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Karl Marx

Le Capital - Livre 1er
4e°section : La production de la survaleur relative

Chapitre 13 : La machinerie et la grande industrie
Sous-chapitres 1 à 4

 

 

Source:

Le Capital - Livre premier
Paris, Messidor/Éditions sociales, 1983, p. 416‑479 [1]

 

 

 

 

 

 

 

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Textes de Karl Marx ‑ Sommaire

 

 

 

 

 

 

1. Le développement de la machinerie

John Stuart Mill écrit dans ses Principes d'économie politique:

On peut se demander si toutes les inventions mécaniques faites jusqu' à ce jour ont allégé le labeur quotidien d'un quelconque être humain[2].

Mais telle n'est pas non plus, en aucun cas, la finalité de la machinerie utilisée de manière capitaliste. Semblablement à tout autre type de développement de la force productive du travail, elle est censée rendre les marchandises meilleur marché et raccourcir la partie de la journée de travail dont l'ouvrier a besoin pour lui-même, afin d'allonger l'autre partie de sa journée de travail, celle qu'il donne pour rien au capitaliste. Elle est un moyen pour produire de la survaleur.

Dans la manufacture, le point de départ du bouleversement du mode de production c'est la force de travail, dans la grande industrie c'est le moyen de travail. Il faudra donc étudier en premier lieu comment le moyen de travail est transformé d'outil en machine, ou en quoi la machine se distingue de l'instrument artisanal. Mais il ne s'agira là que de caractéristiques générales, car les époques de l'histoire de la société sont aussi peu séparées par des limites rigoureuses et abstraites que celles de l'histoire de la terre.

Les mathématiciens et les mécaniciens définissent l'outil comme une machine simple et la machine comme un outil composé ‑ idée que l'on trouve répétée ici et là par certains économistes anglais. Ils ne voient aucune différence essentielle entre les deux et donnent même le nom de machines aux puissances mécaniques simples que sont le levier, le plan incliné, la vis, le coin, etc.[3]. Toute machine se compose effectivement de ces puissances simples, quelle que soit la manière de les déguiser ou de les combiner. Mais, du point de vue économique, cette définition ne vaut rien, car il lui manque l'élément historique. D'un autre côté, on cherche la différence entre l'outil et la machine dans le fait que pour l'outil c'est l'homme qui est la force motrice, et que, pour la machine, c'est une force naturelle différente de celle de l'homme, un animal, l'eau, le vent, etc.[4]. Si l'on suivait ce critère, une charrue tirée par des boeufs, et ressortissant aux époques de production les plus diverses, serait une machine, et le métier à tisser circulaire** de Claussen qui est mû par la main d'un seul ouvrier et fabrique 96.000 mailles en une minute, serait un simple outil. Mieux, ce même métier** serait un outil quand il est actionné à la main, et une machine quand il est actionné à la vapeur. Et comme l'utilisation de la force animale est l'une des inventions les plus anciennes de l'humanité, la production mécanique précéderait de fait la production manuelle artisanale. Lorsqu'en 1735 John Wyatt fit connaître sa machine à filer, annonçant avec elle la révolution industrielle du XVIIIe siècle, il ne dit mot sur le fait que c'était un âne qui faisait fonctionner la machine à la place d'un homme, et pourtant c'est à l'âne que ce rôle revint. Une machine "à filer sans les doigts", tel était son programme[5].

Toute machinerie développée se compose de trois parties essentiellement différentes, la machine motrice, le mécanisme de transmission et enfin la machine-outil ou machine de travail. La machine motrice agit comme force d'actionnement du mécanisme entier. Soit elle produit sa propre force d'actionnement, comme la machine à vapeur, la machine calorique[6]*, la machine électromagnétique, etc., soit elle reçoit l'impulsion d'une force naturelle qui existe déjà indépendamment d'elle, comme la roue dans le moulin à eau la reçoit de la chute d'eau, l'aile du moulin à vent du vent, etc. Le mécanisme de transmission composé de volants, d'arbres de transmission, de roues dentées, de pignons coniques, de tiges, de cordes, de courroies, de poulies et d'engrenages intermédiaires des variétés les plus diverses, règle le mouvement, en modifie la forme là où c'est nécessaire, par exemple transforme un mouvement perpendiculaire en rotation, le distribue et le transmet à la machinerie-outil. Ces deux parties du mécanisme n'existent que pour communiquer le mouvement à la machine-outil; grâce auquel celle-ci s'empare de l'objet de travail et le transforme comme il convient. C'est de cette partie de la machinerie, la machine-outil, qu'est partie la révolution industrielle au XVIIIe siècle. Elle sert toujours et encore de point de départ chaque fois que l'on passe d'une exploitation artisanale ou manufacturière à une exploitation mécanisée.

Si nous observons maintenant de plus près la machine-outil ou machine de travail proprement dite, nous voyons réapparaître en substance, quoique souvent sous une forme très modifiée, les appareils et outils avec lesquels travaille l'artisan ou l'ouvrier de manufacture; mais au lieu d'être des outils de l'homme, ils sont à présent des outils d'un mécanisme ou des outils mécaniques. Ou bien la machine entière n'est qu'une version mécanique plus ou moins transformée du vieil instrument artisanal, comme dans le métier à tisser mécanique[7], ou bien les organes actifs fixés au bâti de la machine de travail sont de vieilles connaissances comme les fuseaux de la machine à filer, les aiguilles du métier à tisser les bas, les lames de la scie mécanique, les couteaux de la machine à hacher, etc. Ces outils se distinguent déjà par leur origine du corps proprement dit de la machine de travail. Ils sont en effet encore produits en grande partie de manière artisanale ou en manufacture, et c'est seulement ultérieurement qu'ils sont fixés au corps de la machine de travail lui-même produit à la machine[8]. La machine-outil est donc un mécanisme qui, après communication du mouvement correspondant, exécute avec ses outils les mêmes opérations que celles qu'exécutait autrefois l'ouvrier avec des outils semblables. Que la force motrice parte de l'homme ou de nouveau d'une machine ne change rien à la nature de la chose. Après le transfert de l'outil proprement dit de l'homme à un mécanisme, une machine prend la place d'un simple outil. La différence saute immédiatement aux yeux, même si l'homme reste encore le premier moteur. Le nombre des instruments de travail avec lesquels il peut agir simultanément est limité par le nombre de ses instruments de production naturels, ses organes corporels proprement dits. En Allemagne, on a d'abord tenté de mettre un fileur sur deux machines à filer, et de le faire travailler ainsi simultanément avec les deux mains et les deux pieds. C'était trop pénible. Par la suite, on a inventé un rouet à pied à deux fuseaux, mais les virtuoses du filage qui étaient capables de filer deux fils en même temps ont été quasiment aussi rares que les hommes à deux têtes. Par contre, la mule-jenny[9]* file d'emblée avec 12 à 18 fuseaux, le métier à tisser les bas tricote avec plusieurs milliers d'aiguilles simultanément, etc. Le nombre des outils que cette même machine-outil met simultanément en jeu est d'emblée affranchi de l'obstacle organique qui limite l'instrument artisanal d'un ouvrier.

Pour beaucoup d'outils manuels la différence entre l'homme, comme simple force motrice et comme ouvrier faisant marcher l'opérateur proprement dit, s'exprime dans une existence physiquement distincte. Par exemple, sur le rouet, le pied n'agit que comme force d'actionnement, tandis que c'est la main qui travaille au fuseau, file et tourne, qui accomplit l'opération du filage proprement dit. C'est précisément de cette dernière partie de l'instrument artisanal que s'empare d'abord la révolution industrielle, laissant encore au début à l'homme, en plus de son nouveau travail qui consiste à surveiller des yeux la machine et à corriger ses erreurs à la main, le rôle purement mécanique de la force d'actionnement. Par contre, les instruments sur lesquels l'homme n'agit d'emblée que comme simple force d'actionnement, qu'il s'agisse, par exemple, de tourner la manivelle d'un moulin[10], de pomper, de lever ou baisser les bras d'un soumet, d'écraser dans un mortier, etc. sont les premiers à entraîner l'utilisation des animaux, de l'eau, du vent[11] comme forces motrices. Pendant la période manufacturière, et sous forme sporadique, longtemps auparavant, ils tendent partiellement à devenir des machines, mais ils ne révolutionnent pas le mode de production. Dans la période de la grande industrie, il devient évident qu'ils étaient déjà des machines même sous leur forme d'outils artisanaux. Les pompes, par exemple, avec lesquelles les Hollandais ont vidé le lac de Haarlem en 1836‑1837, étaient construites selon le principe des pompes ordinaires, sauf que leurs pistons étaient actionnés par des machines à vapeur cyclopéennes au lieu de l'être par des mains humaines. En Angleterre, le soufflet ordinaire et très imparfait du forgeron est encore parfois transformé en pompe à air mécanique par simple raccordement de son bras à une machine à vapeur. La machine à vapeur proprement dite, telle qu'elle fut inventée à la fin du XVIIe siècle pendant la période manufacturière, et poursuivit son existence jusqu'au début de la huitième décennie du XVIIIe siècle[12], n'a provoqué aucune révolution industrielle. C'est à l'inverse beaucoup plus la création des machines-outils qui a rendu nécessaire la révolution de la machine à vapeur. Dès lors que l'homme, au lieu d'agir avec l'outil sur l'objet de travail, n'agit plus que comme force d'actionnement sur une machine-outil, l'habillage de cette force en muscles humains est d'ordre contingent, et le vent, l'eau, la vapeur, etc. peuvent prendre sa place. Ceci n'exclut pas, évidemment, qu'un tel changement provoque souvent d'importantes modifications techniques du mécanisme qui n'était à l'origine construit que pour la force d'actionnement humaine. De nos jours, toutes les machines qui doivent d'abord se frayer un chemin et s'imposer, comme les machines à coudre, machines à pétrir, etc., quand leur destination n'est pas d'emblée incompatible avec de petites dimensions, sont construites à la fois pour une force d'actionnement humaine et pour une force purement mécanique.

La machine, qui est à la base de la révolution industrielle, remplace l'ouvrier manipulant son outil singulier, par un mécanisme qui opère en une fois avec quantité de ces outils ou d'outils de même espèce, et qui est mû par une seule force d'actionnement, quelle qu'en soit la forme[13]. Nous avons ici la machine, mais seulement comme élément simple de la production mécanique.

L'augmentation du volume de la machine de travail et du nombre de ses outils, qui opèrent en même temps, implique un mécanisme moteur plus volumineux, et ce mécanisme, pour vaincre sa propre résistance, implique une force motrice plus puissante que celle de l'homme, sans parler du fait que l'homme est très imparfait comme instrument de production de mouvement uniforme et continu. Une fois posé qu'il n'agit plus que comme simple force d'actionnement, c'est-à-dire qu'une machine-outil prend la place de son instrument, des forces naturelles peuvent aussi à présent le remplacer en tant que force d'actionnement. De toutes les grandes forces motrices issues de la période manufacturière, la force du cheval était la plus mauvaise, en partie parce qu'un cheval n'en fait qu'à sa tête, en partie à cause de son coût et de la faible ampleur de ses possi­bilités d'emploi dans les fabriques[14]. Pourtant le cheval a été abondamment utilisé aux débuts de la grande industrie comme en témoigne, outre les lamentations des agronomes de cette époque, le simple fait qu'on exprime la force mécanique en cheval-vapeur, expression encore en vigueur aujourd'hui. Le vent était trop inconstant et incontrôlable, et, au demeurant, en Angleterre, pays natal de la grande industrie, l'utilisation de la force hydraulique était déjà prédominante pendant la période manufacturière. Au XVIIe siècle, on avait déjà essayé de mettre en mouvement deux meules et donc aussi deux tournants au moyen d'une seule roue hydraulique. Mais l'accroissement du volume du mécanisme de transmission entra alors en conflit avec la force hydraulique désormais insuffisante et ce fut là l'un des facteurs qui conduisirent à une étude plus précise des lois du frottement. De la même façon, l'action inégale de la force motrice dans les moulins mus par poussée et traction de balanciers aboutit à la théorie et aux applications du volant[15] qui jouera plus tard un rôle si important dans la grande industrie. C'est ainsi que la période manufacturière a développé les premiers éléments scientifiques et techniques de la grande industrie. Les filatures à métiers continus** d'Arkwright furent actionnées hydrauliquement dès le début. Cependant l'emploi de la force hydraulique comme force dominante allait de pair avec des facteurs qui rendaient les choses plus difficiles. Il n'était pas possible de l'augmenter à volonté ni de suppléer à son éventuelle insuffisance; elle avait parfois des défaillances, et surtout était de nature purement locale[16]. C'est seulement avec la deuxième machine à vapeur de Watt, dite à double effet, qu'on disposa d'un premier moteur produisant lui-même sa force motrice à partir de l'ingestion de charbon et d'eau, et dont le potentiel énergétique était entièrement sous le contrôle de l'homme. À la fois mobile et moyen de locomotion, citadin et non assigné à la campagne comme la roue hydraulique, il permet la concentration de la production dans les villes au lieu de la disséminer dans les campagnes comme le fait la roue hydraulique[17]. Il est universel dans son application technologique, et son lieu d'implantation dépend relativement peu des circonstances locales. Le grand génie de Watt s'exprime dans le descriptif du brevet qu'il prit en avril 1784, et dans lequel sa machine à vapeur est décrite non pas comme une invention destinée à des fins particulières mais comme le principe général de la grande industrie. Il y suggère des applications dont certaines, comme par exemple le marteau-pilon à vapeur, ne furent introduites que plus d'un demi-siècle plus tard. Ce qui ne l'empêchait pas, en même temps, de douter de l'applicabilité de la machine à vapeur à la navigation maritime. Ce sont ses successeurs, Boulton et Watt, qui exposèrent en 1851, à l'Exposition industrielle de Londres, la plus gigantesque machine à vapeur destinée aux steamers transocéaniques. C'est seulement après que les outils eurent été transformés d'outils de l'organisme humain en outils d'un appareil mécanique, la machine-outil, que la machine motrice acquit aussi une forme autonome, totalement affranchie des limites de la force humaine. La machine-outil isolée, que nous avons examinée jusqu'à présent, tombe par là même au rang de simple élément de la production mécanisée. Désormais une machine motrice pouvait actionner simultanément de nombreuses machines de travail. La machine motrice croît avec le nombre des machines de travail mises simultanément en mouvement, et le mécanisme de transmission s'agrandit pour devenir un vaste appareil.

Il faut maintenant distinguer deux choses, la coopération de plusieurs machines analogues et le système de machines.

Dans le premier cas, toute la fabrication est accomplie par la même machine de travail. Elle exécute toutes les différentes opérations qu'accomplissait un artisan avec son outil, par exemple le tisserand avec son métier, ou qu'exécutaient l'un après l'autre des artisans avec divers outils, soit à titre autonome soit en tant que membres d'une manufacture[18]. Dans la manufacture moderne d'enveloppes, par exemple, un ouvrier pliait le papier avec le plioir, un autre appliquait la gomme, un troisième repliait le rabattant sur lequel est imprimée la devise, un quatrième la bosselait, etc. chaque enveloppe prise une à une devant changer de mains pour chacune de ces opérations partielles. Aujourd'hui une seule machine à enveloppes accomplit toutes ces opérations d'un coup et fait en une heure 3.000 enveloppes et plus. Une machine américaine destinée à fabriquer des cornets de papier, présentée à l'exposition industrielle de Londres en 1862, coupe le papier, colle, plie et achève 300 unités à la minute. La totalité du processus qui, dans la manufacture, était divisé et exécuté en séquence continue est ici réalisé par une seule machine de travail qui agit grâce à la combinaison de différents outils. Que cette machine de travail soit simplement la renaissance mécanique d'un outil manuel artisanal assez complexe ou la combinaison d'instruments simples diversifiés et particularisés pour le travail en manufacture, c'est toujours la coopération simple qui réapparaît dans la fabrique, c'est-à-dire dans l'atelier fondé sur l'emploi des machines, et ce d'abord (abstraction faite ici de l'ouvrier) sous la forme d'une agglomération spatiale de machines de travail analogues et agissant ensemble en même temps. Ainsi, une fabrique de tissage est constituée par la juxtaposition de nombreux métiers à tisser mécaniques, et une fabrique de confection, par la juxtaposition de nombreuses machines à coudre dans le même bâtiment de travail. Mais il existe ici une unité technique, en ce sens que ces nombreuses machines de travail identiques reçoivent simultanément et uniformément leur impulsion du battement de coeur du premier moteur commun, qui leur est transmise par le mécanisme de transmission, lequel leur est aussi en partie commun puisqu'il n'est relié à chaque machine-outil prise séparément que par une ramification de connexions particulières. De même que de nombreux outils forment les organes d'une machine de travail, de nombreuses machines de travail ne forment plus maintenant que les organes semblables d'un même mécanisme moteur.

Mais un système de machines proprement dit ne remplace la machine autonome isolée que lorsque l'objet de travail parcourt une série continue de procès différents échelonnés qui sont exécutés par une chaîne de machines-outils différenciées mais qui se complètent les unes les autres. La coopération par division du travail, caractéristique de la manufacture, reparaît ici, mais cette fois comme combinaison de machines de travail partiel. Les outils spécifiques des différents ouvriers partiels, par exemple, dans une manufacture lainière, ceux des batteurs, des cardeurs, des tondeurs, des fileurs, etc. se transforment maintenant en outils de machines de travail spécifiées dont chacune forme un organe particulier destiné à une fonction particulière dans le système du mécanisme combiné d'outils. La manufacture elle-même fournit au système de machines, dans les branches où celui-ci est d'abord introduit, la base naturelle, en gros, de la division et donc de l'organisation du procès de production[19]. Cependant une différence essentielle intervient aussitôt. Dans la manufacture, les ouvriers doivent, isolément ou en groupes, exécuter chaque procès partiel particulier avec leur outil artisanal. Mais, si le travailleur est approprié au processus, celui-ci est déjà d'avance adapté au travailleur. Ce principe subjectif de la division n'existe pas dans la production mécanisée. Le procès global est analysé ici objectivement, considéré en lui-même, dans ses phases constitutives, et le problème que posent l'exécution de chaque procès partiel et l'interliaison des différents procès partiels est résolu par l'application technique de la mécanique, de la chimie, etc.[20], ce qui bien sûr n'empêche pas qu'il faille toujours perfectionner la conception théorique par une expérience pratique accumulée à grande échelle. Chaque machine partielle fournit à celle qui la suit immédiatement son matériau brut, et comme toutes fonctionnent en même temps, le produit se trouve aussi bien constamment aux divers degrés de son procès de formation qu'à la transition entre une phase de production et une autre. De même que dans la manufacture la coopération immédiate des travailleurs partiels crée des nombres proportionnels déterminés entre les divers groupes d'ouvriers, de même dans le systè.me articulé des machines l'occupation constante des machines partielles les unes par les autres crée un rapport déterminé entre leur nombre, leurs dimensions et leur vitesse. La machine de travail combinée, devenue un système articulé de différentes machines de travail isolées et de groupes de celles-ci, sera d'autant plus parfaite que son procès global sera plus continu, c'est-à-dire que le matériau brut passera avec d'autant moins d'interruption de la première phase à la dernière, que c'est davantage le mécanisme lui-même, et non la main de l'homme, qui le poussera d'une phase de production dans une autre. Si, dans la manufacture, l'isolement des procès particuliers est un principe donné par la division du travail elle-même, dans la fabrique développée, au contraire, c'est la continuité des procès particuliers qui règne.

Tout système de machinerie, qu'il soit fondé sur la simple coopération de machines de travail analogues, comme dans le tissage, ou sur une combinaison de machines différenciées, comme dans la filature, constitue en soi un grand automate dès qu'il est mis en mouvement par un premier moteur qui se meut de lui-même. Cependant, le système global peut être mû, par exemple, par la machine à vapeur, bien que certaines machines-outils isolées aient encore besoin de l'ouvrier pour certains mouvements, comme le mouvement nécessaire à la mise en marche de la mule avant l'introduction de la self-acting mule et comme cela se fait encore aujourd'hui dans le tissage fin, ou encore, bien que certaines parties précises de la machine doivent être dirigées comme un outil par l'ouvrier pour qu'elle puisse accomplir son travail, comme c'était le cas dans la construction de machines avant la transformation du slide rest (un appareillage de support rotatoire) en un selfactor. Dès lors que la machine de travail exécute tous les mouvements nécessaires à la transformation du matériau brut sans le secours de l'homme et ne réclame plus que son assistance éventuelle, nous avons un système de machinerie automatique, capable cependant de constants perfectionnements dans le détail. C'est ainsi, par exemple, que l'appareil qui arrête de lui-même la machine à filer dès qu'un seul fil casse, ou le selfacting stop qui arrête le métier à tisser à vapeur amélioré dès que le fil de trame sort de la bobine de la navette, sont des inventions tout à fait modernes. La fabrique de papier moderne peut servir d'exemple aussi bien pour la continuité de la production que pour l'application du principe de l'automatisme. La production du papier permet du reste en général d'étudier avec profit dans le détail la différence entre les divers modes de production, sur la base des différents moyens de production, ainsi que la connexion entre les rapports sociaux de production et ces modes de production; dans cette branche en effet, l'ancienne fabrication allemande du papier nous fournit un modèle de la production artisanale, la Hollande du XVIIe siècle et la France du XVIIIe siècle un modèle de la manufacture proprement dite, et l'Angleterre moderne un modèle de la fabrication automatique, cependant qu'en Chine et en Inde, il existe encore deux formes asiatiques anciennes différentes de cette même industrie.

C'est comme système articulé de machines de travail qui ne reçoivent leur mouvement que d'un automate central par l'entremise de la machinerie de transmission que l'exploitation mécanisée a sa configuration la plus développée. La machine isolée y a fait place à un monstre mécanique dont le corps emplit des corps de bâtiment entiers de la fabrique, et dont la force démoniaque, un temps dissimulée par le mouvement précis et presque solennel de ses gigantesques membres, éclate dans la folle et fébrile sarabande de ses innombrables organes de travail proprement dits.

Il y a eu des métiers mécaniques**, des machines à vapeur, etc., avant qu'il y ait des ouvriers dont l'exclusive besogne était de faire des machines à vapeur ou des métiers mécaniques**, de la même façon que l'homme a porté des vêtements avant qu'il y eût des tailleurs. Les inventions de Vaucanson, Arkwright, Watt, etc., n'ont cependant été réalisables que parce que ces inventeurs avaient trouvé un nombre considérable d'ouvriers mécaniciens habiles, que leur léguait la période manufacturière. Une partie de ces ouvriers était constituée d'artisans autonomes de professions diverses, une autre partie était réunie dans les manufactures où, comme il a été dit précédemment, la division du travail régnait avec une rigueur particulière. Avec l'accroissement des inventions et la demande croissante de machines nouvellement inventées, il y eut un développement de plus en plus grand, d'une part, du partage de la fabrication des machines en diverses branches autonomes, d'autre part, de la division du travail à l'intérieur des manufactures de construction des machines. Nous entrevoyons donc ici dans la manufacture la base technique immédiate de la grande industrie. La manufacture a produit la machinerie avec laquelle la grande industrie a supprimé l'entreprise artisanale et manufacturière dans les sphères de production dont elle s'est d'abord emparée. L'exploitation mécanisée a donc naturellement grandi sur une base matérielle qui lui était inappropriée. À un certain degré de développement elle a dû bouleverser cette base même, qu'elle avait d'abord trouvée toute faite, et dont elle avait ensuite poursuivi l'achèvement sous sa forme ancienne, et se créer une nouvelle base correspondant à son propre mode de production. De même que la machine isolée reste une petite chose tant qu'elle n'est mue que par les hommes et que le système de machines n'a pu se développer librement tant que la machine à vapeur n'eut pas pris la place des forces d'actionnement traditionnelles ‑ l'animal, le vent et même l'eau ‑ de même la grande industrie fut paralysée dans tout son développement tant que son moyen de production caractéristique, la machine elle-même, dut son existence à la force et à l'habileté humaines, et dépendit donc du développement musculaire, de l'acuité visuelle et de la virtuosité manuelle du travailleur partiel dans la manufacture, et de l'artisan hors de celle-ci, maniant l'un et l'autre leur instrument lilliputien. Abstraction faite du renchérissement des machines dû aux modalités de cette genèse ‑ facteur qui domine le capital comme mobile conscient ‑ l'extension de l'industrie fonctionnant déjà à l'aide de machines et la pénétration de la machinerie dans de nouveaux secteurs de production restèrent purement conditionnées par l'augmentation d'une catégorie de travailleurs dont le nombre, vu la nature semi-artistique de leur travail, ne pouvait s'accroître que progressivement et non par à-coups. Mais, à un certain degré de développement, la grande industrie entra aussi du point de vue technique en conflit avec son soubassement artisanal et manufacturier. L'extension du volume des machines motrices, du mécanisme de transmission et des machines-outils, une plus grande complexité et diversité et une régularité plus rigoureuse de leurs composantes à mesure que la machine-outil se détachait du principe artisanal de construction qui prévalait pour elle à l'origine, et qu'elle prenait une configuration libre, uniquement déterminée par sa tâche mécanique[21], le développement du système automatique et l'emploi de plus en plus inévitable de matériaux difficiles à travailler, par exemple du fer à la place du bois, -la solution de tous ces problèmes apparus spontanément et naturellement se heurta partout à des limites humaines que même le personnel ouvrier combiné de la manufacture n'était en mesure de dépasser que relativement et non dans leur essence même. Certaines machines modernes comme la presse d'imprimerie, le métier à tisser à vapeur et la machine à carder ne purent être fournies par la manufacture.

Le bouleversement du mode de production dans une sphère de l'industrie entraîne et conditionne son bouleversement dans l'autre. Cela vaut d'abord pour les branches d'industrie isolées par la division sociale du travail, qui produisent ainsi chacune une marchandise autonome, mais qui cependant s'entrelacent comme autant de phases d'un procès global. C'est ainsi que la filature mécanique a rendu nécessaire le tissage mécanique et que l'une et l'autre réunis ont rendu nécessaire la révolution mécanico-chimique dans la blanchisserie, l'imprimerie et la teinturerie. De la même façon la révolution dans le filage du coton a suscité par ailleurs l'invention du gin pour la séparation de la fibre du coton et de la graine, invention grâce à laquelle la production du coton fut enfin possible à la grande échelle désormais exigée[22]. Mais la révolution du mode de production dans l'industrie et l'agriculture a aussi notamment rendu nécessaire une révolution dans les conditions générales du procès social de production, c'est-à-dire dans les moyens de communication et de transport. De même que les moyens de communication et de transport d'une société dont le pivot, pour reprendre une expression de Fourier, était la petite agriculture, avec son industrie domestique secondaire et l'artisanat urbain, ne pouvaient absolument plus suffire aux besoins de production de la période manufacturière avec sa division élargie du travail social, sa concentration des moyens de travail et des ouvriers et ses marchés coloniaux, ce qui explique d'ailleurs qu'ils furent effectivement bouleversés, de même les moyens de communication et de transport légués par la période manufacturière se transformèrent bientôt en entraves insupportables pour la grande industrie avec sa vitesse fébrile de production à très grande échelle, sa projection continuelle de grandes quantités d'ouvriers et de capitaux d'une sphère de production dans une autre, ses connexions nouvellement créées à l'échelle du marché mondial. Mis à part le bouleversement complet dans la construction des grands voiliers, le système de communication et de transport fut par conséquent adapté progressivement, par un système de navigation fluvial à vapeur, de chemins de fer, de bateaux à vapeur de haute mer et de télégraphes, au mode de production de la grande industrie. Mais les quantités énormes de fer qu'il fallut alors forger, souder, couper, forer, façonner, exigèrent à leur tour des machines cyclopéennes que la construction mécanique manufacturière fut incapable de créer.

La grande industrie fut donc obligée de s'emparer de son moyen de production caractéristique, la machine, et avec des machines, de produire des machines. C'est seulement à partir de ce moment qu'elle se créa sa base technique adéquate, en se dressant sur ses propres pieds et devenant elle-même. Avec l'accroissement de l'emploi des machines dans les premières décennies du XIXe siècle, la machinerie s'empara effectivement peu à peu de la fabrication des machines-outils. Toutefois, c'est seulement au cours des dernières décennies écoulées que les gigantesques constructions de voies ferrées et la navigation hauturière à vapeur firent naître les machines cyclopéennes utilisées pour la construction des premiers moteurs.

La condition de production la plus essentielle pour la fabrication de machines par des machines était une machine motrice capable de n'importe quelle puissance potentielle, et cependant en même temps, totalement contrôlable. Elle existait déjà avec la machine à vapeur. Mais il s'agissait en même temps de produire mécaniquement les formes rigoureusement géométriques nécessaires aux différentes parties des machines, comme la droite, le plan, le cercle, le cylindre, le cône et la sphère. Ce problème fut résolu par Henry Maudslay dans la première décennie du XIXe siècle par l'invention du slide rest qui fut bientôt rendu automatique et transféré, sous une forme modifiée, du tour auquel il .était d'abord destiné, à d'autres machines de construction. Ce dispositif mécanique ne remplace pas n'importe quel outil particulier, mais bien la main de l'homme qui crée une forme déterminée en tenant, ajustant et dirigeant le tranchant d'instruments à découper, etc. contre ou sur le matériau de travail, par exemple le fer. On réussit ainsi à "produire" les formes géométriques des différentes parties des machines

"avec un degré de facilité, d'exactitude et de rapidité qu'aucune expérience accumulée par la main du plus habile ouvrier ne pouvait donner[23]".

Si nous considérons maintenant la partie de la machinerie employée pour la construction des machines, celle qui constitue la machine-outil proprement dite, l'instrument artisanal réapparaît, mais avec des dimensions cyclopéennes. L'opérateur de la foreuse, par exemple, est un énorme foret actionné par une machine à vapeur, sans lequel inversement on ne pourrait pas produire les cylindres des grandes machines à vapeur et des presses hydrauliques. Le tour mécanique est la renaissance cyclopéenne du tour ordinaire actionné au pied; la raboteuse est un charpentier de fer qui travaille dans le fer avec les mêmes outils que le charpentier dans le bois; l'outil qui, dans les chantiers navals de Londres, découpe les plaques de métal, est un rasoir géant; l'outil de la découpeuse qui coupe le fer, comme les ciseaux du tailleur le tissu, est une monstrueuse cisaille; et le marteau à vapeur opère avec une tête de marteau ordinaire, mais d'un tel poids que Thor lui-même ne pourrait le brandir[24]. L'un de ces marteaux à vapeur inventés par Nasmyth, pèse, par exemple, plus de 6 tonnes et tombe après une chute verticale de 7 pieds sur une enclume de 36 tonnes. C'est un jeu d'enfant pour lui de pulvériser un bloc de granit, mais il n'en est pas moins capable d'enfoncer un clou dans du bois tendre par une série successive de petits coups[25].

Le moyen de travail acquiert en tant que machinerie un mode d'existence matériel qui implique le remplacement de la force humaine par des forces naturelles et celui de la routine empirique par l'utilisation consciente des sciences de la nature. Dans la manufacture, l'articulation du procès social du travail est purement subjective: c'est une combinaison d'ouvriers partiels; dans le système des machines, la grande industrie possède un organisme de production tout à fait objectif que l'ouvrier trouve devant lui toute prête comme condition matérielle de production. Dans la coopération simple et même dans la coopération spécifiée par la division du travail, le refoulement de l'ouvrier isolé par l'ouvrier socialisé apparaît toujours de façon plus ou moins accidentelle. La machinerie au contraire, à quelques exceptions près que nous mentionnerons plus tard, ne fonctionne que grâce à un travail immédiatement socialisé ou commun. Le caractère coopératif du procès du travail devient donc maintenant une nécessité technique dictée par la nature du moyen de travail lui-même.

2. Valeur cédée par la machinerie au produit

On a vu que les forces productives issues de la coopération et de la division du travail ne coûtent rien au capital. Ce sont des forces naturelles du travail social. Les forces naturelles, comme la vapeur, l'eau, etc. que l'on approprie à des procès productifs, ne coûtent rien non plus. Mais de même que l'homme a besoin d'un poumon pour respirer, il a besoin aussi d'une "création de la main humaine" pour consommer de manière productive des forces naturelles. Il faut une roue hydraulique pour exploiter la force motrice de l'eau, une machine à vapeur pour exploiter l'élasticité de la vapeur. Il en va de la science comme des forces de la nature. Une fois découvertes, les lois physiques qui régissent la déviation de l'aiguille aimantée dans le champ d'action d'un courant électrique, ou la production du magnétisme dans le fer autour duquel circule un courant électrique, ne coûtent pas un liard[26]. Mais l'exploitation de ces lois pour la télégraphie, etc. nécessite un appareillage très coûteux, très volumineux. Comme nous l'avons vu, l'outil n'est pas écarté par la machine. L'outil-nain de l'organisme humain s'étend en volume et en nombre, et devient l'outil d'un mécanisme créé par l'homme. Dès lors, au lieu de faire travailler l'ouvrier avec son outil artisanal, le capital le fait travailler avec une machine qui dirige elle-même ses outils. Si, par conséquent, il est évident au premier coup d'oeil que la grande industrie doit, par l'incorporation des forces immenses de la nature et des sciences de la nature dans le procès de production, augmenter extraordinairement la productivité du travail, il n'est pas du tout aussi évident que cette force productive accrue ne soit pas achetée de l'autre côté par une augmentation de la dépense de travail. Comme toute autre composante du capital constant, la machinerie ne crée aucune valeur, mais transfère sa propre valeur au produit qu'elle sert à fabriquer. Dans la mesure où elle a de la valeur et, par conséquent, transfère de la valeur au produit, elle crée une composante de la valeur de celui-ci. Au lieu de le rendre meilleur marché, elle le rend plus cher en proportion de sa propre valeur. Et c'est une évidence tangible que la machine et la machinerie systématiquement développée, moyen de travail caractéristique de la grande industrie, croissent en valeur de façon tout à fait disproportionnée, par rapport aux moyens de travail de l'entreprise artisanale et manufacturière.

Il faut pour commencer remarquer que la machinerie entre toujours tout entière dans le procès de travail et toujours en partie seulement dans le procès de valorisation. Elle n'ajoute jamais plus de valeur qu'elle n'en perd en moyenne par son usure. Il y a donc une grande différence entre la valeur de la machine et la portion de valeur qu'elle transfère périodiquement au produit. Il y a une grande différence entre la machine, comme élément créateur de valeur, et la machine, comme élément créateur de produit. Plus la période au cours de laquelle la même machinerie sert de façon répétée dans le même procès de travail est grande, plus cette différence est grande. Nous avons vu, il est vrai, que chaque moyen de travail proprement dit, que chaque instrument de production entrait toujours tout entier dans le procès de travail et, toujours en partie seulement, pro­portionnellement à son usure moyenne journalière, dans le procès de valorisation. Mais cette différence entre l'usage et l'usure est beaucoup plus grande en ce qui concerne la machinerie qu'en ce qui concerne l'outil, parce que celle-ci, construite en un matériau plus durable, vit plus longtemps, parce que son emploi, réglé par des lois rigoureusement scientifiques, permet une plus grande économie dans la dépense de ses composantes et de ses moyens de consommation, et enfin parce que son champ de production est incomparablement plus grand que celui de l'outil. Si nous déduisons de la machinerie et de l'outil leurs coûts moyens quotidiens ou la composante de valeur que par leur usure moyenne quotidienne et la consommation de matériaux auxiliaires, tels que l'huile, le charbon, etc. ils ajoutent au produit, alors ils travaillent pour rien, comme des forces de la nature disponibles sans l'intervention du travail humain. Dans la mesure même où l'étendue productive de la machinerie sera plus grande que celle de l'outil, plus grande sera l'étendue de son service gratuit, comparé à celui de l'outil. C'est seulement dans la grande industrie que l'homme apprend à faire fonctionner pour rien, sur une grande échelle, comme une force de la nature, le produit de son travail passé, déjà objectivé[27].

De l'étude de la coopération et de la manufacture, il est ressorti que certaines conditions générales de production, telles que les bâtiments, etc. comparées aux conditions de production dispersées des ouvriers isolés, permettent une économie due à la consommation collective, et par conséquent réduisent le renchérissement du produit. Dans la machinerie, il n'y a pas que le corps d'une machine de travail qui soit usé par ses nom­breux outils, mais la machine motrice elle-même, avec une partie du mécanisme de transmission, est usée en commun par de nombreuses machines de travail.

La différence entre la valeur de la machinerie et la portion de valeur transmise à son produit quotidien étant donnée, le degré d'enchérissement du produit par cette portion de valeur dépend d'abord de l'importance du produit, pour ainsi dire de sa surface. Lors d'une conférence publique tenue en 1857, Monsieur Baynes, de Blackburn, estime que:

chaque force-cheval mécanique réelle[28] actionne 450 broches du métier mécanique automatique** et les mécanismes annexes, 200 broches du métier continu** ou 15 métiers à tisser un tissu** de 40 pouces, avec les dispositifs pour tendre la chaîne, pour l'empesage, etc.[29]*.

Dans le premier cas, c'est sur le produit quotidien de 450 broches du métier mécanique**, dans le second sur celui de 200 broches du métier continu**, dans le troisième sur celui de quinze métiers à tisser mécaniques, que se répartissent les coûts quotidiens d'une force-cheval vapeur et l'usure de la machinerie mise en mouvement par cette force, si bien qu'alors seule une infime partie de valeur est transmise à une once de fil ou à une aune de tissu. Il en est de même dans l'exemple du marteau à vapeur mentionné plus haut. Puisque son usure quotidienne, sa consommation de charbon, etc. se répartissent sur les énormes masses de fer qu'il martèle journellement, seule une petite portion de valeur s'attache à chaque quintal de fer, portion qui serait beaucoup plus grande si l'instrument cyclopéen devait enfoncer de petits clous.

Une fois donné le champ d'action de la machine de travail, c'est-à-dire le nombre de ses outils ou, quand il s'agit de force, son volume, la masse des produits dépendra de la vitesse à laquelle elle opère; donc, par exemple, de la vitesse à laquelle la broche tourne, ou du nombre de coups que le marteau frappe en une minute. Certains de ces énormes marteaux donnent 70 coups; la forge brevetée de Ryder, qui utilise des marteaux à vapeur de plus petites dimensions pour forger des broches, frappe 700 coups à la minute.

Une fois donnée la proportion dans laquelle la machinerie transmet de la valeur au produit, la grandeur de cette portion de valeur dépendra de la grandeur de la valeur de cette machinerie[30]. Moins elle contient elle-même de travail, moins elle ajoute de valeur au produit. Moins elle cède de valeur, plus elle est productive, et plus le service qu'elle rend se rapproche de celui des forces de la nature. Or la production de machinerie au moyen de la machinerie diminue sa valeur proportionnellement à son extension et à son action.

Une analyse comparative des prix de marchandises produites par l'artisanat ou la manufacture et des prix de ces mêmes marchandises produites par des machines fait apparaître en général que dans le produit de machine la composante de valeur due au moyen de travail croît en valeur relative, mais décroît en valeur absolue. Cela signifie que sa grandeur absolue décroît, mais qu'elle s'accroît par rapport à la valeur globale du produit, une livre de fil, par exemple[31].

Il est clair qu'il n'y aura eu qu'un simple déplacement du travail, c'est-à-dire que la somme globale du travail requis pour produire une marchandise ne sera pas diminuée, ou que la force productive du travail ne sera pas augmentée, si la production d'une machine coûte autant de travail que son utilisation en économise. Mais la différence entre le travail qu'elle coûte et le travail qu'elle économise, ou son degré de productivité, ne dépend apparemment pas de la différence entre sa propre valeur et la valeur de l'outil qu'elle remplace. Cette différence dure aussi longtemps que les coûts du travail de la machine et, par conséquent, la portion de valeur qu'elle ajoute au produit restent inférieurs à la valeur que l'ouvrier ajouterait avec son outil à l'objet de travail. La productivité de la machine se mesure donc au degré dans lequel elle remplace la force de travail humaine. D'après les calculs de Monsieur Baynes, il y a 2 1/2 ouvriers pour 450 broches de métier mécanique** y compris la pré-machinerie, le tout actionné par la force d'un cheval-vapeur[32], et chaque broche du métier mécanique automatique** file, pour une journée de travail de dix heures, 13 onces de fil (nombre moyen); 2 1/2 ouvriers filent donc 365 5/8 livres de fil par semaine. Dans leur transformation en fil, 366 livres de coton environ (pour simplifier, nous faisons abstraction du déchet) n'absorbent donc que 150 heures de travail, soit 15 journées de travail de dix heures, alors qu'au rouet, si le fileur manuel fournit 13 onces de fil en 60 heures, la même quantité de coton absorberait 2.700 journées de travail de 10 heures, soit 27.000 heures de travail[33]. Là où la vieille méthode du blockprinting ou de l'impression à la main de la toile de coton a été refoulée par l'impression mécanique, une seule machine assistée d'un homme ou d'un gamin imprime autant d'indienne de quatre couleurs en une heure que 200 hommes autrefois[34]. Avant qu'Eli Whitney inventât le cottongin en 1793, il fallait en moyenne une journée de travail pour séparer une livre de coton de la graine. Après son invention, une noire pouvait à elle seule extraire 100 livres de coton par jour et, depuis, l'efficacité du gin a été considérablement accrue. Une livre de fibre de coton produite auparavant à 50 cents s'est vendue ultérieurement à 10 cents, avec un bénéfice supérieur, dans la mesure où il y avait plus de travail non payé inclus dans ce prix. Aux Indes, pour séparer la fibre de la graine. on utilise un instrument semi-mécanique, la churka. avec lequel un homme et une femme nettoient 28 livres par jour. Avec la churka inventée il y a quelques années par le Dr Forbes, 1 homme et 1 gamin en produisent 250 livres par jour; là où l'on utilise des boeufs, de la vapeur ou de l'eau comme forces motrices il ne faut que quelques garçons ou filles comme feeders (pour alimenter la machine en matériau). Seize machines de ce type, actionnées par des boeufs, exécutent chaque jour l'ouvrage quotidien qu'accomplissaient autrefois en moyenne 750 hommes[35].

Comme je l'ai déjà mentionné, la machine à vapeur, dans le cas de la charrue à vapeur, exécute en une heure, pour 3 pence ou 1/4 de shilling, autant de travail que 66 hommes payés 15 sh. à l'heure. Je reviens sur cet exemple pour dissiper une idée fausse. Ces 15 sh. en effet ne sont nullement l'expression du travail ajouté par les 66 hommes en une heure. Si le rapport du surtravail au travail nécessaire était de 100 %, ces 66 ouvriers produisaient en une heure une valeur de 30 sh., bien que 33 heures seulement se traduisissent en un équivalent pour eux, c'est-à-dire en un salaire de 15 sh. Si donc l'on admet qu'une machine coûte autant que le salaire annuel des 150 ouvriers qu'elle refoule, soit 3.000 l. st., ces 3.000 l. st. ne sont en aucun cas l'expression en argent du travail fourni par les 150 ouvriers et ajouté à l'objet de travail, mais uniquement l'expression de la partie de leur travail annuel qui se traduit pour eux en salaire. Par contre, la valeur en argent de la machine, soit 3.000 l. st., exprime tout le travail dépensé pendant sa production, quel que soit le rapport dans lequel ce travail constitue le salaire pour l'ouvrier et la survaleur pour le capitaliste. Si donc la machine coûte tout autant que la force de travail qu'elle remplace, le travail objectivé en elle est toujours bien moindre que le travail vivant qu'elle remplace[36].

Si l'on considère la machinerie exclusivement comme moyen de rendre le produit meilleur marché, la limite de son utilisation réside dans le fait que la production proprement dite de celle-ci coûte un moindre travail que celui que son utilisation permet de remplacer. Pour le capital, cependant, cette limite s'exprime d'une manière plus étroite. Puisqu'il ne paye pas le travail employé, mais la valeur de la force de travail employée, l'utilisation des machines sera pour lui limitée par la différence entre la valeur des machines et la valeur de la force de travail qu'elles remplacent. Comme la division de la journée de travail en travail nécessaire et surtravail est différente selon les pays, ou dans un même pays selon les époques, ou encore à une même époque selon les branches d'activité ; comme en outre le salaire réel de l'ouvrier tantôt descend au-dessous de la valeur de sa force de travail, tantôt monte au-dessus, la différence entre le prix de la machinerie et le prix de la force de travail qu'elle est censée remplacer variera fortement, même si la différence entre la quantité de travail nécessaire à la production de la machine et la quantité globale du travail qu'elle remplace reste la même[37]. Mais c'est seulement la première différence qui détermine pour le capitaliste lui-même les coûts de production de la marchandise, et qui, par les lois impératives de la concurrence, l'influence. Aussi voit-on aujourd'hui des machines inventées en Angleterre qui ne sont utilisées qu'en Amérique du Nord, de même que certaines machines inventées en Allemagne au XVIe et au XVIIe siècles n'ont été utilisées qu'en Hollande, et que plus d'une invention française du XVIIIe siècle ne fut exploitée qu'en Angleterre. Dans des pays de développement ancien, l'utilisation de la machine dans quelques branches d'affaires produit dans d'autres branches une telle surabondance de travail (redundancy of labour, dit Ricardo) que la baisse du salaire au-dessous de la valeur de la force de travail y empêche l'emploi de la machinerie et le rend superflu, souvent même impossible du point de vue du capital, dont le gain provient de toute façon de la diminution non du travail employé, mais du travail payé. Dans certaines branches de l'industrie lainière anglaise, le travail des enfants, ces dernières années, a fortement diminué, voire, çà et là, été pratiquement éliminé. Pourquoi? La Loi sur les fabriques exigeait l'emploi d'une double équipe d'enfants, l'une travaillant 6 heures, l'autre 4 heures, ou chacune 5 heures seulement. Mais les parents n'ont pas voulu vendre les half-times (les "mi-temps") meilleur marché que les full-times (les "temps complet") auparavant. D'où le remplacement des half-times par la machinerie[38]. Avant l'interdiction du travail des femmes et des enfants (de moins de 10 ans) dans les mines, le capital avait trouvé une méthode, qui consistait à utiliser des femmes et des jeunes filles nues, souvent liées à des hommes, dans les mines de charbon et dans d'autres mines, tellement en accord avec son code moral et surtout avec ses livres de comptes, que c'est seulement après l'interdiction qu'il eut recours à la machinerie. Les Yankees ont inventé des machines à casser les pierres. Les Anglais ne les emploient pas, parce que le "malheureux" (wretch est le terme technique de l'économie politique anglaise pour désigner l'ouvrier agricole) qui exécute ce travail reçoit en paiement une si petite partie de son travail que la machinerie rendrait la production plus chère pour le capitaliste[39]. En Angleterre, on se sert encore à l'occasion de femmes en guise de chevaux pour haler, etc. les péniches[40], ceci parce que le travail requis pour la production des chevaux et des machines est un quantum mathématique donné, alors que le travail requis pour l'entretien des femmes de l'excédent de population est en dessous de toute estimation chiffrée. Si bien qu'on ne trouve nulle part ailleurs qu'en Angleterre justement, au pays des machines, un gaspillage plus éhonté de forces humaines employées à des broutilles.

3. Les effets immédiats de l'exploitation mécanisée sur l'ouvrier

La révolution du moyen de travail constitue donc le point de départ de la grande industrie, et ce moyen de travail révolutionné reçoit sa forme la plus développée dans l'articulation du système des machines de la fabrique. Avant d'examiner de quelle façon le matériau humain est incorporé à cet organisme objectif, nous allons considérer maintenant quelques effets rétroactifs généraux de cette révolution sur l'ouvrier lui-même.

a) Appropriation par le capital de forces de travail supplémentaires. Le travail des femmes et des enfants

Dans la mesure où la machinerie rend superflue la force musculaire, elle devient un moyen d'employer des travailleurs sans grande force musculaire, ou dont le développement corporel n'est pas arrivé à maturité, mais qui ont les membres plus souples. Les premiers mots de l'emploi capitaliste de la machinerie furent donc pour le travail des femmes et des enfants! Ce puissant moyen de remplacement du travail et des travailleurs se transforma ainsi aussitôt en un moyen d'augmenter le nombre des salariés par l'embrigadement de tous les membres de la famille ouvrière sous la dépendance immédiate du capital sans distinction de sexe ni d'âge. Non seulement le travail forcé pour le capitaliste usurpa la place des jeux d'enfants, mais il prit aussi celle du travail fait librement dans des limites morales[41]* au sein du cercle familial pour la famille elle-même[42].

La valeur de la force de travail était déterminée par le temps de travail nécessaire non seulement à la conservation de l'ouvrier adulte individuel, mais aussi à la conservation de la famille ouvrière. En jetant les membres de la famille ouvrière sur le marché du travail, la machinerie répartit la valeur de la force de travail de l'homme sur toute sa famille. Elle dévalue par conséquent sa force de travail. L'achat d'une famille parcellisée, par exemple, en 4 forces de travail coûte peut-être plus qu'autrefois l'achat de la force de travail du chef de famille, mais, en contrepartie, 4 jours de travail prennent la place d'un seul et son prix tombe dans la proportion de l'excédent du surtravail des quatre par rapport au surtravail d'un seul. Il faut maintenant que quatre personnes fournissent non seulement du travail au capital, mais aussi du surtravail, pour qu'une famille vive. C'est ainsi que, d'emblée, la machinerie, en élargissant le matériau humain exploitable qui est le champ d'exploitation le plus caractéristique du capital[43], élève en même temps le degré d'exploitation.

Elle révolutionne aussi de fond en comble la médiation formelle du rapport capitaliste, le contrat entre le travailleur et le capitaliste. Sur la base de l'échange marchand, la première condition préalable était que le capitaliste et le travailleur se fissent face l'un l'autre en tant que personnes libres, en tant que possesseurs de marchandises indépendants, l'un d'argent et de moyens de production, l'autre de force de travail. Mais à présent le capital achète des mineurs ou des demi-mineurs. Autrefois le travailleur vendait une force de travail, la sienne, dont, en tant que personne formellement libre, il disposait. Il vend maintenant femme et enfant. Il devient marchand d'esclaves[44]. La demande en travail d'enfants ressemble d'ailleurs souvent dans sa forme, aux demandes d'esclaves noirs, telles qu'on avait coutume de les lire dans des annonces de journaux américains.

"Mon attention", dit, par exemple, un inspecteur de fabriques anglais, "fut attirée par une annonce dans la feuille locale d'une des plus importantes villes manufacturières de mon district; en voici le texte: Demande 12 à 20 jeunes garçons, au-dessus de ce qui peut passer pour 13 ans. Salaire: 4 sh. par semaine. S'adresser à etc.[45]."

Le passage "qui peut passer pour 13 ans" fait référence au Factory Act selon lequel des enfants en dessous de 13 ans ne peuvent travailler que 6 heures. Un médecin assermenté (certifying surgeon) doit certifier l'âge. Le fabricant demande donc de jeunes garçons qui aient l'air d'avoir déjà treize ans. La diminution parfois brutale du nombre d'enfants en dessous de 13 ans employés par les fabricants, qui surprend dans les statistiques anglaises des 20 dernières années, a été, d'après les dires des inspecteurs de fabrique eux-mêmes, en grande partie l'oeuvre de certifying surgeons qui déplaçaient l'âge des enfants en fonction de l'appétit d'exploitation des capitalistes et du besoin qu'avaient les parents d'exercer ce trafic sordide. Tous les lundis et mardis matin à Bethnal Green, district mal famé de Londres, se tient un marché public où des enfants des deux sexes se louent eux-mêmes dès l'âge de 9 ans aux manufactures de soie londoniennes. "Les conditions ordinaires sont de 1 sh. 8 d. la semaine (qui reviennent aux parents), et de 2 d. pour moi, avec le thé." Les contrats ne sont valables que pour la semaine. Les scènes et les mots prononcés pendant la durée de ce marché sont véritablement révoltants[46]. Il arrive encore en Angleterre que des femmes "retirent de jeunes garçons de la Workhouse et les louent à n'importe quel acheteur pour 2 sh. 6 d. la semaine"[47]. Malgré la législation, il y a encore au moins 2.000 jeunes garçons en Grande-Bretagne qui sont vendus par leurs propres parents comme machines vivantes à ramoner les cheminées (bien qu'il existe des machines pour les remplacer)[48]. La révolution déclenchée par la machinerie dans le rapport juridique entre acheteur et vendeur de force de travail, qui fait que toute la transaction perd jusqu'à l'apparence d'un contrat entre personnes libres, a plus tard offert au Parlement anglais la justification juridique à l'intervention de l'État dans les fabriques. Chaque fois que la Loi sur les fabriques limite à 6 heures le travail des enfants dans des branches d'industrie qu'elle n'avait pas encore touchées, on entend retentir les mêmes lamentations des fabricants: à savoir qu'une partie des parents retirent maintenant leurs enfants de l'industrie réglementée pour les vendre là où règne encore la "liberté du travail", c'est-à-dire là où les enfants de moins de 13 ans sont obligés de travailler comme des adultes et se vendent donc à prix plus élevé. Mais comme le capital est, de par sa nature, un niveleur**, c'est-à-dire qu'il réclame comme ses droits de l'homme intrinsèques l'égalité des conditions d'exploitation du travail dans toutes les sphères de production, la limitation légale du travail des enfants dans une branche d'industrie devient la cause de sa limitation dans l'autre.

Nous avons déjà évoqué la dégradation physique des enfants et des jeunes personnes, ainsi que des femmes d'ouvriers que la machinerie soumet à l'exploitation du capital d'abord directement dans les fabriques qui poussent sur sa base, puis indirectement dans toutes les autres branches de l'industrie. C'est pourquoi nous n'insisterons ici que sur un seul point, l'énorme mortalité des enfants d'ouvriers pendant leurs premières années d'existence. Il y a en Angleterre 16 districts d'enregistrement où, en moyenne annuelle, sur 100.000 enfants vivants de moins d'un an, il n'y a que 9.085 décès (dans un des districts 7.047 seulement); dans 24 districts il y en a plus de 10.000, mais moins de 11.000; dans 39 districts plus de 11.000, mais moins de 12.000; dans 48 districts plus de 12.000, mais moins de 13.000; dans 22 districts plus de 20.000; dans 25 districts plus de 21.000; dans 17, plus de 22.000; dans 11, plus de 23.000; à Hoo, Wolverhampton, Ashton-under-Lyne et Preston, plus de 24.000; à Nottingham, Stockport et Bradford, plus de 25.000, à Wisbeach 26.001 et à Manchester 26.125[49]. Comme l'a démontré une enquête médicale officielle de 1861, si l'on fait abstraction de facteurs purement locaux ces chiffres de mortalité élevés sont principalement dus à l'activité des mères en dehors du foyer, et à la négligence et aux mauvais traitements qui en résultent, entre autres une nourriture inadaptée, le manque de nourriture, alimentation à base d'opiacés, etc. auxquels s'ajoute la désaffection contre nature des mères à l'égard de leurs enfants, qui les amène à les priver intentionnellement de nourriture et les faire mourir de faim voire à les empoisonner[50]. En revanche, c'est dans les districts agricoles "où l'emploi féminin est minimal, que le chiffre de mortalité est le plus bas"[51]. La commission d'enquête de 1861 révèle cependant un résultat inattendu à cet égard: dans quelques districts purement agricoles des côtes de la mer du Nord, les chiffres de la mortalité infantile en dessous de un an atteignaient presque ceux des districts industriels les plus tristement réputés. Le Dr Julian Hunter a donc été chargé d'étudier ce phénomène sur place. Son rapport est annexé au "VIe rapport sur la santé publique" (VI. Report on Public Health)[52]. On avait supposé jusqu'alors que c'était la malaria et d'autres maladies propres à ces régions basses et marécageuses qui décimaient les enfants. L'enquête démontra exactement le contraire, à savoir:

que la même cause qui avait chassé la malaria, c'est-à-dire la transformation du sol, des marais d'hiver et des maigres prairies d'été en fécondes terres à blé, était la cause du taux de mortalité extraordinaire chez les nourrissons[53].

Les 70 praticiens médicaux de ces districts entendus par le Dr Hunter furent "merveilleusement unanimes" sur ce point. Avec la révolution dans la culture du sol, on avait en effet introduit le système industriel.

Des femmes mariées qui travaillent par bandes avec des jeunes filles et des jeunes garçons sont mises à la disposition d'un fermier pour une certaine somme par un homme qu'on appelle le "chef de bande" et qui loue la bande dans son ensemble. Ces bandes s'éloignent souvent à plusieurs lieues de leurs villages; on les rencontre souvent le matin et le soir sur les routes, les femmes vêtues de courts jupons et de jupes à l'avenant, avec des bottes et parfois des pantalons, très fortes et apparemment très saines, mais corrompues par une débauche coutumière et n'ayant nul souci des conséquences funestes que leur goût pour ce genre de vie active et indépendante rejette sur leur progéniture, qui dépérit à la maison[54].

Tous les phénomènes apparus dans les districts industriels, infanticide camouflé et traitement des enfants aux opiacés, se reproduisent ici à un degré bien supérieur encore[55].

"Ce que je sais des maux qu'engendre l'emploi courant des femmes adultes dans l'industrie" dit le Dr Simon, fonctionnaire médical du Privy-Council anglais et rédacteur en chef* des rapports sur la "Public Health", "ne peut qu'excuser l'horreur profonde qu'il m'inspire[56]." Quant à l'inspecteur de fabriques F. Baker il a ce cri du coeur: "Ce sera en effet un grand bonheur pour tous les districts manufacturiers d'Angleterre, quand il sera interdit à toute femme mariée ayant une famille de travailler dans une fabrique quelle qu'elle soit[57]".

L'appauvrissement moral qui résulte de l'exploitation capitaliste du travail des femmes et des enfants a été décrit de manière si exhaustive par F. Engels dans sa Situation de la classe ouvrière en Angleterre, et par d'autres écrivains, que je me contenterai de le mentionner pour mémoire. Mais la désolation intellectuelle produite artificiellement par la transformation d'êtres impubères en simples machines à fabriquer de la survaleur, et qu'il faut bien distinguer de la simple ignorance naturelle qui laisse l'esprit en friche, sans altération de ses capacités de développement et de sa fertilité naturelle, a fini même par contraindre le Parlement anglais à faire de l'enseignement élémentaire la condition légale de l'utilisation "productive" des enfants en dessous de 14 ans dans toutes les industries soumises à la loi sur les fabriques. La rédaction bâclée desdites clauses sur l'éducation dans les lois sur les fabriques, le manque de machinerie administrative qui rend cet enseignement obligatoire en grande partie illusoire, l'opposition même des fabricants à cette loi sur l'enseignement et tous les trucs et toutes les manoeuvres employés à la contourner, tout fait apparaître avec une grande clarté l'esprit même de la production capitaliste.

La législation seule est à blâmer parce qu'elle a promulgué une loi d'imposture (delusive law) qui, sous couvert de s'occuper de l'éducation des enfants, ne contient aucune disposition qui puisse assurer le but prétexté. Elle ne détermine rien, sinon que les enfants devront être enfermés tous les jours un nombre d'heures déterminé [3 heures] entre les quatre murs d'un lieu appelé école, et que l'employeur de l'enfant devra se procurer chaque semaine un certificat auprès d'une personne qui, à titre de maître ou de maîtresse d'école, signera de son nom[58].

Avant la promulgation de la Loi amendée sur les fabriques de 1844, il n'était pas rare que des certificats de fréquentation scolaire soient signés d'une croix par le maître ou la maîtresse d'école, ceux-ci ne sachant eux-mêmes pas écrire.

Au cours d'une visite que j'ai faite dans une école qui établissait de tels certificats, je fus tellement frappé par l'ignorance du maître d'école, que je lui ai dit: "S'il vous plaît, monsieur, savez-vous lire?" Sa réponse fut en pur parler du cru: "moi, oui, un p'tit peu!". Et pour se justifier, il ajoute: "En tout cas, j'en sais plus que mes élèves."

Pendant la préparation de la Loi de 1844, les inspecteurs de fabriques dénoncèrent l'état scandaleux des lieux baptisés écoles dont ils devaient déclarer les certificats conformes à la Loi. Tout ce qu'ils obtinrent, c'est qu'à partir de 1844

les chiffres dans le certificat scolaire soient obligatoirement écrits de la main du maître d'école, et que celui-ci signe lui-même de son nom et de son prénom[59].

Sir John Kincaid, inspecteur de fabriques pour l'Écosse, fait le récit d'expériences officielles semblables:

La première école que nous visitâmes était tenue par une certaine Mrs. Ann Killin. Invitée par moi-même à épeler son nom, elle commit d'abord une bourde en commençant par la lettre C, mais se corrigeant aussitôt, elle dit que son nom commençait par la lettre K. En regardant sa signature dans les livres de certificats scolaires, je remarquai cependant qu'elle l'épelait de différentes manières et que son écriture ne laissait aucun doute sur son incapacité à enseigner. Elle avoua aussi elle-même qu'elle ne savait pas tenir son registre... Dans une deuxième école, je trouvai une salle de classe longue de 15 pieds et large de 10, et y comptai 75 enfants piaillant des choses inintelligibles[60].

Et Leonard Horner:

Pourtant, il n'y a pas que le cas de ces misérables caves, où les enfants obtiennent des certificats scolaires, sinon un enseignement; dans nombre d'écoles où le maître est compétent, ses efforts échouent presque complètement devant l'affolant troupeau d'enfants de tous les âges qu'il accueille à partir de trois ans. Ses revenus, qui sont misérables dans le meilleur des cas, dépendent en effet entièrement du nombre de pence qu'il touche en bourrant le maximum d'enfants dans une pièce. S'y ajoutent un mobilier scolaire misérable, le manque de livres et de tout autre matériel d'enseignement, et l'effet catastrophique d'un air humide et nauséabond sur les pauvres enfants eux-mêmes. Je suis allé dans beaucoup de ces écoles où j'ai vu des ribambelles d'enfants qui ne faisaient absolument rien; et c'est pour cela que l'on délivre des certificats de fréquentation scolaire et que ces enfants figurent dans les statistiques officielles sous la mention scolarisé (educated)[61].

En Écosse, les fabricants cherchent à exclure le plus possible les enfants soumis à l'obligation scolaire.

Cela suffit à démontrer la grande malveillance des fabricants à l'égard des clauses sur l'éducation[62].

Tout ceci prend un tour grotesque et épouvantable dans les imprimeries de cotonnades et autres textiles, etc., régies par une loi sur les fabriques qui leur est propre.

[Cette loi stipule que] chaque enfant doit, avant d'être employé dans l'une de ces fabriques, avoir fréquenté l'école au moins 30 jours et pas moins de 150 heures au cours des 6 mois qui précèdent immédiatement son premier jour d'emploi. Pendant la durée de son travail à l'imprimerie, il doit faire une période scolaire de 30 jours et 150 heures une fois tous les 6 mois... La fréquentation de l'école doit avoir lieu entre 8 heures du matin et 6 heures du soir. Aucune fréquentation de moins de 2 1/2 heures ou de plus de 5 heures dans la même journée ne doit être comptée comme partie des 150 heures. Dans les circonstances habituelles, les enfants vont à l'école le matin et l'après-midi pendant 30 jours, 5 heures par jour, et, une fois les 30 jours écoulés, quand la somme globale de 150 heures conforme aux textes est atteinte, quand ils ont, pour employer leur langage, "fait leur livre ", ils retournent à l'imprimerie où ils restent de nouveau 6 mois jusqu'à l'échéance d'un nouveau départ; après quoi ils restent une nouvelle fois à l'école jusqu'à ce que le livre soit terminé, etc. Un grand nombre de jeunes gens qui fréquentent l'école durant les 150 heures prescrites sont tout aussi avancés après six mois à l'imprimerie qu'au début... Ils ont naturellement reperdu tout ce qu'ils avaient appris auparavant. Dans d'autres imprimeries d'indienne, la fréquentation scolaire est totalement dépendante des exigences commerciales de la fabrique. Le nombre d'heures exigées est accompli pour chaque période semestrielle par acomptes de 3 à 5 heures groupées qui peuvent être disséminées sur l'ensemble du semestre. L'enfant se rend, par exemple, un jour à l'école de 8 heures à 11 heures du matin, un autre jour de 1 heure à 4 heures de l'après-midi, puis après une nouvelle absence de plusieurs jours, il revient tout à coup de 3 heures à 6 heures de l'après-midi, puis peut-être 3 ou 4 jours d'affilée ou une semaine pour redisparaître 3 semaines, ou un mois entier; et il revient pendant quelques jours de chômage pour quelques malheureuses heures quand ses employeurs, par hasard, n'ont pas besoin de lui; l'enfant est ainsi ballotté (buffeted) de l'école à la fabrique, et de la fabrique à l'école, jusqu'à ce que la somme des 150 heures soit acquittée[63].

Par l'adjonction massive d'une majorité d'enfants et de femmes dans la combinaison du personnel ouvrier, la machinerie brise enfin la résistance que l'ouvrier homme opposait encore dans la manufacture au despotisme du capital[64].

b) Prolongation de la journée de travail

Si la machinerie est le moyen le plus puissant pour accroître la productivité du travail, c'est-à-dire réduire le temps de travail nécessaire à la production d'une marchandise, elle devient, en tant que porteur du capital, et d'abord dans les industries qu'elle affecte directement, le moyen le plus puissant pour prolonger la journée de travail au-delà de toute limite naturelle. D'un côté, elle crée de nouvelles conditions qui permettent au capital de donner libre cours à sa tendance constante et, d'autre part, elle fournit de nouvelles raisons d'aiguiser sa fringale de travail d'autrui. En premier lieu, dans la machinerie, le mouvement et les opérations du moyen de travail deviennent autonomes par rapport à l'ouvrier. Le moyen de travail devient en lui-même un perpetuum mobile industriel qui produirait indéfiniment s'il ne se heurtait pas à certaines limites naturelles en l'espèce de ses auxiliaires humains: à la faiblesse de leur corps et à leur volonté propre. En tant que capital, et parce que capital, l'automate a en la personne du capitaliste une conscience et une volonté, il est par conséquent instinctivement animé du besoin de réduire par la force à son minimum la limite naturelle de la résistance humaine, qui est pourtant élastique[65]. Cette limite minimale est de toute façon diminuée par l'apparente facilité du travail à la machine et l'élément plus docile et plus souple que constituent les femmes et les enfants[66].

La productivité de la machinerie est, comme nous l'avons vu, inversement proportionnelle à la grandeur de la composante de valeur qu'elle transmet au produit. Plus sa période de fonctionnement est longue, plus la masse de produits sur laquelle se répartit la valeur qu'elle leur ajoute est grande, et plus la portion de valeur qu'elle ajoute à chaque marchandise est petite. Or la période de vie active de la machinerie est apparemment déterminée par la longueur de la journée de travail ou par la durée du procès de travail quotidien, multipliée par le nombre de jours où celui-ci se répète.

L'usure des machines ne correspond nullement avec une exactitude mathématique à leur temps d'utilisation. Mais, même dans cette hypothèse, une machine qui sert 16 heures par jour pendant 7 1/2 ans couvre une aussi grande période de production, et n'ajoute pas plus de valeur au produit global, que la même machine 8 heures par jour pendant 15 ans. Simplement, dans le premier cas, la valeur des machines serait reproduite deux fois plus rapidement que dans le second, et le capitaliste aurait absorbé grâce à elles autant de surtravail en 7 1/2 ans qu'autrement en 15.

L'usure matérielle de la machine est double. Elle résulte d'un côté de l'utilisation de la machine, de la même façon que des pièces de monnaie s'usent dans leur circulation, mais aussi d'autre part de sa non-utilisation, de la même façon qu'une épée inemployée rouille dans son fourreau. C'est sa consommation par les éléments. Le premier type d'usure est en rapport plus ou moins direct avec l'utilisation de la machine, l'autre, dans une certaine mesure, est en raison inverse de celle‑ci[67].

Mais la machine est également sujette, outre l'usure matérielle, à ce que l'on pourrait appeler l'usure morale. Elle perd de la valeur d'échange dans la mesure où des machines de même construction peuvent être reproduites à meilleur marché, et où de meilleures machines viennent lui faire concurrence[68]. Dans les deux cas, si jeune et si vigoureuse que puisse être la machine, sa valeur n'est plus déterminée par le temps de travail effectivement objectivé en elle, mais par le temps de travail nécessaire à sa propre reproduction ou à la reproduction d'une machine meilleure. Elle s'en trouve par conséquent plus ou moins dévaluée. Plus la période où sa valeur globale est reproduite est courte, moins le danger de son usure morale est grand; et plus la journée de travail est longue, plus cette période est courte. Quand la machinerie est introduite pour la première fois dans une branche de production, on voit se succéder rapidement de nouvelles méthodes qui visent à sa reproduction à moindre frais[69], ainsi que des améliorations qui ne concernent pas simplement des parties ou des appareils isolés, mais bien l'ensemble de la construction. C'est donc dans sa première période d'existence, que cette raison particulière de l'allongement de la journée de travail agit avec la plus grande acuité[70].

Toutes conditions restant par ailleurs égales et la journée de travail étant donnée, l'exploitation d'un nombre double de travailleurs exige que soient doublées aussi bien la partie du capital constant dépensée en machinerie, et en bâtiments, que la partie de celui-ci dépensée en matériaux bruts et matières auxiliaires, etc. Avec le prolongement de la journée de travail, l'échelle de la production s'élargit, cependant que la partie du capital dépensée en machinerie et bâtiments demeure inchangée[71]. Non seulement, donc, la survaleur s'accroît mais les dépenses nécessaires à l'extorsion de celle-ci diminuent. Certes, ceci est également plus ou moins le cas lors de toute prolongation de la journée de travail, mais cet aspect revêt ici une importance plus décisive tout simplement parce que la partie du capital transformée en moyen de travail pèse davantage dans la balance[72]. Le développement de l'exploitation des machines engage en effet une portion toujours croissante du capital dans une forme où, d'une part, il peut être constamment mis en valeur et où, d'autre part, il perd de la valeur d'usage et de la valeur d'échange dès que son contact avec le travail vivant est interrompu. "Quand un cultivateur", déclare Monsieur Ashworth, magnat anglais du coton, en guise de leçon au professeur Nassau W. Senior,

"quand un cultivateur pose sa bêche, il rend inutile durant cette période un capital de 18 pence. Quand l'un de nos hommes" (de nos ouvriers de fabrique) "quitte la fabrique, il rend inutile un capital qui a coûté 100.000 livres sterling[73]."

Pensez donc! Rendre "inutile", ne serait-ce qu'un instant, un capital qui a coûté 100.000 livres sterling! Il y a, en effet, de quoi hurler à l'idée qu'un de nos hommes ose jamais quitter la fabrique! Comme le voit bien Senior instruit par Ashworth, l'extension de la machinerie rend "souhaitable" une prolongation toujours croissante de la journée de travail[74].

La machine produit de la survaleur relative, non seulement en dévalorisant directement la force de travail et en la rendant indirectement meilleur marché par la baisse des prix des marchandises qui entrent dans sa reproduction, mais aussi en transformant, dès qu'elle est introduite sporadiquement, le travail employé par le possesseur de machine en travail potentialisé, en élevant la valeur sociale du produit des machines au-dessus de sa valeur individuelle, et en permettant ainsi au capitaliste de remplacer par une moindre part de valeur du produit quotidien la valeur quotidienne de la force de travail. Pendant cette période de transition, où l'emploi des machines reste une sorte de monopole, les gains sont donc extraordinaires, et le capitaliste cherche à exploiter le plus radicalement possible "cette première saison d'amour" par la plus grande prolongation possible de la journée de travail. L'importance du gain aiguise sa fringale de gains plus grands encore.

Avec la généralisation de la machinerie au sein d'une même branche de production, la valeur sociale du produit de la machine descend à sa valeur individuelle en même temps que s'impose la loi qui veut que la survaleur ne provienne pas des forces de travail que le capitaliste a remplacées par la machine, mais à l'inverse des forces de travail qu'il y emploie. La survaleur ne provient que de la partie variable du capital, et nous avons vu que la masse de la survaleur était déterminée par deux facteurs: le taux de survaleur et le nombre d'ouvriers employés simultanément. Pour une durée donnée de la journée de travail, le taux de survaleur est déterminé par le rapport suivant lequel la journée de travail se divise en travail nécessaire et surtravail. Le nombre d'ouvriers employés simultanément dépend pour sa part du rapport entre la partie variable du capital et sa partie constante. Or il est évident que l'emploi des machines, quelle que soit l'extension du surtravail aux dépens du travail nécessaire qu'il entraîne en augmentant la force productive du travail, ne produit ce résultat qu'en diminuant le nombre des ouvriers employés par un capital donné. Il convertit une partie du capital, qui était autrefois variable, c'est-à-dire qui se transformait en force de travail vivante, en machinerie, donc en capital constant, qui ne produit aucune survaleur. Il est impossible, par exemple, d'extraire autant de survaleur de deux ouvriers que de 24. Si chacun des 24 ouvriers ne fournit, sur 12 heures, qu'une heure de surtravail, ils fournissent ensemble 24 heures de surtravail, alors que le travail global des deux ouvriers n'est que de 24 heures. II y a donc dans l'utilisation de la machinerie pour la production de survaleur une contradiction immanente, dans la mesure où, des deux facteurs de la survaleur que fournit un capital d'une grandeur donnée, elle n'augmente le premier ‑ le taux de survaleur ‑ que parce qu'elle diminue l'autre ‑ le nombre d'ouvriers. Cette contradiction immanente se manifeste dès que, la machinerie se généralisant dans une branche industrielle, la valeur de la marchandise produite à l'aide de machines se transforme en valeur sociale régulatrice de toutes les marchandises de même espèce, et c'est cette contradiction qui, en retour, pousse le capital, sans qu'il en soit conscient[75], à prolonger la journée de travail avec la pire des violences, de façon à compenser la diminution du nombre proportionnel d'ouvriers exploités, en augmentant non seulement le surtravail relatif, mais aussi le surtravail absolu.

Si donc l'utilisation capitaliste de la machinerie crée d'un côté de nouvelles raisons très fortes pour un allongement démesuré de la journée de travail et bouleverse la modalité même du travail et le caractère du corps social qui l'effectue, d'une manière qui brise sa résistance à cette tendance, elle produit par ailleurs, en embauchant des couches de la classe ouvrière autrefois inaccessibles au capital et en dégageant des ouvriers supplantés par la machine, une population ouvrière superflue[76] à qui le capital pourra dicter sa loi. D'où ce phénomène remarquable dans l'histoire de l'industrie moderne: c'est la machine qui fiche en l'air toutes les limites morales et naturelles de la journée de travail. D'où aussi ce paradoxe économique, que le plus puissant moyen de réduction du temps de travail devienne le moyen le plus infaillible pour transformer le temps de vie de l'ouvrier et de sa famille en temps de travail disponible pour la valorisation du capital. "Si", rêvait Aristote, le plus grand penseur de l'Antiquité,

"si chaque outil pouvait, sur ordre ou d'instinct, exécuter le travail qui lui échoit, comme les chefs-d'oeuvre de Dédale qui se mouvaient d'eux-mêmes, ou comme les trépieds d'Héphaïstos qui se mettaient spontanément à leur travail sacré; si donc les navettes des tisserands se mettaient d'elles-mêmes à tisser, le contre-maître n'aurait pas besoin d'aides, ni le maître d'esclaves[77]."

Et Antipatros, poète grec contemporain de Cicéron, de saluer le moulin à eau destiné à moudre le grain, cette forme élémentaire de toute machinerie productive, comme le libérateur des esclaves-femmes et l'initiateur de l'Age d'or[78]! "Les païens, ah! les païens!" Comme l'a découvert l'avisé Bastiat, et bien avant MacCulloch, qui est encore plus intelligent, ces gens-là ne comprenaient rien à l'économie politique ni au christianisme. Entre autres choses, ils n'ont pas compris que la machine est le moyen le plus au point pour allonger la journée de travail. Ils excusaient finalement l'esclavage de l'un en le présentant comme le moyen du plein développement humain de l'autre. Simplement, pour prêcher l'esclavage des masses en vue d'élever quelques parvenus mal dégrossis ou à demi décrottés au rang de fileurs éminents**, de grands fabricants de saucisses** et d'influents marchands de cirage**, il leur manquait l'organe spécifiquement chrétien.

c) L'intensification du travail

La prolongation démesurée de la journée de travail, que produit la machinerie entre les mains du capital, finit par entraîner, comme nous l'avons vu, une réaction de la société menacée dans ses fondements vitaux, réaction qui aboutit elle-même à une limitation de la journée de travail normale, fixée par la loi. Il se développe alors sur cette base un phénomène que nous avons déjà rencontré auparavant et qui prend désormais une importance décisive: l'intensification du travail. Dans l'analyse de la survaleur absolue, il s'agissait avant tout de la grandeur extensive du travail, son degré d'intensité étant présupposé donné. Nous allons examiner maintenant le renversement de cette grandeur extensive en grandeur intensive, ou encore en degré.

Il est évident que la rapidité et donc l'intensité du travail croissent de façon naturelle avec les progrès du machinisme et de l'expérience accumulée par une classe spécifique d'ouvriers travaillant sur machines. C'est ainsi qu'en Angleterre, pendant un demi-siècle, la prolongation de la journée de travail va de pair avec l'intensification croissante du travail industriel. On comprend cependant que dans un travail qui n'est pas défini par des moments passagers de paroxysme, mais par une uniformité régulière, répétée jour après jour, on arrive nécessairement à un point nodal où l'extension de la journée de travail et l'intensité du travail sont exclusives l'une de l'autre, si bien que la prolongation de la journée de travail ne demeure supportable qu'avec un moindre degré d'intensité du travail, et inversement un degré d'intensité plus élevé avec un raccourcissement de la journée de travail. Dès que la révolte grandissante de la classe ouvrière a forcé l'État à raccourcir autoritairement la durée du temps de travail, en imposant d'abord une journée de travail normalisée à la fabrique proprement dite; à partir du moment donc où il fallut définitivement renoncer à accroître la production de survaleur par la prolongation de la journée de travail, le capital s'est jeté délibérément et de toutes ses forces sur la production de la survaleur relative, par le moyen d'un développement accéléré du système des machines. En même temps intervient un changement dans le caractère de la survaleur relative. En général, la méthode de production de la survaleur relative consiste à rendre l'ouvrier capable de produire davantage dans le même temps avec la même dépense de (travail, grâce à une force productive accrue du travail. Le même temps de travail continue d'ajouter la même valeur au produit global, bien que cette valeur d'échange inchangée se présente maintenant dans plus de valeurs d'usage et que donc la valeur de chaque marchandise baisse. Il en va autrement cependant dès lors que le raccourcissement forcé de la journée de travail et l'énorme impulsion qu'il donne au développement de la force productive et à l'économie des conditions de production imposent en même temps à l'ouvrier une augmentation de sa dépense de travail dans un temps qui reste le même, une tension accrue de la force de travail et une occupation plus intense des trous dans le temps de travail, c'est-à-dire une condensation du travail, tout cela à un degré que l'on ne peut atteindre que dans le cadre d'une journée de travail raccourcie. Cette compression d'une plus grande masse de travail dans un temps donné compte désormais pour ce qu'elle est: un quantum de travail plus grand. À côté de la mesure du temps de travail comme "grandeur étendue", apparaît maintenant la mesure de son degré de condensation[79]. L'heure plus intensive d'une journée de travail de dix heures contient désormais autant, sinon plus de travail, c'est-à-dire de force de travail dépensée, que l'heure plus poreuse de la journée de travail de douze heures. Le produit de cette heure a donc autant ou plus de valeur que celui d'1 1/5 heure de travail moins remplie. Indépendamment de l'augmentation de la survaleur relative par accroissement de la force productive du travail, 3 1/3 heures de surtravail pour 6 2/3 heures de travail nécessaire, par exemple, fournissent maintenant au capitaliste la même masse de valeur que 4 heures de surtravail, auparavant, pour 8 heures de travail nécessaire.

La question qui se pose maintenant est de savoir comment le travail est intensifié.

Le premier effet de la journée de travail raccourcie repose sur cette loi évidente que l'efficacité de la force de travail est inversement proportionnelle à son temps d'action. On gagne par conséquent, à l'intérieur de certaines limites, en degré d'expression de la force ce que l'on perd en durée de celle-ci. Mais, grâce à la méthode du paiement, le capital veille à ce que l'ouvrier libère aussi effectivement davantage de force de travail[80]. Dans des manufactures, dans la poterie par exemple, où. la machinerie ne joue aucun rôle, ou seulement un rôle insignifiant, l'introduction de la Loi sur les fabriques a démontré de manière frappante que le simple fait de raccourcir la journée de travail augmentait merveilleusement la régularité, l'uniformité, l'ordre, la continuité et l'énergie du travail[81]. Cet effet a cependant semblé douteux dans la fabrique proprement dite parce que la dépendance de l'ouvrier par rapport au mouvement continu et uniforme de la machine y avait créé depuis longtemps la discipline la plus stricte. C'est pourquoi, lorsqu'en 1844 fut négocié l'abaissement de la journée de travail en dessous de 12 heures, les fabricants déclarèrent presque unanimement que:

"leurs surveillants veillaient dans les divers ateliers de travail à ce que les mains ne perdissent pas de temps", que "le degré de vigilance et d'attention de la part des ouvriers (the extent of vigilance and attention on the part of the workmen) était à peine susceptible de s'accroître", et que, tous les autres facteurs, tels que l'allure de la machinerie, etc., étant supposés rester les mêmes, "il est donc insensé d'attendre dans des fabriques bien dirigées le moindre petit résultat d'une augmentation de l'attention, etc., des ouvriers"[82].

Cette assertion fut réfutée par des expériences. Monsieur R. Gardner, dans ses deux grandes usines de Preston, ne fit plus travailler ses ouvriers que 11 heures au lieu de 12 à partir du 20 avril 1844. Après un délai d'environ un an il s'avéra que:

la même quantité de produit avait été obtenue aux mêmes frais, et que l'ensemble des ouvriers avait gagné en 11 heures le même salaire qu'en 12 auparavant[83].

Je ne mentionne pas ici les expériences réalisées dans les ateliers de filage et de cardage, parce qu'elles étaient liées à l'augmentation (2 %) de la vitesse de la machinerie. Dans le département du tissage, par contre, où l'on tissait au demeurant des sortes très différentes d'articles de fantaisie légers à motifs, il n'y avait absolument aucun changement dans les conditions objectives de production. Le résultat fut celui-ci:

Du 6 janvier au 20 avril 1844, pour une journée de travail de douze heures, le salaire moyen hebdomadaire de chaque ouvrier est de 10 sh. 1 1/2 d.; du 20 avril au 29 juin 1844 pour une journée de travail de onze heures, le salaire moyen hebdomadaire est de 10 sh. 3 1/2 d.[84].

La production avait été plus importante en 11 heures qu'en 12 auparavant, uniquement grâce à l'endurance plus régulière et plus grande des ouvriers et à l'économie de leur temps. Tandis qu'ils recevaient le même salaire et gagnaient 1 heure de temps libre, le capitaliste obtenait la même masse de produits et réalisait une économie d'une heure sur la dépense de charbon, de gaz, etc. Des expériences semblables furent réalisées avec le même succès dans les fabriques de messieurs Horrocks et Jacson[85].

Dès que la loi a imposé le raccourcissement de la journée de travail, qui crée d'abord la condition subjective de la condensation du travail, à savoir la capacité de l'ouvrier à dégager davantage de force dans un temps donné, la machine devient, entre les mains du capitaliste, le moyen objectif qu'il utilise systématiquement pour extorquer davantage de travail dans le même temps. Cela s'effectue de deux façons: par une augmentation de la vitesse des machines et par une extension du volume de machinerie surveillé par un même ouvrier ou du champ de travail de celui-ci. L'amélioration de la construction de la machinerie est d'une part nécessaire à l'exercice d'une pression plus forte sur l'ouvrier, et d'autre part elle accompagne d'elle-même l'intensification du travail, dans la mesure où la limite de la journée de travail impose aux capitalistes le budget le plus strict en matière de frais de production. L'amélioration de la machine à vapeur augmente le nombre de coups de pistons donnés à la minute et permet en même temps, grâce à une assez grande économie d'énergie, d'actionner un mécanisme plus volumineux avec le même moteur, tout en conservant une consommation de charbon égale sinon moindre. L'amélioration du mécanisme de transmission diminue le frottement et ‑ ce en quoi la machinerie moderne se distingue de toute évidence de l'ancienne ‑ réduit le diamètre et le poids des grands et petits arbres de transmission à un minimum toujours décroissant. Enfin, les améliorations apportées aux machines de travail diminuent le volume qu'elles occupent, en même temps qu'elles augmentent leur vitesse et leur effet; c'est le cas pour le métier à tisser à vapeur moderne; ou encore elles accroissent en même temps que la taille du bâti le volume et le nombre d'outils qu'elles dirigent; c'est le cas pour la machine à filer; enfin elles multiplient la mobilité de ces outils grâce à de simples transformations de détail, c'est le cas de celles qui ont augmenté d'1/5 la vitesse des broches du métier mécanique automatique** au milieu des années cinquante.

La réduction de la journée de travail à 12 heures date en Angleterre de 1832. Dès 1836 un fabricant anglais déclarait:

Comparé à celui d'autrefois, le travail à exécuter dans les usines a beaucoup augmenté par suite de l'attention et de l'activité plus grandes que la vitesse très accrue de la machinerie exige de l'ouvrier[86].

En 1844, Lord Ashley, aujourd'hui comte Shaftesbury, dressa à la Chambre des Communes les listes de faits suivantes, documentation à l'appui:

Le travail des ouvriers employés aux opérations de production dans les fabriques est aujourd'hui trois fois plus important qu'au moment de l'introduction de ces opérations. La machinerie a sans aucun doute accompli une oeuvre qui remplace les tendons et les muscles de millions d'êtres humains, mais elle a aussi prodigieusement multiplié le travail des hommes que gouverne son terrible mouvement. Le travail de va-et-vient qu'implique la surveillance d'une paire de métiers mécaniques** pendant 12 heures, pour le filage du fil n° 40, faisait couvrir en 1815 une distance de 8 miles. En 1832 la distance à parcourir pendant 12 heures pour suivre une paire de métiers mécaniques** destinés au filage du même numéro atteignait 20 miles, et souvent plus encore. En 1825 le fileur avait, en 12 heures, 820 extensions du bras à faire sur chaque métier mécanique** soit, pour 12 heures, une somme globale de 1.640 mouvements. En 1832, le fileur avait à faire 2.200 extensions du bras pendant les 12 heures de sa journée de travail, soit en tout 4.400, et en 1844 2.400 sur chaque métier mécanique**, soit 4.800 au total; et encore, dans certains cas la quantité de travail (amount of labour) exigé était-elle plus grande... J'ai ici entre les mains un autre document de 1842 où il est prouvé que le travail augmente progressivement, non seulement parce qu'il faut parcourir une distance plus grande, mais aussi parce que la quantité de marchandises produites se multiplie, tandis que le nombre de mains diminue dans les mêmes proportions; et, aussi, parce qu'on file souvent maintenant un coton plus mauvais qui exige plus de travail... Dans l'atelier de cardage, il y a eu aussi une grande augmentation du travail. Une seule personne y fait aujourd'hui le travail que se partageaient autrefois deux personnes... Dans le tissage, où l'on emploie un grand nombre de personnes le plus souvent de sexe féminin, le travail a bien augmenté de 10 % durant les dernières années par suite de la vitesse accrue de la machinerie. En 1838, le nombre d'écheveaux** filés chaque semaine était de 18.000, en 1843 il atteignait 21.000. En 1819 le nombre des coups de navette** au métier à tisser à vapeur était de 60 par minute, en 1842 il atteignait 140, ce qui est l'indice d'une grande augmentation du travail[87].

Étant donné l'intensité remarquable que le travail avait déjà atteinte en 1844 sous le régime de la Loi de 12 heures, la déclaration des fabricants anglais, expliquant que toute progression dans ce sens était impossible et que toute autre diminution du temps de travail équivalait donc à une diminution de la production, parut à cette époque justifiée. La justesse apparente de leur raisonnement a pour meilleure preuve les propos tenus à la même époque par leur censeur infatigable, l'inspecteur de fabriques Leonard Horner:

La quantité produite étant réglée essentiellement par la vitesse de la machinerie, l'intérêt du fabricant doit être de la faire marcher au degré maximal de rapidité compatible avec les conditions suivantes: préservation de la machinerie d'une détérioration trop rapide, maintien de la qualité de l'article fabriqué et capacité de l'ouvrier à suivre le mouvement sans effort supérieur à celui qu'il peut fournir de manière continue. Il arrive souvent que dans sa hâte le fabricant accélère trop le mouvement. La vitesse est alors plus que contrebalancée par la casse et la mauvaise besogne et il est alors forcé de modérer la marche de la machinerie. Étant donné qu'un fabricant actif et judicieux sait trouver le maximum qui peut être atteint, j'en ai conclu qu'il était impossible de produire en 11 heures autant qu'en 12. En outre, j'ai admis que l'ouvrier payé aux pièces se fatiguait à l'extrême, dans la mesure où il parvenait à supporter de manière continue le même rythme de travail[88].

Horner concluait donc, malgré les expériences de Gardner, etc., qu'une nouvelle réduction de la journée de travail en dessous de 12 heures diminuerait nécessairement la quantité du produit[89]. Mais il se citera lui-même 10 ans plus tard, avec ses scrupules de 1845, pour prouver combien à cette époque il comprenait peu encore l'élasticité de la machinerie et de la force de travail humaine, toutes deux également tendues à l'extrême par la réduction forcée de la journée de travail.

Venons-en maintenant à la période postérieure à 1847, celle qui commence à l'instauration de la loi des dix heures dans les fabriques anglaises de coton, de laine, de soie et de lin.

La vitesse des broches a augmenté sur les métiers continus** de 500 tours/minute, sur les métiers mécaniques** de 1.000, ce qui veut dire que la vitesse des broches des métiers continus, qui en 1839 était de 4.500 tours/minute, atteint maintenant [en 1862] 5.000 tours, et que celle des broches des métiers mécaniques**, qui était de 5.000, s'élève maintenant à 6.000 tours/minute; l'accélération est dans le premier cas de 1/10 et dans le second de 1/6[90]* [91].

Jas. Nasmyth, le célèbre ingénieur civil de Patricroft, près de Manchester, a exposé en 1852, dans une lettre à Leonard Horner, les améliorations apportées à la machine à vapeur de 1848 à 1852. Après avoir remarqué que la force du cheval-vapeur, toujours estimée dans les statistiques officielles des fabriques selon son effet de 1828[92], n'était plus que nominale et ne pouvait plus servir que comme indicateur de la force réelle, il écrit notamment:

Il est hors de doute qu'une machinerie à vapeur de poids égal, ou souvent les mêmes machines identiques auxquelles on a apporté les améliorations modernes, exécutent en moyenne 50 % de travail de plus qu'autrefois, et que dans de nombreux cas ces mêmes machines à vapeur identiques qui fournissaient 50 chevaux-vapeur à l'époque de la vitesse limitée à 220 pieds/minute, en fournissent plus de 100 aujourd'hui tout en consommant moins de charbon... La machine à vapeur moderne de même force nominale en chevaux-vapeur est actionnée avec une puissance supérieure à celle d'autrefois grâce à des améliorations apportées à sa construction, grâce à son moindre volume, à la construction de la chaudière à vapeur, etc. C'est pourquoi bien que proportionnellement à la force-cheval nominale on emploie le même nombre de mains qu'autrefois, on utilise en fait moins de mains proportionnellement à la machinerie de travail[93].

En 1850, les fabriques du Royaume-Uni employaient une force nominale de 134.217 chevaux pour mettre en mouvement 25.638.716 broches et 301.445 métiers à tisser. En 1856, le nombre des broches et des métiers à tisser s'élevait respectivement à 33.503.580 et 369.205. Si le cheval vapeur exigé était resté le même qu'en 1850, il aurait fallu en 1856 175.000 chevaux-vapeur. Mais d'après les documents officiels, leur nombre s'élevait seulement à 161.435, soit plus de 10.000 de moins que si l'on prend pour base les chiffres de 1850[94].

Les faits établis par la dernière statistique** officielle de 1856 montrent que le système des fabriques s'étend rapidement et irrésistiblement, que le nombre des mains employées proportionnellement à la machinerie a diminué, que la machine à vapeur grâce à une économie de force et à d'autres méthodes, met en, mouvement une masse mécanique plus grande et que l'on obtient une accrue de produit fini par suite de l'amélioration des machines quantité de travail, de la transformation des méthodes de fabrication, de l'augmentation de la vitesse de la machinerie et de bien d'autres causes encore[95].

Les grandes améliorations introduites sur des machines de toute nature ont beaucoup augmenté leur force productive. C'est la diminution de la journée de travail qui a, sans aucun doute, stimulé ces améliorations. Celles-ci, jointes à l'effort plus intensif fourni par l'ouvrier, ont eu pour conséquence qu'en une journée de travail réduite (de 2 heures ou 1/6) on fournit au moins autant de produit fini qu'autrefois en une journée de travail plus longue[96].

Un fait prouve à lui seul que l'enrichissement des fabricants a augmenté avec l'intensification de l'exploitation de la force de travail: la croissance moyenne annuelle des fabriques anglaises de coton, etc., qui était de 32 entre 1838 et 1850, est passée à 86 entre 1850 et 1856 [97]*.

Si grands que fussent les progrès de l'industrie anglaise dans les 8 années qui vont de 1848 à 1856, sous le régime de la journée de travail de dix heures, ils furent de loin dépassés pendant la période de six années qui suivit, de 1856 à 1862. Dans les fabriques de soie, par exemple, en 1856: 1.093.799 broches; en 1862: 1.388.544; en 1856: 9.260 métiers à tisser et en 1862: 10.709. Par contre en 1856 le nombre des ouvriers est de 56.137 et en 1862: 52.429. Soit une augmentation de 26,9 % du nombre de broches et de 15,6 % de métiers à tisser pour une diminution simultanée de 7 % du nombre d'ouvriers. En 1850 on a utilisé dans les fabriques de laine peignée** 875.830 broches, en 1856: 1.324.549 (augmentation de  51,2 %) et en 1862: 1.289.172 (diminution de 2,7 %). Mais si l'on décompte les broches à tordre qui figurent dans le dénombrement de 1856, mais pas dans celui de 1862, le nombre de broches est resté à peu près stationnaire depuis 1856. En revanche, dans beaucoup de cas, la vitesse des broches et métiers à tisser a doublé depuis 1850. Le nombre de métiers à tisser à vapeur dans les fabriques de laine peignée** est en 1850 de 32.617, en 1856: 38.956 et en 1862: 43.048. Ont été employées en 1850: 79.737 personnes, en 1856: 87.794 et en 1862: 86.063, dont 9.956 enfants de moins de 14 ans en 1850, 11.228 en 1856 et 13.178 en 1862. Malgré la très grande augmentation du nombre des métiers à tisser, si l'on compare 1862 et 1856, le nombre global d'ouvriers employés a donc baissé, tandis que celui des enfants exploités a augmenté[98].

Le 27 avril 1863, Ferrand, membre du Parlement, déclarait à la Chambre basse:

Des délégués d'ouvriers de 16 districts du Lancashire et Cheshire, au nom desquels je parle, m'ont dit que le travail s'accroît constamment dans les fabriques par suite de l'amélioration de la machinerie. Alors qu'autrefois une seule personne assistée de deux auxiliaires manipulait deux métiers à tisser, elle en manipule trois maintenant, et sans auxiliaires, et il n'est pas inhabituel du tout qu'une personne en manipule quatre, etc. Ainsi qu'il ressort des faits communiqués, on a comprimé douze heures de travail en moins de 10 heures. On comprend donc dans quelles proportions considérables les fatigues des ouvriers des fabriques se sont accrues ces dernières années[99].

En sorte que, si les inspecteurs de fabriques exaltent infatigablement et à juste titre les résultats favorables des Lois sur les fabriques de 1844 et 1850, ils avouent cependant que la diminution de la journée de travail a déjà entraîné une intensité du travail qui détruit la santé des ouvriers, et donc la force de travail elle-même.

Dans la plupart des fabriques de coton, de laine peignée** et de soie, l'état d'excitation épuisant que nécessite le travail sur ces machines, dont le mouvement a été si extraordinairement accéléré au cours des dernières années, semble être une des causes de l'excédent de mortalité par maladies pulmonaires, que le docteur Greenhow a constaté dans son dernier et admirable rapport[100].

Il n'y a pas le moindre doute que la tendance du capital, une fois que la prolongation de la journée de travail lui est définitivement interdite par la loi, à trouver son bien dans une augmentation systématique du degré d'intensité du travail et à transformer toute amélioration de la machinerie en un moyen de plus grande exploitation de la force de travail, le conduira bientôt et nécessairement à un nouveau tournant où une nouvelle diminution des heures de travail deviendra inévitable[101]. D'un autre côté, l'avancée foudroyante de l'industrie anglaise de 1848 à nos jours, c'est-à-dire la période de la journée de travail de dix heures, dépasse de bien plus loin la période qui va de 1833 à 1837, c'est-à-dire la période de la journée de travail de douze heures, que celle-ci ne dépasse le demi-siècle des débuts du système des fabriques, c'est-à-dire la période de la journée de travail illimitée[102].

4. La fabrique

Nous avons examiné au début de ce chapitre le corps de la fabrique, l'articulation du système des machines. Nous avons vu ensuite comment la machinerie accroît le matériel d'exploitation humain du capital par l'appropriation du travail des femmes et des enfants, comment elle confisque tout le temps de vie de l'ouvrier par une extension démesurée de la journée de travail et comment enfin ses progrès, qui permettent de fournir dans un temps de plus en plus bref un produit considérablement accru, servent de moyen systématique pour mobiliser à chaque instant plus de travail, pour exploiter la force de travail de façon de plus en plus intensive. Nous allons nous tourner maintenant vers l'ensemble de la fabrique, sous sa forme la plus élaborée.

Ure, qui est le Pindare de la fabrique automatique, la décrit d'une part comme

la coopération de différentes classes d'ouvriers, adultes et non adultes, qui surveillent avec diligence et assiduité un système de machinerie productive, mis continuellement en action par une force centrale (le premier moteur),

et d'autre part comme

un énorme automate composé d'une infinité d'organes mécaniques et autoconscients qui opèrent de concert et sans interruption en vue de produire un seul et même objet, tous ces organes étant subordonnés à une force motrice qui se meut d'elle-même.

Ces deux définitions ne sont nullement identiques. Dans l'une, le travailleur collectif combiné, le corps social de travail apparaît comme le sujet dominant et l'automate mécanique comme l'objet; dans l'autre, c'est l'automate lui-même qui est le sujet, tandis que les ouvriers, organes conscients, sont simplement adjoints à ses organes inconscients et subordonnés avec eux à la force motrice centrale. La première définition s'applique à n'importe quelle utilisation en grand de la machinerie, la seconde caractérise son utilisation capitaliste et, par conséquent, le système moderne de la fabrique. C'est pourquoi d'ailleurs Ure se plaît à présenter la machine centrale d'où procède le mouvement, non seulement comme un automate, mais aussi comme un autocrate.

Dans ces grands ateliers le pouvoir bienfaisant de la vapeur rassemble autour de soi ses myriades de sujets[103].

Avec l'outil de travail c'est aussi la virtuosité dans son maniement qui passe de l'ouvrier à la machine. La capacité de production de l'outil est affranchie des limites humaines de la force de travail de l'homme. Et ainsi se trouve supprimée la base technique sur laquelle reposait la division du travail dans la manufacture. La hiérarchie des ouvriers spécialisés qui la caractérise est donc remplacée dans la fabrique automatique par la tendance à l'égalisation, au nivellement des tâches que les auxiliaires affectés à la machinerie ont à exécuter[104]. À la place des différences artificiellement produites entre les ouvriers partiels, les différences naturelles d'âge et de sexe deviennent prédominantes.

Si la division du travail réapparaît dans la fabrique automatique, elle s'y présente d'abord comme répartition des ouvriers entre les machines spécialisées, et comme répartition de masses d'ouvriers, qui cependant ne constituent pas des groupes articulés, entre les divers départements de la fabrique où ils travaillent sur des machines-outils semblables, rangées les unes à côté des autres, et où il n'y a entre eux qu'une coopération simple. Le groupe articulé de la manufacture est remplacé par le lien qui unit l'ouvrier principal et quelques auxiliaires. La séparation[105]* essentielle s'effectue entre les ouvriers qui sont vraiment employés aux machines-outils (s'y ajoutent quelques ouvriers pour la surveillance ou l'alimentation de la machine motrice) et les simples manoeuvres (presque exclusivement des enfants) qui assistent ces ouvriers employés aux machines. Comptent plus ou moins parmi les manoeuvres tous les "feeders" (qui fournissent simplement aux machines le matériau de travail). À côté de ces classes principales prend place un personnel numériquement insignifiant, chargé du contrôle de l'ensemble de la machinerie et de sa réparation constante, ingénieurs, mécaniciens, menuisiers, etc. C'est une classe supérieure d'ouvriers, ayant les uns une formation scientifique, les autres une formation artisanale, et ils se situent hors du cercle des ouvriers de fabrique auxquels ils ne sont qu'agrégés[106]. Cette division du travail est purement technique.

Tout travail à la machine exige un apprentissage précoce de l'ouvrier, afin qu'il apprenne à adapter son propre mouvement au mouvement uniforme et continu d'un automate. Dans la mesure où la machinerie globale forme elle-même un système de machines différentes, agissant ensemble et de manière combinée, la coopération qui repose sur elle exige aussi une distribution de différents groupes d'ouvriers entre les différentes machines. Or l'utilisation des machines supprime la nécessité propre à l'exploitation manufacturière de fixer cette distribution par une appropriation permanente des mêmes ouvriers à la même fonction[107]. Étant donné que le mouvement global de la fabrique ne part pas de l'ouvrier, mais de la machine, il peut y avoir un changement constant de personnes sans interruption du procès de travail. La démonstration la plus convaincante en est fournie par le système de relais mis en oeuvre pendant la révolte des fabricants anglais de 1848‑1850. Enfin, la rapidité avec laquelle on apprend à travailler sur la machine quand on est jeune élimine également la nécessité de recourir à une classe particulière d'ouvriers pour en faire exclusivement des ouvriers employés aux machines[108]. Quant aux services fournis par les simples manoeuvres, ils peuvent dans la fabrique soit être remplacés par des machines[109], soit, en raison de leur totale simplicité, donner lieu à un changement rapide et constant des personnes chargées de ce dur labeur.

Bien que du point de vue technique la machinerie fiche en l'air l'ancien système de division du travail, on a d'abord continué à le traîner dans la fabrique, par habitude, comme une tradition héritée de la manufacture; mais, par la suite, il a été systématiquement reproduit et consolidé par le capital sous une forme encore plus écoeurante comme moyen d'exploitation de la force de travail. La spécialité d'un ouvrier, qui manie toute sa vie un outil partiel, devient celle d'un homme qui toute sa vie sert une machine partielle. On abuse de la machinerie pour transformer l'ouvrier, dès son enfance, en partie d'une machine partielle[110]. Non seulement les coûts nécessaires à sa reproduction s'en trouvent considérablement diminués, mais sa dépendance irréversible à l'égard de l'ensemble de la fabrique, et donc du capitaliste, atteint en même temps son achèvement. Ici comme ailleurs, il faut distinguer entre l'accroissement de la productivité dû au développement du procès social de production, et l'accroissement de la productivité qu'il faut mettre au compte de l'exploitation capitaliste de ce procès.

Dans la manufacture et dans l'artisanat, l'ouvrier se sert de l'outil, dans la fabrique il sert la machine. Dans le premier cas, c'est de lui que procède le mouvement du moyen de travail; dans le second, il doit suivre le mouvement du moyen de travail. Dans la manufacture, les ouvriers sont les membres d'un mécanisme vivant. Dans la fabrique, il existe, indépendamment d'eux, un mécanisme mort auquel on les incorpore comme des appendices vivants.

La routine affligeante d'un labeur pénible et interminable, où se répète sans cesse le même procès mécanique, est un travail de Sisyphe; le poids du travail, retombe sans cesse comme le rocher, sur l'ouvrier accablé[111].

Tout en agressant à l'extrême le système nerveux, le travail sur les machines bloque le jeu complexe des muscles et confisque toute liberté d'action du corps et de l'esprit[112]. Même l'allégement du travail se transforme en moyen de torture, dans la mesure où la machine ne libère pas l'ouvrier du travail, mais ôte au travail son contenu. Toute production capitaliste, dans la mesure où elle n'est pas seulement procès de travail, mais en même temps procès de valorisation du capital, présente ce caractère commun: ce n'est pas le travailleur qui utilise la condition de travail, mais inversement la condition de travail qui utilise le travailleur; c'est seulement avec la machinerie que ce renversement acquiert une réalité techniquement tangible. C'est pendant le procès même de travail que le moyen de travail, du fait de sa transformation en un automate, se pose face au travailleur comme capital, comme travail mort qui domine et aspire la force vivante du travail. La scission entre le travail manuel et le potentiel spirituel du procès de production, ainsi que la transformation de celui-ci en pouvoirs que détient le capital sur le travail s'accomplissent, comme nous l'avons déjà indiqué auparavant, dans la grande industrie construite sur la base de la machinerie. La dextérité et la minutie du travailleur sur machine vidé de sa substance en tant qu'individu, disparaissent tel un minuscule accessoire devant la science, devant les énormes forces naturelles et le travail social de masse, dont le système des machines est l'incarnation et qui fondent avec lui la puissance du "maître" (master). Ce même maître, dans le cerveau de qui la machinerie et le monopole qu'il exerce sur celle-ci sont indissolublement entremêlés, criera donc à ces "bras" en cas de conflit, avec un grand mépris:

Il serait bon que les ouvriers des fabriques se souviennent que leur travail n'est en fait qu'une très basse espèce de travail qualifié; qu'aucun travail n'est plus facile à apprendre et n'est mieux payé pour sa qualité, qu'aucun travail ne peut être appris en si peu de temps en donnant d'aussi brèves instructions à des gens qui ont si peu d'expérience. Bref qu'on peut regorger de remplaçants. La machinerie du maître joue en effet un rôle bien plus important dans les affaires de la production que le travail et une habileté d'ouvrier, qui peut être acquise en 6 mois d'apprentissage, y compris par le dernier valet de ferme[113].

La subordination technique de l'ouvrier au fonctionnement uniforme du moyen de travail et la composition particulière du corps de travail, fondée sur des individus des deux sexes et d'âges très différents, créent une véritable discipline militaire qui devient le régime général de la fabrique et achève le développement de ce travail de surveillance dont nous avons parlé, achève en même temps la division des ouvriers en travailleurs manuels et en surveillants du travail, en fantassins communs et en sous-officiers d'industrie.

Dans la fabrique automatique, la difficulté essentielle résidait dans la discipline nécessaire pour faire renoncer les hommes à l'irrégularité de leurs habitudes de travail et les identifier à la régularité immuable du grand automate. Mais inventer un code de discipline adéquat aux besoins et à la rapidité du système automatique, puis l'appliquer avec succès, était une entreprise digne d'Hercule ‑ et c'est la noble tâche d'Arkwright! Aujourd'hui encore, alors que ce système est organisé dans toute sa perfection, il est quasiment impossible de trouver parmi les ouvriers qui ont passé l'âge de la puberté, des auxiliaires utiles pour le système automatique[114].

Le code de fabrique, dans lequel le capital formule en législateur privé et selon son bon plaisir le pouvoir autocratique dont il dispose sur ses ouvriers, sans la division des pouvoirs que la bourgeoisie affectionne tant par ailleurs et sans le système représentatif qu'elle chérit encore davantage, n'est en réalité que la caricature capitaliste de la régulation sociale du procès de travail devenue nécessaire avec la coopération à grande échelle et l'utilisation de moyens de travail communs, notamment de la machinerie. Le fouet du négrier est remplacé par le cahier de punitions du surveillant. Toutes les punitions sont ramenées bien sûr à des amendes et retenues sur le salaire, et la perspicacité législatrice de ces Lycurgue de fabriques s'arrange pour que la violation des lois qu'ils ont établies leur rapporte si possible bien plus que l'observation de celles-ci[115].

Nous ne faisons qu'indiquer les conditions matérielles dans lesquelles le travail de fabrique est exécuté. Tous les organes des sens sont affectés par l'élévation artificielle de la température, l'atmosphère empesée de déchets du matériau brut, le bruit assourdissant, etc. sans parler du danger de mort que représentent toutes ces machines entassées les unes à côté des autres, qui produisent avec la régularité des saisons leurs bulletins de carnage industriel[116]. L'économie des moyens sociaux de production, qui n'ont véritablement commencé à mûrir comme en serre chaude qu'avec le système des fabriques, devient en même temps, entre les mains du capital, un pillage systématique des conditions de vie de l'ouvrier pendant son travail, pillage de l'espace, de l'air, de la lumière et des moyens de protection personnels qu'il a contre les conditions du procès de production, qui mettent en danger et sa vie et sa santé, sans parler des économies sur les dispositifs destinés à rendre moins dur le travail de l'ouvrier[117]. Fourier[118]* a-t-il tort de qualifier les usines de "bagnes mitigés"[119]?

 

 

 

 

 

Notes



[1].       [321ignition] Reproduit ici à partir de l'édition en facsimilé publiée en 1993 (Paris, Presses Universitaires de France). Cette traduction, établie sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre, est basée sur la quatrième édition allemande du Livre I, effectuée par Friedrich Engels, parue en 1890. La première édition en français (Éditions Maurice Lachâtre, Paris, 1875) était le résultat d'une traduction préparée par Joseph Roy sur la base de la deuxième édition allemande (Verlag von Otto Meissner, Hambourg, 1875) et révisée par Marx. Du fait de l'intervention de Marx, le contenu diffère en divers points de la deuxième édition allemande, évolutions qui cependant ont été intégrées par Engels dans les éditions allemandes ultérieures.

Les notes marquées d'un astérisque sont celles ajoutées pour l'édition de 1983.

[2].       "It is questionable, if all the mechanical inventions yet made have lightened the day's toil of any human being." Mill aurait dû dire: de quelque être humain qui ne vit pas du travail des autres**, car indiscutablement la machinerie a beaucoup augmenté le nombre des oisifs distingués.

[3].       Voir par exemple Course of Mathematics de Hutton.

[4].       Car de ce point de vue on peut aussi tracer une limite nette entre outil et machine: bêche, marteau, ciseau à bois, etc., systèmes à vis et leviers pour lesquels, quel que soit d'ailleurs le degré d'art qui s'y trouve atteint, l'homme est la force motrice... Tout ceci est inclus dans ce que l'on entend par outil; tandis que la charrue et la force animale, qui la meut, ainsi que les moulins à vent et autres moulins, etc. doivent être comptés parmi les machines." (Wilhelm Schulz, Die Bewegung der Produktion, Zurich 1843, p. 38). Oeuvre louable à maints égards.

[5].       Avant lui on utilisait déjà des machines à préparer le fil, bien que très imparfaites, vraisemblablement d'abord en Italie. Une histoire critique de la technologie prouverait d'ailleurs combien il est rare qu'une invention quelconque, au XVIIIe siècle, soit le fait d'un seul individu. Mais il n'existe jusqu'à présent aucun ouvrage de ce genre. Darwin a attiré l'attention sur l'histoire de la technologie naturelle, c'est-à-dire sur la formation des organes des plantes et des animaux en tant qu'instruments de production de la vie des plantes et des animaux. Mais l'histoire de la formation des organes productifs de l'homme social, de la base matérielle de toute organisation particulière de la société, ne mérite-t-elle pas la même attention? Et ne serait-elle pas plus facile à exposer puisque, comme le dit Vico, l'histoire des hommes se distingue de l'histoire de la nature en ce que nous avons fait l'une et pas l'autre? La technologie révèle le comportement actif de l'homme envers la nature, le procès immédiat de production de sa vie, donc aussi des conditions sociales de son existence et des conceptions intellectuelles qui en découlent. Et même toute histoire de la religion qui fait abstraction de cette base matérielle est elle aussi non critique. Il est en effet plus facile de trouver par l'analyse le noyau terrestre des conceptions religieuses les plus nébuleuses, qu'à l'inverse de développer à partir de chaque condition réelle d'existence ses formes célestifiées. C'est cette dernière méthode qui est l'unique méthode matérialiste, et donc scientifique. Les lacunes du matérialisme abstrait fondé sur les sciences de la nature et qui exclut le procès historique sont déjà visibles dans les représentations abstraites et idéologiques de ses porte-parole, dès lors qu'ils se hasardent au-delà de leur spécialité.

[6]*.     Machine qui reposait sur le principe de l'extension et de la contraction du volume habituel de l'air par réchauffement et par refroidissement. Par rapport à la machine à vapeur elle était lourde et avait un faible rendement. Elle fut inventée au XIXe siècle, mais pratiquement abandonnée dès la fin du siècle.

[7].       En particulier dans la forme initiale du métier à tisser mécanique on reconnaît au premier coup d'oeil l'ancien métier à tisser. C'est sous sa forme moderne qu'il apparaît profondément transformé.

[8].       C'est seulement depuis 1850 environ qu'une part sans cesse croissante des outils, des machines de travail sont fabriqués mécaniquement en Angleterre, bien que par d'autres fabricants que ceux qui font les machines proprement dites. Parmi les machines destinées à la fabrication de ces outils mécaniques, il y a, par exemple, l'automatic bobbin-making engine, le card-setting engine, des machines à faire des galons tissés, des machines à forger des broches pour métier mécanique** et métier continu**.

[9]*.     Machine à filer inventée par James Hargreaves dans les années 1764 et 1767, et à laquelle il donna le nom de sa fille Jenny.

[10].     Moïse d'Égypte dit: "Tu ne musèleras pas le boeuf qui foule le grain." [Deut., 25, 4.] Les philanthropes chrétiens-germaniques, par contre, plaçaient autour du cou du serf, qu'ils utilisaient comme force motrice pour moudre le grain, un grand disque de bois destiné à l'empêcher de porter la farine à sa bouche avec sa main.

[11].     Le manque de chutes d'eau vive, d'une part, et la lutte contre les excédents d'eau, d'autre part, ont contraint les Hollandais à utiliser le vent comme force motrice. Le moulin à vent proprement dit leur est venu d'Allemagne, où cette invention provoqua une jolie querelle entre la noblesse, le clergé et l'empereur dont l'enjeu était de savoir à qui des trois "appartenait" le vent. L'air asservit, disait-on en Allemagne, tandis qu'en Hollande le vent rendait libre. Ce qu'il asservissait, ce n'était pas le Hollandais, mais sa terre et pour lui. En 1836, on utilisait encore 12.000 moulins à vent en Hollande, d'une puissance de 6.000 chevaux pour empêcher les deux tiers du pays de revenir à l'état marécageux.

[12].     Elle fut, certes, déjà considérablement améliorée par la première machine à vapeur de Watt, dite à effet simple, mais elle resta sous cette forme une simple machine à lever l'eau et la saumure des salines.

[13].     "La réunion de tous ces instruments simples, mis en mouvement par un seul moteur, constitue une machine." (Babbage, ouv. cit., p. 136). [Ch. Babbage, On the Economy of Machinery, Londres 1832].

[14].     C. Morton lut en décembre 1859 devant la Société des Arts un essai sur "les forces utilisées en agriculture", où il est dit entre autres: "Toute amélioration qui favorise l'uniformité du sol rend plus utilisable la machine à vapeur pour la production de force purement mécanique... La force du cheval est indispensable là où des haies tortueuses et d'autres obstacles empêchent une action uniforme. Ces obstacles disparaissent chaque jour un peu plus. Dans les opérations qui exigent plus l'exercice de la volonté que la mise en oeuvre de force réelle, seule est utilisable la force que dirige à tout instant l'intelligence humaine, c'est-à-dire la force humaine." Après quoi M. Morton réduit la force de la vapeur, la force du cheval et la force humaine à l'unité de mesure habituelle pour les machines à vapeur, à savoir la force capable de soulever d'un pied un poids de 33.000 livres en une minute, et estime les coûts d'un cheval-vapeur pour la machine à vapeur à 3 d., et pour le cheval à 5 1/2 d. l'heure. En outre, on ne peut utiliser le cheval, quand il est en parfaite santé, que huit heures par jour. En employant la force-vapeur, on peut économiser sur une terre cultivée durant toute l'année au moins trois chevaux sur sept pour un prix de revient qui n'est pas supérieur à celui des chevaux remplacés pendant les 3 ou 4 mois où ils sont seulement réellement utilisés. Enfin, dans les opérations agricoles où la force-vapeur peut être utilisée, elle améliore, par rapport à la force-cheval, la qualité de l'ouvrage. Pour faire exécuter le travail de la machine à vapeur, il faudrait employer 66 ouvriers à 15 sh. par heure, et pour exécuter celui des chevaux 32 hommes à 8 sh. par heure.

[15].     Faulhaber, 1625; De Cous, 1688.

[16].     L'invention moderne des turbines libère l'exploitation industrielle de la force hydraulique de nombreux obstacles qui la limitaient antérieurement.

[17].     Aux premiers temps de la manufacture textile, l'emplacement de la fabrique dépendait de l'existence d'un cours d'eau ayant une chute suffisante pour faire tourner une roue à eau, et bien que l'installation des moulins à eau signifiât le début de la disparition du système de l'industrie domestique*, ces moulins, qui devaient nécessairement être situés près des cours d'eau et se trouvaient considérablement éloignés les uns des autres, n'en constituaient pas moins des éléments d'un système plutôt rural que citadin. C'est seulement avec l'introduction de la force-vapeur en remplacement du cours d'eau que les fabriques furent concentrées dans des villes et dans des endroits où l'on pourrait trouver en quantité suffisante le charbon et l'eau nécessaires à la production de la vapeur. La machine à vapeur est la mère des villes industrielles." (A. Redgrave in Reports of the Insp. of Fact., 30 avril 1860, p. 36).

          * Marx ne précise pas "de manufacture" qui figure dans la citation originale en anglais.

[18].     Du point de vue de la division manufacturière le tissage n'était pas un travail simple, mais au contraire un travail de type artisanal complexe et c'est pourquoi le métier à tisser mécanique est une machine qui exécute des opérations très variées. C'est une erreur pure et simple de croire que la machinerie moderne s'empare à l'origine de préférence des opérations que la division manufacturière du travail avait simplifiées. Le tissage et le filage ont été séparés pendant la période de la manufacture en de nouvelles catégories, et leurs instruments ont été améliorés et diversifiés, mais le procès de travail proprement dit, nullement divisé, est resté de type artisanal. Ce n'est pas du travail, mais du moyen de travail que procède la machine.

[19].     Avant l'époque de la grande industrie, la manufacture prédominante en Angleterre était celle de la laine. C'est donc là qu'ont été réalisées la plupart des expérimentations pendant la première moitié du XVIIIe siècle. Les expériences faites sur la laine de mouton ont profité au coton dont la transformation mécanique réclame des préparations moins pénibles; de la même façon plus tard, à l'inverse, l'industrie mécanique de la laine se développera sur la base du filage et du tissage mécaniques du coton. Certains éléments singuliers de la manufacture de laine, le cardage par exemple, n'ont été incorporés au système de fabrique que pendant les dernières décennies. "L'application de la force mécanique au processus du cardage... pratiquée sur une grande échelle depuis l'introduction de la “machine à carder”, celle de Lister spécialement... a eu indubitablement pour effet de jeter hors du travail un grand nombre d'ouvriers. Auparavant on cardait la laine à la main, le plus souvent dans la maison du cardeur. Aujourd'hui elle est cardée généralement dans la fabrique et le travail manuel a été refoulé, sauf quelques catégories spécifiques de travail où l'on préfère encore la laine cardée à la main. Beaucoup de cardeurs à main ont trouvé du travail dans les fabriques mais le produit de leur travail représente si peu de chose, comparé à celui de la machine, qu'un grand nombre de cardeurs est resté sans emploi." (Rep. of lnsp. of Fact. for 31st Oct. 1856, p. 16).

[20].     "Le principe du système de fabrique est donc... de substituer à la répartition ou à l'échelonnement du travail entre les différents artisans la division du procès de travail en ses composantes essentielles." (Ure, ouv. cit., p. 20). [Andrew Ure, The Philosophy of manufactures, Londres 1835].

[21].     Le métier à tisser mécanique, sous sa première forme, se compose essentiellement de bois, tandis que le métier moderne amélioré est en fer. Pour mesurer à quel point l'ancienne forme du moyen de production domine encore à l'origine sa forme nouvelle, il suffit de faire une comparaison très superficielle entre le métier à tisser moderne à vapeur et l'ancien métier, entre les souffleries modernes dans les fonderies et la première reproduction mécanique grossière du soufflet ordinaire, ou encore, exemple sans doute plus saisissant que tous les autres, de penser au modèle de locomotive que l'on a essayé avant d'inventer les locomotives actuelles, et qui avait deux pieds effectivement, qu'il levait alternativement à la manière d'un cheval. Il faut attendre que la mécanique évolue et que l'expérience pratique se soit accumulée pour que la forme soit entièrement déterminée par le principe mécanique et donc soit totalement affranchie de la forme traditionnelle de l'outil qui se métamorphose en machine.

[22].     La machine à égrener le coton** du Yankee Eli Whitney a, pour l'essentiel, subi moins de modifications à ce jour que n'importe quelle autre machine du XVIIIe siècle. C'est seulement depuis les dernières décennies (avant 1867) qu'un autre Américain, M. Emery d'Albany, New York, a relégué la machine de Whitney aux antiquités, grâce à une amélioration aussi simple qu'efficace.

[23].     The Industry of Nations, Londres 1855, Part II, p. 239. On y lit au même endroit: "Pour aussi simple et extérieurement insignifiant que puisse paraître cet accessoire du tour, nous croyons ne rien exagérer en affirmant que son influence sur l'extension et l'amélioration de l'utilisation des machines a été aussi grande que celle des améliorations apportées par Watt sur la machine à vapeur. Son introduction a eu pour effet immédiat de perfectionner toutes les machines et de les rendre meilleur marché, et elle a conduit à de nouvelles inventions et améliorations."

[24].     Une de ces machines employées à Londres pour forger des arbres de roue à aubes** porte le nom de "Thor". Elle forge un arbre de 16 1/2 tonnes aussi facilement qu'un forgeron réalise un fer à cheval.

[25].     Les machines qui travaillent sur le bois, et qui peuvent aussi être employées sur une petite échelle, sont généralement d'invention américaine.

[26].     La science ne coûte strictement "rien" au capitaliste, ce qui ne l'empêche nullement de l'exploiter. La science "étrangère" est incorporée au capital comme du travail d'autrui. Or l'appropriation "capitaliste" et l'appropriation "personnelle", qu'il s'agisse de la science ou de la richesse matérielle, sont des choses totalement disparates. Ure lui-même déplore bruyamment l'ignorance grossière à l'égard de la mécanique de ses chers fabricants qui exploitent les machines, et Liebig peut citer des exemples d'ignorance ahurissante en matière de chimie chez certains fabricants anglais de produits chimiques.

[27].     Ricardo envisage parfois avec tant de prédilection cet effet des machines ‑ qu'il a d'ailleurs aussi peu développé que la différence générale entre procès de travail et procès de valorisation ‑ qu'il en oublie à cette occasion la composante de valeur transmise par les machines au produit, et les met rigoureusement au même niveau que les forces naturelles. Il dit par exemple: "Adam Smith ne sous-estime nulle part les services que nous rendent les forces naturelles et la machinerie, mais il distingue à fort juste titre la nature de la valeur qu'elles ajoutent aux marchandises... étant donné qu'elles accomplissent leur travail gratuitement, l'assistance qu'elles nous fournissent n'ajoute rien à la valeur d'échange." (Ricardo, ouv. cit., pp. 336-337) [David Ricardo, On the Principles of Political Economy and Taxation, 3e éd., Londres 1821]. La remarque de Ricardo est naturellement juste à l'encontre de J. B. Say qui se figure que les machines rendent le "service" de créer de la valeur, qui constitue une partie du "profit".

[28].     [Note de la troisième édition: Un "cheval" est l'équivalent d'une force de 33.000 livres-pieds à la minute, c'est-à-dire de la force qui soulève 33.000 livres d'un pied (anglais) à la minute, ou 1 livre de 33.000 pieds. C'est ce que nous entendons plus haut par cheval. Dans la langue commerciale courante, et aussi çà et là dans des citations de cet ouvrage, on distingue cependant entre cheval "nominal" et "commercial" ou "indiqué" pour une même machine. Le vieux cheval ou cheval nominal est calculé exclusivement d'après la course du piston et le diamètre du cylindre, et ne tient aucun compte de la pression de la vapeur et de la vitesse du piston. C'est-à-dire que, de fait, elle revient à dire que telle machine à vapeur fait, par exemple, 50 chevaux si elle est mue avec la même faible pression de vapeur et la même vitesse réduite du piston qu'à l'époque de Boulton et Watt. Or ces deux derniers facteurs ont depuis énormément augmenté. Pour mesurer la force mécanique que fournit réellement aujourd'hui une machine, on a inventé l'indicateur qui marque la pression de la vapeur. La vitesse du piston est facile à constater. C'est ainsi que la mesure en chevaux "commerciaux" ou "indiqués" d'une machine est une formule mathématique qui prend en compte en même temps le diamètre du cylindre, la hauteur de course du piston, la vitesse du piston et la pression de la vapeur, et qui indique ainsi combien de fois par minute la machine fournit réellement 33.000 livres-pieds. Un cheval nominal par conséquent peut fournir en réalité trois, quatre, voire cinq chevaux indiqués ou réels. Tout ceci pour expliquer différentes citations que l'on trouvera plus loin. -F.E.]

[29]*.   J. B. Baynes, "The cotton trade. Two lectures on the above subject, delivered before the members of the Blackburn Literary, Scientific and Mechanics' Institutions", Blackburn, Londres 1857, p. 48.

[30].     Le lecteur complètement enfermé dans les représentations capitalistes remarquera ici bien sûr l'absence de "l'intérêt" que la machine ajoute au produit au prorata de sa valeur capital. Cependant il est facile de comprendre que la machine, étant donné qu'elle produit aussi peu de valeur nouvelle que n'importe quelle autre composante du capital constant, ne peut en ajouter aucune sous le nom d´"intérêt". En outre il est évident qu'ici, s'agissant de la production de la survaleur, aucune partie de celle-ci ne peut être présupposée à priori sous le nom d´"intérêt". Le mode de comptabilité capitaliste, qui paraît de prime abord tout à fait inepte et contradictoire avec les lois de la formation de la valeur, sera expliqué dans le troisième livre de cet ouvrage.

[31].     Cette composante de valeur ajoutée par la machine décroît de façon absolue et relative, là où elle supprime des chevaux, et d'une façon générale là où elle supprime des animaux de travail qui ne sont utilisés que comme force motrice et non comme machines métaboliques. Remarquons au passage que Descartes, avec sa définition des animaux comme simples machines, voit les choses avec les yeux de la période manufacturière, par opposition au Moyen Age, où l'animal passait pour l'auxiliaire de l'homme, et comme le pensera du reste plus tard aussi M. v. Haller dans sa Restauration der Staatswissenschaften. Descartes montre dans son Discours de la Méthode qu'il voyait, ainsi que Bacon, dans la modification de la configuration de la production et la domination pratique de l'homme sur la nature le résultat d'un changement dans la méthode de penser. On y lit entre autres: "Il est possible [par cette nouvelle méthode] de parvenir à des connaissances fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature", et ainsi "contribuer au perfectionnement de la vie humaine". Dans la préface à ses Discours upon Trade, Sir Dudley North (1691) écrit que la méthode de Descartes, appliquée à l'économie politique, a commencé à la libérer des vieux contes et des idées superstitieuses sur l'argent, le commerce, etc. Toutefois, en général, les économistes anglais de cette époque se rallièrent à Bacon et Hobbes, faisant d'eux leurs philosophes, tandis que Locke devint plus tard "le philosophe" κατ έξοχήυ [par excellence] de l'économie politique pour l'Angleterre, la France et l'Italie.

[32].     D'après un rapport annuel de la Chambre de commerce d'Essen (oct. 1863), la fonderie Krupp avec ses 161 fourneaux de fonte, fours à fusion et fours à ciment, 32 machines à vapeur (soit à peu près le chiffre global de machines à vapeur employées à Manchester en 1800) et 14 marteaux à vapeur qui totalisent ensemble 1.236 chevaux dynamiques, 49 cheminées de forge, 203 machines-outils et environ 2.400 ouvriers, produisait en 1862 13 millions de livres d'acier fondu. Cela ne fait pas encore 2 ouvriers pour 1 cheval dynamique.

[33].     Babbage calcule qu'à Java il y a 117 % d'ajouté presque exclusivement par le travail de filage à la valeur du coton. En Angleterre, à la même époque (1832), la valeur globale ajoutée au coton par la machinerie et le travail au cours du filage s'élevait à 33 % environ de la valeur du matériau brut. (On the Economy of Machinery, pp. 165‑166).

[34].     En outre avec l'impression à la machine on économise de la teinture.

[35].     Cf. "Paper read by Dr. Watson, Reporter on Products to the Government of India, before the Society of Arts", 17 avril 1860.

[36]      "Ces agents muets" (les machines) "sont toujours le produit de bien moins de travail que celui qu'ils refoulent, même quand ils ont la même valeur monétaire." (Ricardo, ouv. cit., p. 40).

[37].     Note de la deuxième édition. Dans une société communiste la machinerie jouerait donc tout autrement que dans la société bourgeoise.

[38].     "Les utilisateurs du travail ne veulent pas prendre en service inutilement deux équipes d'enfants de moins de treize ans... Il y a effectivement un groupe de fabricants, les filateurs de laine, qui emploie actuellement rarement des enfants en dessous de treize ans, c'est-à-dire des mi-temps. Ils ont introduit de nouvelles machines améliorées de différentes sortes qui ont rendu totalement superflue une utilisation des enfants" (entendons: des enfants en dessous de 13 ans); "pour illustrer cette diminution du nombre des enfants, je mentionnerai l'exemple d'un procès de travail où l'on a ajouté aux machines existantes un appareil appelé machine à retordre grâce auquel une seule jeune personne" (de plus de 13 ans) "peut faire le travail de six ou de quatre mi-temps, en fonction de la nature de chaque machine... Le système du mi-temps" a stimulé "l'invention de la machine à retordre." (Reports of Insp. of Fact. for 31st Oct. 1858, pp. 42‑43).

[39].     "La machinerie souvent... ne peut pas être utilisée aussi longtemps que le travail" (il veut dire le salaire) "n'augmente pas." (Ricardo, ouv. cit., p. 479).

[40].     Voir Report of the Social Science Congress at Edinburgh, Oct. 1863.

[41]*.   Innerhalb sittlicher Schranke.

[42].     Pendant la crise du coton qui accompagna la guerre civile américaine, le Dr Edward Smith fut envoyé par le gouvernement anglais dans le Lancashire, le Cheshire, etc. pour faire un rapport sur l'état de santé des ouvriers du coton. On lit entre autres que la crise a toutes sortes d'avantages sur le plan hygiénique indépendamment du fait que les ouvriers sont chassés de l'atmosphère insalubre de la fabrique. Que les femmes d'ouvriers ont maintenant le loisir d'offrir le sein à leurs nourrissons au lieu de les empoisonner au Godfrey's Cordial* (qui est un opiat). Qu'elles ont trouvé le temps d'apprendre à faire la cuisine. Mais que malheureusement elles acquièrent ce talent culinaire à un moment où elles n'ont rien à manger. Mais on voit comment le capital pour se valoriser a usurpé le travail familial nécessaire à la consommation. De la même façon, on s'est servi de la crise dans certaines écoles pour apprendre à coudre aux filles d'ouvriers. Il aura donc fallu une révolution américaine et une crise mondiale pour que les filles d'ouvriers, qui font du fil pour le monde entier, apprennent à coudre!

* [321ignition] "Godfrey's Cordial", aussi appelé "Mother's Friend", était un médicament utilisé en Angleterre et aux USA à partir de la fin du 18e siècle et pendant une bonne partie du 19e siècle. Il était administré fréquemment et en général sans prescription médicale à des enfants, pour des symptômes divers et variés. Il contenait de l'opium.

[43].     "Le nombre des ouvriers a beaucoup augmenté parce que l'on remplace de plus en plus le travail des hommes par celui des femmes, et surtout celui des adultes par celui des enfants. Trois fillettes de 13 ans, gagnant entre 6 et 8 sh. par semaine, ont écarté un homme d'âge mûr gagnant entre 18 et 45 sh." (Th. de Quincey, The Logic of Politic. Econ., Lond. 1844, note de la p. 147). Comme certaines fonctions familiales, telles que la grossesse et l'allaitement, etc. ne peuvent être totalement réprimées, les mères de famille confisquées par le capital sont plus ou moins obligées d'engager des remplaçants. Les travaux imposés par la consommation familiale, comme la couture, le raccommodage, etc. doivent être remplacés par l'achat de produits finis. À la diminution de la dépense de travail domestique correspond donc une augmentation de la dépense d'argent. Les coûts de production de la famille ouvrière s'accroissent donc et compensent l'augmentation de recette. Ajoutez à cela qu'il devient impossible de consommer et de préparer les moyens de subsistance de manière économique et rationnelle. On trouvera d'abondantes indications sur ces faits tenus secrets par l'économie politique officielle dans les Reports* des inspecteurs de fabriques, dans ceux de la Children's Employment Commission et surtout aussi dans les Reports on Public Health.

[44].     Contrastant avec le fait très important que ce sont les ouvriers hommes adultes qui ont imposé au capital, grâce à leur lutte, la limitation du travail des femmes et des enfants dans les fabriques anglaises, on trouve encore dans les derniers rapports de la Children's Employment Commission, des témoignages sur le comportement réellement révoltant et parfaitement esclavagiste de certains parents ouvriers qui font un trafic sordide de leurs enfants. Mais, comme on peut le voir dans ces mêmes Reports, le pharisien capitaliste dénonce cette bestialité qu'il a lui-même créée, éternisée et exploitée et qu'en d'autres circonstances il baptise "liberté du travail". "On a eu recours au travail de petits enfants... qui devaient même travailler pour leur pain quotidien. Alors qu'ils n'avaient ni la force de supporter un labeur aussi démesurément pénible, ni l'instruction qui leur permettrait de guider leur existence dans l'avenir, ils ont été propulsés dans un environnement contaminé, physiquement et moralement. L'historien juif ne dit-il pas à propos de la destruction de Jérusalem par Titus, qu'il n'est pas étonnant que la ville ait été détruite, et même totalement détruite, puisqu'une mère inhumaine avait sacrifié son propre rejeton pour mettre un terme à la torture d'une faim inextinguible." (Public Economy Concentrated, Carlisle 1833, p. 66).

[45].     A. Redgrave in Reports of Insp. of Fact. for 31st october 1858, pp. 40‑41.

[46].     Children's Employment Commission, V. Report, Londres 1866, p. 81, n. 31. [Note de la quatrième édition]: L'industrie de la soie de Bethnal Green est aujourd'hui pratiquement réduite à néant. F.E.].

[47].     Children's Employment Commission, III. Report, Londres 1864, p. 53, n. 15.

[48].     Ibid., V. Report, p. XXII, n.  137.

[49].     Sixth Report on Public Health, Londres 1864, p. 34.

[50].     "Elle" (l'enquête de 1861) "... montre en outre que, tandis que les petits enfants placés dans les conditions décrites périssent par suite de négligences et de mauvais traitements dus au travail de leurs mères, celles-ci perdent dans des proportions effrayantes leurs sentiments naturels à l'égard de leur progéniture ‑ leur mort habituellement ne leur cause guère de souci, et parfois... elles prennent elles-mêmes des mesures directes pour provoquer cette mort." (Ibid.)

[51].     Ibid., p. 454.

[52].     Ibid., pp. 454‑462. Reports by Dr Henry Julian Hunier on the excessive mortality of infants in some rural districts of England.

[53].     Ibid., p. 35 et pp. 455‑456.

[54].     Ibid., p. 456.

[55].     Tout comme dans les districts manufacturiers anglais la consommation d'opium se propage également chaque jour davantage dans les districts agricoles parmi les ouvriers et les ouvrières adultes. "Pousser à la vente des opiats... tel est le but de certains grossistes entreprenants. Les droguistes considèrent que c'est l'article qui se vend le plus facilement." (Ibid., p. 459). Les nourrissons à qui on donnait des opiats, "se rabougrissaient comme des petits vieux, ou se ratatinaient jusqu'à devenir des petits singes." (Ibid., p. 460). On voit comment l'Inde et la Chine se vengent de l'Angleterre.

[56].     Ibid., p. 37.

[57].     Reports of Insp. of Fact. for 31st oct. 1862, p. 59. Cet inspecteur de fabriques était auparavant médecin.

[58].     Leonard Horner in Reports of Insp. of Fact. for 30th April 1867, p. 17.

[59].     Id. in Reports of Insp. of Fact. for 31st Oct. 1855, pp. 18‑19.

[60].     Sir John Kincaid in Reports of Insp. of Pact. for 31st Oct. 1858, pp. 31‑32.

[61]      Leonard Horner in Reports etc. for 30th Apr. 1857, pp. 17‑18.

[62].     Sir J. Kincaid [in] Reports Insp. Fact 31st Oct. 1855, p. 66.

[63].     A. Redgrave in Reports of Insp. of Fact. for 31st Oct. 1857, pp. 41‑43. Dans les branches industrielles anglaises régies depuis assez longtemps par la Loi sur les fabriques proprement dites (et non le Print Work's Act, cité en dernier dans le texte), les obstacles rencontrés par les articles sur l'instruction ont été surmontés dans une certaine mesure au cours des dernières années. Dans les industries non soumises à la Loi sur les fabriques prédominent encore nettement les idées du fabricant verrier J. Geddes, telles qu'il les communique au commissaire d'enquête White: "Autant que je puisse voir, le niveau d'instruction assez important dont a joui une partie de la classe ouvrière depuis les dernières années, est un mal. Il est dangereux en ce qu'il la rend trop indépendante." (Children's Empl. Commission, IV. Report, Londres 1865, p. 253).

[64].     "Un fabricant, M. E., m'a dit qu'il employait exclusivement des femmes sur ses métiers à tisser mécaniques; il donne la préférence aux femmes mariées, surtout à celles qui ont une famille à la maison qui dépend d'elles pour sa subsistance; elles sont plus attentives et plus dociles que des femmes non mariées et doivent fournir des efforts considérables pour se procurer les moyens de subsistance nécessaires. C'est ainsi que les vertus, qui définissent le caractère féminin, finissent par tourner au préjudice de celui-ci ‑ tout ce qu'il y a de moral et de tendre dans la nature féminine devient l'instrument de son esclavage et de sa souffrance." (Ten Hours' Factory Bill. The Speech of Lord Ashley, 15th March, Londres 1844, p. 20).

[65].     "Depuis l'introduction généralisée de machines coûteuses, on a sollicité la nature humaine bien au-delà de sa force moyenne." (Robert Owen, Observations on the effects of the manufacturing system, deuxième édition, Londres 1817, [p. 16].

[66].     Les Anglais, qui considèrent volontiers la première forme d'apparition empirique d'une chose comme sa raison d'être profonde, interprètent les rapts d'enfants commis par le capital, au début du système des fabriques, dans les maisons de pauvres et d'orphelins grâce auquel ce nouvel Hérode s'est incorporé un matériau humain totalement dépourvu de volonté, comme la raison de la longueur du temps de travail dans les fabriques. Fielden, par exemple, qui est lui-même un fabricant anglais, déclare: "Il est clair que la longueur du temps de travail est due aux facteurs suivants: nous avons eu un si grand nombre d'enfants abandonnés venus des différentes parties du pays que les maîtres de fabriques se sont rendus indépendants des ouvriers, et qu'après qu'ils eurent fait de la longue durée du temps de travail une habitude, grâce au matériau humain qu'ils se sont ainsi procuré, ils ont pu l'imposer aussi plus facilement à leurs voisins." (J. Fielden, The Curse of the Factory System, Londres 1836, p. 11). En ce qui concerne le travail des femmes, l'inspecteur de fabriques Saunders nous apprend dans le Rapport sur les fabriques de 1844 que: "parmi les ouvrières il y a des femmes qui sont occupées pendant plusieurs semaines de suite, avec très peu de jours de repos, de 6 heures du matin à minuit, et qui ont moins de 2 heures pour les repas, si bien que, 5 jours par semaine, il ne leur reste que 6 des 24 heures quotidiennes pour venir de chez elles, y retourner et se reposer au lit."

[67].     "La raison des dommages subis par les parties mobiles et délicates du mécanisme métallique peut être précisément leur inactivité." (Ure, ouv. cit., p. 281).

[68].     Le Manchester Spinner déjà cité plus haut (Times, 26 nov. 1862) la compte dans les coûts de la machinerie: "Elle" (c'est-à-dire la "retenue pour la détérioration de la machinerie") "vise aussi à couvrir la perte qui résulte de ce que l'on doit constamment remplacer les machines, avant qu'elles soient usées, par d'autres machines de construction meilleure et nouvelle."

[69].     "On estime en gros que la construction d'une seule machine d'un nouveau modèle coûte cinq fois autant que la reconstruction de la même machine selon le même modèle." (Babbage, ouv. cit., pp. 211‑212).

[70].     "Depuis quelques années on a obtenu dans la fabrication du tulle des améliorations si importantes et si nombreuses qu'une machine bien conservée qui avait coûté au départ 1.200 l. st. a été revendue quelques années après 60 l. st. Les améliorations se sont succédé à un tel rythme que certaines machines sont restées inachevées dans les mains de leurs constructeurs, parce qu'elles étaient déjà périmées à la suite de nouvelles inventions plus heureuses." Dans cette période de Sturm und Drang, les fabricants de tulle ont bientôt étendu le temps de travail de 8 heures, à l'origine, à 24 heures avec une équipe double d'ouvriers." (Ibid., p. 233).

[71].     "Il est évident qu'avec les flux et reflux du marché, et une demande alternativement en expansion et en décroissance, il reviendra constamment des occasions où le fabricant peut utiliser un capital circulant supplémentaire sans employer de capital fixe supplémentaire... dès lors qu'on peut travailler des quantités supplémentaires de matière première sans dépenses supplémentaires en bâtiments et machinerie." (R. Torrens, On Wages and Combination, Londres 1834, p. 64).

[72].     Ceci n'est mentionné ici que pour rendre l'exposé plus complet; c'est seulement dans le livre trois que je traiterai du taux du profit, c'est-à-dire du rapport de la survaleur au capital total avancé.

[73].     "When a labourer" said Mr. Ashworth, "lays down his spade, he renders useless, for that period, a capital worth 18 d. when one of our people leaves the mule, he renders useless a capital that has cost 100.000* pounds!" (Senior, Letters on the Factory Act, Londres 1837, p. 14).

          * Chez Senior: 100 l. st.

[74].     "Le grand excédent de capital fixe par rapport au capital circulant... rend souhaitable un long temps de travail." Avec la dimension croissante que prend la machinerie, etc. "la tendance à rallonger le temps de travail grandit, puisque c'est le seul moyen pour rendre profitable une grande masse de capital fixe." (Ibid., pp. 11‑14). "Il y a différentes dépenses dans une fabrique qui demeurent constantes, que la fabrique travaille plus ou moins de temps, par exemple la rente pour les bâtiments, les impôts locaux et généraux, l'assurance contre l'incendie, le salaire des différents ouvriers permanents, la détérioration de la machinerie, et d'autres charges multiples dont la masse par rapport au profit décroît dans le rapport même où s'accroît l'étendue de la production." (Reports of the Insp. of Fact. for 31st Oct. 1862, p. 19).

[75].     On verra dans les premiers chapitres du livre trois pourquoi ni le capitaliste en tant qu'individu, ni l'économie politique, qui partage sa manière de voir, n'ont conscience de cette contradiction immanente.

[76].     L'un des grands mérites de Ricardo est d'avoir vu dans la machinerie non pas seulement un moyen de production de marchandises, mais aussi une source de population surabondante**.

[77].     F. Biese, Die Philosophie des Aristoteles, deuxième volume, Berlin 1842, p. 408.

[78].     Je donne ici la traduction du poème d'après Stolberg, parce qu'il caractérise tout à fait, comme les précédentes citations sur la division du travail, l'opposition qu'il y a sur ce sujet entre la conception antique et la conception moderne:

"Épargnez le bras qui fait tourner la meule, ô meunières, et dormez

Doucement! que le coq s'époumonne à vous avertir qu'il fait jour!

Déo a imposé aux nymphes le travail des filles,

Et les voilà qui sautillent, légères, sur les roues,

Et que les essieux ébranlés tournent avec leurs rais,

Et que tourne le poids de la pierre roulante.

Vivons la vie de nos aïeux et jouissons dans l'oisiveté

Des dons que la déesse nous accorde."

(Gedichte aus dem Griechischen, übersetzt von Christian Graf zu Stolberg, Hambourg 1782).

[79].     Il y a bien sûr en règle générale des différences dans l'intensité des travaux de différentes branches de production. Comme l'a déjà montré A. Smith, elles se compensent en partie par des facteurs secondaires propres à chaque type de travail. Mais, là aussi, cela n'a d'influence sur le temps de travail en tant que mesure de valeur que dans la mesure où la grandeur intensive et la grandeur extensive se présentent comme des expressions opposées et exclusives du même quantum de travail.

[80].     Notamment grâce au salaire aux pièces, forme qui sera développée dans la sixième section.

[81].     Voir Reports of Insp. of Pact. for 31st Oct. 1865.

[82].     Reports of Insp. of Pact. for 1844 and the quarter ending 30th April 1845, pp. 20‑21.

[83].     Ibid., p. 19. Comme le salaire aux pièces restait le même, le montant du salaire hebdomadaire dépendait du quantum de produit.

[84].     Ibid., p. 20.

[85].     Ibid., p. 21. L'élément moral a joué un rôle déterminant dans les expériences mentionnées ci-dessus. "Nous travaillons avec plus d'entrain" ont déclaré les ouvriers à l'inspecteur de fabriques, "nous pensons constamment à la récompense de pouvoir rentrer chez soi plus tôt le soir, et il règne un esprit d'ardeur au travail et de gaieté dans toute l'usine, du plus jeune au plus vieux des ouvriers et nous pouvons beaucoup nous entraider dans le travail." (Ibid.)

[86].     John Fielden, ouv. cit., p. 32.

[87].     Lord Ashley, ouv. cit., pp. 6‑9 passim.

[88].     Reports of Insp. of Fact. to 30th April 1845, p. 20.

[89].     Ibid., p. 22.

[90]*.   De la première à la quatrième édition: 1/5.

[91].     Reports of Insp. of Fact. for 31st Oct. 1862, p. 62.

[92].     Ceci a changé avec le "Parliamentary Return" de 1862. Le cheval-vapeur réel des machines à vapeur et des roues hydrauliques modernes y remplace le cheval nominal (cf. note 28 ). En outre les broches de tordage ne sont plus confondues avec les broches à filer proprement dites (comme dans les "Returns" de 1839, 1850 et 1856); de plus pour les fabriques de laine on ajoute le nombre des laineuses** mécaniques, on introduit une distinction entre les fabriques de jute et de chanvre d'un côté, et celles de lin de l'autre; enfin, pour la première fois, on mentionne la bonneterie dans le rapport.

[93].     Reports of Insp. of Fact. for 31st Oct. 1856, pp. 14‑20.

[94].     Ibid., pp. 14‑15.

[95].     Ibid., p. 20.

[96].     Reports etc. for 31st Oct. 1858, p. 10. Cf. Reports etc. for 30th April 1860, p. 30 et suiv.

[97]*.   Marx avait, semble-t-il, mal recopié les données des "Reports of the inspectors of factories for 31st October 1856", Londres 1857, p. 12, d'où sont tirés ces chiffres, et écrit 32 % et 86 %. Erreur qui a échappé à la relecture d'Engels, et figure encore dans la quatrième édition.

[98].     Reports of Insp. of Fact. for 31st Oct. 1862, pp. 100‑103‑129‑130.

[99].     Avec le métier à tisser à vapeur moderne un tisserand fabrique maintenant en 60 heures par semaine, en travaillant sur 2 métiers, 26 pièces d'une catégorie donnée, de longueur et de largeur déterminées, alors qu'il ne pouvait en fabriquer que 4 sur l'ancien métier à tisser. Les coûts de tissage de cette pièce étaient déjà tombés de 2 sh. 9 d. à 5 1/8 d. au début de la deuxième moitié du XIXe siècle.

Additif à la deuxième édition: "Il y a 30 ans" (en 1841) "on n'exigeait d'un fileur de coton assisté de 3 auxiliaires que la surveillance d'une paire de métiers mécaniques** avec 300 à 324 broches. Aujourd'hui" (fin 1871) "il doit, avec 5 auxiliaires, surveiller plusieurs métiers mécaniques** dont le total de broches atteint 2.200 pour une production de fil au moins 7 fois supérieure à celle de 1841." (Alexander Redgrave, inspecteur de fabrique, in Journal of the Soc. of Arts, 5 janv. 1872).

[100].   Reports of Insp. of Fact. for 31st Oct. 1861 pp. 25‑26.

[101].   L'agitation pour les huit heures a commencé maintenant (1867) dans le Lancashire chez les ouvriers de fabrique.

[102].   Les quelques chiffres suivants montrent le progrès des fabriques** proprement dites dans le Royaume-Uni depuis 1848:

 

Exportation: Quantité

 

 

1848

1851

1860

1865

Fabrique de coton

 

 

 

 

Coton filé (livres)

135.831.162

143.966.106

197.343.655

103.751.455

Fil à coudre (livres)

 

4.392.176

6.297.554

4.648.611

Tissu de coton (yards)

1.091.373.930

1.543.161.789

2.776.218.427

2.015.237.851.

Fabrique de lin et de chanvre

 

 

 

 

Fil (livres)

11.722.182

18.841.326

31.210.612

36.777.334

Tissu (yards)

88.901.519

129.106.753

143.996.773

247.012.329

Fabrique de soie

 

 

 

 

Fil de chaîne, filé, fil (livres)

(en 1846) 466.825

462.513

897.402

812.589

Tissu (yards)

 

(livres) 1.181.455

(livres) 1.307.293

2.869.837

Fabrique de laine

 

 

 

 

Fil de laine et laine peignée** (livres)

 

14.670.880

27.533.968

31.669.267.

Tissu (yards)

 

151.231.153

190.371.537

278.837.418

 

Exportation: Valeur (en l. st.)

 

 

1848

1851

1860

1865

Fabrique de coton

 

 

 

 

Fil de coton

5.927.831

6.634.026

9.870.875

10.351.049

Tissu de coton

16.753.369

23.454.810

42.141.505

46.903.796.

Fabrique de lin et de chanvre

 

 

 

 

Fil

493.449

951.426

1.801.272

2.505.497

Tissu

1.802.789

4.107.396

4.804.803

9.155.358

Fabrique de soie

 

 

 

 

Fil de chaîne, filé, fil

77.789

196.380

826.107

768.064.

Tissu

 

1.130.398

1.587.303

1.409.221

Fabrique de laine

 

 

 

 

Fil de laine et laine peignée**

776.975

1.484.544

3.843.450

5.424.047

Toile

5.733.828

8.377.183

12.156.998

20.102.259

 

(Cf. les Livres bleus: Statistical Abstract for the U. Kingd. n. 8 et n. 13, Londres 1861 et 1866).

Dans le Lancashire les fabriques n'ont augmenté que de 4 % entre 1839 et 1850, de 19 % entre 1850 et 1856, de 33 % entre 1856 et 1862, tandis que dans les deux périodes de onze ans le chiffre des ouvriers employés a grandi de façon absolue et diminué de manière relative.

Voir Reports of Insp. of Fact. for 31st Oct. 1862, p. 62. Dans le Lancashire, c'est la fabrique de coton qui prédomine. Mais on se rend compte de la place qu'elle occupe proportionnellement dans la fabrication du fil et du tissu en général quand on sait qu'elle représente à elle seule 45,2 % de toutes les fabriques de même espèce en Angleterre, au Pays de Galles, en Écosse et en Irlande, 83,3 % des broches, 81,4 % des métiers à vapeur, 72,6 % des chevaux-vapeur qui les actionnent et 58,2 % de l'effectif global des personnes employées.

[103].   Ure, ouv. cit.*, p. 18.

[104].   Ibid., p. 20. Cf. Karl Marx, Misère, etc. [Misère de la philosophie, Bruxelles, 1847; Paris, Éditions sociales, 1972], pp. 140‑141.

[105]*. Scheidung.

[106].   Il est tout à fait caractéristique de son intention de tromperie statistique, démontrable également dans le détail, que la législation industrielle anglaise exclut expressément de son ressort les ouvriers qui viennent d'être mentionnés dans le texte, comme n'étant pas des ouvriers de fabrique, tandis que d'un autre côté les "Returns" publiés par le parlement incluent tout aussi expressément dans la catégorie des ouvriers de fabrique non seulement les ingénieurs, les mécaniciens, etc., mais aussi les dirigeants de fabrique, les commis, les coursiers, les magasiniers, les emballeurs, etc. bref tout le monde à l'exception du propriétaire de la fabrique proprement dit.

[107].   Ure le reconnaît. Selon lui les ouvriers "peuvent être déplacés en cas de nécessité d'une machine à l'autre selon la volonté du responsable", et, triomphe! "un tel changement est en contradiction manifeste avec la vieille routine qui divise le travail et assigne à tel ouvrier la tâche de façonner la tête d'une épingle, et à tel autre ouvrier, celle d'en aiguiser la pointe." [Ure, The philosophy of manufactures, Londres 1835, p. 22].

II aurait dû se demander au contraire pourquoi cette "vieille routine" n'est abandonnée qu'en "cas d'urgence" dans la fabrique automatique.

[108].   Quand les hommes manquent, comme c'est arrivé, par exemple pendant la guerre civile américaine, l'ouvrier de fabrique est exceptionnellement employé par le bourgeois aux travaux les plus grossiers, comme la construction de routes, etc. Les ateliers nationaux* anglais de 1862 et des années suivantes, destinés aux ouvriers du coton en chômage, se distinguaient en ceci des ateliers nationaux français de 1848 que, dans ces derniers, l'ouvrier devait exécuter des travaux improductifs aux frais de l'État, tandis que dans les ateliers anglais ils devaient exécuter des travaux urbains productifs au bénéfice du bourgeois, et ce à meilleur compte que les ouvriers normaux avec lesquels ils étaient mis en concurrence. "L'apparence physique des ouvriers du coton s'est incontestablement améliorée. J'attribue cela..., pour ce qui concerne les hommes, au fait qu'ils travaillent en plein air à des travaux publics." (Il s'agit ici des ouvriers de fabrique de Preston, employés dans les "Marais de Preston") (Rep. of Insp. of Fact. Oct. 1863, p. 59).

[109].   Exemple: les différents appareils mécaniques introduits dans les fabriques de laine depuis la loi de 1844 pour remplacer le travail des enfants. Dès que les enfants de ces messieurs les fabricants auront eux-mêmes à faire "leurs classes" comme manoeuvres de la fabrique, ce domaine encore à peine exploité de la mécanique connaîtra bientôt un essor remarquable. "Les métiers mécaniques automatiques** sont peut-être une machinerie aussi dangereuse que n'importe quelle autre. La plupart des accidents frappent les jeunes enfants, qui rampent sous les métiers mécaniques** pour balayer le sol, pendant que ces métiers mécaniques** sont en mouvement. Divers minders" (ouvrier employé au métier mécanique**) "ont été poursuivis en justice" (par les inspecteurs de fabriques) "et condamnés à des amendes pour ce délit, mais sans qu'il en découle un quelconque avantage général. Si seulement les constructeurs de machines voulaient se donner la peine d'inventer un balayeur automatique dont l'utilisation mettrait fin à la nécessité de faire ramper ces jeunes enfants sous la machinerie, cela serait une heureuse contribution aux mesures protectrices que nous mettons en place." (Reports of Insp. of Factories for 31st October 1866, p. 63).

[110].   On appréciera en conséquence l'idée de génie de Proudhon qui "construit" la machinerie non comme une synthèse de moyens de travail, mais comme une synthèse de travaux partiels pour les ouvriers eux-mêmes.

[111].   F. Engels, Die Lage, etc. [Die Lage der arbeitenden Klasse in England, Leipzig, 1845; éd. française: La situation de la classe laborieuse en Angleterre, Éditions sociales, 1973], p. 217. Même un libre-échangiste optimiste et des plus ordinaires, comme Monsieur Molinari, remarque: Un homme s'use plus vite en surveillant quinze heures par jour l'évolution uniforme d'un mécanisme, qu'en exerçant dans le même espace de temps, sa force physique. Ce travail de surveillance, qui servirait peut-être d'utile gymnastique à l'intelligence, s'il n'était pas trop prolongé, détruit à la longue, par son excès, et l'intelligence et le corps même. (G. de Molinari, Études Économiques, Paris 1846, p. 49).

[112].   F. Engels, ouv. cit., p. 216.

[113].   The Master Spinner's and Manufacturers' Defence Fund. Report of the Committee, Manchester 1854, p. 17. On verra plus tard que le maître** chante sur un autre ton dès qu'il est menacé de perdre ses automates "vivants".

[114].   Ure, ouv. cit., p. 15. Ceux qui connaissent la vie d'Arkwright ne lanceront jamais l'épithète de "noble" à la tête de ce génial barbier. De tous les grands inventeurs du XVIIIe siècle il fut indiscutablement le plus grand voleur d'inventions d'autrui et le plus misérable individu.

[115].   "L'esclavage dans lequel la bourgeoisie tient le prolétariat enchaîné n'apparaît nulle part avec plus d'évidence que dans le système de fabrique. Toute liberté y cesse de fait et de droit. L'ouvrier doit être à la fabrique à 5 heures et demie du matin s'il arrive quelques minutes trop tard, il est puni, s'il arrive 10 minutes trop tard, on ne le laisse pas entrer, avant que le petit déjeuner soit passé, ce qui lui fait perdre un quart de journée de travail prélevé sur le salaire. Il doit manger, boire et dormir au commandement... La cloche despotique l'arrache au sommeil, à son petit déjeuner et à son repas de midi. Et comment se passent donc les choses dans la fabrique? Le fabricant y est législateur absolu. Il instaure des règlements de fabrique à sa convenance; il modifie son code, y apporte des additifs selon son bon plaisir; et si lui peut y introduire les choses les plus folles, les tribunaux déclarent cependant à l'ouvrier: puisque vous avez accepté de votre plein gré ce contrat, vous devez maintenant vous y conformer... Ces ouvriers sont condamnés à vivre sous sa férule psychique et physique, depuis leur neuvième année jusqu'à leur mort." (F. Engels, ouv. cit., pp. 217 et suiv.). Deux exemples pour illustrer ce que "disent les tribunaux". L'un des deux cas se déroule à Sheffield fin 1866, où un ouvrier s'était engagé pour 2 ans dans une fabrique métallurgique. À la suite d'une dispute avec le fabricant il quitta la fabrique et déclara ne plus vouloir travailler pour lui sous quelque condition que ce soit. Il fut accusé d'avoir rompu le contrat et condamné à deux mois de prison. (Si c'est le fabricant qui rompt le contrat, il ne peut être traduit que devant une juridiction civile et ne risque qu'une amende). Les deux mois de prison étant écoulés, le même fabricant lui intime l'ordre de revenir à la fabrique conformément à l'ancien contrat. L'ouvrier dit non: il a déjà purgé la violation de contrat. Le fabricant porte de nouveau plainte contre lui, et le tribunal le condamne de nouveau, bien que l'un des juges, M. Shee, ait dénoncé publiquement ce jugement comme une monstruosité juridique, permettant qu'un homme soit toute sa vie périodiquement recondamné pour le même délit ou crime. Ce jugement n'a pas été prononcé par les "great unpaid", les "cornouilles" provinciales, mais par l'une des plus hautes cours de justice de Londres.

[Additif à la quatrième édition. ‑ Cette possibilité est abolie maintenant. À l'exception de quelques cas peu nombreux, ‑ usines à gaz publiques, par exemple ‑ l'ouvrier anglais est placé maintenant, en cas de rupture de contrat, sur le même plan que l'employeur et ne peut être traduit que devant un tribunal civil. -F. E.].

Le deuxième cas a pour cadre Wiltshire, fin novembre 1863. Environ 30 tisseuses sur métier à vapeur employées par un certain Harrupp, fabricant de draps des fabriques Leower, Westbury Leigh, firent grève** parce que ledit Harrupp avait pour agréable habitude de leur retenir de l'argent sur le salaire pour cause de retards matinaux: 6 d. pour 2 minutes, 1 sh. pour 3 minutes et 1 sh. 6 d. pour 10 minutes. Ce qui fait dans les 9 sh. par heure et 4 l. st. 10 sh. par jour alors que leur salaire moyen ne dépasse jamais dans l'année plus de 10 à 12 sh. par semaine. Harrupp a également nommé un garçon pour sonner au clairon l'heure de la fabrique, opération qu'il effectue parfois lui-même avant 6 heures du matin, et si la main-d'oeuvre n'est pas là juste au moment où il arrête, les portes sont fermées et ceux qui sont dehors sont pris au piège de l'amende; et comme il n'y a pas d'horloge dans le bâtiment, les malheureuses ouvrières sont à la merci du jeune sonneur inspiré par Harrupp. La main-d'oeuvre en grève**, des jeunes filles et des mères de famille, déclarèrent qu'elles se remettraient au travail quand le sonneur serait remplacé par une horloge, et quand serait introduit un tarif de punition plus rationnel. Harrupp fit comparaître devant les magistrats, pour rupture de contrat, 19 femmes et jeunes filles. Elles furent condamnées chacune à 6 d. d'amende et à 2 sh. 6 d. pour les frais, à l'indignation générale de l'auditoire. Harrupp quitta le tribunal sous les huées de la foule. Une des opérations favorites des fabricants est de punir les ouvriers par des retenues d'argent pour les défauts du matériau qu'ils leur fournissent. Cette méthode a provoqué en 1866 une grève** générale dans les districts anglais de potiers. Les rapports de la Children's Employment Commiss. (1863‑1866) citent des cas où au lieu de recevoir un salaire pour son travail, et en vertu du code des punitions, l'ouvrier devient par-dessus le marché débiteur envers son illustre maître**. La dernière crise du coton a aussi fourni son contingent de traits édifiants quant à la perspicacité des autocrates de fabrique en matière de retenues de salaire. "J'ai eu moi-même tout récemment", dit l'inspecteur de fabrique R. Baker, "à faire poursuivre en justice un fabricant de coton, qui, par les temps difficiles et douloureux que nous vivons, retenait 10 d. à quelques "jeunes" ouvriers (de moins de treize ans) qu'il emploie, pour le certificat d'âge du médecin qui ne lui coûte que 6 d. et pour lequel la loi n'autorise qu'une retenue de 3 d., l'usage étant même de ne faire aucune retenue... Un autre fabricant, pour parvenir au même but, sans entrer en conflit avec la loi, accable chacun de ces pauvres enfants qui travaillent pour lui d'un casuel d'un shilling à titre de frais d'apprentissage et d'initiation aux arcanes du filage, dès lors que le certificat médical les déclare mûrs pour cette occupation. Il existe donc des facteurs occultes qu'il faut connaître si l'on veut comprendre des phénomènes aussi extraordinaires que les grèves** à une époque comme la nôtre" (il s'agit d'une grève** à la fabrique de Darven, chez les tisserands travaillant sur machines, en 1863). (Reports of Insp. of Fact. for 30th April 1863, pp. 50‑51). (Les rapports de fabriques vont toujours au-delà de leur date officielle).

[116].   Les lois visant à la protection contre les machines dangereuses ont eu un effet bienfaisant. "Mais... il existe maintenant de nouvelles sources d'accidents qui n'existaient pas il y a vingt ans, notamment l'augmentation de la vitesse de la machinerie; les roues, les cylindres, les broches et les métiers à tisser sont mus à présent avec une puissance accrue et qui ne cesse d'augmenter; il faut que les doigts saisissent rapidement et sûrement le fil coupé, car s'il y a hésitation ou inattention, ils sont sacrifiés... Un grand nombre d'accidents est dû au zèle des ouvriers désireux d'exécuter rapidement leur travail. Rappelons qu'il est de la plus grande importance pour les fabricants de maintenir leur machinerie en mouvement sans interruption, bref, de produire du fil et du tissu. Tout arrêt d'une minute est non seulement une perte en force motrice mais aussi en production. C'est pourquoi les ouvriers sont harcelés par des surveillants, qui sont intéressés à la production quantitative du produit et qui les poussent à maintenir la machinerie en mouvement; et ce n'est pas moins important pour les ouvriers payés en fonction du nombre de pièces ou au poids. Si bien que, quoiqu'il soit formellement interdit dans la plupart des fabriques de nettoyer la machinerie pendant son fonctionnement, cette pratique est générale. Cette seule cause a provoqué 906 accidents pendant les six derniers mois... Bien qu'il y ait des opérations de nettoyage tous les jours, le samedi est généralement le jour fixé pour un nettoyage complet de la machinerie, et celui-ci a lieu la plupart du temps pendant le fonctionnement des machines... C'est une opération non payée, si bien que les ouvriers cherchent à s'en débarrasser le plus vite possible. Ce qui explique pourquoi le nombre des accidents est beaucoup plus élevé le vendredi, et surtout le samedi. Le vendredi, il y a un surcroît d'accidents de 12 % environ par rapport au chiffre moyen des 4 premiers jours de la semaine, le samedi le surcroît d'accidents par rapport à la moyenne des 5 jours précédents atteint 25 %, mais si l'on tient compte du fait que le samedi la journée de fabrique n'a que 7 h % contre 10 h % les autres jours de la semaine, ‑ cet excédent augmente en fait de plus de 65 %." (Reports of Insp. of Factories for etc. 31st October 1866, Londres 1867, pp. 9, 15, 16, 17).

[117].   Dans la première section du livre III, je rendrai compte d'une des croisades toutes récentes menées par les fabricants anglais contre les clauses de la loi sur les fabriques qui visent à protéger les abattis de la main-d'oeuvre contre une machinerie terriblement dangereuse, y compris pour la vie des ouvriers. On se contentera ici d'une citation extraite d'un rapport officiel de l'inspecteur de fabriques Leonard Homer: "J'ai entendu des fabricants parler avec une légèreté inexcusable de quelques-uns des accidents, dire par exemple que la perte d'un doigt est une bagatelle. La vie et l'avenir d'un ouvrier dépendent tellement de ses doigts qu'une telle perte constitue pour lui un événement extrêmement grave. Quand j'entends de telles inepties, je pose la question: supposons que vous ayez besoin d'un ouvrier supplémentaire et que deux se présentent à vous, tous les deux d'une valeur égale à tout point de vue, mais dont l'un a perdu le pouce ou l'index, lequel choisiriez-vous? Vous n'hésiteriez pas un instant à engager celui qui a tous ses doigts. Ces messieurs les fabricants ont des préjugés entièrement faux contre ce qu'ils appellent une législation pseudo-philanthropique." (Reports of Insp. of Fact. for 31st Oct. 1855 [p. 6‑7]). Ces messieurs sont des "gens avisés" et ce n'est pas pour rien qu'ils s'enflamment pour la rébellion des esclavagistes!

[118]*. Voir Fourier, La fausse industrie morcelée, répugnante, mensongère, et l'antidote, l'industrie naturelle, combinée, attrayante, véridique, donnant quadruple produit, Paris 1835, p. 59.

[119].   Dans les fabriques soumises depuis le début à la Loi sur les fabriques avec sa limitation obligatoire du temps de travail et ses autres dispositions, bien des inconvénients antérieurs ont disparu. L'amélioration de la machinerie proprement dite exige à un certain niveau une "construction améliorée des bâtiments de ln fabrique", qui profite aux ouvriers. (Cf. Reports etc. for 31st Oct. 1863, p. 109).