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Xhafer Dobrushi:
Les vues antimarxistes des révisionnistes titistes sur la nation,
expression de leur conception idéaliste et réactionnaire du monde

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Studime Politiko-Shoqërore (Etudes politiques et sociales),  n° 9, 1985,
Institut des Etudes marxistes-léninistes près le Comité central du Parti du travail d'Albanie,
Tirana.

Reproduit d'après Études politiques et sociales, en français, n° 4, 1987, Tirana, pp. 167‑186.

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La question nationale albanaise et le conflit de 1998-1999 au Kosovo - Sommaire

 

 

 

 

 

 

Les révisionnistes titistes, comme ils l'ont toujours fait, ne cessent de prétendre qu'ils ont posé et résolu dans la voie marxiste-léniniste la question nationale dans leur pays. Naturellement la vérité est tout autre. Ayant analysé de façon scientifique et matérialiste ce dangereux courant révisionniste, le PTA et le camarade Enver Hoxha ont démontré clairement que les théories et les pratiques des titistes concernant la nation et la question nationale, comme d'ailleurs toutes leurs vues et prises de position relatives à la théorie et à la pratique du socialisme scientifique, n'ont rien de prolétarien, ni de socialiste, qu'au contraire, elles s'écartent ouvertement du marxisme-léninisme. Les élucubrations des révisionnistes titistes sur le concept de nation, qui traduisent leur conception idéaliste et réactionnaire du monde, servent directement les intérêts de la bourgeoisie chauvine yougoslave. Ce sont autant de tentatives pour asseoir sur une "base théorique" la politique nationaliste bourgeoise et chauvine appliquée en Yougoslavie et qui caractérise tout son système "autogestionnaire" capitaliste.

Depuis longtemps, la théorie marxiste-léniniste a élaboré et formulé une conception scientifique matérialiste complète de la nation. Se guidant sur les principes fondamentaux définis par Marx, Engels et Lénine à ce propos, et sur la base d'une analyse dialectique approfondie et générale des processus historiques, des conditions matérielles qui ont entraîné la formation et la consolidation des communautés sociales, le remplacement des communautés inférieures, comme la gens et la tribu, par d'autres communautés, supérieures, comme la nationalité et la nation. J. Staline a fourni une définition scientifique de la nation. "La nation, écrit-il, est une communauté stable, historiquement constituée, de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychique, qui se traduit dans la communauté de culture[1]." Cette définition offre les traits les plus généraux et les principaux éléments constitutifs de la nation. Nier n'importe lequel d'entre eux ou tenter de leur en ajouter d'autres, n'est qu'un écart évident par rapport à la théorie marxiste-léniniste de la nation, un effort avorté pour cacher et justifier l'application d'une politique non prolétarienne sur la question nationale.

Par leurs vues et leurs pratiques, les révisionnistes yougoslaves se sont opposés ouvertement à la conception et à la définition scientifiques matérialistes de la nation dans tous ses éléments constituants.

Après s'être dressé contre la conception marxiste-léniniste de la nation et !a définition scientifique qu'en a fournie J. Staline, Edvard Kardelj, un des principaux chefs de file et théoriciens titistes, s'engagea à en donner une définition "nouvelle". "La nation, telle que nous la concevons aujourd'hui, écrit-il, est un phénomène historique, social et économique, culturel et politique, qui s'est manifesté dans des conditions données de la division sociale du travail[2]."

Comme on le voit, dans cette prétendue définition E. Kardelj exclut du contenu de la nation, et cela non par hasard, tout ce qui caractérise dans son essence une communauté nationale. Il falsifie ouvertement le processus historique de la naissance et de la consolidation des nations, il nie le trait le plus général qui les caractérise en tant que communautés humaines stables, il ignore des éléments déterminants comme la communauté de langue, de territoire et de liens économiques.

Certes, la définition de la nation proposée par E. Kardelj n'est pas quelque chose de fortuit. C'est la conclusion d'un livre volumineux qui, comme son auteur le reconnaît, a été rédigé pour expliquer et élaborer les bases théoriques du programme national du PCY[3]. L'esprit antimarxiste et antiscientifique qui anime cette conception du concept de nation, se trouve à la base de toutes les élucubrations et de toutes les pratiques des révisionnistes titistes à propos de la nation et de la question nationale.

Une des principales déformations que les révisionnistes titistes font subir à la théorie marxiste-léniniste de la nation, c'est la falsification du processus de sa formation. En prétendant que "la nation [...] s'est manifestée dans des conditions données de la division sociale du travail", E. Kardelj évite de mentionner la vraie cause de la formation et de la consolidation des communautés nationales, à savoir l'apparition du mode de production capitaliste. Il va même jusqu'à affirmer ouvertement que ce serait soi-disant la division sociale du travail qui serait la cause fondamentale des communautés nationales, mais encore de la naissance du système social capitaliste.

Naturellement, cette conception et cette prise de position est en flagrante opposition avec le processus historique de l'évolution sociale, avec les conditions matérielles et les lois générales objectives qui ont entraîné l'apparition du mode de production capitaliste. L'analyse de ces conditions, faite en détail par Marx, Engels, Lénine et Staline, ainsi que la connaissance de ces lois générales, montrent que ce n'est pas la division sociale du travail qui entraîne dans une société donnée des changements comme la naissance des nations et du mode de production capitaliste, mais ce dernier qui détermine aussi bien la naissance des nations que la nécessité d'accélérer la division sociale du travail.

Dans son œuvre monumentale, Le Capital, Marx démontre, avec arguments scientifiques à l'appui, l'inéluctabilité du renversement du féodalisme et de la naissance du capitalisme. Ces processus ont, à leurs fondements, non pas la division sociale du travail, comme E. Kardelj cherche à le faire croire, mais l'accumulation du capital, la concentration de grandes richesses monétaires entre les mains des gros propriétaires terriens, des commerçants et des usuriers. Les détenteurs de ce capital, cherchant toujours à l'accroître, concentrent dans leurs ateliers les moyens de production et les travailleurs. C'est ainsi que sont créées les premières entreprises capitalistes, employant des ouvriers salariés, qui effectuent un travail manuel conformément à la division du travail. Ce niveau de développement de la production sociale et des rapports matériels correspondants, qui servent de cadre à la progression de cette production, se traduisent par la formation de deux nouvelles classes fondamentales de la société, la bourgeoisie et le prolétariat, la création d'un marché national unique et l'accentuation toujours plus marquée de la division sociale du travail.

Cette division a existé également dans les formations sociales précapitalistes, mais elle n'a pas entraîné, comme elle ne pouvait du reste pas le faire, la naissance des nations. Elle pouvait encore moins conduire au renversement d'un ordre social donné et au triomphe d'un autre, supérieur, car, en tant que catégorie historique elle revêt des formes bien définies, varie et s'accentue en fonction de la nature des formations économiques et sociales. C'est précisément pour cette raison que Marx indiquait que "la division manufacturière est une création spéciale du mode de production capitaliste"[4]. Critiquant Proudhon, qui concevait la division du travail comme une catégorie immuable, comme le facteur déterminant de la naissance de tous les rapports de production capitalistes, Marx soulignait: "L'accumulation et la concentration d'instruments et de travailleurs précéda le développement de la division du travail dans l'intérieur de l'atelier[5]." "Le développement de la division du travail suppose la réunion des travailleurs dans un atelier[6]." Et ceci en est une condition d'existence. Il en découle que ce n'est pas la division du travail qui détermine le passage du féodalisme au capitalisme. Puisque les nations sont le produit inévitable de l'époque bourgeoise de l'évolution sociale, le processus de leur naissance ne peut en aucune manière être imputable à la division sociale du travail.

Lénine et Staline ont montré que les nations ont été formées au cours de la naissance et du développement du capitalisme, dans le processus de regroupement des marchés locaux en un marché national unique. Durant ce processus, des liens économiques sont noués qui englobent toute la population parlant la même langue et vivant sur le même territoire. À partir de ces positions et dans cet esprit, Lénine analyse le processus de formation de la nation russe. Il souligne: "Seule la nouvelle période de l'histoire russe (à partir du XVIIe siècle à peu près) se caractérise vraiment par une fusion de fait de toutes ces régions, terres et principautés en un tout unique. Cette fusion s'explique par les échanges croissants entre les régions, par l'augmentation progressive de la circulation des marchandises, par la concentration des petits marchés locaux en un seul marché de toute la Russie[7]."

La thèse des révisionnistes titistes qui rattache la formation des nations à la division sociale du travail en régime capitaliste dissimule des visées contre-révolutionnaires. Cette pseudo-théorie prétend que, de même que la division sociale du travail en régime capitaliste a entraîné la formation des nations, ainsi, dans les conditions actuelles de l'impérialisme, de l'essor de la science, de la technique et de la révolution technique et scientifique, en un temps où la division sociale du travail a gagné en ampleur et en profondeur à l'échelle planétaire, tout pousse soi-disant spontanément les nations à se rapprocher et à s'unir, tout mène à la suppression des différences nationales. E. Kardelj écrit: "La division sociale du travail, qu'exigent un tel essor des forces productives et un tel volume des échanges des valeurs matérielles dans le monde, dépasse nécessairement les étroites frontières nationales, rapproche les nations et entraîne l'homme directement dans le mécanisme de l'économie mondiale. Parallèlement, la conscience de l'intérêt matériel et culturel de l'homme doit évoluer, et elle évolue déjà. Dès maintenant on voit se créer des organisations internationales de coopération économique, ce qui montre que la conscience de la communauté des intérêts économiques dépasse les frontières nationales et s'étend à des régions beaucoup plus vastes... C'est là le processus de l'union des nations qu'entraîne nécessairement la division sociale du travail à l'époque où l'humanité s'engage dans le socialisme[8]." On ne peut donc être plus explicite.

Le caractère métaphysique et contre-révolutionnaire de ces thèses titistes réside en ce que leurs auteurs considèrent l'élimination de l'oppression nationale, la question de l'établissement de rapports d'égalité entre les nations, leur rapprochement et leur union comme des problèmes à résoudre dans le cadre du système capitaliste grâce à l'accentuation de la division internationale du travail. À partir de ces positions, les titistes nient la lutte des masses populaires des nations opprimées pour conquérir leur liberté et leur indépendance contre la bourgeoisie des nations oppressives, et par là même justifient en fait l'inégalité toujours croissante entre les nations, encouragent l'oppression nationale la plus farouche.

Contrairement aux allégations des révisionnistes titistes, la tendance objective de l'impérialisme à multiplier ses liens économiques, politiques et culturels, à dépasser et à transgresser les frontières nationales, sur la base de la socialisation internationale de la production capitaliste, comme l'a souligné Lénine avec une précision scientifique, ne conduit ni ne peut conduire au rapprochement et à l'union librement consentie des nations. La seule voie juste que suit le prolétariat en tenant compte de cette tendance, c'est la lutte contre toute inégalité sociale, le soutien résolu aux mouvements de libération des nations opprimées, l'union internationaliste des prolétaires et des autres travailleurs à l'échelle nationale et internationale pour secouer le joug du capital, combattre la bourgeoisie et l'impérialisme.

Il est clair comme le jour que le "rapprochement" et "l'union" des nations dans les conditions de l'impérialisme, qu'évoquent les titistes, n'est rien d'autre que l'actuelle réalité capitaliste qui caractérise la tension des relations internationales, le droit que s'est arrogé la bourgeoisie des nations oppressives, notamment des États-Unis et de l'Union soviétique, d'assujettir par la violence d'autres nation et de fouler aux pieds leur souveraineté. L'interprétation titiste de la tendance de l'impérialisme à multiplier les liens économiques, politiques et culturels entre les nations, à dépasser et à transgresser les frontières nationales, tendance soi-disant entraînée par l'accentuation de la division sociale du travail, passe sous silence les profondes contradictions antagonistes entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre les nations oppressives et les nations opprimées: elle prône ouvertement l'idée de soumission des nations opprimées et le sacrifice de leur cause au profit des intérêts de la bourgeoisie des nations oppressives, ainsi que leur docilité devant les superpuissances et les autres puissances impérialistes.

En soutenant que la formation, l'existence, l'union et la fusion des nations sont déterminées par la seule division sociale du travail, les révisionnistes titistes versent eux aussi totalement dans des positions métaphysiques.

En premier lieu, ils séparent arbitrairement la communauté nationale du système économique et social qui l'a engendré, des rapports de production capitalistes, refusant ainsi de voir les transformations radicales qui ont lieu dans le développement des nations avec le changement du système social, avec le renversement du capitalisme et le triomphe du socialisme. C'est précisément pour cette raison que Kardelj s'oppose avec force à la thèse marxiste qui fait une distinction de principe entre les nations socialistes et les nations bourgeoises, et estime même cette division absurde[9].

En deuxième lieu, la position métaphysique des révisionnistes titistes ressort clairement aussi dans leur attitude concernant l'avenir des nations. Préconisant l'union des nations et l'élimination des différences nationales dans les conditions de l'existence de la propriété privée, des rapports de production capitalistes, les titistes s'opposent pratiquement au développement libre et indépendant des nations, de leur langue et de leur culture, développement qui ne peut s'épanouir avec tout son potentiel que dans les conditions des rapports de production socialiste et communistes, dans les conditions de la domination politique du prolétariat au sein de la société.

Une autre déformation que les révisionnistes yougoslaves ont fait et font subir à la théorie matérialiste de la nation, c'est la négation de la thèse selon laquelle les nations sont des communautés sociales stables.

Le marxisme-léninisme a depuis longtemps démontré que la communauté de langue, de territoire, de liens économiques et de culture, créée sous l'influence directe des processus historiques et héritée d'une génération à l'autre, rend la communauté nationale solide et stable. C'est sur cette base que se forme et se raffermit la conscience nationale, qui reflète les liens étroits et très solides entre les membres de la nation. Dans ces liens objectifs, les membres de diverses nations voient leurs intérêts vitaux, aussi la conscience nationale devient-elle une source de lutte pour l'affirmation nationale, une force extraordinaire qui amène les petites nations ou certaines de leurs parties à tenir tête au cours des siècles aux tentatives d'assimilation violente auxquelles les grandes nations, les nations oppressives se livrent à leur endroit. C'est là une conclusion corroborée depuis longtemps par les luttes longues el héroïques que de nombreuses nations ne cessent de mener pour conquérir leur liberté.

La stabilité des nations, leur résistance et leur force intérieure qui ont toujours mis en échec les visées d'assimilation et d'extermination des chauvins, ont obligé les classes dominantes des nations oppressives à avoir recours, en même temps qu'à la violence effrénée, aux armes de l'asservissement spirituel, afin d'arriver à leurs fins, d'assujettir et d'assimiler les nations ou les tronçons de nations annexés. Pour ce faire, elles ont inventé toutes sortes de "théories" et conceptions à travers lesquelles elles s'efforcent sournoisement de propager dans les masses populaires des nations opprimées l'indifférentisme quant à leur appartenance nationale, de nier et d'éteindre leurs sentiments de profond attachement à la langue, à la culture, à l'histoire et aux coutumes de leurs ancêtres, et tout cela afin de saboter leur juste lutte pour affirmer leur identité nationale.

Une pseudo-théorie de ce genre est notamment celle qui identifie la communauté nationale à la communauté d'État. Selon cette "théorie", dans un État plurinational, l'appartenance nationale de chaque citoyen n'est fonction ni de sa langue ni des autres éléments constitutifs de sa nation, mais de son appartenance à l'État.

Depuis longtemps, les révisionnistes yougoslaves ont glissé vers les positions de la théorie bourgeoise qui identifie la communauté nationale à la communauté d'État. À partir de ces attitudes idéalistes et métaphysiques et en flagrante opposition avec la théorie matérialiste marxiste-léniniste, E. Kardelj exclut du concept de nation un des traits les plus essentiels, et plus précisément son caractère de communauté stable. À ce jugement, qui n'est pas fortuit, s'en associent d'autres de la même veine.

Il y a longtemps qu'en Yougoslavie des tentatives ont été faites pour identifier la communauté nationale à la communauté d'État. Elles ont traduit la tendance de la bourgeoisie serbe, au lendemain de la fondation du Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, à serbiser les autres nations plus petites comprises dans l'État yougoslave. C'est dans ces positions de la bourgeoisie serbe qu'a versé pleinement le Parti ouvrier socialiste de Yougoslavie (c'est-à-dire le parti communiste) qui, à son Ier Congrès tenu en avril 1919, adopta le mot d'ordre "d'un peuple et d'un État national", et, à son IIe Congrès convoqué en juin 1920, navigua encore dans des eaux troubles en lançant le mot d'ordre de l´"unité nationale"[10]. Cette prise de position ouvertement nationaliste et chauvine compromit gravement le PCY aux yeux des nations opprimées.

Et pourtant, le PCY eut beaucoup de peine et mit longtemps à prendre ses distances par rapport à cette attitude opportuniste et nationaliste bourgeoise. Il lui fallut exactement trois ans pour arriver à renoncer, ne fût-ce que formellement, au slogan grand-serbe de l´"unité nationale", et cela sous la forte pression des masses et des critiques que lui avait adressées le Komintern. Mais, même par la suite, le PCY ne se débarrassa pas de la mentalité ni de ses illusions bourgeoises dans sa conception de la nation et de la question nationale, pas plus que dans son attitude envers celles-ci. En témoigne le fait que la Seconde Conférence du PCY traita les nations comprises dans la communauté d'État yougoslave comme de simples gens et jeta, sur cette base, l'idée de la "nation yougoslave", qui était soi-disant en plein "processus de formation", c'est-à-dire qu'elle résulterait de l'union et de la fusion de ces prétendues gens[11].

Cette conception de la nation et de la question nationale soutenue par le PCY contenait au fond elle aussi l'idée de l´"unité nationale". Aussi correspondait-elle pleinement aux visées de la bourgeoisie grand-serbe relatives à la dénationalisation et à l'assimilation des autres nations comprises dans le Royaume de Yougoslavie. Précisément cette situation malsaine qui caractérisait les rangs du PCY, et surtout sa direction, obligea le Komintern à se pencher à plusieurs reprises sur la question nationale yougoslave.

Le plénum élargi du Comité exécutif du Komintern, qui se réunit à Moscou du 21 mars au 6 avril 1925, discuta en particulier de la politique nationale du Parti communiste de Yougoslavie et attira l'attention sur le grand tort que causait la propagation de l'idée que les Serbes, les Croates et les Slovènes formaient une seule nation, au mouvement de libération nationale en Yougoslavie. "La légende de l'unité nationale des Serbes, des Croates et des Slovènes, soulignait la résolution issue de ce plénum, doit être dénoncée, car elle sert à masquer la politique nationaliste d'oppression de la bourgeoisie chauvine serbe. Aucun communiste ne peut aider à la propagation de cette légende à travers [...] la fable du processus de fusion naturel qui contribuerait soi-disant au processus de développement économique[12]."

Le PCY ne modifia pas son attitude envers le problème du yougoslavisme en tant qu'appartenance nationale, même lorsque les titistes accédèrent à sa direction. Tito, Kardelj et Cie "s'opposèrent" aux vues de leurs prédécesseurs sur "la nation yougoslave unique", les qualifièrent d´"ancien yougoslavisme", mais s'ils le firent, ce ne fut pas à partir de positions de principe, ni parce qu'ils se guidaient sur les principes marxistes-léninistes dans la manière de poser et de résoudre la question nationale, mais parce qu'ils cherchaient uniquement à défendre les intérêts de la bourgeoisie croate et slovène contre la politique d'assimilation de la bourgeoisie serbe, à établir un certain équilibre entre ces deux groupements bourgeois. C'est donc là qu'ont leur origine les tactiques suivies par les titistes, qui, d'une part, n'ont cessé de critiquer l´"ancien yougoslavisme", et, de l'autre, propagent et soutiennent de toutes leurs forces leur yougoslavisme "nouveau, socialiste", affublé d'une phraséologie ténébreuse et de slogans creux sur l´"égalité" et l´"union-fraternité".

L'essence du yougoslavisme en tant qu'idéologie et politique nationaliste bourgeoise apparaît presque au grand jour aussi dans la définition de ce phénomène donnée par E. Kardelj: "L'essence du yougoslavisme actuel, écrit-il, ne peut être que la communauté des intérêts sociaux, matériels et politiques des travailleurs de tous les peuples de Yougoslavie [...] ce qui unit le plus les peuples de Yougoslavie, ce sont les éléments humains en général et non pas ce qui, en eux, est étroitement national[13]."

Il va de soi que dans un pays comme la Yougoslavie, où la propriété privée existe et prospère, où les contradictions entre les classes antagonistes s'exacerbent et s'accentuent sans arrêt, où l'oppression nationale existe sous les formes les plus violentes, le "général" et l´"humain" qu'évoquent les titistes en cherchant à cacher avec ces éléments le vrai contenu du yougoslavisme, n'est rien d'autre que les droits dont jouissent l'ancienne et la nouvelle bourgeoisie en Yougoslavie, essentiellement serbe et croato-slovène, dans le système d'autogestion capitaliste afin d'opprimer et d'exploiter sans pitié les autres nations et nationalités du pays.

L'appui apporté par la LCY à la conception de yougoslavisme en tant qu'appartenance nationale, la propagande qu'elle mena à cette fin, ont dépassé le cadre théorique. Au recensement général de la population de Yougoslavie en 1961, plus de 317 000 personnes figuraient de nationalité yougoslave, alors qu'en 1981 ce nombre se monta à 1 216 463, soit le quadruple du recensement précédent.

En Serbie, les citoyens déclarés de nationalité yougoslave représentent environ 12 pour cent de la population, en Croatie 8,4 pour cent, en Bosnie-Herzégovine (où sont déclarés tels essentiellement des Serbes et des Croates) 7,9 pour cent alors qu'en Macédoine les citoyens déclarés de nationalité yougoslave ne représentent que 0,7 pour cent de la population, en Kosove 0,2 pour cent, etc.

La presse titiste même a relevé le fait que la majorité des citoyens déclarés de nationalité yougoslave est constituée de Serbes et de Croates. "La place principale parmi les “Yougoslaves”, écrit M. Lalović, docteur ès sciences démographiques, revient aux Serbes et aux Croates [...] dont un grand nombre se sont prononcés pour la nationalité yougoslave[14]."

De toute évidence le yougoslavisme sert directement les Intérêts des nations oppressives, il vise à la dénationalisation et à l'assimilation des petites nations.

L'accroissement si considérable et si rapide du nombre des citoyens déclarés de nationalité yougoslave a suscité d'âpres polémiques à diverses instances au niveau de la Fédération et des républiques de Yougoslavie. Toutefois, comme tous les autres révisionnistes, les titistes ont eux aussi leur propre logique. Leur position délibérément antimarxiste de toujours, leur profonde hostilité à la liberté et à l'égalité véritables des nations et des nationalités, la défense opiniâtre des intérêts de l'ancienne et de la nouvelle bourgeoisie yougoslave dont ils font partie, les poussent à soutenir sans cesse l'idée et la pratique bourgeoise de la création d'une nationalité yougoslave.

À part les déclarations des grand-Serbes, qui se prononcent ouvertement et avec arrogance pour une nationalité unitaire, les affirmations de certaines personnalités dirigeantes de la LCY, qui se posent aussi en théoriciens de la question nationale, sont typiques à cet égard. "Chacun a le droit, a dit D. Dragosavac, membre de la présidence du CC de la LCY lors d'une interview accordée à la revue Mejdounarodnaya Politika, de se définir du point de vue national à partir de son lieu de naissance, ou, autrement, en tant que Yougoslave[15]." Traitant du même problème dans un meeting populaire organisé à Kozare, un autre membre de la présidence du CC de la LCY, H. Pozderac, a souligné: "Qui se sent gêné par le fait que quelqu'un se déclare de nationalité yougoslave? C'est là un droit imprescriptible de tout individu et quiconque peut se déclarer librement de telle ou telle nationalité[16]."

Même après ces déclarations publiques visant à défendre la "nationalité yougoslave", ces révisionnistes ont le front d'affirmer que renoncer à sa propre nationalité et se déclarer de nationalité yougoslave n'entraîne pas l'identification de la communauté nationale à la communauté d'État, car ce phénomène n'aurait soi-disant rien à voir avec l'opposition aux efforts d'affirmation nationale. Ces thèses sont tellement absurdes que beaucoup d'autres personnalités titistes les dénoncent ouvertement. Ainsi le Pr Dr Dušan Bilandjiq, membre du CC de la LC de Croatie et professeur à la Faculté des sciences politiques de Zagreb, écrit: "Je pense que la manifestation de yougoslavisme au niveau national, notamment sa montée rapide, prouve qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans notre société, car ce n'est pas un phénomène social normal [...] Il faut reconnaître qu'en fin de compte il s'agit d'une déformation de la notion de nation[17]."

Le regain et le raffermissement des tendances unitaristes serbes a rendu le thème de "yougoslavisme" encore plus brûlant. C'est pour cette raison que l'idée de "yougoslavisme" est devenue un des principaux sujets de discussion à la session scientifique consacrée au 40e anniversaire de la Deuxième Réunion de l'AVNOJ. La section des sciences historiques qui a traité de ce sujet, est devenue le théâtre de polémiques violentes. L'aile serbe a soutenu ouvertement la thèse de la restructuration centraliste de la Yougoslavie à l'image de l'ancien royaume d'avant-guerre, où la bourgeoisie chauvine grand-serbe faisait la loi. Les grand-Serbes sont allés jusqu'à regretter la solution de continuité entre l'ancienne Yougoslavie centraliste et la Yougoslavie actuelle, et ont manifesté leur mécontentement du fait qu'aujourd'hui on ne suit plus la même voie.

Ces déclarations ont suscité une réaction violente. "Au cours de cette campagne, a dit le sociologue slovène Shtipe Shuvar, nous lisons et entendons dire que l'une des causes de l'effondrement de l'ancienne Yougoslavie [...] était l'hostilité envers l'idée yougoslave. Non contents de cette affirmation, ils [les grand-Serbes - note de l'auteur] soulignent la validité de la conception centraliste de l'ancienne Yougoslavie, la présentent comme l'unique alternative réelle, et recommandent de suivre actuellement la voie européenne, qui se traduisit dans la manière dont Bismarck unit les Allemands autour de la Prusse ou encore dans le Risorgimento en Italie, ce qui reviendrait en fait à reconnaître nécessairement au peuple serbe le rôle du Piémont[18]."

Le cours et la politique des révisionnistes titistes, qui identifient la communauté nationale à la communauté d'État, émanent de leur conception idéaliste et métaphysique du monde, des intérêts de l'ancienne et de la nouvelle bourgeoisie yougoslave qu'ils soutiennent et représentent. En s'opposant au processus objectif et aux conditions historiques qui ont entraîné la formation des communautés nationales, à la consolidation des traits nationaux, ils croient pouvoir ignorer la force de la stabilité des nations et de parties de nation, et assimiler facilement certaines d'entre elles.

Essayer de convaincre les nations intégrées dans une communauté d'État de renoncer à leur appartenance nationale, tenter de les faire fusionner et de les liquider avant l'édification de la société communiste et, qui pis est, dans les conditions du capitalisme, comme c'est le cas de la Yougoslavie actuelle, revient à adopter, du point de vue de la théorie du matérialisme historique, une attitude métaphysique, dont ne peut découler qu'une politique chauvine.

Comme on le sait, les conditions de la fusion et de l'extinction des nations ne se créent qu'après le triomphe du communisme à l'échelle internationale. Seule la période historique allant du renversement du capitalisme au triomphe du communisme, et qui a pour trait fondamental l'existence de la dictature du prolétariat, réunit les conditions nécessaires permettant aux nations jadis opprimées et exploitées de se développer et de prospérer, de déployer leurs valeurs authentiques. C'est seulement après l'élimination de la propriété privée et des classes exploiteuses de même qu'après l'édification de la société communiste, que seront neutralisés les facteurs qui engendrent et justifient le recours de certaines nations à la violence pour en assujettir d'autres, que se créeront une égalité nationale véritable et la confiance réciproque entre les nations. Toute attitude hostile à l'affirmation et au développement des nations en général, toute négation ou tendance à la négation des efforts menés dans ce sens, comme c'est le cas des titistes, s'opposent au processus dialectique du développement de l'histoire et, en tant que telles, présupposent nécessairement le recours à une violence sauvage.

"Tenter de faire fondre les nations à coups de décrets d'en haut, par la force, soulignait Staline, c'est faire le jeu des impérialistes, miner la cause de la libération des nations, entraver le travail d'organisation en vue de la coopération et la fraternisation des nations. Une pareille politique équivaudrait à une politique d'assimilation[19]."

L'écart des révisionnistes yougoslaves par rapport à la théorie marxiste-léniniste de la nation et leur opposition ouverte à cette théorie se voient manifestement aussi dans leur attitude envers un autre trait essentiel de la nation, son contenu en tant que communauté historique.

Les révisionnistes yougoslaves reconnaissent formellement que la nation est une communauté sociale historique, mais, en même temps, les documents de leur parti, les discours des dirigeants titistes, nombre de leurs publications et leur presse mentionnent les musulmans, les tsiganes, etc., comme des communautés nationales, des nationalités. C'est une falsification ouverte de la théorie marxiste-léniniste de la nation. À partir de ces positions erronées, ils identifient la communauté sociale historique avec la communauté de religion et de race.

La communauté nationale, formée et consolidée tout au long d'un processus historique essentiellement par des facteurs matériels objectifs intérieurs, ne peut être ni confondue ni identifiée avec les communautés de religion, qui se forment sous l'influence des facteurs subjectifs, pas plus qu'elle ne peut l'être avec les communautés de race, qui se constituent essentiellement sous l'influence des facteurs biologiques extérieurs. Staline souligne que "la nation n'est pas une communauté de race ni de tribu, mais une communauté d'hommes historiquement formée"[20].

Une autre déformation flagrante que les révisionnistes font de la théorie marxiste-léniniste de la nation, consiste en ce qu'ils excluent de la notion de nation un de ses éléments constitutifs indispensables, la langue.

Depuis longtemps, la théorie marxiste-léniniste de la nation a démontré que la communauté de langue constitue un des traits les plus fondamentaux de la nation. Tous les membres d'une nation parlent une langue maternelle commune. "Il n'est pas de nation qui parle à la fois plusieurs langues[21]", observe Staline.

La formation des nationalités s'est accompagnée partout de la formation de leur langue commune. Au cours des siècles qui constituent la période précapitaliste de la société de classes, la communauté de langue et de territoire créa les conditions nécessaires pour faire acquérir aux membres d'une nationalité des coutumes et des traditions, une façon de vivre et une culture communes, leur faire nouer des liens communs dans tous les domaines.

Avec le renversement du féodalisme et le triomphe du mode de production capitaliste, les nationalités se transformèrent en nations, qui sont des communautés sociales beaucoup plus consolidées et stables que les premières. Parallèlement aux facteurs matériels économiques, qui sont naturellement à la base de cette transformation progressiste, la langue commune facilite ce processus, elle en est un élément indissociable, car elle a permis aux habitants de diverses régions, qui, dans les conditions du féodalisme, vivaient isolés dans les domaines de tel ou tel seigneur, de communiquer librement entre eux dans le processus de production et d'échange capitaliste, sur le marché national que crée le système capitaliste. La langue devient non seulement un trait essentiel de la nation, mais encore une condition de son développement libre et multiforme.

Cette conception matérialiste scientifique du contenu de la nation et de ses éléments constitutifs est à l'origine de la thèse marxiste-léniniste selon laquelle il ne peut y avoir ni développement, ni affirmation, ni épanouissement d'une nation et de ses valeurs nationales, sans un soutien total de l'essor et de l'enrichissement de sa langue, de sa littérature et de sa culture. Cette même conception se trouve à l'origine du principe prolétarien notoire selon lequel, dans un État plurinational, l'égalité juridique et réelle des langues et des cultures nationales est l'exigence la plus élémentaire de la démocratie et du socialisme.

Néanmoins, se tenant sur des positions manifestement antimarxistes, les révisionnistes yougoslaves prétendent que dans les conditions du capitalisme la langue cesse d'être un des traits distinctifs essentiels de la nation, qu'il est soi-disant possible aux habitants d'une nation de parler des langues différentes, etc. Les élucubrations de Kardelj sont typiques à cet égard. Traitant de l´"union" et de la "fusion" des nations il prétend que "la diversité des langues de cette communauté ne s'y opposera point, d'autant plus que les gens, dotés d'un niveau culturel plus élevé, parleront plusieurs langues. Il est évident que les langues des grandes nations deviendront du coup des langues internationales[22]."

La signification idéaliste métaphysique, le contenu et les visées réactionnaires de ces thèses des titistes apparaissent au grand jour si l'on considère que Kardelj, loin de rattacher l'union et la fusion des nations à la révolution prolétarienne, à la dictature du prolétariat, au triomphe du communisme à l'échelle mondiale, processus inévitable, les tient pour un processus qui se réalise à l 'heure actuelle, sous nos yeux, dans les conditions du capitalisme, grâce au développement des forces productives, aux découvertes scientifiques en physique, mathématiques, électronique, etc., à l'essor de la révolution technique et scientifique. Ces forces productives, "qui ne cessent de progresser, dit Kardelj, transformeront graduellement la conscience des hommes, ce qui permettra de surmonter les frontières nationales ‑ ce qui a commencé dès maintenant ‑ et de faire directement de l'homme un citoyen du monde" [23].

C'est là un cosmopolitisme pur, qui préconise la négation de toutes les différences nationales, la fusion des petites nations et des nations opprimées et leur assimilation par les grandes nations oppressives. Là encore, les révisionnistes titistes apparaissent comme de fidèles apologistes de l'impérialisme américain, de son idéologie et de sa politique d'exploitation.

Par leurs théorisations et leurs pratiques conformes à l'esprit de l'idéologie cosmopolite, les révisionnistes titistes servent en même temps l'impérialisme international, dont ils sont l'instrument, et l'ancienne et la nouvelle bourgeoisie yougoslave dont ils sont les porte-parole attitrés. Ce sont précisément les intérêts de la bourgeoisie que la politique nationale de la LCY exprime et défend quand il s'agit du problème de la langue et de la culture nationales. Que ce soit sous ses formes les plus virulentes du temps de Ranković ou à l'époque où elle fit des concessions sous la forte pression des nations et des nationalités opprimées, cette politique s'est toujours caractérisée par la haine des langues et des cultures autres que serbes et croates, par un manque total d'égalité entre elles. L'exemple le plus édifiant à cet égard, c'est l'attitude que l'on observe en Yougoslavie envers la langue, la littérature, la musique et la culture albanaises.

Rappelons en passant que la période de 1945 à 1966 est connue désormais comme l'époque de la terreur rankovićienne la plus sauvage, qui ne reconnaissait aux Albanais vivant sur leur propres territoires en Yougoslavie pas même leurs droits nationaux les plus élémentaires, ce que les titistes eux-mêmes n'ont pas manqué d'avouer. Mais arrêtons-nous ici sur les développements de ces deux dernières décennies, qui sont claironnées à grand bruit comme l´"apogée" de l'égalité entre nations et nationalités, entre langues et cultures nationales en Yougoslavie.

Il est vrai qu'après 1966, la langue, la littérature, la musique, la culture et l'enseignement albanais en général ont connu en Kosove un essor et se sont affirmés comme jamais auparavant. Mais le mérite n'en revient ni à la volonté, ni à la ligne, ni à la politique des révisionnistes titistes. Au contraire, tous ces acquis sont le seul mérite de la population albanaise de Kosove, qui les a obtenus et les défend au prix du sang versé et d'innombrables sacrifices.

Malgré ces réalisations, les chauvins serbes et yougoslaves n'ont cessé de considérer la langue et la culture de la population albanaise qui vit sur ses propres territoires en Yougoslavie comme inférieures à la langue et à la culture serbo-croates. Aussi ont-ils poursuivi leurs efforts (qui se sont intensifié beaucoup après les événements de 1981) pour faire assimiler la langue et la culture albanaises en Kosove par la langue et la culture serbo-croates. "Il faut reconnaître, écrit le journal Rilindja, que malgré les résultats obtenus [...] dans la promotion de l'égalité entre les langues, écrites et parlées, notamment par rapport à la période antérieure à 1966, la pratique atteste qu'il reste encore beaucoup à faire dans ce sens, surtout quand il s'agit de l'albanais, qui est souvent traité comme une langue secondaire dans l'administration et la vie politique[24]."

La presse kosovienne cite de nombreux exemples de la vie de tous les jours qui montrent que les Kosoviens se voient nier le droit d'utiliser leur langue maternelle et imposer l'usage du serbo-croate. Elle souligne avec préoccupation qu´"à chaque réunion, quel qu'en soit le niveau, communal ou régional, on discute et on communique essentiellement en serbo-croate. Cette pratique ne date pas de 1981, elle est bien antérieure[25]." L'exemple d'une réunion de la Chambre économique de la Région de Kosove, qui s'est déroulée en serbo-croate, bien que sur les vingt-cinq participants il n'y eût que trois Serbes est significatif à cet égard.

La théorie marxiste-léniniste de la nation explique clairement que si un État plurinational aspire et œuvre vraiment à résoudre démocratiquement les rapports entre les nations qui la composent, il doit nécessairement garantir la liberté et l'égalité de ces nations, de leurs langues parlées et écrites, de leurs cultures, et prévoir des sanctions concrètes et sévères contre ceux qui s'y opposent. Présentant les revendications du programme démocratique sur la question nationale, Lénine soulignait: "[...] absolument pas de privilège à aucune nation, à aucune langue: résoudre la question du droit des nations à disposer politiquement d'elles-mêmes, c'est-à-dire à former un État à part dans une voie tout à fait libre et démocratique; promulguer une loi valide au niveau de l'État en vertu de laquelle toute mesure [...] qui prévoit dans n'importe quel domaine des privilèges pour une des nationalités, qui porte atteinte à l'égalité de celles-ci ou aux droits des minorités nationales, doit être déclarée illégale, nulle et non avenue, ‑ tout citoyen doit avoir le droit d'exiger l'annulation d'une mesure semblable en tant qu'acte anticonstitutionnel, et de réclamer des sanctions pénales contre ceux qui l'appliqueront[26]."

Les révisionnistes titistes, qui prétendent avoir réglé de manière "léniniste" la question nationale, mais qui en fait sont loin de lui avoir apporté une solution démocratique, n'ont jamais eu une loi analogue et ils ne l'ont toujours pas. En social-chauvins qu'ils sont, ils ont ajouté formellement à leur constitution de 1974 un article qui évoque l'égalité des langues parlées et écrites des nations et des nationalités[27], promettant de promulguer, dans l'esprit de cet article, une loi afférente. Mais dix ans sont passés depuis lors et "ni la Fédération, ni la république de Serbie n'ont émis les lois sanctionnant l'égalité des langues parlées et écrites des nationalités"[28].

Encouragés par la politique nationaliste bourgeoise de la LCY et profitant de l'absence d'une législation réglant les rapports entre les nations qui composent leur Fédération, les chauvins serbes, macédoniens, monténégrins et autres ont déclenché, surtout après les manifestations de printemps 1981, une vague d'attaques violentes contre la langue, la culture, la littérature, l'histoire et la musique albanaises en Yougoslavie.

Quoi qu'il en soit, les chauvins serbes et autres échoueront toujours dans leurs tentatives pour nier la littérature et la culture albanaises et imposer par la violence aux Albanais vivant en Yougoslavie les prétendues grandes cultures qui ne seraient soi-disant capables que d'alimenter les autres cultures sans avoir rien à recevoir du patrimoine culturel des autres peuples et des autres nations. Bien que par "grandes" cultures on entende avant tout l'actuelle culture serbe, qui n'est que l'expression des intérêts chauvins des grand-Serbes, une pareille attaque contre la culture de la population albanaise de Kosove se heurterait certainement à l'opposition résolue des Kosoviens. "Insister seulement sur ce que l'on donne, comme le fait la logique des grandes cultures, a dit un orateur kosovien à la réunion de la Commission de la culture et des relations entre les nations près le CC de la LCY, et non sur ce que l'on reçoit des “petites” cultures, comme on qualifie malheureusement chez nous celles des nationalités, n'est rien d'autre qu'une logique hégémoniste[29]." Au cours de la même réunion, un autre orateur kosovien a indiqué: "Nos troupes de théâtre mettent toujours en scène des pièces du répertoire de Serbie ou de Vojvodine, mais jamais leurs troupes à elles ne mettent en scène des pièces du répertoire de Kosove[30]."

La tendance à imposer le serbo-croate aux dépens de l'albanais est évidente également dans un autre domaine de la culture, le cinéma. Certes, tous les films yougoslaves (à l'exception de ceux produits par Prishtine) sont en serbo-croate, mais aussi tous les films étrangers projetés en Kosove sont doublés ou sous-titrés en serbo-croate. Et cela se passe ainsi uniquement en Kosove, alors que dans les républiques qui n'appartiennent pas à la région linguistique serbo-croate, comme la Slovénie et la Macédoine, les films sont doublés ou sous-titrés dans leurs langues respectives.

Il va sans dire que dans la Yougoslavie titiste autogestionnaire le danger d'assimilation menace gravement les cultures des autres nations, comme le Monténégro, la Macédoine et la Slovénie. Ces nations s'en rendent compte, et c'est ce qui expliqué les frictions, les réactions et les contre-mesures auxquelles on a assisté. Voilà précisément pourquoi la LSPP de Slovénie a créé récemment la section de la langue slovène dont le but est de veiller à la pureté de cette langue. Le danger de voir imposer aux Slovènes le serbo-croate a même fait l'objet d'une réunion de la présidence du CC de la LCS. Au cours de cette réunion, Franc Shtetinc, secrétaire de la présidence du CC de la LCS, traitant des développements actuels de la langue slovène, a déclaré: "La situation créée favorise, en dehors de la culture linguistique réelle, l'explosion d'une rancœur unitariste néfaste ou linguistique chauvine[31]."

Les révisionnistes titistes ne cessent de falsifier la conception marxiste-léniniste de la nation et cela est inséparable de leur cours d'inégalité et d'oppression politique et économique dans les rapports entre les nations composant leur pays. Les suites de cette politique chauvine se font sentir partout en Yougoslavie. Mais elles éprouvent davantage la population de Kosove et les autres Albanais qui y habitent et dont le retard économique est plus prononcé.

La conclusion que la Kosove est très arriérée non seulement par rapport aux républiques développées et à la moyenne de la Fédération, mais encore par rapport aux républiques moins développées, est basée sur l'analyse et la confrontation des principaux indices de développement de la région, tels que le produit social et les revenus nationaux par habitant, l'emploi, le nombre de médecins pour 1000 habitants, le nombre des écoliers et des étudiants, etc.

Une des plaies les plus graves qui frappe la Yougoslavie, c'est le chômage. Selon les données fournies par la presse yougoslave elle-même, en Slovénie 1 citoyen sur 2 à 3 a un emploi, en Croatie 1 sur 4, en Serbie 1 sur 5, en Bosnie-Herzégovine 1 sur 6, alors qu'en Kosove 1 sur 11. Ce problème apparaît plus complexe en Kosove, car l'emploi y varie suivant les nationalités. Dans cette région, le rapport de ceux qui ont un emploi dans la sphère sociale par rapport à la totalité de la population active est de 1 sur 4 pour les Monténégrins, de 1 sur 5 à 6 pour les Serbes et de 1 sur 18 pour les Albanais. La situation de l'emploi parmi les Albanais de Kosove apparaît encore plus inquiétante, si l'on considère qu'environ 100 000 d'entre eux ont émigré ces dernières années dans d'autres régions de Yougoslavie et à l'étranger.

Le problème du chômage en Kosove devient encore plus aigu et préoccupant s'il est considéré dans sa perspective. Ainsi, un emploi nouvellement créé est postulé en Slovénie par un citoyen, en Serbie par 2,3, en Voïvodine par 4,8, en Croatie par 5,3, au Monténégro par 12,8, en Bosnie-Herzégovine par 13,4, en Macédoine par 18,6, alors qu'en Kosove par 41,8.

Même du point de vue de l'indice le plus fondamental, le produit social et le revenu par habitant, la Kosove est 6 fois plus mal lotie que la Slovénie, 5 fois plus que la Croatie, 4 fois plus que la Voïvodie, 3 fois plus que la moyenne de la Fédération et la Serbie, et 2 fois plus que les autres républiques peu développées. Alors que, face aux revendications des Kosoviens pour réduire le grand fossé de l'inégalité économique, les révisionnistes titistes recourent aux promesses et à la mystification, ils deviennent très sensibles, irascibles et furieux, et recourent même à la troupe, aux chars et à l'aviation, face aux revendications politiques de la population albanaise, notamment quand celle-ci avance la juste revendication de se constituer en république, tout comme les autres en ont eu le droit au sein de la Fédération yougoslave.

Marx, Engels, Lénine et Staline, fondateurs de la doctrine scientifique matérialiste du développement de la société, concevaient le droit des nations à disposer d'elles-mêmes comme un droit à l'égalité entre les nations et les nationalités avant tout dans le domaine politique. "Le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, soulignait avec force Lénine, est leur droit absolu à l'indépendance dans le sens politique du terme [...][32]." Il en ressort que la réalisation de l'égalité politique dans les rapports entre les nations, même dans le cadre d'une solution démocratique et bourgeoise, est une condition du développement des nations économiquement arriérées, si elles tiennent à échapper dans une certaine mesure à l'oppression nationale.

Quand il s'agit des Slovènes, E. Kardelj admet lui aussi cette vérité. "Après les longues périodes de dépendance, dit-il en évoquant la situation de la nation slovène dans l'Empire austro-hongrois puis sous l'hégémonie serbe, les Slovènes ont conquis leur État, leur république socialiste populaire dans le cadre de la Fédération yougoslave. Ainsi, a été réalisée l'aspiration historique de longue date des forces les plus progressistes du peuple slovène[33]." Comme on le voit donc, E. Kardelj rattache la question de l'égalité nationale des Slovènes au sein de la Fédération yougoslave à la création de la république slovène. Alors pourquoi la demande de reconnaissance du statut de république à la Kosove, avancée par les Albanais, qui y habitent sur leurs propres territoires, qui forment une ethnie, et sont plus nombreux que les Monténégrins et les Macédoniens, et encore plus que les Slovènes, serait-elle "irrédentiste", "nationaliste" et "contre-révolutionnaire"?

Le PTA et le camarade Enver Hoxha ont toujours dénoncé avec force les théories et les pratiques des révisionnistes titistes sur la nation et la question nationale, ils ont percé à jour le danger qu'elles présentent et n'ont cessé de montrer aux peuples et aux nations opprimées la vraie voie de la libération, qui est celle de la lutte à outrance contre les superpuissances, contre la bourgeoisie et ses laquais, les révisionnistes modernes de tout acabit.


Notes

 

 

 

 



[1]. J. Staline, Oeuvres, éd. alb., tome 2, p. 295.

[2]L'évolution de la question nationale slovène, Prishtine, 1977, pp. 58‑59.

[3]Idem, p. 23.

[4]. K. Marx, Le Capital, éd. alb., tome 1, livre 2. p. 70.

[5]. K. Marx, Misère de la Philosophie, éd. alb., p. 176, Tirana, 1971.

[6]Idem, p. 177.

[7]. V. Lénine, Oeuvres, éd. alb., tome 1, p. 164.

[8]L'évolution de la question nationale slovène, op. cit., pp. 59‑60.

[9]Idem, p. 78.

[10]. Le slogan d'"un peuple et d'un État national", ou le slogan de l'"unité nationale", fut lancé par la bourgeoisie chauvine serbe dès la fondation du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Ce slogan condensait toute une politique nationaliste bourgeoise et chauvine. D'après ce slogan, les Serbes, les Croates et les Slovènes avaient, du point de vue national, soi-disant des traits communs qui formaient une unité nationale. La politique d'"unité nationale" poursuivie par la bourgeoisie serbe visait à serbiser les nations non serbes comprises dans le Royaume de Yougoslavie. Voir à ce propos Panorama de l'Histoire de la LCY, Prishtine, 1963, pp. 47‑48, 68‑69.

[11]. Voir Panorama de l'Histoire de la LCY, op. cit., p. 113.

[12]Plénum élargi du CE du Komintern, Moscou, 1925, p. 594.

[13]L'évolution de la question nationale slovène, op. cit., pp. 66‑67.

[14]. NIN du 22 août 1982.

[15]Rilindja du 19 mai 1983.

[16]Bulletin de l'agence TANJUG du 4 juillet 1982.

[17]Rilindja du 12 mai 1982.

[18]. Le Piémont, ayant lutté pour unir les nationalités homogènes en une nation italienne au cours du Risorgimento, joua un rôle progressiste dans l'histoire de l'Italie. En revanche, dam la variante serbe, le "Piémont" assume un rôle et un contenu tout autres; il exprime l'idée de la création d'une grande Serbie au détriment des intérêts des autres nations de Yougoslavie. [Note 321ignition: Cf. "Le vrai Piémont, le “Piémont” yougoslave et le “Piémont grand-albanais”", Zëri i popullit, 9 juin 1981.]

[19]. J. Staline, Oeuvres, éd. alb., tome 11, p. 342.

[20]. J. Staline, Oeuvres, éd. alb., tome 2, p. 292.

[21]Idem, p. 293.

[22]L'évolution de la question nationale slovène, op. cit., p. 76.

[23]Idem, p. 77.

[24]Rilindja du 12 novembre 1983.

[25]Idem.

[26]. V. I. Lénine, Oeuvres, éd. alb., tome 20, p. 7.

[27]Journal officiel de la RSFY, n° 9, 1974, p. 242.

[28]Rilindja du 20 novembre 1983.

[29]Rilindja du 24  novembre 1983.

[30]Ibidem.

[31]. Bulletin de l'agence TANJUG du 1 septembre 1982.

[32]. V. I. Lénine, Oeuvres, éd. alb., tome 22, p. 174.

[33]L'évolution de la question nationale slovène, op. cit., p. 46.