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L'important pour le réformisme n'est pas de réaliser des réformes,
mais de les annoncer en idée, comme un leurre

 

 

Dans ses origines, la conception réformiste a été établie par Ferdinand Lassalle, contemporain de Karl Marx et Friedrich Engels. Puis, les idées de Lassalle ont été un point de départ pour un ensemble, aux contours flous, de formulations théoriques et d'applications pratiques alliant une certaine dose de critique du système capitaliste avec la volonté d'assurer la conservation de celui-ci comme système dominant. Les forces véhiculant ces objectifs se sont toujours adaptées aux contextes variés qu'a traversés l'évolution de la société. De nos jours, le mouvement ouvrier est confronté à un réformisme reflétant la situation actuelle, à savoir un réformisme rabougri, quasiment absorbé par l'idéologie bourgeoise pure et simple.

 

 

 

 

 

 

Écrit: mai 2014

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Dans ses origines, la conception réformiste a été établie par Ferdinand Lassalle, contemporain de Karl Marx et Friedrich Engels[1]. Le programme de l'Association générale des travailleurs, fondé en 1863 en Allemagne, reflète ces orientations[2]. Il affirme que "seul, le suffrage universel égal et direct peut assurer une représentation convenable des intérêts sociaux de la classe laborieuse allemande ainsi que l'élimination des antagonismes de classes" et définit comme but "d'agir, par la voie pacifique et légale et particulièrement en gagnant à lui l'opinion publique, pour l'établissement du suffrage universel égal et direct". En vue de changer la situation des classes travailleuses, Lassalle met en avant l'abolition des privilèges, la promotion de la solidarité[3]: "L'idée morale de l'ordre des travailleurs par contre est celle selon laquelle l'exercice sans entrave et libre, des forces individuelles par l'individu ne suffit pas encore, mais qu'à cela, dans une communauté structurée moralement, doit en outre se joindre: la solidarité des intérêts, la communauté et la réciprocité du développement." Il n'envisage pas l'abolition de la propriété bourgeoise, mais plutôt sa généralisation[4]: "Lorsque l'état-travailleur[5] est son propre entrepreneur, alors la séparation entre salaire et profit d'entrepreneur tombe, et avec elle le simple salaire en général, et le résultat du travail prend sa place en tant que rémunération du travail!"

Ces quelques traits généraux n'ont été qu'un point de départ pour un ensemble, aux contours flous, de formulations théoriques et d'applications pratiques alliant une certaine dose de critique du système capitaliste avec la volonté d'assurer la conservation de celui-ci comme système dominant. Les forces véhiculant ces objectifs se sont toujours adaptées aux contextes variés qu'a traversés l'évolution de la société. Sans doute actuellement le réformisme se trouve en déclin en comparaison aux quelques décennies d'autrefois quand l'“État providence” jouissait d'un prestige certain sur la base des bienfaits non négligeables qu'il réussit à prodiguer. Par conséquent ces temps-ci les tendances réformistes sont fortement marquées par la nostalgie de ces “heures de gloire”.

Mais ceux qui incarnent maintenant les orientations réformistes ne restent pas pour autant figés dans l'incantation d'un monde antérieur. Bien au contraire, ils s'emploient avec ardeur à élaborer des versions des principes de base du réformisme telles qu'elles puissent être opérantes dans le contexte donné. Les temps ont changés, depuis la période du programme du Conseil national de la résistance et la mise en oeuvre de certains de ses aspects, en passant par les tentatives de collaboration entre les dites "forces de gauche" dans le cadre d'un "programme commun", jusqu'à la confusion totale qui règne aujourd'hui au sein du panier à crabes de tous ces militants qui restent d'une manière où une autre polarisés autour du fantôme du PCF. Ainsi l'heure est à un réformisme reflétant cette situation, à savoir rabougri, quasiment absorbé par l'idéologie bourgeoise pure et simple.

Néanmoins, on peut observer des interprétations spécifiques savamment élaborées, et qui en tant que telles persistent dans l'oeuvre nuisible propre aux réformistes, contrariant non sans efficacité la résurgence d'un mouvement ouvrier qui soit sinon révolutionnaire, du moins opposé ouvertement à la bourgeoisie et au capital. Parmi les éléments qui marquent le contexte général, figure les suivants: le réformisme n'est pas porté par un parti gouvernemental, ni même par un parti pouvant raisonnablement espérer accéder au gouvernement dans un future proche; l'action des partis et organisations politiques qui sous diverses formes assument des orientations réformistes n'a qu'un impact réduit sur la scène politique; ce sont les syndicats qui se retrouvent comme cadre prépondérant au sein duquel se déploie le réformisme pour autant qu'il s'agit de l'action pratique visant à traduire les idées en une réalité tangible. Ce repli sur le terrain syndical implique deux tendances négatives qui se renforcent mutuellement: l'action syndicale peut se trouver assez naturellement en harmonie avec un réformisme aux prétentions limitées, et les militants, même ceux qui ont conscience de la nécessité d'un parti politique assumant un rôle dirigeant, mettent leurs ambitions en sourdine.

Dans ce qui suit nous résumerons brièvement quelques positions que nous avons en vue en exprimant les observations précédentes.

Les vieilles rengaines des économistes bourgeois, dégainées par les réformistes de l'heure

Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT, résume sans la moindre gêne, de façon lapidaire et explicite, le postulat de base du réformisme tel qu'il est à la mode dernièrement[6]:

Il n'existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L'entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés ‑ là encore, je regrette que les actionnaires fassent figures d'éternels absents ‑ et ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l'intérêt de leur communauté.

D'autres, en particulier à la CGT, ont jeté les bases "théoriques" de ce point de vue, concentrées dans l'affirmation: "C'est le capital qui coute cher, pas le travail"[7]. Ce genre de tournures émaille dès lors toutes sortes de discours. Par exemple, Th. Lepaon[8]: "Il n'y a pas de problème de cout du travail. En revanche, il y a un problème du cout du capital. La répartition de la richesse dans l'entreprise a évolué. En vingt ans, la rémunération du travail a perdu 10 % de cette richesse au profit de l'actionnaire."

La vision actuelle véhiculée par la CGT, le PCF et d'autres ne fait que rabâcher les banalités professées depuis toujours par les économistes bourgeois. Les paroles citées de Th. Lepaon sont en harmonie avec la traditionnelle "théorie des facteurs de production": le travail autant que le capital seraient des "facteurs de production" réunis pour créer ensemble les richesses, processus dans lequel l'employeur ne fait qu'exercer un rôle d'organisation. Ces différents acteurs seraient donc en droit, chacun de son côté et tous au même titre, de prétendre à une rémunération pour avoir participé à la production: le salaire pour les salariés, les dividendes et les intérêts pour les fonds apportés (sous forme d'actions ou de crédits). Ce qui motive les critiques adressées aux actionnaires n'est donc pas le principe, en tant que tel, de la distribution de dividendes, mais l'idée qu'il existerait une rente indue non justifiée par des raisons admises comme légitimes.

Il vaut la peine de souligner cette intégration dans le discours des réformistes, de la notion de "rente indue". Elle est symptomatique de la façon dont ceux-ci "approfondissent" leurs analyses. En effet, on a affaire ici à des formulations plus concrètes que la référence largement répandue à la "finance" en termes plutôt vagues. Ainsi, faisant preuve d'un sérieux scientifique irréprochable, la CGT a fait effectuer en coopération avec des institutions universitaires une étude ayant pour sujet "le cout du capital et son surcout"[9]. Ce document établit la notion de "surcout relatif du capital" dont l'évaluation est obtenue selon un calcul qui part des "revenus de la propriété versés aux autres agents que les entreprises" et en soustrait les frais correspondant au "risque entrepreneurial" ainsi qu'au "cout de transformation de l'épargne liquide en prêts". Ce surcout est caractérisé comme une "composante de “pure rente” qui vient alourdir inutilement le cout de financement du capital productif".

Le quotidien La Tribune rend compte de cette étude sous le titre "93 milliards d'euros, c'est, pour la CGT le montant du surcout du capital"[10]. Et il commente de façon pertinente: "La CGT a donc trouvé son nouveau mantra[11]." En effet, la machine propagandiste s'active. Des députés du Front de Gauche demandent la création d'une commission d'enquête "chargée d'étudier le cout du capital en France ainsi que les mesures à prendre pour le baisser massivement"[12]. Le Monde Diplomatique publie un article de Laurent Cordonnier, un des co-auteurs de l'étude mentionnée[13]. Par le biais de la NVO, la CGT diffuse une brochure de 16 pages sur le thème "Ce que nous coute le capital - Répartir autrement les richesses créées par le travail[14]." Dans cette publication, un article est consacré à "la rente indue de la finance", il est suivi d'une interview de L. Cordonnier[15]. La CGT-FTM diffuse une brochure "Tout savoir sur le cout du capital - Comment le dénoncer dans votre entreprise?", qui expose notamment la distinction entre "cout réel" et "surcout". L'argumentation est reprise au-delà de la CGT, par exemple au PCF[16]: "Notre richesse est détournée par la rente indue de la finance". Dans L'Humanité, on trouve une interview de L. Cordonnier qui parle de "cette rente financière qui étouffe les salariés et les gens entreprenants[17]."

D'un point de vue programmatique, la dénonciation de la "rente indue" implique deux axes. D'une part elle motive la revendication d'imposer des contraintes à l'affectation de la valeur de la production réalisée, de façon à peser en faveur de la part revenant directement ou indirectement aux salariés. D'autre part, la complainte au sujet des taux élevés de rentabilité imposés par les actionnaires va de pair avec l'idée que les mesures de nationalisation seraient un moyen pour modifier les critères d'utilisation de la valeur ajoutée, dans la mesure où on attribue d'office à l'état la vertu de gérer l'économie en "bon père de famille".

Ce qui parait évident à certains ne l'est pas forcement pour d'autres

À la lecture de ce qui précède, on peut sans doute être tenté de considérer qu'il s'agit de commentaires superflus, puisque évidents, et partagés par tous ceux qui un tant soit peu prennent leurs distances vis-à-vis du réformisme. Pourtant, il faut dire que la confusion et le flou ambiant sont tels que malgré tout l'énoncé de quelques constats élémentaires peut être utile. Prenons comme exemple le NPA, qui s'exprime de la façon suivante[18]:

Il y aurait donc une rémunération légitime du capital et une rémunération illégitime sur laquelle devrait porter la contestation des travailleurs. Plus que sur le profit globalement et l'impact de la recherche du profit sur l'orientation générale de l'économie, la contestation se focaliserait donc sur le seul "mauvais" profit. [...] Ce n'est pas le surcoût du capital mais le profit lui-même, comme catégorie économique et comme forme de revenu, qui doit être contesté. "Remettre l'humain au centre de l'économie" suppose avant tout de mettre le travailleur lui-même au centre des décisions relatives aux investissements productifs de la société.

Ces observations se démarquent de la caractérisation comme illégitime d'une partie des profits. Mais elles amènent des considérations vaseuses sur la nécessité de contester "le profit lui-même" et de mettre les travailleurs en position de prendre les "décisions relatives aux investissements productifs". Donc, à l'instar des réformistes, ce discours évite de parler clairement de l'exploitation capitaliste et de l'abolition de rapports de propriété privée sur lesquels est basée cette exploitation.

Autre cas, le Rassemblement de Cercles communistes. Cette organisation explique entre autre[19]:

Partout où les patrons pratiquent le terrorisme par le chantage à la délocalisation pour obtenir des baisses de salaire, des gains de "flexibilité", les ouvriers ont intérêt à mettre l'Etat devant ses responsabilités et revendiquer clairement la nationalisation pour sortir du chantage. Partout où les licenciements boursiers s'imposent par la "logique" implacable du marché et du libéralisme, les ouvriers doivent répondre par la logique implacable de la souveraineté et de la nationalisation, pour sauver l'emploi et l'outil industriel des griffes du capitalisme financier parasitaire! Interdire les licenciements boursiers ou les fermetures boursières d'entreprises, c'est en dernière instance nationaliser.

Aujourd'hui plus que jamais, exigeons la nationalisation des entreprises qui ferment ou délocalisent sans indemnisation des patrons!

Il s'agit ici d'un réformisme qui tente de se camoufler au moyen d'une pseudo-radicalité. Évoquer "la logique implacable de la souveraineté et de la nationalisation" qui permettrait de "sauver l'emploi et l'outil industriel des griffes du capitalisme financier parasitaire", relève de la pure affirmation que rien ne justifie dans la réalité. Le fait est que les auteurs, sur la base de cette conviction qui est la leur, n'ont aucune raison de s'embarrasser des nuances distinguant entre "cout" et "surcout" du capital. Toutefois, la comparaison avec l'approche initiée par la CGT est intéressante justement parce qu'elle laisse à penser que cette dernière est plus préoccupante en termes de nocivité dans la pratique, pour le mouvement ouvrier. En effet, elle ne se contente pas de formules incantatoires mais prétend montrer mathématiquement comment on peut se soustraire au "capitalisme financier parasitaire": la voie de sortie consisterait à s'en remettre à l'état qui, lui, saurait mettre fin aux gâchis de ressources correspondant au "surcout" du capital.

Notons en passant que dans le présent contexte d'argumentation il n'y a pas lieu d'évoquer les positions de l'URCF en matière de nationalisation. C'est que celles-ci sont, certes, erronées, mais qu'il convient de faire leur examen critique selon un angle de vue diffèrent et plus large[20].

L'action des réformistes peut comporter des aspects multiples

Il est important de souligner que le rôle des réformistes comporte deux aspects. D'une part, ils s'efforcent à détourner le mouvement ouvrier de l'opposition frontale au capitalisme, en associant un camouflage pseudo-critique vis-à-vis du système économique à une orientation de conciliation de classe à l'égard de la bourgeoisie. Durant des périodes relativement peu agitées, marquées principalement par des luttes revendicatives limitées, on peut avoir l'impression que les agissements des réformistes se réduisent à cette oeuvre visant à maintenir la confusion dans les esprits. Mais il ne faut pas se tromper. En situation d'affrontements de classe aigües, violentes, de grande envergure, ils sont susceptibles d'aller jusqu'au bout de leur rôle de force au service de la bourgeoisie. À cet égard, l'expérience historique de l'Allemagne est éclairante.

Nous donnons ici un bref résumé de la façon dont les social-démocrates allemands ont fait en sorte que l'état bourgeois, ébranlé par la défaite dans la première guerre mondiale et les conflits sociaux qu'elle a engendrés dans le pays, reste en place et stabilise de nouveau sa domination. Pour une analyse portant plus en détail sur l'ensemble de période de 1918 à 1933, cf.: "19331945: Le KPD dans la lutte contre la dictature national-socialiste" .

À partir du 27 octobre 1918 des mutineries éclatent au sein de la flotte allemande. À Kiel, le 4 novembre, un Conseil d'Ouvriers et de Soldats est formé, qui détient de fait tout le pouvoir civil et militaire dans la ville. Le 9 novembre, à Berlin, une grève générale est entamée. Le Chancelier Max von Baden annonce l'abdication de l'empereur Guillaume II et du Prince héritier. Friedrich Ebert, du Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) est désigné comme chancelier, un gouvernement de six membres dont trois du SPD est constitué. Le 11 novembre est conclu l'armistice. Le 12, le gouvernement s'adresse "Au peuple allemand"[21]: "Le gouvernement issu de la révolution, dont la direction politique est purement socialiste, se fixe la tâche de réaliser le programme socialiste."

Dès octobre 1918, des négociations avaient débutées entre des représentants, des employeurs d'une part, des syndicats de l'autre. Le 15 novembre est approuvée la création de la “Communauté centrale de travail des employeurs et employés industriels et commerciaux d'Allemagne”, dont les statuts affirment notamment[22]:

Imprégnées de la reconnaissance du fait que le relèvement de notre économie nationale exige le rassemblement de toutes les forces économiques et spirituelles et une collaboration harmonieuse de toutes les parties, et imprégnées de la responsabilité qui en découle, les organisations des employeurs de l'industrie et des petites et moyennes entreprises et celles des salariés s'associent en une communauté de travail.

La communauté de travail a pour but la solution, en commun, de toutes les questions économiques et sociales touchant à l'industrie et aux petites et moyennes entreprises ainsi que de toutes les affaires législatives et administratives les concernant.

Une "loi de socialisation" est édictée le 23 mars 1919; elle sera complétée le 4 février 1920 par une loi sur les Conseils d'Entreprise. La "loi de socialisation" stipule[23]:

Le Reich[24] a autorité pour procéder aux actes suivants par voie de législation et contre indemnisation appropriée:

1) transférer vers l'économie collective des entreprises économiques se prêtant à la socialisation, en particulier celles visant à l'extraction de richesses minières et l'exploitation de forces naturelles,

2) en cas de besoin urgent, règlementer sous l'angle de l'économie collective la production et la distribution de biens économiques.

Les dispositions détaillées sur l'indemnisation seront du domaine des lois particulières au niveau du Reich, à venir.

Cette démarche est accompagnée d'une propagande visant à faire passer l'idée qu'ainsi serait instauré le socialisme. En se référant à la "socialisation", le gouvernement annonce, le 2 mars 1919[25]: "Et ça, c'est du socialisme!"

Comme autre exemple de la propagande social-démocrate on peut évoquer la question de la journée du Premier mai, dont le statut fait l'objet de débats en cette année 1919. Voici un extrait d'une intervention d'Eduard David (SPD), ministre sans portefeuille, à l'Assemblée nationale, le 15 avril, dont la teneur rappelle la vision de F. Lasalle autour de l'“État libre du peuple” (“freier Volksstaat”):

Le 1er mai, jusqu'ici jour férié de lutte des masses travailleuses prolétariennes, doit maintenant devenir un jour de fête universel du peuple. Le sentiment d'égalité des droits et d'égalité de statut social de tous les serviteurs de la communauté du peuple doit être cultivé à cette occasion. Des conflits acharnés sont encore à l'oeuvre entre partis et couches dans notre peuple. Mais la volonté sérieuse de surmonter les contradictions sur la base politique nouvelle, devrait être favorisée par toutes les parties et mise en avant le 1er mai. Un 1er mai fêté dans cet esprit serait un jour de fête du peuple au sens le plus noble du terme.

La crise de 1929 servira de prétexte de la même façon que la situation à l'issue de la guerre, en 1918. Fritz Tarnow, membre de la direction fédérale de la Confédération syndicale générale allemande (ADGB), dans son rapport "L'anarchie économique capitaliste et la classe ouvrière", au congrès du SPD tenu en 1931 à Leipzig, explique:

Ainsi toutefois, nous nous trouvons aux côtés du malade alité ‑ le capitalisme ‑ [...] En effet, il me semble que nous sommes condamnés à la fois à être le médecin qui veut sérieusement favoriser la guérison, et à maintenir malgré tout le sentiment que nous sommes des héritiers qui veulent prendre en charge plutôt aujourd'hui que demain tout l'héritage du système capitaliste. [...] Ce n'est pas tellement le patient lui-même qui nous fait pitié, mais les masses qui se trouvent derrière. Quand le patient est à l'agonie, les masses dehors subissent la famine. Quand nous savons cela, et nous connaissons un remède, alors ‑ même si nous ne sommes pas convaincus qu'il guérit le patient, mais qu'il atténue au moins son agonie de sorte que les masses dehors mangent mieux à nouveau ‑ nous lui administrons le remède et, sur le moment, ne pensons pas tellement à ce que nous sommes en fait des héritiers et que nous sommes dans l'attente de sa fin rapprochée.

Le SPD a en face de lui les communistes. Au début de l'année 1915 s'était formé au sein du SPD, autour de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, un groupe opposé à l'orientation du parti. Il est d'abord désigné, d'après sa publication périodique, comme groupe “l'Internationale”. À partir de 1916, il diffuse illégalement des articles sous la forme des “Lettres de Spartakus”, et est dénommé désormais “Groupe Spartakus”. À l'occasion d'une conférence nationale tenue le 11 novembre 1918, il adopte la désignation “Ligue Spartakus”. Le 30 décembre se réunit à l'initiative des Spartakistes une conférence nationale, qui décide la transformation de la Ligue Spartakus, en fusionnant avec quelques autres groupes, en “Parti communiste d'Allemagne (Ligue Spartakus)”, ou KPD(S).

L'Armistice conclu le 11 novembre met fin à la révolte des soldats exaspérés par la persistance du conflit militaire; il ne fait pas disparaitre la lutte de classe. Les conflits s'enchainent notamment dans la région de la Ruhr. Les divergences entre les forces politiques s'accentuent également. Le 5 janvier à Berlin, a lieu une réunion à laquelle participent notamment K. Liebknecht et W. Pieck en tant que représentants du KPD. Un appel à la grève générale est formulé. De son côté le gouvernement considère avoir mené à bien les préparations en vue d'annihiler la révolution par la force des armes. Il obtient les pleins pouvoirs en ce sens: "Les agissements criminels de bandes armées, mettant en danger toutes les conquêtes de la révolution, nous ont contraints d'accorder à la direction du Reich des pouvoirs exceptionnels, afin qu'à Berlin puissent enfin être rétablis l'ordre et la sécurité juridique qui sont d'autant plus nécessaires sous le régime le plus libéral qui soit." Et le 8 janvier, le gouvernement publie un appel à la population de Berlin: "Spartakus lutte maintenant pour le pouvoir intégral. [...] La force ne peut être combattue que par la force. La force organisée du peuple mettra fin à l'oppression et à l'anarchie. [...] L'heure du règlement de comptes approche!"

À Berlin le gouvernement réussit à imposer son pouvoir le 15 janvier. Devant l'occupation de la ville par les troupes gouvernementales, K. Liebknecht et R. Luxemburg se réfugient dans un appartement, mais suite à une dénonciation ils sont appréhendés par une unité de garde civile. Ils sont assassinés. Les affrontements à Berlin sont accompagnés d'autres, similaires, dans différentes villes. Et la défaite des actions de rébellion à Berlin n'amène pas la pacification voulue par le gouvernement. Entre février et mai une vague de grèves et d'occupations d'usines, non contrôlés par les syndicats, s'étend ailleurs, des insurrections locales se produisent. Elles sont réprimées comme celle de Berlin.

Dans cette oeuvre de restauration de la domination de la bourgeoisie, les social-démocrates ont largement recours aux formations armées noyautées par l'extrême-droite qui à partir des combats de janvier 1919 à Berlin, pendant un an et demi, jouent un rôle essentiel dans la répression du mouvement révolutionnaire. D'une part, existent à côté des forces armées proprement dites des unités locales de volontaires, créées avec d'anciens militaires ou policiers. D'autre part et principalement, il s'agit des “corps-francs”, qui sont des formations de mercenaires constituées sur la base d'initiatives individuelles, mais soumises tout à fait officiellement au gouvernement et rémunérées par lui.

Rien ne permet d'affirmer que cette expérience historique serait un cas spécifique appartenant à un passé révolu, et que le réformisme se réduirait désormais définitivement à des considérations mesquines sur la question de savoir jusqu'à quelle hauteur le taux de rentabilité du capital puisse être "légitime".

 

 

 

 

 

Notes



[1]. Pour une analyse globale du cheminement historique des principales variantes du réformisme, du point de vue idéologique, cf.: "Aux sources de la social-démocratie: Ferdinand Lassalle" .

[2]Dieter Dowe, Kurt Klotzbach (Ed.): Programmatische Dokumente der deutschen Sozialdemokratie, Bonn, J. H. W. Dietz Nachf., 1973, p. 137‑139.

[3]Ferdinand Lassalle: Das Arbeiterprogramm. Reproduit dans: Ferdinand Lassalle, Gesammelte Reden und Schriften, Tome 2, Berlin, Paul Cassirer, 1919, p. 144‑202.

[4]Ferdinand Lassalle: Offenes Antwortschreiben. Reproduit dans: Ferdinand Lassalle: Gesammelte Reden und Schriften, Tome 3, Berlin, Paul Cassirer, 1919, p. 39‑92.

[5]. Dans l'original Arbeiterstand. Stand correspond à état, comme dans Tiers-état.

[6]. Propos dans le Nouvel Économiste, 19 février 2014.

http://cgt.fr/Pour-que-le-consensus-emerge-il.html

http://www.lenouveleconomiste.fr/thierry-lepaon-cgt-pour-que-le-consensus-emerge-il-doit-y-avoir-affrontement-21597/

[7]. Cf. notamment une vidéo réalisée par Jean-Michel Fouque avec la participation de Nasser Mansouri-Guilani ‑ directeur du Centre confédéral d'études économiques et sociales de la CGT, et membre, pour la CGT, du Conseil économique, social et environnemental ‑, diffusée dans le cadre de l'émission "Expression directe" sur France 2 et France 3 le 14 aout 2012, et aussi sur France 5, le 16 aout.

[8]. Thierry Lepaon, Interview dans L'Usine nouvelle, 21 mars 2013.

http://www.usinenouvelle.com/article/ce-n-est-pas-le-cout-du-travail-qui-est-un-probleme-mais-celui-du-capital-selon-thierry-lepaon.N193696

[9]. "Le coût du capital  et son surcoût", Clersé, Université Lille 1, 2013.

http://www.ires-fr.org/images/files/EtudesAO/RapportCgtCoutCapitalK.pdf

[10]. http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20131118trib000796345/93-milliards-d-euros-c-est-pour-la-cgt-le-montant-du-surcout-du-capital.html

[11]. Les mantras, formules sacrées à usage liturgique, rituel, spirituel ou magique, jouent un rôle essentiel dans la tradition socio-religieuse indienne.

[12]. Proposition de résolution, 20 décembre 2013.

http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1673.asp

[13]. Juillet 2013.

http://www.monde-diplomatique.fr/2013/07/CORDONNIER/49354

[14]. 13 décembre 2013.

http://www.nvo.fr/media/coutcapital-pub_200x290.pdf

[15]. L'interview se trouve sur le site Internet de la NVO.

http://www.nvo.fr/article.php?nbr=0&IDssrubrique=38&IDchapitre=2631

[16]. http://meurthe-et-moselle.pcf.fr/50572

[17]. 22 juillet 2013.

http://www.humanite.fr/social-eco/laurent-cordonnier-redonner-du-pouvoir-la-societe-546295

[18]. Janvier 2014.

http://npa2009.org/content/cgt-le-cout-du-capital

[19]. Février 2013.

http://cercles.communistes.free.fr/rcc/publi.php?idArticle=2013_02_13_nationalisation

[20]. Cf. ROCML: "À propos du mot d'ordre de nationalisation", La Voix des Communistes, supplément au n° 8, février 2013.

http://rocml.org/wp-content/uploads/VDC/VDC08_Sup02.pdf

[21]. G. A. Ritter, S. Miller (Ed.): Die Deutsche Revolution 1918‑1919, Frankfurt am Main, Fischer, 1983, p. 103‑104.

[22]. G. A. Ritter, S. Miller (Ed.): Die Deutsche Revolution 1918‑1919, Frankfurt am Main, Fischer, 1983, p. 239‑241.

[23]. Herbert Michaelis, Ernst Schraepler (Ed.): Ursachen und Folgen: Vom deutschen Zusammenbruch 1918 und 1945 bis zur staatlichen Neuordnung Deutschlands in der Gegenwart, Tome 3, Berlin, Dokumenten‑Verlag Dr. Herbert Wendler, 1959, p. 267‑268.

[24]. En 1871 fut fondé un état national allemand rassemblant les provinces incluses, notamment le royaume de Prusse, sous le nom de "Deutsches Reich" ("Empire allemand"). Cette désignation fut maintenue après l'instauration de la république fédérale en 1919.

[25]. IML beim ZK der SED (Ed.): Dokumente und Materialien zur Geschichte der deutschen Arbeiterbewegung - Série 2 - Tome 3, Berlin, Dietz, 1957, p. 294.