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Karl Marx

Le Capital - Livre 3e
5e section : Partage du profit en intérêt et profit d'entreprise
Le capital porteur d'intérêt

Chapitre 24 : Le capital porteur d'intérêt,
forme aliénée du rapport capitaliste

 

 

Source:

Le Capital - Livre troisième - Tome II
Paris, Éditions sociales, 1970, p. 55‑63

 

 

 

 

 

 

 

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Textes de Karl Marx ‑ Sommaire

 

 

 

 

 

 

Avec le capital porteur d'intérêt, le rapport capitaliste atteint sa forme la plus extérieure, la plus fétichisé. Nous avons ici A‑A´, de l'argent produisant de l'argent, une valeur se mettant en valeur elle-même, sans aucun procès qui serve de médiation aux deux extrêmes. Pour le capital marchand, nous avons au moins la forme générale du mouvement capitaliste: A‑M‑A´, bien qu'il reste confiné à l'intérieur de la sphère de circulation et que le profit apparaisse donc comme le simple résultat d'une aliénation. Néanmoins il représente vraiment le produit d'un rapport social et pas celui d'un simple objet. La forme du capital marchand représente au moins encore un procès, l'unité de deux phases opposées, un mouvement qui se décompose en deux processus contraires, en achat et vente de marchandises. Cet élément disparaît en A‑A´, forme du capital porteur d'intérêt. Si, par exemple, un capitaliste prête 1000 l. st. à un taux d'intérêt de 5 %, la valeur des 1.000 l. st. employées comme capital pendant une année est de C + Ci´ où C représente le capital et  le taux d'intérêt, ici 5 %; donc = 5/100 = 1/20; ce qui fait 1.000 + 1.000 * 1/20 = 1.050 l. st. La valeur de 1.000 l. st., comme capital, est de 1.050 l. st., ce qui veut dire que le capital n'est pas une grandeur simple. Il est un rapport de grandeurs: le rapport d'une somme principale, en tant que valeur donnée, à elle-même en tant que valeur qui fructifie, en tant que somme principale qui produit de la plus‑value. Nous avons vu que le capital se présente en tant que tel, comme cette valeur créant directement de la valeur pour tous les capitalistes actifs, qu'ils travaillent avec leur propre capital ou du capital emprunté.

A‑A´: nous avons ici le point de départ primitif du capital; l'argent, dans la formule A‑M‑A´, est réduit aux deux extrêmes A‑A´; où A' = A + ∆A, c'est-à-dire de l'argent créant de l'argent. C'est là la formule générale et première du capital condensée dans un raccourci dépourvu de sens. C'est le capital accompli, unissant les procès de production et de circulation et rapportant donc, à intervalles donnés, une plus‑value déterminée. Ce caractère se révèle directement dans la forme du capital porteur d'intérêt qui ne comporte pas le chaînon intermédiaire des procès de production et de circulation. Le capital semble être la source mystérieuse et créant d'elle-même l'intérêt, son propre accroissement. L'objet (argent, marchandise, valeur) simplement comme tel est maintenant déjà du capital et le capital apparaît comme simple objet. Le résultat de tout le procès de reproduction est donc une propriété revenant naturellement à un objet; c'est l'affaire du propriétaire de l'argent, c'est-à-dire de la marchandise sous sa forme toujours échangeable, de savoir s'il veut le dépenser comme argent ou le louer comme capital. C'est donc dans le capital porteur d'intérêt que ce fétiche automate est clairement dégagé: valeur qui se met en valeur elle-même, argent engendrant de l'argent; sous cette forme, il ne porte plus les marques de son origine. Le rapport social est achevé sous la forme du rapport d'un objet, l'argent, à lui-même. Au lieu de la véritable conversion d'argent en capital, c'est seulement sa forme vide de contenu que nous voyons ici. Comme pour la forme de travail, la valeur d'usage de l'argent est ici de créer de la valeur, une valeur supérieure à celle que l'argent lui-même contient L'argent en tant que tel est déjà potentiellement de la valeur se mettant en valeur, c'est en tant que tel qu'il est prêté; c'est là la forme que revêt la vente de cette marchandise originale. L'argent acquiert ainsi la propriété de créer de la valeur, de rapporter de l'intérêt, tout aussi naturellement que le poirier porte des poires. C'est sous cette forme d'objet rapportant de l'intérêt que le prêteur vend son argent. Mais ceci ne suffit pas. Le capital effectivement en fonction, nous l'avons vu, se présente de telle manière qu'il ne rapporte pas l'intérêt en tant que capital en fonction, mais en tant que capital en soi, que capital-argent.

Mais il y a encore ceci qui apparaît à l'envers: tandis que l'intérêt n'est qu'une partie du profit, c'est-à-dire de la plus‑value que le capitaliste actif extorque à l'ouvrier, l'intérêt se présente maintenant, à l'inverse, comme le fruit proprement dit du capital, comme la chose première; le profit, par contre, qui prend alors la forme de profit d'entreprise, apparaît comme un simple accessoire et additif qui s'ajoute au cours du procès de reproduction. Ici la forme fétichisée du capital et la représentation du fétiche capitaliste atteignent leur achèvement. A‑A´ représente la forme vide de contenu du capital, l'inversion et la matérialisation des rapports de production élevées à la puissance maxima: la forme productrice d'intérêt, la forme simple du capital où il est la condition préalable de son propre procès de reproduction; la capacité de l'argent ou de la marchandise de faire fructifier leur propre valeur, indépendamment de la reproduction, ‑ c'est la mystification capitaliste dans sa forme la plus brutale.

Pour les économistes vulgaires qui essaient de présenter le capital comme source indépendante de la valeur et de la création de valeur, cette forme est évidemment une aubaine puisqu'elle rend méconnaissable l'origine du profit et octroie au résultat du procès capitaliste de production ‑ séparé du procès lui- même ‑ une existence indépendante.

C'est seulement avec le capital-argent que le capital s'est converti en une marchandise dont la qualité de se mettre en valeur elle-même possède un prix fixe que traduit le taux d'intérêt du moment.

C'est comme capital porteur d'intérêt, et sous sa forme directe de capital argent porteur d'intérêt, que le capital revêt sa forme fétiche la plus pure: A‑A´, comme sujet, comme chose à vendre (les autres formes du capital porteur d'intérêt qui ne nous intéressent pas ici sont, à leur tour, dérivées de cette forme et la présupposent). Premièrement, parce que le capital existe constamment sous forme d'argent, forme sous laquelle toutes ses déterminations sont effacées et ses éléments réels invisibles. L'argent est justement la forme où la différence des marchandises en tant que valeurs d'usage n'existe plus, et par suite aussi la différence entre capitaux industriels constitués par ces marchandises et leurs conditions de production: il est la forme dans laquelle de la valeur ‑ ici du capital ‑ existe comme valeur d'échange autonome. Dans le procès de reproduction du capital, la forme argent est éphémère, élément simplement transitoire. Par contre sur le marché monétaire, le capital existe toujours sous cette forme. Deuxièmement, la plus‑value que le capital produit, ici encore sous forme d'argent, semble lui revenir en tant que tel. De même que le propre des arbres est de croître, de même engendrer de l'argent (τόχος [intérêt et descendance]) semble être le propre du capital sous sa forme de capital-argent.

Pour le capital porteur d'intérêt, le mouvement du capital est très ramassé; le procès de médiation est laissé de côté; un capital de 1.000, par exemple, est fixé comme un objet qui, en soi, vaut 1.000 et qui, au bout d'une certaine période, se convertit en 1.100; tout comme le vin à la cave améliore sa valeur d'usage au bout d'un certain temps. Le capital est maintenant objet, mais comme tel, il est capital. Désormais, l'argent est engrossé. (Das Geld hat jetzt Lieb im Leibe.) Dès qu'il est prêté, ou même investi dans le procès de reproduction (dans la mesure où il rapporte un intérêt distinct du profit d'entreprise au capitaliste actif, son propriétaire), l'intérêt lui pousse qu'il dorme ou veille, qu'il soit chez lui ou en voyage, de jour et de nuit. Le voeu pieux du thésauriseur se trouve donc réalisé dans le capital porteur d'intérêt (et tout capital est, en tant qu'expression de valeur, du capital-argent, ou, du moins, vaut aujourd'hui comme expression du capital-argent).

C'est cette insertion organique de l'intérêt dans le capital-argent pour former un tout unique (c'est bien ainsi que se présente ici la production de la plus‑value par le capital) qui préoccupe si fort Luther lorsqu'il tonne naïvement contre l'usure. Après avoir montré que l'intérêt pourrait être exigé dans le cas où le prêteur, qui, lui aussi, a des choses à payer, aurait des frais à la suite du non remboursement à la date fixée, ou bien si, pour cette raison, il manquait l'occasion de réaliser un profit par l'achat d'un jardin, par exemple, Luther poursuit:

Et maintenant que je te les ai prêtés (les 100 florins) tu me causes deux fois du dommage: ni ne peux payer ici ni acheter là; des deux côtés je souffre donc un préjudice; cela s'appelle duplex interesse, damni emergentis et lucri cessantis [intérêt double: celui de la perte qui en résulte et celui du profit manqué]; après avoir entendu dire que Jean a subi grand dam avec ses 100 florins prêtés et exige une juste réparation, ils s'empressent tous de grever promptement chaque somme de 100 florins de ces deux préjudices possibles, à savoir leurs propres frais à payer et l'achat manqué du jardin, exactement comme si ces deux sortes de dommages étaient naturellement liées aux cent florins; ceux qui disposent de cent florins les prêtent et ajoutent dans leurs comptes les frais consécutifs à ces deux dommages qu'ils n'ont cependant pas subis ... Tu es un usurier parce que tu te fais payer des dommages imaginaires avec l'argent de ton prochain, dommages que personne ne t'a fait subir et tu ne peux pas les prouver, ni les estimer. Les juristes appellent cette sorte de préjudice: non verum sed phantasticum interesse [pas un intérêt véritable mais imaginaire] préjudice dont tout un chacun rêve ... Prétendre que j'aurais pu subir un préjudice du fait que je n'aurais pu ni payer ni acheter est chose inadmissible. Il est dit par ailleurs: ex contingente necessarium, faire ce qui devrait être à partir de ce qui n'est pas; transformer ce qui est incertain en certitude. Comment telle usure n'engloutirait-elle pas le monde en peu d'années! ... C'est un malheur fortuit qui accable bien malgré lui celui qui emprunte; il faudrait qu'il puisse s'en remettre, mais, dans le commerce, c'est justement le contraire qui se produit: on cherche et imagine des dommages sur le dos de son prochain en détresse; on prétend se nourrir et s'enrichir de cette manière, vivre joyeuse vie dans une oisiveté vaniteuse grâce au travail, aux soucis, aux risques et préjudices des autres, afin que je me prélasse derrière le poêle et laisse mes cent florins se démener pour moi à la campagne, bien certain qu'ils resteront dans ma bourse sans risques ni souci puisqu'il s'agit d'argent prêté; mon cher, qui n'aimerait pas cela[1]?

La conception du capital comme valeur qui se reproduit elle-même en s'accroissant dans cette reproduction grâce à sa qualité inhérente de valeur qui se perpétue et s'accroît sans cesse, ‑ donc grâce aux qualités occultes des scholastiques ‑ a conduit le Dr Price à ses inspirations fabuleuses qui dépassent de loin les chimères des alchimistes; inspirations en lesquelles Pitt croyait sérieusement et dont il fit les piliers de ses finances dans ses lois sur le sinking fund[2].

De l'argent rapportant des intérêts composés s'accroît d'abord lentement; mais comme la cadence de l'accroissement s'accélère sans cesse, elle devient si rapide au bout de quelque temps qu'elle défie toute imagination. Un penny prêté à la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ, à intérêts composés de 5 %, aurait grandi et atteindrait aujourd'hui une somme plus importante que celle que contiendraient 150 millions de mondes, tous faits d'or massif. Mais avancé à intérêt simple, ce penny n'atteindrait dans ce même laps de temps que 7 shillings 4 1/2 pence. Jusqu'ici notre gouvernement a préféré améliorer ses finances par cette dernière voie plutôt que par la première[3].

Dans ses Observations on Reversionary Payments, etc., Londres 1772, il vise encore plus haut:

"Un shilling avancé à la naissance de Notre Seigneur" (probablement au Temple de Jérusalem) "à un taux composé de 6 %, aurait atteint les dimensions d'une masse d'or plus importante que tout le système solaire ne pourrait en contenir s'il était transformé en une boule dont le diamètre serait égal à la trajectoire de Saturne." "Par conséquent, un État n'a pas à se trouver en difficultés; car avec les économies les plus infimes, il peut payer la dette la plus élevée dans un temps aussi court que peut l'exiger son intérêt" (p. XIII, XIV).

Quelle charmante introduction théorique à la dette nationale anglaise!

Price était tout simplement ébloui par l'énormité du nombre issu d'une progression géométrique. Considérant le capital sans tenir compte des conditions de la reproduction et du travail, comme un automate, comme un simple coffre s'accroissant par lui-même (tout comme Malthus considère l'homme dans sa progression géométrique), il pouvait s'imaginer avoir trouvé la loi de son accroissement dans la formule: s = c * (1 + i) n où s est la somme de capital + intérêts composés, c = le capital avancé, i = le taux d'intérêt (exprimé en parts aliquotes de 100) et n le nombre d'années au cours desquelles se déroule le procès.

Pitt prend tout à fait au sérieux la mystification du Dr Price. En 1786, la Chambre des Communes avait décidé de prélever un million de livres sterling pour utilité publique. Selon Price, à qui Pitt ajoutait foi, il n'y avait, bien entendu, rien de mieux que d'imposer le peuple pour "accumuler" la somme ainsi obtenue et faire disparaître miraculeusement la dette d'État grâce aux mystères de l'intérêt composé. À cette résolution de la Chambre des Communes succédait bientôt une loi provoquée par Pitt et ordonnant l'accumulation de 250.000 l. st.,

jusqu'à ce que ce fonds avec les rentes viagères échues se soit accru à 4 millions de livres sterling par an. (Act 26, Georg III, chap. XXXI.[4])

Dans son discours de 1792, au cours duquel Pitt proposait d'augmenter la somme destinée au Fonds d'Amortissement, il citait parmi les causes de la prépondérance commerciale de l'Angleterre les machines, le crédit, etc., mais comme

la cause la plus importante et la plus durable: l'accumulation. Ce principe serait maintenant parfaitement développé et suffisamment expliqué dans l'oeuvre de Smith, ce génie... Cette accumulation des capitaux s'effectuerait en mettant de côté au moins une partie du profit annuel pour augmenter ainsi la somme principale qui, l'année suivante, devrait être utilisée de la même manière et donnerait ainsi un profit permanents.

Avec l'aide du Dr Price, Pitt transforme ainsi la théorie de l'accumulation de Smith en enrichissement d'un peuple par accumulation de dettes et en arrive à l'agréable progression jusqu'à l'infini des emprunts, emprunts destinés à payer des emprunts.

On trouve déjà chez Josias Child, père du système bancaire moderne, que "100 l. st. à 10 % produiraient en 70 années 102.400 l. st. à intérêts composés[5]".

L'Economist nous montre, dans le passage suivant, à quel point l'opinion du Dr Price se glisse inconsciemment dans l'économie moderne:

Le capital placé à intérêts composés pour chaque fraction du capital économisé a une telle propension à tout ramener à lui que toute la richesse du monde dont on tire du revenu est depuis longtemps devenue intérêt de capital... Toute rente est aujourd'hui le paiement d'intérêt pour un capital autrefois investi en terrains[6].

En sa qualité de capital porteur d'intérêt, toute richesse qui puisse jamais être produite appartient au capital et tout ce que celui-ci a reçu jusqu'à présent n'est qu'un paiement par acompte à son appétit all-engrossing [qui ramène tout à lui]. D'après ses lois naturelles, tout le surtravail que le genre humain pourra jamais fournir lui appartient. Moloch.

Enfin, citons encore le galimatias suivant de ce "romantique" de Müller:

L'accroissement immense de l'intérêt composé, invoqué par le Dr Price, ou celui des forces humaines se développant par elles-mêmes, présuppose, si l'on veut qu'il produise ses effets incommensurables, une utilisation[7] régulière, indivise et continue à travers plusieurs siècles. Dès que le capital est partagé et coupé en plusieurs rejetons distincts dont chacun s'accroît de lui-même, toute la progression[8] de l'accumulation des forces que nous avons décrite, ici recommence à nouveau. La nature a étalé la progression des forces sur une durée d'environ 20 à 25 ans qui, en moyenne, reviennent à peu près à chaque ouvrier (!) individuel. Ce temps révolu, l'ouvrier quitte la carrière et doit alors transmettre à un autre ouvrier le capital gagné par l'intérêt composé du travail, ce qui conduit la plupart du temps à le partager entre plusieurs ouvriers ou enfants. Ceux-ci doivent d'abord apprendre à animer ou à utiliser le capital qui leur revient, avant de pouvoir en retirer un intérêt composé proprement dit, En outre, une quantité immense du capital gagné par la société bourgeoise ‑ et ceci même dans la communauté la plus agitée ‑ est amassée progressivement pendant de longues années, sans être employée à l'élargissement direct du travail; dès qu'une somme convenable sera réunie, elle sera plutôt transmise à un autre individu, à un ouvrier, une banque, un État, sous la dénomination d´"emprunt". Le destinataire, s'il met effectivement l'argent en mouvement, en tire ainsi le même intérêt composé et peut aisément s'engager à ne payer au prêteur qu'un intérêt simple. Enfin, contre cette progression énorme dans laquelle les forces de l'homme el leur produit pourraient s'accroître si la loi de la production ou celle de l'épargne était seule en jeu réagit une autre loi[9] aussi profondément enracinée de la nature humaine, celle de la consommation, de la convoitise ou de la prodigalité[10].

Il est impossible d'entasser en quelques lignes absurdités plus ahurissantes. Sans parler de la confusion comique entre ouvriers et capitaliste, entre valeur de la force de travail et intérêt de capital, etc., l'auteur veut nous expliquer la diminution de l'intérêt composé entre autres par le fait que du capital est "prêté", à la suite de quoi il rapporte "alors de l'intérêt composé". La façon de procéder de notre Müller est caractéristique du romantisme dans tous les domaines. Son contenu n'est rien d'autre que préjugés quotidiens puisés dans l'apparence la plus superficielle des choses. Ce contenu faux et trivial sera alors "rehaussé" et poétisé par une manière mystificatrice de s'exprimer.

Le procès d'accumulation du capital peut être considéré comme accumulation d'intérêts composés, dans la mesure où l'on peut appeler intérêt la partie du profit (plus‑value) qui peut être reconvertie en capital, c'est-à-dire servir à l'absorption d'un nouveau surtravail. Mais:

1° Mises à part toutes perturbations fortuites, une fraction importante du capital existant se trouve toujours, au cours du procès de reproduction, plus ou moins dévaluée parce que la valeur des marchandises n'est pas déterminée par le temps de travail que leur production coûte à l'origine, mais par le temps de travail que coûte leur reproduction, ce dernier diminuant constamment par suite du développement de la force productive sociale du travail. À un degré supérieur de développement de la productivité sociale, tout capital existant apparaît donc comme le résultat non pas d'un long procès d'épargne de capital, mais comme celui d'un temps de reproduction relativement très court[11].

2° Comme nous l'avons démontré à la section III de ce livre, le taux de profit diminue proportionnellement à l'accroissement de l'accumulation de capital et à l'augmentation correspondante de la force productive du travail social, augmentation qui se trouve justement exprimée par la diminution relative de plus en plus marquée de la fraction variable du capital vis-à-vis de la fraction constante. Pour produire le même taux de profit, lorsque le capital constant mis en mouvement par un ouvrier est décuplé, le temps de surtravail devrait aussi se décupler et la totalité du temps de travail, même les vingt-quatre heures de la journée n'y suffiraient bientôt plus, en supposant que le capital les accaparât entièrement. L'idée d'un taux de profit non décroissant est à la base de la progression de Price et en général de tout all-engrossing capital with compound interest [du capital qui ramène tout à lui, grâce à l'intérêt composé][12].

L'identité de la plus‑value et du surtravail met une limite qualitative à l'accumulation du capital: la journée de travail globale, le développement toujours présent des forces productives et de la population limitant le nombre des journées de travail simultanément exploitables. Si, par contre, la plus‑value est conçue sous la forme vide de sens de l'intérêt, la limite ne sera alors que quantitative et défie l'imagination.

Dans le capital porteur d'intérêt se trouve achevée l'idée du fétiche capitaliste, la conception qui attribue au produit accumulé du travail et, de plus, fixé comme argent, la force de produire de la plus‑value grâce à une qualité secrète innée, de façon purement automatique et suivant une progression géométrique; de sorte que ce produit accumulé du travail, comme le pense l'Economist, a depuis longtemps escompté toute la richesse du monde pour l'éternité comme quelque chose lui appartenant et lui revenant de droit. Le produit du travail passé, le travail passé lui-même, est ici engrossé d'une parcelle de surtravail vivant présent ou futur. Nous savons qu'au contraire la conservation, donc aussi la reproduction de la valeur des produits du travail passé, est en fait seulement le résultat de leur contact avec le travail vivant; et que, par ailleurs, la domination des produits du travail passé sur le surtravail vivant dure seulement ce que dure le rapport capitaliste, le rapport social déterminé dans lequel le travail passé s'oppose, indépendant et tout-puissant, au travail vivant.

 

 

 

 

 

Notes



[1].       Luther: An die Pfarrherrn wider den Wueher zu predigen, etc., Wittenberg, 1540.

[2].       Fonds d'amortissement des dettes d'État, créé par Pitt. (N. R.)

[3].       An Appeal to the Public on the subject of the National Debt. [1772], 2e édit., Londres, 1772. [p. 19]. L'auteur y révèle une naïveté comique: "Il faut emprunter de l'argent à intérêt simple pour l'accroître à intérêts composés." (R. Hamilton: An Inquiry concerning the Rise and Progress of the National Debt of Great Britain, 2e édit., Edinburg, 1814. D'après cela, emprunter serait même, pour des particuliers, le moyen le plus sûr de s'enrichir. Mais si, par exemple, j'emprunte 100 l. st. à un taux annuel de 5 %, j'ai à payer 5 l. st. à la fin de chaque année et, en admettant que cette avance se poursuive pendant cent millions d'années, je n'aurai jamais dans ce laps de temps que 100 l. st. à prêter chaque année et de même chaque année, 5 l. st. à payer. Par ce procédé, je n'arrive donc jamais à prêter 105 l. st. en en empruntant 100. Et avec quoi, dois-je payer les 5 %? Par un nouvel emprunt, ou, si je suis l'État, par des impôts. Mais, si c'est un capitaliste industriel qui emprunte de l'argent, il dispose, pour un profit de 15 % par exemple, de 5 % pour le paiement de l'intérêt, de 5 % pour sa consommation (bien que son appétit grandisse avec ses revenus) et de 5 % pour être capitalisés. Nous prévoyons donc déjà 15 % de profit pour pouvoir payer constamment 5% d'intérêt. Si le procès se prolonge, le taux de profit, pour les raisons déjà développées, va tomber de 15 % par exemple, mais Price oublie tout à fait que l'intérêt de 5 % présuppose un taux de profit de 15 %. Il laisse celui-ci se perpétuer avec l'accumulation du capital. Il ne tient aucun compte du procès réel d'accumulation, mais se contente de prêter de l'argent afin que celui-ci lui revienne avec des intérêts composés. Comment l'argent s'y prendra lui est complètement indifférent, puisqu'il s'agit bien ici de la vertu innée du capital porteur d'intérêt.

[4].       C'est-à-dire la trente-et-unième loi de la vingt-sixième année de George III. (N. R,)

[5].       Traité sur le commerce, etc., par J. Child, traduit, etc., Amsterdam et Berlin, 1754, p. 115; écrit en 1669.

[6].       Economist, 19 juillet 1859. [Cette citation est donnée en anglais par Marx dans son manuscrit.]

[7].       Dans la 1re édition et dans le manuscrit de Marx: ordonnance intacte et régulière. (N.R,)

[8].       Dans la 1re édition et le manuscrit: tout le procès. (N. R.)

[9].       Dans la 1re édition et dans le manuscrit: la loi. (N. R.)

[10].     Adam Müller: Die Elemente der Staatskunst, Berlin, 1809, III, p. 147-149.

[11].     Voir à ce sujet Mill et Carey, ainsi que le commentaire ambigu de Roscher. [Cf. J. St. Mill: Principles of Political Economy, vol. I, 2e édit., Londres, 1849, p. 92. - H. C. Carey: Principles of Social Science, vol. III, Philadelphie, 1860, p. 71‑73. - W. Roscher: Die Grundlagen der Nationalökonomie, 2e édit., Stuttgart et Augsburg, 1858, §45.]

[12].     "Il est clair qu'il n'existe pas de travail, pas de force productive, pas d'intelligence ni d'art qui puisse suffire aux prétentions démesurées de l'intérêt composé. Mais toute épargne provient du revenu du capitaliste, de sorte que ces prétentions se posent effectivement en permanence et que la force productive du travail se refuse tout aussi constamment à les satisfaire. Il en résulte, par conséquent, une espèce de compensation (balance) permanente."

(Labour defended against the Claims of Capital, p. 23. - de Hodgskin.)