Analyses

Accueil

 

Agitprop

English

Art

Français

Références

Español

Présentation

Plan site

 

 

 

 

 

Français   >   Références   >

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bureau politique du Comité central du KPD

Le "Programme d'action" de Brandler (Réponse)

janvier 1928

 

 

Source:

L'Internationale communiste (organe du Comité exécutif de l'Internationale communiste), année 1928, nr. 2 (pp. 124‑135) et nr. 3 (pp. 183‑198  [1].

Pour la publication initiale en allemand: Das Aktionsprogramm des Genossen Brandler. Antwort des Pol. Büros des ZK der KPD. In: Die Kommunistische Internationale, Jg. 9 (1928), nr. 1, pp. 52‑62; nr. 2, pp. 95‑107.

 

 

 

 

 

 

 

Version imprimable
L'IC et la question de la tactique ‑ Sommaire

 

 

 

 

 

 

[Première partie]

I. Remarques préliminaires

L'article dans lequel le camarade Brandler traite d'un "programme d'action" pour le parti communiste d'Allemagne[2] présente un intérêt considérable pour ce parti et pour l'I.C. Brandler est le représentant le plus éminent de la tendance qui, sur les questions fondamentales de la tactique, s'était nettement séparée de l'immense majorité du P.C.A. et de l'I.C. et qui avait été à maintes reprises, depuis le 5e congrès mondial, condamnée comme une déviation opportuniste par l'Internationale communiste. Depuis 1923‑24, période où s'est déroulée la lutte la plus forte contre les opinions soutenues par Brandler, le P.C.A. a considérablement progressé. De la droite dirigée par Brandler il n'est resté que des fragments insignifiants, et il serait difficile de trouver des camarades défendant ouvertement les conceptions préconisées auparavant par Brandler. D'un autre côté, le parti a réussi, au prix d'une crise pénible, il est vrai, à se guérir de la "maladie infantile de gauche", qui avait été en partie une réaction contre les lourdes fautes opportunistes commises en 1923.

La période de lutte aiguë contre le courant de Brandler est maintenant du domaine de l'histoire. Mais s'il en est ainsi, ce n'est pas que le parti allemand ou l'I.C. se soient rapprochés de la position politique défendue par Brandler en 1923, c'est que Brandler lui-même n'a pas insisté ces derniers temps sur cette position et, de la sorte, n'a pas empêché la consolidation du parti allemand.

Par suite, il a été possible de résoudre positivement la question de la collaboration de Brandler avec le P.C.A. Mais il y a collaboration et collaboration. Il y a des collaborations fondées sur une ligne politique commune; il en est d'autres qui se ramènent à une lutte pour des tendances particulières, lutte qui d'ailleurs peut être loyale, c'est-à-dire ne pas dépasser la mesure et ne pas dévier vers le fractionnisme.

Le parti, qui a surmonté dans l'ensemble les déviations de droite aussi bien que d'extrême gauche et qui, comparativement à 1923‑24, s'est élevé à un degré supérieur de maturité politique, doit considérer l'article de Brandler non seulement du point de vue de l'utilité que présentent pour lui les propositions faites par ce dernier, mais aussi du point de vue de la correspondance de la plate-forme de Brandler avec l'évolution effectuée par le parti. De la sorte, on pourra se rendre compte si Brandler peut collaborer sur la base de la politique du parti, ou s'il esquisse une ligne politique qui est une déviation.

Comme on le voit par la conclusion de son article, Brandler, en posant un projet de programme d'action pour le P.C.A, s'efforce de stimuler notre travail pratique. En réalité, il y a là quelque chose de plus. De quelque façon que l'on comprenne un "programme d'action", ce programme ne se borne pas à quelques directives pratiques, il donne nécessairement une direction à tout le travail pratique du parti. Dans ses résolutions, le congrès d'Essen[3] a exposé sommairement les tâches du P.C.A. à l'heure actuelle. À ce congrès, un groupe de camarades a proposé d'élaborer un programme d'action et d'insérer parmi les mots d'ordre actuels celui du contrôle de la production. La formule de cette proposition concorde entièrement avec les formules de Brandler. On a répondu à ces camarades que l'ensemble des tâches pratiques à l'ordre du jour et des mots d'ordre actuels du parti, ensemble relié aux mots d'ordre finals, constitue précisément un programme d'action. Réclamer un autre programme d'action, c'est indubitablement opposer à la théorie et à la pratique actuelle quelque chose de différent. Dans la situation actuelle, le groupe de camarades qui réclame l'élaboration d'un programme d'action motive sa proposition par le fait que, dans notre parti, la lutte journalière n'est pas suffisamment reliée au but final. Brandler, lui aussi, a évidemment l'intention de combler cette prétendue lacune dans notre travail. D'après lui, le but du programme d'action est de "relier" les revendications immédiates et les revendications finales de façon que les unes découlent des autres. Si Brandler considère que, dans nos résolutions précédentes, les mots d'ordre immédiats ont été faussement ou insuffisamment reliés aux buts finals, s'il estime que seul son projet contient des formules créant cette liaison nécessaire, il s'assigne des tâches plus vastes que celles qu'il mentionne, il ne se borne pas à stimuler le travail du parti, il s'efforce de tracer la ligne juste pour tout le travail pratique du parti. Certes, notre travail pratique comporte des faiblesses et des défauts qu'il est indispensable de surmonter, mais là n'est pas la question: il s'agit de savoir si la ligne du parti doit être modifiée.

2. Programme général et programme d'action

Brandler considère que le programme d'action comporte essentiellement la lutte contre la bourgeoisie des trusts. Or la domination du capital des trusts caractérise toute l'époque de domination de l'impérialisme, c'est-à-dire toute la dernière phase du développement capitaliste à la veille de la révolution sociale. Mais l'élaboration d'un plan de lutte contre l'impérialisme est la tâche du programme général communiste, qui doit caractériser la phase impérialiste du capitalisme et le remplacement de l'impérialisme par le communisme. Un programme d'action doit éclairer la lutte émancipatrice du prolétariat à l'heure actuelle. Il doit servir à l'organisation et au développement des actions; or les actions, on le sait, ne sont possibles que sur la base de revendications et de mots d'ordre spéciaux correspondant à une situation parfaitement déterminée. S'il est juste, un programme d'action destiné à une phase entière de développement (jusqu'à la conquête du pouvoir) est en réalité un programme général. On peut créer la liaison demandée par Brandler entre les revendications immédiates et le but final, c'est-à-dire orienter la lutte journalière vers le but final, non pas en atténuant les différences entre le programme général et le programme d'action, mais uniquement en tirant des mots d'ordre d'action contenus dans ce dernier nos mots d'ordre de propagande, qui ne se transforment en mots d'ordre d'action que dans une situation révolutionnaire aiguë.

Qu'est donc le programme du parti communiste, où plutôt que doit-il être[4]? Le programme "formule l'ensemble des principes, des buts et des méthodes essentielles de lutte des communistes" (en ce qui concerne les principes et les buts du communisme, ainsi que le contenu de ses conceptions, voir le discours de Lénine au 3e Congrès de l'I.C.[5]). Le programme fonde en principe et en théorie la conception historique des communistes. Il "formule" le développement historique de la société allant du capitalisme au socialisme. II explique au prolétariat ainsi qu'à tous les travailleurs et à tous les exploités leur situation dans la société capitaliste et "leur indique la voie menant à la victoire sur la bourgeoisie et à l'édification de la société socialiste". Le programme communiste est-il un guide pour l'action? Certes, car sans cela, il n'aurait aucune raison d'être. C'est pourquoi le programme de tout parti prolétarien doit renfermer des indications tactiques générales correspondant aux principes généraux du mouvement communiste et aux conditions de l'époque de transition. Lénine a toujours souligné avec une force particulière le caractère d'actualité du programme.

Lénine disait que notre programme ne serait qu'un misérable chiffon de papier s'il ne nous aidait pas dans toutes les vicissitudes et péripéties de notre lutte[6]. Il entendait par là une aide cadrant avec l'observation du programme et non avec sa violation: du moment que notre programme est la formulation du développement historique de la société allant du capitalisme au socialisme, il doit évidemment formuler dans les grands traits toutes les phases de ce développement, c'est-à-dire indiquer toujours au prolétariat la ligne à suivre pour se rapprocher du socialisme. Il s'ensuit qu'il ne doit pas y avoir dans la vie du prolétariat de moment où ce dernier soit obligé d'abandonner son programme ni de moments où ce programme l'abandonne.

Mais de là découle la conclusion pratique qu'il ne doit pas y avoir de moment où le prolétariat, porté par les événements au pouvoir, ne puisse pas ou ne doive pas prendre des mesures déterminées pour réaliser son programme, des mesures transitoires dans l'esprit du socialisme. L'affirmation d'après laquelle, à un moment quelconque de la domination politique du prolétariat, le programme socialiste peut n'avoir aucune valeur, ne donner aucune indication pour sa réalisation, recouvre implicitement une autre affirmation: l'affirmation que le programme socialiste est en général irréalisable.

Ainsi raisonnait Lénine.

Oui, le programme est un guide d'action, mais un guide qui ne vaut pas seulement pour des mois et des années, mais pour toute une période historique, pour l'époque de transition du capitalisme au communisme. Les modifications de la situation n'entraînent pas, ou plutôt ne doivent pas entraîner le changement du programme. En somme, le parti communiste doit avoir un seul programme pour toute son existence. Néanmoins, aucun parti communiste, pas même le P.C. de l'U.R.S.S., ne peut pratiquement satisfaire à cette revendication idéale. Les bolcheviks, sous la direction de Lénine, ont été obligés en 1919 de modifier et de compléter considérablement l'ancien programme de 1903, à l'élaboration duquel avaient pris part Lénine et Plékhanov (ce dernier était alors encore révolutionnaire), c'est-à-dire les deux plus éminents représentants du marxisme révolutionnaire de l'époque. Le programme de 1903 était ce que la pensée marxiste pouvait alors donner de meilleur. Mais, en 1917, ce programme avait considérablement vieilli. Il ne contenait pas et ne pouvait contenir, étant donné les conditions de la période où il fut rédigé, la caractéristique de la nouvelle époque, de l'impérialisme et des soviets, forme essentielle de la dictature prolétarienne, sans parler d'une série de problèmes secondaires. Lors de l'application de la Nep, on se vit dans la nécessité de compléter et de rectifier partiellement le programme de 1919, qui était au fond tout à fait juste mais qui ne tenait pas compte (parce que c'était alors impossible) d'une étape comme la Nep dans la période de transition. Si même le programme des bolchéviks a eu besoin d'être deux fois révisé (il ne s'agit pas ici du "révisionnisme" réformiste, mais d'une plus grande concrétisation des conditions de l'époque transitoire et des méthodes de lutté de la classe ouvrière), il est très probable que le programme de l'I.C. et de ses autres sections aura besoin d'être revu, complété et modifié dans les détails à plusieurs reprises au cours des événements historiques. Si pourtant nous disons que le programme des communistes ne doit pas varier en fonction de la situation, nous avons en vue non pas les difficultés objectives inévitables dans l'élaboration du programme, difficultés liées à l'étroitesse de notre vision qui n'embrasse pas toutes les étapes dans la voie menant du capitalisme au communisme, mais le but objectif que doivent s'assigner les communistes dans l'élaboration du programme du parti. Le programme doit indiquer à la classe ouvrière "la ligne à suivre pour se rapprocher du socialisme" pour toute la période de lutte pour la société communiste[7]. Il doit, "dans les grands traits, embrasser toutes les phases" du développement social du capitalisme au communisme. Si ce but n'est pas entièrement atteint, c'est uniquement parce que la prévision humaine n'est pas assez puissante, même quand elle utilise une méthode de connaissance aussi parfaite que le matérialisme historique.

Il en est tout autrement du "programme d'action". Le "programme d'action" est une plate-forme tactique renfermant les revendications temporaires du moment. Nous avons indiqué plus haut que le programme du parti doit donner au prolétariat "la ligne" générale "à suivre pour se rapprocher du socialisme". Le "programme d'action" est un cas particulier de l'application de cette ligne générale à un moment politique déterminé, dans une situation concrète déterminée. Les mots d'ordre et la tactique du parti doivent varier en fonction de la situation objective. C'est là un des principes indiscutables de la lutte révolutionnaire. L'expression de ce principe, c'est l'aphorisme de Karl Liebknecht d'après lequel la tactique du parti peut changer 24 fois en 24 heures. De même le "programme d'action" doit varier conformément aux modifications de la situation. Il doit toujours avoir à sa base l'analyse et l'appréciation du moment présent. Brandler lui-même juge nécessaire ‑ et avec raison du point de vue méthodologique ‑ de fonder le "programme d'action" sur un exposé cohérent de ses vues, "en premier lieu sur le moment actuel". Jusqu'à quel point il s'est acquitté de cette tâche, c'est là une autre question. Mais, sous ce rapport, sa façon de poser le problème est incontestablement juste. Mais c'est précisément ce qui montre avec une netteté particulière l'erreur d'ensemble de Brandler. En effet, le programme de l'I.C. et de ses différentes sections est fondé (ou doit être fondé) sur l'étude de toute l'époque d'évolution du capitalisme au communisme. Le "programme d'action" opère sur les particularités du moment actuel, sur les particularités de la situation concrète existante. Le programme des communistes est un guide général d'action pour toute l'époque de la révolution prolétarienne. Le "programme d'action" est un guide pratique direct pour la lutte dans une situation donnée. Et, dans les deux programmes, la destination directe, les points de départ et le contenu sont autres. S'ensuit-il que le "programme d'action" doive nécessairement être en contradiction avec le programme général ou ne pas correspondre à ce programme? Certes non. Rien ne motive une telle déduction. Le parti a toujours besoin d'un "bon programme d'action", c'est-à-dire d'une plate-forme tactique. Sa tactique est déterminée non seulement par les buts et principes du mouvement communiste, mais aussi par les conditions objectives de la phase actuelle. Si l'on expose dans une plate-forme spéciale les tâches tactiques du parti dans la situation actuelle, on n'aura autre chose qu'un "programme d'action". De tels programmes d'action sont nécessaires dans les situations déterminées, mais nous ne pouvons admettre que l'on confonde le "programme d'action" avec le programme général du parti. Or c'est là précisément l'erreur de Brandler. Ce que Brandler propose au parti allemand comme projet ou esquisse de "programme d'action" confond le programme avec la tactique et, par suite, ne vaut rien ni comme programme ni comme plate-forme tactique d'action. Le "programme d'action" de Brandler est fondé sur une base politique erronée. L'erreur méthodologique dans la question du programme est en liaison avec une ligne politique fausse.

*

*  *

Au 4e congrès de l'I.C., lors de l'examen de la question du programme, il se déroula entre Boukharine et Thalheimer une discussion intéressante au sujet des revendications provisoires[8]. Cette discussion a un rapport direct avec le problème que pose Brandler dans son article. C'est pourquoi nous nous y arrêterons quelque peu.

Au 4e congrès, Boukharine se prononçait contre l'insertion des revendications provisoires et partielles dans le programme de l'I.C.

Quelques camarades, disait-il, affirment que les questions tactiques comme la confiscation des valeurs réelles en Allemagne, la tactique du front unique, ou la question du gouvernement ouvrier doivent être également résolues dans le programme. Varga dit que protester contre cela, c'est témoigner d'une poltronnerie de pensée. (Radek: Très vrai!) Mais j'affirme que le désir de fixer une fois pour toutes ces questions n'est que l'expression des penchants opportunistes de certains camarades. (Rires.) Les questions et mots d'ordre comme le front unique, le gouvernement ouvrier, la confiscation des valeurs réelles sont fondés sur une base extrêmement mouvante. Cette base consiste dans une certaine dépression du mouvement ouvrier. Et voilà que ces camarades veulent fixer dans le programme l'état de défensive où se trouve le prolétariat, rendant par la même l'offensive impossible. Je lutterai contre cela par toutes les mesures. Nous ne permettrons jamais d'introduire de tels points dans le programme. (Radek: Qui ça nous?) Nous, c'est-à-dire les meilleurs éléments de l'Internationale Communiste. (Rires, applaudissements.)

Boukharine proposait de réunir les questions purement tactiques dans un "programme d'action" spécial qui pût varier à tout moment, et même s'il le fallait tous les quinze jours. Thalheimer protestait contre l'exclusion des revendications provisoires et partielles du programme général de l'I.C. et des programmes nationaux. Il insistait pour que l'on insérât dans le programme non pas des "revendications concrètes" élaborées dans tous les détails, mais "les indications tactiques essentielles, les principes essentiels... d'où toutes ces revendications concrètes isolées découleraient exactement et sans équivoque". Ne pas inclure les revendications transitoires dans le programme et séparer, détacher la tactique des buts et des principes recèle un danger d'opportunisme, disait Thalheimer. Et il se référait en l'occurrence à l'histoire de la 2e Internationale.

Dans cette partie, les objections de Thalheimer à Boukharine étaient entièrement justes. Le congrès de l'I.C. rejeta le point de vue de Boukharine. Dans sa résolution sur la question du programme, résolution adoptée sur l'intervention de Lénine, il est dit entre autres[9]:

Dans les programmes des sections nationales, on doit établir clairement et nettement la nécessité des revendications provisoires; on doit, en outre, faire les réserves qui s'imposent concernant la dépendance de ces revendications à l'égard des conditions réelles de temps et de lieu. Le programme général de l'I.C. doit justifier théoriquement toutes les revendications transitoires et partielles, et le congrès condamne catégoriquement la tendance considérant comme de l'opportunisme le fait d'inclure les revendications transitoires dans le programme; il condamne également toutes les tentatives d'estomper ou de remplacer les tâches révolutionnaires essentielles par les revendications partielles.

Mais, tout en repoussant le point de vue de Boukharine dans la question des revendications transitoires, le congrès de l'I.C. ne se solidarisait pas entièrement avec les vues de Thalheimer. Outre les paroles que nous avons citées, Thalheimer, dit encore au congrès:

Il me semble que, dans la période actuelle, outre des questions qui dans tous les pays différent les unes des autres et changent chaque mois, chaque semaine, il existe une série de questions importantes de caractère général, qu'il est nécessaire de fixer dans le programme communiste... Je veux traiter quelques questions de l'époque de transition qui, à mon avis, doivent être nécessairement incluses dans le programme général. Telles sont les questions du contrôle de la production et du capitalisme d'État, les directives sur la politique fiscale et financière des différents partis. (Des voix: Très juste!) En effet le parti se heurte chaque jour à ces questions. Leur forme concrète change. (Boukharine: Ah! voilà donc ce qu'il en est!) Oui elle change, mais il doit exister des directives dont on puisse tirer les indications pratiques nécessaires. Prenons, par exemple, le programme d'Erfurt: il renferme les principes de la politique fiscale, mais maintenant ces principes ont déjà vieilli.

Le IVe congrès n'adopta pas ces propositions de Thalheimer. Il ne reconnut possible d'insérer les revendications transitoires dans le programme des partis communistes qu'en faisant des réserves "sur la dépendance de ces revendications à l'égard des conditions concrètes de temps et lieu". Thalheimer proposait d'inclure dans le programme général de l'I.C. la revendication du contrôle ouvrier, les directives sur la politique fiscale et financière, etc. sans aucune réserve. Il considérait que ces revendications et directives sont communes et conservent leur valeur jusqu'à la conquête du pouvoir par le prolétariat. Le leitmotiv de toute l'argumentation de Thalheimer, c'est la pensée que les communistes, outre leur programme général, doivent avoir un programme minimum fixant les revendications permanentes du parti dans toute la période allant jusqu'à la conquête du pouvoir. Ce qui montre que Thalheimer proposait d'adopter un tel programme minimum, c'est sa référence au programme d'Erfurt, dont il considérait les revendications comme insuffisantes et périmées, mais dont, manifestement, il adoptait le type. C'est ce qu'atteste également sa déclaration suivante au IVe congrès:

Maintenant je passe à la question... sur laquelle je suis nettement en désaccord avec Boukharine. C'est la question des revendications de la période transitoire, des revendications partielles, du programme minimum.

Polémiquant avec Boukharine, Thalheimer tentait de se référer à la brochure Pour la révision du programme du parti, écrite par Lénine en automne 1917[10]. Dans cette brochure, Lénine insistait pour qu'on conservât le programme minimum tant que la domination de la bourgeoisie ne serait pas renversée. Mais c'était à tort que Thalheimer tentait en l'occurrence de s'appuyer sur Lénine. Après la révolution victorieuse d'Octobre, après le début des révolutions européennes et la création de l'Internationale Communiste, une série de questions fondamentales de stratégie et de tactique se posèrent devant mouvement communiste mondial de toute autre façon qu'en 1917, avant la révolution d'Octobre. Pour connaître l'opinion de Lénine sur la question de savoir s'il convient aux partis communistes de conserver le programme minimum, il suffisait à Thalheimer de consulter les décisions du IIIe congrès de l'I.C. Dans la résolution de ce congrès sur la tactique, résolution que Lénine dut défendre contre Thalheimer, qui était alors de la "gauche", il est dit[11]:

Il convient de prendre chaque revendication des masses pour point de départ d'actions révolutionnaires qui se fondront progressivement dans le courant puissant de la révolution sociale.

Dans cette lutte, les partis communistes ne posent pas un programme minimum qui, dans le cadre du capitalisme, affermirait l'édifice chancelant de ce dernier. La destruction de cet édifice reste la tâche fondamentale des communistes. Mais pour s'acquitter de cette tâche, les partis communistes doivent poser des revendications qui satisfassent les besoins urgents de la classe ouvrière. Ils doivent, par la lutte de masse, obtenir la satisfaction de ces revendications, qu'elles soient compatibles ou non avec le maintien du régime capitaliste...

Au lieu du programme minimum des centristes et des réformistes, l'Internationale Communiste préconise la lutte pour les revendications concrètes du prolétariat, revendications qui dans leur ensemble désagrègent le pouvoir de la bourgeoisie, organisent le prolétariat et sont des étapes dans la lutte de ce dernier pour la dictature.

De la sorte, l'idée du programme minimum fut enterrée au troisième congrès de l'I.C. Certes, nous sommes loin de penser que Thalheimer voulait imposer à l'Internationale Communiste un programme minimum susceptible d'affermir le capitalisme. Nous voulons simplement montrer que la proposition même de programme minimum faite par Thalheimer au IVe congrès était erronée et ne pouvait aucunement se justifier par l'autorité de Lénine.

Que doit être un "programme d'action"? Dans son article, Brandler dit:

Le parti doit avoir un programme d'action reliant en un système cohérent ses revendications. Ce programme ne saurait être une réédition du programme d'Erfurt, comme le proposait Maslow en 1925. Nous ne pouvons, pour les raisons énumérées plus haut, nous borner à un programme de réformes dans le cadre de l'État bourgeois et du capitalisme. D'autre part, le programme d'action ne peut être non plus un simple assemblage de mots d'ordre finals. Sa tâche, c'est de relier les revendications immédiates et finales: les unes découlent des autres. Développant conséquemment les revendications journalières immédiates (salaires, journée de travail, etc.), le programme d'action doit poser tout une série de mesures compréhensibles aux travailleurs et dictées par les besoins actuels de ces derniers, mesures dont la réalisation équivaut à une ingérence révolutionnaire dans le système d'économie capitaliste et met en question la domination de la bourgeoisie. Ce sont des mesures transitoires, des revendications transitoires, mais non dans l'esprit du programme d'Erfurt, qui est réalisable dans le cadre de l'État bourgeois; ce sont des revendications qui doivent être satisfaites au cours de la lutte et qui, satisfaites, frayent la voie à la lutte pour les buts finals, pour les mots d'ordre finals.

Le "programme d'action" ne saurait être, selon Brandler, un simple assemblage de mots d'ordre finals. Il ne saurait se borner non plus à des revendications de réformes réalisables en régime capitaliste. Il doit relier "les revendications immédiates et finales". Comment arriver à les relier? En ne posant dans le "programme d'action" ni mots d'ordre communistes fondamentaux, ni revendications partielles concrètes actuelles. Le "programme d'action", d'après Brandler, porte principalement, non pas sur les principes du mouvement communiste, sur les taches tactiques concrètes du moment, mais uniquement sur les revendications provisoires à caractère général. Qu'est-ce que ces revendications provisoires "générales"? Souvenons-nous de ce que disait Thalheimer, au 4e congrès de l'I.C., du contrôle de la production, du capitalisme d'État, des directives en matière de politique fiscale et financière. Il démontrait que ces questions, quoique relevant de la période de transition, ont un caractère général pour tous les pays jusqu'à la conquête du pouvoir. Il demandait qu'elles fussent incluses dans le programme général de I'I.C. Le congrès rejeta cette proposition. Maintenant, ce sont ces questions, et seulement ces questions, que Brandler insère dans son "programme d'action". Il convient de noter à ce propos que son "programme d'action" est établi également pour toute la période allant jusqu'à la conquête du pouvoir par le prolétariat. Le 4e congrès de l'I.C. a condamné "toutes les tentatives d'estomper les tâches révolutionnaires essentielles ou de les remplacer par des revendications partielles"[12]. Le "programme d'action" de Brandler est une de ces tentatives. Et maintenant on voit que Boukharine n'avait pas entièrement tort d'affirmer au IVe congrès que "le désir de résoudre une fois pour toutes (dans le programme) ces questions n'est autre chose que l'expression des tendances opportunistes de certains camarades".

Mettant à la place des tâches révolutionnaires essentielles du mouvement communiste les revendications transitoires, Brandler tente de s'appuyer sur l'autorité d'Engels. Il assimile les revendications provisoires au programme de mesures proposé par Engels et Marx en 1847. Mais, ce faisant, Brandler omet un petit "détail". Dans l'article cité par Brandler, Engels parle des mesures révolutionnaires que défendra "à main armée tout le prolétariat soulevé". Chez Engels, il s'agit de mesures pour la transformation graduelle de tout le mécanisme de production, de mesures dont la réalisation ne deviendra possible qu'après la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière ou, comme il est dit dans le Manifeste communiste et dans le Programme des Communistes allemands. Ce sont là, indiscutablement, des mesures transitoires. Mais c'est le prolétariat "organisé en classe dominante" qui doit les réaliser. Comment peut-on assimiler à de telles mesures provisoires les revendications transitoires que le parti met au premier plan avant le renversement du pouvoir capitaliste?

Comment expliquer cette erreur impardonnable de Brandler? Il nous faut, semble-t-il, en chercher l'explication dans la tendance objective du "programme d'action" mis en avant par Brandler, dans sa logique interne. Le "programme d'action" de Brandler est fondé entièrement sur les revendications transitoires. Il ne compte ni les buts finals, ni les principes généraux, ni les mots d'ordres révolutionnaires essentiels du mouvement communiste. Ainsi ce n'est pas par hasard que Brandler, quoiqu'il parle, dans l'introduction à son "programme d'action", de la nécessité de relier les buts finals aux revendications courantes, ne tente pas une seule fois dans son programme de relier aux mots d'ordre finals son mot d'ordre fondamental de "contrôle de la production". Évidemment, avec une telle position politique, la perspective de l'insurrection et du coup de force révolutionnaire s'estompe, le problème de la dictature du prolétariat perd de son acuité et la limite qui sépare l'État bourgeois de l'État prolétarien s'efface. Ce "programme d'action", qui n'est qu'un système de revendications transitoires, engendre nécessairement l'opportunisme. L'opportunisme en l'occurrence, c'est que la tâche de la conquête révolutionnaire du pouvoir est reléguée au second plan par le système des revendications transitoires, ou même complètement écartée. Telle est la logique interne du "programme d'action" de Brandler, et ce qui dévoile le mieux cette logique, c'est la citation d'Engels à l'aide de laquelle Brandler croyait consolider son "programme d'action".

(À suivre)

[Deuxième partie]

(Suite et fin)

3. Le mot d'ordre du contrôle de la production

Brandler traite d'une façon très vague du mot d'ordre du contrôle de la production. D'un côté, il confond le programme général avec le programme d'action; d'un autre côté, il donne des explications contradictoires sur ce qu'est le contrôle de la production. Dans un endroit, il dit que "l'établissement d'un contrôle de la production équivaut à une ingérence révolutionnaire dans l'économie capitaliste", que c'est "le premier pas vers l'expropriation des expropriateurs". Par suite, cela ne devient une tâche concrète que dans une situation révolutionnaire aiguë. Dans ce passage, Brandler indique tout à fait logiquement que "les premiers temps, le contrôle de la production ne peut être posé que comme mot d'ordre de propagande", mais quelques alinéas plus loin, il dit textuellement que le mot d'ordre du contrôle de la production est déjà maintenant "la tâche centrale" du prolétariat, "le problème actuel à l'ordre du jour". La deuxième affirmation s'explique par le fait que, au stade actuel de la lutte émancipatrice du prolétariat, Brandler entend par contrôle de la production quelque chose d'autre qu'au moment d'une situation révolutionnaire aiguë.

À l'époque du capitalisme monopolisateur, dit-il, quand les trusts et les consortiums... déterminent directement non seulement la vie économique, mais encore la politique extérieure et intérieure, la divulgation de l'activité des magnats des trusts et des consortiums permettra de découvrir toutes les manœuvres exécutées par la bourgeoisie pour affermir sa domination. La divulgation des pratiques secrètes et de l'exploitation effrénée des monopoles capitalistes est un chaînon essentiel dans la lutte de classe prolétarienne et une condition permettant de rassembler, d'organiser et de préparer les masses à la lutte pour le renversement définitif des parasites capitalistes.

Ainsi Brandler comprend le contrôle de la production à l'heure actuelle comme un rassemblement de documents par les comités d'usines et les syndicats sur la pratique des monopoles capitalistes[13].

On ne saurait faire d'un mot d'ordre de propagande le point central ou le mot d'ordre central d'un programme d'action. D'un autre côté, nommer contrôle de la production un rassemblement de matériaux et des divulgations économiques, serait erroné et ne ferait qu'embrouiller toutes les conceptions économiques et politiques.

En tant que matérialistes historiques et dialectiques marxistes, nous ne devons pas, évidemment, négliger la liaison vivante entre les mots d'ordre actuels et les mots d'ordre de propagande au cours de la lutte révolutionnaire. La divulgation des pratiques spoliatrices des magnats des trusts est indubitablement une partie constituante essentielle de la lutte de classe. Mais comment peut-on identifier cette divulgation avec un "contrôle rigoureux de l'activité économique et politique des magnats des trusts et des consortiums". Tant que subsistera le capitalisme, particulièrement sous sa forme monopolisatrice, le prolétariat et son parti n'auront que de temps à autre la possibilité de dévoiler telle ou telle tromperie, telle ou telle escroquerie, tel ou tel cas d'usure. Mais la classe des opprimés peut-elle "contrôler rigoureusement" toute l'activité de la classe dominante? C'est impossible. En effet l'économie peut servir ou les buts des capitalistes qui recherchent le profit, ou les buts du prolétariat, c'est-à-dire la satisfaction des besoins de ce dernier. Sans la suppression de la propriété individuelle des moyens de production les plus importants, il est impossible d'organiser un contrôle économique dans l'intérêt des travailleurs. C'est pourquoi le problème du contrôle ouvrier doit être posé en tant que problème du pouvoir.

Or que dit Brandler?

Ce n'est que par l'union des forces combattives des travailleurs que l'on pourra obtenir un droit de regard sur le "secret commercial" des capitalistes et, en le dévoilant, mettre fin à cette pratique.

Est-il possible qu'avec "l'union des forces combattives des travailleurs" on ne puisse faire rien de mieux que de pénétrer les secrets commerciaux? Étonnante révélation! Ce qui est encore plus étonnant, c'est qu'après avoir découvert la pratique commerciale de la bourgeoisie au moyen de ces forces combattives, on puisse mettre fin à cette pratique. Jusqu'à présent nous croyions que l'on ne mettrait fin à cette pratique qu'en renversant la bourgeoisie et en instaurant la dictature du prolétariat. Pourtant, on ne saurait admettre que Brandler soit d'une opinion contraire à celle de Marx et qu'il ait songé à remplacer la critique des armes par l'arme de la critique. Il ne croit probablement pas lui-même que la divulgation des pratiques commerciales courantes mettra fin à ces dernières.

Brandler aurait dû analyser plus profondément le mot d'ordre du contrôle de la production sous la forme qu'il a revêtue en 1917 en Russie et en 1918 en Allemagne. En septembre 1917, Lénine dans sa brochure La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer, posa et justifia le mot d'ordre du contrôle de la production[14]. Par contrôle il entendait avec raison un système de revendications politiques et économiques se complétant mutuellement. Comme mesures principales il fixait les suivantes:

1. Fusion de toutes les banques en une seule contrôlée par l'État, autrement dit nationalisation des banques;

2. Nationalisation des syndicats, c'est-à-dire des groupements capitalistes les plus importants exerçant un monopole (sucre, naphte, charbon, métallurgie, etc.);

3. Suppression du secret commercial;

4. Obligation pour tous les industriels, commerçants et patrons de se grouper en syndicats;

5. Groupement obligatoire ou encouragement au groupement de la population en sociétés de consommation soumises au contrôle de l'État. (Lénine: Sur la Route de l'Insurrection, p. 72.)

Lénine reliait étroitement ces revendications à celle de l'instauration de la dictature du prolétariat. Les adversaires des bolchéviks reprochaient à Lénine le caractère syndicaliste de la revendication du contrôle ouvrier. Lénine dans sa brochure Les bolcheviks conserveront-ils le pouvoir? répondit que le contrôle de la production mettait au premier plan le facteur politique et était indissolublement lié à la conquête du pouvoir politique par le prolétariat.

Lorsque nous posons le mot d'ordre "contrôle ouvrier", en l'accompagnant, en le faisant précéder invariablement de celui de "dictature du prolétariat", nous expliquons par là même de quel État il s'agit. L'État est l'organe de la domination d'une classe. De laquelle? Si c'est de la bourgeoisie, l'on a alors l'État "cadet-kornilovien-kérenskiste" sous lequel le peuple ouvrier gémit déjà depuis plus de six mois. S'il s'agit de l'État prolétarien, c'est-à-dire de la dictature du prolétariat, le contrôle ouvrier peut devenir l'enregistrement complet, exact et minutieux de la production et de la répartition des produits. C'est là qu'est la principale difficulté, c'est là qu'est le problème capital de la révolution prolétarienne, c'est-à-dire socialiste. Sans les soviets ce problème, tout au moins en Russie, serait insoluble. Les soviets fixent le travail d'organisation par lequel le prolétariat pourra résoudre ce problème d'une importance historique mondiale. (Lénine: Sur la Route de l'Insurrections, p. 125).

C'est ainsi également que fut posée la question du contrôle de la production à la première conférence des comités d'usines qui eut lieu à Pétrograd le 12 juin 1917. Après le discours de Lénine, la conférence adopta la résolution des bolcheviks, dans laquelle il était dit:

L'application méthodique et fructueuse de toutes les mesures indiquées n'est plus possible que par le passage de tout le pouvoir politique aux mains des soviets de députés ouvriers soldats et paysans.

De ces explications de Lénine, il ressort que le contrôle de la production est inséparable des mesures politiques révolutionnaires du prolétariat. Un contrôle de la production sans les soviets est un non-sens. Un contrôle de la production sans armement du prolétariat est un non-sens. Un contrôle de la production sans une lutte directe pour la dictature du prolétariat est un non-sens. En d'autres termes, le contrôle de la production est une conception sommaire impliquant toutes les mesures économiques pour lesquelles lutte le prolétariat dans une situation révolutionnaire aiguë et que l'on ne peut réaliser qu'an moyen de la conquête du pouvoir politique. Le contrôle de la production, outre les prémisses politiques de la lutte prolétarienne révolutionnaire, implique la nationalisation; en tout cas, il est inséparable de cette deuxième mesure de la dictature prolétarienne.

Si l'on part de la conception léniniste du contrôle de la production, on verra que ce contrôle est étroitement lié à la nationalisation et au pouvoir soviétique. Brandler dit que le contrôle de la production doit être un mot d'ordre d'unification à l'époque des trusts. Mais les trusts sont des monopoles à caractère capitaliste privé, et leur influence économique et politique ne peut être brisée que s'ils passent aux mains de l'État prolétarien, c'est-à-dire à la régie de l'État sous le contrôle du prolétariat. Quoique Brandler parle beaucoup de la nécessité de relier les revendications économiques et politiques, il commet une erreur fondamentale en négligeant le facteur politique du contrôle de la production. Pour Brandler, il est vrai, le contrôle de la production, à un certain degré de développement, se transforme, de rassemblement de matériaux, en "ingérence révolutionnaire directe" du prolétariat, mais telle "ingérence" n'est accompagnée d'aucune mesure politique d'organisation. Par suite, Brandler arrive à parler pendant plusieurs pages du contrôle de la production sans faire une seule fois mention de l'armement du prolétariat, des soviets révolutionnaires de députés ouvriers et de la nationalisation. Brandler répliquera peut-être que le contrôle de la production, compris comme mot d'ordre de la propagande, implique déjà ces revendications et prémisses politiques. Mais comment peut-on employer le mot d'ordre du contrôle ouvrier de la production sans toucher à ce contenu politique? Brandler veut introduire un contenu politique dans le mot d'ordre du contrôle de la production qui n'a pas pour lui seulement une valeur de propagande, et ce contenu consiste, selon lui, dans la divulgation des machinations secrètes et de l'exploitation effrénée des monopoles capitalistes. Personne ne songe à estomper cette tâche; en effet dans les thèses d'Essen, par exemple, il est dit[15]:

Le parti doit dévoiler la politique d'exploitation et de spoliation pratiquée par les trusts et les cartels et grouper les comités d'usines pour qu'ils obtiennent l'extension de leurs droits et de leurs pouvoirs au moyen d'une lutte de classe implacable contre les entrepreneurs.

Dans les directives spéciales du C.C. du parti, ces revendications ont été à maintes reprises concrétisées et spécifiées. Ainsi il ne s'agit pas de savoir si l'on pose ou non la revendication de mesures de cet ordre, niais de savoir si ces mesures sont considérées comme les premiers degrés ou les premiers pas du contrôle de la production et s'il faut en attendre des miracles comme Brandler lorsqu'il dit:

Sans l'établissement du contrôle ouvrier, sans la pénétration des "secrets commerciaux" de ce capital concentré, sans une lutte acharnée contre chaque cas d'escroquerie, toute lutte syndicale pour les salaires et la journée de travail, toute action coopérative tendant à fournir aux travailleurs des objets d'usage courant à bon marché, tout effort pour l'amélioration des conditions d'habitation, en un mot toute activité sociale et politique est un travail de Sisyphe.

Si cette phrase signifie que, sans la mainmise des ouvriers sur la direction de l'économie, tout succès dans la lutte journalière est réduit à néant, c'est une exagération ultra-gauche. Mais si cela veut dire que, sans la prise du pouvoir par le prolétariat, les succès remportés dans la lutte quotidienne peuvent devenir des conquêtes durables grâce à la mise à jour des secrets commerciaux, c'est là l'opportunisme le plus vulgaire. L'idée que l'on peut, en régime capitaliste, supprimer l'exploitation des cartels maîtres des prix en pénétrant les secrets commerciaux est une illusion petite-bourgeoise de partisan de la législation dirigée contre les trusts.

Analogue est le caractère de cette remarquable affirmation:

Le mot d'ordre du contrôle de la production permet d'expliquer aux ouvriers la nécessité d'une ingérence révolutionnaire dans la production capitaliste sous telle ou telle forme concrète adaptée aux besoins des prolétaires unis dans la lutte pour les revendications immédiates.

Cette phrase montre la confusion qui règne dans l'esprit de Brandler en ce qui concerne la question du contrôle de la production. S'agit-il ici du mot d'ordre de propagande du contrôle ouvrier de la production dans l'esprit léniniste au cours d'une situation révolutionnaire aiguë? Évidemment non. Cette thèse a plutôt pour but d'estomper le caractère spécial de situations diverses et de souligner le fait que le contrôle de la production peut être en même temps mot d'ordre de propagande et mot d'ordre d'agitation. Mais si cette thèse se rapporte à la situation existante, comment une ingérence révolutionnaire dans la production capitaliste est-elle possible? En effet, considérer comme une ingérence révolutionnaire la divulgation des secrets commerciaux est manifestement de l'opportunisme. Quelle ingérence révolutionnaire concrète est possible à tel ou tel moment? Dans une situation révolutionnaire, les ouvriers armés montreront aux entrepreneurs dans leurs entreprises et à l'appareil d'État détenu par la bourgeoisie ce qu'est une ingérence révolutionnaire. Mais sans armement ni soviets révolutionnaires, le prolétariat, malgré toutes les belles formules de Brandler sur le contrôle de la production, ne pourra s'ingérer révolutionnairement dans la production capitaliste.

Le mot d'ordre du contrôle de la production, d'après Brandler, unifie toute la lutte et lui confère un caractère politique. Donner à la lutte un caractère politique, enseigne Brandler, ce n'est pas simplement "accoler des revendications politiques à des revendications économiques" (par exemple, accoler le mot d'ordre du gouvernement ouvrier et paysan ou de la nationalisation à une revendication d'augmentation de salaire de 15 pfennigs). Évidemment il ne s'agit pas d´"accoler" mais de relier logiquement les revendications découlant de telle ou telle situation. Nous ne voyons pas pourquoi on ne pourrait pas, lorsque les antagonismes de classe s'accentuent, relier la lutte pour les salaires et la journée de travail à des revendications politiques. "Augmentation de 15 pfennigs" et "contrôle de la production", cela ne sonne pas mieux que le mot d'ordre dont se moque Brandler; en outre, si ces revendications ne sont reliées au mot d'ordre politique du gouvernement ouvrier et paysan elles sont vides de sens et opportunistes. Mais lorsque le prolétariat mène une lutte sérieuse contre l'abaissement des salaires et l'augmentation de la journée de travail, comme c'était le cas dans l'industrie minière anglaise en 1926, n'est-il pas rationnel de relier le mot d'ordre "Pas un pfennig de moins, pas une minute de plus!" au mot d'ordre "À bas le gouvernement conservateur qui mène l'offensive du capital. Vive le gouvernement ouvrier nationalisant l'industrie minière, la soumettant au contrôle ouvrier et assurant des conditions humaines de travail."?

Si le mot d'ordre du contrôle de la production est destiné à remplacer le mot d'ordre du gouvernement ouvrier et paysan, il est opportuniste. Il faut, comme le disait Lénine, que le mot d'ordre du contrôle de la production soit toujours accompagné, précédé de celui de la dictature du prolétariat. Si, par contrôle de la production, on entend l'organisation de divulgations économiques et qu'on fasse de ce contrôle un mot d'ordre central, c'est là de l´"économisme" du pire acabit, en dépit de tous les propos sur la nécessité de "donner un caractère politique à la lutte économique". Ce n'est pas sans raison que, dans sa lutte contre l'économisme. Lénine disait:

Il est évident que les social-démocrates non seulement ne peuvent pas se limiter à la lutte économique, mais ne peuvent pas admettre que l'organisation des divulgations économiques constitue le principal de leur activité (Lénine: Que faire?).

Brandler, il est vrai, dit que la lutte pour le contrôle de la production doit être une lutte pour le pouvoir, mais les mesures concrètes qu'il envisage pour atteindre ce but ne mènent pas le prolétariat dans la voie de la lutte politique pour le pouvoir. Utilisation de tous les organes de l'État bourgeois pour obtenir des matériaux sur la pratique des monopoles, union des ouvriers et des employés des trusts pour pénétrer les secrets économiques, revendication de la suppression du secret commercial et de la publication de la comptabilité, tels sont les moyens menant à des actions se transformant en "réalisation directe du contrôle des entreprises, c'est-à-dire en direction des entreprises". Il semble ressortir de là qu'en régime bourgeois, dans la période de stabilisation relative, on peut supprimer le secret commercial du capital, organiser une comptabilité ouverte et qu'alors seulement les ouvriers verront comment on les exploite et prendront des mesures pour s'emparer de la direction des entreprises.

Lénine parlait de la suppression du secret commercial, d'une comptabilité et d'un contrôle publics, mais cela dans une situation révolutionnaire aiguë, lorsque la lutte pour le pouvoir des soviets était à l'ordre du jour, et il reliait ces revendications à la nationalisation des banques et des trusts, au passage au socialisme (voir dans l'ouvrage: Sur la Route de l'Insurrection, l'article "Les bolchéviks conserveront-ils le pouvoir?").

Brandler, manifestement, considère que le contrôle de la production a une importance fondamentale parce que, dans la phase impérialiste du capitalisme, nous avons à lutter en premier lieu contre les monopoles capitalistes privés en transférant le centre de gravité dans l'activité spéciale et indépendante des ouvriers. Brandler s'imagine que c'est en posant le mot d'ordre du contrôle de la production qu'il combat le mieux la revendication de "démocratie économique" du parti social-démocrate. Ce faisant, il oublie que la social-démocratie pose la revendication d'une démocratie économique en liaison étroite avec celle d'une démocratie politique. Évitant de réclamer l'expropriation des capitalistes, la social-démocratie se borne à demander le partage du pouvoir économique et politique entre les capitalistes et les ouvriers. Si nous voulons la combattre efficacement sur ce terrain, nous devons souligner que ni mesures de contrôle à l'égard des entreprises privées, ni participation à la direction de la production ne peuvent supprimer la domination des entrepreneurs dans le domaine économique. Nous, communistes, nous ne voulons pas collaborer avec les entrepreneurs, nous voulons les chasser au cours de la nationalisation réalisée sous le contrôle des ouvriers. Nous devons souligner la conception de socialisation des moyens de production en réclamant la nationalisation et l'expropriation des capitalistes.

Pour contre-balancer la propagande réformiste sur la démocratie économique, nos camarades doivent déclarer nettement et fermement qu'une direction commune de la production par les ouvriers et les capitalistes est impossible, que la production peut être dirigée et contrôlée soit par les ouvriers soit par les capitalistes, mais que la condition nécessaire à cette direction et à ce contrôle est le pouvoir économique et politique. Se dérober à cette position nettement révolutionnaire de la question et se raccrocher à une sorte de contrôle mystique de la production en laissant ouverte la question de sa réalisation avant la conquête du pouvoir (au moyen du rassemblement de matériaux et de la suppression du secret commercial), c'est contribuer à cette tromperie qui a nom la démocratie économique. En effet, un "contrôle ouvrier" dans l'État bourgeois ne sera qu'une "démocratie économique", une collaboration entre ouvriers et entrepreneurs au profit de ces derniers.

Ainsi, le contrôle de la production ne peut être par lui-même le mot d'ordre central. Le désir de déterminer dès à présent quel sera le mot d'ordre central au moment d'une situation révolutionnaire aiguë témoigne d'une pensée non dialectique. Ainsi les bolcheviks en 1917 renforcèrent leur influence parmi le prolétariat et les paysans pauvres en lançant le mot d'ordre: "La terre et la paix". Ce n'est que plus tard que fut lancé le mot d'ordre du contrôle ouvrier de la production dans l'État. Il serait erroné de donner, avant la conquête du pouvoir politique, un mot d'ordre qui puisse servir de mot d'ordre central aussi bien en période de stabilisation relative qu'en période de lutte révolutionnaire aiguë.

Brandler apprécie également de façon fausse la situation en Allemagne. À l'heure actuelle, la lutte contre le bloc bourgeois est au premier plan dans la lutte de la classe ouvrière. La social- démocratie n'est pas assez sotte pour limiter son opposition apparente au bloc bourgeois, à la revendication de la démocratie économique. La démocratie économique n'est pas le mot d'ordre central de la social-démocratie; son mot d'ordre central est: "Plus près de l'État, plus de pouvoir", ce qui signifie "politique de coalition". S'imaginer qu'abandonner ou mettre à l'arrière-plan notre mot d'ordre de renversement du bloc bourgeois par le bloc de tous les travailleurs et remplacer ce mot d'ordre par la revendication du contrôle de la production puisse avoir une influence féconde sur les forces combattives des masses laborieuses allemandes, c'est ne pas avoir la moindre idée de la vie politique de l'Allemagne. Il est erroné également de croire que le mot d'ordre général du contrôle de la production contribuera à renforcer et à étendre notre lutte économique et syndicale. Si ce mot d'ordre est peu clair même pour les camarades qui l'ont posé à Essen et dans la suite comme mot d'ordre central et mot d'ordre d'action, si même ces camarades pour le justifier recourent à des arguments contradictoires, il y a tout lieu de croire que les masses à l'heure actuelle ne se laisseront pas séduire par ce mot d'ordre. La tâche du parti est d'exposer de façon précise ce qu'est le contrôle de la production, les mesures qu'il faut entendre par là; en d'autres termes il est nécessaire de développer dans cette question une large et persévérante propagande. Ce n'est que lorsque surviendra de nouveau une situation révolutionnaire aiguë qu'il sera possible de faire de ce mot d'ordre un mot d'ordre d'action. Quand le prolétariat sera armé, ne serait-ce qu'en partie, quand des soviets révolutionnaires seront constitués, nous pourrons conduire les masses à la lutte pour le pouvoir politique sous ce mot d'ordre, qui n'est à l'heure actuelle qu'un mot d'ordre de propagande, et alors la nationalisation sous le contrôle des ouvriers deviendra une tâche directe du prolétariat.

S'imaginer, comme Brandler, que le mot d'ordre du contrôle de la production, qui, selon lui, se réduit maintenant au rassemblement de matériaux sur l'action spoliatrice des monopoles, renforcera la lutte économique et donnera pour la première fois une base concrète à l'union de tous les travailleurs, c'est alimenter la foi au miracle. La campagne pour la confiscation des biens des princes déchus a permis de grouper autour d'un mot d'ordre unique 12 millions de travailleurs. Le congrès des travailleurs qui a eu lieu en 1926 a groupé aussi des millions de travailleurs dans la lutte contre les conséquences de la rationalisation. La lutte que mène actuellement le parti communiste contre le bloc bourgeois groupera au cours de son développement des millions de travailleurs, et le P.C.A., au fur et à mesure que se renforcera cette lutte, découvrira les formes d'organisation de ce bloc de combat. L'histoire du mouvement ouvrier de tous les pays démontre qu'on ne peut unir des millions d'hommes et les entraîner dans la lutte contre la bourgeoisie qu'en posant des revendications tout à fait concrètes, découlant directement de la situation. S'imaginer qu'un mot d'ordre de propagande peut jouer ce rôle, c'est ne pas comprendre le processus réel du mouvement ouvrier. Si Brandler s'était avisé de souligner la valeur de propagande du mot d'ordre du contrôle de la production, nous n'aurions rien à lui objecter. Dans les thèses du congrès d'Essen il est dit également:

À la rationalisation réalisée par le capitalisme exploiteur en décomposition, à la rationalisation qui a des effets désastreux pour les masses et qui détruit les forces de production sociales, le parti doit opposer le mot d'ordre de la dictature du prolétariat, l'organisation socialiste de l'économie et la rationalisation socialiste etc... Il doit dévoiler l'exploitation des trusts et des cartels et unir les comités d'usines dans la lutte pour l'extension de leurs droits et de leurs pouvoirs en combattant implacablement la classe des entrepreneurs. Il doit, plus énergiquement et de façon plus suivie qu'auparavant, organiser la lutte des ouvriers contre toute aggravation de leur situation, pour l'élévation de leur niveau de vie et, ce faisant, il doit savoir utiliser les luttes de toutes sortes, depuis la lutte journalière dans les entreprises jusqu'aux larges actions de masse contre le capital des trusts et son appareil d'État...

Au cours de son développement la lutte acharnée doit de nouveau donner naissance à une situation directement révolutionnaire, c'est-à-dire à une situation où les classes dominantes seront fortement désorganisées, où les masses prolétariennes seront en état d'effervescence révolutionnaire et où les couches moyennes se rangeront du côté du prolétariat. Au fur et à mesure que se rapproche cette situation, le parti communiste doit orienter de plus en plus nettement toutes les actions de masse sur le mot d'ordre du contrôle ouvrier de toute la production et de toute la répartition, en qualité de mot d'ordre préparatoire à l'expropriation de la bourgeoisie, à l'armement du prolétariat et à la formation de soviets politiques de députés ouvriers.

Mais quelques camarades de Thuringe, de Saxe et de Poméranie n'ont pas été contents que le contrôle de la production ait été formulé comme mot d'ordre de propagande: ils auraient voulu qu'il fût formulé comme mot d'ordre d'action. Brandler, manifestement, considère la formule du congrès d'Essen comme insuffisante, car dans son article il demande qu'on donne, déjà dans la situation actuelle, au mot d'ordre du contrôle de la production la valeur de mot d'ordre central et général, alors que le parti a posé comme mot d'ordre central et général en ce moment le bloc de combat des travailleurs pour le renversement du bloc bourgeois.

4. Le problème de l'État et le rôle du parti social-démocrate

La confusion qui règne dans l'esprit de Brandler en ce qui concerne le contrôle de la production est étroitement liée chez lui à l'absence d'une conception nette du problème de l'État. Après la définition, nette, précise du 5e congrès mondial, qui a indiqué que, par gouvernement ouvrier et paysan, il faut entendre la dictature du prolétariat, après la condamnation catégorique des conceptions opportunistes sur la possibilité d'une étape entre la dictature de la bourgeoisie et celle du prolétariat sous la forme d'un gouvernement ouvrier "démocratique", on aurait pu croire que Brandler allait apporter une nouvelle formulation mettant en pleine lumière la question litigieuse du gouvernement ouvrier et paysan. Dans ces décisions, le congrès d'Essen, entièrement d'accord avec les thèses du 5e congrès mondial, identifie le gouvernement ouvrier et paysan avec la dictature du prolétariat. Si Brandler approuve cette thèse, pourquoi donne-t-il une nouvelle formule ouvrant la possibilité d'une nouvelle interprétation?

D'après Brandler, le gouvernement ouvrier et paysan est un "gouvernement remplaçant la machine bureaucratique de l'État bourgeois par les organes de classe des travailleurs et réalisant le pouvoir politique par l'intermédiaire de ces organes". Cela signifie-t-il qu'un tel gouvernement puisse surgir par voie parlementaire constitutionnelle et qu'après seulement, on pourra créer les organes de classe des travailleurs et mener la lutte contre l'État bourgeois? Comment comprendre la proposition suivante de Brandler?

La forme développée de ces organes de classe est constituée par les soviets ouvriers et paysans, mais il peut y avoir différentes formes embryonnaires de soviets (comités de contrôle, centuries de 1923). Cela signifie-t-il que les soviets ne peuvent se développer qu'après l'instauration d'un gouvernement ouvrier et paysan et que ce dernier, les premiers temps, s'appuiera uniquement sur les comités de contrôle et les centuries? Nous sommes loin de contester la possibilité d'incarner au début, avant le développement complet des soviets, le pouvoir révolutionnaire dans des comités d'action révolutionnaires s'appuyant sur le prolétariat armé et sur de larges organes du pouvoir. Mais il faut dire nettement si la formation d'un gouvernement ouvrier et paysan coïncide avec le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie, avec la destruction de l'appareil d'État bourgeois, ou si ce gouvernement peut surgir "dans le cadre de la constitution" et, après avoir traversé un stade transitoire démocratique, se transformer en pouvoir des soviets.

Certaines formules de Brandler indiquent cette possibilité. Ainsi la revendication bourgeoise démocratique d'un État unique est acceptée avec les modifications suivantes:

Ils [les communistes] veulent la centralisation de l'Allemagne par la destruction de l'appareil démocratique pourri, et ils la veulent sur la base de l'autonomie la plus large possible. C'est une république soviétique allemande qui permet le mieux d'arriver à ce résultat.

Ainsi, on peut anéantir l'appareil bureaucratique de l'Allemagne bourgeoise en l'éliminant au profit d'une autre forme d'État bourgeois. La milice et le service militaire obligatoire sont des questions de ce genre sont, à notre avis, inadmissibles.

Brandler fait fausse route en demandant que le P.C.A. défende le service militaire obligatoire sous la forme de la milice. Notre parti, avec raison, réclame une milice composée de travailleurs. C'est là une revendication de classe nettement dirigée contre l'État bourgeois. La milice et le service militaire obligatoire sont des revendications permettant de réaliser un large "front unique" englobant une partie considérable de la bourgeoisie allemande, car il est indubitable que la satisfaction de la revendication de Brandler dans l'Allemagne bourgeoise, quoiqu'elle offre des possibilités d'agitation qu'elle recèle parmi les troupes, équivaut au renforcement de l'impérialisme allemand, à l'aggravation du danger de guerre impérialiste et en particulier d'intervention armée contre l'U.R.S.S. Nous tenons compte du fait que Brandler a écrit son article longtemps avant l'aggravation des rapports anglo-russes, aggravation qui s'est terminée par une rupture ouverte; néanmoins toute la conception de politique extérieure que développe Brandler dans son article est erronée.

En décembre de l'année dernière déjà, il était clair que l'antagonisme anglo-russe avait une importance décisive pour la période actuelle et que la politique impérialiste allemande au cours de cet antagonisme s'orienterait sur l'Occident. On ne saurait, comme le fait Brandler, mettre en tête des revendications du parti en politique extérieure le mot d'ordre de l'annulation du traité de Versailles. À l'heure actuelle, cela voilerait complètement la position hostile du parti à l'égard de l'impérialisme allemand. Le mot d'ordre fondamental du parti en politique extérieure, le mot d'ordre autour duquel doivent se grouper tous les autres reste pour le moment présent la défense de la révolution russe. Au mot d'ordre du parti "Une Allemagne socialiste libre, alliée à l'U.R.S.S." Brandler, lui, substitue cet autre mot d'ordre: "Alliance avec l'U.R.S.S.". Cela peut donner l'impression que l'Allemagne dirigée par le bloc bourgeois est capable de s'allier à l'U.R.S.S., et c'est pourquoi il convient de rejeter également ce mot d'ordre.

La critique de toutes les déviations de la ligne du parti que l'on trouve dans l'article de Brandler nous entraînerait trop loin. Néanmoins il nous faut traiter la question de l'appréciation que donne Brandler du parti social-démocrate, et spécialement du centrisme. Il convient de constater que Brandler ne fait pas de différence entre le centrisme et l'opposition ouvrière et que la délimitation qu'il trace entre les droites et les gauches est complètement fausse.

Le programme de la gauche centriste consiste, selon Brandler, "à condamner plus ou moins résolument la politique de coalition et à faire une opposition purement parlementaire tout en désapprouvant toute action révolutionnaire de masse". En réalité, ni en théorie ni en pratique, le programme du centrisme n'est tel que l'expose Brandler. Ainsi Otto Bauer, qui est bien loin de désapprouver en principe la coalition, et le programme qu'il a rédigé pour le parti autrichien et qui a l'approbation de la plupart des centristes comme le trésor de la sagesse marxiste, proclame la nécessité de la coalition (dénommée "coopération des classes") dans les moments où la démocratie et la république sont menacées, c'est-à-dire dans les moments de crise révolutionnaire où se décide la question "dictature de la bourgeoisie ou dictature du prolétariat". En outre, les social-démocrates de gauche ne songent pas à se borner à l'opposition parlementaire dans l'État bourgeois; leur idéal, c'est le "gouvernement socialiste" dans le cadre de la démocratie bourgeoise. La confusion dans la question de la nature du centrisme engendre la confusion dans la question de son rôle historique. Brandler, il est vrai, déclare avec raison:

Un parti centriste n'est pas un instrument de révolution, c'est un obstacle à la révolution. Là où cette dernière est appelée à triompher et à se consolider, les partis centristes disparaîtront de la scène. Mais, à certains moments l'idéologie centriste peut être pour les ouvriers une étape dans la voie menant du réformisme au communisme. Ainsi la contradiction "dialectique", c'est que, quoique le parti centriste soit réactionnaire, l'idéologie centriste peut être un facteur de progrès. Logiquement il s'ensuivrait que l'on doit entraîner les ouvriers réformistes dans la voie du communisme à l'aide de l'argumentation centriste. En réalité, l'idéologie centriste joue fatalement le même rôle que l'organisation centriste en attachant au réformisme les ouvriers qui ont tendance à évoluer vers k communisme. Le centrisme consiste essentiellement non pas à nier la politique de coalition, mais à avoir une attitude tolérante à l'égard de cette politique, à la soutenir tout en critiquant partiellement pour la forme, à l'embellir d'une phraséologie révolutionnaire. Le centrisme n'est pas une étape, un pont entre le réformisme et le communisme, mais une barrière fermant aux ouvriers conscients la voie menant du réformisme au communisme.

Renforcer le centrisme, c'est soutenir les efforts des réformistes pour empêcher les ouvriers soulevés contre eux de se rallier au communisme. Le manque de netteté et les hésitations dans la question de l'attitude envers les centristes, caractérisés à maintes reprises par Lénine comme les ennemis les plus dangereux du prolétariat, ont déjà causé assez de mal au P.C. d'Allemagne. Aussi n'avons-nous pas besoin de nouvelles expériences.

À quels résultats indésirables mènent pratiquement les conceptions théoriques erronées dans la question du parti social-démocrate, on peut le voir par l'exemple de la politique que recommande Brandler à l'égard de la Bannière d'Empire[16].

Les communistes, dit Brandler, soutiennent les prolétaires conscients de la Bannière d'Empire dans leurs efforts pour transformer cet organe de protection de la république bourgeoise, cet instrument de la politique de coalition, en une arme servant aux travailleurs à défendre leurs intérêts contre ceux de la bourgeoisie.

Une telle transformation serait encore plus miraculeuse que le passage de la social-démocratie, aile gauche de la bourgeoisie, à l'aile droite du prolétariat. Il est évident qu'une organisation fondée sur la coalition des partis bourgeois et se donnant pour but dans son programme de défendre la "république", c'est-à-dire la république bourgeoise, ne peut se transformer en organisation prolétarienne. Éliminer les éléments bourgeois de la Bannière d'Empire, fondre l'opposition prolétarienne de cette organisation avec l'Union des Combattants du Front rouge[17], telle est notre politique, et en aucun cas nous ne la remplacerons par la politique opportuniste de Brandler.

Le parti est prêt à discuter pratiquement et fraternellement avec tout camarade défendant dans le cadre des principes et de la discipline du P.C. telle ou telle opinion non conforme avec les décisions du parti. Mais il serait obligé de combattre comme groupe opportuniste avec ceux qui érigeraient les conceptions erronées de Brandler en plate-forme et interviendraient dans le parti comme groupe distinct. Le parti espère surmonter au cours de son développement toutes les déviations idéologiques et concentrer sur sa ligne la totalité de ses forces.

 

 

 

 

 



[1]. Sauf indication contraire, les annotations sont ajoutées par nous [321ignition].

[2]. Heinrich Brandler: Contributions à un Programme d'action pour l'Allemagne. Ce texte a été publié dans L'Internationale communiste parallèlement à la présente réponse, nr. 2 (pp. 99‑123) et nr. 3 (pp. 158‑182).

Pour la publication initiale en allemand: Beiträge zu einem Aktionsprogramm für Deutschland. In: Die Kommunistische Internationale, Jg. 9 (1928), nr. 1, pp. 32‑52; nr. 2, pp. 75‑95.

[3]. Du 2 au 7 mars 1927 se tient à Essen le 11e Congrès du KPD.

[4]. Les formulations mises entre guillemets dans ce paragraphe anticipent ce qui est dit dans les deux paragraphes suivants en référence à Lénine. Cf. cependant à ce sujet la note 6.

[5]. 3e congrès de l'Internationale communiste, V. I. Lénine, Discours en faveur de la tactique de l'I.C., 1er Juillet 1921 (Vladimir Ilich Lénine, Oeuvres, volume 32, Paris, Éditions Sociales, 1962, p. 499).

Dans le cadre de la discussion concernant le projet de thèses sur la tactique, Umberto Terracini soumet un certain nombre d'amendements. Lénine les réfute, en critiquant entre autre le point suivant:

Écoutez donc ce que défend Terracini et ce que disent ces amendements. [...] Ensuite: les mots "principes fondamentaux" doivent être remplacés par "buts". Les principes fondamentaux et les buts sont deux choses différentes, car pour les buts même les anarchistes seront d'accord avec nous, puisqu'ils sont pour la suppression de l'exploitation et des différences de classes.

J'ai rencontré et parlé dans ma vie avec assez peu d'anarchistes; malgré tout, j'en ai vu suffisamment. J'ai parfois réussi à m'entendre avec eux à propos des buts, mais jamais sur le plan des principes. Les principes, ce ne sont ni le but, ni le programme, ni la tactique, ni la théorie. La tactique et la théorie, ce ne sont pas les principes. Qu'est ce qui nous distingue des anarchistes quant aux principes? Les principes du communisme consistent dans l'institution de la dictature du prolétariat, dans l'emploi par l'État des méthodes de coercition en période de transition. Tels sont les principes du communisme, mais non son but. Et les camarades qui ont fait cette proposition ont commis une erreur.

[6]. Ce paragraphe ainsi que le suivant constituent en réalité une paraphrase d'un passage du texte "Réforme sociale ou révolution?" de Rosa Luxemburg. Plus loin dans la présente réponse à Brandler, est fait référence à une controverse entre Thalheimer et Boukharine au cours du 4e congrès de l'IC. Or l'intervention concernée de Thalheimer inclut une série de citations attribuées en bloc à Lénine, alors que deux paragraphes proviennent en fait textuellement de "Réforme sociale ou révolution?" La confusion s'est ensuite répercutée sur le présent article. (Cf. le texte .)

[7]. Les formulations mises entre guillemets dans cette phrase ainsi que la suivante renvoient à ce qui est dit plus haut en référence à Lénine. Cf. cependant à ce sujet la note 6.

[8]. Cf. les textes  et  .

[9]. Cf. le texte .

[10]. Cf. le texte .

[11]. Cf. le texte .

[12]. Cf. la résolution sur la question du programme, citée plus haut.

[13]. [Note du Bureau politique du KPD] La conception du contrôle de la production comme rassemblement de matériaux s'est manifestée nettement dans la proposition faite par les camarades Walcher, Melcher et autres au congrès d'Essen. Dans cette proposition, il est dit:

Le mot d'ordre général dans la lutte quotidienne contre la politique de monopole des trusts doit être le mot d'ordre du contrôle ouvrier de la production.

Les réformistes tentent d'endiguer le mécontentement croissant des couches prolétariennes et petites-bourgeoises en posant le mot d'ordre de la démocratie économique (contrôle des cartels et des trusts par l'État, contrôle des cartels et des trusts internationaux par la S.D.N.). Le mot d'ordre de la démocratie économique découle logiquement de la politique de collaboration pratique.

À ce mot d'ordre de la démocratie économique les communistes opposent celui du contrôle ouvrier de la production. La lutte contre la politique des trusts sous le mot d'ordre du contrôle de la production donne une base solide à l'alliance de tous les travailleurs sous la direction du prolétariat, à l'alliance du prolétariat, de la paysannerie et des couches moyennes des villes. Le mot d'ordre du contrôle de la production a une importance particulière pour les ouvriers agricoles et les petits paysans. La monopolisation des moyens de production agricole par les trusts (engrais artificiels, machines agricoles, etc.) pèse lourdement sur les petits paysans, qu'elle mène à l'appauvrissement. La politique des prix pratiquée par les monopoles et les trusts a eu une influence néfaste sur le niveau de vie des couches prolétariennes et petites-bourgeoises.

Le mot d'ordre du contrôle de la production implique la lutte contre les conséquences de la rationalisation nuisibles à l'ouvrier.

La réalisation du contrôle de la production équivaut à une ingérence révolutionnaire dans l'économie capitaliste, au développement de la lutte pour le pouvoir. De la sorte, la lutte pour le contrôle de la production est une lutte hautement politique.

Dans la situation actuelle, qui n'est pas une situation révolutionnaire aiguë, le mot d'ordre du contrôle de la production a une autre signification que dans la période de 1918 à 1923. À cette époque, l'économie capitaliste traversait une période de décadence rapide. Il fallait mobiliser les comités d'usines et les organes ouvriers non seulement pour dévoiler la faillite du régime capitaliste, mais pour acquérir de plus en plus d'influence sur la direction des entreprises et pour mettre la main sur ces dernières au cours de la lutte. Maintenant la tâche principale du contrôle de la production, c'est de rassembler, de façon méthodique et organisée, des documents sur la politique des prix pratiquée par les monopoles, les cartels, les trusts et les grandes banques. À l'aide de ces documents permettant de dévoiler les agissements du grand capital, il faut montrer à la classe ouvrière, aux gens de moyenne condition et aux petits paysans comment on les exploite et on les vole, et combien est nécessaire la lutte pour la transformation de l'économie dans l'esprit du socialisme.

Un tel contrôle de la production montrera aux ouvriers et à toutes les couches laborieuses la nécessité d'une ingérence révolutionnaire dans la production sous une forme ou sous une autre, conformément aux besoins de la lutte qui se déroule autour des mots d'ordre actuels. Les luttes partielles et spéciales du prolétariat dans les syndicats, dans les coopératives, dans les unions de locataires et dans le domaine de la politique municipale seront coordonnées au moyen de la lutte pour le contrôle de la production. En même temps, cela permet pratiquement de donner un contenu politique à la lutte exposée ci-dessus et de la transformer en lutte pour le pouvoir politique. À un certain degré, la lutte pour le contrôle de la production mène à la constitution et à l'unification des organes de classe, comités d'usines, comités de contrôle, comités pour la lutte contre la cherté et comités d'action, qui, au stade de la lutte décisive, peuvent donner naissance aux soviets, organes de commandement du prolétariat victorieux.

[14]. Cf. le texte .

[15]. 11e congrès du KPD, Thèses relatives à la situation politique et aux tâches du KPD. Le texte intégral des thèses est reproduit dans: Institut für Marxismus-Leninismus beim ZK der SED (Éd.): Dokumente und Materialien zur Geschichte der deutschen Arbeiterbewegung - Reihe 2 - Band 7 - Februar 1919Dezember 1923 - Halbband 2 - Januar 1922Dezember 1923, Berlin, Dietz, 1966, pp. 246255.

[16]. Le Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold (Bannière du Reich Noir-Rouge-Or) est une organisation de masse proche du SPD, fondée en 1924 par ce parti ensemble avec le Zentrum, le DDP et quelques petits partis, ayant comme but la protection de la République contre les activités d'extrême droite et aussi du KPD. De la fondation jusqu'en 1931, le président est Otto Hörsing (SPD). Les couleurs noir-blanc-rouge constituaient à partir de 1867 le drapeau de l'Union allemande du Nord [Norddeutscher Bund], puis servaient de 1871 à 1919 ainsi que de 1933 à 1945 comme couleurs de l'Empire allemand. En 1919 l'Assemblée nationale de Weimar décide que les couleurs nationales sont noir-rouge-or, mais les groupes monarchistes, conservateurs et national-socialistes continuaient à arborer les couleurs noir-blanc-rouge.

[17]Roter Frontkämpferbund.

Le 31 mai 1924 se tient à Halle une réunion de la Centrale du KPD. Le 11 mai les unités de défense liées au DVFP et au NSDAP avaient mobilisé pour une “Journée allemande” dans cette ville. Les communistes avaient entrepris de perturber la marche, la police avait ouvert le feu, causant 8 morts et 16 blessés graves. La Centrale aboutit à la conclusion de constituer des unités de défense propres, capables de protéger le mouvement ouvrier contre des attaques de la part de la police ou de l'extrême droite. Il est décidé de créer une telle organisation sous le nom de “Ligue rouge de combattants du Front” (“Roter Frontkämpferbund”, RFB). C'est ainsi que s'intitulèrent à Halle les unités d'intervention prolétariennes formées précédemment, interdites. Afin de mettre en oeuvre l'édification du RFB de façon progressive, sont choisies d'abord les régions de Halle-Merseburg et Grand-Thüringen. Le premier groupe du RFB est formé en juillet 1924 à Hildburghausen, en Thüringen, puis à Halle le même mois, ensuite en aout à Chemnitz et à Dresde, en septembre à Leipzig. Le 1er février 1925 se tient à Berlin la 1e conférence nationale du RFB. Elle désigne Ernst Thälmann comme président, avec Willi Leow comme adjoint. Le 21 mai se tient à Berlin la 2e Conférence nationale, puis le 3 juin 1927 la 3e. Une réunion pour établir le RFB en Bavière est convoquée à Nürnberg en juillet 1925, mais elle est interdite par les autorités. Ce n'est que le 2 avril 1928 que l'interdiction du groupe local de Dortmund sera levée et que des unités du RFB pourront être créées en Bavière. Le 3 mai 1929, en lien avec les manifestations organisées par le KPD pour la journée du Premier mai, le gouvernement de Prusse décide la dissolution du RFB, la mesure est exécutée le 6. Les jours suivants l'organisation est également interdite en Bavière, Saxe, Hambourg, Lippe-Detmold, Mecklenburg-Strelitz, d'autres gouvernements régionaux sont plus réticents. Finalement, sur demande de Carl Severing (SPD), ministre de l'intérieur de Prusse, après la tenue le 10 mai d'une conférence nationale des ministres de l'intérieur régionaux, l'interdiction du RFB est prononcée au niveau national. Ainsi, le RFB sera contraint à se maintenir définitivement dans la clandestinité.

Le 28 septembre 1930 le KPD fonde à Berlin le “Kampfbund gegen den Faschismus” (“Ligue de combat contre le fascisme”) comme successeur légal au RFB interdit. Hermann Remmele est désigné comme président. L'organisation dispose d'un organe de presse, Die Fanfare.

Remarque concernant la dénomination Roter Frontkämpferbund: Elle est fréquemment traduite par Ligue des Combattants du Front Rouge, ce qui prête à confusion, puisque rouge devient ainsi épithète de front, comme dans les expressions front uni, front antifasciste etc. Or le terme Frontkämpferbund se décompose en Bund et Frontkämpfer, et ce dernier terme est directement lié aux soldats qui combattaient au front pendant la guerre. Ainsi, dans Roter Frontkämpfer le qualificatif rouge se rapporte à combattant du front, et de la même façon dans Roter Frontkämpferbund le qualificatif rouge se rapporte à Ligue des combattants du front, ceci pour distinguer le RFB des organisations de combattants du front constitués par les forces politiques réactionnaires.