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Eugène Pottier: La revanche des moutons

 

 

Eugène Pottier (4 octobre 1816 - 6 novembre 1887).

Ecrit à Paris, en 1886.

Reproduit selon:

Pierre Brochon (Ed.), Eugène Pottier - Oeuvres complètes, Paris, Editions François Maspero, 1966.

 

 

 

 

 

 

 

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Textes d'Eugène Pottier - Sommaire

 

 

 

 

 

 

 

 

La revanche des moutons

Les loups, les loups les plus féroces,
Toujours gueule ouverte et mangeant
Les mineurs, leurs femmes, leurs gosses,
C'est la bande des gens d'argent.
Nous moutons noirs du charbonnage,
Nous saignons de ce long carnage.

Gare là-dessous!
Tous les Watrin[1] du patronage!...
Gare là-dessous!
Les moutons vont manger les loups!

Descendus vivants au sépulcre,
Nous rampons dans l'éternel noir,
Pour un bien misérable lucre
Qu'on n'est jamais certain d'avoir;
Ils nous tiennent par la famine,
Et l'amende nous extermine.

Gare là-dessous!
Les crocs nous poussent dans la mine!...
Gare là-dessous!
Les moutons vont manger les loups

Eux nous volent..., sur nous on lance
Les gendarmes, les policiers...
C'est par légitime défense
Que nous devenons justiciers.
Quand le Peuple exécute un traître
Et le lance par la fenêtre,

Gare là-dessous!
Notre ennemi, c'est notre maître[2]!...
Gare là-dessous!
Les moutons vont manger les loups!

Il est bien temps de se défendre,
Et nous ne serons pas les seuls:
Les braves tisseurs de la Flandre
Sont las de tisser leurs linceuls[3].
Le ciel est noir..., l'orage crève,
La France ouvrière se lève:

Gare là-dessous!
Partout le clairon de la grève!...
Gare là-dessous!
Les moutons vont manger les loups!

Oui, les dents et les faulx s'aiguisent,
La masse aura gros à manger.
Surtout ces loups qui se déguisent
Sous des vêtements de berger.
Sur la finance féodale
Plane une revanche fatale.

Gare là-dessous!
Tout nous pousse à la Sociale[4]...
Gare là-dessous!
Les moutons vont manger les loups!

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]. Référence au mouvement de grève déclenché le 26 janvier 1886 dans le puits Paleyret à Decazeville, dont le sous-directeur Jules Watrin mourut ce jour-là, défenestré par les grévistes. Dans un premier temps les mineurs reprirent le travail le 29 janvier, puis se mirent de nouveau en grève le 25 février, poursuivant leur mouvement jusqu'au 14 juin. Ils furent victime d'une répression sévère.

[2]. Cette phrase figure dans la fable “Le vieillard et l'âne” de Jean de La Fontaine (1621-1695, les fables ont été écrites aux alentours de 1668). Le vieillard lâche l'âne lors d'une halte, puis, voyant "l'ennemi" arriver, s'enfuit - seul, puisque l'âne lui a exposé son point de vue en ces termes: "Et que m'importe donc à qui je sois? Sauvez-vous, et me laissez paître. Notre ennemi, c'est notre maître."

[3]. La chanson “Les Canuts” (datant de 1894) d'Aristide Bruant (1851-1925) renvoie implicitement à cette phrase. En effet, elle dit: "Mais notre règne arrivera / Quand votre règne finira: / Nous tisserons le linceul du vieux monde, / Car on entend déjà la tempête qui gronde." Il s'agit de la révolte des ouvriers de la soie à Lyon (appelés les canuts), en novembre 1831. Elle fut réprimée le 5 décembre, par une force gouvernementale comptant 20 000 hommes. Une seconde insurrection des canuts eut lieu en 1834, ainsi qu'une troisième en 1848.

[4]. “La Sociale”, c'est-à-dire “la république sociale”. C'est un mot d'ordre porté par le mouvement ouvrier depuis la révolution de février 1848 qui avait abouti au renversement de la monarchie et à l'instauration de la Seconde République (après celle de 1792). Cependant, dès le mois de mai, le nouveau pouvoir prit un tournant réactionnaire.