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Karl Marx

Le Capital - Livre 3e
2e section : La transformation du profit en profit moyen

Chapitres 8 à 12

 

 

Source:

Le Capital - Livre troisième - Tome I
Paris, Éditions sociales, 1969, p. 159‑224

 

 

 

 

 

 

 

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Textes de Karl Marx ‑ Sommaire

 

 

 

 

 

 

Chapitre VIII
Composition différente des capitaux dans des branches de production différentes, d'où diversité des taux de profit

Dans la section précédente, nous avons démontré entre autres que le taux du profit peut varier, qu'il augmente ou diminue, bien que le taux de la plus‑value reste constant. Dans ce chapitre-ci, nous supposerons que le degré d'exploitation du travail donc aussi le taux de la plus‑value et la durée de la journée de travail soient identiques et de même grandeur dans toutes les branches de la production en lesquelles se divise le travail social d'un pays donné. D'ailleurs A. Smith a déjà montré en détail que la grande diversité dans l'exploitation du travail régnant dans les diverses sphères de production se trouve compensée par toutes sortes de raisons réelles ou acceptées par préjugé. Cette diversité, parce qu'elle n'est qu'apparente ou négligeable, n'entrera donc pas en ligne de compte dans l'étude des conditions générales. D'autres différences, dans le montant du salaire par exemple, reposent en grande partie sur celle déjà mentionnée au début du livre I, tome I, page 59 [1], qui existe entre le travail simple et le travail complexe. Bien qu'elles rendent très inégales les conditions des ouvriers dans les différentes sphères de production, ces différences n'influent nullement sur le degré d'exploitation du travail dans ces mêmes sphères. Si le travail d'un orfèvre, par exemple, est payé plus cher que le travail d'un journalier, il est certain que le surtravail de l'orfèvre représente aussi, dans le même rapport, une plus grande plus‑value que celui du journalier. Même si l'égalisation des salaires et des journées de travail, et par conséquent celle du taux de la plus‑value entre diverses branches de la production et même entre différents investissements de capitaux à l'intérieur d'une même sphère de production, est freinée par toutes sortes d'obstacles locaux, elle s'accomplit néanmoins toujours davantage, grâce au progrès de la production capitaliste et à la subordination de tous les rapports économiques à ce mode de production. Si importante que puisse être l'étude de ces frictions dans toute recherche spéciale sur le salaire, elles peuvent cependant être laissées de côté comme fortuites et secondaires dans l'examen général de la production capitaliste. D'ailleurs nous supposerons toujours, dans cet examen général, que les rapports économiques réels correspondent bien à leur concept ou, ce qui revient au même, les rapports réels ne seront exposés ici que dans la mesure où ils traduisent leur propre type général.

La différence des taux de plus‑value dans les divers pays et partant dans les degrés nationaux d'exploitation du travail est sans importance pour notre étude. Ce que nous voulons montrer dans cette section est justement la manière dont s'élabore un taux général de profit à l'intérieur d'un pays. Cependant il va de soi que, pour comparer les divers taux nationaux de profit, il suffit de rapprocher ce que nous allons exposer ici de nos développements antérieurs. Il faut étudier d'abord la diversité dans les taux nationaux de la plus‑value et n'y comparer que par la suite, sur la base de ces taux donnés de la plus‑value, la diversité des taux nationaux de profit. Dans la mesure où cette dernière ne résulte pas de la diversité des taux nationaux de plus‑value, elle est fatalement due à des circonstances où la plus‑value, comme c'est le cas dans notre étude présente, est partout supposée identique, constante.

Nous avons montré dans le chapitre précédent que, pour un taux de plus‑value constant, le taux de profit que rapporte un certain capital peut augmenter ou diminuer à la suite de circonstances entraînant l'augmentation ou la diminution de la valeur de telle ou telle fraction du capital constant et affectant par là le rapport entre les éléments constant et variable du capital. Nous y avons également montré que certaines circonstances, augmentant ou diminuant le temps de rotation d'un capital, peuvent affecter de manière analogue le taux du profit. Comme la masse de profit est identique à la masse de plus‑value, à la plus‑value elle-même, il fut montré aussi que la masse de profit ‑ différente en cela du taux de profit ‑ n'est pas atteinte par les fluctuations de valeur dont nous venons de parler. Celles-ci ne modifiaient que le taux qui exprime une plus‑value donnée et donc aussi un profit d'un montant donné, c'est-à-dire sa grandeur relative, par rapport à la grandeur du capital avancé. Dans la mesure où ces fluctuations de valeur entraînaient la fixation ou la libération de capital, non seulement le taux de profit, mais le profit lui-même pouvaient être affectés indirectement. Cependant tout ceci n'était vrai que pour du capital déjà engagé et non pour un nouvel investissement de capital; en outre, l'accroissement ou la diminution du profit lui-même dépendait toujours de la mesure où, par suite de ces fluctuations de valeur, le même capital pouvait mettre en mouvement une quantité plus ou moins grande de travail, donc produire ‑ pour un taux de plus‑value constant ‑ une masse plus ou moins importante de plus‑value. Loin de contredire la loi générale ou d'en constituer une exception, cette exception apparente n'était en fait qu'un cas particulier dans l'application de la loi générale.

Dans la section précédente, nous avons montré que pour un degré constant d'exploitation du travail le taux de profit subit des modifications lorsque la valeur des composantes du capital constant ou encore le temps de rotation du capital se modifient; il s'ensuit normalement que les taux de profit de diverses sphères de production existant simultanément, côte à côte, seront différents si le temps de rotation du capital utilisé diffère, toutes choses égales d'ailleurs, ou encore si le rapport de valeur entre les composants organiques de ces capitaux dans les différentes branches de production n'est pas le même. Ce que nous avons considéré précédemment comme des modifications successives subies par le même capital est maintenant considéré comme des différences se manifestant simultanément entre divers capitaux investis parallèlement dans différentes branches de production.

À ce sujet, nous aurons à étudier: 1. la diversité dans la composition organique des capitaux; 2. la diversité dans leur temps de rotation.

Lorsque, au cours de cette étude, nous parlons de composition ou de rotation du capital dans un secteur donné de la production, nous supposons toujours que le capital investi dans ce secteur l'a été dans le rapport moyen normal. De façon générale, nous supposons qu'il s'agit de la moyenne du capital total investi dans le secteur donné et non des différences fortuites qui existent entre les capitaux individuels investis dans ce secteur.

De plus, le taux de la plus‑value et la journée de travail étant supposés constants ‑ d'où un salaire constant ‑ une certaine quantité de capital variable représente donc une certaine quantité de force de travail mise en mouvement, partant une quantité donnée de travail en voie de se matérialiser. Donc, si 100 l. st. représentent le salaire hebdomadaire de 100 ouvriers, elles expriment par là une force de travail de 100 et n * 100 l. st. celle de n * 100 ouvriers, et 100 l. st. / n celle de 100 / n ouvriers. Par conséquent, le capital variable sert ici, comme c'est toujours le cas pour un salaire donné, d'indice de la masse du travail mise en mouvement par un capital total donné; c'est pour cette raison que des variations dans la grandeur du capital variable utilisé servent d'indice de la variation dans la masse de la force de travail employée. Si 100 l. st. représentent 100 ouvriers par semaine, partant 6.000 heures de travail à raison de 60 heures de travail par semaine, 200 l. st. représentent donc 12.000 et 50 l. st. seulement 3.000 heures de travail.

Au Livre Ier, nous avons déjà dit ce que nous entendons par composition du capital: le rapport entre ses parties active et passive, entre les capitaux variable et constant. À ce propos, deux sortes de rapports doivent être pris en considération, ils sont d'une importance inégale, bien que, dans certaines conditions, ils puissent produire les mêmes effets.

Le premier rapport repose sur une base technique et doit être considéré comme donné pour un degré déterminé du développement de la force productive. Une masse donnée de force de travail représentée par un nombre donné d'ouvriers est nécessaire pour produire dans une journée, par exemple, une certaine masse de produit, d'où la nécessité de mobiliser une certaine masse de moyens de production, de machines, de matières premières, etc., et de les consommer productivement. Un nombre donné d'ouvriers correspond à une quantité donnée de moyens de production et par conséquent une quantité donnée de travail vivant correspond à une quantité donnée de travail matérialisé déjà dans les moyens de production. Ce rapport est très différent dans les diverses sphères de production et même souvent entre les différentes branches d'une même industrie; par contre, dans des branches d'industrie très éloignées, il peut éventuellement être le même ou presque.

Ce rapport constitue la composition technique du capital et la base proprement dite de sa composition organique.

Il est cependant possible que ce rapport soit le même dans différentes branches d'industrie, dans la mesure où le capital variable est le simple indice de la force de travail et le capital constant celui de la masse de moyens de production mise en mouvement par cette force de travail. On peut très bien supposer que certains travaux sur cuivre ou sur fer par exemple présentent un rapport identique entre la force de travail et la masse des moyens de production. Mais, comme le cuivre est plus cher que le fer, le rapport de valeur entre les capitaux variable et constant sera différent dans ces deux cas, il y aura donc aussi une différence dans la composition de valeur de la totalité des deux capitaux. La différence entre la composition technique et la composition de valeur apparaît dans chaque branche d'industrie dans le fait que, pour une composition technique constante, le rapport de valeur des deux portions de capital peut varier; la composition technique changeant, il peut rester le même. Bien entendu, le dernier cas ne se produit que si une variation dans le rapport des masses de moyens de production et de force de travail utilisées est compensée par une variation de sens inverse dans leurs valeurs.

Nous appellerons composition organique du capital[2] sa composition de valeur dans la mesure où cette dernière est déterminée par sa composition technique et la reflète.

Quant au capital variable, nous supposons donc qu'il est l'indice d'une certaine quantité de force de travail, d'un nombre donné d'ouvriers ou de certaines masses de travail vivant mises en mouvement. Dans la section précédente, nous avons vu qu'il est possible qu'une variation de la valeur du capital variable ne représente rien d'autre que le prix plus ou moins élevé d'une même masse de travail, mais dans notre étude actuelle il n'y a pas lieu de retenir cette possibilité, puisque le taux de la plus‑value et la journée de travail sont considérés comme constants et le salaire pour un temps de travail déterminé comme donné. Par contre, une différence dans la grandeur du capital constant peut également être l'indice d'un changement dans la masse des moyens de production qu'une certaine quantité de force de travail a mobilisée; mais cette différence peut encore provenir de ce que la valeur des moyens de production mis en mouvement peut différer d'une sphère de production à l'autre. Ces deux points de vue doivent donc être pris en considération ici.

Enfin, il faut faire la remarque essentielle suivante:

Supposons que 100 l. st. soient le salaire hebdomadaire de 100 ouvriers. Supposons encore que le temps de travail par semaine soit de 60 heures et que le taux de la plus‑value soit égal à 100 %. Dans ce cas, les ouvriers travaillent 30 heures sur 60 pour eux-mêmes et 30 heures gratuitement pour le capitaliste. Les 100 l. st. de salaire ne représentent en effet que 30 heures de travail des 100 ouvriers, ce qui fait au total 3.000 heures de travail, tandis que les 3.000 heures restantes, pendant lesquelles les ouvriers travaillent aussi, sont concrétisées dans la plus‑value ou le profit de 100 l. st. qu'empoche le capitaliste. Bien que les 100 l. st. de salaire ne représentent pas la valeur dans laquelle se matérialise le travail hebdomadaire des 100 ouvriers, elles indiquent néanmoins, puisque la durée de la journée de travail et le taux de plus‑value sont donnés, que ce capital a mobilisé 100 ouvriers pendant un total de 6.000 heures de travail. Le capital de 100 l. st. indique cela parce que, premièrement, il indique le nombre d'ouvriers mis en mouvement et que 1 l. st. est égale à 1 ouvrier par semaine, donc 100 l. st. sont égales à 100 ouvriers; deuxièmement, parce que chaque ouvrier mis en mouvement, étant donné le taux de plus‑value de 100 %, accomplit deux fois le travail que son salaire représente; il s'ensuit que ce salaire de 1 l. st., qui matérialise une demi-semaine de travail, met en mouvement le travail d'une semaine entière, tout comme 100 l. st. entraînent 100 semaines de travail, bien qu'elles ne contiennent qu'un travail de 50 semaines. Par conséquent, il faut faire ici une différence essentielle entre le capital variable dépensé en salaire en tant que sa valeur, c'est-à-dire la somme des salaires, représente une certaine quantité de travail matérialisé, et ce même capital en tant que sa valeur est le simple indice de la masse de travail vivant qu'il met en mouvement. Celle-ci est toujours plus grande que le travail contenu dans le capital; aussi est-elle toujours représentée par une valeur plus grande que celle du capital variable, une valeur qui d'une part est déterminée par le nombre d'ouvriers mobilisés par le capital variable et d'autre part par la quantité de surtravail que ces ouvriers accomplissent.

De cette manière de considérer le capital variable, il résulte: lors qu'un capital investi dans la sphère de production A, sur 700 du capital total, ne débourse que 100 en capital variable et 600 en capital constant, alors que dans la sphère de production B, 600 sont déboursés en capital variable et 100 seulement en capital constant, le capital total A de 700 ne mettra en mouvement qu'une force de travail de 100, ce qui représente, en maintenant nos données précédentes, 100 semaines, ou encore 6.000 heures de travail vivant. Par contre, le capital total B de même grandeur mettra en mouvement 600 semaines, donc 36.000 heures de travail vivant. En A, le capital ne s'attribuerait donc qu'un surtravail de 50 semaines ou 3.000 heures, tandis qu'en B, le capital de même grandeur s'approprierait un surtravail de 300 semaines soit 18.000 heures. Le capital variable n'est pas seulement l'indice du travail contenu en lui, il est en même temps, et pour un taux de plus‑value donné, l'indice du travail excédentaire, ou surtravail, qu'il a mis en mouvement. Pour un même degré d'exploitation du travail, le profit serait de 100 / 700 = 1 / 7 = 14 2/7 %, dans le premier cas et dans le second il serait de 600 / 700 = 85 5/7 %, ce qui représenterait un taux de profit multiplié par 6. En effet, dans le second cas le profit lui-même serait 6 fois plus grand: 600 pour B contre 100 pour A, parce que le même capital aurait mis en mouvement six fois plus de travail vivant et aurait donc rapporté, à degré d'exploitation du travail égal, une plus‑value, partant un profit, six fois plus grands.

Si en A, au lieu d'un capital de 700, on en avait utilisé un de 7.000 l. st., pour un capital de 700 l. st. seulement en B, le capital A aurait utilisé, sa composition organique restant constante, 1.000 l. st. sur 7.000 comme capital variable, c'est-à-dire 1.000 ouvriers par semaine, ce qui fait 60.000 heures de travail vivant dont 30.000 heures de surtravail. Mais dans les deux cas, avec 700 l. st., A ne mettrait en mouvement que 1/6 du travail vivant de B, donc seulement 1/6 du sur travail, et ne produirait que 1/6 du profit de B. Quant au taux du profit, nous avons: 1000 / 7000 = 100 / 700 = 14 2/7 % contre 600 / 700 = 85 5/7 % pour le capital B. Avec des capitaux de même grandeur, le taux du profit est différent, parce que, pour un taux de plus‑value identique, les masses des plus‑values produites, donc les profits, sont différentes par suite de la différence entre les masses de travail vivant mises en mouvement.

Le même résultat est effectivement obtenu quand les conditions techniques sont les mêmes dans les deux sphères de production, mais la valeur des éléments de capital constant utilisés est soit plus grande, soit plus petite. Supposons que les deux sphères de la production utilisent un capital variable de 100 l. st. Elles ont donc besoin de 100 ouvriers par semaine pour faire fonctionner la même quantité de machines et utiliser une masse égale de matières premières. Supposons encore que ces dernières soient plus chères en B qu'en A. Dans cette hypothèse nous aurions, pour un capital variable de 100 l. st., un capital constant de 200 l. st. par exemple en A et de 400 l. st. en B. En admettant que le taux de plus‑value est de 100 %, la plus‑value produite sera dans les deux cas égale à 100 l. st., d'où il résulte que le profit sera aussi de 100 l. st. dans les deux cas. Cependant nous avons en A: 100 / (200 c + 100 v) = 1/3 = 33 1/3 %; en B, par contre 100 / (400 c + 100 v) = 1/5 = 20 %. Si, en effet, nous prenons dans les deux cas une certaine partie aliquote du capital total, nous voyons qu'en B, sur 100 l. st., 20 l. st. seulement ou 1/5 constituent du capital variable, tandis qu'en A, sur 100 l. st., 33 l/3  l. st. ou 1/3 sont du capital variable. Par 100 l. st., B produit moins de profit, parce qu'il met en œuvre moins de travail vivant que A. Ici la différence dans le taux de profit se réduit donc encore à la différence dans les masses de plus‑value, donc aussi dans les masses de profit produites par chaque fraction de 100 des capitaux investis.

La seule différence entre ce second exemple et le précédent est la suivante: pour qu'il y eût égalité entre A et B, il suffirait dans le second cas d'un changement de valeur du capital constant, que ce soit en A ou en B, la base technique restant la même; dans le premier cas, par contre, la composition technique elle-même est différente dans les deux sphères de production et devrait être bouleversée pour qu'il y ait égalité entre les deux capitaux.

La composition organique différente des capitaux est donc indépendante de leur grandeur absolue. Ce qui importe est de connaître pour chaque fraction de 100 la part du capital variable et celle du capital constant.

Des capitaux de grandeur différente calculés en pourcentage, ou, ce qui, dans le cas présent, revient au même, des capitaux de même grandeur, produisent, la journée de travail et le degré d'exploitation du travail étant constants, des quantités très différentes de profit, parce que les quantités de plus‑value sont différentes. La raison en est que leur fraction variable change en même temps que la composition organique du capital dans les différentes sphères de production, d'où différence des quantités de travail vivant que ces capitaux mettent en œuvre, par suite diversité des quantités de surtravail substance de la plus‑value, qu'ils s'approprient, donc diversité du profit. Des portions identiques du capital total, dans les différentes sphères de production, impliquent des sources de plus‑value plus ou moins grandes, la seule origine de la plus‑value étant le travail vivant. La masse de travail mis en œuvre par un capital de 100, donc aussi le surtravail qu'il s'approprie, dépend de l'importance de son élément variable, le degré d'exploitation du travail restant constant. Si un capital se composant en pourcentage de 90 c + 10 v, pour un degré d'exploitation du travail constant, produisait autant de plus‑value ou de profit qu'un capital composé de 10 c + 90 v, il serait clair que la plus‑value, donc la valeur tout court, n'aurait pas le travail comme origine, ce qui supprimerait toute base rationnelle de l'économie politique. Si nous supposons toujours que 1 l. st. représente le salaire d'un ouvrier par semaine, soit 60 heures de travail, et que le taux de la plus‑value est 100 %, la valeur totale que l'ouvrier peut produire dans une semaine s'élève donc évidemment à 2 l. st.; par conséquent 10 ouvriers ne peuvent produire plus de 20 l. st. Comme 10 l. st. sur les 20 remplacent le salaire, 10 ouvriers ne créeraient donc qu'une plus‑value de 10 l. st., alors que les 90 dont le produit-valeur total est égal à 180 l. st. créeraient, déduction faite de leurs salaires, soit 90 l. st., une plus‑value de 90 l. st. Dans un cas le taux du profit serait donc de 10 %, et il serait de 90 % dans l'autre. S'il en était autrement, la valeur et la plus‑value seraient forcément autre chose que du travail matérialisé. Comme dans des sphères différentes de production des capitaux calculés en pourcentage ou de même grandeur se divisent inégalement en capital constant et variable, qu'ils mettent en œuvre des quantités différentes de travail vivant et produisent par conséquent des quantités différentes de plus‑value, donc de profit, leur taux de profit, n'étant que le pourcentage que représente la plus‑value par rapport au capital total, est donc différent.

Mais si des capitaux de sphères de production différentes, calculés en pourcentage, autrement dit de même grandeur, produisent des profits inégaux à cause de la différence de leur composition organique, il s'ensuit que les profits de capitaux inégaux dans des sphères de production différentes ne peuvent être respectivement proportionnels à la grandeur de ces capitaux, donc que les profits dans des sphères de production différentes ne sont pas proportionnels aux grandeurs des capitaux qui y ont été utilisés. Car, si le profit devait s'accroître proportionnellement à la grandeur du capital utilisé, cela supposerait que, en pourcentage, les profits sont égaux et que des capitaux égaux ont donc, dans des sphères de production différentes, des taux de profit égaux, malgré leur composition organique différente. Ce n'est qu'à l'intérieur d'une même sphère, donc là où le capital possède une composition organique donnée ou bien dans des sphères de production différentes où la composition organique du capital est la même, que les masses de profits sont directement proportionnelles à la masse du capital utilisé. Dire que les profits de capitaux différents sont proportionnels à leurs grandeurs revient à prétendre que des capitaux de même importance rapportent les mêmes profits, ou encore que le taux du profit est le même pour tous les capitaux quelles que soient leur grandeur et leur composition organique.

La condition pour que se manifestent les faits que nous venons d'exposer, c'est que les marchandises sont vendues à leurs valeurs. La valeur d'une marchandise est égale à la valeur du capital constant qu'elle contient, plus la valeur du capital variable reproduit dans cette marchandise, plus l'accroissement de ce capital variable, la plus‑value produite. Pour un taux constant de plus‑value, sa masse dépend de toute évidence de l'importance du capital variable. La valeur du produit d'un capital de 100 est dans un cas 90 c + 10 v + 10 pl = 110; dans l'autre cas elle est: 10 c + 90 v + 90 pl = 190. Si les marchandises sont vendues à leur valeur, le premier produit le sera à 110, dont 10 de plus‑value ou travail non payé; par contre, le second le sera à 190, dont 90 de plus‑value ou travail non payé.

Ce que nous venons de dire prend toute son importance lorsqu'on compare entre eux des taux nationaux[3] de profit. Supposons que dans tel pays d'Europe le taux de plus‑value soit 100 %, ce qui signifie que l'ouvrier travaille une moitié de journée pour lui et l'autre pour son employeur. Supposons que dans tel pays d'Asie ce taux soit 25 %, ce qui veut dire que l'ouvrier travaille pendant les 4/5 de la journée pour lui et pendant 1/5 de journée pour son employeur. Pour le pays d'Europe, nous admettrons que la composition du capital national est 84 c + 16 v, qu'elle est 16 c + 84 v dans le pays d'Asie, parce qu'on y emploie peu de machines, etc., et que la consommation productive de matières premières est relativement faible pour un temps et une quantité de force de travail donnés. Nous avons alors le calcul suivant:

Dans le pays européen, la valeur du produit est égale à 84 c + 16 v + 16 pl = 116, le taux du profit est égal à 16/100, ce qui fait 16 %.

Dans le pays d'Asie, la valeur du produit est de 16 c + 84 v + 21 pl = 121; le taux de profit est égal à 21/100, soit 21 %.

Dans le pays asiatique, le taux du profit est donc supérieur de plus d'un quart à celui du pays d'Europe, bien que le taux de la plus‑value dans le premier soit quatre fois plus petit que dans le second. Les Carey, les Bastiat et tutti quanti tireront, bien entendu, de ces faits des conclusions tout à fait opposées aux nôtres.

Remarquons en passant que la diversité des taux de profit nationaux provient généralement de la diversité des taux de plus‑value nationaux. Mais ce que nous nous proposons de comparer dans ce chapitre-ci, ce sont des taux de profit différents, issus d'un même taux de plus‑value.

Outre la composition organique différente des capitaux, donc outre les quantités différentes de travail, et par suite, toutes choses égales d'ailleurs, de surtravail que des capitaux de même grandeur mettent en œuvre dans des sphères de production différentes, il existe encore une autre cause de l'inégalité dans les taux du profit: c'est la durée différente de la rotation du capital dans les différentes sphères de production. Nous avons vu au chapitre IV que, pour une même composition des capitaux et toutes choses égales d'ailleurs, les taux du profit sont inversement proportionnels aux temps de rotation. Nous y avons vu aussi que le même capital variable, s'il effectue sa rotation dans des laps de temps différents, produit annuellement des masses différentes de plus‑value. La diversité des temps de rotation s'ajoute donc aux autres causes qui font que des capitaux de même grandeur, investis dans des sphères de production différentes, ne produisent pas les mêmes masses de profit dans les mêmes laps de temps, partant que les taux de profit sont différents dans ces sphères différentes.

Par contre, si l'on considère en lui-même le rapport régissant la division des capitaux en fractions fixes et circulantes, on constate qu'il n'affecte en rien le taux du profit. Il ne l'affecte que si cette composition différente coïncide avec un rapport différent entre les portions variables et constantes; c'est cette dernière différence et non celle pouvant exister entre les fractions fixes et circulantes qui est à l'origine d'un taux de profit différent. Il l'affecte aussi lorsqu'un rapport différent entre éléments fixes et circulants entraîne une diversité dans le temps de rotation pendant lequel un certain profit est réalisé. Le fait que des capitaux se décomposent selon des proportions différentes en éléments fixes et circulants influe toujours sur leur temps de rotation et le diversifie. Mais il ne s'ensuit pas que les temps de rotation pendant lesquels ces capitaux réalisent du profit soient différents. Même si A, par exemple, est obligé de convertir constamment une fraction plus importante du produit en matières premières, tandis que B utilise plus longtemps les mêmes machines pour une quantité moindre de matières premières, tous deux, lorsqu'ils produisent, ont toujours une fraction de leur capital engagée: le premier sous forme de matières premières, donc en capital circulant, le second sous forme de machines, etc., donc en capital fixe. A transforme sans cesse une fraction de son capital de la forme marchandise en forme argent et à partir de cette dernière à nouveau en matières premières; tandis que B utilise une fraction de son capital pendant plus longtemps comme instrument de travail, sans avoir à passer par les transformations subies en A. En utilisant une même quantité de travail, tous deux vendront au cours de l'année des masses de produit de valeur différente, mais qui contiendront néanmoins la même quantité de plus‑value. Leurs taux de profit, calculés par rapport à la totalité du capital avancé, seront les mêmes, bien que leur composition en capital fixe et circulant de même que leur temps de rotation soient différents: dans un même laps de temps, les deux capitaux réalisent des profits égaux encore qu'ils effectuent leur rotation dans des périodes différentes[4]. La différence du temps de rotation n'a en elle-même d'importance que pour autant qu'elle affecte la masse de surtravail qu'un même capital peut s'approprier et réaliser dans un temps donné. Par conséquent, si une inégalité de composition en capital fixe et circulant n'entraîne pas nécessairement une inégalité dans le temps de rotation, entraînant à son tour l'inégalité du taux du profit, il est évident que, si cette dernière se produisait, elle ne proviendrait pas à proprement parler de la composition différente en capitaux circulant et fixe, mais résulterait du fait que l'inégalité de composition en éléments fixe et circulant ne traduit ici qu'une inégalité des temps de rotation affectant le taux du profit.

La différence de composition du capital constant en éléments circulant et fixe dans différentes branches d'industrie n'a donc pas d'importance en soi pour le taux du profit puisque c'est le rapport du capital variable au capital constant qui est décisif. La valeur du capital constant, partant aussi son importance relative par rapport au capital variable, ne dépend nullement du caractère fixe ou circulant de ses éléments. Cependant il arrive (et ce fait contribue à mener à des conclusions fausses) qu'un développement important du capital fixe signifie seulement que la production se fait à grande échelle ‑ ce qui rend le capital constant très supérieur au capital variable ‑ ou encore que la force de travail vivante employée est réduite par rapport à la masse des moyens de production qu'elle met en mouvement.

Nous avons donc montré qu'il existe dans des branches d'industrie différentes des taux de profit inégaux correspondant à une composition organique différente des capitaux et aussi à une différence dans leur temps de rotation, à l'intérieur de limites fixées. Il s'ensuit aussi que, le taux de la plus‑value et les temps de rotation étant égaux, la loi qui veut que les profits soient proportionnels aux grandeurs des capitaux et que par conséquent des capitaux de même grandeur, dans des intervalles de temps égaux, rapportent des profits égaux ne s'applique (dans sa tendance générale) qu'à des capitaux de composition organique identique. La validité de ce qui précède repose sur l'hypothèse de base de nos développements antérieurs: à savoir que les marchandises sont vendues à leur valeur. Par ailleurs, si l'on écarte des différences insignifiantes, fortuites, se compensant les unes les autres, il n'y a pas de doute que dans la réalité il n'existe pas et il ne saurait exister de différence dans les taux moyens de profit entre les différentes branches de production, sans que tout le système de la production capitaliste en soit supprimé. Il semblerait donc que la théorie de la valeur soit ici incompatible avec le mouvement réel et les phénomènes objectifs accompagnant la production et qu'il faille par conséquent renoncer à comprendre ces phénomènes.

Il résulte de la première section de ce livre que les prix de revient sont les mêmes pour des produits de diverses sphères de production pour la production desquels on a avancé des portions égales de capital, quelque différente que soit la composition organique de ces capitaux. Pour le capitaliste, la différence entre capital variable et capital constant n'existe pas dans le coût de production. Une marchandise pour la production de laquelle il a avancé 100 l. st. lui coûte autant, qu'il dépense 90 c + 10 v ou 10 c + 90 v. Elle lui revient toujours à 100 l. st., ni plus ni moins. Les coûts de production sont les mêmes pour des investissements identiques de capitaux dans différentes sphères, quelle que soit la diversité des valeurs et des plus‑values produites. Cette égalité des coûts de production constitue la base de la concurrence dans les investissements de capitaux, origine du profit moyen.

Chapitre IX
Établissement d'un taux général de profit (taux de profit moyen) et transformation des valeurs des marchandises en prix de production

À tout moment, la composition organique du capital dépend de deux circonstances: primo, du rapport technique de la force de travail employée à la masse des moyens de production utilisés; secundo, du prix de ces moyens de production. Nous avons vu qu'elle doit être considérée en pourcentages. Nous exprimerons la composition organique d'un capital se composant de 4/5 de capital constant et de 1/5 de capital variable par la formule suivante: 80 c + 20 v. En outre, nous supposerons au cours de notre comparaison que le taux de plus‑value reste constant; nous choisirons un taux quelconque, 100 % par exemple. Le capital de 80 c + 20 v rapporte donc une plus‑value de 20 pl, ce qui donne, par rapport au capital total, un taux de profit de 20 %. Mais la valeur réelle du produit de ce capital dépend de l'importance de la fraction fixe du capital constant, de la part de celle-ci qui entre dans le produit au titre d'usure et de la part qui n'y entre pas. Comme ces faits sont totalement indifférents pour le taux de profit, partant pour notre étude présente, nous supposerons pour simplifier que le capital constant entre partout entièrement dans le produit annuel des capitaux. Nous supposerons encore que, dans les diverses sphères de production, les capitaux réalisent annuellement la même quantité de plus‑value, proportionnellement à la grandeur de leur fraction variable. Pour l'instant, nous laisserons donc de côté la différence qui peut résulter dans ces conditions de la diversité des temps de rotation. Ce point sera traité ultérieurement. Prenons cinq sphères différentes de production dans lesquelles ont été investis des capitaux ayant tous une composition organique différente, comme, par exemple, dans le tableau ci-dessous.

 

 

Capitaux

Taux de
plus‑value

Plus‑value

Valeur
produite

Taux du
profit

I.

80 c + 20 v

100 %

20

120

20 %

II.

70 c + 30 v

100 %

30

130

30 %

III.

60 c + 40 v

100 %

40

140

40 %

IV.

85 c + 15 v

100 %

15

115

15 %

V.

95 c + 5 v

100 %

5

105

5 %

 

Dans cet exemple, nous avons pour différentes sphères de production, et une même exploitation du travail, des taux de profit très variés correspondant aux compositions organiques différentes des capitaux.

La somme globale des capitaux investis dans les cinq sphères est égale à 500, celle de la plus‑value que les 500 ont produite est égale à 110; la valeur totale des marchandises produites par ces capitaux s'élève à 610. Considérons maintenant les 500 comme un seul et unique capital dont les capitaux I‑V constitueraient diverses parties (dans une manufacture de coton par exemple, il existe dans les différentes sections: salle de cardage, salle de filage en gros, salle de filage, salle de tissage, un rapport différent entre les capitaux variable et constant et il faut déterminer le rapport moyen pour l'ensemble de la fabrique); la composition moyenne du capital serait d'abord de 500 = 390 c + 110 v ou, exprimé en pourcentage, 78 c + 22 v. Chaque capital de 100, considéré simplement comme 1/5 de la totalité du capital, aurait précisément pour composition celle de la moyenne, c'est-à-dire 78 c + 22 v; de même à chaque fraction de 100 échoirait une plus‑value moyenne de 22; le taux de profit moyen serait égal à 22 %; enfin le prix de chaque cinquième du produit total des 500 s'élèverait à 122. Le produit de chaque cinquième du capital total avancé devrait donc être vendu 122.

Pour ne pas aboutir à des conclusions tout à fait fausses, il est cependant nécessaire qu'on évite d'égaler tous les coûts de production à 100.

Pour 80 c + 20 v et un taux de plus‑value de 100 %, la valeur totale de la marchandise produite par les 100 du capital I serait de 80 c + 20 v + 20 pl = 120, dans le cas où tout le capital constant entrerait dans le produit annuel. Ceci peut se produire à la rigueur dans certaines sphères de production, mais n'arrivera que rarement là où le rapport c : v est égal à 4 : 1. Par conséquent, lorsqu'il s'agit des valeurs des marchandises produites par chaque fraction de 100 des divers capitaux, il faut tenir compte qu'elles seront différentes suivant que c se décompose diversement en éléments fixe et circulant. Il faut considérer aussi que les éléments fixes de divers capitaux s'useront eux-mêmes plus ou moins vite et partant ajouteront au produit, dans des temps égaux, des quantités différentes de valeur. Mais, pour le taux du profit, cela importe peu. Que les 80 c transmettent au produit annuel la valeur de 80, de 50 ou de 5, que le produit annuel soit donc égal à 80 c + 20 v + 20 pl = 120 ou à 50 c + 20 v + 20 pl = 90 ou à 5 c + 20 v + 20 pl = 45; dans tous les cas l'excédent de la valeur du produit par rapport à son coût de production s'élève à 20; dans tous les cas, pour établir le taux du profit, ces 20 seront rapportés à un capital de 100; dans tous les cas, le taux de profit du capital I est donc égal à 20 %. Dans le tableau suivant, pour rendre plus clair encore ce qui précède, nous ferons entrer différentes fractions du capital constant dans la valeur du produit, pour les mêmes cinq capitaux que ci-dessus:

 

 

Capitaux

Taux de
plus‑value

Plus‑value

Taux du
profit

Consommé

Valeur des
marchandises

Coût de
production

I.

80 c + 20 v

100 %

20

20 %

50

90

70

II.

70 c + 30 v

100 %

30

30 %

51

111

81

III.

60 c + 40 v

100 %

40

40 %

51

131

91

IV.

85 c + 15 v

100 %

15

15 %

40

70

55

V.

95 c + 5 v

100 %

5

5 %

10

20

15

Total

390 c + 110 v

 

110

 

 

 

 

Moyenne

78 c + 22 v

 

22

22 %

 

 

 

 

En considérant à nouveau les capitaux I‑V comme un même capital total, on voit que la composition des sommes des cinq capitaux, soit 500 = 390 c + 110 v, ainsi que la composition moyenne, soit 78 c + 22 v, est restée la même. Il en va pareillement pour la plus‑value (du capital total), soit 22 %. Si nous répartissions cette plus‑value également sur I‑V, nous aurions les prix de marchandises suivants:

 

 

Capitaux

Plus‑value

Valeur des
marchandises

Coût de
production

Prix des marchandises

Taux du
profit

Écart du prix
par rapport à
la valeur

I.

80 c + 20 v

20

90

70

92

22 %

+ 2

II.

70 c + 30 v

30

111

81

103

22 %

- 8

III.

60 c + 40 v

40

131

91

113

22 %

- 18

IV.

85 c + 15 v

15

70

55

77

22 %

+ 7

V.

95 c + 5 v

5

20

15

37

22 %

+ 17

 

Au total, les marchandises vendues à 2 + 7 + 17 = 26 sont vendues au-dessus de leur valeur et à 8 + 18 = 26 le sont au-dessous de leur valeur, de sorte que les écarts entre les prix et les valeurs s'annulent réciproquement par une répartition régulière de la plus‑value ou encore en ajoutant le profit moyen, de 22 pour un capital avancé de 100, aux prix de revient respectifs des marchandises I‑V. D'égales fractions des marchandises sont respectivement vendues au-dessus et au-dessous de leur valeur. Ce n'est qu'en vendant les marchandises à ces prix que le taux du profit, pour I‑V, peut être partout égal à 22 %, malgré la composition organique différente des capitaux I‑V. Les prix obtenus en faisant la moyenne des différents taux de profit dans les diverses sphères de production et en l'ajoutant aux prix de revient dans ces sphères sont les prix de production. Ils sont conditionnés par l'existence d'un taux général du profit; celui-ci suppose à son tour que les taux de profit pris isolément dans chaque sphère de production particulière soient déjà réduits à autant de taux moyens. Dans chaque sphère de production, ces taux particuliers de profit sont égaux à pl/C et doivent être déduits à partir de la valeur des marchandises, comme nous l'avons fait dans la première section de ce livre. En l'absence d'une telle déduction, le taux général du profit, partant le prix de production de la marchandise, demeure un concept dénué de sens. Le prix de production de la marchandise est donc égal à son coût de production plus un pourcentage de profit calculé conformément au taux général de profit; autrement dit, il est égal à son coût de production plus le profit moyen.

Étant donnée la composition organique différente des capitaux investis dans les différentes branches de production, étant donné le fait que des quantités très différentes de travail sont mises en mouvement par des capitaux de même grandeur (suivant le pourcentage plus ou moins grand que représente la partie variable dans un capital total de grandeur donnée), ces capitaux s'approprient des quantités très différentes de surtravail ou produisent des masses très différentes de plus‑value. En conséquence, les taux de profit établis dans diverses branches de production diffèrent beaucoup, à l'origine. Ces divers taux de profit, sous l'effet de la concurrence, s'uniformisent en un taux général de profit qui est la moyenne de tous ces taux de profit différents. On appelle profit moyen le profit qui, conformément à ce taux général de profit, échoit à un capital de grandeur donnée, quelle que soit sa composition organique. On appelle prix de production d'une marchandise le prix obtenu en ajoutant à son coût de production cette portion du profit moyen annuel sur le capital investi (et non simplement consommé) dans la production de la marchandise qui est allouée au capital en relation avec ses conditions de rotation. Prenons, par exemple, un capital de 500 dont la portion fixe est de 100 et l'usure de 10 % au cours d'une période de rotation du capital circulant (= 400). Soit 10 % le profit moyen pour cette période de rotation. Le coût de production du produit fabriqué pendant cette rotation sera donc: 10 c pour l'usure plus 400 (c + v) de capital circulant, ce qui fait 410. Son prix de production sera 410 (prix de revient) plus 50 (c'est-à-dire 10 % de profit sur 500), ce qui fait en tout 460.

Bien que les capitalistes des différentes sphères de production récupèrent, en vendant leurs marchandises, les valeurs capital consommées dans la production, ils n'en retirent pas la plus‑value, donc le profit, résultant de la production de ces marchandises dans leur propre sphère: sur la masse totale de plus‑value (ou de profit) produite dans une période donnée par tout le capital social pour l'ensemble des sphères de production, ils retirent seulement la plus‑value (ou le profit) qui revient à chaque partie aliquote du capital total, après répartition uniforme. Pour 100 par exemple, chaque capital avancé, quelle que soit sa composition, rapporte chaque année, ou dans tout autre laps de temps, le profit qui, pour cette période, revient à ces 100 considérés comme tantième partie du capital total. En ce qui concerne le profit, les différents capitalistes jouent ici le rôle de simples actionnaires d'une société par actions dans laquelle les parts de profit sont également réparties pour chaque fraction de 100; elles ne diffèrent pour les divers capitalistes que par l'importance du capital que chacun a mis dans l'entreprise commune, c'est-à-dire par la participation proportionnelle de chacun à cette entreprise, suivant le nombre de ses actions. D'une part, cette fraction du prix des marchandises devant remplacer les fractions de valeur-capital consommées dans leur production, et par conséquent servir à racheter les valeurs-capital consommées, c'est-à-dire le coût de production, dépend exclusivement de la dépense effectuée à l'intérieur des sphères de production respectives. D'autre part, l'autre élément du prix des marchandises, le profit ajouté au coût de production, ne dépend pas de la masse de profit que produit un capital déterminé, dans une sphère de production et en un temps donnés, mais il dépend de la masse de profit qui, dans un laps de temps donné, revient en moyenne à tout capital utilisé en tant qu'il est partie aliquote de l'ensemble du capital social investi dans l'ensemble de la production[5].

En vendant sa marchandise à son prix de production, le capitaliste en tire une quantité d'argent proportionnelle à la valeur du capital consommé dans la production. Son profit est donc proportionnel au capital avancé en tant que simple partie aliquote de tout le capital social. Ses coûts de production sont spécifiques. Le profit ajouté à ce coût de production est indépendant de sa sphère de production particulière; il est simple pourcentage moyen du capital avancé.

Supposons que les cinq investissements de capitaux I‑V de l'exemple précédent appartiennent à une seule personne. Supposons encore que soit donné le pourcentage de capital variable et de capital constant consommé dans la production des marchandises pour chacun des capitaux investis dans les entreprises I‑V. Cette fraction de valeur des marchandises I‑V constituerait, bien entendu, une partie de leur prix, prix minimum nécessaire pour remplacer la fraction de capital avancée et consommée. Ces coûts de production seraient donc différents pour chaque catégorie des marchandises I‑V et fixés diversement par leur possesseur. Quant aux différentes masses de plus‑value ou de profit produites par I‑V, le capitaliste pourrait parfaitement les compter comme profit résultant de l'ensemble de son capital avancé, de façon à en attribuer une partie aliquote donnée à chaque fraction de 100 du capital. Les coûts de production des marchandises produites dans les investissements particuliers de I‑V seraient donc différents; par contre, la fraction du prix de vente provenant du profit ajouté à chaque fraction de 100 du capital serait la même pour toutes ces marchandises. Le prix total des marchandises I‑V serait donc égal à leur valeur totale, c'est-à-dire à la somme des coûts de production I‑V, plus la somme des plus‑values ou profits produits en I‑V. Il s'agit donc en fait de l'expression monétaire de la quantité totale de travail ‑ qu'il soit passé ou nouvellement ajouté ‑ contenue dans les marchandises I‑V. De même, dans la société, lorsqu'on considère l'ensemble de toutes les branches de production, la somme des prix de production des marchandises produites est égale à la somme de leurs valeurs.

Cette assertion semble battue en brèche par le fait que dans la production capitaliste les éléments du capital productif sont en règle générale achetés sur le marché. Par conséquent leurs prix contiennent un profit déjà réalisé du fait que le prix de production d'une branche d'industrie (y compris le profit qu'il contient), donc que le profit d'une branche d'industrie passe dans le coût de production d'une autre branche. Si nous mettons d'un côté la somme des coûts de production des marchandises de tout le pays et la somme de ses profits ou plus‑values de l'autre, il est évident que les résultats doivent tomber justes. Prenons, par exemple, une marchandise A, mettons que son coût de production renferme les profits de B, C, D et qu'inversement les profits de A entrent dans les coûts de production de B, C, D. Si nous faisons le compte, le profit de A n'est pas compté dans son propre coût de production; de même que les profits de B, C, D ne figurent pas dans leurs coûts de production: personne ne compte son propre profit dans son coût de production. Si donc nous avons n sphères de production et si chacune fait un profit égal à p, le coût de production dans toutes les sphères prises ensemble est pr ‑ n * p. En considérant ce résultat global, on constate que, pour autant que les profits d'une sphère de production entrent dans le coût de production d'une autre, ils sont déjà comptés dans le prix global du produit final et ne peuvent pas figurer une seconde fois comme profit. Quand cela se produit néanmoins, c'est uniquement dans le cas où la marchandise est elle-même produit final et où son prix de production n'entre pas dans le coût de production d'une autre marchandise.

Lorsqu'une somme = p représentant les profits des producteurs de moyens de production entre dans le coût de production d'une marchandise et qu'on ajoute à ce dernier un profit égal à p1, le profit global P est alors p + p1. Le coût de production global de la marchandise, abstraction faite de toutes ses fractions représentant du profit, est alors égal au coût de production de cette marchandise moins P. Si on appelle pr ce coût de production, il s'ensuit que pr + P = pr + p + p1. Nous avons vu au Livre Ier[6], en traitant de la plus‑value, que dans le produit de tout capital on peut considérer qu'une partie est uniquement destinée au remplacement du capital et l'autre uniquement à exprimer de la plus‑value. En appliquant ce calcul à la totalité du produit social, il faut faire des rectifications de façon que, sur le plan de la société tout entière, le profit contenu par exemple dans le prix du lin ne puisse figurer deux fois: comme fraction du prix de la toile de lin et en même temps comme part de profit du producteur de lin.

Il n'y a pas de différence entre profit et plus‑value dans la mesure où la plus‑value de A par exemple entre dans le capital constant de B. Il est sans importance pour la valeur des marchandises que le travail qu'elles contiennent soit du travail payé ou non. Ceci montre seulement que B paie la plus‑value de A. Dans le calcul global, la plus‑value de A ne peut pas compter deux fois.

Cependant, il y a une différence que voici: outre que le prix du produit du capital B par exemple s'écarte de sa valeur parce que la plus‑value réalisée en B peut être supérieure ou inférieure au profit contenu dans le prix des produits de B, la même circonstance vaut à son tour pour les marchandises qui constituent et la fraction constante du capital B et, indirectement, en tant que moyens de subsistance des ouvriers, sa fraction variable. En ce qui concerne la fraction constante, elle est elle-même égale au coût de production plus la plus‑value, donc, dans notre cas, égale au coût de production plus le profit. Ce dernier peut à son tour être supérieur ou inférieur à la plus‑value qu'il remplace. Pour ce qui est du capital variable, le salaire quotidien moyen est bien toujours égal à la valeur produite pendant le nombre d'heures que l'ouvrier doit consacrer à la production des moyens de subsistance nécessaires. Mais l'écart du prix de production de ces derniers par rapport à leur valeur falsifie ce nombre d'heures lui-même. Cette difficulté se résout ainsi: une plus‑value trop importante entrant dans une marchandise est compensée dans une autre marchandise par une plus‑value d'autant plus petite. Par conséquent, les écarts par rapport à la valeur affectant les prix de production des marchandises s'annulent réciproquement. Somme toute, dans l'ensemble de la production capitaliste, la loi générale ne s'impose comme tendance dominante qu'approximativement et de manière complexe et se présente comme une moyenne de fluctuations éternelles qu'il est impossible de fixer rigoureusement.

Puisque le taux général de profit est constitué par la moyenne des divers taux de profit correspondant à chaque fraction de 100 du capital avancé pour un laps de temps déterminé, mettons un an, l'écart provenant de la différence des temps de rotation pour des capitaux divers s'y trouve également effacé. Mais ces différences interviennent de manière déterminante dans les différents taux de profit des diverses sphères de production dont la moyenne constitue le taux général de profit.

Si, pour illustrer la formation du taux général, nous avons supposé chaque capital dans chaque sphère de production égal à 100, nous avons procédé ainsi pour expliquer clairement la différence en pourcentage dans le taux du profit et partant la différence existant entre les valeurs des marchandises produites par des capitaux de grandeur égale. Mais il va de soi que les masses effectives de plus‑value produites dans chaque sphère particulière de production dépendent de la grandeur des capitaux employés puisque dans chacune d'elles la composition du capital est donnée. Cependant le taux particulier de profit dans une sphère isolée de production n'est pas modifié du fait qu'on investit un capital de 100, de m * 100 ou de x * m * 100. Le taux de profit demeure 10 %, qu'il y ait un profit global de 10 rapporté à 100 ou un profit global de 1.000 rapporté à 10.000.

Les taux de profit dans les diverses sphères de production sont différents parce que, suivant le rapport du capital variable au capital total, des masses très différentes de plus‑value, donc de profit, y sont produites. Il s'ensuit évidemment que le profit moyen pour une fraction de 100 du capital social, partant le taux de profit moyen ou taux général de profit, sera différent selon les grandeurs respectives des capitaux investis dans les diverses sphères. Prenons quatre capitaux A, B, C, D. Pour tous les quatre, nous supposerons un taux de plus‑value de 100 % et pour chaque fraction de 100 du capital total un capital variable de: 25 pour A, 40 pour B, 15 pour C, 10 pour D. Il y aurait donc, pour chaque fraction de 100 du capital total, une plus‑value ou profit pour A = 25, pour B = 40, pour C = 15, pour D = 10, au total 90. Par conséquent, si les quatre capitaux sont de même grandeur, le taux de profit moyen sera 90/4 = 22 1/2 %.

Par contre, si les grandeurs des capitaux globaux sont: A = 200, B = 300, C = 1.000, D = 4.000, les profits obtenus seraient respectivement 50, 120, 150 et 400, ce qui au total, pour un capital de 5.500, ferait un profit de 720 ou un taux moyen de profit de 13 1/11 %.

Les masses de la valeur globale produite sont différentes suivant les grandeurs différentes de l'ensemble des capitaux avancés respectivement en A, B, C, D. En ce qui concerne l'établissement du taux général de profit, il ne s'agit donc pas seulement de faire la moyenne des taux de profit différents des diverses sphères de production, mais au contraire de tenir compte des poids différents avec lesquels ces taux différents entrent dans la moyenne. Mais cela dépend de la grandeur relative du capital investi dans chaque sphère particulière ou encore de l'importance de la partie aliquote de la totalité du capital social que représente le capital investi dans chaque sphère particulière. Évidemment le résultat est très différent selon qu'une portion plus ou moins grande du capital total rapporte un taux de profit plus ou moins important. Ceci dépend à son tour de la masse de capital investi dans les sphères où le capital variable par rapport au capital total est plus ou moins grand. Ces faits sont tout à fait analogues à ce qui se passe pour le taux moyen d'intérêt que prend un usurier qui prête des capitaux différents à des taux d'intérêt différents, par exemple à 4, 5, 6, 7 %, etc. Ici encore, le taux moyen dépend entièrement des proportions dans lesquelles l'usurier a prêté son capital aux différents taux d'intérêt.

Le taux général du profit est donc déterminé par deux facteurs:

1. Par la composition organique des capitaux dans les diverses sphères de production, partant par les divers taux de profit des sphères particulières;

2. Par la répartition de la totalité du capital social dans ces différentes sphères, donc par la grandeur relative du capital investi dans chaque sphère particulière, autrement dit à un taux de profit particulier; ce qui veut dire par la fraction de la masse de tout le capital social absorbée par chaque sphère de production particulière.

Dans les Livres Ier et II nous n'avons eu affaire qu'aux valeurs des marchandises. Nous voyons maintenant que d'une part une fraction de cette valeur s'est détachée, à savoir le coût de production, et que d'autre part le prix de production de la marchandise s'est développé comme une forme métamorphosée de la valeur.

Mettons que la composition du capital social moyen soit 80 c + 20 v et le taux de plus‑value annuelle pl´[7] = 100 %; le profit moyen annuel pour un capital de 100 serait donc égal à 20 et le taux général de profit annuel égal à 20 %. Quel que soit le coût de production pr des marchandises annuellement produites par un capital de 100, leur prix de production sera pr + 20. Dans les sphères de production où la composition du capital est par exemple (80 ‑ x) c + (20 + x) v la plus‑value effectivement produite ‑ ou profit annuellement produit à l'intérieur de cette sphère ‑ sera 20 + x; elle sera donc supérieure à 20, de même que la valeur-marchandise produite qui est pr + 20 + x sera supérieure à pr + 20, son prix de production. Dans les sphères où le capital se compose de (80 + x) c + (20 ‑ x) v, la plus‑value annuellement produite, ou profit, sera 20 ‑ x, c'est-à-dire inférieure à 20. Donc la valeur-marchandise pr + 20 ‑ x se trouvera être plus petite que le prix de production pr + 20. En laissant de côté d'éventuelles différences dans le temps de rotation, le prix de production des marchandises n'égalerait leur valeur que dans les sphères où la composition du capital serait par hasard 80 c + 20 v.

Le développement spécifique de la force productive sociale du travail présente pour chaque sphère de production des différences d'un degré plus ou moins élevé: plus est grande la masse des moyens de production mis en mouvement par une quantité déterminée de travail, donc dans une journée de travail donnée par un nombre d'ouvriers donné, plus la masse de travail nécessaire pour une quantité donnée de moyens de production sera petite. C'est pourquoi nous appelons capitaux de composition supérieure ceux qui contiennent un pourcentage plus grand de capital constant, partant un pourcentage plus petit de capital variable que le capital social moyen. Inversement nous appellerons capitaux de composition inférieure ceux dont le capital constant est relativement plus petit, le capital variable plus grand que ceux du capital social moyen. Enfin nous appellerons capitaux de composition moyenne ceux dont la composition coïncide avec celle du capital social moyen. Si, par exemple, le capital social moyen est composé en pourcents de 80 c + 20 v, un capital de 90 c + 10 v se trouve donc au-dessus de la moyenne sociale, de même qu'un autre capital de 70 c + 30 v est au-dessous de cette moyenne. De façon générale, si la composition du capital social moyen est mc + nv, m et n étant constants et leur somme égale à 100, (m + x) c + (n ‑ x) v représente une composition supérieure, (m ‑ x) c + (n + x) v au contraire une composition inférieure pour un capital individuel ou un groupe de capitaux. Le schéma suivant montre comment fonctionnent ces capitaux après l'établissement du taux moyen de profit et en supposant une seule rotation par an. I représente la composition moyenne, ce qui met le taux moyen de profit à 20 %.

I. 80 c + 20 v + 20 pl. Taux de profit = 20 %. Prix du produit = 120. Valeur = 120.

II. 90 c + 10 v + 10 pl. Taux de profit = 20 %. Prix du produit = 120. Valeur = 110.

III. 70 c + 30 v + 30 pl. Taux de profit = 20 %. Prix du produit = 120. Valeur = 130.

La valeur des marchandises produites par le capital II serait donc inférieure à leur prix de production. Inversement le prix de production des marchandises produites par le capital III serait inférieur à leur valeur. Ce n'est que pour les capitaux I des branches de production dont la composition se trouve être celle de la moyenne sociale que valeur et prix de production seraient identiques. D'ailleurs, lorsqu'on applique ces désignations à des cas déterminés, il faut, bien entendu, ne pas négliger le fait que ce n'est pas toujours une différence dans la composition technique, mais souvent un simple changement de valeur des éléments du capital constant qui fait que le rapport c : v s'écarte de la moyenne générale.

Cependant, par le fait du développement précédent, une modification relative à la détermination du coût de production des marchandises s'est opérée. À l'origine, nous avons supposé que le prix de revient d'une marchandise était égal à la valeur des marchandises consommées dans sa production. Mais, pour l'acheteur, le prix de production d'une marchandise est son prix de revient. Le premier peut donc entrer, en tant que coût de production, dans la formation du prix d'une autre marchandise. Puisqu'il est possible que le prix de production s'écarte de la valeur de la marchandise, son coût de production renfermant le prix de production d'une autre marchandise peut lui aussi se trouver au -dessus ou au-dessous de cette fraction de sa valeur globale que constitue la valeur des moyens de production consommés. Il faut se rappeler cette signification altérée du coût de production et penser qu'une erreur est toujours possible quand, dans une sphère de production particulière, on pose le coût de production de la marchandise comme égal à la valeur des moyens de production consommés au cours de sa production. Pour l'étude en cours, il est inutile d'examiner ce point de plus près. Néanmoins l'affirmation que le coût de production des marchandises est toujours inférieur à leur valeur demeure exacte. Car, quel que soit l'écart entre le coût de production de la marchandise et la valeur des moyens de production consommés, le capitaliste reste indifférent devant cette erreur relative au passé. Le coût de production de la marchandise est déterminé; il représente une donnée indépendante de la production du capitaliste, tandis que le résultat de sa production est une marchandise contenant de la plus‑value, qui est un excédent de valeur par rapport à son coût de production. Pour le reste, l'affirmation que le coût de production est inférieur à la valeur de la marchandise est maintenant transformée en pratique en cette affirmation que le coût de production est inférieur au prix de production. Pour l'ensemble du capital social où le prix de production égale la valeur, cette affirmation est identique à celle énoncée plus haut, à savoir que le coût de production est inférieur à la valeur. Et bien que cette affirmation voie son sens se modifier par les sphères particulières de la production, le fait fondamental demeure toujours que pour l'ensemble du capital social le coût de production des marchandises qu'il a produites est inférieur à leur valeur ou encore inférieur au prix de production, ici identique à cette valeur, pour la masse totale des marchandises produites. Le coût de production d'une marchandise ne dépend que de la quantité de travail payé qu'elle contient; la valeur dépend de la quantité totale de travail, payé et non payé, qu'elle contient; le prix de production dépend de la somme du travail payé et d'une quantité de travail non payé déterminée pour chaque sphère particulière, indépendamment de celle-ci.

La formule énonçant que le prix de production d'une marchandise est égal au coût de production plus le profit, pr + p, s'est maintenant précisée en ce sens que p est égal à pr *  ( étant le taux général de profit). Le prix de production est donc égal à pr + pr * [8]. Si pr = 300 et  = 15 % le prix de production pr + pr *  est alors égal à 300 + 300 * (15/100) = 345.

Dans chaque sphère de production particulière, la grandeur du prix de production des marchandises est susceptible de varier:

1. Par suite d'un changement du taux général de profit indépendant de la sphère particulière, la valeur des marchandises restant constante (de sorte qu'avant comme après la même quantité de travail mort et vivant entre dans leur production).

2. Par suite d'un changement dans la valeur, le taux général du profit restant constant; ce changement peut être consécutif soit à une modification technique dans la sphère de production particulière elle-même, soit à un changement de la valeur des marchandises entrant comme éléments constituants dans son capital constant.

3. Enfin par les effets conjugués des deux circonstances précédentes.

Malgré les grandes modifications qui, comme nous le verrons plus loin, se produisent constamment dans les taux de profit effectifs des sphères de production particulières, un changement réel dans le taux général de profit (pour autant qu'il n'est pas provoqué par des événements économiques extraordinaires) n'est que l'œuvre très tardive d'une série d'oscillations s'étendant sur des périodes très longues. Ces oscillations nécessitent un temps très long avant qu'elles ne se figent et s'uniformisent dans une modification du taux général du profit. Abstraction faite des fluctuations dans les prix de marché, quand il s'agit de périodes courtes, une modification dans les prix de production s'explique évidemment toujours par une modification effective de la valeur des marchandises, c'est-à-dire par un changement dans la somme globale du temps de travail nécessaire à leur production. Il va de soi qu'une simple modification dans l'expression monétaire de ces valeurs n'est pas à retenir ici[9].

Par ailleurs, il est évident qu'en ce qui concerne la totalité du capital social la somme des valeurs-marchandise qu'il a produites (ou, si l'on préfère une expression monétaire, leur prix) est égale à la valeur du capital constant plus la valeur du capital variable plus la plus‑value. Supposons que le degré d'exploitation du travail et la masse de plus‑value restent constants. Le taux du profit ne peut alors changer que si la valeur du capital constant ou celle du capital variable change, à moins que ce ne soit ces deux valeurs à la fois, de sorte que C se modifie et entraîne la modification du taux général du profit pl/C. Dans tous les cas, une modification de ce taux suppose donc une modification dans la valeur des marchandises qui entrent comme composantes soit dans le capital constant, soit dans le capital variable, soit dans les deux à la fois.

Le taux général du profit peut également changer, la valeur des marchandises étant constante, lorsque le degré d'exploitation du travail varie.

Par contre, si le degré d'exploitation du travail reste le même, le taux général de profit peut encore varier quand la somme du travail employé change par rapport au capital constant par suite de modifications techniques dans le procès de travail. Cependant, ces modifications techniques doivent obligatoirement se traduire par un changement de valeur des marchandises et donc en être accompagnées. Dans ce cas, la production de ces marchandises nécessite une masse de travail plus ou moins grande que précédemment.

Nous avons vu dans la première section que plus‑value et profit, quant à leur masse, étaient identiques. Mais le taux de profit se distingue d'emblée du taux de plus‑value. Ce fait n'apparaît d'abord que comme une différence dans la manière de calculer. Mais, comme le taux du profit peut monter ou baisser, le taux de plus‑value étant constant et inversement, comme seul le taux de profit intéresse pratiquement le capitaliste, il s'ensuit non moins immédiatement que l'origine réelle de la plus‑value en est obscurcie et mystifiée. Une différence de grandeur n'existait cependant qu'entre taux de plus‑value et taux de profit. Elle n'existait pas entre plus‑value et profit eux-mêmes. Puisque dans le taux de profit la plus‑value est calculée par rapport au capital total et qu'elle lui est rapportée comme à sa mesure, la plus‑value elle-même semble, de ce fait, provenir uniformément de toutes les portions du capital total, de sone que dans le concept de profit la différence organique entre le capital constant et le capital variable se trouve éliminée. Pour cette raison, la plus‑value travestie en profit a en effet renié elle-même son origine et a perdu son caractère; elle est devenue méconnaissable. Mais, jusqu'à présent, la différence entre profit et plus‑value n'était qu'une modification qualitative, un changement de forme, alors qu'à ce premier degré de transformation une différence de grandeur réelle existe seulement entre taux de profit et taux de plus‑value, et pas encore entre profit et plus‑value.

Il en va autrement dès que s'établit un taux général de profit et partant un profit moyen, correspondant à la grandeur donnée du capital investi dans les différentes sphères de production.

Ce n'est plus qu'un fait du hasard si la plus‑value effectivement produite dans une sphère particulière de production, donc le profit, coïncide avec le profit contenu dans le prix de vente de la marchandise. En règle générale, profit et plus‑value, et non seulement leurs taux, sont maintenant des grandeurs réellement différentes. Pour un degré d'exploitation du travail donné, la masse de plus‑value produite dans une sphère de production particulière prend maintenant plus d'importance pour le profit total moyen du capital social, donc pour la classe capitaliste, qu'elle n'en a directement pour le capitaliste de chaque branche de production particulière. Elle ne sera importante pour ce dernier[10] que si la quantité de plus‑value produite dans sa branche contribue de façon déterminante à l'établissement du profit moyen. Mais ce procès se déroule derrière son dos, il ne le voit ni ne le comprend et en fait celui-ci ne l'intéresse pas. La différence effective de grandeur existant non seulement entre taux de profit et taux de plus‑value, mais entre profit et plus‑value dans les sphères de production particulières, dissimule complétement la nature réelle et l'origine du profit. Elle les cache non seulement au capitaliste, particulièrement intéressé ici à se tromper, mais aussi à l'ouvrier. Avec la transformation des valeurs en prix de production, la base même de la détermination de la valeur est cachée à la vue. Enfin: au moment où la plus‑value se transforme simplement en profit, où la fraction de valeur des marchandises constituant le profit affronte l'autre fraction de valeur qui représente le coût de production de la marchandise, le capitaliste a déjà perdu la notion même de la valeur; car il ne se trouve pas devant le travail global que la production de la marchandise a coûté, mais seulement devant la fraction de ce travail qu'il a payée sous forme de moyens de production vivants ou morts; le profit lui apparaît donc comme quelque chose d'extérieur à la valeur immanente de la marchandise. Alors cette représentation des choses se trouve parfaitement confirmée, consolidée, ossifiée par le fait que, pour une sphère de production particulière, le profit ajouté au coût de production n'est pas effectivement déterminé par les limites de la création de valeur qui s'opère en elle, mais est, au contraire, fixé de façon tout à fait extérieure.

Cette connexion interne est révélée ici pour la première fois et, comme nous le verrons plus loin, dans le Livre IV, les économistes ont fait abstraction jusqu'à présent des différences entre plus‑value et profit d'une part, entre taux de plus‑value et taux de profit d'autre part, soit par un coup de force, pour pouvoir maintenir comme base la détermination de la valeur, soit en abandonnant, avec cette détermination, toute base solide de raisonnement scientifique pour s'en tenir aux différences apparentes du phénomène. C'est cette confusion chez les théoriciens qui montre le mieux à quel point le capitaliste pratique, obnubilé par la concurrence et n'en pénétrant nullement les phénomènes, est incapable de reconnaître, au-delà des apparences, l'essence véritable et la structure interne de ce procès.

Toutes les lois concernant la hausse et la baisse du taux de profit, développées dans la première section, ont, en effet, la double signification suivante:

1. D'abord elles sont les lois du taux général de profit. Étant donné le grand nombre de causes diverses qui font monter ou baisser le taux du profit, comme nous l'avons montré plus haut, on pourrait croire que le taux général du profit se modifie tous les jours. Mais le mouvement se produisant dans l'une des sphères de production neutralise celui qui se produit dans une autre, les influences s'entrecroisent et se paralysent réciproquement. Nous étudierons plus loin dans quel sens tendent en dernière instance les fluctuations. Mais elles sont lentes; la soudaineté, la diversité et la durée variable des fluctuations dans les sphères de production particulières font qu'elles se compensent en partie dans leur succession chronologique, de sorte qu'une chute des prix succède à une hausse et inversement; ainsi, elles restent limitées localement, c'est-à-dire à la sphère de production particulière et ces diverses fluctuations locales se neutralisent mutuellement. À l'intérieur de chaque sphère particulière se produisent des modifications, des écarts par rapport au taux général de profit qui, d'une part, se neutralisent dans un laps de temps déterminé et ne réagissent donc pas sur le taux général de profit; d' autre part, ces variations ne réagissent pas sur le taux général du profit parce qu'elles sont annulées par d'autres fluctuations locales simultanées. Comme le taux général de profit n'est pas seulement déterminé par le taux de profit moyen dans chaque sphère, mais aussi par la répartition du capital total entre les diverses sphères particulières ‑ répartition qui se modifie sans cesse, ‑ il en résulte une cause permanente de changements dans le taux général de profit. Cette cause, à son tour, se neutralise elle-même en grande partie en raison du caractère permanent[11] et universel de ce mouvement.

2. À l'intérieur de chaque sphère, il existe une marge qui persiste plus ou moins longtemps et dans laquelle le taux de profit oscille, avant que sa variation ‑ hausse ou baisse ‑ soit suffisamment consolidée pour disposer du temps nécessaire à une action sur le taux général de profit et acquérir par là une signification dépassant l'intérêt local. Les lois sur le taux de profit qui ont été développées dans la première section de ce livre sont donc également valables à l'intérieur de ces limites d'espace et de temps.

En ce qui concerne la première transformation de plus‑value en profit, la théorie qui soutient que chaque partie du capital rapporte uniformément un profit[12] exprime un fait pratique. Quelle que soit la composition du capital industriel, qu'il mette en mouvement un quart de travail mort et trois quarts de travail vivant ou, inversement, que dans le premier cas il absorbe trois fois plus de surtravail ou produise trois fois plus de plus‑value que dans le second, dans les deux cas il rapporte une même quantité de profit, à condition que le degré d'exploitation du travail soit constant et qu'on écarte des différences individuelles qui, de toute manière, disparaissent parce que, dans les deux cas, nous n'avons à faire qu'à la composition moyenne de toute la sphère de production. Le capitaliste individuel (ou même l'ensemble des capitalistes dans chaque sphère de production particulière), malgré sa vue courte, pense cependant avec raison que son profit ne provient pas seulement du travail mis en œuvre par lui ou dans sa branche. Cela est tout à fait exact pour son profit moyen. Dans quelle mesure ce profit est engendré par l'exploitation globale du travail par le capital total, c'est-à-dire par tous ses collègues capitalistes, toute cette interconnexion lui est un mystère complet; d'autant plus complet, d'ailleurs, que même les économistes et théoriciens bourgeois se sont gardés jusqu'à présent de le révéler. L'économie de travail ‑ non seulement du travail nécessaire à produire une certaine marchandise, mais aussi du nombre des ouvriers employés ‑-, ainsi qu'une utilisation plus large de travail mort (capital constant) apparaissent comme une opération économique tout à fait juste et a priori ne semblent nullement exercer une influence sur le taux général de profit ni sur le profit moyen. Comment le travail vivant serait-il alors la source exclusive du profit, puisque la diminution de la masse de travail nécessaire à la production ne semble en rien nuire au profit? Tout au contraire, dans certaines conditions, cette diminution apparaîtrait plutôt comme étant l'origine première d'une augmentation de profit, du moins pour le capitaliste individuel.

Si, dans une sphère de production donnée, il arrive que la fraction du coût de production représentant la valeur du capital constant augmente ou diminue, cette fraction provient de la circulation et entre d'emblée augmentée ou diminuée dans le procès de production de la marchandise. Si, d'autre part, le nombre d'ouvriers employés produit plus ou moins dans un même laps de temps, partant si, pour un nombre constant d'ouvriers, la quantité de travail nécessaire pour produire une masse donnée de marchandises varie, la fraction du coût de production qui représente la valeur du capital variable peut, néanmoins, rester la même et entrer comme grandeur constante dans le coût de production du produit total. Mais une quantité plus ou moins grande de travail (payé et donc aussi non payé) affecte chacune des marchandises individuelles dont la somme représente le produit total, donc aussi une partie plus ou moins grande de ce qui a été déboursé pour ce travail, c'est-à-dire une fraction variable du salaire. Le salaire global que le capitaliste paie reste le même, mais il change quand il est calculé par rapport à chaque unité de marchandise. Il surviendrait donc ici un changement dans cette fraction du coût de production de la marchandise. Que le coût de production de chaque marchandise individuelle monte ou baisse à la suite de telles modifications de valeurs se produisant soit dans la marchandise elle-même, soit dans ses éléments; que diminue ou augmente le coût de production de la somme de marchandises qu'un capital de grandeur donnée a produites: il n'en résulte pas moins que le profit moyen de 10 %, par exemple, restera toujours 10 %; bien que, rapporté à la marchandise isolée, ce taux puisse représenter une grandeur très différente suivant les variations du coût de production de chaque marchandise[13], consécutives au changement de valeur que nous avons supposé.

Le capital variable est le plus important parce qu'il est la source de la plus‑value et que tout ce qui dissimule sa relation avec l'enrichissement du capitaliste mystifie en même temps le système entier. Aussi, en ce qui concerne le capital variable, la chose devient-elle moins tangible encore, du moins pour le capitaliste. Supposons par exemple qu'un capital variable de 100 l. st. représente le salaire hebdomadaire de 100 ouvriers. Si ces 100, la journée de travail étant donnée, créent un produit hebdomadaire de 200 unités de marchandise (= 200 M), l M coûte alors, puisque 100 l. st. = 200 M, 100 l. st./200 =10 shillings, abstraction faite de la partie du coût de production qu'ajoute le capital constant. Supposons maintenant que la force productive[14] du travail change, qu'elle double par exemple, et que le même nombre d'ouvriers produise deux fois 200 M dans le temps qu'il leur fallait avant pour produire 200 M. Dans ce cas et pour autant que le coût de production ne consiste qu'en salaire, 1 M coûte 100 l. st./400 = 5 shillings, puisque 100 l. st. sont ici égales à 400 M. Si la force productive diminue de moitié, le même travail ne produirait plus que 200 M/2; comme 100 l. st. sont égales à 200 M/2, 1 M est égal à 200 l. st./200 = 1 l. st. Les variations dans le temps de travail nécessaire pour produire des marchandises, partant dans leur valeur, apparaissent ici, relativement au coût de production, donc au prix de production, comme une répartition différente du même salaire sur une plus ou moins grande quantité de marchandises selon que plus ou moins de marchandises sont produites pour un temps de travail et un salaire constants. Tout ce que le capitaliste et l'économiste voient, c'est que la partie du travail payé qui se rapporte à l'unité de marchandises varie avec la productivité du travail, et que, partant, varie la valeur de chaque unité. Le capitaliste ne remarque pas que cette variation se produit également pour le travail non payé contenu dans chaque unité; il s'en aperçoit d'autant moins qu'en effet le travail non payé, consommé dans sa sphère, ne détermine que tout à fait par hasard le profit moyen. Ce n'est plus que sous cette forme grossière et dénuée de sens que transparaît encore le fait que la valeur des marchandises est déterminée par le travail contenu en elles.

Chapitre X
Égalisation du taux général du profit par la concurrence.
Prix de marché et valeurs de marché.
Surprofit

Dans certaines des sphères de production, le capital utilisé possède une composition moyenne, c'est-à-dire exactement semblable ou presque à celle du capital social moyen.

Le prix de production des marchandises produites dans ces sphères coïncide exactement ou presque avec leur valeur exprimée en argent. À défaut d'autres méthodes, ce serait là un moyen d'atteindre la limite mathématique. La concurrence répartit le capital social entre les différentes sphères de production de telle manière que les prix de production dans chaque sphère sont constitués sur le modèle de ceux existant dans les sphères de composition moyenne, c'est-à-dire = pr + pr *  (coût de production plus produit du taux de profit moyen par le coût de production). Mais ce taux de profit moyen n'est rien d'autre que le profit, calculé en pourcentage, dans cette sphère de composition moyenne, dans laquelle, par conséquent, le profit coïncide avec la plus‑value. Dans toutes les sphères de production, le taux de profit est donc le même. Il s'est aligné sur celle des sphères de production intermédiaire où règne la composition moyenne du capital. Il en résulte que la somme des profits de toutes les diverses sphères de production doit être égale à la somme des plus‑values et la somme des prix de production de la totalité du produit social égale à la somme de ses valeurs. Mais il est évident que le nivellement qui s'établit entre les sphères de production de composition différente tend obligatoirement à aligner celles-ci sur les sphères de composition moyenne, qu'elles correspondent exactement ou seulement à peu près à la moyenne sociale. Entre les sphères qui approchent plus ou moins cette moyenne, une tendance vers le nivellement se fait jour à nouveau, allant vers une position médiane idéale, n'existant pas dans la réalité, c'est-à-dire une tendance à l'établissement d'un niveau normal. De cette manière la tendance prévaut qui fait des prix de production de simples formes métamorphosées de valeur, ou qui fait des profits de simples fractions de plus‑value, qui sont réparties, cependant, non pas en fonction de la plus‑value produite dans chaque sphère particulière de la production, mais en fonction de la masse du capital utilisé dans chacune de ces sphères, de telle sorte que des parties a1iquotes de la totalité de plus‑value produite par tout le capital social reviennent à des masses de capital de même grandeur quelle que soit leur composition.

Pour les capitaux de composition moyenne ou presque, le prix de production coïncide donc tout à fait ou presque avec la valeur, et le profit avec la plus‑value que ces capitaux ont produite. Tous les autres capitaux, quelle que soit leur composition, ont tendance, sous la pression de la concurrence, à s'aligner sur les premiers. Mais, comme les capitaux de composition moyenne sont égaux ou presque au capital social moyen, tous les capitaux, quelle que soit la plus‑value qu'ils produisent eux-mêmes, tendent à réaliser, au lieu de cette plus‑value, le profit moyen dans les prix de leurs marchandises, c'est-à-dire à réaliser les prix de production.

Par ailleurs, on peut dire que partout où un profit moyen, partant un taux général de profit, est constitué ‑ peu importe la manière dont ce résultat se trouve atteint, ‑ ce profit moyen ne représente rien d'autre que le profit rapporté au capital social moyen; le total de ce profit étant égal à la somme des plus‑values. On peut, de même, dire que les prix obtenus en ajoutant ce profit moyen aux coûts de production ne peuvent être autre chose que les valeurs transformées en prix de production. Rien ne serait changé si des capitaux dans certaines sphères de production n'étaient pas soumis, pour des raisons quelconques, à ce procès d'égalisation. Le profit moyen serait alors calculé par rapport à la fraction du capital social qui entre dans le procès d'égalisation. Il est évident que le profit moyen ne peut rien être d'autre que la masse totale de la plus‑value répartie sur les masses de capitaux dans chaque sphère de production, suivant leurs grandeurs respectives. Ce qui revient aux capitalistes est la totalité du travail réalisé non payé et cette masse globale est représentée, tout comme le travail payé, mort et vivant, dans l'ensemble des masses de marchandises et d'argent.

Mais la difficulté proprement dite est celle-ci: comment se passe cet alignement des profits sur le taux général du profit, étant donné que celui-ci ne peut de toute évidence qu'être un aboutissement et non un point de départ?

D'abord il va de soi qu'une estimation, en argent par exemple, des valeurs-marchandise ne peut être que le résultat de leur échange et qu'en admettant cette estimation nous devons la considérer comme résultant des échanges effectifs de valeur-marchandise contre valeur-marchandise. Mais comment cet échange des marchandises à leurs valeurs réelles a-t-il pu se réaliser?

Supposons d'abord que toutes les marchandises dans les différentes sphères de production soient vendues à leur valeur réelle. Qu'arriverait-il alors? Comme nous l'avons dit plus haut, des taux de profit très divers existeraient dans les différentes sphères de production. Que des marchandises soient vendues à leur valeur, en s'échangeant entre elles aux prix correspondant à leurs valeurs, c'est-à-dire proportionnellement à la valeur qu'elles contiennent, ou qu'elles soient vendues à des prix tels que leur vente rapporte des profits égaux pour des masses identiques de capitaux avancés à leur production respective: voilà évidemment deux choses bien différentes.

Le fait que des capitaux mettant en œuvre des quantités inégales de travail vivant produisent des quantités inégales de plus‑value suppose, du moins jusqu'à un certain point, que le degré d'exploitation du travail ou le taux de la plus‑value sont les mêmes, ou encore que les différences qu'il peut y avoir entre eux sont considérées comme annulées pour des raisons réelles ou imaginaires (conventionnelles) qui les compensent. Il faut donc admettre qu'il existe parmi les ouvriers une concurrence et une compensation du fait de leur passage constant d'une sphère de production dans l'autre. Si nous avons admis l'existence d'un taux général de la plus‑value ‑ qui, comme toute loi économique, n'est en fait qu'une tendance ‑ c'était pour simplifier l'étude théorique; mais en réalité elle est la condition effective du système de production capitaliste, bien qu'elle soit plus ou moins contrecarrée dans la pratique par des entraves provoquant des différences locales d'importance variable; la législation régionale (settlement laws) pour les journaliers agricoles en Angleterre en est un exemple. Mais, dans la théorie nous admettons que les lois régissant la production capitaliste se développent en toute rigueur. Dans la réalité, l'approximation seule existe; elle est d'autant plus exacte que le mode de production capitaliste est plus développé, et que se trouvent plus complétement éliminées sa contamination et sa complication par des vestiges de conditions économiques antérieures.

Toute la difficulté provient de ce que les marchandises ne sont pas échangées simplement en tant que telles, mais en tant que produits de capitaux qui prétendent participer à la masse totale de la plus‑value proportionnellement à leur grandeur et, à grandeur égale, réclament une participation égale. Le prix global des marchandises produites par un capital donné en un laps de temps donné est destiné à satisfaire cette prétention. Mais le prix global de ces marchandises n'est que la somme des prix des marchandises isolées constituant le produit du capital.

La meilleure façon de mettre en lumière le point essentiel est de poser le problème comme suit: Supposons que les ouvriers soient eux-mêmes les possesseurs de leurs moyens de production respectifs et qu'ils échangent entre eux leurs marchandises. Dans ce cas, ces dernières ne seraient donc pas le produit du capital. Suivant la nature technique de leurs travaux, la valeur des moyens et matériaux de travail employés dans les diverses branches d'activité serait différente; de même, sans tenir compte de la valeur inégale des moyens de production employés, une quantité variable de ces derniers serait requis pour une masse de travail donnée, selon que telle marchandise peut être terminée en une heure, telle autre seulement en une journée, etc. Supposons en outre que ces ouvriers travaillent en moyenne pendant un temps égal, compte tenu des compensations résultant d'une intensité différente du travail, etc. Deux ouvriers, par exemple, auraient donc, dans les marchandises représentant le produit de leur journée de travail, premièrement récupéré leurs dépenses, soit les coûts de production des moyens de production consommés qui diffèrent suivant la nature technique de leurs branches de travail; deuxièmement, tous deux aurait créé une nouvelle valeur, d'égale importance, à savoir la journée de travail ajoutée aux moyens de production. Elle comprendrait leur salaire plus la plus‑value, c'est-à-dire le surtravail au-delà de leurs besoins stricts, mais dont le produit leur appartiendrait en propre. En langage capitaliste, nous dirions que tous deux reçoivent le même salaire plus le même profit[15] = la valeur qui se manifeste, par exemple, dans le produit d'une journée de travail de dix heures. Mais d'abord les valeurs de leurs marchandises seraient différentes. Par exemple, la marchandise I pourrait renfermer une plus grande fraction de valeur provenant des moyens de production consommés que la marchandise II. Et, pour faire tout de suite état de toutes les différences possibles, disons que la marchandise I absorbe plus de travail vivant et exige donc pour sa production un temps de travail plus long que la marchandise II. La valeur de ces marchandises I et II diffère donc beaucoup, ainsi que les sommes des valeurs-marchandise qui sont le produit du travail accompli dans un temps donné par les ouvriers I et II. Les taux de profit seraient également très différents pour I et II si nous appelons ainsi le rapport de la plus‑value à la valeur totale des moyens de production déboursés. Les moyens de subsistance que I et II consomment journellement pendant la production et qui représentent le salaire constituent ici la part des moyens de production avancés qu'ailleurs nous appelons capital variable. Pour un même temps de travail, les plus‑values seraient les mêmes pour I et II; plus exactement, puisqu'ils reçoivent chacun la valeur du produit d'une journée de travail, I et II obtiennent, après déduction de la valeur des éléments "constants" avancés, des valeurs identiques dont on peut considérer une partie comme remplaçant les moyens de subsistance consommés dans la production et l'autre, comprenant tout ce qui excède la première, comme plus‑value. Si les débours de I sont supérieurs, ils sont remplacés par une fraction plus grande de la valeur de sa marchandise, fraction qui remplace ici cette partie constante. Par conséquent I doit aussi reconvertir en éléments matériels de cette fraction constante une partie plus importante de la valeur totale de son produit, tandis que II, s'il encaisse moins, a aussi d'autant .moins à reconvertir. Dans ces conditions, la diversité des taux de profit serait donc sans importance, tout comme est indifférent pour un salarié le taux de profit par lequel se traduit la quantité de plus‑value qu'on lui a extorquée. De même, dans le commerce international, la diversité des taux de profit dans les différentes nations est sans importance pour l'échange de leurs marchandises.

L'échange de marchandises à leur valeur, ou à peu près, nécessite un degré de développement moindre que l'échange aux prix de production qui requiert un niveau déterminé du développement capitaliste.

Quelle que soit la manière dont les prix des différentes marchandises sont d'abord fixés ou réglés les uns par rapport aux autres, la loi de la valeur domine leur mouvement. Là où le temps de travail nécessaire pour produire ces marchandises diminue, les prix tombent; là où il augmente, les prix montent, toutes choses égales d'ailleurs.

Même si l'on ne tient pas compte du fait que les prix et leur mouvement sont dominés par la loi de la valeur, il est donc tout à fait conforme à la réalité de considérer que la valeur des marchandises précède, du point de vue non seulement théorique, mais aussi historique, leur prix de production. Ceci est valable pour les cas où les moyens de production appartiennent à l'ouvrier; ceci est le cas, dans le monde ancien comme dans le monde moderne, pour le paysan possédant son fonds et cultivant lui-même et pour l'artisan. Ceci concorde également avec notre opinion[16] émise précédemment[17], à savoir que la transformation des produits en marchandises résulte de l'échange entre différentes communautés et non pas entre membres d'une seule et même commune. Ce qui vaut pour ces conditions primitives vaut également pour les conditions ultérieures, fondées sur l'esclavage et le servage, de même que pour les corporations artisanales, aussi longtemps que les moyens de production immobilisés dans chaque branche ne peuvent être transférés que difficilement d'une branche à l'autre et que, dans certaines limites, les différentes sphères de production se comportent entre elles comme le feraient des pays étrangers ou des communautés communistes[18].

Afin que les prix auxquels s'échangent des marchandises correspondent à peu près à leur valeur, il est seulement nécessaire que: 1. l'échange des diverses marchandises cesse d'être purement fortuit ou simplement occasionnel; 2. que, dans la mesure où nous considérons l'échange direct de marchandises, celles-ci soient produites de part et d'autre en quantités correspondant approximativement aux besoins réciproques, ce qui résulte de l'expérience de la vente et apparaît comme résultat de l'échange continu; 3. que, dans la mesure où nous parlons de la vente, aucun monopole naturel ou artificiel ne rende possible à une des parties contractantes de vendre au-dessus de la valeur ou ne la force à vendre au-dessous de la valeur. Nous entendons par monopole fortuit celui qui naît, pour l'acheteur ou le vendeur, de la conjoncture occasionnelle de l'offre et de la demande.

Supposer que les marchandises des différentes sphères de production se vendent à leur valeur signifie seulement que leur valeur est l'axe de gravitation autour duquel tourne leur prix et sur lequel s'a lignent leurs hausses et leurs baisses perpétuelles. En outre, il faut toujours distinguer de la valeur individuelle des marchandises isolées produites par les différents producteurs, une valeur de marché dont il sera question plus loin. Pour certaines de ces marchandises, la valeur individuelle se trouvera au-dessous de la valeur de marché (c'est-à-dire que leur production nécessite un temps de travail plus court que ne l'exprime la valeur de marché); pour d'autres, elle se trouvera au-dessus. Il faut considérer la valeur du marché, d'une part comme la valeur moyenne des marchandises produites dans une sphère, d'autre part comme la valeur individuelle des marchandises produites aux conditions moyennes de la sphère et qui constituent la grande masse de ses produits. Ce n'est que dans des conjonctures extraordinaires que les marchandises produites, soit dans les conditions les plus mauvaises, soit dans les plus favorables, régissent la valeur de marché qui, à son tour, constitue l'épicentre pour les prix de marché qui pourtant sont les mêmes pour les marchandises de même espèce. Quand l'offre de marchandises à la valeur moyenne, donc à la valeur de la masse comprise entre les deux extrêmes, satisfait à la demande courante, les marchandises dont la valeur individuelle est au-dessous de leur valeur de marché réalisent une plus‑value extra ou surprofit, tandis que celles dont la valeur individuelle est au-dessus de la valeur de marché ne parviennent pas à réaliser toute la plus‑value qu'elles contiennent.

Il ne sert à rien de prétendre que la vente des marchandises produites dans les pires conditions prouve qu'elles sont nécessaires pour satisfaire la demande[19]. Si, dans le cas envisagé, le prix était supérieur à la valeur de marché moyenne, la demande serait moins grande[20]. Une certaine catégorie de marchandises à un prix donné peut occuper une certaine place sur le marché. Mais, lors d'un changement des prix, cette place ne reste la même que si un prix plus élevé coïncide avec une quantité de marchandises moindre et inversement. Par contre, si la demande est si forte qu'elle ne diminue pas même quand le prix est fixé d'après la valeur des marchandises produites dans les plus mauvaises conditions, ce sont ces dernières qui déterminent la valeur de marché. Cela est possible seulement si la demande est plus grande qu'à l'ordinaire ou si l'offre tombe au- dessous de la normale. Enfin, si la quantité des marchandises produites dépasse celle qui peut trouver acquéreur aux valeurs de marché moyennes, ce sont alors les marchandises produites dans les meilleures conditions qui fixent la valeur de marché. Il se peut par exemple que les marchandises soient vendues exactement ou presque à leur valeur individuelle et il peut alors arriver que les marchandises produites dans les pires conditions ne réalisent même pas leur coût de production, tandis que celles qui sont proches de la moyenne ne peuvent réaliser qu'une partie de la plus‑value qu'elles contiennent. Ce que nous avons dit ici de la valeur de marché est aussi valable pour le prix de production, dès que ce dernier a pris la place de la valeur de marché. Le prix de production est fixé dans chaque sphère, et également suivant les conditions particulières. Mais il est lui-même le centre autour duquel oscillent les prix de marché quotidiens et sur lequel ils s'alignent à certaines périodes. (Voir Ricardo, sur la détermination des prix de production par ceux qui travaillent dans les plus mauvaises conditions [principles, etc.], édition Mac Culloch, Londres 1852 [p. 37‑38].)

Quelle que soit la façon dont sont fixés les prix, il n'en reste pas moins que:

1. Leur mouvement est régi par la loi de la valeur, étant donné qu'une diminution ou une augmentation du travail nécessaire à la production fait monter ou baisser les prix de production. C'est dans ce sens que Ricardo, qui sent bien que ses prix de production s'écartent des valeurs des marchandises, dit que the inquiry to which he wishes to draw the reader's attention relates to the effect of the variations in the relative value of commodities and not in their absolute value (l'étude sur laquelle il désire attirer l'attention du lecteur a trait non pas à la valeur absolue des marchandises, mais à l'action des modifications qui se produisent dans leur valeur relative) [Ricardo, loc. cit., p. 15].

2. Le profit moyen qui détermine les prix de production doit être à peu près égal à la quantité de plus‑value qui revient à un capital donné, considéré comme partie aliquote de l'ensemble du capital social. Mettons que le taux général de profit, partant le profit moyen exprimé en valeur-argent, soit supérieur à la plus‑value moyenne effective calculée d'après sa valeur-argent. Pour ce qui est des capitalistes, il est alors indifférent qu'ils se comptent réciproquement un profit de 10 ou de 15 %. L'un de ces pourcentages ne correspond pas à une plus grande valeur-marchandise réelle que l'autre, parce que l'expression monétaire est exagérée de part et d'autre. Mais pour ce qui est des ouvriers ‑ puisque nous supposons qu'ils obtiennent leur salaire normal, l'augmentation du profit moyen n'exprime donc pas une déduction réelle sur le salaire ou quelque chose de bien différent de la plus‑value normale du capitaliste ‑ la hausse des prix des marchandises résultant de l'augmentation du profit moyen doit correspondre à un accroissement de l'expression monétaire du capital variable. En réalité, cette hausse nominale générale du taux de profit et du profit moyen, ‑ qui le rend supérieur au taux résultant de la division de la plus‑value réelle par le capital total avancé ‑, ne peut avoir lieu sans entraîner une augmentation du salaire ainsi qu'une hausse des prix des marchandises constituant le capital constant. L'inverse est vrai lorsqu'il y a baisse. Puisque la valeur totale des marchandises détermine la plus‑value globale et que celle-ci règle le montant du profit moyen, partant le taux général de profit, ‑ (soit comme règle générale, soit en régissant les fluctuations) ‑, la loi de la valeur règle à son tour les prix de production.

La concurrence est capable, d'abord dans une sphère, d'établir une valeur et un prix de marché identiques à partir des diverses valeurs individuelles des marchandises. Mais c'est seulement la concurrence des capitaux entre les différentes sphères qui est à l'origine du prix de production, équilibrant les taux de profit entre ces sphères. Le dernier cas nécessite un développement plus poussé du mode de production capitaliste que le premier.

Pour que des marchandises d'une même sphère de production, de même espèce et à peu près de même qualité, puissent être vendues à leur valeur, deux choses sont nécessaires:

Primo, les diverses valeurs individuelles doivent être égalisées pour ne faire qu'une seule valeur sociale: la valeur de marché dont il a été question plus haut. Pour ce faire, une concurrence parmi les producteurs d'une même espèce de marchandises est nécessaire, ainsi que l'existence d'un marché où ils offrent tous ensemble leurs marchandises. Afin que le prix de marché de marchandises identiques, mais dont chacune serait produite dans des conditions individuelles de nuance différente, corresponde à la valeur de marché et ne s'en écarte ni par excès, ni par défaut, il est nécessaire que la pression exercée les uns sur les autres par les divers vendeurs soit assez forte pour jeter sur le marché juste la quantité de marchandises requise par le besoin social, c'est-à-dire la quantité que la société est capable de payer à la valeur de marché. Si la masse de produits dépassait ce besoin, les marchandises devraient être vendues au-dessous de leur valeur de marché et, inversement, au-dessus si la masse de produits était insuffisante ou encore, ce qui revient au même, si la pression de la concurrence sur les vendeurs n'était pas assez vigoureuse pour les contraindre à apporter au marché cette masse de marchandises. Dans le cas où la valeur de marché se modifierait, les conditions auxquelles la masse globale des marchandises pourrait être vendue changeraient également. Si la valeur de marché baisse, le besoin social s'élargit généralement (il s'agit toujours ici du besoin "solvable"): il peut alors, dans certaines limites, absorber des masses plus grandes de marchandises. Si la valeur de marché monte, le besoin social de la marchandise se restreint et des quantités moindres en sont consommées. Par conséquent. si ce sont l'offre et la demande qui règlent le prix de marché ou plus exactement les écarts des prix de marché par rapport à la valeur de marché, par contre c'est la valeur de marché qui règle le rapport entre l'offre et la demande ou qui constitue le centre autour duquel les fluctuations de l'offre et de la demande font varier les prix de marché.

Si l'on regarde de plus près, on constate que les conditions applicables à la valeur d'une marchandise isolée peuvent être appliquées ici à celle de la somme globale d'une catégorie de marchandises; la production capitaliste, en effet, est, par définition, une production de masse. De même, dans d'autres modes de production moins développés, des marchandises produites en assez petite quantité ‑ du moins en ce qui concerne les marchandises principales ‑ sont concentrées comme produit commun, même si elles proviennent d'un grand nombre de petits producteurs, et accumulées en grande masse sur le marché entre les mains d'un nombre relativement réduit de négociants et mises en vente. Il s'agit donc du profit commun de toute une branche de production ou d'une de ses subdivisions plus ou moins importantes.

Remarquons ici en passant que "le besoin social", ce qui règle le principe de la demande, est essentiellement conditionné par les rapports des différentes classes entre elles et par leur position économique respective; donc d'abord par le rapport de la plus‑value totale au salaire et ensuite par le rapport entre les diverses fractions en lesquelles se décompose la plus‑value (profit, intérêt, rente foncière, impôts, etc.). Nous constatons donc à nouveau que rien ne peut être expliqué d'une façon absolue par le rapport entre l'offre et la demande, si l'on n'a pas montré sur quelle base ce rapport entre en jeu.

Bien que marchandise et argent soient tous deux des unités de la valeur d'échange et de la valeur d'usage, nous avons déjà vu[21] comment, dans l'achat et la vente, ces deux unités se répartissent aux deux pôles extrêmes, la marchandise (vendeur) représentant la valeur d'usage et l'argent (acheteur) traduisant la valeur d'échange. L'une des conditions de la vente est que la marchandise possède une valeur d'usage, qu'elle satisfasse donc un besoin social. L'autre condition est que la quantité de travail contenue dans la marchandise représente bien du travail socialement nécessaire et que, par conséquent, la valeur individuelle de la marchandise (soit son prix de vente, ce qui dans le cas présent est la même chose) coïncide avec sa valeur sociales[22].

Appliquons le raisonnement précédent à la masse de marchandises qui se trouve sur le marché et qui constitue le produit de toute une sphère.

Pour représenter la chose de la façon la plus claire, nous considérerons d'abord que toute la masse de marchandises est issue d'une seule branche de production, qu'elle représente une seule marchandise et que la somme des prix de la multitude de marchandises identiques est condensée en un seul prix. Ce qui a été dit pour la marchandise isolée est valable ici, mot pour mot, pour la masse de marchandises issue d'une branche de production donnée et se trouvant sur le marché. Le fait que la valeur individuelle de la marchandise correspond à sa valeur sociale est maintenant plus réel et mieux défini, en ce sens que la masse totale contient le travail social nécessaire à sa production et que la valeur de cette masse est égale à sa valeur de marché.

Supposons que la grande masse de ces marchandises soit produite à peu près dans les mêmes conditions sociales normales, de sorte que cette valeur soit en même temps la valeur individuelle des marchandises isolées qui constituent la masse. Supposons encore qu'une portion assez petite en soit produite au-dessus de ces conditions, une autre au-dessous; la valeur individuelle de la première portion est donc supérieure, celle de la seconde inférieure à la valeur moyenne de la plupart des marchandises; mais ces deux extrêmes se compensent et la valeur moyenne de leurs marchandises est égale à celle des marchandises de la masse intermédiaire. Or, dans cette hypothèse, la valeur de marché est déterminée par la valeur des marchandises ayant été produites dans les conditions moyennes[23]. La valeur de la masse totale des marchandises est égale à la somme effective des valeurs de toutes les marchandises isolées, aussi bien de celles produites dans des conditions moyennes que de celles qui dépassent ou restent en deçà de cette moyenne. Dans ce cas, la valeur de marché ou la valeur sociale de la masse de marchandises, c'est-à-dire le temps de travail nécessaire qu'elles contiennent, est déterminée par la valeur de la grande masse produite dans des conditions moyennes.

Par contre, admettons maintenant que la totalité de ces marchandises mise sur le marché reste quantitativement constante, mais que la valeur des marchandises produites dans de mauvaises conditions ne compense pas celle des marchandises produites dans de bonnes conditions, la fraction des marchandises produites dans de mauvaises conditions étant relativement importante par rapport à la moyenne et à l'autre extrême: c'est cette fraction qui fixe alors la valeur de marché ou la valeur sociale.

Supposons enfin que la masse de marchandises produites dans des conditions supérieures à la moyenne dépasse de loin celle produite dans des conditions inférieures et représente même une grandeur importante par rapport à la masse de marchandises produites dans des conditions moyennes: c'est alors la fraction des marchandises produites dans les meilleures conditions qui règle le prix du marché. Nous ne tenons pas compte ici de l'encombrement du marché où c'est toujours la fraction produite dans les meilleures conditions qui règle le prix de· marché; en effet nous n'avons pas affaire ici au prix de marché dans ce qu'il a de différent de la valeur de marché, mais aux diverses déterminations de la valeur de marché elle-même[24].

En effet, si nous considérons le problème dans toute sa rigueur (alors que dans la réalité il ne se pose, bien entendu, que de façon approximative et avec mille modifications), la valeur de marché de toute la masse fixée par les valeurs moyennes se trouve être, dans le cas I, égale à la somme des valeurs individuelles de cette masse, bien que cette valeur se présente[25] pour les marchandises produites dans les conditions extrêmes comme valeur moyenne qui leur a été imposée de force. Ceux qui produisent dans les plus mauvaises conditions sont alors obligés de vendre leurs marchandises au-dessous de la valeur individuelle; au contraire, ceux qui se trouvent à l'extrémité opposée les vendent au-dessus.

Dans le cas II, les masses de valeurs individuelles produites dans les deux conditions extrêmes ne se compensent pas et c'est la masse produite dans les plus mauvaises conditions qui est décisive. À vrai dire, le prix moyen ou la valeur de marché de chaque marchandise isolée ou de chaque partie aliquote de la masse globale serait ici déterminé par la valeur totale de la masse, résultat de l'addition de toutes les valeurs des marchandises produites dans les diverses condit ions, et par la partie aliquote de cette valeur totale qui échoit à chaque marchandise isolée. La valeur de marché ainsi obtenue se trouverait être supérieure à la valeur individuelle, non seulement celle relative aux marchandises de l'extrémité favorable, mais aussi celle des marchandises de conditions moyennes. Mais cette valeur de marché serait toujours en dessous de la valeur individuelle des marchandises produites dans les conditions extrêmes défavorables. Dans quelle mesure elle s'en approche ou coïncide finalement avec elle dépend entièrement du volume qu'occupe la masse des marchandises produites à l'extrémité défavorable dans la sphère de marchandises envisagée. Si la demande l'emporte tant soit peu sur l'offre, c'est la valeur individuelle des marchandises produites dans des conditions défavorables qui règle le prix de marché.

Si, enfin, comme dans le cas III, la quantité des marchandises produites dans les conditions les plus favorables occupe une assez grande place, non seulement par rapport à l'autre extrême, mais aussi par rapport aux conditions moyennes, la valeur de marché tombe au-dessous de la valeur moyenne. Si l'on calcule la valeur moyenne, en additionnant les sommes de valeur des deux extrêmes et du centre, on voit que cette valeur moyenne se trouve ici au-dessous du centre; elle s'en approche ou s'en éloigne suivant l'importance relative de l'extrémité favorable. Si la demande est faible par rapport à l'offre, la fraction favorisée, quelle que soit sa grandeur, s'octroie une position dominante en ramenant son prix à sa valeur individuelle. La valeur de marché ne coïncidera jamais avec cette valeur individuelle des marchandises produites dans les meilleures conditions à moins que l'offre ne l'emporte de beaucoup sur la demande.

L'établissement de la valeur de marché que nous avons présenté ici dans l'abstrait est réalisé sur le marché réel par la concurrence entre les acheteurs, à condition que la demande soit juste assez grande pour absorber la masse des marchandises à sa valeur ainsi fixée. Maintenant nous en arrivons au second point[26].

Secundo, dire que la marchandise possède une valeur d'usage signifie seulement qu'elle pourvoit à un quelconque besoin social. Aussi longtemps que nous nous sommes bornés à traiter des marchandises isolées, nous avons pu supposer que le besoin de ces marchandises données existait (leur quantité était déjà comprise dans le prix), sans nous arrêter à l'importance du besoin à satisfaire. Mais cette importance devient un point essentiel dès que le produit de toute une branche de production se trouve confronté avec le besoin social. Il est maintenant indispensable de prendre en considération la mesure, c'est -à-dire la quantité de ce besoin social.

Dans les définitions ci-dessus de la valeur de marché, nous avons supposé que la masse des marchandises produites était constante et donnée. Nous avons admis que seules avaient lieu des modifications dans le rapport des éléments de cette masse produits dans différentes conditions et que, par conséquent, la valeur de marché d'une même masse de marchandises était réglée de façon diverse. Supposons maintenant que cette masse soit la quantité normalement offerte; nous ne tiendrons pas compte de ce qu'il est toujours possible qu'une partie des marchandises produites puisse être temporairement retirée du marché. Or, si la demande quant à cette masse reste normale, la marchandise sera vendue à sa valeur de marché quel que soit celui des trois cas étudiés plus haut qui la règle. Non seulement la masse de marchandises satisfait à un besoin, mais encore elle le satisfait dans tout son volume social. Par contre, si la quantité est plus ou moins grande que la demande, des écarts entre prix de marché et valeur de marché se produisent. Le premier écart est celui-ci: lorsque la quantité est insuffisante, c'est toujours la marchandise produite dans les plus mauvaises conditions qui règle la valeur de marché; inversement, lorsque la quantité est trop importante, c'est toujours la marchandise produite dans les meilleures conditions qui règle cette valeur. C'est donc l'un des cas extrêmes qui détermine la valeur de marché, bien qu'il en doive être autrement d'après le simple rapport des masses produites dans des conditions diverses. Si l'écart entre demande et masse de produits croît, le prix de marché différera également d'une façon plus importante, en plus ou en moins, de la valeur de marché. Deux causes peuvent être à l'origine de la différence entre la quantité des marchandises produites et la quantité de marchandises permettant la vente à la valeur de marché. Dans le premier cas, cette quantité elle-même se modifie devenant ou trop grande ou trop petite, la reproduction s'étant faite à une échelle différente de celle qui a réglé la valeur de marché donnée. Dans ce cas, l'offre a changé, la demande restant constante, ce qui a causé une surproduction ou sous-production relative. Dans le second cas, c'est la demande qui se modifie, monte ou baisse; ce qui peut arriver pour diverses raisons, tandis que la reproduction, c'est-à-dire l'offre, reste constante. Bien que la grandeur absolue de cette offre soit restée la même, par contre sa grandeur relative, mesurée par rapport au besoin, a subi des changements. L'effet est le même que dans le premier cas; il se produit seulement en sens inverse. Enfin, quand des modifications ont lieu des deux côtés, soit en sens inverse, soit dans le même sens mais pas dans la même mesure, bref, quand des modifications bilatérales se produisent, entraînant un changement du rapport antérieur entre l'offre et la demande, le résultat final aboutira toujours à l'un ou l'autre des deux cas étudiés plus haut.

La vraie difficulté qui surgit dans la définition générale des termes d'offre et de demande est qu'elle semble aboutir à une tautologie. Considérons d'abord l'offre, c'est-à-dire le produit qui se trouve sur le marché ou celui qui est prêt à lui être livré. Pour ne pas entrer dans des détails inutiles, nous allons nous occuper ici de la masse de la reproduction annuelle dans chaque branche d'industrie déterminée. Nous ferons abstraction du fait que certaines marchandises sont plus ou moins susceptibles d'être retirées du marché pour constituer des stocks, par exemple pour la consommation de l'année suivante. Cette reproduction annuelle exprime d' abord une certaine quantité: nombre ou mesure, selon que la masse de marchandises est de nature discontinue ou continue. Ce ne sont pas seulement des valeurs d'usage appelées à satisfaire les besoins humains, mais ces valeurs d'usage existent sur le marché dans un volume donné. Ensuite, cette masse de marchandises possède une certaine valeur de marché pouvant s'exprimer par un multiple de la valeur de marché de la marchandise ou de la mesure de marchandise qui servent d'unités. Il n'existe donc pas de relation nécessaire entre le volume quantitatif des marchandises sur le marché et leur valeur de marché; certaines d'entre-elles ont une valeur spécifique élevée, d'autres une valeur spécifique faible, de sorte qu'une somme de valeurs donnée peut aussi bien être représentée dans une très grande masse de certaine marchandise que par une très faible quantité d'une autre. Entre la quantité d'articles se trouvant sur le marché et leur valeur de marché, une seule relation peut exister: pour une productivité du travail donnée, la fabrication d'une quantité donnée d'articles requiert dans chaque sphère de production particulière un temps de travail social déterminé, bien que cette proportion soit entièrement différente d'une sphère de production à l'autre et qu'elle n'ait rien à voir avec l'utilité de ces articles et la nature particulière de leur valeur d'usage. Si la quantité a[27] d'une sorte de marchandise coûte un temps de travail b, toutes choses égales d'ailleurs, la quantité n * a requiert alors un temps de travail n * b. En outre, si la société veut satisfaire des besoins, exige qu'un article soit produit à cette fin, elle doit le payer. En effet, puisqu'il faut admettre que la production des marchandises suppose une division du travail, la société achète ces articles en utilisant pour les produire une partie de son temps de travail disponible. Elle les achète par conséquent avec une certaine quantité du temps de travail dont dispose cette société. La fraction de la société à laquelle incombe, par suite de la division du travail, d'employer son travail à la production desdits articles doit nécessairement recevoir en travail social un équivalent, sous forme d'articles destinés à subvenir à ses besoins. Cependant il n'existe qu'un lien fortuit et non nécessaire entre, d'une part, la quantité totale du travail social utilisé à produire un article social, ou encore la partie aliquote de sa force de travail totale que la société utilise pour la production de cet article, ou encore le volume que sa production occupe dans la totalité de la production et, d'autre part, la mesure dans laquelle la société exige satisfaction de ce besoin par l'article en question. Chaque article pris isolément ou toute quantité déterminée d'une catégorie de marchandises peut ne contenir que le travail social requis par sa production et, de ce point de vue, la valeur de marché de toute la catégorie représente seulement du travail nécessaire. Néanmoins, si la production de cette marchandise dépasse la mesure du besoin social, une partie du temps de travail social se trouve gaspillée; sur le marché, la masse de marchandises représente alors une quantité de travail social très inférieure à celle qu'elle contient effectivement. (Là seulement où la production se trouve sous le contrôle réel et planifié de la société, celle-ci établit le rapport entre le temps de travail social employé à produire certains articles et le volume des besoins sociaux à satisfaire par ces articles.) C'est pourquoi ces marchandises doivent être vendues au-dessous de leur valeur de marché: il se peut qu'une certaine fraction en devienne invendable. ‑ L'inverse se produit quand le volume du travail social utilisé à la production d'une catégorie de marchandises donnée est trop faible pour le volume du besoin social particulier que ce produit doit satisfaire. ‑ Mais quand la quantité de travail social utilisée à la production d'un certain article correspond au volume du besoin social à satisfaire, en sorte que la masse produite correspond au degré normal de reproduction, la demande restant constante, la marchandise est alors vendue à sa valeur de marché. L'échange ou la vente des marchandises à leur valeur est rationnel; c'est la loi naturelle de son équilibre et c'est à partir de cette loi qu'il faut expliquer les écarts et non inversement expliquer la loi elle-même à partir des écarts.

Voyons maintenant l'autre aspect du problème: la demande.

Les marchandises sont achetées comme moyens de production ou comme moyens de subsistance pour servir à la consommation productive ou individuelle, ‑ que certaines sortes de marchandises puissent servir aux deux fins ne change rien à l'affaire. Elles sont donc demandées d'une part par les producteurs qui sont ici les capitalistes (puisqu'il est sous-entendu que les moyens de production sont transformés en capital) et par les consommateurs, d'autre part. Ces deux faits semblent présupposer une certaine quantité de besoins sociaux du côté de la demande correspondant, du côté de l'offre, à un certain volume de production sociale dans les diverses sphères de production. Si l'industrie cotonnière veut assurer sa reproduction annuelle à une échelle donnée, une quantité traditionnelle de coton est pour cela nécessaire; si l'on tient compte de l'élargissement annuel de la reproduction par suite de l'accumulation de capital, il faut encore une quantité supplémentaire de coton, toutes choses égales d'ailleurs. Il en va de même pour les moyens de subsistance. La classe ouvrière doit retrouver au moins une même quantité de moyens de subsistance indispensables (encore que leur répartition entre les diverses catégories ait pu subir plus ou moins de changements), si elle veut continuer à vivre moyennement comme par le passé. Compte tenu de l'accroissement annuel de la population, il lui faut également une quantité supplémentaire. Tout cela, à quelques nuances près, est également valable pour les autres classes.

Il semble donc que, du côté de la demande, il y ait un certain volume de besoins sociaux donnés qui, pour sa satisfaction, nécessite un article du marché en quantité déterminée. Mais la détermination quantitative de ce besoin est éminemment élastique et fluctuante. Sa fixité n'est qu'apparente. Si les moyens de subsistance étaient meilleur marché ou le salaire-argent plus élevé, les ouvriers achèteraient davantage et le "besoin social" de telle marchandise se révélerait plus grand, sans parler, bien entendu, des miséreux, etc., dont "la demande" se trouve encore au-dessous des limites les plus basses de leur besoin physique. D'autre part, si le coton par exemple était meilleur marché, la demande de coton de la part des capitalistes croîtrait et un capital additionnel serait jeté dans l'industrie cotonnière, etc. À ce propos, il ne faut pas du tout oublier que la demande pour la consommation productive est, dans notre hypothèse, la demande du capitaliste dont le but véritable est la production de plus‑value et que c'est seulement à cette fin qu'il produit une certaine catégorie de marchandises. N'empêche que par ailleurs et pour autant qu'il est, par exemple, acheteur de coton sur le marché, il représente le besoin en coton. Le vendeur se moque de savoir si l'acheteur transforme le coton en chemises ou en fulmicoton ou bien s'il prétend s'en servir pour boucher des oreilles, les siennes et celles de l'univers. Néanmoins, ceci est très important du point de vue du genre de marchandises dont il est acheteur. Son besoin en coton est essentiellement modifié du fait qu'en réalité il cache seulement son besoin de faire du profit. ‑ Les limites entre lesquelles le besoin en marchandises représenté sur le marché, c'est-à-dire la demande, diffère quantitativement du besoin social effectif varient, bien entendu, beaucoup pour les différentes marchandises; précisons qu'il s'agit ici de la différence entre la quantité de marchandise demandée et celle qui le serait si les prix de la marchandise ou les conditions d'existence et de fortune des acheteurs étaient autres.

Rien n'est plus facile à comprendre que les irrégularités dans l'offre et la demande ainsi que l'écart qui en résulte entre prix de marché et valeurs de marché. La difficulté commence avec la définition de ce qu'il faut entendre par l'express ion: l'offre couvre la demande.

L'offre et la demande coïncident quand leur rapport est tel que la masse de marchandise d'une branche de production donnée peut être vendue à sa valeur de marché, ni au-dessus, ni au-dessous. Voilà notre première constatation.

La seconde est: l'offre et la demande coïncident quand les marchandises sont vendables à leur valeur de marché.

En coïncidant, l'offre et la demande cessent leur action, et c'est précisément pour cette raison que la marchandise est vendue à sa valeur de marché. Quand deux forces égales agissent en sens opposé, elles s'annulent et ne se manifestent pas à l'extérieur. Des phénomènes se produisant dans ces conditions doivent trouver leur explication ailleurs que dans l'intervention de ces deux forces. Si l'offre et la demande s'annulent réciproquement, elles cessent d'expliquer quoi que ce soit; elles n'agissent pas sur la valeur de marché et laissent plus que jamais ce point dans l'obscurité: pourquoi la valeur de marché se traduit-elle justement dans telle somme d'argent et pas dans telle autre? Il est évident que les lois internes effectives régissant la production capitaliste ne peuvent trouver leur explication dans l'interaction de l'offre et la demande. (Nous écartons une analyse plus approfondie de ces deux éléments moteurs de la société qui n'aurait pas sa place ici.) Car ces lois n'apparaissent comme réalisées dans toute leur pureté que lorsque l'offre et la demande cessent d'agir, à savoir quand elles coïncident. En réalité, elles ne coïncident jamais. Si cela devait arriver une fois en passant, ce serait tout à fait par hasard; au point de vue scientifique, cette probabilité est nulle et n'a pas à être considérée. Mais, en économie politique, il est sous-entendu qu'elles coïncident. Pourquoi? Pour étudier les phénomènes dans leur forme normale, adéquate à leur concept, c'est-à-dire pour les considérer en dehors des apparences produites par le mouvement de l'offre et de la demande; en plus pour pouvoir découvrir et pour ainsi dire fixer la tendance réelle de leur mouvement. Car les inégalités sont de nature opposée; comme elles se succèdent sans cesse, elles se compensent, parce qu'elles vont en sens opposé; elles se neutralisent par leur contradiction même. Donc, si l'offre et la demande ne coïncident dans aucun cas particulier donné, leurs inégalités se succèdent de telle sorte qu'en considérant l'ensemble pour une période plus ou moins longue, l'offre et la demande coïncident toujours, étant donné qu'un écart d'un certain sens en provoque un autre de sens opposé. Mais le fait qu'elles coïncident résulte seulement de la moyenne de leurs variations passées et du mouvement continuel de leur contradiction. Considérés dans leur chiffre moyen, les prix de marché s'écartant des valeurs de marché s'équilibrent pour devenir égaux aux valeurs de marché du fait que les écarts par rapport à ces dernières s'annulent comme plus et moins. Loin d'avoir une importance seulement théorique, ce nombre moyen présente au contraire une importance pratique pour le capital dont l'investissement est calculé d'après les fluctuations et les compensations d'un laps de temps plus ou moins déterminé.

Le rapport de l'offre à la demande explique donc: d'une part, les seuls écarts des prix de marché par rapport aux valeurs de marché; d'autre part, la tendance à réduire ces écarts, c'est-à-dire la tendance à annuler l'action du rapport entre l'offre et la demande. (Nous ne considérerons pas ici les marchandises qui, par exception, ont des prix sans toutefois avoir de valeur.) L'offre et la demande peuvent provoquer de façon très variée l'annulation de l'effet produit par leur inégalité. Si, par exemple, le prix de marché baisse par suite d'une diminution de la demande, il se peut alors que du capital soit retiré; l'offre s'en trouvera diminuée. Mais il est également possible dans ce cas que la valeur de marché elle-même subisse une baisse à la suite d'in ventions diminuant le temps de travail nécessaire. Elle sera alors alignée sur le prix du marché. Si, inversement, la demande croît, entraînant un prix de marché supérieur à la valeur de marché, il est alors possible qu'une trop grande masse de capital soit dirigée sur une sphère de production, ce qui provoquerait un accroissement de la production; dans ce cas, le prix de marché lui-même tombe au-dessous de la valeur de marché. Enfin, la possibilité existe d'une hausse des prix qui réduit la demande elle-même. Une dernière éventualité est que, dans l'une ou l'autre sphère de production, la valeur de marché elle-même monte pour un temps plus ou moins long; cette hausse est due alors au fait qu'une partie des produits demandés au cours de cette période doit être produite dans des conditions pires.

Si le prix de marché est déterminé par l'offre et la demande, ces dernières sont déterminées par le prix de marché et, en poussant plus loin l'analyse, par la valeur de marché. Ceci paraît évident pour la demande dont le mouvement se fait en sens inverse du prix; elle augmente quand le prix baisse et inversement. Mais ce qui précède n'est pas moins valable pour l'offre; car les prix des moyens de production qui entrent dans la marchandise offerte au marché déterminent la demande de ces moyens de production, partant l'offre des marchandises, inséparable de la demande de ces moyens de production. Les prix du coton déterminent l'offre des tissus de coton.

Détermination de prix par l'offre et la demande et aussi détermination de l'offre et de la demande par les prix: à cette confusion s'ajoute que la demande détermine à son tour l'offre et inversement l'offre la demande; la production détermine le marché et le marché la production[28].

Même l'économiste ordinaire se rend compte (voir note) que sans le moindre changement de l'offre ou de la demande occasionné par des circonstances extérieures le rapport des deux peut changer à la suite d'un changement dans la valeur de marché des marchandises. Même lui, il doit reconnaître que l'offre et la demande doivent être égales pour obtenir la valeur de marché quelle qu'elle soit. Ceci signifie que le rapport entre l'offre et la demande n'explique pas la valeur de marché, mais au contraire que c'est elle qui explique les fluctuations de l'offre et de la demande. L'auteur des Observations poursuit ainsi après le passage cité dans la note: "Cependant ce rapport  (entre l'offre et la demande) doit toujours être un rapport d'égalité, si toutefois nous entendons toujours par “demande” et “prix naturel” (natural price) ce que nous avons compris jusqu'ici sous ces termes en nous référant à A. Smith; car ce n'est que dans le cas où l'offre égale la demande effective, ‑ et demande signifie ici celle qui ne veut payer ni plus ni moins que le prix naturel, ‑ que ce prix naturel est effectivement payé. Par conséquent, il peut y avoir à des périodes différentes deux prix naturels très différents pour la même marchandise et pourtant le rapport entre l'offre et la demande peut être le même dans les deux cas, à savoir le rapport d'égalité." L'auteur admet donc que pour deux natural prices (prix naturels) différents de la même marchandise et à des moments différents, l'offre et la demande peuvent et doivent chaque fois coïncider si la marchandise doit être vendue les deux fois à son prix naturel. Étant donné que dans les deux cas il n'existe aucune différence dans le rapport de l'offre à la demande, mais bien dans la grandeur du natural price lui-même, il est manifeste que celui-ci est déterminé indépendamment de l'offre et de la demande, qui sont même les moins qualifiées à le déterminer.

Pour qu'une marchandise puisse être vendue à sa valeur de marché, c'est-à-dire proportionnellement au travail social nécessaire qu'elle contient, la masse totale du travail social utilisée pour la totalité de cette sorte de marchandise doit correspondre à l'importance du besoin social existant pour cette marchandise, c'est-à-dire du besoin social solvable. La concurrence, les fluctuations des prix de marché qui correspondent aux fluctuations du rapport entre l'offre et la demande essaient sans cesse de ramener à ce niveau la quantité globale de travail employée pour chaque catégorie de marchandises.

Dans le rapport entre l'offre et la demande des marchandises se retrouve: primo, le rapport entre valeur d'usage et valeur d'é change, entre marchandise et argent, entre acheteur et vendeur; secundo, il s'y reflète le rapport entre producteur et consommateur, quoique tous deux puissent être représentés par des intermédiaires commerçants. Lorsqu'on considère l'acheteur et le vendeur, il suffit de les opposer l'un à l'autre individuellement pour pouvoir étudier leur rapport. Trois personnes sont suffisantes pour la métamorphose complète de la marchandise, donc aussi pour l'ensemble de la vente et de l'achat. A convertit sa marchandise en argent de B auquel il la vend; il reconvertit son argent en marchandise qu'il achète à C; tout le procès se déroule entre ces trois personnes. En outre, lors de notre étude sur l'argent, nous avons supposé que les marchandises sont vendues à leur valeur, parce qu'il n'y avait aucune raison pour considérer les prix comme s'écartant de la valeur, étant donné qu'il ne s'agissait que des modifications formelles que la marchandise subit lors de sa conversion en argent et de sa reconversion d'argent en marchandise. Dès qu'une marchandise somme toute est vendue et qu'une autre est achetée avec le montant de la vente, toute la métamorphose est là, devant nous; pour cela, il est indifférent que le prix de la marchandise soit au-dessous ou au-dessus de sa valeur. La valeur de la marchandise conserve son importance comme base, parce que c'est à partir d'elle seulement que le concept de l'argent peut être rationnellement développé. Le prix, de par son concept général, n'est d' abord que la valeur sous forme argent. Nous avons supposé, il est vrai, qu'en considérant l'argent comme moyen de circulation, une marchandise subit plus d'une métamorphose. Il faut étudier plutôt l'enchevêtrement social de cette métamorphose; c'est seulement ainsi qu'on parvient à la circulation de l'argent et au développement de sa fonction comme moyen de circulation. Mais, quelle que soit l'importance de cette relation pour le passage de l'argent à sa fonction comme moyen de circulation et pour la modification de forme qu'il subit par là, il n'en reste pas moins que cette relation est négligeable pour la transaction entre les divers acheteurs et vendeurs.

Par contre, dans l'offre et la demande, l'offre est égale à l'ensemble des vendeurs ou des producteurs d'une certaine catégorie de marchandises et la· demande égale à la totalité des acheteurs ou des consommateurs de la même catégorie de marchandises (qu'ils soient individuels ou productifs). Les deux groupes agissent l'un sur l'autre en tant qu'unités et qu'agrégat de forces. L'individu n'agit, ici, que comme partie d'une force sociale, comme atome de la masse. C'est sous cette forme que la concurrence fait valoir le caractère social de la production et de la consommation.

Le côté de la concurrence momentanément le plus faible est aussi celui où l'individu agit indépendamment de la masse de ses concurrents et souvent contre elle; ce qui rend justement l'interdépendance plus sensible. Par contre, le côté le plus fort affronte toujours l'adversaire comme unité plus ou moins homogène. Si pour une catégorie donnée de marchandise la demande est supérieure à l'offre, un acheteur surenchérit sur l'autre, sans toutefois dépasser une certaine limite; ce faisant, il rend pour tous la marchandise plus chère que sa valeur de marché[29] tandis que, de l'autre côté, l'ensemble des vendeurs essaient de vendre à un prix de marché élevé. Inversement, que l'offre soit plus grande que la demande, quelqu'un commence à vendre meilleur marché et les autres sont obligés de l'imiter, tandis que les acheteurs s'efforcent en commun de faire descendre le plus possible le prix de marché au-dessous de la valeur de marché. Le front commun n'intéresse chacun que pour autant qu'il y gagne plus en en faisant partie qu'en agissant contre lui. L'action commune cesse dès que le camp, dans son ensemble, a le dessous; chacun de son côté cherchera alors à s'en sortir aussi bien que possible par ses propres moyens. En outre, si quelqu'un arrive à produire à meilleur compte, à vendre davantage et à s'emparer ainsi d'une partie plus importante du marché en vendant au-dessous du prix de marché courant ou de la valeur de marché, il le fait, et par là débute l'action qui force, petit à petit, les autres à adopter, eux aussi, le mode de production moins onéreux, ramenant le travail socialement nécessaire à un niveau inférieur. Si un camp l'emporte, chacun de ses membres y gagne; tout se passe comme s'ils avaient à faire valoir un monopole commun. Un camp est-il le plus faible, chacun essayera pour son propre compte d'être le plus fort (par exemple, en travaillant à des frais de production moindres); il essayera du moins de se débrouiller aussi bien que possible et se désintéressera parfaitement de son voisin, bien que son action n'affecte pas seulement lui-même, mais aussi tous ses compères[30].

L'offre et la demande supposent la transformation de la valeur en valeur de marché et dans la mesure où elles jouent sur la base capitaliste, à savoir que les marchandises sont des produits du capital, elles supposent des procès de production capitalistes autrement complexes que les simples achat et vente de marchandises. Dans ces procès, il ne s'agit pas de la conversion formelle de la valeur des marchandises en prix, c'est -à-dire d'un simple changement de forme; il s'agit bien plutôt de certains écarts quantitatifs des prix de marché par rapport aux valeurs de marché et aussi aux prix de production. Dans l'achat et la vente simples il suffit d'affronter des producteurs de marchandises en tant que tels. Lorsqu'on pousse l'analyse plus avant, on constate que l'offre et la demande supposent l'existence des différentes classes et subdivisions de classe qui répartissent entre elles le revenu total de la société et le consomment comme tel et qui engendrent donc la demande que le revenu autorise. Par ailleurs, cette offre et cette demande nécessitent l'intelligence de toute la structure du procès de production capitaliste si l'on veut comprendre comment elles prennent naissance au sein même des producteurs.

Dans la production capitaliste, il ne s'agit pas seulement de retirer, en échange de la masse de valeur jetée dans la circulation sous forme marchandise, une masse de valeur équivalente sous une autre forme ‑ que ce soit de l'argent ou une autre marchandise ‑, mais il s'agit plutôt d'en retirer pour le capital avancé à la production une plus‑value ou un profit égaux à ceux que rapporte tout autre capital de même grandeur ou au prorata de sa grandeur, quelle que soit la branche de production où il est utilisé; il s'agit donc au moins comme minimum de vendre les marchandises à des prix comportant le profit moyen, c'est-à-dire aux prix de production. Sous cette forme, le capital prend conscience qu'il est une force sociale à laquelle chaque capitaliste participe proportionnellement à sa part de l'ensemble du capital social.

Premièrement, la production capitaliste en soi ne s'intéresse pas à telle ou telle valeur d'usage et la particularité de la marchandise qu'elle produit lui est généralement indifférente. Ce qui lui importe dans chaque sphère de production est seulement de produire de la plus‑value et de s'approprier, dans le produit du travail, une certaine quantité de travail non payé. De même, il est dans la nature du salariat assujetti au capital d'être indifférent quant au caractère spécifique de son travail, d'être forcé de subir des changements suivant les nécessités du capital et de se laisser jeter d'une sphère de production dans une autre.

Deuxièmement, il est vrai qu'une sphère de production en vaut une autre; chacune rapporte le même profit; elle serait sans utilité si la marchandise qu'elle produit ne correspondait pas à un besoin social quelconque.

Mais, lorsque les marchandises sont vendues à leur valeur, des taux de profit très différents s'établissent, comme nous l'avons vu plus haut, dans les diverses sphères de production; ces différences sont dues à la composition organique différente des masses de capitaux investis dans ces sphères. Mais c'est un fait que le capital abandonne une sphère à taux de profit peu élevé et se précipite sur celle qui comporte un taux de profit plus important. Par ce va-et-vient perpétuel, par la façon dont il se répartit entre les différentes sphères suivant que le taux de profit baisse par-ci et augmente par-là, le capital provoque un rapport entre l'offre et la demande tel qu'il entraîne l'égalité du profit moyen dans les différentes sphères de production, d'où la transformation des valeurs en prix de production. Le capital réussit plus ou moins cette égalisation; il la réussit d'autant mieux que le développement capitaliste dans une communauté nationale donnée est plus grand, c'est-à-dire que les conditions du pays en question sont mieux adaptées au mode de production capitaliste. À mesure que celle-ci progresse, ses conditions se développent; elle soumet toutes les données de la société dans laquelle se déroule le procès de production à son caractère spécifique et à ses lois immanentes.

Le nivellement constant des inégalités non moins constantes s'accomplit d'autant plus vite que: 1° le capital est plus mobile, partant plus facile à transférer d'une sphère ou d'une place à une autre; 2° que la force de travail peut être jetée plus aisément d'une sphère à une autre, d'un point local de la production à un autre. Le premier point suppose une liberté du commerce totale à l'intérieur de la société et la suppression de tous les monopoles, sauf ceux qui sont naturels, c'est-à-dire qui résultent du mode de production capitaliste lui-même. De plus, il suppose le développement du système de crédit qui, face aux capitalistes isolés, concentre la masse inorganique du capital social disponible; enfin, la subordination des différentes sphères de production aux capitalistes. Cette dernière condition est déjà incluse dans notre hypothèse, à savoir que la conversion des valeurs en prix de production concerne toutes les sphères de production exploitées sur la base capitaliste. Mais le nivellement lui-même se heurte à des difficultés plus grandes encore quand de nombreuses et très importantes sphères de production dont l'exploitation n'est pas capitaliste (comme, par exemple, l'agriculture des petits paysans) s'intercalent entre les entreprises capitalistes et s'entrelacent avec elles. Enfin, le premier point présuppose une grande densité de la population. Venons au second point: il est conditionné par l'abrogation de toutes les lois empêchant les ouvriers de passer d'une sphère de production à une autre, d'un lieu de production à n'importe quel autre; il suppose l'indifférence de l'ouvrier à l'égard du contenu de son travail; la réduction aussi grande que possible du travail dans toutes les sphères de production à du travail simple; la disparition de tout préjugé professionnel de la part des ouvriers; enfin et surtout, la soumission de l'ouvrier au système de production capitaliste. D'autres précisions sur ce sujet ont leur place dans une étude spéciale sur la concurrence.

De ce que nous venons de dire, il résulte que chaque capitaliste individuel, tout comme l'ensemble des capitalistes dans chaque sphère de production particulière, participe à l'exploitation de toute la classe ouvrière par l'ensemble du capital et au degré de cette exploitation non seulement par sympathie générale de classe, mais par intérêt économique direct, parce que le taux moyen du profit dépend du degré d'exploitation du travail total par le capital total (en supposant données toutes les autres conditions, y compris la valeur de l'ensemble du capital constant avancé).

Le profit moyen coïncide avec la plus‑value moyenne que le capital produit en pourcents; et, quant à la plus‑value, l'exposé ci-dessus est, a priori, évident. Au profit moyen ne s'ajoute que la valeur du capital avancé comme un des facteurs déterminants du taux de profit. En effet, l'intérêt particulier que prend un capitaliste, ou le capital d'une sphère de production déterminée, à l'exploitation des ouvriers directement occupés par lui se borne à la possibilité de tirer un supplément, un profit dépassant le profit moyen, soit par un surmenage exceptionnel, soit par un abaissement du salaire au-dessous de la moyenne, soit par une productivité exceptionnelle du travail employé. Ceci mis à part, un capitaliste qui, dans sa sphère de production, n'emploierait pas de capital variable, partant pas d'ouvriers (hypothèse en réalité exagérée), serait tout aussi intéressé à l'exploitation de la classe ouvrière par le capital et retirerait tout autant son profit du surtravail non payé qu'un capitaliste qui n'utiliserait que du capital variable et dépenserait en salaire tout son capital (hypothèse tout aussi exagérée). Mais, pour une journée de travail donnée, le degré d'exploitation du travail dépend de l'intensité moyenne du travail; pour une intensité donnée, il dépend de la longueur de la journée de travail. Du degré d'exploitation du travail dépend le montant du taux de plus‑value, partant, pour une masse globale donnée de capital variable, la grandeur de la plus‑value, donc du profit. L'intérêt spécial que prend le capital d'une sphère, se distinguant par là du capital total, à l'exploitation des ouvriers spécialement occupés par lui, le capitaliste individuel le trouve, se distinguant par là de sa sphère, à l'exploitation des ouvriers qu'il exploite personnellement.

Par ailleurs, chaque sphère particulière du capital et chaque capitaliste individuel ont le même intérêt à la productivité du travail social employé par la totalité du capital. Car deux choses en dépendent: 1° la masse des valeurs d'usage par lesquelles s'exprime le profit moyen; ceci est doublement important dans la mesure où ce profit moyen sert aussi bien de fonds d'accumulation de capital nouveau que de fonds de revenu affecté à la consommation; 2° la grandeur de la valeur du capital total avancé (constant et variable) qui détermine le taux de profit ou le profit d'une certaine masse de capital, la grandeur de la plus‑value ou du profit de toute la classe capitaliste étant donnée. La productivité particulière du travail dans une sphère particulière ou dans une affaire particulière de cette sphère n'intéresse directement que les capitalistes qui y participent, dans la mesure où elle permet à la sphère isolée par rapport au capital total ou au capitaliste individuel par rapport à sa sphère de réaliser un profit extra.

Ceci démontre, avec une exactitude mathématique, pourquoi les capitalistes, bien qu'ils se comportent en faux frères dans leur concurrence entre eux, constituent néanmoins une véritable franc-maçonnerie vis-à-vis de l'ensemble de la classe ouvrière.

Le prix de production inclut le profit moyen. Nous l'avons appelé prix de production, mais c'est en fait ce qu'Adam Smith appelle natural price [prix naturel), Ricardo price of production, cost of production [prix de production, frais de production], les physiocrates "prix nécessaires", ‑ aucun d'eux n'a développé la différence entre prix de production et valeur. Si nous l'avons ainsi nommé, c'est parce qu'à la longue il est la condition de l'offre, de la reproduction de la marchandise de chaque sphère de production particulière[31]. On conçoit aussi pourquoi ces mêmes économistes qui se hérissent contre la détermination de la valeur des marchandises par le temps de travail, par la quantité de travail qu'elles contiennent, parlent toujours des prix de production comme étant les centres autour desquels oscillent les prix de marché. Ils peuvent se le permettre parce que le prix de production représente une forme de la valeur-marchandise déjà extériorisée et, de toute évidence, dénuée de contenu, une forme telle qu'elle apparaît dans la concurrence et par là dans la conscience du capitaliste vulgaire et qui par conséquent existe dans celle de l'économiste vulgaire.

*

Par notre développement, nous avons montré comment la valeur de marché (et tout ce qui en a été dit est valable, avec les restrictions nécessaires, pour le prix de production) renferme un surprofit pour ceux qui produisent dans les meilleures conditions dans chaque sphère de production particulière. Si l'on excepte les cas de crise et de surproduction, cela vaut pour tous les prix de marché quels que soient leurs écarts par rapport aux valeurs de marché ou aux prix de production de marché, car le prix de marché implique que les marchandises de même espèce sont payées au même prix, bien qu'elles puissent être produites dans des conditions individuelles très différentes et entraîner par conséquent des coûts de production très différents (nous ne parlerons pas ici es surprofits qui sont la conséquence de monopoles dans le sens ordinaire, qu'ils soient artificiels ou naturels). Un surprofit peut encore naître du fait que certaines sphères de production sont à même de se soustraire à la conversion de leur valeur-marchandise en prix de production partant à la réduction de leurs profits au profit moyen. Dans la section sur la rente foncière, nous aurons à examiner la forme que prendront ultérieure ment ces deux cas de sur profit.

Chapitre XI
Les effets des fluctuations générales du salaire sur les prix de production

Supposons que la composition moyenne du capital social soit 80 c + 20 v et le profit 20 %. Le taux de plus‑value est donc ici 100 %. Toutes choses égales d'ailleurs, une augmentation générale du salaire signifie un abaissement du taux de plus‑value. Pour le capital moyen, profit et plus‑value coïncident. Que le salaire augmente de 25 %; il faut alors 25 au lieu de 20 pour mettre en œuvre la même masse de travail. Au lieu de 80 c + 20 v + 20 p, nous avons par rotation une valeur de 80 c + 25 v + 15 p. Le travail mis en mouvement par le capital variable produit, comme auparavant, une somme de valeur de 40. Si v monte de 20 à 25 l'excédent pl ou p n'est plus que 15. Ce profit de 15 divisé par 105 donne 14 2/7 %; ceci serait le nouveau taux de profit moyen. Comme le prix de production des marchandises que produit le capital moyen coïncide avec leur valeur, le prix de production de ces marchandises n'aurait donc pas varié; l'augmentation du salaire aurait bien entraîné une diminution du profit, mais pas de changement ni dans la valeur ni dans le prix des marchandises.

Précédemment, quand le profit moyen était 20 %, le prix de production des marchandises produites dans une période de rotation déterminée égalait leur coût de production plus un profit de 20 % sur ce coût de production donc: pr + pr *  = pr + 20 * pr/100 où pr est une variable qui change suivant la valeur des moyens de production entrant dans les marchandises et le degré d'usure que le capital fixe, utilisé dans leur production, transmet au produit. Donc le prix de production s'élèverait maintenant à pr + 14 2/7 * pr/100.

Prenons d'abord un capital dont la composition est inférieure à celle qu'avait primitivement le capital social moyen 80 c + 20 v (qui s'est transformée maintenant en 76 4/21 c + 23 17/21 v)[32]. Prenons par exemple 50 c + 50 v. Admettons pour simplifier que tout le capital fixe entre comme usure dans le produit annuel et que le temps de rotation est le même que dans le cas I. Le prix de production du produit annuel s'élevait donc ici, avant l'augmentation de salaire, à 50 c + 50 v + 20 p = 120. Si le salaire augmente de 25 %, la masse de travail mis en mouvement restant constante, le capital variable croît de 50 à 62 1/2. En supposant que le produit annuel soit vendu au prix de production antérieur, soit 120, nous aurions 50 c + 62 1/2 v + 7 1/2 p ce qui donne un taux de profit de 6 2/3 %. Mais le nouveau taux du profit moyen est égal à 14 2/7 % et, comme nous supposons que toutes les autres conditions restent constantes, il n'y a pas de raison pour que le capital de 50 c + 62 1/2 v ne fasse pas aussi ce profit. Mais un capital de 112 1/2 fait, avec un taux de profit de 14 2/7, un profit de 16 1/14 [33]. Le prix de production des marchandises produites par ce capital est donc maintenant 50 c + 62 1/2 v + 16 1/14 p = 128 8/14. À la suite de l'augmentation de salaire de 25 %, le prix de production de la même quantité d'une marchandise identique est donc monté de 120 à 128 8/14, soit de plus de 7 %.

Faisons l'hypothèse inverse et prenons une sphère de production où la composition est supérieure à celle du capital moyen, par exemple: 92 c + 8 v. Ici aussi le profit moyen primitif est 20; en supposant encore que tout le capital fixe entre dans le produit annuel et que le temps de rotation soit le même que dans les cas I et II, le prix de production de la marchandise est, lui aussi, égal à 120.

Par suite de l'augmentation du salaire de 25 %, le capital variable croît de 8 à 10 pour une masse de travail constante; le coût de production des marchandises croît, lui, de 100 à 102; par ailleurs, le taux du profit moyen est tombé de 20 % à 14 2/7 %. Mais le rapport 100 : 14 2/7 = 102 : 14 4/7[34]. Le profit qui revient à 102 est donc égal à 14 4/7. Le produit total se vend par conséquent pr + pr *  = 102 + 14 4/7 = 116 4/7. Le prix de production a donc baissé de 120 à 116 4/7, soit de presque 3 % [35].

Les conséquences de l'augmentation de 25 % du salaire sont donc:

1. Pour un capital de composition sociale moyenne, le prix de production de la marchandise est resté constant;

2. Pour un capital de composition inférieure, le prix de production de la marchandise est monté bien que son augmentation ne se soit pas faite dans le même rapport que la diminution du profit;

3. Pour un capital de composition supérieure, le prix de production de la marchandise a baissé, bien que là encore cette baisse ne se soit pas faite dans le même rapport que celle du profit.

Comme le prix de production des marchandises produites par le capital moyen est resté constant, c'est-à-dire égal à la valeur du produit, la somme des prix de production des produits de tous les capitaux est donc, elle aussi, restée la même, c'est-à-dire égale à la somme des valeurs produites par le capital total; pour celui-ci, l'augmentation d'une part et la diminution d'autre part se compensent, ce qui l'aligne sur le capital social moyen.

Dans l'exemple II, le prix de production des marchandises augmente; dans l'exemple III, il baisse. Ces effets contraires provoqués par l'abaissement du taux de plus‑value ou la montée générale du salaire montrent déjà que le capitaliste ne peut pas trouver une compensation à la hausse des salaires dans le prix, puisqu'il est impossible qu'en III la baisse du prix de production puisse le dédommager de la diminution du profit, et qu'en II la hausse du prix empêche la diminution du profit. Dans les deux cas de hausse et de baisse du prix, le profit est le même que celui du capital moyen pour qui le prix est resté constant. C'est le même profit moyen pour II et pour III diminué de 5 5/7, soit d'un peu plus de 25 %. Il s'ensuit que, s'il n'y avait pas hausse du prix en II ni baisse en III, II se vendrait au-dessous et III au-dessus du nouveau profit moyen diminué. Suivant que 50, 25 ou 10 % du capital sont investis en travail, une augmentation du salaire aura forcément des conséquences différentes pour ceux qui ont dépensé en salaire respectivement 1/10, 1/4 ou 1/2 de leur capital. Selon que la composition du capital est au-dessous ou au-dessus de la composition sociale moyenne, la hausse des prix de production d'une part, leur baisse d'autre part ont pour seule cause le nivellement sur le nouveau profit moyen diminué[36].

Comment une baisse générale de salaire, correspondant à une hausse générale du taux du profit, partant des profits moyens, agirait-elle sur les prix de production de marchandises produites par des capitaux qui s'écartent de la composition sociale moyenne, soit dans un sens soit dans l'autre? Il nous suffit d'inverser le développement ci-dessus pour recevoir la réponse (Ricardo n'a pas examiné ce problème).

1. Capital moyen = 80 c + 20 v = 100; taux de plus‑value = 100 %; prix de production = valeur des marchandises = 80 c + 20 v + 20 p = 120; taux de profit = 20 %. Que le salaire baisse d'un quart, le même capital constant sera mis en mouvement par 15 v au lieu de 20 v. La valeur des marchandises est donc: 80 c + 15 v + 25 p = 120. La quantité de travail produite par v reste constante; seulement la nouvelle valeur ainsi créée se répartit différemment entre capitaliste et ouvriers. La plus‑value est montée de 20 à 25 et le taux de plus‑value de 20/20 à 25/15, donc de 100 % à 166 2/3 %. Pour 95, le profit est maintenant de 25 et le taux de profit pour 100 de 26 6/19. La nouvelle composition du capital exprimée en pourcents est donc: 84 4/19 c + 15 15/19 v = 100.

II. Composition inférieure. Primitivement elle est de 50 c + 50 v, comme ci-dessus. Par la baisse d'un quart du salaire v est réduit à 37 1/2, partant le capital total avancé à 50 v + 37 1/2 v = 87 1/2. En appliquant le nouveau taux de profit de 26 6/19 %, nous avons: 100 : 26 6/19 = 87 1/2 : 23 1/38. La même masse de marchandises, qui coûtait 120 précédemment, coûte maintenant 87 1/2 + 23 1/38 = 110 10/19; le prix baisse donc de presque 8 %[37].

III. Composition supérieure. Elle était primitivement de 92c + 8v = 100. Si le salaire baisse d'un quart, 8 v descend à 6 v et le capital total à 98. Nous avons donc: 100 : 26 6/19 = 98 : 25 15/19. Le prix de production de la marchandise; antérieurement de 100 + 20 = 120, est maintenant, après baisse du salaire, de 98 + 25 15/19 = 123 15/19; par conséquent il a augmenté de plus de 3 %[38].

On constate donc qu'il suffit de faire le même développement que précédemment, mais en sens inverse, tout en apportant les modifications nécessaires: qu'une baisse générale du salaire entraîne une hausse générale de la plus‑value, du taux de la plus‑value et, toutes choses égales d'ailleurs, du taux de profit, quoique en proportion différente; que les prix de production baissent pour les marchandises produites par des capitaux de composition inférieure; que les prix de production augmentent pour des marchandises produites par des capitaux de composition supérieure. Le résultat est donc exactement inverse de celui obtenu pour une hausse générale du salaire[39]. Dans les deux cas, de hausse et de baisse du salaire, la journée de travail est supposée constante ainsi que les prix de tous les moyens de subsistance nécessaires. Le salaire ne peut donc ici être abaissé que s'il se situait précédemment au-dessus du prix normal du travail ou s'il est abaissé au-dessous de ce prix. Dans la section sur la rente foncière nous continuerons partiellement l'examen du mécanisme par lequel les choses se modifient, lorsque la hausse ou la baisse du salaire proviennent d'un changement dans la valeur, partant dans les prix de production des marchandises qui entrent en général dans la consommation de l'ouvrier. Cependant, il faut faire ici, et une fois pour toutes, la remarque suivante:

Si la hausse ou la baisse du salaire provient d'un changement de valeur des moyens de subsistance nécessaires, une modification de ce que nous avons dit plus haut ne peut survenir que si les marchandises, qui, en changeant de prix, augmentent ou diminuent le capital variable, entrent aussi en tant qu'éléments constitutifs dans le capital constant et si, par conséquent, elles n'agissent pas seulement sur le salaire. Mais, dans le cas où elles se bornent à influer sur le salaire, le développement ci-dessus demeure exhaustif.

Dans tout ce chapitre, nous avons supposé que l'établissement du taux général du profit, du profit moyen, donc aussi la transformation des valeurs en prix de production étaient des faits établis. Il restait à savoir comment une augmentation ou une baisse générale du salaire agissent sur les prix de production des marchandises que nous avons considérés comme donnés. Mais ceci est un problème très secondaire comparé à tous les autres points importants traités dans cette section. C'est pourtant le seul problème relatif à notre étude présente que Ricardo traite, bien que de façon partielle et insuffisante, comme nous le verrons plus loin.

Chapitre XII
ADDENDA

I. Causes qui entraînent une modification du prix de production.

Le prix de production d'une marchandise ne peut varier que pour deux causes. Premièrement, le taux général du profit change; pour ce faire, il faut que le taux moyen de plus‑value lui-même varie ou bien, si ce taux est constant, que varie le rapport de la somme des plus‑values accaparées à la somme de tout le capital social avancé.

Quand la modification du taux de plus‑value ne repose pas sur un abaissement ou une augmentation du salaire par rapport à son niveau normal ‑ de tels mouvements doivent être considérés comme purement oscillatoires ‑, elle peut d'abord provenir d'une hausse ou d'une baisse de la valeur de la force de travail; ni l'une ni l'autre ne peuvent intervenir sans un changement dans la productivité du travail produisant des moyens de subsistance, partant sans modification dans la valeur des marchandises qui entrent dans la consommation de l'ouvrier.

Ou encore la modification du taux de plus‑value provient de ce que le rapport de la somme de plus‑value accaparée à tout le capital social avancé se modifie. Puisque ici la modification ne provient pas du taux de plus‑value, elle doit donc provenir du capital total, plus exactement de sa fraction constante dont la masse, du point de vue technique, augmente ou diminue proportionnellement à la force de travail achetée par le capital variable. Ainsi, sa valeur totale croît ou diminue avec l'accroissement ou la diminution de sa masse elle-même; elle varie donc aussi proportionnellement à la valeur du capital variable. Si le même travail met en mouvement une plus grande fraction de capital constant, le travail en est devenu plus productif. Dans le cas contraire, l'inverse se produit. Il y a donc eu modification dans la productivité du travail, il doit y avoir eu aussi modification dans la valeur de certaines marchandises.

Dans les deux cas, la loi suivante est valable: si le prix de production d'une marchandise varie à la suite d'un changement dans le taux général de profit et bien que sa propre valeur ait pu rester constante, il faut cependant qu'une modification de valeur se soit produite dans d'autres marchandises.

Deuxièmement, le taux général de profit reste constant. Alors le prix de production d'une marchandise ne peut changer que par suite d'une modification de sa propre valeur; ce qui veut dire qu'une quantité de travail plus ou moins grande est nécessaire pour la reproduire; la productivité du travail change soit dans l'élaboration définitive de la marchandise, soit dans la fabrication de celles qui entrent dans sa production. Le prix de production des filés de coton peut baisser parce que le coton brut est produit à meilleur compte ou parce que le travail de filage est devenu plus productif à cause d'une amélioration des machines.

Comme nous l'avons montré plus haut, le prix de production est égal à pr + p, c'est-à-dire coût de production + profit. Mais cette expression est égale à pr + pr * , où pr, coût de production, est une grandeur indéterminée qui change suivant les diverses sphères de production, mais qui est toujours égale à la valeur des capitaux constant et variable consommés dans la production de la marchandise et où  est le taux moyen du profit calculé en pourcents. Si pr = 200 et  = 20 %, le prix de production pr + pr *  = 200 + 200 * 20/100 = 200 + 40 = 240. Ce prix de production peut, évidemment, rester constant, bien que la valeur des marchandises change.

Toutes les variations du prix de production des marchandises se réduisent en dernière instance à un changement de valeur. Toutefois, un changement de valeur des marchandises ne se traduit pas toujours nécessairement par une variation du prix de production, celui-ci n'étant pas seulement déterminé par la valeur de la marchandise particulière, mais aussi par la valeur globale de toutes les marchandises. Une modification dans la marchandise A peut donc être compensée par une modification en sens contraire dans la marchandise B de sorte que le rapport général reste le même.

II. Prix de production des marchandises de composition moyenne.

Nous avons vu que l'écart des prix de production par rapport aux valeurs peut se produire pour les deux raisons suivantes:

1° Ce n'est pas la plus‑value contenue dans une marchandise, mais le profit moyen qui est ajouté à son coût de production;

2° Le prix de production d'une marchandise s'écartant ainsi de la valeur constitue un élément du coût de production d'autres marchandises; pour cette raison, le coût de production d'une marchandise peut donc se différencier déjà de la valeur des moyens de production qu'elle a consommés, abstraction faite de l'écart pouvant résulter pour elle de la différence entre le profit moyen et la plus‑value.

D'après ce qui précède, il est donc possible que même pour des marchandises produites par des capitaux de composition moyenne, le coût de production s'écarte de la valeur globale des éléments qui constituent cette fraction de son prix de production. Admettons une composition moyenne de 80 c + 20 v. Or, il se peut que dans les capitaux effectivement composés ainsi les 80 c soient supérieurs ou inférieurs à la valeur du capital constant c, parce que ce c est constitué de marchandises dont le prix de production est différent de leur valeur. De même, les 20 v pourraient s'écarter de leur propre valeur si, dans ce que le salaire consomme, entrent des marchandises dont le prix de production diffère de leur valeur. L'ouvrier doit par conséquent, pour racheter (pour remplacer) ces marchandises, travailler un temps plus ou moins long; il doit accomplir une quantité plus ou moins grande de travail nécessaire que celle qui serait requise si les prix de production des moyens de subsistance indispensables coïncidaient avec leurs valeurs.

Cependant, ces éventualités ne changent en rien l'exactitude des thèses énoncées pour les marchandises de composition moyenne. La quantité de profit qui échoit à ces marchandises est égale à la quantité de plus‑value qu'elles recèlent. Pour le capital ci-dessus, par exemple, composé de 80 c + 20 v, ce qui importe pour déterminer la plus‑value n'est pas de savoir si ces chiffres traduisent les valeurs effectives, mais plutôt dans quel rapport ils se trouvent; à savoir que v = 1/5 et c = 4/5 du capital total. Si c'est bien le cas, comme nous l'avons supposé plus haut, alors la plus‑value produite par v est égale au profit moyen. Ceci posé, le prix de production est égal au prix de revient plus le profit, soit pr + p = pr + pl; il est donc pratiquement égal à la valeur de la marchandise. Ceci veut dire que, dans ce cas, une augmentation ou un abaissement du salaire n'entraîne pas plus une modification de pr + p qu'ils ne le feraient pour la valeur de la marchandise; ils produisent simplement un mouvement en sens inverse, c'est-à-dire un abaissement ou une augmentation dans le taux du profit. Mais, si le prix des marchandises était réellement modifié du fait d'une hausse ou d'une baisse du salaire, le taux de profit serait alors dans ces sphères de composition moyenne au-dessus ou au-dessous du niveau qu'il atteint dans les autres sphères. Ce n'est que dans la mesure où le prix reste constant que la sphère de composition moyenne conserve un niveau de profit égal à celui des autres sphères. Pratiquement, tout se passe donc pour elle comme si les produits de cette sphère étaient vendus à leur valeur réelle. Lorsque des marchandises sont vendues à leur valeur réelle, il est évident que la hausse ou la baisse du salaire, toutes choses égales d'ailleurs, provoque bien une augmentation ou une diminution du profit, mais pas de modification dans la valeur des marchandises. Il est non moins évident, quelles que soient les circonstances, qu'une hausse ou une baisse du salaire ne peut jamais affecter la valeur des marchandises, mais seulement la grandeur de la plus‑value.

III. Les raisons de compensation du capitaliste.

Nous avons dit que la concurrence égalise les taux de profit des différentes sphères de production pour en faire le taux moyen de profit et transformer par là les valeurs des produits de ces diverses sphères en prix de production. La cause en est que du capital est perpétuellement transféré de l'une de ces sphères à une autre où, momentanément, le profit dépasse la moyenne; cependant, il faut tenir compte également des variations du profit liées à l'alternance des années maigres et des années grasses, telles qu'elles se succèdent dans une période et dans une branche d'industrie données. Ce va-et-vient ininterrompu du capital se produisant entre les diverses sphères de production provoque des mouvements ascendants et descendants du taux de profit qui se compensent plus ou moins réciproquement, montrant ainsi la tendance à réduire partout le taux de profit au même niveau général.

En premier lieu, ces mouvements des capitaux sont toujours occasionnés par le niveau des prix de marché qui, d'un côté, élèvent les profits au- dessus du niveau moyen général, d'un autre les abaissent au-dessous de ce niveau. Pour l'instant, nous laissons de côté le capital marchand qui n'intervient pas dans l'étude présente. Celui-ci peut, avec une rapidité extraordinaire, retirer des masses de capital d'un secteur commercial pour les jeter tout aussi rapidement dans un autre, comme cela se produit au cours de paroxysmes soudains dans la spéculation sur certains articles en vogue. Mais dans chaque sphère de production proprement dite ‑ industrie, agriculture, mines, etc., ‑ le transfert de capital d'une sphère à une autre présente des difficultés importantes, surtout à cause du capital fixe existant. En outre, l'expérience montre que lorsqu'une branche d'industrie, comme par exemple celle du coton, rapporte à certains moments des profits très élevés, elle comporte à d'autres moments un profit minime sinon une perte, en sorte que, dans un certain cycle d'années, le profit moyen est à peu près le même que celui des autres branches. Le capital a vite fait de tirer la leçon de cette expérience.

Mais ce que la concurrence ne montre pas, c'est la détermination de la valeur qui domine le mouvement de la production, ce sont les valeurs qui se dissimulent derrière les prix de production et, en dernière instance, les déterminent. Par contre, la concurrence montre: 1° les profits moyens qui sont indépendants de la composition organique du capital dans les diverses sphères de production; ils sont donc aussi indépendants de la masse de travail vivant qu'un capital donné s'est appropriée dans une sphère d'exploitation déterminée; 2° la hausse et la baisse des prix de production consécutives à une modification du salaire ‑ phénomène qui, de prime abord, est en complète contradiction avec le rapport de valeur des marchandises; 3° les fluctuations des prix de marché ramenant le prix de marché moyen des marchandises dans une période donnée, non pas à la valeur de marché, mais plutôt à un prix de production de marché qui diffère sensiblement de cette valeur. Tous ces phénomènes semblent contredire aussi bien la détermination de la valeur par le temps de travail que la nature de la plus‑value consistant en surtravail non payé. Donc dans la concurrence tout apparaît à l'envers. La forme achevée que revêtent les rapports économiques telle qu'elle se manifeste en surface, dans son existence concrète, donc aussi telle que se la représentent les agents de ces rapports et ceux qui les incarnent quand ils essayent de les comprendre, est très différente de leur structure interne essentielle mais cachée, du concept qui lui correspond. En fait, elle en est même l'inverse, l'opposé.

De plus, aussitôt que la production capitaliste a atteint un certain degré de développement, l'égalisation entre les différents taux de profit des sphères isolées et l'établissement consécutif d'un taux moyen de profit ne s'accomplissent nullement par le simple jeu d'attraction et de répulsion au cours duquel les prix de marché attirent ou repoussent du capital. Après que les prix moyens et les prix de marché correspondants se sont consolidés pendant un certain temps, les capitalistes individuels prennent conscience qu'au cours de cette uniformisation certaines différences se compensent et ils ne tardent pas à les inclure dans leurs comptes réciproques. Dans l'esprit des capitalistes, ces différences existent; ils en tiennent compte dans leurs raisons de compensation.

L'idée fondamentale en est le profit moyen lui-même, l'idée que des capitaux de même grandeur doivent nécessairement rapporter des profits égaux dans des laps de temps identiques. Ce qui est à la base de cette représentation est l'opinion que le capital de chaque sphère de production doit participer, proportionnellement à sa grandeur, à la totalité de la plus‑value que le capital social dans son ensemble a extorquée aux ouvriers; autrement dit, que chaque capital particulier est à considérer comme simple fraction du capital total et chaque capitaliste en fait comme actionnaire de l'entreprise globale, actionnaire qui participe au profit global suivant l'importance de sa part de capital.

C'est dans cette perspective que se place le calcul du capitaliste qui s'attribue tout de même, en se dédommageant par une hausse de prix, le profit qui lui échappe du fait, par exemple, qu'un capital effectue sa rotation plus lentement, soit que la marchandise s'attarde dans le procès de production, soit qu'elle doive être vendue sur des marchés éloignés. Ou bien des capitaux investis courant un certain risque, comme ceux des armateurs par exemple, obtiennent un dédommagement par augmentation des prix. Mais le risque est, en fait, le même pour toutes les sphères de production dès que le système d'assurances s'est développé, simultanément avec la production capitaliste (voir Corbet); les sphères qui comportent de plus gros risques paient des primes d'assurance plus élevées, mais elles en sont dédommagées par le prix de leurs marchandises. En pratique, tout revient à ceci: chaque circonstance rendant un capital investi plus ou moins rentable qu'un autre ‑ tous étant, dans certaines limites, considérés comme également nécessaires ‑, intervient dans le calcul en tant que raison de compensation valable une fois pour toutes, sans qu'il soit nécessaire pour cela que les effets de la concurrence se manifestent à nouveau pour justifier ce motif ou les facteurs intervenant dans le calcul. Le capitaliste oublie seulement ou plutôt il ne voit pas, puisque la concurrence ne le lui révèle pas, que toutes ces raisons de compensation que les capitalistes font valoir entre eux lors du calcul réciproque des prix de marchandise des différentes branches de production signifient seulement que tous prétendent, proportionnellement à leur capital, à une part égale du butin commun, c'est-à-dire de la plus‑value totale. Comme le profit encaissé diffère de la plus‑value que les capitalistes ont extorquée, il leur semble plutôt que les raisons de compensation ne servent pas à égaliser la participation à l'ensemble de la plus‑value, mais qu'elles créent le profit lui-même, parce qu'ils con sidèrent que le profit provient tout simplement d'une augmentation, quel qu'en soit le motif, du coût de production de la marchandise.

Pour le reste, tout ce qui a été dit au chapitre VII, sur l'idée que les capitalistes se font de l'origine de la plus‑value, vaut aussi pour le profit moyen. Là, le problème ne se pose autrement qu'en ce sens que pour un prix de marché des marchandises et une exploitation du travail donnés l'économie réalisée dans les coûts de production dépend de l'habileté individuelle, de l'attention, etc.

 

 

 

 

 

Notes



[1].       [321ignition] Le Capital - Livre premier, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1983, p. 50-51:

Certes, le caractère de ce travail moyen simple varie selon les pays et les époques culturelles, mais dans une société donnée il est donné. Le travail plus complexe ne vaut que comme potentialisation ou plutôt comme multiplication de travail simple, si bien qu'un quantum moindre de travail complexe sera égal à un quantum plus grand de travail simple. L'expérience montre que cette réduction se produit en permanence. Une marchandise aura beau être le produit du travail le plus complexe possible, sa valeur la met à parité avec un produit de travail simple; elle ne représente donc elle-même qu'un quantum déterminé de travail simple. Quant aux différentes proportions selon lesquelles différents types de travail se trouvent ramenés par réduction à l'unité de mesure que constitue le travail simple, elles sont établies au terme d'un processus social qui se déroule dans le dos des producteurs, si bien que ceux-ci s'imaginent qu'elles ont été données par la tradition. Pour simplifier les choses, nous considérerons désormais d'emblée toute espèce de force de travail comme de la force de travail simple: cela nous évitera tout simplement la peine d'opérer cette réduction.

[2].       Le passage ci-dessus se trouve déjà brièvement développé au début du chapitre XXIII dans la 3e édition du Livre Ier, p. 628 (t. III, p 54 et sq.). Comme les deux premières éditions ne contiennent pas ce passage, sa reproduction ici est d'autant plus importante. (F. E.) L'édition française contenait en fait déjà ce passage. (N. R.)

[3].       Dans la première édition et dans le manuscrit de Mars, "internationaux"; il s'agit évidemment d'une erreur de plume. (N. R.)

[4].       Il résulte du chapitre IV que l'énoncé ci-dessus n'est juste que si les capitaux A et B sont différents par leur composition de valeur, mais si leur composante variable, calculée en pourcentage, est proportionnelle à leur temps de rotation, ou inversement proportionnelle au nombre de leurs rotations. Si, par exemple, le capital A est composé, en pourcents, de 20c (capital fixe) + 70c (capital circulant), nous avons donc 90c + 10v = 100. Lorsque le capital effectue une rotation, le taux de plus‑value étant de 100 %, les 10v produisent 10pl, le taux du profit pour une rotation est donc 10 %. Si, par contre, le capital B est de 60c de capital fixe + 20v de capital circulant, nous avons: 80c + 20v = 100. Au cours d'une seule rotation, le taux de plus‑value étant toujours de 100, les 20v produisent 20pl; le taux du profit est donc 20 %, le double de celui de A. Supposons maintenant que A effectue deux rotations dans une année et B une seule, il rapportera dans l'année également 2 * 10 = 20pl, et le taux de profit annuel sera le même pour les deux, à savoir 20 %. (F. E.)

[5].       Cherbuliez: Riche ou pauvre, Paris-Genève, 1840, p. 116 et sq.

[6].       Le Capital, L. Ier, t. I, chap. IX, p. 218, (N. R.)

          [321ignition] Le Capital - Livre premier, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1983. Chapitre VII - Sous-chapitre 2, p. 246‑250.

[7].       [321ignition] Selon la convention d'écriture appliquée dans l'ensemble du Capital:

Soit C le capital total, qui se divise en un capital constant c et un capital variable v, et qui produit une plus‑value pl. Alors pl´ désigne le taux de plus‑value, c'est-à-dire pl´ = pl/v, et p´ désigne le taux de profit, c'est-à-dire pl/C.

[8].       Cf. p. 174 et suivantes, ainsi que p. 220 de ce tome. (N. R.) [321ignition: Cf. le présent document, ici et ici.]

[9].       Corbet: An Inquiry into the Causes and Modes of the Wealth of Individuals, Londres, 1841, p. 38 sq. et 174.

[10].     Il va de soi qu'on fait ici abstraction de la possibilité d'extorquer momentanément un profit extra par abaissement du salaire, prix de monopole, etc. (F. E.)

[11].     Dans la première édition il y a "caractère discontinu" (Unterbrochenheit), ce qui, de toute évidence, est une faute d'impression. Dans le manuscrit de Marx, il y a "permanent". (N. R.)

[12].     Malthus: Principles of Political Economy, 2e édition, Londress, 1836, p. 268.

[13].     Corbet: An Inquiry, etc., p. 20.

[14].     Dans la première édition: force de production, qui a été corrigée, dans ce passage comme dans les suivants, sur la base du manuscrit de Marx. (N. R.)

[15].     Dans la première édition, au lieu du signe d'égalité, il y a: mais aussi; modifié sur la base du manuscrit de Marx. (N. R.)

[16].     En 1865, il ne s'agissait en effet que d'une opinion de Marx. Aujourd'hui, après la vaste étude sur les communautés primitives, de Maurer jusqu'à Morgan, il s'agit d'un fait que personne ne discute plus. (F. E.)

[17].     Voir Le Capital, L. Ier, tome I, p. 98. (N. R.)

          [321ignition] Le Capital - Livre premier, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1983. Chapitre II, p. 100.

[18].     [321ignition] Cf.: Friedrich Engels, Complément et supplément au Livre 3 du Capital (Le Capital - Livre troisième - Tome I, Paris, Éditions sociales, 1969, p. 26‑44). Engels se réfère aux analyses qui précèdent, et développe le sujet plus en détail (p. 31 et suiv., ici ►).

[19].     Dans la première édition, comme dans le manuscrit de Marx: l'offre, ce qui est sans doute une erreur de plume, comme il résulte de la suite. (N. R.)

[20].     Dans la première édition: plus grande; correction faite sur la base du manuscrit de Marx. (N. R.)

[21].     Le Capital, L. Ier, t. I, chap. 1, § 3, p. 62 et suiv.

          [321ignition] Le Capital - Livre premier, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1983. Chapitre I - sous-chapitre 3, p. 53 et suiv.

[22].     K. Marx, Critique de l'économie politique, Berlin, 1859, p. 8.

[23].     Ibidem.

[24].     La discussion entre Storch et Ricardo au sujet de la rente foncière n'est qu'une querelle de forme; en réalité aucun des deux ne tient compte de l'autre. Il s'agit de trancher si la valeur de marché (qui, pour eux, est plutôt le prix de marché ou de production) est réglée par les marchandises produites dans les conditions les plus défavorables (Ricardo, ibidem, p. 38 sq.) ou par celles produites dans les conditions les meilleures (Storch, Cours d'économie politique, Pétersbourg. 1815, vol. II, p. 78 sq.]. Cette discussion se termine donc dans ce sens que tous deux ont en même temps tort et raison et que ni l'un ni l'autre n'ont tenu le moindre compte du cas moyen. À comparer avec Corbet (An Inquiry, etc., p. 42 sq.) sur les cas où le prix est réglé par les marchandises produites dans les meilleures conditions: "Cela ne signifie pas qu'il (Ricardo) ait voulu prétendre que deux lots isolés de deux articles différents, comme par exemple un chapeau et une paire de chaussures, s'échangent l'un contre l'autre quand ces deux lots sont fabriqués avec des quantités de travail égales. Sous le terme “marchandise”, nous devons ici comprendre “catégorie de marchandises” et non pas un unique chapeau en soie ou une seule paire de chaussures, etc. C'est pourquoi le travail global qui produit tous les chapeaux en Angleterre doit être considéré comme étant réparti entre tous les chapeaux. Il me semble que ceci n'a pas été exprimé dès le début dans les exposés généraux de cette doctrine." (Observations on certain verbal disputes in political economy, etc., Londres, 1821, p. 53‑54).

[25].     Dans la première édition: sich aufstellt = s'établisse; Corrigé sur la foi du manuscrit de Marx. (N. R.)

[26].     Le développement du premier point a commencé p. 196. (N. R.) [321ignition: c'est-à-dire ici.]

[27].     [321ignition] "a": manque dans la source, complété par nous.

[28].     Quelle stupidité que la “perspicacité” suivante: "Là où la masse des salaires, du capital et du terrain, nécessaire à la production d'une marchandise, s'est modifiée par rapport à ce qu'elle était avant, son prix naturel, comme dit Adam Smith, s'est également modifié. Ce prix qui, auparavant, était son prix naturel, devient sous l'effet de cette modification son prix de marché; bien que l'offre et la quantité demandée aient pu rester inchangées" (toutes les deux changent ici; justement parce que la valeur de marché ou le prix de production, dont il est question chez A. Smith, change à la suite d'une modification de valeur), "cette offre ne correspond pas assez exactement à la demande de ces personnes (is not now exactly enough for those persons) capables et désireuses de payer ce qui représente maintenant les frais de production; elle est ou plus grande ou plus petite, de sorte que le rapport entre l'offre et ce qui représente, eu égard aux nouveaux frais de production, la demande effective, est différent du précédent. Si rien ne s'y oppose, il se produira alors un changement dans l'offre qui amènera finalement la marchandise à son nouveau prix naturel. Certaines personnes croiraient alors devoir prétendre ‑ étant donné que la marchandise parvient à son prix naturel par une modification dans l'offre qu'on en fait ‑, que le prix naturel est dû au rapport entre l'offre et la demande, tout comme le prix de marché est dû à un autre rapport; il s'ensuit que le prix naturel dépend du rapport existant entre l'offre et la demande, tout comme le prix de marché et dans la même mesure. (“Le grand principe de l'offre et de la demande fut mis en oeuvre pour pouvoir déterminer aussi bien ce qu'A. Smith appelle prix naturels que ce qu'il appelle prix de marché.” Malthus)." (Observations on certain verbal disputes, etc., Londres, 1821, p. 60‑61). Cet homme intelligent ne comprend pas que, dans le cas présent, c'est justement le changement dans les frais de production (cost of production), partant dans la valeur, qui avait entraîné la modification de la demande et donc aussi du rapport entre l'offre et la demande. Cette modification de la demande peut donc amener une modification de l'offre, ce qui prouverait exactement le contraire de ce que notre penseur veut prouver; cela prouverait que la modification dans les frais de production n'est nullement réglée par le rapport offre-demande, mais qu'au contraire elle règle elle-même ce rapport.

[29].     Dans la première édition: prix de marché; corrigé d'après le manuscrit de Marx. (N. R.)

[30].     "Si chaque individu d'une classe ne pouvait obtenir d'avantage qu'une fraction donnée ou une partie aliquote du bénéfice et de l'avoir commun, il s'unirait volontiers (aux autres) pour faire monter les bénéfices" (c'est ce qu'il fait dès que le rapport entre l'offre et la demande le permet); "c'est là le monopole. Mais là où l'individu pense qu'il pourrait accroître par un moyen quelconque la grandeur absolue de sa propre part, même en utilisant un procédé qui diminue la somme totale, il le fera fréquemment; c'est la concurrence." (An Inquiry into those principles respecting the nature of demand, etc., Londres, 1821, p. 105.)

[31].     Malthus: Principles of political economy, Londres, 1836, p. 77 sq.

[32].     Il s'agit de la nouvelle composition 80c + 25v exprimée en pourcents. (N. R.)

[33].     Dans la première édition: approximativement 16 1/2; ce qui fait un prix de production de 128 7/12 calculé par Engels. Dans le manuscrit de Marx, on trouve le chiffre exact: 16 3/42. C'est lui que nous avons maintenu (après réduction de la fraction) et utilisé pour calculer le prix de production. (N. R.)

[34].     Dans la première édition: (approximativement). Ce mot ne se trouve pas dans le manuscrit de Marx. L'équation est effectivement exacte et pas seulement approximative. (N. R.)

[35].     Dans la première édition: plus de 3 %; dans le manuscrit de Marx il y a 3 3/7, ce qui indique le nombre absolu. Il correspond à 2 6/7 %. (N. R.)

[36].     Dans la première édition, il y a à cet endroit la phrase suivante: "Il est clair que si, en ce qui concerne les capitaux de composition inférieure (où v est au-dessus de la moyenne), l'établissement d'un taux général de profit abaisse les valeurs au cours de leur transformation en prix de production, il les élève en ce qui concerne les capitaux de composition supérieure." Corrigeant les fautes d'impression de la première édition, Engels écrit: "Toute la phrase à partir de “Il est clair” jusqu'à “de composition supérieure” doit être supprimée. Cette phrase, quoique exacte, peut induire en erreur dans ce contexte. (N. R.)

[37].     Dans la première édition il y a: presque 10 %; dans le manuscrit de Marx, ce passage dit: baisse de presque 10 %; en fait c'est le nombre absolu qui est donné ici. Il est plus exactement de 9 9/19 et correspond à 7 7/19 %. (N. R.)

[38].     Dans la première édition il y a: presque 4 %; dans le manuscrit de Marx, nous trouvons encore le nombre absolu soit 3 15/19 qui correspond à 3 3/19 %. (N. R.)

[39].     Il est extrêmement curieux que Ricardo (qui procède évidemment d'une manière différente de la nôtre, puisqu'il n'a pas compris que les valeurs s'alignent sur les prix de production) n'ait pas pensé à cela et n'ait considéré que le premier cas, à savoir la hausse du salaire et son influence sur les prix de production des marchandises (Principles, etc., Londres, 1852, p. 26 sq.). Et le servum pecus imitatorum (le troupeau servile des imitateurs) n'est pas allé, lui non plus, jusqu'à faire cette application pratique, réellement tautologique, qui, pourtant, va de soi.