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Karl Marx

Le Capital - Livre 1er
2e°section : La Transformation de l'argent en capital

Chapitre 4 : Transformation de l'argent en capital
(Extraits)

 

 

Source:

Le Capital - Livre premier
Paris, Messidor/Éditions sociales, 1983, p. 165‑198 [1]

 

 

 

 

 

 

 

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Textes de Karl Marx ‑ Sommaire

 

 

 

 

 

 

1. La formule générale du capital

La circulation des marchandises est le point de départ du capital. Production de marchandises, circulation développée des marchandises et commerce constituent les préalables historiques de sa genèse. Le commerce mondial et le marché mondial inaugurent, au XVIe siècle, l'histoire moderne de l'existence du capital.

Si nous faisons abstraction du contenu matériel de la circulation de marchandises, de l'échange des différentes valeurs d'usage, et si nous ne considérons que les formes économiques qu'engendre ce procès, comme ultime produit de ce procès, nous trouvons la monnaie. Cet ultime produit de la circulation des marchandises est la première forme phénoménale du capital.

Historiquement, c'est d'abord sous la forme de la monnaie que le capital se présente partout face à la propriété foncière, en tant que fortune en argent, capital commercial et capital usuraire[2]. Pour reconnaître dans l'argent la première forme phénoménale du capital il n'est pas besoin d'un coup d'oeil rétrospectif sur sa genèse. La même histoire se joue quotidiennement sous nos yeux. Tout nouveau capital continue, en première instance, à entrer en scène, c'est-à-dire sur le marché ‑ marché des marchandises, marché du travail ou marché monétaire ‑ comme monnaie, comme argent qui doit à travers des procès déterminés se transformer en capital.

L'argent en tant qu'argent et l'argent en tant que capital ne se distinguent d'abord que par leur forme de circulation différente.

La forme immédiate de la circulation des marchandises est M‑A‑M, transformation de marchandise en argent et retransformation d'argent en marchandise: vendre pour acheter. Mais nous trouvons à côté de cette forme une deuxième forme spécifiquement différente, la forme A‑M‑A, transformation d'argent en marchandise et retransformation de marchandise en argent: acheter pour vendre. L'argent qui décrit dans son mouvement cette dernière circulation se transforme en capital, devient capital, est déjà par sa destination capital.

[...]

Voyons d'abord ce qui est commun aux deux formes.

Les deux circuits se décomposent l'un et l'autre dans les deux mêmes phases opposées, M‑A, vente, et A‑M, achat. Dans chacune de ces deux phases, les deux mêmes éléments factuels se font face, marchandise et argent ‑ ainsi que deux personnages affublés des mêmes masques économiques, un acheteur, et un vendeur. Chacun des deux circuits est l'unité des mêmes phases opposées et, les deux fois, cette unité est médiatisée par l'entrée en scène de trois contractants, dont l'un ne fait que vendre, l'autre qu'acheter, tandis que le troisième, tour à tour, vend et achète.

Cependant, ce qui d'emblée sépare les deux circuits M‑A‑M et A‑M‑A, c'est l'ordre inversé de succession des mêmes phases opposées de circulation. La circulation simple des marchandises commence par la vente et se termine par l'achat, la circulation de l'argent en tant que capital commence par l'achat et se termine par la vente. Dans le premier cas, c'est la marchandise qui constitue le point de départ et le point final du mouvement, dans le second cas, c'est le capital. Dans la première forme, c'est l'argent qui médiatise le déroulement global, dans l'autre, à l'inverse, c'est la marchandise.

Dans la circulation M‑A‑M, l'argent est finalement converti en une marchandise qui sert de valeur d'usage. L'argent est donc définitivement dépensé. En revanche, dans la forme inverse, A‑M‑A, l'acheteur dépense de l'argent pour encaisser de l'argent en tant que vendeur. En achetant la marchandise il lance de l'argent dans la circulation pour l'en retirer à nouveau par la vente de la même marchandise. Il ne laisse partir l'argent qu'avec la sournoise intention de le récupérer. Par conséquent, l'argent est seulement avancé[3].

Dans la forme M‑A‑M, la même pièce de monnaie change deux fois de place. Le vendeur la reçoit de l'acheteur et s'en débarrasse en payant un autre vendeur. Le procès global qui commence par de l'argent encaissé contre de la marchandise, s'achève par de l'argent déboursé pour une marchandise. Dans la forme A‑M‑A c'est l'inverse. Ici ce n'est pas la même pièce de monnaie, mais la même marchandise qui deux fois change de place. L'acheteur la reçoit de la main du vendeur et l'abandonne entre les mains de l'acheteur suivant. De même que dans la circulation simple des marchandises le changement de place par deux fois de la même pièce de monnaie entraîne son passage définitif d'une main dans l'autre, de même ici le changement de place par deux fois de la même marchandise entraîne le reflux de la monnaie vers son point de départ initial.

Le reflux de l'argent vers son point de départ ne dépend pas de ce que la marchandise est vendue plus cher qu'elle n'a été achetée. Cette donnée n'influe que sur la grandeur de la somme d'argent qui reflue. Le phénomène du reflux proprement dit se produit dès que la marchandise achetée est de nouveau vendue, donc dès que le circuit A‑M‑A est complètement décrit. Il y a donc là une différence perceptible par les sens entre la circulation de la monnaie en tant que capital et sa circulation en tant que simple monnaie.

Le circuit M‑A‑M est complètement parcouru une fois que la vente d'une marchandise rapporte de l'argent que vient de nouveau retirer l'achat d'une autre marchandise. S'il se produit néanmoins un reflux de l'argent vers son point de départ, c'est seulement par le renouvellement ou la répétition du cursus tout entier. Si je vends un quarter de blé 3 l. st., et qu'avec ces 3 l. st. j'achète des vêtements, ces 3 l. st. sont, en ce qui me concerne, définitivement dépensées. Je n'ai plus rien à voir avec elles. Elles sont la propriété du marchand d'habits. Si maintenant je vends un deuxième quarter de blé, il y a un reflux d'argent vers moi; mais ce n'est pas par suite de la première transaction, mais seulement par suite de sa répétition. Cet argent se rééloigne de moi dès que je mène à terme la deuxième transaction, et que je me remets à acheter. Par conséquent, dans la circulation M‑A‑M, la dépense de l'argent n'a rien à voir avec son reflux. Dans A‑M‑A, par contre, le reflux de l'argent est conditionné par le mode même de sa dépense. Sans ce reflux, l'opération a échoué ou bien le procès est interrompu, et non encore terminé, parce qu'il manque sa deuxième phase, la vente qui complète et conclut l'achat.

Le circuit M‑A‑M part de l'extrême d'une marchandise et s'achève par celui d'une autre marchandise, qui sort de la circulation et tombe dans la consommation. Partant, c'est la consommation, la satisfaction des besoins, en un mot, la valeur d'usage, qui constitue sa finalité. Au contraire, le circuit A‑M‑A, part de l'extrême argent et retourne finalement au même extrême. C'est donc la valeur d'échange elle-même qui est son moteur et sa fin déterminante.

[...]. La circulation simple des marchandises ‑ la vente en vue de l'achat ‑ sert de moyen pour une fin située hors de la circulation, à savoir l'appropriation de valeurs d'usage, la satisfaction de besoins. Par contre, la circulation de l'argent considéré comme capital est une fin en soi, puisque la valorisation de la valeur n'existe qu'au sein de ce mouvement sans cesse recommencé. Le mouvement du capital n'a donc ni fin ni mesure[4].

C'est comme porteur conscient de ce mouvement que le possesseur d'argent devient capitaliste. Sa personne ou plutôt sa poche est à la fois le point de départ et le point de retour de l'argent. Le contenu objectif de cette circulation ‑ la valorisation de la valeur ‑ est son but subjectif et capitaliste ou capital personnifié, doué de volonté et de conscience, c'est seulement dans la mesure où l'appropriation croissante de la richesse abstraite est l'unique motivation active de ses opérations qu'il fonctionne. Donc il ne faut jamais traiter la valeur d'usage comme but immédiat du capitaliste[5]. Ni non plus son gain individuel; mais seulement le mouvement sans trêve du gain, comme acte de gagner[6]. Cette pulsion absolue d'enrichissement, cette chasse passionnée à la valeur[7], le capitaliste la partage avec le thésauriseur, mais alors que le thésauriseur n'est que le capitaliste détraqué, le capitaliste est le thésauriseur rationnel. La multiplication incessante de la valeur que désire le thésauriseur en tentant de sauver l'argent des risques de la circulation[8], le capitaliste, plus intelligemment, l'obtient en le relivrant sans cesse à la circulation[9].

Les formes autonomes, les formes monétaires que prend la valeur des marchandises dans la circulation simple ne font que médiatiser l'échange des marchandises, puis disparaissent dans le résultat final du mouvement. Par contre, dans la circulation A‑M‑A, l'un et l'autre, la marchandise et l'argent, ne fonctionnent que comme modes d'existence différents de la valeur elle-même, l'argent comme son mode d'existence général, la marchandise comme son mode d'existence particulier, son simple déguisement, pour ainsi dire[10]. La valeur passe constamment d'une forme dans l'autre, sans se perdre elle-même dans ce mouvement, et elle se transforme ainsi en un sujet automate[11]*. Si l'on fixe les formes phénoménales particulières que prend tour à tour la valeur qui se valorise dans le circuit de son existence, on obtient alors les explications suivantes: le capital est argent, le capital est marchandise[12]. Mais en fait la valeur devient ici le sujet d'un procès dans lequel, à travers le changement constant des formes-argent et marchandise, elle modifie sa grandeur elle-même, se détache en tant que survaleur d'elle-même en tant que valeur initiale, se valorise elle-même. Car le mouvement dans lequel elle s'ajoute de la survaleur est son propre mouvement, sa valorisation, donc une autovalorisation. Elle a reçu cette qualité occulte de poser de la valeur parce qu'elle est valeur. Elle fait des petits vivants ‑ ou, pour le moins, elle pond des oeufs d'or.

En tant que sujet globalement dominant d'un tel procès, où tantôt elle revêt et tantôt se défait des formes-monnaie et marchandise, tout en se conservant et s'étirant dans ce mouvement, la valeur a besoin avant tout d'une forme autonome grâce à laquelle on constate son identité avec elle-même. Et cette forme, elle ne la possède que dans l'argent. C'est donc lui qui constitue le point de départ et le point final de tout procès de valorisation. La valeur était de 100 l. st., elle est maintenant de 110 l. st., etc. Mais l'argent lui-même ne vaut ici que comme une forme de la valeur, car celle-ci en a deux. L'argent ne devient pas capital sans prendre la forme de la marchandise. L'argent ne s'oppose donc pas ici de manière polémique à la marchandise comme c'est le cas dans la thésaurisation. Le capitaliste sait bien que toutes les marchandises, si miteuses ou si malodorantes qu'elles soient, sont en toute foi et vérité de l'argent, des juifs circoncis en dedans et de surcroît des moyens miraculeux pour faire plus d'argent avec de l'argent.

Si dans la circulation simple, la valeur des marchandises reçoit, tout au plus, face à leur valeur d'usage, la forme autonome de monnaie, ici elle se présente soudain comme une substance en procès, une substance qui se met en mouvement par elle-même, et pour laquelle marchandise et monnaie ne sont que de simples formes. Mais plus encore. Au lieu de représenter des rapports de marchandises, elle entre maintenant pour ainsi dire dans un rapport privé à elle-même. En tant que valeur originelle elle se distingue d'elle-même en tant que survaleur, comme Dieu le père se distingue de lui-même en tant que Dieu le fils, l'un et l'autre ayant le même âge et ne formant en fait qu'une seule personne, car c'est seulement au moyen des 10 l. st. que les 100 l. st. avancées deviennent du capital ; une fois qu'elles le sont devenues, que le fils est engendré et que par lui l'est le père, leur différence s'évanouit de nouveau et tous deux ne sont qu'un: 110.

La valeur devient donc valeur en procès, argent en procès et comme tel, capital. Elle est issue de la circulation, y retourne, s'y conserve et s'y multiplie, en revient agrandie et sans cesse elle recommence le même circuit[13]. A‑A´, argent qui couve de l'argent ‑ money which begets money ‑ comme le dit la description du capital dans la bouche de ses premiers interprètes, les mercantilistes.

Acheter pour vendre, ou pour être complet, acheter pour vendre plus cher, A‑M‑A´, semble à vrai dire n'être la forme adéquate que d'une seule espèce de capital, le capital de commerce. Mais le capital industriel aussi est de l'argent qui se transforme en marchandise, puis, par la vente de la marchandise, se retransforme en plus d'argent. Les actes, qui se déroulent en dehors de la sphère de la circulation, par exemple, entre rachat et la vente, ne changent rien à cette forme du mouvement. Enfin la circulation A‑M‑A´ se présente dans le capital porteur d'intérêts de manière abrégée, dans son résultat, sans la médiation, en quelque sorte en style lapidaire: A‑A´, argent égal à plus d'argent, valeur plus grande qu'elle-même.

A‑M‑A´ est donc en fait la formule générale du capital tel qu'il apparaît, immédiatement, dans la sphère de la circulation.

2. Les contradictions de la formule générale

La forme de circulation dans laquelle l'argent se déploie en capital contredit toutes les lois développées antérieurement sur la nature de la marchandise, de la valeur, de l'argent et de la circulation elle-même. Ce qui la différencie de la circulation simple des marchandises, c'est l'ordre de succession inversé des deux mêmes procès opposés, vente et achat. Et par quelle magie cette différence purement formelle renverserait-elle la nature de ces procès?

[...]

De quelque manière qu'on s'y prenne, le résultat reste le même. L'échange d'équivalents ne fait pas naître de survaleur et l'échange de non-équivalents ne fait pas naître non plus de survaleur[14]. La circulation ou l'échange de marchandises ne crée pas de valeur[15].

[...]

Dans le capital commercial proprement dit, la forme A‑M‑A´, acheter en vue de vendre plus cher, apparaît dans toute sa pureté. D'un autre côté, tout son mouvement se déroule à l'intérieur de la sphère de la circulation. Mais comme il est impossible d'expliquer la transformation d'argent en capital, la formation de survaleur, à partir de la circulation proprement dite, le capital commercial apparaît impossible dès lors qu'on échange des équivalents[16], et n'est donc dérivable que de la duperie bilatérale des producteurs de marchandises, acheteurs et vendeurs, par le marchand qui s'insinue entre eux comme un parasite. [...]

Ce qui est vrai du capital commercial, l'est davantage encore du capital usuraire. Dans le capital commercial, les extrêmes, l'argent lancé sur le marché et l'argent multiplié soustrait du marché ont au moins pour médiation l'achat et la vente, le mouvement de la circulation. Dans le capital usuraire, la forme A‑M‑A´ est réduite aux extrêmes non médiatisés A‑A´, argent qui s'échange contre plus d'argent, forme qui contredit la nature de la monnaie et qui est donc inexplicable du point de vue de l'échange des marchandises. [...]

[...]

Nous sommes donc parvenus à un double résultat.

Il faut développer la transformation de l'argent en capital sur la base des lois immanentes à l'échange des marchandises, de sorte que l'échange d'équivalents soit valablement tenu pour le point de départ[17]. Notre possesseur d'argent qui n'est plus présent que comme chenille capitaliste est forcé d'acheter les marchandises à leur prix, de les vendre à leur prix et néanmoins de retirer à la fin du procès plus de valeur qu'il n'en avait lancé au départ. Sa métamorphose en papillon doit se produire à la fois nécessairement dans la sphère de la circulation et tout aussi ne pas s'y produire nécessairement. Telles sont les conditions du problème. Hic Rhodus, hic salta!

3. Achat et vente de la force de travail

Le changement de valeur de l'argent qui est censé se transformer en capital ne peut pas s'opérer sur cet argent lui-même, car en tant que moyen d'achat et moyen de paiement il réalise seulement le prix de la marchandise qu'il achète ou paie, tandis que, persistant dans sa forme propre, il se pétrifie en une masse inerte d'une grandeur de valeur qui reste la même[18]. Ce changement ne peut pas non plus émaner du deuxième acte de la circulation, de la revente de la marchandise, car cet acte ne fait que reconvertir la marchandise de la forme naturelle en la forme-argent. Il faut donc que la transformation porte sur la marchandise qui est achetée dans le premier acte A‑M, mais pas sur sa valeur, puisque ce sont des équivalents qu'on échange et que la marchandise est payée à sa valeur. La transformation ne peut donc provenir que de sa valeur d'usage en tant que telle, c'est-à-dire de sa consommation. Pour extraire de la valeur de la consommation d'une marchandise, il faudrait que notre possesseur d'argent ait la chance insigne de découvrir dans la sphère de la circulation, sur le marché, une marchandise dont la valeur d'usage proprement dite possédât cette particularité d'être source de valeur, dont la consommation effective serait donc elle-même objectivation de travail, et donc création de valeur. Et cette marchandise spécifique, le possesseur d'argent la trouve sur le marché: c'est la puissance de travail, ou encore la force de travail.

[...]

 

 

 

 

 

Notes



[1].       [321ignition] Reproduit ici à partir de l'édition en facsimilé publiée en 1993 (Paris, Presses Universitaires de France). Cette traduction, établie sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre, est basée sur la quatrième édition allemande du Livre I, effectuée par Friedrich Engels, parue en 1890. La première édition en français (Éditions Maurice Lachâtre, Paris, 1875) était le résultat d'une traduction préparée par Joseph Roy sur la base de la deuxième édition allemande (Verlag von Otto Meissner, Hambourg, 1875) et révisée par Marx. Du fait de l'intervention de Marx, le contenu diffère en divers points de la deuxième édition allemande, évolutions qui cependant ont été intégrées par Engels dans les éditions allemandes ultérieures.

Les notes marquées d'un astérisque sont celles ajoutées pour l'édition de 1983.

[2].       L'opposition entre le pouvoir de la propriété foncière, qui repose sur des rapports personnels de maître à esclave, et le pouvoir impersonnel de l'argent est clairement résumée dans les deux dictons français: "Nulle terre sans seigneur" et "L'argent n'a pas de maître".

[3].       "Quand une chose est achetée pour être revendue, on dira que la somme utilisée à cet effet est de l'argent avancé, si elle est achetée pour ne pas être revendue, on peut la qualifier de somme dépensée". (James Steuart, Works, etc., edited by General Sir James Steuart, his son. Londres, 1805, V. I, p. 274).

[4].       Aristote oppose l'Économique à la Chrématistique. Il part de l'Économique. Dans la mesure où elle est l'art d'acquérir, elle se borne à procurer les biens nécessaires à la vie et utiles au foyer domestique ou à l'État. "La vraie richesse (ό άληθινός πλοΰτος) consiste en valeurs d'usage de ce genre; car la mesure de biens de ce genre suffisante pour bien vivre n'est pas illimitée. Mais il est un autre art d'acquérir qui s'appelle par distinction et à juste titre la chrématistique, qui est ainsi fait qu'il semble n'y avoir pas de limites à la richesse et à la possession. Le commerce des marchandises "ή καπηλική" signifie mot à mot: commerce de détail, (et Aristote adopte cette forme car la valeur d'usage y prédomine) ne relève pas par nature de la Chrématistique, car ici l'échange ne concerne que ce qui leur est personnellement nécessaire (aux acheteurs et aux vendeurs)". C'est pourquoi, développe-t-il plus loin, le troc a été la forme originelle du commerce des marchandises, mais son extension a fait naître nécessairement la monnaie. Avec la découverte de la monnaie le troc ne pouvait que se développer nécessairement en καπηλική, commerce des marchandises, et celui-ci, en contradiction avec sa tendance initiale continue à se développer pour devenir Chrématistique, l'art de faire de l'argent. Or la Chrématistique se distingue de l'Économique en ce sens que "pour elle c'est la circulation qui est la source de la richesse" (ποιητική χρηματων ... διά χρημάτωυ μεταβολής). Et elle semble tourner autour de l'argent, car l'argent est le commencement et la fin de ce genre d'échange (τό γάρ νόμισμα νόμισμα στοιχείον καί πέρας τής άλλαγής έστίν). C'est pourquoi aussi la richesse que recherche la Chrématistique est illimitée. Tout art qui ne considère pas son but comme un moyen mais comme fin ultime, est illimité dans son aspiration, car il s'efforce de s'en approcher toujours plus, tandis que les arts qui n'emploient des moyens qu'en vue d'un but ne sont pas illimités, puisque ce but même leur impose la limite, de même la Chrématistique ne connaît pas de limitation à son but, car son but est l'enrichissement absolu. L'Économique a une limite, pas la Chrématistique ... La première recherche quelque chose qui est différent de l'argent, l'autre sa multiplication ... La confusion de ces deux formes qui interfèrent a conduit certains à considérer que la conservation et la multiplication à l'infini de l'argent étaient le but final de l'Économique". (Aristote, De Republica, edit. Bekker, livre I, chap. VIII et IX passim).

[5].       "Les marchandises (ici au sens de valeurs d'usage) ne sont pas l'ultime objectif du capitaliste commerçant ... Ce qu'il vise, c'est l'argent, (Th. Chalmers, On Political Economy, etc., 2e éd., Glasgow 1832, p. 165, 166).

[6].       Si le marchand ne tient pas pour quantité négligeable le gain qu'il vient de réaliser, son regard cependant est toujours orienté vers le nouveau gain à venir". (A. Genovesi, Lezioni di Economia Civile (1765), édit. des Économistes italiens par Custodi, Parte moderna, t. VIII, p. 139).

[7].       "C'est toujours la passion insatiable du gain, l'auri sacra fames, qui détermine le capitaliste". (Mac Culloch, The Principles of Politic Econ. Londres, 1830, p. 179). Cette idée n'empêche pas bien entendu ce même Mac Culloch et consorts, quand ils ont des difficultés théoriques, par exemple quand ils traitent la question de la surproduction, de transformer ce même capitaliste en un bon citoyen qui n'a en vue que la valeur d'usage et qui a même de vraies fringales d'ogre pour les bottes, les chapeaux, les oeufs, les cotonnades et autres espèces de valeur d'usage tout à fait courantes.

[8].       "Σώζειν" [sauver] est une des expressions caractéristiques des Grecs pour la thésaurisation. En anglais "to save" signifie aussi à la fois sauver et épargner.

[9].       "L'infini que les choses n'ont pas dans la progression, elles l'ont dans la rotation" (Galiani, ouv.cit., p. 156).

[10].     "Ce n'est pas la matière qui fait le capital, mais la valeur de ces matières" (J.‑B. Say, Traité d'économie politique, 3e édition, Paris 1817, t. II, p. 249. Note).

[11]*.   Automatisches Subjekt.

[12].     "Le moyen de circulation (!) employé à des fins productives est du capital" (Macleod, The Theory and Practice of Banking. Londres 1855, v. I, Ch. I, p. 55) "Le capital équivaut à des marchandises" (James Mill, Elements of Pol. Econ. Londres, 1821, p. 74).

[13].     "Capital ... valeur permanente, multipliante ..." (Sismondi, Nouveaux principes d'économie politique, t. I, p. 89).

[14].     L'échange qui se fait de deux valeurs égales n'augmente ni ne diminue la masse des valeurs existantes dans la société. L'échange de deux valeurs inégales ... ne change rien non plus à la somme des valeurs sociales, bien qu'il ajoute à la fortune de l'un ce qu'il ôte de l'autre". (J.‑B. Say, Traité d'économie politique, troisième édition, 1817, tome II, pp. 443 et suiv.). Say, bien entendu insoucieux des conséquences de cette proposition, la reprend presque mot pour mot aux physiocrates. L'exemple suivant montre comment il a augmenté sa propre "valeur" en pillant leurs écrits, qui étaient totalement tombés dans l'oubli à son époque. La phrase "la plus célèbre" de Monsieur Say "On n'achète des produits qu'avec des produits", est formulée dans l'original physiocrate sous la forme suivante: "Les productions ne se payent qu'avec des productions" (Le Trosne, ouv. cit, p. 899).

[15].     "L'échange ne transfère aucune valeur aux produits" (F. Wayland, The Elements of Pol. Econ., Boston 1843, p. 168).

[16].     "Sous la domination d'équivalents invariables, le commerce serait impossible" (voir C. Opdyke, A treatise on Polit. Econ. New York, 1851, pp. 66‑69). "La différence entre la valeur réelle et la valeur d'échange est fondée sur le fait que la valeur d'une chose diffère de celle du soi-disant équivalent qu'on donne contre elle dans le commerce, sur le fait que cet équivalent n'est pas un équivalent." (F. Engels, Umrisse zu einer Kritik der National-Ökonomie, ouv. cit., pp. 95‑96).

[17].     Après toutes les explications qui ont précédé le lecteur comprendra que cela veut simplement dire: que la formation de capital doit nécessairement être possible même quand le prix des marchandises est égal à la valeur des marchandises. Elle ne peut être expliquée par un écart entre le prix des marchandises et leur valeur. Quand les prix s'écartent vraiment des valeurs, il faut d'abord les ramener à ces dernières, c'est-à-dire faire abstraction de cette contingence, pour avoir sous les yeux, dans toute sa pureté, le phénomène de la formation de capital sur la base de l'échange des marchandises, et ne pas être troublé au cours de l'observation par des facteurs secondaires gênants et étrangers au déroulement même du processus. Au reste, on sait que cette réduction n'est nullement une procédure purement scientifique. Les oscillations constantes des prix de marché, leur baisse et leur hausse se compensent et s'annulent réciproquement et se réduisent elles-mêmes à un prix moyen comme à leur règle intérieure. Cette réduction est la règle d'or du marchand, par exemple, ou de l'industriel dans toute entreprise qui embrasse un temps plus long. Celui-ci sait bien que si l'on envisage une période assez longue dans son ensemble, les marchandises ne sont en réalité vendues ni au-dessus ni au-dessous de leur prix, mais à leur prix moyen. Si donc, de manière générale, il avait intérêt à une pensée désintéressée, il faudrait qu'il se pose le problème de la formation du capital en ces termes: les prix étant réglés par le prix moyen, c'est-à-dire en dernière instance par la valeur de la marchandise, comment le capital peut-il naître? Je dis "en dernière instance" parce que les prix moyens ne coïncident pas directement avec les grandeurs de valeur comme le croient A. Smith, Ricardo, etc.

[18].     "Sous la forme de monnaie ... le capital ne produit pas de profit", (Ricardo, Princ. of Polit. Econ., p. 267).