberghien-Motte, de la firme Tiberghien frères, constate que "l'apostolat à l'usine est moins efficace que nous l'avions espéré" et que l'ouvrier "ne veut plus confier la défense de ses intérêts au patron". Mais le roubaisien Eugène Mathon, très hostile aux syndicats ouvriers, qu'ils soient "confessionnels ou indépendants", et persuadé que le "meilleur moyen" de maintenir la paix sociale est "de traiter les ouvriers avec bienveillance et justice", entraine à sa suite la majorité du patronat textile. La guerre terminée, Mathon met sur pied deux organismes patronaux: le “Consortium de l'industrie textile de Roubaix-Tourcoing”, qui a pour objet la gestion des oeuvres sociales, notamment des allocations familiales instituées bénévolement au profit du personnel des entreprises adhérentes, et la “Commission intersyndicale de l'industrie textile de Roubaix-Tourcoing”, chargée de régler les questions de salaires et de répondre aux revendications ouvrières. Il en confie la direction à Désiré Ley, un ancien ouvrier né à Roubaix en 1883. Les deux hommes ont en commun un paternalisme absolu du patronat, seul maitre de la création des oeuvres sociales et de leur fonctionnement. Ainsi les conditions d'octroi du "sursalaire familial", premier nom des allocations familiales, sont déterminées par l'intérêt patronal: un seul jour d'absence au cours d'un mois suffit à en faire perdre le bénéfice. C'est une arme antigrève très efficace, ce que Louis Blain, l'un des chefs des syndicats chrétiens, souligne dès 1922. Désiré Ley instaure une véritable dictature, qui s'impose même aux chefs d'entreprises, puisqu'il leur est interdit de négocier ou de traiter directement avec leur personnel. Ley refuse tout contact avec les syndicats unitaires et finit par rompre toutes relations d'abord en 1924 avec les syndicats chrétiens, accusés à Rome de connivence avec le socialisme, puis en 1928 avec la CGT.

[63].     Théodore Steeg.

En 1904, Steeg est élu à la Chambre des députés française, comme radical-socialiste. De janvier 1912 à janvier 1913 il est ministre de l'Intérieur dans le gouvernement Raymond Poincaré, puis il occupe le même poste de septembre à novembre 1917 dans le gouvernement Paul Painlevé, puis encore de janvier 1920 à janvier 1921 dans le gouvernement Alexandre Millerand et celui de Georges Leygues. Ensuite il est nommé gouverneur général de l'Algérie le 28 juillet 1921. En avril 1925 il devient ministre de la Justice dans le gouvernement Painlevé, mais il démission en octobre pour être nommé commissaire résident général au Maroc, poste qu'il occupe jusqu'à la fin de l'année 1928. De 1929 à 1936 il est membre de la commission des colonies ‑ dont il devient président ‑, de la commission des affaires étrangères et de la commission de l'Algérie.

En octobre 1929 s'ouvre une période d'instabilité ministérielle. Suite à la démission d'Aristide Briand, André Tardieu est désigné comme président du conseil; en février 1930 lui succède un ministère Camille Chautemps, renversé moins d'une semaine après sa constitution, puis un second ministère Tardieu est investi en mars. Le 28 novembre survient l'arrestation d'Albert Oustric, un banquier impliqué dans des opérations de spéculation boursière qui se trouve en banqueroute suite à la crise d'octobre 1929. Cet évènement fait scandale du fait qu'il avait tissé d'importants réseaux avec le monde politique. Raoul Péret, ministre de la Justice, éclaboussé par l'affaire, est contraint de démissionner, ce qui provoque la chute du ministère Tardieu. Le 5 décembre Gaston Doumergue, président de la République, consulte les hommes politiques sur la crise ministérielle. Le 6, en raison du refus de Poincaré de former un gouvernement, il sollicite Louis Barthou, lequel obtient le concours de Tardieu et Briand. Cependant le 8, Doumergue s'adresse à Pierre Laval qui commence ses démarches. Finalement, le 11, Théodore Steeg est chargé de former le gouvernement. Il adopte la formule de la “concentration élargie”, comprenant tous les républicains, sauf les groupes extrêmes SFIO à gauche et URD à droite. Mais le 18, trois membres du gouvernement donnent leur démission, ils sont remplacés; puis, le 21 janvier 1931, le gouvernement est mis en minorité dans le cadre de l'examen du budget de la santé publique, il démissionne le 22.

[64].     Le 6e congrès du KPČ se tient du 7 au 11 mars 1931.

[65].     Traité de Versailles.

Pour rétablir l'état de paix avec l'Allemagne, les vingt‑sept puissances vainqueurs alliées ou associées (en fait, trente‑deux, dans la mesure où la Grande‑Bretagne parle au nom du Canada, de l'Australie, de l'Afrique du Sud, de la Nouvelle-Zélande et de l'Inde) se réunissent en conférence de la paix à Paris, du 18 janvier 1919 au 10 aout 1920; lors de ses négociations sont élaborés, en outre, les quatre traités secondaires de Saint-Germain-en-Laye, Trianon, Neuilly-sur-Seine et Sèvres.

En pratique, les travaux sont dominés par un directoire de quatre membres: Georges Clemenceau pour la France, David Lloyd George pour la Grande‑Bretagne, Vittorio Emanuele Orlando pour l'Italie, Thomas Woodrow Wilson pour les USA. Le pacte de la Société des Nations (SdN) est incorporé au texte du traité de paix sous forme de préambule.

Les principales clauses territoriales concernent la restitution de l'Alsace-Lorraine à la France, l'administration de la Sarre d'abord par la SdN pendant quinze ans, puis l'organisation d'un plébiscite, ainsi que l'organisation d'un autre plébiscite, revendiquée par l'Allemagne et la Pologne, au Schleswig et en Silésie. Toruń (antérieurement Thorn) est cédée à la Pologne; Dantzig (aujourd'hui Gdansk) devient une ville libre administrée sous le contrôle de la SdN, et le “corridor” de Dantzig, qui assure à cet État un accès à la mer, isole ainsi la Prusse orientale des autres territoires d'Allemagne. Les Allemands des Sudètes sont intégrés à la Tchécoslovaquie. Aussi, l'Allemagne renonce à toutes ses colonies, et ceci au profit des puissances alliées, la SdN ayant charge d'en attribuer le mandat à certaines d'entre elles.

Après suppression du service militaire, l'armée allemande est ramenée à 100.000 hommes (contre 400.000 au début de 1919) et la marine à 15.000. La fabrication d'un nouveau matériel de guerre (sous-marins, artillerie lourde et chars) est interdite, la flotte de guerre confisquée et les ouvrages fortifiés doivent être détruits sous le contrôle de la Commission des réparations. L'Allemagne doit, à titre transitoire, verser 20 milliards de marks‑or en attendant que la Commission des réparations fixe le montant des réparations destinées à couvrir les dommages de guerre.

Pour garantir l'exécution des clauses du traité, la rive gauche du Rhin ainsi que trois têtes de pont sur la rive droite doivent être occupées pendant (au maximum) quinze ans par les puissances alliés, la Rhénanie est démilitarisée, et l'Allemagne doit reconnaitre sa responsabilité concernant les dommages causés du fait de la guerre.

[66].     [321ignition] Dans la source, on lit: "Le fait que la crise révolutionnaire mûrit est également le rétrécissement de la base sociale...". Nous avons corrigé l'erreur de composition selon la publication en langue allemande du rapport: "Vom Heranreifen der revolutionären Krise zeugt auch der Rückgang der Massenbasis..."

[67].     Józef Piłsudski.

Piłsudski, au début de la Première guerre mondiale, commande une brigade polonaise au sein de l'armée austro-hongroise, mais ensuite il prend le parti des puissances alliées adverses. Il proclame la République à Varsovie le 11 novembre 1918, et est confirmé dans les fonctions de chef de l'État par la Diète constituante. En 1923 il se retire de la vie publique, mais le 12 mai 1926 il s'installe à la tête du pouvoir par un coup d'état. Cumulant les fonctions de chef de l'État, de Premier ministre et de ministre de la Guerre, il établit son pouvoir personnel; il conserve certaines apparences d'une démocratie parlementaire mais gouverne de façon autoritaire. En octobre 1927 plusieurs petits partis, groupes conservateurs et catholiques, des représentants de l'industrie, des fractions issues du Parti socialiste polonais (Polska Partia socjalistyczna, PPS) et des partis paysans, des associations professionnelles, sociales et culturelles, et de nombreux individus, fusionnent en une organisation appelée Bloc non‑partisan pour la coopération avec le gouvernement (Bezpartyjny Blok Współpracy z rządem, BBWr); ce bloc fait la promotion d'un programme “d'assainissement” (en polonais: “sanacja”) de la vie politique. En 1930 une junte militaire assume le gouvernement, les dirigeants des partis d'opposition son arrêtés. Piłsudski décède en 1935.

[68].     Mohandas Karamchand Gandhi, dit “Mahatma”.

À partir de 1919 Gandhi intervient comme un des principaux dirigeants du Parti du Congrès (constitué en 1885 comme mouvement politique dénommé Congrès national indien). Le 6 février 1919 l'administration britannique en Inde proclame avec effet immédiat le Rowlatt Act, qui donne au gouvernement le pouvoir d'arrêter et emprisonner sans procédure quiconque pour des offenses politiques. Le 24 Gandhi et un certain nombre de ses partisans se réunissent à Ahmedabad (état du Gujarat), dans un lieu dénommé Sabarmati Ashram (connu aussi comme Satyagraha Ashram); est adopté un document d'engagement à la désobéissance civile. Le terme principal associé à cette campagne est “Satyagraha”, qui étymologiquement signifie l'étreinte (graha) de la vérité (satya). Le 30 mars se produisent des affrontements de protestation violents à Delhi, la police ouvre le feu. Gandhi émet un appel au calme et contre la violence. Le 10 avril il est arrêté. Des affrontements violents s'ensuivent à Ahmedabad, Amritsar, Lahore, la police ouvre le feu, les manifestants ripostent par des attaques violents contre des lieux liés au pouvoir britannique. Gandhi est relâché le 11, il réitère son appel à la non‑violence. Les affrontements se poursuivent, à Ahmedabad, Lahore, Mumbai (Bombay), Viramgam, Nadiad, Amritsar, Kolkata (Calcutta), Gujranwala. Le 13, un massacre est perpétré par les Britanniques durant une réunion publique de masse à Amritsar, dans un jardin dénommé Jallianwala Bagh. La loi martiale est proclamée dans le Pendjab. Le 14, Gandhi réprimande la population pour les comportements violents et annonce un jeûne de trois jours de sa part à titre de pénitence. Le 16, il assure le gouvernement de son soutien, dans une lettre adressée au commissaire de la division du Nord (Mumbai). Les affrontements se poursuivent, à Gujranwala, Delhi, dans le Pendjab, des dirigeants sont déportés. Finalement le 18, Gandhi annonce une suspension temporaire de la désobéissance civile.

En janvier 1922 Gandhi remet à nouveau à l'ordre du jour l'idée de la désobéissance civile, en y associant la revendication adressée à l'administration britannique que soit déclarée la politique de la non-interférence absolue vis-à-vis d'actions non violentes, ainsi que la liberté de la presse sans aucun contrôle administratif. Il fait part de cette demande au Vice-roi en lui adressant une lettre, qu'il signe: "Je reste, Votre Excellence, votre fidèle serviteur et ami. M. K. Gandhi." ["I remain, Your Excellency's faithful servant and friend."] Le 4 février, à Chauri Chaura (dans la province dénommée United Provinces), se produisent des affrontements, un poste de police est attaqué, 21 policiers et gardiens sont tués. Le 10, Gandhi annonce sa décision de stopper immédiatement le mouvement de désobéissance civile. Le 12 il entame un jeûne de cinq jours de sa part à titre de pénitence.

Le 15 février 1930, le comité de travail du Parti du Congrès réuni à Ahmedabad autorise Gandhi et ceux qui croient en la non‑violence de lancer un mouvement de désobéissance. Le 27, Gandhi dans un article du périodique qu'il édite, Young India, exhorte ses partisans notamment en les termes suivants:

Cette fois, lors de mon arrestation il doit y avoir non pas une non‑violence muette, passive, mais une non‑violence du type le plus active devra être déployée, de sorte que pas un seul adepte de la non‑violence, en tant qu'article de foi aux fins de réaliser le but de l'Inde, devra se trouver libre ou vivant, au bout de l'effort de ne plus se soumettre à l'esclavage existant.

[This time on my arrest there is to be no mute, passive non‑violence, but non‑violence of the activest type should be set in motion, so that not a single believer in non‑violence as an article of faith for the purpose of achieving India's goal should find himself free or alive at the end of the effort to submit any longer to the existing slavery.]

Le 12 mars, accompagné de 78 volontaires il part de Sabarmati pour une marche qui atteint la côte à Dandi, le 6 avril. Le 5 mai il est arrêté à Karadi.

La période consécutive, 1930‑1931, est marquée par une accentuation de la lutte des masses indiennes contre l'occupation coloniale. (Cf. notes 69 70 69 72 ) Quant à Gandhi, il finit par se persuader de la vanité des remontrances qu'il adressait à maintes reprises à ceux qui recourent à la violence, spontanément ou de manière organisée; il ne renonce pas pour autant à ses positions orientées obstinément vers la collaboration de classe, guidées par les intérêts de la bourgeoisie indienne.

[69].     Inde, régions de population Pashtan, 1929‑1930.

Peshawar est une ville située aujourd'hui dans la partie septentrionale du Pakistan, près de la frontière avec l'Afghanistan.

Elle se trouve dans une région dont les habitants appartiennent au groupe ethnique des Pashtan (ou Pashtou ou encore Pachtou ou Pachtoun), établis surtout dans les parties méridionale et orientale de l'Afghanistan ainsi que dans la province du Nord‑Ouest du Pakistan. Cette population a été convertie à la religion musulmane dès le 10e siècle.

En 1848, la Grande‑Bretagne occupa des territoires frontaliers au nord‑ouest de l'Inde britannique. D'abord divisé entre une partie sous contrôle direct britannique et une autre occupée par des populations tribales vivant de façon relativement indépendante, ces territoires furent réunis en 1902 au sein de la “North-West Frontier Province” (NWFP). Aujourd'hui, ils forment la province du Pakistan dénommée Khyber Pakhtunkhwa *.

En 1929, Abdul Ghaffar Khan, originaire de Peshawar, constitue une organisation dénommée Khudai Khidmatgar (Serviteurs de Dieu), basée sur une orientation socio-réformiste ayant pour objectif de résoudre les problèmes traversant la population pashtan dans le contexte de l'occupation britannique. Le Khudai Khidmatgar se caractérise notamment par une approche basée sur la non‑violence. Les membres portent une uniforme couleur rouge brique, à l'origine dû au fait qu'ils teignent les tissus avec des eaux provenant du tannage d'animaux, ce qui apporte cette couleur. Ils sont communément désignés comme les “chemises rouges” (Surkh Posh); il faut cependant préciser que ceci n'a aucun rapport avec l'invocation du rouge symbolisant le communisme. En décembre 1929, Ghaffar Khan assiste à la session du Parti du Congrès (constitué en 1885 comme mouvement politique dénommé Congrès national indien), et au cours des années 1930 il devient un des principaux dirigeants de ce Parti.

Le 12 mars 1930 Mohandas Gandhi (cf. note 68 ) entame une campagne de désobéissance civile focalisée sur le non‑paiement de la taxe imposée sur le sel par l'administration coloniale. Les représentants du Parti du Congrès dans la NWFP, peu nombreux, font appel à Ghaffar Khan pour s'associer à ce mouvement. Le 23 avril, Ghaffar Khan est arrêté par l'administration britannique à Naki Thana, dans les environs de Peshawar; à Peshawar également, d'autres dirigeants du Khudai Khidmatgar sont arrêtés. La population réagit par une manifestation de protestation, à laquelle l'administration britannique répond par une répression énergique, de nombreux manifestants arrêtés se trouvant enfermés dans le poste de police de Kabuli Gate. Un rassemblement se forme autour du lieu, dans la zone du Kissa Khawani Bazaar, l'officier en charge appelle des renforts. Un peloton de Garhwalis ** reçoit l'ordre d'ouvrir le feu, mais leur commandant refuse d'obéir (il sera remplacé aussitôt par une unité de Gurkha **), seul le contingent de soldats britanniques exécute l'ordre, les manifestants ripostent, la police intervient également utilisant des armes. Les affrontements s'amplifient, environ 200 habitants de Peshawar sont tués ou blessés, en tout le nombre de victimes atteint vraisemblablement 500. Le 25, les troupes britanniques se retirent de la ville, les jours suivants des représentants du Parti du Congrès assument le contrôle de la ville. L'administration britannique finit par reprendre en main la situation le 4 mai.

Au‑delà de ce type d'affrontements surgissant dans le contexte de la campagne de désobéissance civile impulsée par Gandhi, les populations tribales Pashtan de la région étaient de longue date fortement mobilisées dans la lutte pour l'indépendance vis‑à‑vis de la domination britannique. En réaction aux évènements de Peshawar, des forces armées Pashtan, notamment de la tribu des Afridi, regroupant jusqu'à environ vingt mille combattants, mènent durant plusieurs mois des attaques contre des postes militaires britanniques. À certaines occasions, des groupes du Khudai Khidmatgar les rejoignent dans ces actions.

Par ailleurs, les mouvements pour l'indépendance, dans la région, sont marqués partiellement par des positions communistes, à travers deux groupes: le Naujawan Bharat Sabha (Mouvement de la Jeunesse d'Inde) fondé en 1926 à l'initiative de Bhagat Singh, et le Kirti Kisan constitué en avril 1928 avec la participation notamment de Sohan Singh Josh. Ce dernier, en décembre 1928, préside la premier Conférence pan‑indienne de travailleurs et paysans, tenue à Kolkata (Calcutta).

  * Pour plus de détails concernant les régions de population Pashtan, cf.: Éléments de géographie - Inde.

          ** Note concernant les unités de soldats autochtones:

Dans le cadre de l'appareil d'état colonial, l'administration britannique avait recours à des unités de forces armées composées de soldats autochtones. Cependant, elle prit soin de maintenir ces troupes dans un état de morcèlement, en recrutant les différents régiments séparément sur des bases ethniques locales. Ainsi les régiments de Gurkhas, recrutés au Népal, étaient considérés comme particulièrement adaptés pour être appelés à intervenir dans les cas de conflits civils; ils n'avaient que peu de liens culturels avec l'Inde, et pas de motif pour se montrer partiaux dans ces situations. C'était vrai aussi pour les Garhwalis et les Kumaonis.

[70].     Inde, Solapur 1930.

Solapur (autre orthographe: Sholapur) est une ville située dans l'état de Maharashtra, dont la capitale est Mumbai.

Bombay (aujourd'hui Mumbai), constituait dans les années 1850 le point de départ du développement, en Inde, de l'industrie textile de coton. Vers 1920, d'autres centres prenaient de l'importance dans ce qui était à l'époque la Bombay Presidency, une unité administrative de l'Inde coloniale qui couvrait la majeure partie de l'état actuel de Maharashtra ainsi que des parties des états de Gujarat et Karnataka, et aussi des parties du Pakistan. Les principaux centres de l'industrie textile dans cette région étaient alors Bombay City, Ahmedabad et Solapur. Dans leur ensemble, les fabriques de textile de coton de la Bombay Presidency, vers la fin des années 1930, comptaient pour trois quarts des emplois de cette branche dans le subcontinent de l'Inde. À Solapur vers 1920 existaient 5 fabriques, et la branche employait plus de 31.000 personnes. À partir de 1928 la politique propagée par le Parti du Congrès (constitué en 1885 comme mouvement politique dénommé Congrès national indien), consistant à faire la promotion du khaddar, c'est-à-dire des textiles fabriques à la main, avait une influence négative sur le secteur industriel.

Le 12 mars 1930 Mohandas Gandhi (cf. note 68 ) entame une campagne de désobéissance civile focalisée sur le non‑paiement de la taxe imposée sur le sel par l'administration coloniale. Le 5 mai, il est arrêté et emprisonné. Des mouvements de protestation ont lieu un peu partout. C'est à Solapur que la réaction prend des dimensions particulièrement massives et violentes. Le 7 mai, les travailleurs du textile se mettent en grève. Des lieux liés au pouvoir colonial britannique, tels que les commerce d'alcool, les gares, les postes de police, bâtiments municipaux, tribunaux, sont attaqués, dévastés. Les activistes établissent un gouvernement parallèle virtuel qui ne peut être défait qu'après le 16 mai moyennant l'instauration de la loi martiale. Au cours des affrontements, il y a des dizaines de morts, de centaines de blessés, des centaines de personnes sont arrêtées. Le 12 janvier 1931, quatre militants sont condamnés à mort et exécutés pour leur participation à ces évènements.

[71].     Inde, Bengale, lutte armée contre l'occupation coloniale britannique 1930‑1934.

À partir de 1897 se forment en Bengale divers groupes désignés par le terme samiti (qui signifie comité, société, association), qui se présentent comme associations culturelles et sportives, mais assument à différents degrés un caractère politique nationaliste. On peut nommer en Bengale oriental: le Suhrid Samiti (Société amicale) à Mymensingh (aujourd'hui en Bangladesh, district de Dacca); le Daridra Bandhav Dal [autre transcription: Bandhab] (Groupe des amis des pauvres, dit aussi Petits frères des pauvres) à Barisal (district de Bakarganj) (aujourd'hui en Bangladesh, district de Barisal), transformé plus tard en Swadesh Bandhav Samiti (Société des amis du pays); et en Bengal occidental: l'Atmonnati Samiti (Société pour le développement de soi) à Kolkata (Calcutta); l'Anushilan Samiti (Société d'exercice) *1 également à Kolkata; ensuite est constituée une branche de ce Anushilan Samiti à Dhaka [autre transcription: Dacca] (aujourd'hui en Bangladesh); l'Anandamath Samiti*1 dans la ville de Midnapur [autre transcription Medinipur] (district de Midnapur).

Au sein de l'Anushilan Samiti à Kolkata, fondé par Satish Chandra Basu [autre transcription: Bose] et ayant Pramatha Mitra comme président, se forme à partir de 1904 un groupe plus radical autour de Barindra Kumar Ghose (communément appelé Barin Ghose) [autre transcription: Ghosh], désigné comme groupe de Maniktala [autre transcription: Manicktola] d'après la maison où il se réunit (à Maniktala Garden, Muraripukur Road); ce groupe publie à partir de 1906 un hebdomadaire Jugantar [autre transcriptions: Yugantar, Juganthar, Jugantor] (ce qui signifie passage d'une époque vers une nouvelle) *2. L'Anushilan Samiti à Dhaka, dont le principal dirigeant est Pulin Behari Das, en lien avec le groupe Maniktala développe des contacts avec des groupes de militants en Bengale oriental, en particulier avec l'Atmonnati Samiti de Kolkata, et à Midnapur où le principal dirigeant est Satyen Basu (oncle de Barin Ghose), avec l'Anandamath Samiti et le Santan Samiti (santan [autre transcription: sanatan] signifie éternel); ainsi que des contacts en Orissa et aussi en Madras et en Maharashtra; en 1907 le contact se noue au Pundjab avec Sardar Ajit Singh et autres et en 1911 une coopération active s'établit entre Bengale et le Pundjab.

Durant les années 1920, les activités de lutte contre l'administration coloniale britannique sont relativement réduites, mais lorsque le 12 mars 1930 Mohandas Gandhi (cf. note 68 ) entame une campagne de désobéissance civile focalisée sur le non‑paiement de la taxe imposée sur le sel, s'ouvre une période de résurgence d'actions armées organisées.

Parmi les militants anticoloniaux figure notamment Surya Kumar Sen [autre transcription: Surjya]. Durant ses années d'études à Chittagong (aujourd'hui en Bangladesh), il entre en contact avec l'Anushilan Samiti à Kolkata. Il se rapproche aussi du Parti du Congrès (constitué en 1885 comme mouvement politique dénommé Congrès national indien). Il rassemble un groupe de militants avec notamment Ambika Chakrabarti [autre transcription: Ambica, transcriptions de Chakrabarti: cf. *3], Nirmal Chandra Sen, Ananta Singh, Lokenath Bal [autres transcriptions: Loknath, Ball, Baul] et Ganesh Ghose [autre transcription: Ghosh]. Eux tous participent au mouvement de désobéissance civile lancé en janvier 1922 par le Parti du Congrès sous l'impulsion de Gandhi. Ils se trouvent cependant en désaccord avec l'orientation imprimée par celui‑ci à la mobilisation de masse, lorsqu'en réaction aux affrontements violents qui se produisent, il appelle à l'arrêt de la campagne de désobéissance. Le groupe autour de Surya Sen s'associe alors à Jyotish Chandra Ghose [autre transcription: Ghosh] et Santosh Mitra [autre transcription: Santhush] (liés à l'Atmonnati Samiti et à Jugantar), qui rassemblent également des militants d'autres districts de Bengale occidental. En décembre 1923 des militants du groupe autour de Surya Sen effectuent une action contre un transport de fonds des chemins de fer et s'approprient une forte somme d'argent. Au cours des opérations policières consécutives, Surya Sen est arrêté, mais remis en liberté. Arrêté de nouveau en octobre 1926, il est emprisonné, puis libéré en 1928. En septembre 1929 a lieu la session annuelle du Parti du Congrès au niveau de la province de Bengale. Dans le nouveau Comité de province, Surya Sen est élu comme secrétaire général, Ambika Chakrabarti vice-président; le président élu, Mohim Chandra Das, est partisan de Gandhi.

En 1930, le groupe autour de Surya Sen élabore un plan d'attaque, à Chittagong, contre deux dépôts d'armes de la police et des forces auxiliaires. À cette action, exécutée le 18 avril, participent environ 65 militants. Une équipe dirigée par Ganesh Ghose occupe le dépôt d'armes de la police, tandis qu'une autre dirigée par Lokenath Bal occupe celui des forces auxiliaires. Ils saisissent des armes, mais ne trouvent pas de munitions. Deux autres équipes effectuent des sabotages de lignes de téléphone et de télégraphe ainsi que de chemins de fer. L'administration de la ville est ainsi désorganisée pendant plusieurs jours. Après l'opération, ces militants se réfugient dans les montagnes Jalalabad dans les environs de la ville. Le 22 avril 1930, ils sont encerclés par un contingent de plusieurs milliers de soldats; durant les affrontements 12 militants et plus de 80 soldats sont tués. Le reste du groupe, dont Surya Sen, se disperse dans les villages alentour.

Le 6 mai 1930, des membres du groupe tentent de mener une attaque dans le quartier européen de Chittagong; ils échouent, quatre parmi eux sont tués, les deux autres arrêtés, et la police déclenche une campagne d'arrestations à grande échelle.

Un procès s'ouvre en juillet 1930 en rapport avec le “Chittagong Armoury Raid Case”, il se termine en janvier 1932, le jugement est prononcé le 1er mars. La liste des accusés inclut des militants arrêtés à différentes dates postérieures au 22 avril. Ananta Singh s'était échappé à Chandernagor [autre transcription: Chandannagar], territoire français près de Kolkata, mais se rend à la police britannique le 28 juin; Lokenath Bal, Ganesh Ghose et Ananda Gupta sont arrêtés le 1er septembre également à Chandernagor; Kalpana Dutt [autre transcription: Datta] est arrêtée en septembre 1931.

Parmi les inculpés du procès de juillet 1930, douze sont condamnés à la déportation à vie, à la prison de Port Blair sur l'ile Andaman: Ananta Singh, Ganesh Ghose, Lokenath Bal, Ananda Gupta, Fani Nandy, Subodh Chowdhury, Sahay Ram Das, Fakir Sen, Lai Mohan Sen, Sukhendu Dastidar, Subodh Roy, Ranadhir Das Gupta; deux à des peines d'emprisonnement respectivement de 3 ans et de 2 ans, les autres seize sont acquittés mais aussitôt arrêtés à nouveau. Certains des déportés seront libérés à différents dates: Ananda Gupta en 1943, Ganesh Ghose et Lokenath Bal en 1946.

Le 13 juin 1932, lorsque Surya Sen avec d'autres militants se trouve dans une maison à Dhalghat, dans les environs de Chittagong, des forces militaires encerclent les lieux. Surya Sen et Pritilata Waddedar [autre transcription: Wadedar] réussissent à s'échapper, Apurba Sen et Nirmal Sen sont tués.

Un premier procès supplémentaire en rapport avec le “Chittagong Armoury Raid Case” s'ouvre contre Ambika Chakrabarti (arrêté le 9 octobre 1931), Hemendu Bikhas Dastidar et Saroj Kanti Guha, le jugement est prononcé le 10 février 1933. Chakrabarti est condamné à mort, Guha à la déportation à vie, Dastidar est acquitté. En appel la peine de Chakrabarti est convertie en déportation à vie.

Le 16 février 1933 Surya Sen est arrêté, trahi par un membre du groupe, Netra Sen. Le 19 mai Tarakeswar Dastidar et Kalpana Dutt sont arrêtés. Les trois sont inculpés en juin dans un deuxième procès supplémentaire en rapport avec le “Chittagong Armoury Raid Case”, le jugement est prononcé le 14 aout. Surya Sen et Dastidar sont condamnés à mort, Dutt à la déportation à vie. Sen et Dastidar sont exécutés le 12 janvier 1934. Dutt est libéré en 1939.

Après l'action d'avril 1930, un certain nombre de militants réussissent à réorganiser le groupe à Chittagong. Le 24 septembre 1932, une équipe dirigée par Pritilata Waddedar mène une attaque contre le Pahartali European Club; Waddedar est mortellement blessé. Le 7 janvier 1934 une équipe attaque des Britanniques assistant à un match de cricket sur le terrain du Paltan Maidan dans le quartier de Kotwali; deux militants sont tués dans l'affrontement avec la police qui s'en suit, deux autres sont arrêtés et condamnés à mort.

D'autres groupes de militants agissent ailleurs en Bengale. Un bilan global indique que durant les années 1930‑1932, les actions combattant les forces d'occupation coloniale résultent en la mort de 22 représentants officiels de l'administration ainsi que de 220 autres Britanniques.

Le 25 aout 1930, attentat à la bombe, manqué, contre le commissaire de police Charles Tegart. Le 29 aout, l'inspecteur général de police pour Bengale, F. J. Lowman, est tué à Dhaka. Le 8 décembre l'inspecteur général des prisons, N. S. Simpson, est tué dans son bureau au Writers' Building*4 à Kolkata.

Le 27 juillet 1931, R. R. Garlick, juge de sessions d'un des districts de Bengale, est tué dans la salle de tribunal d'Alipur (partie de Kolkata). Le 7 avril, J. Peddie, magistrat du district de Midnapur est tué. Le 30 aout, l'inspecteur Sahib Maulvi Ahsanullah, principal responsable de la vague de répression déclenchée à Chittagong après l'action du groupe de Surya Sen en avril 1930, est tué. Le 14 décembre, C. G. B. Stevens, le magistrat du district de Tippera, est tué à Comilla. La même année des tentatives manquées sont effectuées pour tuer A. Cassells, préfet de police de la division de Dhaka (21 aout), L. G. Durno, magistrat du district de Dhaka (28 octobre), E. Villiers, président de la European Association in India*5 (29 octobre).

Le 6 février 1932, tentative, manquée, de tuer le gouverneur de Bengale S. Jackson. Le 30 avril, R. Douglas, successeur de J. Peddie comme magistrat du district de Midnapur, est tué pendant une session du conseil de district. Le 27 juin, Kamakhya Sen, un Magistrat sous‑adjoint de Munshiganj (district de Dhaka) est tué à Dhaka. Le 29 juillet, E. B. Ellison, chef de police du district de Tippera, est tué à Comilla. La même année une tentative, manquée, de tuer H. E. J. Anderson, successeur de S. Jackson comme gouverneur de Bengale, ainsi que des tentatives manquées pour tuer A. Watson, éditeur du Statesman*6 (5 aout et 28 septembre), C. G. Grassby, un des chefs de police du district de Dhaka (22 aout), et A. W. Luke, chef de la prison centrale de Rajshahi (18 novembre).

Le 2 septembre 1933, B. E. J. Burge, successeur de Douglas comme magistrat du district de Midnapur, est tué.

Le 8 mars 1934, nouvelle tentative de tuer H. E. J. Anderson, gouverneur de Bengale.

1           "Ananda Math" ("Le monastère de la félicité") est le titre d'une nouvelle de l'écrivain Bankim Chandra Chattopadhyaya (ou Chatterji, transcrit aussi Chatterjee); le terme anushilan provient de cette nouvelle. Anushilan signifie le développement des facultés morales et physiques dans le but d'atteindre la perfection dans le domaine du caractère. Note au sujet de Chattopadhyaya/Chatterjee: Upadhay est un suffixe fréquent de noms de famille bengalis, il signifie prêtre. Le raccourci anglicisé "jee" s'est répandu par l'usage de la part des britanniques. Autres exemples: Bandhopadhaya/Banerjee, Mukhopadhay/Mukherjee.

2           Quand il est question de l'Anushilan Samiti et du groupe éditant le journal Jugantar, on peut rencontrer les désignations Anushilan Dal et Jugantar Dal. Dans les textes en langue anglaise, est fréquemment utilisé le terme Anushilan party et Jugantar party. Il serait inapproprié d'utiliser en français le terme parti. Dal peut signifier parti politique, mais aussi groupe, ou bande. L'introduction du terme party provient initialement de la teneur des rapports établis par la police qui parlent de "gangs" puis utilisent le terme party. Celui-ci ne relève pas exclusivement du domaine politique. La façon dont est relatée l'action d'avril 1930 à Chittagong par les rapports de police, repris par d'autres récits en est un exemple: "Four batches set out from the Congress Office and Ganesh Ghosh's shop, one to capture the police armoury, one to capture the Auxiliary Force armoury, one to massacre the Europeans in the Club, and the last to destroy the Telephone Exchange and Telegraph Office. [...] the club party [...] at the police armoury some 50 youths, [...] At the Auxiliary Force armoury a similar party [...] At the Telegraph Office a small party [...] the party retreated to the hills north of the town, [...]."

3           On trouve de nombreuses variantes dans la transcription: Chakrabarti, Chakravarty, Chakravarthy, Chakravartty, Chakraborty, Chakravorty.

4           Le Writers' Building (ou Writers'), à l'origine, sert de centre d'administration de la East India Company. Au 19e siècle, lorsque Kolkata devient capitale de l'Inde britannique, le bâtiment sert de secrétariat de l'état de Bengale.

5           En 1883 Courtney Ilbert, membre du Conseil exécutif [Law Member of the Executive Council] auprès du Vice-Roi en Inde, propose un amendement au Code de procédure criminelle, dans le sens que des juges indiens seraient habilités à traiter des poursuites contre des Européens. La proposition déclenche une vigoureuse campagne hostile de la part de milieux d'Européens résident en Inde, et de la presse européenne. La mesure est finalement concrétisée par une loi qui permet à des juges indiens de traiter des poursuites contre des Européens, mais uniquement dans les régions en dehors des centres urbains, et en faisant intervenir ‑ contrairement aux poursuites contre des Indiens ‑ un système de jury, en stipulant de surcroit que ces jurys doivent être composés d'au moins cinquante pourcent d'Européens. Dans le cadre de la campagne hostile au texte proposé par Ilbert, est créée une association dénommée European Defence Association. Vers la fin de 1913, le mot Defence est éliminé de l'intitulé qui devient European Association of India. Elle garde son orientation caractérisée par l'opposition à toute modification d'ordre constitutionnelle.

6           En 1817 est créé à Serampur le journal The Friend of India. En 1875, Robert Knight crée à Calcutta le journal The Indian Statesman. La même année, il acquiert le Friend of India. En 1883, les deux publications sont fusionnées, portant d'abord successivement divers titres faisant apparaitre la filiation, jusqu'à ce qu'en 1909 se fixe le titre The Statesman. À partir de 1931 est publiée une édition à Delhi. En 1934 le Statesman incorpore le Englishman, qui avait été créé en 1821. Le Statesman adopte une orientation libérale, caractérisée entre autre par une appréciation favorable, en 1885, à l'égard de la formation du Congrès national indien; il est lié aux milieux d'affaires.

[72].     Inde, Berar, 1930.

Le Berar était le centre d'un sultanat existant en Inde central au 16e siècle. Au 18 siècle il est rattaché à l'état princier de Hyderabad. En 1853 un traité est conclu entre le Nizam (Prince) de Hyderabad et le gouvernement britannique, qui a pour effet notamment que certains districts sont attribués à la Compagnie des Indes orientales (East India Company). Par la suite le terme Berar se réfère à l'ensemble de ces districts (les "Hyderabad Assigned Districts"), bien que le périmètre correspond ni au Berar des nizams ni à l'ancienne province mongole. En 1903 la région passe sous l'administration du commissaire général pour les Provinces Centrales (Central Provinces) *.

Durant l'année 1930, en lien avec la campagne de désobéissance civile initiée par Gandhi (cf. note 68 ) le 12 mars, se développent au Berar des mouvements du même type, au sujet de la propriété britannique sur les domaines forestiers. Souvent, ils débordent le cadre voulu par Gandhi. Par exemple, à Betul le 19 septembre, la police arrête des personnes pour les emmener à Bordehi; en chemin le groupe est approchée par plusieurs centaines de villageois armés de bâtons, qui s'emparent des documents officiels et les détruisent; des renforts de police arrivent et procèdent à d'autres arrestations; poursuivant sa route, le groupe est à nouveau confronté à une foule qui tente de libérer les prisonniers; après avoir été dispersés, les manifestants reviennent bientôt à la charge en nombre encore plus grand, attaquant la police par des jets de pierre. Des affrontements violents similaires se produisent dans de nombreux districts. Parfois la police use des armes à feux face à des manifestants pacifiques, causant des morts.

  * Pour plus de détails concernant le Berar, cf.: Éléments de géographie - Inde.

[73].     Gouvernement “ouvrier”: il s'agit du gouvernement formé par le Parti travailliste, avec Ramsay MacDonald comme Premier ministre. Cf. note 13 .

  Pour plus de détails sur les gouvernements dirigés par le Parti travailliste, cf.: Éléments d'histoire - Labour Party.

[74].     Allemagne, Gustav Noske, janvier 1919.

En Allemagne, en janvier 1919, se produit un affrontement aigu entre le pouvoir bourgeois et les forces révolutionnaires. Un Comité révolutionnaire provisoire se constitue avec la participation du Parti communiste d'Allemagne (Kommunistische Partei Deutschlands, KPD) créé le 1er janvier. Le 6, ce Comité émet la Proclamation que voici:

Camarades - travailleurs!

Le gouvernement Ebert-Scheidemann s'est rendu inacceptable. Il a été déclaré comme révoqué par le soussigné comité révolutionnaire, la représentation des travailleurs et soldats socialistes révolutionnaires (Parti social-démocrate indépendant et Parti communiste).

Le comité révolutionnaire soussigné a repris provisoirement les affaires de gouvernement.

Camarades - travailleurs!

Joignez‑vous aux mesures du comité révolutionnaire.

Pour organiser la répression, le gouvernement ayant repris en main le pouvoir au nom de la bourgeoise, dénommé "conseil des mandatés du peuple", désigne Gustav Noske (SPD) (cf. note 40 ) comme commandant suprême des troupes gouvernementales pour Berlin et ses environs. Noske accepte cette responsabilité en commentant:

"Soit! Quelqu'un doit faire le Bluthund, je ne recule pas devant la responsabilité!"

Le choix du terme “Bluthund” (nom allemand de la race de chiens appelée braque en français, mais signifiant littéralement "chien sanguinaire") n'est pas fortuit. Il est employé par les manifestants qui la veille portaient par exemple des panneaux avec l'inscription: "À bas les chiens sanguinaires Ebert = Scheidemann!" ["Nieder mit den Bluthunden Ebert = Scheidemann!"]. Friedrich Ebert (SPD) est chancelier du Reich, et Philippe Scheidemann est, aux côtés d'Ebert, un des principaux responsables sociaux-démocrates. C'est lui qui le 9 novembre 1918 avait proclame la "République allemande", pour contrer Karl Liebknecht qui proclamait la "république socialiste Allemagne". De même après des affrontements mortels survenus le 6 décembre, Liebknecht avait accusé le "Bluthund Wels" (Otto Wels, du SPD, à ce moment commandant de la ville de Berlin).

[75].     Otto Wels, Congrès du SPD mai 1929, Discours d'ouverture (extrait):

Il est indéniable que le système parlementaire traverse une période difficile. Dans de grands pays il a été remplacé par un système de dictature, que celle‑ci soit fasciste ou bolchévique. Alors il s'agit pour nous en Allemagne d'agir en étant particulièrement conscients de nos responsabilités. [...] Non, notre tâche est de renforcer la démocratie et de protéger la république. Si les ennemis de la république réussissaient à infliger à la démocratie en Allemagne des dommages graves à tel point qu'un jour il ne resterait plus d'autre issue que la dictature, alors, camarades du Parti, que Stahlhelm, que les national-socialistes, que leurs frères communistes de Moscou sachent une chose: la social-démocratie et les syndicats en tant que représentants de la grande masse du peuple allemand, solidement uni dans leurs organisations, conscients de leurs responsabilités dans l'action, et en maintenant une discipline inébranlable, sauraient aussi manier la dictature malgré leur position fondamentalement démocratique. Le droit à la dictature leur incomberait à eux seuls, et à personne d'autre, et c'est chez eux et eux seuls que se trouverait la garantie pour un retour à la démocratie après avoir surmonté des difficultés que nous n'appelons pas de nos voeux.

[Es ist nicht zu leugnen, daß das parlamentarische Regime eine schwierige Zeit durchmacht. In großen Ländern ist es durch ein System der Diktatur ersetzt, sei es die faschistische oder die bolschewistische. Da gilt es für uns in Deutschland, ganz besonders verantwortungsbewußt zu handeln. (...) Nein, es ist unsre Aufgabe, die Demokratie zu stärken und die Republik zu schützen. Gelänge es den Feinden der Republik, der Demokratie in Deutschland so schweren Schaden zuzufügen, daß einmal kein anderer Ausweg bliebe als Diktatur dann, Parteigenossen, sollen Stahlhelm, sollen Nationalsozialisten, sollen ihre kommunistischen Brüder von Moskau das eine wissen: die Sozialdemokratie und die Gewerkschaften als die Vertreter der großen Masse des deutschen Volkes, festgefügt in ihren Organisationen, in verantwortungsbewußtem Handeln und in unzerbrechlicher Disziplin, würden auch trotz ihrer demokratischen Grundeinstellung die Diktatur zu handhaben wissen. Das Recht auf Diktatur fiele ihnen allein zu, niemand anderm, und bei ihnen wäre allein auch die Garantie für eine Rückkehr zur Demokratie nach Überwindung von Schwierigkeiten, die wir nicht wünschen, gegeben.]

[Sozialdemokratischer Parteitag Magdeburg 1929, vom 26. bis 31. Mai, Protokoll; Berlin, J.H.W. Dietz Nachf., 1929; p. 14.]

[76].     Theobald von Bethmann-Hollweg.

En Allemagne, le 24 juin 1907, Bethmann-Hollweg est nommé Secrétaire d'état de l'Office impérial de l'Intérieur (Reichsamt des Innern) et aussi vice‑président du gouvernement (Staatsministerium) de Prusse. Le 7 juillet 1909 il succède à Bernhard von Bülow comme chancelier du Reich, ministre des Affaires étrangères ainsi que premier ministre (Ministerpräsident) de Prusse. Le 13 juillet 1917 il est démis de ses fonctions.

Le 28 juillet 1914, l'Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie et l'envahit aussitôt. Le 1er aout, l'Allemagne déclare la guerre à la Russie. Le même jour, le président de la République française Raymond Poincaré décrète la mobilisation générale. Le 2 aout, l'Allemagne envahit sans préavis le Luxembourg et lance un ultimatum à la Belgique, exigeant le passage de ses troupes sur son sol; le 3, l'Allemagne déclare la guerre à la France; le 4, les troupes allemandes entrent en force en Belgique au mépris des traités internationaux qui garantissent sa neutralité depuis 1831. Le jour même, l'Angleterre déclare à son tour la guerre à l'Allemagne.

C'est le 4 aout 1914 que Bethmann-Hollweg intervient à l'Assemblée nationale (Reichstag) au sujet de la situation de guerre et qu'il emploie la formule "la nécessité ne connait pas de loi":

Messieurs, actuellement nous sommes en état de légitime défense; et nécessité fait loi! * Nos troupes ont occupé le Luxembourg, peut‑être déjà elles sont entrées en territoire belge. Messieurs, cela est en contradiction avec les règles du droit international. Certes, le gouvernement français a déclaré à Bruxelles de vouloir respecter la neutralité de la Belgique, tant que l'adversaire la respecte. Mais nous savions que la France se tenait prête à l'invasion. La France pouvait attendre, mais pas nous! Une invasion française dans notre flanc du côté du Bas‑Rhin aurait pu s'avérer fatale. Ainsi nous étions contraints de passer outre les protestations justifiées des gouvernements luxembourgeois et belges. L'illégalité ‑ je parle franchement ‑ l'illégalité que nous commettons par là, nous chercherons à la compenser, aussitôt que notre objectif militaire sera atteint. Celui qui est menacé comme nous et qui lutte pour l'enjeu suprême, celui-là doit penser uniquement à la manière à se frayer le chemin!"

[Meine Herren, wir sind jetzt in der Notwehr; und Not kennt kein Gebot! Unsere Truppen haben Luxemburg besetzt, vielleicht schon belgisches Gebiet betreten. Meine Herren, das widerspricht den Geboten des Völkerrechts. Die französische Regierung hat zwar in Brüssel erklärt, die Neutralität Belgiens respektieren zu wollen, solange der Gegner sie respektiere. Wir wußten aber, daß Frankreich zum Einfall bereit stand. Frankreich konnte warten, wir aber nicht! Ein französischer Einfall in unsere Flanke am unteren Rhein hätte verhängnisvoll werden können. So waren wir gezwungen, uns über den berechtigten Protest der luxemburgischen und der belgischen Regierung hinwegzusetzen. Das Unrecht ‑ ich spreche offen ‑, das Unrecht, das wir damit tun, werden wir wieder gutzumachen suchen, sobald unser militärisches Ziel erreicht ist. Wer so bedroht ist wie wir und um sein Höchstes kämpft, der darf nur daran denken, wie er sich durchhaut!]

[Verhandlungen des Reichstags, Band 306; Druck und Verlag der Norddeutschen Buchdruckerei und Verlags-Anstalt; 1916.]

* Littéralement, la formule employée en allemand signifie "la nécessité ne connait pas de commandement".

[77].     Philip Snowden.

En Grande‑Bretagne, Snowden est d'abord membre du Parti libéral, puis rejoint le Parti travailliste indépendant (Independent Labour Party, ILP). En 1903 il est élu président de l'ILP. En janvier 1924 Ramsay MacDonald, dirigeant du Parti travailliste (Labour Party), forme un gouvernement, Snowden est nommé ministre des Finances (Chancellor of the Exchequer), mais plus tard dans l'année est constitué un nouveau gouvernement avec à sa tête le dirigeant du Parti conservateur, Stanley Baldwin. Puis Snowden occupe à nouveau le poste de ministre des Finances dans le gouvernement travailliste formé en 1929. En 1931 il propose un plan économique qui inclut notamment une réduction des allocations chômage. Plusieurs ministres dont George Lansbury, Arthur Henderson et Joseph Clynes, refusent ces mesures et démissionnent. MacDonald constitue alors un gouvernement incluant des représentants des conservateurs et des libéraux, dans lequel Snowden garde son poste et met en oeuvre son programme. Ce conflit conduit à l'exclusion de MacDonald et Snowden du Parti travailliste. Snowden ne se présente pas aux élections de 1931, mais il obtient un titre qui lui permet de siéger à la Chambre des Lords (House of Lords).

[78].     Allemagne, Brüning, décrets d'urgence 1930.

En Allemagne, Heinrich Brüning (Zentrum) est chancelier du 31 mars 1930 au 1er juin 1932. Dans sa déclaration d'investiture à l'assemblée nationale, le 1er avril 1930, il précise: "En conformité avec la mission dont m'a chargé monsieur le président du Reich, le nouveau cabinet du Reich n'est pas lié à une coalition." En matière d'assurances sociales il implémente des mesures successives à caractère restrictif, aggravant la situation des travailleurs sans emploi. Le décret pour la résorption d'états de détresse personnels, économiques et sociaux [zur Behebung personeller, wirtschaftlicher und sozialer Notstände], édicté le 26 juillet 1930, contient des dispositions à ce sujet. Par la suite, à l'assemblée nationale se déroulent des discussions concernant ce décret, en particulier les 18‑19 octobre. Il est décidé, avec les voix notamment du SPD, de confier l'examen de la question à une commission. Le KPD soumet une motion de censure contre le gouvernement, et d'autres motions de censure distinctes sont présentées, dont une par le NSDAP. Il est décidé, par 317 voix ‑ dont SPD, Zentrum, DVP ‑ contre 234, d'ignorer l'ensemble des motions de censure et de passer à l'ordre du jour.

Le groupe à l'assemblée nationale du SPD précise sa position dans une résolution du 18 octobre, dont voici un extrait:

Les décrets d'urgence édictés par le gouvernement Brüning après la dissolution du Reichstag ne contiennent pas seulement quelques dégradations en matière de politique sociale [...] on y trouve également des majorations d'impôts pour les revenus au‑dessus de 8000 Mark et en outre le budget complet pour l'année comptable en cours. L'annulation immédiate et sans réserve des décrets d'urgence aurait donc pour conséquence l'effondrement de l'ensemble des finances publiques. [...] Le groupe social-démocrate au Reichstag agit donc dans l'intérêt de la classe ouvrière, quand il refuse l'annulation immédiate des décrets d'urgence et a donné son accord à charger une commission de la question. Dans celle‑ci, il mènera la lutte pour l'élimination des dispositions hostiles aux travailleurs contenues dans les décrets d'urgence [...] La social-démocratie [....], maintenant aussi, se place dans opposition la plus résolue contre ce gouvernement. Néanmoins elle n'a pas introduit de motion de censure contre ce cabinet, elle a aussi refusé les motions de censure introduites par les national-socialistes, communistes et d'autres groupes de partis. [...] Cette position tactique du groupe social-démocrate au Reichstag ne signifie rien d'autre que le fait qu'il déterminera lui‑même le moment auquel il passera à l'attaque contre le cabinet Brüning. Une telle tactique va de soi dans des pays avec une constitution parlementaire-démocratique solide.

[http://www.zum.de/psm/weimar/spd_1.php]

Le 1er décembre est édicté le décret du président pour la consolidation de l'économie et des finances [zur Sicherung von Wirtschaft und Finanzen], qui de nouveau a pour sujet, entre autres, les assurances sociales. Le 6 décembre, le KPD, le NSDAP et le DNVP soumettent séparément à l'assemblée nationale des motions demandant l'abrogation de ce décret. Les motions sont rejetées, par 292 voix ‑ dont SPD, Zentrum, DVP ‑, contre 254 ‑ dont KPD, NSDAP, DNVP. Le KPD, le DNVP, le WP soumettent séparément des motions de censure contre le gouvernement. Elles sont rejetées par 291 voix ‑ dont SPD, Zentrum, DVP ‑, contre 255 ‑ dont NSDAP, KPD, DNVP.

[79].     Paragraphe 48 de la Constitution de Weimar.

Le 6 février 1919, une Assemblée constituante allemande se réunit dans la ville de Weimar. La nouvelle constitution fixe à l'Allemagne un cadre institutionnel de république fédérale. L'assemblée législative (Reichstag) est élue pour une période de quatre ans. Le président est élu au suffrage universel pour une période de sept ans et dispose de larges prérogatives. Il peut dissoudre le Reichstag, et l'article 48 de la constitution lui donne le droit, en cas de menace à la sécurité publique, d'instaurer l'état d'exception et d'édicter des décrets d'urgence ayant caractère de loi.

[80].     Kautsky contre l'Union soviétique.

          Voici quelques extraits de deux textes qui éclairent les positions de Kautsky.

          a) Nicolaï Boukharine: La bourgeoisie internationale et son apôtre Karl Kautsky (Réponse à Kautsky); Paris, Librairie de l'Humanité, 1925.

          p. 9‑10:

L'histoire mondiale, à n'en pas douter, entre maintenant dans une nouvelle phase. Le pays de la Révolution prolétarienne se développe et se fortifie. En Orient, une flamme immense s'élève, dont les reflets se projettent jusque sur les fenêtres des banques de Londres et de Paris et épouvante les classes dominantes du monde entier. Un cri de haine contre nous part de toutes les maisons bourgeoises. Et pendant qu'on mitraille le peuple chinois pour la plus grande gloire de l'humanité, de la chrétienté, de la civilisation et de la hausse des actions coloniales, on trame contre l'union des États prolétariens tout un réseau d'intrigues, de complots et d'alliances militaires, on prépare le blocus financier de la Russie des Soviets. [...]

Mais si l'on ne nous attaque pas encore, on se prépare. Et l'instigateur de cette préparation odieuse est maintenant Karl Kautsky qui, d'apôtre du socialisme, s'est transformé en apôtre de la contre-révolution. Il vient de publier une nouvelle brochure intitulée: L'Internationale et la Russie soviétiste.

          p. 67‑68:

Dans ce qui précède, nous avons montré toute l'ignorance du "savant" Karl Kautsky, lorsqu'il se met à raisonner sur les faits élémentaires de notre vie économique.

Mais cette circonstance ne l'accable aucunement. Avec l'aisance d'un "écrivain" qui travaille pour de bons clients, M. Kautsky résume d'une façon décisive et énergique:

Le bolchévisme ne fut pas en état de donner quoique ce soit de ce qu'il promit. Toutes les promesses dont il était si peu avare et par lesquelles il sut entraîner un grand nombre de disciples illusionnés, le bolchévisme fut obligé de les déclarer l'une après l'autre comme étant des illusions et des erreurs... Naturellement, il ne reconnaît pas jusqu'à présent la vérité complète, c'est-à-dire que son régime ne mène pas au socialisme, mais s'en éloigne. Il n'est plus en état de produire autre chose que des cascades d'injures à l'adresse de ses critiques (pp. 13 et 14).

Pourtant, il appert [321ignition: sic dans la source] que les bolchéviks sont dans l'obligation de relever l'économie, car "tout gouvernement tend à la puissance et à la richesse de l'État qu'il gouverne" (p. 22).

Et Kautsky continue:

Par conséquent, les bolchéviks sont obligés d'essayer de remettre sur pied l'industrie et les transports qu'ils ont paralysés. Ils le font, d'une part, au moyen du partage du monopole de l'exploitation du peuple russe à quoi tend tout leur "communisme", avec des capitalistes particuliers, particulièrement avec des capitalistes étrangers qui payent largement pour cela et qui savent mener les affaires d'une façon plus rationnelle que les bolchéviks; d'autre part, au moyen de la destruction du mur chinois qu'ils ont élevé autour de la Russie soviétique, à l'exemple des gouvernements capitalistes (p. 22).

Et ensuite:

Les emprunts et les concessions capitalistes voilà la panacée qui permettra au communisme gravement malade de se remettre sur pied (p. 32).

Voilà tout ce que M. Kautsky a pu présenter comme preuves de notre dégénérescence économique.

En somme, que voyons‑nous?

Le bolchévisme a promis le paradis communiste ou tout au moins un acheminement vers ce paradis. Il n'a pas tenu ses promesses. Il a reconnu que c'étaient des illusions et des erreurs. Il a établi un régime d'exploitation du peuple russe. Il est gravement malade. Il se sauve avec l'aide du capitalisme étranger, sans lequel il risque de mourir. Il éloigne de plus en plus la société du socialisme.

          p. 87:

Karl Kautsky résume ses raisonnements sur notre dynamique économique de la façon suivante:

Le régime bolchéviste signifiait en pratique, non pas l'établissement d'un régime nouveau, supérieur, indépendant de la production capitaliste, mais exclusivement le vol des possédants. En même temps, il provoquait l'arrêt de la production, qui amena rapidement la misère et la ruine de l'État. Impuissants à remédier à cet état de choses, les bolchéviks ont vu leur salut dans le pillage de la riche Europe. C'est pourquoi il leur faut aussi la révolution mondiale, c'est‑à‑dire la guerre ouverte ou sourde contre les gouvernements étrangers. Cet état de guerre réel, quoiqu'il ne soit pas toujours reconnu ouvertement, signifie l'isolement de la Russie du monde extérieur.

          p. 104‑106:

Donner des preuves que toute la presse bourgeoise adopte ce point de vue serait superflu. Et si maintenant la "stabilité" de l'ordre capitaliste est particulièrement menacée par les insurrections asiatiques, Kautsky se hâte de justifier les salves de mitrailleuses que tirent contre les ouvriers chinois les impérialistes anglais épouvantés. Comme on le sait, toute la presse, particulièrement celle des conservateurs, s'efforce de représenter le grand mouvement du peuple chinois comme un simple complot des "agents de Moscou". Par là, on poursuit deux buts: on cherche à justifier les fusillades en Orient et on prépare l'intervention militaire et financière contre l'U.R.S.S. Que fait Kautsky pendant ce temps? Dressé sur ses pattes de derrière, il hurle:

Ce n'est là (l'insuccès des emprunts) qu'une raison de plus qui incitera les joueurs aventureux de Moscou à travailler à de nouvelles émeutes dans l'espoir d'obtenir par le pillage ce qu'ils ne peuvent recevoir par les emprunts. Dans tous les États de l'Orient, ils cherchent maintenant à allumer l'incendie pour embraser le monde entier et le dépouiller au moment favorable.

Peut‑être, penserez-vous, Kautsky essaye‑t‑il d'analyser le mouvement d'Orient, de le relier à l'impérialisme des puissances capitalistes, de découvrir ses racines de classes, de l'apprécier en tant que facteur essentiel de l'histoire mondiale? Pas du tout. Kautsky recourt à de tout autres arguments "scientifiques". Après avoir montré que la révolution chinoise est le fruit de l'action spoliatrice des "joueurs" de Moscou, il souffle aux puissances impérialistes ce qu'elles doivent faire pour s'affranchir des troubles qui menacent leur stabilité.

Cette politique incendiaire (c'est-à-dire la politique des bolchéviks) n'est pas non plus sans danger pour eux. Elle peut, un beau jour, entraîner la Russie dans la guerre dans les circonstances les plus défavorables.

Il faudrait être un naïf doublé d'un imbécile pour ne pas comprendre que Kautsky excite directement les États impérialistes contre l'Union soviétique. Il déclare, il est vrai, qu'il est contre l'intervention armée. Mais ce n'est là qu'une échappatoire. Qui serait assez sot pour le croire? Kautsky, en effet, a démontré que nous avions en Russie le régime le plus sanglant et le plus cruel, qu'il fallait le renverser par la violence, que partout notre seule occupation était le pillage, que nous étions les principaux fauteurs des troubles d'Orient et que nous travaillions uniquement pour assouvir nos instincts de spoliation. Et après, il vient nous dire que toutes ces manoeuvres ne resteront pas impunies en cas de guerre. Or cela, il le dit précisément au moment où on prépare la guerre contre nous. Et après, il nous déclare hypocritement qu'il est contre l'intervention armée, alors qu'il a développé tous les arguments possibles en faveur de cette intervention et qu'il s'est exprimé comme n'oserait pas le faire un bourgeois.

Non, citoyen, il n'est pas aussi facile maintenant de tromper les ouvriers qu'en 1914.

Kautsky désire ardemment la guerre contre l'U.R.S.S.; c'est ce que démontre son argumentation.

La défaite militaire peut parfaitement provoquer la combinaison des insurrections locales, urbaines et rurales, en une insurrection générale et susciter une vague formidable qui balaiera le bolchévisme avec tous ses instruments de domination...

Que doivent donc faire, dans ce cas, les socialistes de Russie?... Il serait horrible que, sous prétexte qu'elle récuse le soulèvement armé préparé contre le bolchévisme, notre Internationale condamnât à l'avance toute insurrection comme un acte contre-révolutionnaire et interdît à ses membres de participer à une telle insurrection. Il ne saurait être question pour les social-démocrates d'essayer de sauver le régime bolchéviste. La neutralité, en cas d'insurrection générale de la masse populaire, serait un suicide politique.

          b) Neumann: "Manifeste d'un renégat contre l'Union soviétique", L'Internationale communiste, Organe bimensuel du Comité exécutif de l'IC, n° 30, 15 novembre 1930; Paris, Bureau d'Éditions.

          p. 2169:

Le nouvel ouvrage de Kautsky, le Bolchévisme dans l'impasse, nous offre un exemple éclatant de la façon dont les social-fascistes se mettent au service de la bourgeoisie internationale, un exemple éclatant de leur intégration étroite à l'oligarchie financière internationale, et de la façon dont ils exécutent, dans l'intérêt de celle‑ci, la préparation idéologique des masses travailleuses pour la guerre prochaine contre l'Union soviétique.

          p. 2180‑2181:

Comme à son avis l'État soviétique est à l'intérieur complètement vermoulu et pourri, de faibles mouvements d'opposition peuvent suffire à amener l'écroulement de sa domination.

De faibles mouvements d'éléments d'opposition pourraient déjà provoquer la chose. (Page 108.)

Un mouvement d'opposition efficace de ce genre pourrait partir tout d'abord de la paysannerie. (Page 108.)

Mais si les soulèvements paysans n'étaient que de nature locale, ils seraient nécessairement impuissants. Mais les choses prendraient une autre tournure, si tous les villages, plusieurs provinces se soulèvent en même temps. Alors les forces armées du gouvernement central ne suffiront pas à les écraser. (Page 109.)

Alors la dernière heure du pouvoir soviétique sonnera et si alors les gars paysans de l'Armée rouge se joignent aux "paysans" soulevés (koulaks), il n'y aura plus de résistance, le bloc de rochers se mettra en branle et personne ne pourra le retenir.

Mais si les paysans unis aux soldats rouges remportent une seule victoire sur les forces armées du gouvernement, avec la tension générale c'en est fini de la résistance. L'avalanche se mettra en mouvement et écrasera tout ce qui se mettra sur sa route. (Page 110.)

[...]

Le capital financier international a besoin, dans sa lutte pour surmonter la crise générale du capitalisme, d'écraser le pouvoir soviétique. Pour cela il faut la préparation idéologique la plus grande et la plus minutieuse des masses travailleuses, sinon la croisade contre l'Union soviétique provoquera fatalement une guerre civile contre les États capitalistes. C'est la social-démocratie qui, à côté d'autres tâches, est chargée de diriger cette préparation idéologique. Elle l'exécute fidèlement. Lorsque la bourgeoisie internationale exige l'anéantissement de la révolution prolétarienne, les social-fascistes répètent fidèlement: "Vive la République démocratique-parlementaire!" L'oligarchie financière internationale a‑t‑elle besoin d'une arme idéologique contre l'exportation russe, Kautsky et les social-fascistes s'empressent aussitôt et tirent de leur arsenal l'argument du "travail forcé", du "travail d'esclave" dans les kolkhoz, les usines, etc. La bourgeoisie des cartels et des trusts a‑t‑elle besoin de dissimuler ses desseins agressifs contre l'Union soviétique, les social-fascistes sont au premier rang pour accomplir cette tâche. Le capital financier voit que ses alliés les plus précieux, les koulaks, sont en train de disparaître. Les social-fascistes, Kautsky en tête, s'empressent de mobiliser aux tout premiers rangs avec des phrases "marxistes-révolutionnaires" les masses travailleuses contre cette disparition.

L'oligarchie financière internationale a besoin de justifier et de défendre le travail de sabotage contre-révolutionnaire de l'édification socialiste. Les Kautsky de tous les pays sont à la tête de la défense de ces saboteurs.

Le capital financier international organise depuis des années une campagne générale d'excitation et de mensonge contre l'Union soviétique. Les social-fascistes et Kautsky fournissent les articles les plus ignominieux, les nouvelles mensongères les plus grossières, les calomnies les plus viles pour cette campagne. Kautsky invite aujourd'hui tout à fait ouvertement au renversement du pouvoir soviétique, à l'insurrection en Union soviétique et à l'intervention contre celle‑ci. Lorsque, dès 1925, il écrivit dans ce sens un mémorandum contre l'Union soviétique: l'Internationale et la Russie soviétique, où qu'il proposa de le publier comme un document officiel de la IIe Internationale, cette proposition fut repoussée par celle‑ci et même les menchéviks russes en firent la critique parce qu'il n'était pas conforme à leurs intérêts d'abattre toutes leurs cartes contre l'Union soviétique. Mais aujourd'hui, la social-démocratie, dans ses organes officiels, et entre autres dans le Vorwärts, tient ouvertement le même langage que Kautsky dans son ouvrage parce que depuis cette époque le processus de transformation en a fait des social-fascistes. Voilà ce qui est nouveau dans la situation actuelle.

[81].     Dans la publication en langue allemande du rapport: "kindisch gewordene", c'est‑à‑dire "devenu infantile".

[82].     “Comité industriel, commercial et financier” (“Torgovo promys'lennyj i finansovyj sojuz”, en abrégé Torgprom).

Le Torgprom est une association fondé en 1920 à Paris, qui regroupe d'anciens capitalistes russes, tels que Denissov, Riabouchinski, Tretiakov, Konovalov, Goukassov, Nobel, Mantachev.

[83].     “Parti industriel” (Prompartija)

Du 25 novembre au 8 décembre 1930 a lieu à Moscou le procès du “Parti industriel”. Vers 1923‑1924 se constitue en URSS un réseau contrerévolutionnaire dit “Centre des ingénieurs”, recrutant des adhérents parmi le personnel d'ingénieurs, de techniciens et de professeurs des diverses institutions, entreprises, instituts de recherches scientifiques et écoles supérieures. Vers la fin de 1927 et au début de 1928 a lieu la transformation du Centre des ingénieurs en “Parti industriel”, structuré plus rigoureusement.

Le Centre des ingénieurs, puis le Parti industriel entretiennent des relations avec le Torgprom (cf. note 82 ).

[84].     Procès de l'organisation contrerévolutionnaire des Menchéviks (mars 1931).

Au début de l'année 1928 se forme une organisation contrerévolutionnaire composée de menchéviks, dirigée par le dit “Bureau Fédéral Menchévik”. Elle renoue les liens anciens avec les dirigeants menchéviks émigrés à l'étranger (Dan, Abramowitch, Garwy) et établit une coopération avec le Parti industriel (cf. note 83 ). Selon les informations recueillis lors du procès, des consultations ont lieu à Berlin entre des représentants du Bureau Fédéral Menchévik et Abramowitch, Dan, Daline, Hilferding et Braunstein.

Parmi les principaux accusés dans le cadre du procès de 1931 se trouvent Vladimir Groman, jusqu'en 1928 membre du Présidium du Gosplan, et A. M. Ginzburg, Professeur à l'Institut Économique Plekhanov, collaborateur du Soviet, Suprême de l'Économie Nationale et rédacteur principal du premier plan quinquennal élaboré par cet organisme.

[85].     En novembre 1919 dans le village finlandais de Lapua, de la région d'Ostrobotnie du Sud, des paysans attaquent une réunion de jeunes communistes. En se référant à cette localité, une petite organisation se nommant jusque‑là "Verrou de Finlande" se constitue en "mouvement Lappo" dirigé par Vihturi Kosola. Il s'agit d'une organisation anticommuniste, nationaliste et religieuse. En 1930 elle déclenche une tentative de coup d'état que le gouvernement désamorce en faisant adopter une loi visant à la dissolution et l'interdiction des groupes communistes, se conformant ainsi à une demande du mouvement Lappo.

[86].     Heinrich Brandler.

Brandler fait partie du Groupe Spartakus formé à partir de 1915 autour de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, puis il est membre du Parti communiste d'Allemagne (Kommunistische Partei Deutschlands, KPD) fondé en décembre 1918. Au 2e congrès du Parti (octobre 1919) il est élu comme membre de la direction, en février 1921 il devient co‑président (aux côtés de Walter Stoecker), en juillet 1922 il est désigné secrétaire du bureau politique. Du 10 au 29 octobre 1923 il fait partie d'un gouvernement régional social-démocrate-communiste dans la région de Sachsen. En janvier 1924 il est démis de ses fonctions dans le parti (le 19 février Hermann Remmele est désigné comme secrétaire, Ernst Thälmann comme secrétaire adjoint). Il se rend Moscou, où il poursuit des activités en tant que membre du PCR. En octobre 1928 il revient en Allemagne. En décembre 1928 il est avec August Thalheimer l'un des principaux fondateurs du KPD‑Opposition (KPD‑O, aussi KPO). En janvier 1929 il est exclu du PCUS et de l'Internationale communiste.

Le terme “brandlérisme” se réfère aux orientations formulées par Brandler à différents moments sur certaines questions, notamment celle de la caractérisation d'un "gouvernement ouvrier" et des "revendications transitoires". Cf. à ce sujet un texte du Bureau politique du Comité central du KPD datant de janvier 1928: Le "Programme d'action" de Brandler (Réponse)►.

[87].     Le 21 janvier 1931 a lieu à Zurich une session commune entre la 2e Internationale et l'Internationale syndicale d'Amsterdam (FSI).

          Fédération syndicale internationale (dite “Internationale syndicale d'Amsterdam”).

En 1901 se tient à Copenhague une réunion entre représentants des centrales syndicales de Norvège, Suède, Finlande, Danemark, Allemagne, France et Belgique. Une autre rencontre suit en 1903, et se constitue un secrétariat international avec Carl Legien comme secrétaire. En 1913 est adoptée la désignation “Fédération syndicale internationale” (FSI). La 1e guerre mondiale induit le clivage correspondant aux alliances belligérantes. En 1919 la FSI est reconstituée. Une première réunion se tient en février 1919 à Bern, en juillet-aout le siège est établi à Amsterdam. La FSI est reconnue par la nouvelle Organisation internationale du travail. L'admission à la FSI des syndicats de l'Union soviétique est refusée. La Fédération américaine du travail (AFL) adhère finalement à la FSI en 1937.

[88].     Le 6e Congrès de l'Internationale communiste se tient du 17 juillet au 1er septembre 1928.

[89].     Le 10e Plénum du Comité exécutif de l'Internationale communiste se tient du 3 au 19 juillet 1929.

[90].     En Allemagne, le 14 septembre 1930, se tiennent des élections au parlement (Reichstag). Voici le nombre de députés pour les principaux partis (sur un total de 577): SPD 143, NSDAP 107, KPD 77, Zentrum 68, DNVP 41, DVP 30.

[91].     Cf. note 51 .

[92].     Cf. note 50 .

[93].     Allemagne, ports, Hambourg 1931.

À Hambourg, au début de 1931, les employeurs des activités portuaires dénoncent les accords collectifs. Ils annoncent une baisse des salaires, une sentence arbitrale est prononcée le 7 février. Le syndicat organise un vote du personnel, 72 % refusent la sentence, mais les statuts du syndicat prévoient une majorité de 3/4 pour décider une grève. Le KPD proteste contre la procédure en argüant du fait que les 1100 votants représentent à peine 5 % des travailleurs portuaires de Hambourg et moins de 1,5 % au niveau national (60.000 travailleurs portuaires). Le 10 février une assemblée organisée par le KPD et le RGO décide de démarrer une grève le 11. Le mouvement s'étend sur une partie de la côte Nord et aussi Stettin. Le 15, la grève se termine à Hambourg. Cependant une assemblée à Bremen maintient le mouvement, mais le lendemain une nouvelle assemblée décide d'abandonner l'action.

[94].     Ruggero Grieco (pseudonyme: Garlandi).

En Italie, en 1912, Grieco adhère au Parti socialiste italien (Partito socialista italiano, PSI). Au début de 1919 il se joint à la fraction abstentionniste d'Amadeo Bordiga et au nom de celle‑ci il devient en février 1920 membre du Secrétariat du parti. C'est lui qui rédige la déclaration lue par Bordiga le 21 janvier 1921 lorsque la fraction communiste abandonne les travaux du 17e congrès et convoque un autre congrès pour fonder le Parti communiste d'Italie (Partito comunista d'Italia, PCd'I). Grieco est élu au Comité exécutif du nouveau parti. Il se trouve parmi ceux qui refusent ensuite de suivre la prise de position du 4e Congrès de l'Internationale communiste, qui donne la consigne de procéder à la fusion du PCd'I avec le PSI, et il démissionne du Comité central. Cependant au 3e congrès du PCd'I à Lyon en janvier 1926, il est réélu au Comité central. À la fin de l'année il se refugie en Suisse puis à Paris. Le 17 octobre 1927 il est condamné en Italie, par contumace, à 17 ans et 6 mois de prison. En juillet 1928 il participe au 6e Congrès de l'IC. Entre avril 1929 et aout 1930 il dirige le Secrétariat sudaméricain de l'IC. Il revient à Paris et à la fin de 1934, après le départ de Palmiro Togliatti à Moscou, il assume la direction du parti. En 1935 il participe au 7e Congrès de l'IC et devient membre du Comité exécutif de l'IC. En mai 1940 il quitte Paris pour s'installer à Moscou.

[95].     Palmiro Togliatti (pseudonyme: Ercoli).

[96].     Giacomo Matteotti.

Matteotti est secrétaire général du Parti socialiste italien (Partito socialista italiano, PSI) à partir de 1922. Le groupe dirigeant fasciste au pouvoir en Italie, qui comprend Benito Mussolini, son frère Arnaldo et certaines personnalités haut placées, est mêlé au cours des années 1921‑1924 à plusieurs affaires de corruption. Lors de la campagne pour les élections législatives du printemps 1924, Matteotti s'oppose aux milices fascistes (Squadristi), et prononce plusieurs discours belliqueux, par lesquels il dénonce les malversations commises par les fascistes jusque dans les hautes sphères. Il est enlevé le 10 juin 1924, en pleine journée, par un groupe d'activistes fascistes. Les auteurs, dirigés par Amerigo Dumini, sont connus pour travailler sous la direction du chef de la police et de la milice, Emilio De Bono. Le cadavre de Matteotti est retrouve le 16 aout. Il est vraisemblable que Giovanni Marinelli, trésorier du Parti national fasciste (Partito Nazionale Fascista, PNF), et Filippo Filippelli, directeur du journal Corriere italiano, ait été directement impliqués. De Bono, Aldo Finzi, sous‑secrétaire de l'Intérieur, et Cesare Rossi, chef de l'Office de presse et de propagande, sont intervenus pour favoriser la fuite des coupables.

[97].     [321ignition] "sont caractérisées, parce qu'on ne se trouve pas en présence d'insurrections": Il faut lire "par ce que", ou mieux, par le fait que". Ainsi dans la publication en langue allemande du rapport: "dadurch charakterisiert, daß".

[98].     Reichswehr.

C'est la désignation officielle pour les forces armées allemandes, composées de l'armée de terre et de la marine. Les dispositions du Traité de Versailles interdisent la création d'une armée de l'air. Néanmoins des efforts sont entrepris pour établir les conditions en vue d'une reconstitution de forces aériennes. Le Traité de Rapallo conclu en avril 1922 avec l'Union soviétique permet une coopération en ce sens. En 1930 sont formées trois escadrilles d'avions camouflées comme civiles. Le régime national-socialiste, en avril 1933, crée le ministère de l'aviation, puis en 1935 proclame la souveraineté de défense de l'Allemagne, et le développement de l'armée de l'air se déroule de façon ouverte.

[99].     [321ignition] Dans la source, on lit: "... est nécessaire parce qu'elle peut ...". Nous avons corrigé l'erreur selon la publication en langue allemande du rapport: "Die politische Krise der revolutionären als ein besonderes Stadium gegenüberzustellen, ist deshalb unzweckmäßig, weil ...".

[100].   Cf. note 86 .

[101].   Hermann Remmele.

En 1897 Remmele adhère au SPD et aux syndicats dans le cadre de la Generalkommission (Commission générale) constituée en 1890. En 1917 il participe au congrès de fondation de l'USPD, en 1920 il est élu au Reichstag dont il reste membre jusqu'en 1933. À la fin de 1920 il vient au KPD dans le cadre de la fusion du KPD avec l'aile gauche de l'USPD; au congrès d'unification en décembre 1920 il est élu à la Centrale. En 1923 il participe à la préparation de l'insurrection organisée par le KPD, il est recherché par la police. À la fin de 1923 il se sépare du groupe autour de Heinrich Brandler et devient en tant que représentant du “groupe centriste” (“Mittelgruppe”) président du KPD. Au 9e congrès en avril 1924 le “groupe centriste” se trouve en minorité, mais Remmele est néanmoins élu à la Centrale et au Bureau politique. Il garde ces fonctions jusqu'en 1933. À partir d'automne 1925 il est membre du Présidium du Comité exécutif de l'Internationale communiste. En 1930 il est désigné comme dirigeant de la Ligue de combat contre le fascisme (Kampfbund gegen den Faschismus) nouvellement créée comme successeur légal à la Ligue rouge de combattants du front (RFB) interdit. Le 25 mai 1931 il est condamne pour "préparation de haute trahison" à deux ans et neuf mois de prison mais reste en liberté en tant que membre du Reichstag. En 1932 Remmele et Heinz Neumann adoptent une position critique vis‑à‑vis d'Ernst Thälmann; Remmele est exclu du Secrétariat politique en octobre 1932, en novembre 1933 également du Bureau politique. À partir d'aout 1932 il est installé à Moscou comme collaborateur de la section d'agitation et propagande de l'IC. Le 15 mai 1937 il est arrêté, le 7 mars 1939 il est accusé de participation à une organisation terroriste contrerévolutionnaire et condamné à mort.

[102].   Richard Scheringer.

En 1923, encore élève de lycée, Scheringer assiste à l'occupation de la Ruhr par des troupes françaises et belges. Il participe à des actions de sabotage, il est menacé d'arrestation et s'enfuit à Berlin. Par un concours de circonstances il est impliqué en octobre 1923 à une tentative de putsch organisé par des milieux de l'armée. Ayant terminé sa scolarité, il entre comme volontaire à la Reichswehr qui pour lui incarne l'objectif de la libération nationale face à la situation créée par le Traite de Versailles. Observant le caractère élitiste du corps d'officier, il penche vers les national-socialistes. Il obtient lui‑même un grade de lieutenant. En 1930 il est arrêté avec deux autres officiers, pour activité subversive au sein de l'armée et condamné à dix‑huit mois de prison. Pendant son incarcération il entre en contact avec des prisonniers communistes. Dans une lettre adressée au KPD, le 18 mars 1931 il déclare: "Donc je me désolidarise définitivement de Hitler et du fascisme et rejoins en tant que soldat les rangs du front du prolétariat combatif." ["Ich sage mich daher endgültig von Hitler und dem Faschismus los und reihe mich als Soldat ein in die Front des wehrhaften Proletariats."] Le 3 avril, le Rote Fahne reproduit une lettre ouverte de Scheringer aux "Berliner SA‑Proleten" dans laquelle il appelle ses excamarades à agir dans le même sens. Suite à ces prises de position il est condamné à un emprisonnement supplémentaire de deux ans et demi. En septembre 1933 il est libéré suite à une mesure de grâce décidée par le président du Reich Paul von Hindenburg. Il adhèrera officiellement au KPD en novembre 1945.

[103].   Cf. note 58 .

[104].   Allemagne, Gouvernements Brüning avril 1930 - mai 1932.

Le 28 juin 1928 avait été formé un gouvernement de coalition dirigé par Heinrich Müller (SPD), comprenant des membres du SPD, du Zentrum, du DVP et DDP. Le 27 mars 1930 Müller démissionne, le 30 mars est formé un gouvernement minoritaire dirigé par Heinrich Brüning (Zentrum), comprenant des membres du Zentrum, du DVP, du DDP, du BVP, du WP, du DNVP, notamment le ministre de l'Intérieur Joseph Wirth (Zentrum), le ministre de la Défense Wilhelm Groener, le ministre du Travail Adam Stegerwald (Zentrum). Le 14 septembre se tiennent des élections à l'assemblée nationale (Reichstag). Sur 577 mandats au total, le SPD obtient 143, le NSDAP 107, le KPD 77, le Zentrum 68. Le gouvernement Brüning reste en place. En octobre 1931 ce gouvernement est remplacé par un autre, dirigé par Brüning mais de composition différente, gouvernement qui démissionne le 30 mai 1932.

L'analyse de la nouvelle constellation au parlement, après les élections de septembre 1930, conduit Brüning de même que Wirth à considérer que le gouvernement, en pratique, ne risque pas d'être renversé. Le NSDAP fait clairement savoir qu'il n'est pas pressé d'entrer au gouvernement et qu'au cas où le Zentrum le solliciterait, il demanderait les ministères de l'Intérieur et de la Défense. Cette attitude expectative implique un consentement passif, du moins tant qu'il n'y a pas d'élargissement du gouvernement vers le SPD. À l'égard de ce dernier, le Zentrum est en position de force, puisqu'à tout moment il peut faire tomber le gouvernement régional en Prusse ‑ dirigé par Otto Braun (SPD) et comprenant des membres du SPD, du Zentrum, du DDP, du DStP ‑ et forcer la convocation d'élections. Le 3 octobre 1930 le groupe à l'assemblée nationale du SPD se réunit. Il ressort des discussions l'adoption d'une position consistant à tolérer le gouvernement de Brüning. Cette attitude se concrétise lors des votes sur diverses motions de censure soumises à l'assemblée nationale (cf. note 78 ). Par ailleurs, le 5 octobre a lieu un premier entretien personnel entre Brüning et Adolf Hitler.

En termes généraux, l'orientation du gouvernement est caractérisée notamment par les points suivants. Le gouvernement affirme s'opposer autant au fascisme qu'au bolchévisme; il coopère en ce sens avec les sociaux-démocrates, qui exhibent des positions similaires; en pratique, il tend à chercher des arrangements implicites ou explicites avec les national-socialistes.

Dès 1924 avait été formée sur l'initiative du SPD l'organisation Bannière du Reich Noir‑Rouge‑Or (Reichsbanner SchwarzRotGold), à laquelle participent des membres du Zentrum ‑ notamment Wirth ‑, du DDP ainsi que des syndicats. Ce regroupement se donne pour objectif la défense de la République contre ses ennemis du côté de l'extrême droite et de l'extrême gauche. Pour le SPD, on peut citer les représentants suivants: Eduard Bernstein, Otto Braun, Theodor Haubach, Otto Hörsing, Julius Leber, Paul Löbe, Carlo Mierendorff, Philipp Scheidemann, Otto Wels. Le 16 décembre 1931, le SPD, la Bannière du Reich, le ADGB, le Afa‑Bund, l'Association ouvrière de gymnastique et sport (Arbeiter-Turn- und Sportbund, ATSB) constituent le “Front de fer” (“Eiserne Front”). La direction de celui‑ci est assumée par le président du SPD Wels ainsi que Karl Höltermann (SPD). Ce dernier, dans le contexte donné, remplace le président initial de la Bannière du Reich, Hörsing, dans un premier temps en pratique et en juillet 1932 officiellement. Quant au Zentrum, au moment de la création du Front de fer il n'est plus représenté à la Bannière du Reich.

Le 11 aout 1930, jour anniversaire de l'entrée en vigueur de la constitution de 1919, Wirth prononce un discours. Il constate la croissance du radicalisme, phénomène qu'il n'associe pas uniquement aux "partis situés aux extrémités, étrangers à l'état" ["staatsfremde Flügelparteien"] ‑ par quoi il vise les fascistes se basant sur le régime de Mussolini ainsi que les communistes ‑, mais aussi le centre bourgeois ["bürgerliche Mitte"] ‑ référence qui bien évidemment est distincte du terme "Zentrum" tel qu'il caractérise le parti auquel appartient Wirth, le Zentrumspartei ‑; il affirme que ni le fascisme ni le bolchévisme n'offrent une solution. [Deutscher Geschichtskalender, 1930, Teil 1; Verlag von Felix Meiner, 1930.]

Au cours d'une réunion du gouvernement tenue le 30 octobre, Brüning met en garde contre une attitude basée sur l'idée que les national-socialistes seraient dangereux pour l'état au même titre que les communistes. Au cours des débats qui se déroulent le 19 décembre au sein du gouvernement, Wirth signale qu'à son avis les positions de Hitler ont évolué dans le temps: d'abord le NSDAP était certainement un parti révolutionnaire, mais les prises de position d'une telle nature sont passées considérablement à l'arrière‑plan après la déposition faite par Hitler en tant que témoin au tribunal du Reich à Leipzig le 25 septembre 1930 *; ainsi selon Wirth deux courants existent, l'un radical et l'autre plus légaliste, et on ne peut donc affirmer une fois pour toutes que les national-socialistes se placent définitivement en dehors de la légalité.

Durant les années 1930‑1932 une thématique particulière prend de l'ampleur, celle de la dénonciation du "bolchévisme culturel" ("Kulturbolschewismus"). Elle constitue un champ de propagande où l'ensemble des forces politiques allant du Zentrum à l'extrême droite peuvent trouver un dénominateur commun. Au printemps 1930 le ministère de l'Intérieur met en place un service particulier chargé de la lutte contre la propagande athée. Sous l'impulsion du Zentrum, une campagne systématique est menée à ce sujet. Le 17 décembre 1930, le Zentrum en Prusse proteste contre l'établissement à Berlin d'une représentation de la Ligue des sans‑dieu militants. Il s'agit d'une organisation existant en URSS, dirigée par Emelian Jaroslavskij (de son vrai nom Mineï Izrailevitch Gubelman); elle est issue d'un groupe constitué en 1923 par des athées, lequel en 1925 est transformé en Ligue des sans‑dieu (Союз безбожников) et en 1929 renommé en Ligue des sans‑dieu militants (Союз воинствующих безбожников). En fait l'annonce de l'évènement déforme la réalité: la nouvelle concerne simplement le regroupement au niveau international des organisations de libre‑penseurs, dont celle soviétique. Le décret d'urgence du 27 mars 1931 pour la lutte contre des actes de violence politiques mentionne explicitement la propagande et les actions dirigées contre la foi et l'Église. Le 4 mai 1932 est décrétée la dissolution des organisations de libre‑penseurs, communistes.

Le 20 février 1931 Wirth s'exprime à ce sujet à la commission des budgets [Haushaltsausschuss] du Reichstag:

Les écrits de propagande bolchéviste signifient une irruption dans la culture ouest‑européenne, qui est difficilement supportable. [...] Ces écrits constituent la grossièreté la plus achevée que l'on puisse imaginer. Ce qui me frappe en particulier, c'est qu'à cet égard il s'agit de l'utilisation d'un univers d'idées anti‑église et anti‑religieux, non pas tant comme moyen de lutte contre le capitalisme, mais en tant égarement vis‑à‑vis de tout univers spirituel. C'est une irruption de la barbarie et de l'absence de culture dans un pays de culture, et dans un continent qui a été porteur de culture durant des millénaires.

[Die bolschewistischen Propagandaschriften bedeuten einen Einbruch in die westeuropäische Kultur, der schwer erträglich ist [...] Diese Schriften stellen die vollendete Rohheit dar, die vorstellbar ist. Mir fällt besonders auf, daß es sich hierbei um die Ausnutzung einer antikirchlichen und antireligiösen Ideenwelt nicht so sehr als Kampfmittel gegen den Kapitalismus handelt, sondern um ein ungeheures Abirren von jeder geistigen Welt. Es ist ein Einbruch der Barbarei und Unkultur in ein Kulturland und in einen Kontinent, der der Träger der Kultur durch Jahrtausende gewesen ist.]

[Walter Adolph: Erich Klausener; Morus-Verlag, 1955.]

En ce qui concerne le SPD, il coopère étroitement avec le gouvernement en matière d'action policière, en particulier en Prusse où le gouvernement régional est dirigé par Otto Braun (SPD). Le 22 octobre 1930, Carl Severing (SPD) est nommé ministre de l'Intérieur de Prusse; le 5 novembre Albert Grzesinski (SPD) est nommé préfet de police de Berlin. Ils restent en poste jusqu'à la destitution du gouvernement régional par le gouvernement national, le 20 juillet 1932. Grzesinski, au cours des années 1930‑1932 prononce de façon répétée des interdictions de parution à l'encontre du journal du KPD, Die Rote Fahne: le 9 novembre 1930; en mai, aout, décembre 1931 pour une durée totale de 41 jours; en janvier, mars, avril 1932 pour une durée totale de 16 jours. Son successeur Kurt Melcher poursuit ces mesures de répression.

Le 28 mars 1931 est édicté un décret d'urgence "pour la lutte contre des troubles politiques" [zur Bekämpfung politischer Ausschreitungen]. Il concerne "rassemblement politiques publiques ainsi que tous les rassemblements et défilés à l'air libre" ["öffentliche politische Versammlungen sowie alle Versammlungen und Aufzüge unter freiem Himmel"] et décrète: "Ils peuvent être interdits, si en fonction des circonstances il est à craindre [...] qu'une communauté religieuse de droit publique, ses installations, coutumes ou objets de sa vénération sont insultés, ou dénigrés de façon malveillante." ["Sie können verboten werden, wenn nach den Umständen zu besorgen ist, [...] daß eine Religionsgemeinschaft des öffentlichen Rechts, ihre Einrichtungen, Gebräuche oder Gegenstände ihrer religiösen Verehrung beschimpft oder böswillig verächtlich gemacht werden."] Ce texte avait été élaboré en coopération avec les régions où il n'y avait pas de ministres national-socialistes, et en particulier en concertation avec Severing. Le 6 mars celui‑ci avait adressé aux instances de police une circulaire, dans laquelle il leur donnait l'instruction de mettre en application, pour le jugement des "perturbateurs" ["Störer"] de la sécurité et de l'ordre publiques des "procédures accélérées" "afin que l'acte délictueux et l'expiation [...] se succèdent de façon immédiate" ["beschleunigte Verfahren" "damit Straftat und Sühne [...] unmittelbar aufeinander folgen"]. Ces suggestions ont été reprises dans le décret d'urgence.

Le 4 mai 1932 est édicté un décret "sur la dissolution des organisations sans‑dieu communistes" ["über Auflösung der kommunistischen Gottlosenorganisation"]: "L'Internationale de libre‑penseurs prolétariens (siège de l'exécutif à Berlin) et les organisations de libre‑penseurs communistes qui lui sont subordonnées ou rattachées, en particulier l'Union de libre‑penseurs prolétariens d'Allemagne [...] ainsi que les communautés de combat de libre‑penseurs communistes sont [...] dissoutes pour le territoire du Reich avec effet immédiat. ["Die Internationale Proletarischer Freidenker (Sitz der Exekutive Berlin) und die ihr nachgeordneten oder angeschlossenen kommunistischen Freidenkerorganisationen, insbesondere der Verband Proletarischer Freidenker Deutschlands [...] sowie die Kampfgemeinschaften Proletarischer Freidenker werden [...] für das Reichsgebiet mit sofortiger Wirkung aufgelöst."]

[105].   Cf. Programme de l'Internationale communiste, 1er septembre 1928 .

[106].   "Les divergences dans le mouvement ouvrier européen" (1910), Lénine, Oeuvres, Paris-Moscou, tome 16; p. 370‑371.

Si la tactique de la bourgeoisie était toujours uniforme, ou du moins toujours du même genre, la classe ouvrière aurait vite appris à y répondre par une tactique au même degré uniforme ou du même genre. En réalité, la bourgeoisie de tous les pays élabore, inévitablement, deux systèmes de gouvernement, deux méthodes de lutte pour la défense de ses in­térêts et la sauvegarde de sa domination ‑ méthodes qui tantôt se succèdent, tantôt se nouent en des combinaisons multiples. C'est premièrement la méthode de la violence, la méthode consistant à refuser toute concession au mouvement ouvrier, à soutenir toutes les vieilles institutions caduques, la négation intransigeante des réformes. Telle est l'essence de la politique conservatrice qui, en Occident, cesse de plus en plus d'être la politique de la classe des propriétaires fonciers pour devenir une des variétés de la politique bourgeoise générale. La deuxième méthode est celle du “libéralisme”, des mesures prises dans le sens du développement des droits politiques, dans le sens des réformes, des concessions, etc.

[107].   J. V. Staline, "Sur la situation internationale", paru dans le journal Bolchevik, 20 septembre 1924.

Ce texte figure, en langue allemande, dans: J. W. Stalin, Werke, Band 6, 1924; Berlin, Dietz Verlag, 1952; p. 146. Voici un extrait plus exhaustif, incluant le passage cité dans le rapport:

Erstens trifft es nicht zu, dass der Faschismus nur eine Kampforganisation der Bourgeoisie sei. Der Faschismus ist nicht nur eine militärtechnische Kategorie. Der Faschismus ist eine Kampforganisation der Bourgeoisie, die sich auf die aktive Unterstützung der Sozialdemokratie stützt. Die Sozialdemokratie ist objektiv der gemäßigte Flügel des Faschismus. Es liegt kein Grund zu der Annahme vor, die Kampforganisation der Bourgeoisie könnte ohne die aktive Unterstützung durch die Sozialdemokratie entscheidende Erfolge in den Kämpfen oder bei der Verwaltung des Landes erzielen. Ebensowenig liegt Grund zu der Annahme vor, die Sozialdemokratie könnte ohne die aktive Unterstützung durch die Kampforganisation der Bourgeoisie entscheidende Erfolge in den Kämpfen oder bei der Verwaltung des Landes erzielen. Diese Organisationen schließen einander nicht aus, sondern ergänzen einander. Das sind keine Antipoden, sondern Zwillingsbrüder. Der Faschismus ist der nicht ausgestaltete politische Block dieser beiden grundlegenden Organisationen, der unter den Verhältnissen der Nachkriegskrise des Imperialismus entstanden und auf den Kampf gegen die proletarische Revolution berechnet ist. Die Bourgeoisie kann sich ohne das Vorhandensein eines solchen Blocks nicht an der Macht behaupten. Darum wäre es ein Fehler, wollte man glauben, der „Pazifismus“ bedeute die Beseitigung des Faschismus. „Pazifismus“ unter den jetzigen Verhältnissen bedeutet Festigung des Faschismus, wobei sein gemäßigter, sozialdemokratischer Flügel in den Vordergrund geschoben wird.

En langue française, on trouve des citations de ce texte, et notamment de la phrase "ce ne sont pas des antipodes, ce sont des jumeaux", mais la plupart du temps sans référence précise désignant la source. Nicos Poulantzas, dans Fascisme et dictature - la IIIe Internationale face au fascisme, se réfère au livre: Hermann Weber, Die kommunistische Internationale - Eine Dokumentation; - Hannover, J. H. W. Dietz Nachf., 1966.

Quant aux éditions en langue russe, les sources d'origine sont:

Сталин, К международному положению, «Большевик» No 11, 20 сентября 1924

Сталин И.В. Cочинения, Том 6, М.: ОГИЗ; Государственное издательство политической литературы, 1947. С. 280–301.

Parmi les diverses reproductions on peut signaler la page Internet suivante: http://rkrp-rpk.ru/content/view/11133/1/. On y trouve un large extrait, suivi d'une traduction en langue française. En français, on lit notamment: "Ces organisations ne sont pas en opposition, elles ne sont pas aux antipodes l'une de l'autre, mais se complètent mutuellement. Le fascisme est une alliance politique informelle de ces deux grandes organisations apparues dans les circonstances de la crise d'après-guerre de l'impérialisme et destiné à lutter contre la révolution prolétarienne." Or, voici le passage correspondant en russe: "Эти организации не отрицают, а дополняют друг друга. Это не антиподы, а близнецы. Фашизм есть неоформленный политический блок этих двух основных организаций, возникший в обстановке послевоенного кризиса империализма и рассчитанный на борьбу с пролетарской революцией." C'est-à-dire "Ces organisations ne sont pas en opposition, mais se complètent mutuellement. Ce ne sont pas des antipodes, mais des jumeaux. Le fascisme est..." Ainsi c'est précisément la phrase "Ce ne sont pas des antipodes, mais des jumeaux" qui est tombée dans les oubliettes lors de la traduction.