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Karl Marx

Le Capital - Livre 1er
1re°section : Accumulation du capital

Chapitre 1 : La marchandise
Sous-chapitre 4 : Le caractère fétiche de la marchandise et son secret

 

 

Source:

Le Capital - Livre premier
Paris, Messidor/Éditions sociales, 1983, p. 81‑95 [1]

 

 

 

 

 

 

 

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Textes de Karl Marx ‑ Sommaire

 

 

 

 

 

 

À première vue, une marchandise semble une chose tout ordinaire qui se comprend d'elle-même. On constate en l'analysant que c'est une chose extrêmement embrouillée, pleine de subtilités métaphysiques et de lubies théologiques. Tant qu'elle est valeur d'usage, elle ne comporte rien de mystérieux, soit que je la considère du point de vue des propriétés par où elle satisfait des besoins ou du point de vue du travail humain qui la produit et lui confère ainsi ces propriétés. Il tombe sous le sens que l'homme modifie par son activité les formes des matières naturelles d'une façon qui lui est utile. La forme du bois, par exemple, est modifiée quand on en fait une table. La table n'en reste pas moins du bois, chose sensible ordinaire, mais dès qu'elle entre en scène comme marchandise, elle se transforme en une chose sensible suprasensible. Elle ne tient plus seulement debout en ayant les pieds sur terre, mais elle se met sur la tête, face à toutes les marchandises, et sort de sa petite tête de bois toute une série de chimères qui nous surprennent plus encore que si, sans rien demander à personne, elle se mettait soudain à danser[2].

Le caractère mystique de la marchandise ne naît donc pas de sa valeur d'usage. Il ne provient pas davantage du contenu des déterminations de valeur. Car, premièrement, quelle que soit la variété des travaux utiles ou des activités productives, c'est vérité physiologique qu'il s'agit là de fonctions de l'organisme humain, et que chacune de ces fonctions, quels que soient son contenu et sa forme, est essentiellement une dépense de cerveau, de nerf, de muscle, d'organe sensoriel, etc. de l'être humain. Et deuxièmement, en ce qui concerne ce qui fonde la détermination de la grandeur de la valeur, c'est-à-dire la durée de cette dépense ou la quantité de travail, la différence entre cette quantité et la qualité du travail est même perceptible aux sens. Dans tous les états de civilisation il a bien fallu que l'homme s'intéressât au temps de travail que coûtait la production des moyens de subsistance, même si ce ne fut pas de manière uniforme selon les différents stades de développement[3]. Enfin, dès lors que les hommes travaillent les uns pour les autres d'une façon ou d'une autre, leur travail acquiert lui aussi une forme sociale.

D'où provient donc le caractère énigmatique du produit du travail dès qu'il prend la forme de marchandise? Manifestement de cette forme même. L'identité des travaux humains prend la forme matérielle de l'objectivité de valeur identique des produits du travail. La mesure de la dépense de force de travail humaine par sa durée prend la forme de grandeur de valeur des produits du travail. Enfin les rapports des producteurs dans lesquels sont pratiquées ces déterminations sociales de leurs travaux prennent la forme d'un rapport social entre les produits du travail.

Ce qu'il y a de mystérieux dans la forme-marchandise consiste donc simplement en ceci qu'elle renvoie aux hommes l'image des caractères sociaux de leur propre travail comme des caractères objectifs des produits du travail eux-mêmes, comme des qualités sociales que ces choses posséderaient par nature: elle leur renvoie ainsi l'image du rapport social des producteurs au travail global, comme un rapport social existant en dehors d'eux, entre des objets. C'est ce quiproquo qui fait que les produits du travail deviennent des marchandises, des choses sensibles supra-sensibles, des choses sociales. De la même façon, l'impression lumineuse d'une chose sur le nerf optique ne se donne pas comme l'excitation du nerf optique proprement dit, mais comme forme objective d'une chose à l'extérieur de l'oeil. Simplement, dans la vision il y a effectivement de la lumière qui est projetée d'une chose, l'objet extérieur, vers une autre, l'oeil. C'est un rapport physique entre des choses physiques. Tandis que la forme-marchandise et le rapport de valeur des produits du travail dans lequel elle s'expose n'ont absolument rien à voir ni avec sa nature physique ni avec les relations matérielles qui en résultent. C'est seulement le rapport social déterminé des hommes eux-mêmes qui prend ici pour eux la forme phantasmagorique d'un rapport entre choses. Si bien que pour trouver une analogie, nous devons nous échapper vers les zones nébuleuses du monde religieux. Dans ce monde-là, les produits du cerveau humain semblent être des figures autonomes, douées d'une vie propre, entretenant des rapports les unes avec les autres et avec les humains. Ainsi en va-t-il dans le monde marchand des produits de la main humaine. J'appelle cela le fétichisme, fétichisme qui adhère aux produits du travail dès lors qu'ils sont produits comme marchandises, et qui, partant, est inséparable de la production marchande.

Ce caractère fétiche du monde des marchandises, notre précédente analyse vient de nous le montrer, provient du caractère social propre du travail qui produit des marchandises.

Les objets d'usage ne deviennent marchandises que parce qu'ils sont les produits de travaux privés menés indépendamment les uns des autres. Le complexe de tous les travaux privés forme le travail social global. Étant donné que les producteurs n'entrent en contact social que parce que et à partir du moment où ils échangent les produits de leur travail, les caractères spécifiquement sociaux de leurs travaux privés n'apparaissent eux-mêmes également que dans cet échange. Autrement dit: c'est seulement à travers les relations que l'échange instaure entre les produits du travail et, par leur entremise, entre les producteurs, que les travaux privés deviennent effectivement, en acte, des membres du travail social global. C'est pourquoi les relations sociales qu'entretiennent leurs travaux privés apparaissent aux producteurs pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire, non pas comme des rapports immédiatement sociaux entre les personnes dans leur travail même, mais au contraire comme rapports impersonnels entre des personnes et rapports sociaux entre des choses impersonnelles.

C'est seulement au sein de leur échange que les produits du travail acquièrent une objectivité de valeur socialement identique, distincte de leur objectivité d'usage et de sa diversité sensible. Cette scission du produit du travail en chose utile et chose de valeur ne s'effectue que dans la pratique, une fois que l'échange a acquis une importance et une extension suffisantes pour que les choses utiles soient produites en vue de l'échange et que le caractère de valeur des choses soit donc déjà pris en considération dès leur production même. À partir de cet instant, les travaux privés des producteurs acquièrent effectivement un double caractère social. D'une part, en tant que travaux utiles déterminés, ils doivent satisfaire un besoin social déterminé et se voir ainsi validés comme branches du travail global, du système naturel de la division sociale du travail. D'un autre côté, ils ne satisfont les multiples besoins de leurs propres producteurs que dans la mesure où chaque travail privé, avec son utilité particulière, est échangeable contre toute autre sorte de travail privé utile et lui est ainsi équivalent. L'égalité[4]* toto coelo entre des travaux différents ne peut consister qu'en une abstraction de leur non-égalité réelle, qu'en leur réduction au caractère commun qu'ils ont en tant que dépense de force de travail humaine, comme travail humain abstrait. Le cerveau des producteurs privés ne reflète ce double caractère social de leurs travaux privés que sous les formes qui apparaissent pratiquement dans le trafic, dans l'échange des produits: il reflète donc le caractère socialement utile de leurs travaux sous la forme de la nécessité, pour le produit du travail, d'être utile, et utile pour d'autres; il reflète le caractère social d'égalité de ces travaux divers sous la forme du caractère de valeur qui est commun à ces choses matériellement différentes que sont les produits du travail.

Ce n'est donc pas parce que les produits de leur travail ne vaudraient pour eux que comme enveloppes matérielles d'un travail humain indifférencié que les hommes établissent des relations mutuelles de valeur entre ces choses. C'est l'inverse. C'est en posant dans l'échange leurs divers produits comme égaux à titre de valeurs qu'ils posent leurs travaux différents comme égaux entre eux à titre de travail humain. Ils ne le savent pas, mais ils le font pratiquement[5]. La valeur ne porte donc pas écrit sur le front ce qu'elle est. La valeur transforme au contraire tout produit du travail en hiéroglyphe social. Par la suite, les hommes cherchent à déchiffrer le sens de l'hiéroglyphe, à percer le secret de leur propre produit social, car la détermination des objets d'usage comme valeurs est leur propre production sociale, au même titre que le langage. Certes, la découverte tardive par la science que les produits du travail, dans la mesure où ils sont valeurs, ne font qu'exprimer sous forme de choses un travail humain dépensé à les produire, est une découverte qui a fait date dans l'histoire du développement de l'humanité, mais elle n'a dissipé en rien l'apparence d'objet qu'ont les caractères sociaux du travail. Le fait que le caractère spécifiquement social de travaux privés indépendants les uns des autres consiste en leur égalité en tant que travail humain, et prenne la forme du caractère de valeur des produits du travail, ne vaut que relativement, pour cette forme de production particulière qu'est la production marchande. Mais, aussi bien après qu'avant cette découverte, il apparaît à des gens qui sont prisonniers des rapports de la production marchande comme quelque chose d'indépassable, exactement comme la décomposition scientifique de l'air en ses éléments n'a pas empêché la forme-air de subsister comme forme d'un corps physique.

Ce qui intéresse d'abord pratiquement les gens qui échangent leurs produits, c'est de savoir combien de produits d'autrui ils obtiendront en échange de leur propre produit, donc dans quelles proportions s'échangeront les produits. Une fois que ces proportions sont parvenues à une certaine stabilité mûrie par l'habitude, elles semblent venir de la nature des produits: par exemple une tonne de fer et 2 onces d'or seront de même valeur, au même titre qu'une livre d'or et une livre de fer pèsent le même poids en dépit de leurs propriétés physiques et chimiques différentes. En fait, le caractère valeur des produits du travail ne s'établit fermement qu'une fois que ceux-ci sont pratiqués comme grandeurs de valeur. Or ces grandeurs changent constamment, indépendamment de la volonté, des prévisions et des actes des gens qui échangent. Leur mouvement social propre a pour les échangistes la forme d'un mouvement de choses qu'ils ne contrôlent pas, mais dont ils subissent au contraire le contrôle. Il faut attendre un développement complet de la production marchande avant que l'expérience même fasse germer l'intelligence scientifique de la chose: on comprend alors que ces travaux privés, menés indépendamment les uns des autres, mais mutuellement interdépendants par tous les côtés en tant que branches naturelles de la division sociale du travail, sont réduits en permanence à leur mesure sociale proportionnelle, parce que dans la contingence  et les oscillations constantes des rapports dans lesquels s'échangent leurs produits le temps de travail socialement nécessaire à leur production s'impose par la force comme loi naturelle régulatrice, au même titre que la loi de la pesanteur s'impose quand quelqu'un prend sa maison sur le coin de la figure[6]. La détermination de la grandeur de valeur par le temps de travail est donc un secret caché sous la phénoménalité des mouvements des valeurs relatives des marchandises. En découvrant ce secret, on lève l'apparence d'une détermination purement aléatoire des grandeurs de valeur des produits du travail, mais on ne supprime nullement leur forme de choses.

La réflexion sur les formes de l'existence humaine, et donc aussi l'analyse scientifique de ces formes, emprunte de toute façon une voie opposée à celle du développement réel. Elle commence post festum et, du coup, part des résultats achevés du processus de développement. Les formes qui impriment aux produits du travail le cachet de la marchandise, et que la circulation marchande présuppose donc, possèdent déjà la stabilité de formes naturelles de la vie sociale, avant même que les hommes cherchent à en rendre compte, non pas quant à leur caractère historique puisque ces formes passent au contraire déjà pour immuables à leurs yeux, mais quant à leur contenu. Aussi, c'est seulement l'analyse des prix des marchandises qui a conduit à la détermination de la grandeur de valeur, c'est seulement l'expression monétaire commune des marchandises qui a conduit à fixer leur caractère de valeur. Mais c'est précisément cette forme du monde des marchandises ‑ la forme-monnaie ‑ qui occulte sous une espèce matérielle, au lieu de les révéler, le caractère social des travaux privés et donc les rapports sociaux des travailleurs privés. Quand je dis qu'un habit, des bottes, etc. se réfèrent à la toile comme incarnation générale de travail humain abstrait, le caractère délirant de cette expression saute aux yeux. Mais quand les producteurs de l'habit, des bottes, etc. réfèrent ces marchandises à la toile, ‑ ou à de l'or et de l'argent, ce qui ne change rien à l'affaire ‑ comme équivalent universel, la relation de leurs travaux privés au travail social global leur apparaît exactement sous cette forme délirante.

C'est précisément ce genre de formes qui constituent les catégories de l'économie bourgeoise. Ce sont des formes de pensée qui ont une validité sociale, et donc une objectivité, pour les rapports de production de ce mode de production social historiquement déterminé qu'est la production marchande. Si donc nous nous en échappons vers d'autres formes de production, nous verrons disparaître instantanément tout le mysticisme du monde de la marchandise, tous les sortilèges qui voilent d'une brume fantomatique les produits du travail accompli sur la base de la production marchande.

Puisque l'économie politique aime les robinsonnades[7], faisons d'abord paraître Robinson dans son île. Aussi modeste qu'il soit à l'origine, il n'en doit pas moins satisfaire des besoins divers, et, pour ce faire, accomplir toute une série de travaux utiles d'espèces diverses, faire des outils, fabriquer des meubles, domestiquer des lamas, pêcher, chasser, etc. Ne parlons pas de ses prières et autres activités du même genre, puisque notre Robinson y trouve son content et considère ce genre d'activité comme une récréation. Malgré la diversité de ses fonctions productives, il sait qu'elles ne sont toutes que diverses formes d'activité du même Robinson, qu'elles ne sont donc que diverses modalités de travail humain. C'est l'urgence des besoins elle-même qui lui impose de répartir exactement son temps entre ses diverses fonctions. L'ampleur plus ou moins grande prise par telle ou telle fonction dans l'ensemble de son activité dépend du niveau plus ou moins élevé des difficultés qu'il lui faut surmonter pour atteindre l'effet utile visé. C'est l'expérience qui lui apprend cela, et notre Robinson, qui a sauvé du naufrage une montre, le grande livre de comptes, l'encre et la plume, a tôt fait de tenir la comptabilité de sa propre personne, en bon Anglais qu'il est. Son inventaire comporte un répertoire des objets d'usage qu'il possède, des diverses opérations requises pour les produire, et finalement du temps de travail que lui coûtent en moyenne des quantités déterminées de ces différents produits. Les relations entre Robinson et les choses qui forment la richesse qu'il s'est créée lui-même, sont ici à ce point transparentes et simples que même Monsieur M. Wirth devrait pouvoir les comprendre sans fournir un effort intellectuel particulier. Et pourtant, toutes les déterminations essentielles de la valeur y sont contenues.

Quittons maintenant la lumineuse clarté de l'île de Robinson pour nous transporter dans les ténèbres obscures du Moyen Age européen. Au lieu de cet homme indépendant nous y trouvons la dépendance généralisée: des serfs et des seigneurs, des vassaux et des suzerains, les laïcs et des clercs. La dépendance personnelle caractérise aussi bien les rapports sociaux de la production matérielle que les autres sphères de la vie qui s'édifient sur sa base. Mais précisément, comme ce sont ces rapports personnels de dépendance qui constituent la base sociale existante, les travaux et les produits n'ont pas besoin de prendre une figure fantastique distincte de leur réalité. Ils entrent comme autant de services en nature et de prestations en nature dans les rouages sociaux. C'est la forme de service "en nature" du travail, c'est donc sa particularité et non son universalité, comme c'est le cas sur la base de la production marchande, qui en est ici la forme immédiatement sociale. Certes, on mesure aussi bien par le temps le travail de la corvée que celui qui produit les marchandises, mais tout serf sait que ce qu'il dépense au service de son seigneur est une quantité déterminée de sa propre force de travail personnelle. La dîme qu'il faut fournir au curé est plus claire que sa bénédiction. Quel que soit donc le jugement qu'on porte sur les masques sous lesquels les hommes ici se font face, les rapports sociaux que les personnes ont entre elles dans leurs travaux y apparaissent du moins comme leurs propres rapports personnels, et ne sont pas déguisés en rapports sociaux des choses, des produits du travail.

Si nous voulons observer du travail commun, c'est-à-dire immédiatement socialisé, point n'est besoin de remonter à sa forme naturelle initiale, telle qu'on la rencontre à l'aube de l'histoire chez tous les peuples civilisés[8]. Nous en avons un exemple plus proche avec l'industrie agro-patriarcale d'une famille paysanne qui produit pour ses propres besoins grain, bétail, fil, toile, vêtements, etc. Ces diverses choses se présentent à la famille comme autant de produits divers de son travail familial, mais ne se font pas face mutuellement comme marchandises. Les divers travaux qui sont à l'origine de ces produits, culture, élevage, filage, tissage, confection, etc., sont sous leur forme de prestations en nature des fonctions sociales, puisqu'ils sont des fonctions de la famille, laquelle possède tout autant que la production marchande sa propre division du travail naturelle. Les différences d'âge et de sexe, ainsi que les conditions naturelles changeantes avec les changements de saison, règlent la répartition de ces travaux au sein de la famille ainsi que le temps de travail de ses différents membres pris individuellement. Mais la dépense des forces de travail individuelles mesurée par la durée apparaît ici comme détermination sociale originaire des travaux eux-mêmes, étant donné que, dès l'origine, ces forces de travail individuelles n'agissent qu'en tant qu'organes de la force de travail commune de la famille.

Représentons-nous enfin, pour changer, une association[9]* d'hommes libres, travaillant avec des moyens de production collectifs et dépensant consciemment leurs nombreuses forces de travail individuelles comme une seule force de travail sociale. Toutes les déterminations du travail de Robinson se répètent ici, mais de manière sociale et non plus individuelle. Tous les produits de Robinson étaient son produit personnel exclusif, et donc immédiatement pour lui des objets d'usage. Le produit global de l'association est un produit social. Une partie de ce produit ressert comme moyen de production. Elle demeure sociale. Mais une autre partie est consommée comme moyen de subsistance par les membres de l'association. Elle doit être partagée entre eux. Ce partage se fera selon une modalité qui change avec chaque modalité particulière de l'organisme de production sociale lui-même, et avec le niveau de développement historique correspondant atteint par les producteurs. Supposons, simplement pour établir le parallèle avec la production marchande, que la part de moyens de subsistance qui revient à chaque producteur soit déterminée par son temps de travail. Le temps de travail jouerait alors un rôle double. D'un côté, sa répartition socialement planifiée règle la juste proportion des diverses fonctions de travail sur les différents besoins. D'autre part, le temps de travail sert en même temps à mesurer la participation individuelle du producteur au travail commun, et aussi, par voie de conséquence, à la part individuellement consommable du produit commun. Les relations sociales existant entre les hommes et leurs travaux, entre les hommes et les produits de leurs travaux, demeurent ici d'une simplicité transparente tant dans la production que dans la distribution.

Pour une société de producteurs de marchandises dont le rapport de production social général consiste à se rapporter à leurs produits comme à des marchandises, et donc à des valeurs, et à référer leurs travaux privés les uns aux autres sous cette forme impersonnelle de choses comme autant de travail humain semblable, le christianisme avec son culte de l'homme abstrait, notamment dans son développement bourgeois, dans le protestantisme, le déisme, etc., est la forme de religion la plus appropriée. Dans les modes de production de l'Asie ancienne, de l'Antiquité, etc., la transformation du produit en marchandise, et donc l'existence des hommes comme producteurs de marchandises, joue un rôle subalterne qui gagne cependant en importance à mesure que les communautés entrent dans leur stade de déclin. Il n'existe de peuples commerçants à proprement parler que dans les intermondes de l'univers antique, comme les dieux d'Épicure, ou comme les Juifs dans les pores de la société polonaise. Ces anciens organismes sociaux de production sont extraordinairement plus simples et plus transparents que l'organisme bourgeois, mais ils reposent soit sur l'immaturité de l'homme individuel qui ne s'est pas encore détaché du cordon ombilical des liens génériques naturels qu'il a avec les autres, soit sur des rapports immédiats de domination et de servitude. Ils ont pour condition un bas niveau de développement des forces productives du travail auquel correspond l'inhibition des rapports humains dans le procès matériel de reproduction de leur existence, donc dans leurs rapports entre eux et à l'égard de la nature. Cette inhibition réelle se reflète idéellement dans les vieilles religions de la nature et les religions populaires. Le reflet religieux du monde réel ne peut disparaître de manière générale qu'une fois que les rapports de la vie pratique des travaux et des jours représentent pour les hommes, de manière quotidienne et transparente, des relations rationnelles entre eux et avec la nature. La configuration du procès social d'existence, c'est-à-dire du procès de production matérielle, ne se débarrasse de son nébuleux voile mystique, qu'une fois qu'elle est là comme produit d'hommes qui se sont librement mis en société, sous leur propre contrôle conscient et selon leur plan délibéré. Mais cela requiert pour la société une autre base matérielle, c'est-à-dire toute une série de conditions matérielles d'existence qui sont elles-mêmes à leur tour le produit naturel d'un long et douloureux développement historique.

L'économie politique a certes analysé, bien qu'imparfaitement[10], la valeur et la grandeur de la valeur, et découvert le contenu caché sous ces formes. Mais elle n'a jamais posé ne serait-ce que la simple question de savoir pourquoi ce contenu-ci prend cette forme-là, et donc pourquoi le travail se représente dans la valeur et pourquoi la mesure du travail par sa durée se représente dans la grandeur de valeur du produit du travail[11].

Des formules qui portent inscrit au front qu'elles appartiennent à une formation sociale où c'est le procès de production qui maîtrise les hommes, et pas encore l'inverse, sont considérées par sa conscience bourgeoise comme des nécessités naturelles tout aussi évidentes que le travail productif lui-même. Si bien qu'elle traite des formes pré-bourgeoises de l'organisme social de production comme les Pères de l'Église traitent des religions préchrétiennes[12].

La querelle insipide et ennuyeuse sur le rôle de la nature dans la constitution de la valeur d'échange, montre bien entre autres, à quel point une partie des économistes s'est laissé abuser par le fétichisme qui adhère[13]* au monde des marchandises, ou par l'apparence objective des déterminations sociales du travail. Puisque la valeur d'échange est une façon sociale déterminée d'exprimer le travail employé à fabriquer une chose, elle ne peut guère contenir plus de matière naturelle que, par exemple, le cours des changes.

Comme la forme-marchandise est à la fois la forme la plus générale et la moins développée de la production bourgeoise, ce qui fait qu'elle apparaît de bonne heure, bien que ce ne soit pas sur le même mode dominant, et donc caractéristique, qu'aujourd'hui, il semble encore relativement facile de mettre à nu son caractère de fétiche. Dès que nous avons à affaire à des formes plus concrètes, même cette apparence de simplicité disparaît. D'où proviennent les illusions du monétarisme? Il n'a pas VU que l'or et l'argent représentent, en tant que monnaie, un rapport social de production, mais un rapport social qui se présente sous la forme de choses naturelles étrangement pourvues de propriétés sociales. Quant à l'économie moderne qui ricane avec une condescendance distinguée des travers du monétarisme, ne touche-t-on pas du doigt son fétichisme à elle dès qu'elle traite du capital? Depuis combien de temps s'est dissipée l'illusion physiocratique qui veut que la rente foncière naisse du sol et non de la société?

Mais n'anticipons pas: contentons-nous d'un seul exemple encore, relatif à la forme-marchandise proprement dite. Si les marchandises pouvaient parler, elles diraient: notre valeur d'usage peut bien intéresser les hommes. Mais nous, en tant que chose elle ne nous regarde guère. Ce qui nous revient, de notre point de vue de chose, c'est notre valeur: le commerce que nous entretenons en tant que choses marchandes le montre assez. Nous ne nous référons les unes aux autres qu'en tant que valeurs d'échange. Écoutons maintenant comment parle l'économiste depuis le tréfonds de l'âme des marchandises:

"La valeur" (valeur d'échange) "est une propriété des choses, la richesse" (valeur d'usage) "est une propriété des hommes. En ce sens, la valeur implique nécessairement l'échange, ce qui n'est pas le cas de la richesse[14]". "La richesse" (valeur d'usage) "est un attribut des hommes, la valeur un attribut des marchandises. Un homme, ou une communauté, est riche; une perle ou un diamant a de la valeur. ... Une perle ou un diamant a de la valeur en tant que perle ou que diamant[15]".

Aucun chimiste n'a encore jamais trouvé de valeur d'échange dans une perle ou dans un diamant. Les chercheurs en économie qui ont découvert cette substance chimique, et qui revendiquent une reconnaissance toute particulière de leur profondeur critique, ont néanmoins trouvé que si la valeur d'usage des choses est indépendante de leurs propriétés de choses, leur valeur en revanche leur revient en tant que choses. Ce qui les confirme dans ce point de vue c'est cette étrangeté qui fait que la valeur d'usage des choses pour l'homme se réalise sans échange, donc dans un rapport immédiat entre homme et chose, tandis qu'a l'inverse, leur valeur ne se réalise que dans l'échange, c'est-à-dire dans un procès social. Qui ne se souvient ici de la leçon que le brave Dogberry donne au veilleur de nuit Seacoal[16]*:

"Être un homme de belle apparence est un don des circonstances, mais savoir lire et écrire, c'est quelque chose qui vient par nature"[17].

 

 

 

 

 

Notes



[1].       [321ignition] Reproduit ici à partir de l'édition en facsimilé publiée en 1993 (Paris, Presses Universitaires de France). Cette traduction, établie sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre, est basée sur la quatrième édition allemande du Livre I, effectuée par Friedrich Engels, parue en 1890. La première édition en français (Éditions Maurice Lachâtre, Paris, 1875) était le résultat d'une traduction préparée par Joseph Roy sur la base de la deuxième édition allemande (Verlag von Otto Meissner, Hambourg, 1875) et révisée par Marx. Du fait de l'intervention de Marx, le contenu diffère en divers points de la deuxième édition allemande, évolutions qui cependant ont été intégrées par Engels dans les éditions allemandes ultérieures.

Les notes marquées d'un astérisque sont celles ajoutées pour l'édition de 1983.

[2].       On se souvient que la Chine et les tables se mirent à danser quand tout le reste du monde semblait rester immobile ‑ pour encourager les autres*.

          * Marx évoque la concomitance de la vague spiritiste, qui se répandit en Europe après les révolutions de 1848, et des débuts du mouvement Taïping en Chine.

[3].       [Deuxième édition.] Chez les anciens Germains, la grandeur d'un arpent de terre était calculée d'après le travail d'une journée, d'où ses appellations: journal (Tagwerk ou Tagwanne) (jurnale ou jurnalis, terra jurnalis, jornalis ou diurnalis), Mannwerk [travail d'un homme], Mannskraft [force d'un homme], Mannsmaad, Mannshauet, etc. Georg Ludwig von Maurer, Einleitung zur Geschichte der Mark-, Hof-, Dorf -und Stadtverfassung und der öffentlichen Gewalt, Munich 1854, p. 129 et suiv.

[4]*.     Gleichheit désigne à la fois l'identité quantitative, ici égalité, et l'identité qualitative traduite par identité ou parité. Toto coelo: en tous lieux.

[5].       [Deuxième édition.] Quand donc Galiani dit: la valeur est un rapport entre personnes ‑ La Ricchezza è una ragione tra due persone ‑, il aurait dû ajouter: un rapport caché sous l'enveloppe d'une chose. (Galiani, Della Moneta, p. 221, tome III du recueil de Custodi, Scrittori Classici Italiani di Economia Politica, Parte Moderna, Milan 1803).

[6].       "Que penser d'une loi qui ne peut entrer en vigueur qu'à travers des révolutions périodiques? C'est précisément une loi naturelle qui repose sur l'inconscience des parties prenantes" (Friedrich Engels, Umrisse zu einer Kritik der Nationalökonomie, in Deutsch-Französische Jahrbücher, édités par Arnold Ruge et Karl Marx, Paris 1844).

[7].       [Deuxième édition.] Ricardo lui-même y va de sa robinsonnade: "Du pêcheur et du chasseur primitifs il fait aussitôt un possesseur de marchandises échangeant poisson et gibier, à proportion du temps de travail objectivé dans ces valeurs d'échange. Ce faisant il sombre dans l'anachronisme qui consiste à faire calculer par son pêcheur et son chasseur primitifs le montant de leurs instruments de travail d'après les tables d'annuités en usage à la Bourse de Londres en 1817. Les “parallélogrammes de M. Owen”* semblent être la seule forme de société qu'il ait connue en dehors de la société bourgeoise" (Karl Marx, Contribution à la critique de l'Économie politique, p. 38‑39 [Éditions sociales, 1977, p. 37].

          * Allusion à une théorie d'Owen sur le caractère optimal de la forme du parallélogramme, ou du carré, en matière économique, domestique, etc. Voir aussi David Ricardo, On protection to agriculture, Londres 1822, p. 21.

[8].       [Deuxième édition.] "Un préjugé ridicule répandu ces derniers temps veut que la propriété commune naturelle soit une forme spécifiquement slave, voire exclusivement russe. En réalité, il s'agit de la forme de propriété commune originelle dont nous pouvons démontrer l'existence chez les Romains, les Germains et les Celtes, mais dont aujourd'hui encore on trouve tout un échantillonnage de spécimens variés aux Indes, quoique pour une part à l'état de ruines. Une étude plus précise des formes de propriété commune asiatiques, et notamment indiennes, montrerait comment des différentes formes de la propriété commune naturelle résultent différentes formes de sa dissolution. C'est ainsi par exemple que les différents types originaux de propriété privée romaine et germanique peuvent être dérivés des différentes formes de la propriété commune indienne. (K. Marx, Contribution etc., édition cit., p. 13).

[9]*.     Verein: au sens "institutionnel" du terme.

[10].     L'insuffisance de l'analyse ricardienne de la grandeur de la valeur ‑ qui est pourtant la meilleure ‑ sera mise en évidence aux livres III et IV de cet ouvrage. Pour ce qui est de la valeur en général, l'économie politique classique ne distingue cependant nulle part et avec une claire conscience entre le travail tel qu'il s'expose dans la valeur et le même travail tel qu'il s'expose dans la valeur d'usage de son produit. Naturellement, dans la pratique, elle fait la différence, puisqu'elle considère le travail tantôt quantitativement, tantôt qualitativement. Mais il ne lui vient pas à l'idée qu'une différence purement quantitative entre les travaux suppose leur unité ou leur identité qualitative, donc leur réduction à du travail humain abstrait. Ainsi Ricardo se déclare-t-il d'accord avec Destutt de Tracy quand celui-ci dit: "Puisqu'il est certain que nos facultés physiques et morales sont notre seule richesse originaire, que l'emploi de ces facultés, le travail quelconque, est notre seul trésor primitif, et que c'est toujours de cet emploi que naissent toutes les choses que nous appelons des biens ... il est certain de même que tous ces biens ne font que représenter le travail qui leur a donné naissance, et que, s'ils ont une valeur, ou même deux distinctes, ils ne peuvent tenir ces valeurs que de celle du travail dont ils émanent". (Destutt de Tracy, Éléments d'idéologie, quatrième et cinquième parties, Paris 1826, p. 35‑36) (cf. Ricardo, The Principles of Political Economy, troisième édition, Londres 1831, p. 334). Nous voulons seulement faire remarquer que Ricardo attribue subrepticement à Destutt sa propre signification du terme, qui est plus profonde. De fait, Destutt dit bien d'un côté que toutes les choses qui constituent la richesse "représentent le travail qui les a créées", mais il dit d'autre part qu'elles tirent leurs "deux valeurs distinctes" (valeur d'usage et valeur d'échange) de la "valeur du travail". Il tombe ainsi dans la platitude de l'économie vulgaire qui présuppose d'abord la valeur d'une marchandise (ici le travail) pour déterminer ensuite par ce moyen la valeur des autres marchandises. Dans la lecture qu'en fait Ricardo, le travail (et non la valeur du travail) s'expose dans la valeur d'usage aussi bien que dans la valeur d'échange. Lui-même cependant distingue si peu le double caractère du travail qui s'expose de cette double façon que, tout au long du chapitre "Value and Riches, their Distinctive Properties", il est obligé de se débattre péniblement contre les trivialités d'un J. B. Say. Il est donc tout étonné au bout du compte que Destutt puisse concorder avec Say sur le concept de valeur tout étant d'accord avec lui-même sur le travail comme source de la valeur.

[11].     L'une des carences fondamentales de l'économie politique classique est qu'elle n'ait jamais réussi à découvrir par l'analyse de la marchandise et plus précisément de la valeur marchande la forme de la valeur qui en fait la valeur d'échange. Et c'est chez ses meilleurs représentants, A. Smith et Ricardo, qu'elle traite la forme-valeur comme quelque chose de tout à fait indifférent ou d'extérieur à la nature de la marchandise elle-même. La raison n'en est pas seulement que l'analyse de la grandeur de valeur absorbe entièrement son attention. Elle est plus profonde. La forme-valeur du produit du travail est la forme la plus abstraite, mais aussi la plus générale du mode de production bourgeois, qu'elle caractérise ainsi comme une modalité particulière de production sociale, et détermine, du même coup, historiquement. Si donc on la prend pour la forme naturelle éternelle de la production sociale, on passe aussi nécessairement à côté de ce qu'il y a de spécifique dans la forme-valeur, donc dans la forme-marchandise, et en poursuivant le développement, dans la forme-monnaie, dans la forme capital, etc. Voilà pourquoi on trouve chez des économistes qui s'accordent entièrement sur la mesure de la grandeur de valeur par le temps de travail, les représentations de la monnaie, c'est-à-dire de la forme achevée de l'équivalent général, les plus bigarrées et les plus contradictoires. Ceci ressort de façon frappante à propos de la banque par exemple: avec les définitions de la monnaie issues des lieux communs, on n'arrive plus à rien. À l'opposé, on a donc vu se reconstituer un néo-mercantilisme (Ganilh, etc.) qui ne voit dans la valeur que la forme sociale ou plutôt son apparence sans substance. - Je fais remarquer une fois pour toutes que par économie politique classique j'entends toute économie, depuis W. Petty, qui cherche à analyser la connexion interne des rapports de production bourgeois, par opposition à l 'économie vulgaire qui ne fait que tourner autour de la connexion apparente et ne cesse de remâcher le matériau fourni depuis longtemps par l'économie scientifique, pour faire comprendre de façon plausible les phénomènes dits les plus grossiers, et répondre aux besoins domestiques bourgeois, en se limitant du reste à systématiser, pédantiser et proclamer vérités éternelles les représentations banales et autosatisfaites que les agents bourgeois de la production se font de ce qui est pour eux le meilleur des mondes, le leur.

[12].     "Les économistes ont une singulière manière de procéder. Il n'y a pour eux que deux sortes d'institutions, celles de l'art et celles de la nature. Les institutions de la féodalité sont des institutions artificielles, celles de la bourgeoisie sont des institutions naturelles. Ils ressemblent en cela aux théologiens qui, eux aussi, établissent deux sortes de religions. Toute religion qui n'est pas la leur est une invention des hommes, tandis que leur propre religion est une émanation de Dieu ... Ainsi il y a eu une histoire mais il n'y en a plus". (Karl Marx, Misère de la philosophie etc., 1847, Paris, p. 113 [Éditions sociales 1977, p. 129]. Le plus comique est Monsieur Bastiat, qui s'imagine que les Grecs et les Romains de l'Antiquité n'auraient vécu que de rapine. Mais quand on vit de rapine pendant plusieurs siècles, il faut bien qu'il y ait toujours quelque chose à piller ou que l'objet de rapine ne cesse de se reproduire. Il semble donc que Grecs et Romains aient eu eux-aussi un procès de production, c'est-à-dire une économie qui formait tout autant la base matérielle de leur monde que l'économie bourgeoise forme celle du monde actuel. Ou bien Bastiat croit-il peut-être qu'un mode de production reposant sur le travail des esclaves repose sur un système de rapine? Il se place alors sur un terrain dangereux. Si un géant de la pensée comme Aristote s'est trompé dans son appréciation du travail d'esclave, pourquoi un nain de l'économie comme Bastiat aurait-il raison dans son appréciation du travail salarié? - Je saisis cette occasion pour réfuter brièvement une objection qui m'a été faite par un journal germano-américain lors de la parution de ma Contribution à la critique de l'économie politique, en 1859. Selon lui, mon idée que le mode de production déterminé et les rapports de production à chaque fois correspondants, bref que "la structure économique de la société, est la base réelle sur laquelle s'édifie une superstructure et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminée", et que "le mode de production de la vie matérielle conditionne le procès de vie social, politique et spirituel en général", - tout ceci serait effectivement exact pour le monde d'aujourd'hui, où dominent les intérêts matériels, mais pas pour le Moyen Age, où dominait le catholicisme, ni pour Athènes et Rome, où dominait la politique. En premier lieu, il est étrange qu'il plaise à quelqu'un de supposer que ces formules universellement connues sur le Moyen Age et l'Antiquité soient restées inconnues de qui que ce soit. Il est aussi clair que ni le Moyen Age, ni l'Antiquité ne pouvaient vivre l'un du catholicisme, l'autre de la politique. Mais inversement la façon dont ils gagnaient leur vie explique pourquoi c'est là le politique, et ici le catholicisme qui jouaient le rôle principal. Il suffit d'ailleurs d'un peu de familiarité avec l'histoire de la République romaine pour savoir que l'histoire de la propriété foncière constitue son histoire secrète. D'un autre côté, Don Quichotte a déjà payé cher l'erreur de s'être imaginé que la chevalerie errante était également compatible avec toutes les formes économiques de la société.

[13]*.   Anklebend.

[14].     "Value is a property of things, riches of man. Value, in this sense, necessarily implies exchanges, riches do not". (Observations on some verbal disputes in Pol. Econ., particularly relating to value, and to supply and demand, Londres, 1821, p. 16).

[15].     "Riches are the attribute of man, value is the attribute of commodities. A man or a community is rich, a pearl or a diamond is valuable ... A pearl or a diamond is valuable as a pearl or diamond". (S. Bailey, Money and its Vicissitudes, Londres 1837, p. 165 et suiv.)

[16].     Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien, acte III, sc. III.

[17].     L'auteur des Observations et S. Bailey accusent Ricardo d'avoir fait de la valeur d'échange, qui est purement relative, quelque chose d'absolu. C'est l'inverse. Il a réduit la relativité apparente que ces choses, diamants et perles par exemple, possèdent comme valeurs d'échange, au vrai rapport caché derrière cette apparence, à leur relativité de simples expressions de travail humain. Quand donc les ricardiens répondent à Bailey de façon grossière, mais rien moins que péremptoire, c'est seulement parce qu'ils n'ont trouvé chez Ricardo lui-même aucun éclaircissement sur le lien interne entre valeur et forme-valeur ou valeur d'échange.