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La demande de reconnaissance du statut de République
à la Kosove est juste

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Zëri i popullit, 17 mai 1981

Reproduit d'après:
À propos des événements de Kosove
Editions "8 Nëntori", Tirana, 1981
p. 44

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La question nationale albanaise et le conflit de 1998-1999 au Kosovo - Sommaire

 

 

 

 

 

 

Introduction

Un peu d'histoire sur la manière dont est traité le problème national des Albanais en Yougoslavie

La politique de l'État albanais ne menace pas, mais défend la RSF de Yougoslavie

La nation albanaise est une, elle a une seule histoire, une seule culture et une seule langue

L'"ethnie pure", la "petite Albanie" et la "grande Albanie"

 Introduction

Tour à tour les états-majors politiques de Yougoslavie, à tous les niveaux, depuis les instances inférieures jusqu'aux instances suprêmes, depuis les régions, les républiques jusqu'à la Fédération, depuis les organisations de base jusqu'au Comité central de la LCY, se sont réunis pour discuter des événements de Kosove. C'est partout l'anathème jeté sur le peuple et la jeunesse de Kosove, partout des menaces, des injures, des offenses! Le chauvinisme grand-serbe et antialbanais submerge la Yougoslavie. Les dirigeants yougoslaves rivalisent d'éloquence pour dissimuler les véritables causes des manifestations et des révoltes de la population albanaise de Kosove, pour cacher les massacres inhumains et les actes de barbarie des troupes serbes, pour dénigrer les Albanais de Kosove. C'est à qui proposera le premier les mesures les plus draconiennes, présentera les plans les plus répressifs et les plus antihumanitaires à leur encontre.

Mais aujourd'hui, dans cet article, nous n'avons pas l'intention de revenir sur l'explication des événements tragiques de Kosove, de montrer où ils ont leur source et qui les a provoqués.

Nous avons exprimé notre point de vue et notre position sur ces questions dans les articles qui ont paru les 8 et 23 avril[1]. Nous n'avons rien à y retrancher ni à y ajouter. Ce que nous avions à dire nous l'avons dit ouvertement, directement, sincèrement et avec un sentiment élevé de responsabilité.

Nous avons pensé qu'après les premières secousses et les premiers désarrois, à la direction yougoslave on verrait prévaloir la raison, le sang-froid, le jugement réaliste et objectif des causes qui ont conduit à la nouvelle tragédie de Kosove, et que les intérêts supérieurs des peuples de Yougoslavie, l'amitié et l'unité des nations et des nationalités qui la constituent prévaudraient sur les anciens et nouveaux préjugés nationalistes.

Il n'en a rien été. Au contraire tous les organismes et les organes gouvernementaux et de la Ligue des communistes ont donné libre cours à une furieuse vague de chauvinisme, non seulement contre les Albanais de Kosove, mais aussi contre le Parti du Travail et la République populaire socialiste d'Albanie, contre leur ligne et leur politique justes dans leur attitude à l'égard de la Yougoslavie. Ils accusent l'Albanie ni plus ni moins que de "s'être ingérée dans les affaires intérieures de la Yougoslavie".

Nous nous serions ingérés dans leurs affaires, parce que nous avons dénoncé publiquement les massacres qui ont été perpétrés en Kosove, parce que nous avons dit, ce qui est vrai, que les tués, les blessés et les emprisonnés s'y comptent par milliers! Les dirigeants yougoslaves attendaient-ils que nous leur envoyions nos félicitations pour ces crimes et ces actes de barbarie? Nous serions intervenus chez eux, parce que nous avons dit dans nos articles que les Kosoviens ont le droit de demander le statut de république fédérée! Mais c'est là une revendication légitime, c'est une revendication du peuple de Kosove et elle n'a pas été inventée par nous.

Les dirigeants yougoslaves, ces jours-ci, ont beaucoup parlé de cette question, mais personne n'a expliqué pourquoi la Kosove ne peut devenir une république. Ils se sont bornés à répéter l'un après l'autre que la demande de Kosove de devenir une république fédérée serait réactionnaire, contre-révolutionnaire, chauvine, etc. Cette position n'est pas seulement dépourvue de tout fondement, elle est aussi en ouverte et totale opposition avec la position programme sur la question nationale prise par le PCY durant la guerre ainsi qu'avec de nombreuses déclarations des plus hautes personnalités du Parti et de l'État yougoslaves. Mais reportons-nous plutôt aux documents.

Un peu d'histoire sur la manière dont est traité
le problème national des Albanais en Yougoslavie

À la Conférence des ambassadeurs des grandes puissances qui se tint à Londres en 1913, l'Albanie fut démembrée. En dépit des nombreuses protestations par la voie diplomatique et l'opposition armée du peuple albanais, une grande partie du Nord-Est du pays, la Kosove et d'autres régions albanaises furent annexées aux royaumes de Serbie et du Monténégro.

En 1919, à Versailles, la Conférence de la Paix, malgré les justes revendications du peuple albanais, confirma le démembrement des territoires albanais décidé par les puissances impérialistes à Londres et les laissa à l'intérieur des limites du royaume des Serbes, Croates et Slovènes qu'elle créa.

Pendant une longue période, le Parti communiste de Yougoslavie a condamné l'oppression nationale à l'encontre des Albanais, qui "étaient asservis et voués à l'extermination" par "la politique nationaliste des hégémonistes grand-serbes", comme l'écrivait Tito dans le journal "Proleter". De même, pendant un certain temps, il s'en est tenu à la thèse, selon laquelle les peuples qui composaient le royaume de Yougoslavie devaient se voir reconnaître le droit à l'autodétermination jusqu'à la sécession.

Dans l'article intitulé "Contre le danger de guerre, contre l'offensive de la réaction fasciste! Unissons aussi en Yougoslavie toutes les forces démocratiques dans le front populaire de combat", publié dans "Proleter", organe du CC du PCY, le 2 février 1937, Tito écrivait: "Le but de cette guerre dans laquelle les masses du peuple s'engageront de toutes leurs forces, doit être à tout prix la solution urgente de la question nationale, conformément au principe du droit démocratique à l'autodétermination [...]".

Dans un autre article intitulé "La question nationale en Yougoslavie à la lumière de la Lutte de libération nationale" paru encore dans "Proleter" à la fin de décembre 1942, et considéré comme un document programme du PCY sur la question nationale, Tito soulignait que "le Parti communiste de Yougoslavie n'a pas renoncé ni ne renoncera jamais à son principe énoncé par nos grands éducateurs et dirigeants Lénine et Staline, et selon lequel chaque peuple a le droit de décider lui-même de son sort et cela jusqu'à la sécession [...] La question de la Macédoine, la question de la Kosove et Metohia, la question du Monténégro, la question de la Serbie, la question de la Croatie, la question de la Slovénie, la question de la Bosnie et de l'Herzégovine seront facilement réglées à la satisfaction de tous. C'est seulement ainsi que le peuple résoudra lui-même cette question, et chaque peuple est en train de conquérir ce droit, l'arme à la main, dans l'actuelle Lutte de libération nationale."

Dans les "Thèses sur la question nationale en Kosove et Metohia" qui furent soumises par un des principaux dirigeants du PCY, Moša Pijade, à la Ve Conférence du pays tenue à Zagreb en octobre 1940, il est dit: "La question nationale ici (en Kosove ‑ N.d.R.) peut être résolue par la formation de la république libre ouvrière et paysanne de Kosove, à travers le renversement révolutionnaire du régime fasciste impérialiste de la bourgeoisie “grand-serbe”. Ce règlement signifie pour les Albanais, les Turcs et les musulmans slaves l'accession à la libre propriété de la terre, leur affranchissement de l'oppression nationale et l'obtention des conditions requises pour leur libre et entier développement national, politique et culturel" (Arhiv F.N.R.J. Fond: "Centralni Komitet K.P.J. Broj 12‑14, 1940. Teze o nacionalnom pitanju na Kosmetu sa V zemaljske Konferencije K.P.J.")

Le Parti communiste de Yougoslavie reconnaissait donc au peuple de Kosove, comme à tous les autres peuples de Yougoslavie, le droit à l'autodétermination, jusqu'à la sécession, le droit d'avoir sa propre république. Ces droits, le peuple de Kosove les conquerrait en participant à la lutte antifasciste et de libération. Et les Albanais de Kosove ont participé à cette lutte en apportant leur précieuse contribution à la libération de Kosove et des peuples de Yougoslavie.

À la fin de 1944, les brigades et autres formations de partisans en Kosove, comme l'a écrit Fadil Hoxha, comptaient plus de 50 000 combattants. Au cours de cette lutte des milliers de partisans albanais donnèrent leur vie pour la liberté et les droits nationaux.

Conformément à la décision prise à la Ve Conférence du PCY de 1940, durant toute la Lutte de libération nationale le Comité régional du PC pour la Kosove et la Metohia maintenait des liens directs avec le Comité central du PCY. Il était sur le même rang et avait les mêmes attributions et compétences que les plus hautes instances du parti en Serbie, en Macédoine, au Monténégro et en Bosnie-Herzégovine. Et le principal état-major militaire créé en Kosove durant la guerre était lié directement à l'État-major suprême de Yougoslavie. Ainsi, durant la guerre, le Parti, l'Armée de libération nationale, les Conseils, le Front, etc., en Kosove ne relevaient pas de la Serbie et ne fonctionnaient pas dans son cadre, mais ils étaient, tout comme ceux des autres nationalités, directement rattachés aux instances centrales de Yougoslavie.

Se fondant sur les décisions prises et les orientations données par le PCY pour l'autodétermination des nations, le Comité régional du PCY pour la Kosove et la Metohia décida en novembre 1943 de convoquer la conférence fondatrice du Conseil de libération nationale pour la Kosove et la Metohia. Cette conférence se tint dans le village de Bujan, dans la Malesia de Gjakova, le 31 décembre 1943 et les 1er et 2 janvier 1944. Y participèrent 49 délégués, dont 43 albanais et 6 serbes et monténégrins. C'étaient des représentants des conseils de libération nationale des principaux centres et des villages, des formations partisanes et des communistes de toutes les régions de Kosove. La Conférence se tint à la même époque où les autres nations aussi de Yougoslavie fondèrent leurs organes suprêmes du pouvoir issus de la Lutte de libération nationale, alors que chaque nation réalisait, selon ses voeux et sa volonté, le droit à l'autodétermination.

Le document principal de la Conférence fondatrice du Conseil de libération nationale pour la Kosove et la Metohia est la Résolution dans laquelle s'exprime l'attitude de toute la population à propos de l'avenir de la Kosove.

"La Kosove et le Rrafsh (Plateau) de Dukagjin, est-il dit dans cette résolution, est une région habitée en majeure partie par le peuple albanais, qui aujourd'hui comme toujours souhaite s'unir à l'Albanie. Aussi estimons-nous de notre devoir de montrer au peuple albanais la juste voie qu'il doit suivre pour réaliser ses aspirations. La seule voie à suivre donc pour que le peuple albanais de Kosove et du Rrafsh de Dukagjin s'unisse à l'Albanie est celle de la lutte commune avec les autres peuples de Yougoslavie contre l'occupant nazi sanguinaire et ses suppôts, car c'est là la seule voie pour conquérir la liberté, grâce à laquelle tous les peuples, partant, le peuple albanais, seront mis en mesure de décider de leur sort en exerçant le droit il l'autodétermination jusqu'à la sécession. Le gage en est l'Armée de libération nationale de Yougoslavie et l'Armée de libération nationale d'Albanie avec laquelle elle est étroitement liée. En outre, cela est garanti par nos grands alliés, l'Union soviétique, l'Angleterre, l'Amérique (Charte de l'Atlantique, Conférences de Moscou et de Téhéran)." (Conseil populaire de la Région autonome de Kosove-Metohia 1943-1953. Prishtine, 1955, p. 10).

La Résolution du Conseil de libération nationale de Kosove et de Metohia porte les signatures des héros du peuple, Xhevdet Doda et Hajdar Dushi, des martyrs Tefik Çanga, Xheladin Hana, etc., de Fadil Hoxha, Xhavit Nimani, Ymer Pula, Milan Mičković, Liubomir Canić, Veliša Mičković et d'autres délégués qui participèrent à la réunion.

Toutefois, cette décision, bien que conforme aux documents du PCY et aux déclarations de Tito sur l'autodétermination des nations, se heurta à l'opposition de la direction du PCY, où prévalait désormais l'esprit nationaliste-chauvin et où les attitudes antimarxistes pour le règlement de la Yougoslavie d'après-guerre s'étaient accentuées.

Dans la lettre du CC du PCY du 28 mars 1944, envoyée au Comité régional de Kosove et Metohia, relative aux décisions de la Conférence de Bujan, il était dit: "Vous n'auriez pas dû créer un comité provincial, car votre région n'est pas une province compacte distincte [...] La résolution ne fait pas apparaître clairement le caractère de votre Conseil provincial de libération nationale. Ce Conseil peut avoir seulement un rôle d'initiateur, être seulement un organe de l'unité politique des masses, mais nous ne pouvons lui reconnaître un caractère de pouvoir, encore qu'il doive diriger les conseils des échelons inférieurs là où ils existent. Et cela, parce que vous n'avez pas de territoires libérés [...]

"[...] Nous vous envoyons les recommandations suivantes sur la manière de traiter la question nationale. Vous devez avant tout comprendre et populariser plus largement les décisions de la IIe réunion de l'AVNOJ[2]; faire connaître l'essence et le but de ces décisions. Ces décisions assurent des droits égaux à tous les peuples, elles rendent possible le droit à l'autodétermination.

"Aujourd'hui il ne faut pas parler d'“unification” avec l'Albanie, car en ce moment il n'est pas question de délimitation de frontières entre la Yougoslavie et l'Albanie, toutes deux occupées par l'Allemagne, mais de la lutte armée que ces deux pays doivent mener pour se libérer des occupants fascistes." (Zbornik dokumenta i podataka o Narodno-oslobodilačkom Ratum jugoslovenskih naroda. Tom I. Knjiga 19. Borbe na Kosovu 1941-1944. Dok. 104, str. 462‑464. Beograd, 1969).

Et pourtant, les Albanais de Kosove et de toute la Yougoslavie continuèrent de se battre avec détermination contre les occupants fascistes, en espérant toujours conquérir, grâce à leur lutte, leurs droits nationaux.

À l'automne 1944 Miladin Popović rentra d'Albanie en Kosove, où il reprit ses fonctions de secrétaire politique du Comité régional du PCY pour la Kosove. Dès 1943, il avait envoyé une lettre au CC du PCY, demandant que celui-ci définît le contenu concret du principe d'autodétermination et la manière dont ce principe serait appliqué pour les Albanais de Kosove. Dans cette lettre M. Popović écrivait: "Nous avons toujours souligné le mot d'ordre de l'autodétermination pour demain. Ainsi il n'a pas été possible de mobiliser le peuple albanais contre l'occupant “libérateur”". Plus loin, il demande que "le CC du PCY adopte une attitude bien nette et définisse la forme de l'autodétermination des Albanais en Yougoslavie". (Archives centrales du PTA, Dossier M. Popović). Mais la direction yougoslave n'écouta pas ce communiste internationaliste, ce fils du Monténégro, et elle poursuivit dans sa voie.

À la libération de la Yougoslavie, les Albanais de Kosove et des autres régions attendaient, au nom de la contribution qu'ils avaient fournie dans la lutte contre les occupants, au nom du sang versé par des milliers de combattants qui tombèrent sur les champs de bataille, au nom des sacrifices innombrables du peuple tout entier, de se voir accorder les libertés poétiques et les droits nationaux au même titre que les autres peuples de Yougoslavie.

Mais au lieu de cela, en Kosove fut établie, dès février 1945, l'Administration militaire. À cette époque, alors que la plupart des brigades de Kosoviens se battaient en Croatie et en Slovénie pour la libération de toute la Yougoslavie, en Kosove firent irruption les 52e et 46e divisions serbo-monténégrines, la 50e division macédonienne, etc. Des milliers d'Albanais furent tués et massacrés sous des accusations diverses. Sous le prétexte de la mobilisation militaire, des milliers d'autres furent envoyés au front.

Cependant qu'en Kosove l'administration militaire régnait et faisait la loi, à Belgrade on mettait à l'encan la Kosove entière. La première variante discutée par la direction yougoslave était le partage de la Kosove entre les trois républiques, Monténégro, Serbie et Macédoine. Ainsi était projeté un nouveau morcellement des régions albanaises analogue à celui qui était établi dans le Royaume yougoslave. À une réunion du CC du PCY qui fut tenue au début de 1945, Miladin Popović s'opposa énergiquement à cette proposition. Il déclara que cette proposition était ouvertement contraire aux aspirations et aux droits des Albanais de Kosove, que ceux-ci avaient conquis au prix du sang versé et par la contribution qu'ils avaient fournie au cours de la Lutte de libération nationale.

Après quoi, il fut question de faire de la Kosove une unité autonome, qui ne fût pas distincte et dépendante de la Fédération, mais annexée à l'une des trois républiques: Serbie, Macédoine ou Monténégro. Finalement il fut décidé de l'annexer à la République de Serbie (Kosove, 2, 1973, pp. 76‑78).

La solution qui fut apportée à la question de Kosove par la direction yougoslave n'était pas un juste règlement de la question nationale. C'était là une attitude arbitraire, une négation flagrante des droits souverains de la population de Kosove, une violation du principe de l'autodétermination des peuples.

La seule variante dont il ne fut pas discuté à l'époque à Belgrade, était celle consistant à laisser la Kosove s'unir à l'Albanie. La population de Kosove n'avait-elle pas exprimé ce voeu à la réunion de Bujan? L'Albanie et la Yougoslavie n'avaient-elles pas été deux États alliés, qui avaient combattu et versé leur sang côte à côte?

Le statut de la Kosove fut fixé sous le diktat de l'idéologie chauvine grand-serbe, héritée du Royaume yougoslave et conservée aussi dans la Yougoslavie d'après-guerre. C'est ce qui ressort aussi des propos que Tito tint au camarade Enver Hoxha en 1946, lui disant "la Kosove et les autres régions peuplées d'Albanais appartiennent à l'Albanie et nous vous les rendrons, mais pas maintenant, parce qu'actuellement la réaction grand-serbe n'accepterait jamais une chose pareille". (AC du PTA, Dossier: La visite de la délégation albanaise en Yougoslavie, 1946.)

Tito admettait que la Kosove appartenait à l'Albanie, mais il n'était pas de bonne foi, car la direction yougoslave avait en fait décidé que la Kosove resterait sous la domination de la Serbie. En fait, une année auparavant, il avait déjà déclaré à la délégation albanaise de Kosove que "les peuples de Kosove et de Metohia créeront une fraternité et union si profondes que pour le peuple albanais il reviendrait au même de se trouver à l'intérieur des frontières de l'Albanie ou de celles de la Yougoslavie" (Rilindja, 15 avril 1945).

Ce que Tito dissimulait, le chauvin serbe Ranković le disait ouvertement et sans gants. Parlant de la question de l'annexion de la Kosove par la Serbie, dans une réunion extraordinaire de l'Assemblée antifasciste de Serbie en avril 1945, il déclarait que cette annexion "est la meilleure réponse à ceux qui tambourinent le danger de morcellement du territoire “serbe”, à ceux qui accusent la Lutte de libération nationale de vouloir affaiblir les Serbes à l'avantage des Croates et des autres" (Borba, 8 avril 1945).

Et les actuels dirigeants yougoslaves, déterminés qu'ils sont à rejeter la demande de la Kosove de recevoir le statut de république fédérée, cherchent à prouver que le peuple albanais de Kosove aurait décidé lui-même "par sa propre volonté" l'intégration de la Kosove dans la République de Serbie!

L'annexion de la Kosove à la République de Serbie n'a été ni demandée ni décidée par le peuple de Kosove. Cette décision a été prise de façon arbitraire par les instances supérieures de la Serbie. C'est ce qui ressort clairement des documents de l'époque.

À la réunion d'avril 1945 de l'Assemblée antifasciste de Serbie que nous venons d'évoquer, Dušan Mugoša, qui avait remplacé Miladin Popović, assassiné un mois auparavant par les agents de l'OZNA[3], prit la parole. Il déclara: "J'exprime le voeu du Conseil de LN de Kosove et de Metohia, que nous aussi, peuple de Kosove et de Metohia, soyons annexés à la Serbie fédérative sœur." (Borba, 8 avril 1945). Cette déclaration de Dušan Mugoša est considérée comme "une expression du libre consentement et de l'autodétermination du peuple de Kosove". Le 9 avril 1945, le journal "Borba" annonçait en gros caractères que la réunion de l'Assemblée antifasciste du peuple libéré de Serbie avait "exaucé le voeu" des peuples de Kosove et de Metohia de s'unir à la Serbie fédérative.

Mais le 30 juin 1945, le journal "Borba" oubliant ce qu'il avait censuré le 8 avril, publia aussi la dernière partie du discours de Dušan Mugoša, où celui-ci révélait que la Kosove n'avait fait aucune demande ni n'avait pris aucune décision de s'annexer à la Serbie. "Nous n'avons pas, avait déclaré Dušan Mugoša, encore pris cette décision dans notre Assemblée, car en Kosove et Metohia opère le pouvoir militaire. À la première occasion, dès que le pouvoir militaire y sera supprimé, nous déciderons dans notre Assemblée de nous unir à la Serbie fédérative." (Borba, 30 juin 1945.) Ainsi donc, il devait être décidé en Kosove ce qui avait déjà été décidé à Belgrade.

Mais que recueillit la Kosove de toute cette lutte qu'elle avait menée et du sang qu'elle avait versé? Dans la Yougoslavie nouvelle elle ne se vit même pas accorder les droits de région autonome, comme ce fut le cas de la Voïvodine, mais elle fut réduite à un "Oblast" de la Serbie fédérative. C'est ce statut que la Kosove conserva jusqu'en 1968.

Le peuple de Kosove ne s'accommoda pas d'une telle situation et continua de réclamer obstinément ses droits. En 1968, à l'occasion du débat à propos des amendements à la Constitution, les Albanais de Kosove soulevèrent une nouvelle fois le problème de leurs droits nationaux et demandèrent pour la Kosove le statut de république. Cette demande fut présentée ouvertement et publiquement aux actifs politiques qui se tinrent dans les communes de Prishtine, Gjilan, etc. La presse kosovienne d'octobre 1968 affirmait qu'au cours de quelques réunions, "dans certaines communes on a réclamé le statut de république, le droit à l'autodétermination", etc... (Rilindja, 6 septembre 1968 et 6 octobre 1968).

Ces demandes furent même présentées à Tito au début de novembre 1968 par une délégation de la LC de Kosove-Metohia. Tito s'opposa à cette revendication légitime des Albanais de Kosove et la rejeta, déclarant que "la république n'est pas le seul facteur qui puisse résoudre tous les problèmes" (Rilindja, 4 novembre 1968). Il était clair que la direction yougoslave n'avait pas l'intention d'accorder aux Albanais de Kosove le statut de république.

Aussi, en novembre 1968, dans les diverses villes de Kosove éclatèrent des manifestations massives auxquelles participèrent des jeunes et d'autres citadins albanais. Ils réclamaient les droits nationaux pour lesquels ils avaient combattu et versé leur sang, comme par exemple le droit d'arborer leur drapeau national, le droit au bilinguisme (albanais et serbe), la fondation d'une université albanaise, le droit à l'autodétermination et le statut de république. Les manifestations furent réprimées par les forces de police, au moyen de la violence.

À la suite des ces manifestations, la direction yougoslave satisfit les demandes albanaises portant sur le bilinguisme, le drapeau national et la fondation de l'Université de Prishtine. Quant à la demande de reconnaissance du statut de république, elle ne fut pas acceptée. Bien qu'après l'approbation des amendements de la Constitution la région autonome se soit vue élargir certaines compétences, la Kosove demeura toujours sous la tutelle de la Serbie.

De tout ce qui vient d'être dit, il ressort que la demande des Albanais de Kosove de se voir reconnaître le statut de république fédérée et leurs droits nationaux n'est pas une question nouvelle, soulevée pour la première fois dans les manifestations de Prishtine et d'autres villes, ce n'est pas une question provoquée par l'Albanie socialiste. Le peuple de Kosove n'a cessé de lutter pour ces droits. Mais ils lui ont été niés systématiquement, depuis la IIe Réunion de l'AVNOJ du 29 novembre 1943, qui traita les Albanais de Kosove et des autres régions de Yougoslavie de minorités nationales, destinées à vivre à l'ombre des républiques, cependant qu'elle reconnaissait à d'autres, par exemple au Monténégro et à la Macédoine, le droit à la souveraineté et à leur constitution en république. Comme il résulte de tous les documents cités, la bourgeoisie et le chauvinisme serbes constituaient un obstacle à la pleine reconnaissance des droits nationaux du peuple de Kosove. C'est précisément parce que ses justes demandes pour se voir reconnaître le statut de république ne sont pas du goût de cette bourgeoisie, qu'elles sont qualifiées d'irrédentistes, de contre-révolutionnaires, de chauvines, etc.

C'est seulement si l'on a en vue cette façon malveillante d'aborder le problème national de Kosove, la manière antimarxiste dont il a été traité, les solutions chauvines apportées à la question de ses droits constitutionnels, que l'on peut expliquer et comprendre les manifestations de Prishtine, qui étaient au début pacifiques, mais que Belgrade a rendues sanglantes.

Pourquoi ces messieurs de Belgrade dissimulent-ils ce développement du problème de la Kosove? Pourquoi n'en ont-ils pas fait l'analyse dans leurs dernières réunions? Ils ont une raison. Et la raison est que toute analyse du problème constitutionnel de la Kosove conduira à la conclusion que les Albanais ne se sont pas vu accorder les droits pour lesquels ils ont combattu et versé leur sang côte à côte avec les autres peuples de Yougoslavie, qu'ils sont toujours l'objet d'une répression nationale continue, qu'en Yougoslavie l'on pratique une politique chauvine à l'égard de la Kosove. On ne peut résoudre la question de la Kosove en prétendant que ces manifestations sont organisées par des irrédentistes, ni en usant de la terreur et de la violence, ni en accusant l'Albanie de s'ingérer dans les affaires intérieures de la Yougoslavie.

La politique de l'État albanais ne menace pas,
mais défend la RSF de Yougoslavie

Les contradictions idéologiques entre l'Albanie socialiste et la Yougoslavie autogestionnaire sont notoires. La polémique idéologique entre nous ne date pas d'hier. Nous, communistes albanais, nous avons estimé, nous estimons et estimerons toujours de notre devoir de défendre le marxisme-léninisme. Nous avons combattu et nous combattrons les théories et les conceptions révisionnistes-opportunistes-réformistes, de quelque couleur qu'elles soient. C'est là notre droit, de même qu'ont le droit de nous combattre tous les antimarxistes et les divers partis de la bourgeoisie, qui ne s'en privent pas.

Nous avons parfaitement le droit de défendre notre système de la dictature du prolétariat. Les autres ont le droit de défendre leurs systèmes. C'est là qu'a son origine la lutte idéologique naturelle et inéluctable entre nous et eux.

Les dirigeants yougoslaves prétendent qu'ils ne mènent pas ce genre de lutte contre nous. Cela n'a pas été et n'est pas vrai. Pour notre part, nous menons la lutte idéologique et le déclarons, alors qu'eux la mènent, et ne le déclarent pas.

Ils prétendent qu'une pareille lutte idéologique affaiblit les rapports d'État à État, commerciaux et culturels, entre l'Albanie et la Yougoslavie. Nous disons, et on le constate, qu'ils ne se sont pas affaiblis. Au contraire, ils se sont renforcés et non seulement par leur bon vouloir, mais aussi par le nôtre. Ni les Yougoslaves ni nous ne nous sommes fait de concessions idéologiques, mais nous nous sommes entendus sur des questions d'intérêt commun, et nous ne nous sommes pas accordés sur les questions à propos desquelles nous ne pouvons jamais nous mettre d'accord.

Nos rapports d'État à État fondés sur les principes connus du bon voisinage ont progressé. Nous souhaitons qu'à l'avenir aussi on avance dans ce sens. Si la direction yougoslave ne le souhaite pas, personne ne l'empêchera d'agir différemment. Nous nous efforcerons de trouver un "modus vivendi" avec elle, sans pour autant violer les principes.

Vous qui avez déclenché en Yougoslavie une nouvelle campagne, antialbanaise, vous prétendez avoir "relâché votre vigilance" face aux prétendues menées hostiles de la République populaire socialiste d'Albanie à l'encontre de la République socialiste, fédérative de Yougoslavie. Cela n'est pas vrai, car vous avez mené ouvertement la lutte idéologique.

Vous prétendez vous être montrés "magnanimes" au nom du maintien des bons rapports entre les deux pays. Cela non plus n'est pas vrai. Vous ne péchez pas par générosité et vous combattez sans répit le marxisme-léninisme, notre doctrine, fondamentale, et notre régime de dictature du prolétariat. Pourquoi le cachez-vous?

Malgré tout, il existe aussi un autre aspect de la réalité, celui du maintien des rapports de bon voisinage dans nos relations d'État à État. Nous souhaitons que cette réalité subsiste et progresse. Ces derniers temps vous donnez l'impression de vouloir restreindre ces rapports. À vous d'en assumer la responsabilité.

Apparemment, vous intensifierez et porterez à un degré supérieur la campagne antialbanaise, non fondée et erronée, que vous avez orchestrée récemment et qui n'est ni nouvelle ni de faible ampleur. Faites-le, nous ne nous laissons pas intimider. Agissez à votre guise, nous agirons à la nôtre.

Vous prétendez hypocritement n'avoir pas informé l'opinion publique yougoslave et votre jeunesse de la misère qui règne en Albanie, de l'absence de libertés et de droits dont souffrirait le peuple albanais, de la démolition des églises et des mosquées, de notre refus d'accueillir des hordes de touristes, de la fermeture de nos ports à la flotte de guerre soviétique, des nombreux camps de détenus, etc. De notre côté, nous parlerons encore plus que nous ne l'avons fait jusqu'à présent du "paradis yougoslave". Nous avons déjà parlé de "ce paradis et de la prospérité économique, spirituelle et idéologique" de la Yougoslavie, mais nous rafraîchirons la mémoire de notre peuple et de notre jeunesse en leur rappelant tous les maux que le peuple albanais a vus et a soufferts de votre fait, avant comme après la Lutte de libération nationale. Cela est dans la logique des choses et de la lutte que vous souhaitez attiser.

Contrairement aux faits historiques, vous avez prétendu que la Yougoslavie avait défendu l'Albanie. À la dernière réunion plénière du Comité central de la Ligue des communistes de Yougoslavie, qui s'est tenue dans le seul but de frapper la Kosove et d'attaquer la République populaire socialiste d'Albanie, de nombreuses voix autorisées se sont, entre autres, fait entendre pour dire que "la Yougoslavie fédérative est le défenseur de la République populaire socialiste d'Albanie". Ce sont là des paroles "paternalistes" et unilatérales. Non sans dessein et à partir de positions mégalomanes de grand État, on a oublié que l'Albanie socialiste aussi est un puissant défenseur de la République socialiste fédérative de Yougoslavie.

Nous nous opposons à l'actuelle politique extérieure et intérieure de la Yougoslavie, car nous la jugeons grosse de multiples dangers pour la Yougoslavie même, pour l'Albanie, les Balkans et l'Europe, sans égard à la publicité et aux propos pompeux relatifs à l´"autogestion", à une politique "indépendante", "non alignée", etc.

Tout gouvernement et toute personne qui a une idée de la politique et qui suit le cours des événements dans le monde, voit bien les dangers que présente ce cours de la politique yougoslave. Cette politique a exposé la Yougoslavie aux convoitises et aux agressions éventuelles de la part de l'impérialisme américain et du social-impérialisme soviétique. Cette menace est le produit de cette politique myope, qui est aussi à l'origine de l'instabilité à l'intérieur de la Yougoslavie.

Les dirigeants yougoslaves, non contents de prôner leur système autogestionnaire, le recommandent aussi aux autres comme "la forme et le système socialistes les plus parfaits". Ils présentent leur politique étrangère comme ayant pour but de désarmer et de détruire les puissances agressives impérialistes, d'apporter la paix et la prospérité au monde. Cette prétention mégalomane n'est pas seulement naïve, elle constitue aussi une mystification que les événements dans le monde viennent chaque jour démasquer.

La Yougoslavie considère comme un grand mérite d'être accablée de dettes. Elle appelle cela de l´"indépendance économique". Elle estime préserver et défendre son indépendance, s'en tenir à la politique de "non-alignement", lorsqu'elle assure par la loi aux sociétés multinationales impérialistes et soviétiques 50 pour cent des profits réalisés dans les entreprises économiques mixtes installées dans le pays. Elle considère, comme une politique "intelligente, ouverte et franche" que de permettre l'afflux de touristes étrangers chez elle et l'émigration de travailleurs yougoslaves dans tous les pays capitalistes du monde. Elle tient pour un "geste de courtoisie" que de permettre aux bâtiments de guerre soviétiques de mouiller, de procéder a des réparations et de s'approvisionner dans les ports yougoslaves. Elle juge inévitables et presque "normaux" la grande crise économique qui s'est abattue sur le pays, la forte hausse de l'inflation, le renchérissement de la vie des masses travailleuses. Selon la direction yougoslave, tout cela n'a rien à voir ni avec l´"autogestion", ni avec la "politique indépendante", ni avec celle de "non-alignement". Ce sont là, disent les "théoriciens yougoslaves", deux ordres de questions qui n'influent pas les unes sur les autres, les unes ne sont pas les conséquences des autres.

Selon eux, la faute en retombe sur les Albanais qui vivent en Yougoslavie et sur la République populaire socialiste d'Albanie, qui les "pousse" par "sa politique étatiste-bureaucratique-stalinienne, nationaliste et irrédentiste".

Non, messieurs les dirigeants yougoslaves, n'ayez pas peur de la vérité, soyez un peu réalistes, car les choses ne sont pas comme vous les présentez.

Ne souhaiteriez-vous pas par hasard nous voir suivre, nous aussi votre voie? Cela ne se produira jamais. Nous pouvons vivre même pauvres, mais nous voulons vivre libres et bâtir notre bien-être, qui s'accroît du reste de jour en jour. Et cela, nous le faisons par nos propres moyens. Nous ne sommes endettés envers personne et ne vendons pas notre pays aux capitaux étrangers, américains, soviétiques, ou autres. Nous ne sommes pas repliés sur nous-mêmes, mais nous pratiquons un commerce honnête, fondé sur l'avantage réciproque, de même que nous procédons à des échanges dans les domaines culturel et éducatif. Il est de fait que nous entretenons de tels rapports avec vous également et que le commerce entre nos deux pays va croissant d'année en année.

Quiconque peut aisément imaginer ce qu'il adviendrait de l'Albanie socialiste si elle ouvrait ses portes aux capitaux soviétiques, américains et aux autres pays capitalistes, aux touristes hippies; ce qu'il adviendrait de l'Albanie si elle ouvrait aux bâtiments de guerre soviétiques ses ports de Sarande, Vlore, Durres, Shengjin, comme la Yougoslavie le fait pour ses propres ports. Cela mettrait en danger non seulement la République populaire socialiste d'Albanie, mais aussi la République socialiste fédérative de Yougoslavie, la République de Grèce, toute la péninsule des Balkans et l'Europe entière.

Nous ne l'avons jamais fait et nous ne le ferons jamais. Ni les Soviétiques ni nul autre ne verront jamais nos ports, même à la longue-vue. Pour entrer dans les ports albanais, n'importe quel ennemi devrait passer sur nos corps.

Du fait qu'elle suit une politique de principes, juste et inébranlable, qu'elle s'en tient fermement et avec esprit de suite à la voie qu'elle s'est tracée, l'Albanie constitue un important facteur de paix et de stabilité, de sécurité et de défense dans les Balkans et en Europe, comme elle l'a été par tradition et dans son passé historique.

Le monde capitaliste et impérialiste a de tout temps causé bien des maux au peuple albanais. De nos jours encore, il cherche à dénaturer la vérité sur l'Albanie. Il a pillé ses richesses et ne veut pas les lui restituer. Il se refuse ou hésite à lui payer les réparations qu'il lui doit, alors qu'il l'a fait aux autres. Et cela, parce que le peuple albanais, qui est un petit peuple, désire vivre libre, indépendant et souverain dans son pays. Le peuple albanais n'a fait de tort à personne, il n'a fait que du bien. Mais aucune force ne pourra l'obliger à renoncer à ses droits légitimes.

Messieurs les dirigeants yougoslaves, laissez un instant de côté vos passions malsaines et réfléchissez de sang-froid: Cette politique de l'État albanais menace-t-elle ou défend-elle la République socialiste fédérative de Yougoslavie?

Nous avons déclaré et nous déclarons officiellement et publiquement que si jamais la République socialiste fédérative de Yougoslavie est attaquée, nous, les Albanais de la République populaire socialiste d'Albanie, nous combattrons côte à côte avec les peuples de Yougoslavie. Est-ce une attitude qui mine ou qui défend la Fédération yougoslave?

Croyez-vous qu'à ce moment suprême, où le peuple albanais de la République populaire socialiste d'Albanie, uni aux peuples de Yougoslavie, combattra côte à côte avec eux, comme il l'a fait lors de la Seconde Guerre mondiale, contre un ou plusieurs ennemis envahisseurs de nos deux pays, le peuple albanais qui vit sur son propre territoire en Yougoslavie dirigera ses armes et se dressera contre nous en prenant fait et cause pour les Soviéto-Bulgares ou quelque autre agresseur?

Pourquoi, messieurs les dirigeants yougoslaves, déformez-vous nos déclarations et cherchez-vous à mettre dans notre bouche des propos que nous n'avons pas tenus? Nous avons déclaré et nous déclarons que nous n'avons jamais avancé ni n'avancerons de revendications territoriales. Pourquoi nous taxez-vous de chauvins, d'instigateurs à l'irrédentisme, de nationalistes? Assurément, en portant contre nous ces accusations injustifiées, non fondées et gratuites, vous cherchez à camoufler quelque chose de grave et d'injuste de votre part.

Nous n'avons aucun intérêt à voir s'affaiblir la République socialiste fédérative de Yougoslavie. Au contraire, nous souhaitons qu'elle se renforce mais pas sur le dos des Albanais de Kosove. L'affaiblissement de la Fédération n'est pas pour déplaire à l'Union soviétique révisionniste agresseuse et à la direction révisionniste bulgare. Cette vérité, nous la disons ouvertement, alors que vous, vous avez peur de la dire. Qui pis est, vous claironnez et clamez que la République populaire socialiste d'Albanie souhaite voir miner la Fédération yougoslave, que le peuple albanais et l'héroïque jeunesse albanaise de Kosove, qui revendiquent le statut de république, seraient des contre-révolutionnaires et chercheraient à saper la Fédération.

Vous avez, par trois fois, gravement fait couler le sang du peuple albanais martyr qui vit en Yougoslavie, de ce peuple, qui avec 50 000 de ses fils et filles s'est battu côte à côte avec ses frères yougoslaves et le peuple albanais frère, qui envoya ses brigades de choc libératrices en Yougoslavie contre les occupants nazis-fascistes, les "ballistes", tchetniks et oustachis. Malgré cela, vous l'avez ensanglanté en 1945 et en 1968, et de nouveau en 1981 vous l'avez couvert de sang.

Peut-on aller de l'avant ainsi, messieurs les dirigeants yougoslaves? Peut-on qualifier cette façon d'agir de "juste règlement des questions nationales", ce slogan que vous claironnez chaque jour? Supporteriez-vous de voir exercer une terreur pareille contre vos peuples, feriez-vous preuve d'autant de sang-froid et de patience que les Kosoviens face à des faits aussi cruels? La population albanaise qui vit en Yougoslavie n'aurait-elle pas le droit de vivre tranquille et libre? N'aurait-elle pas le droit d'empêcher les gens de l'UDB d'entrer dans ses foyers, d'attenter à l'honneur de ses femmes et de ses filles, de l'emprisonner et de la torturer alors qu'elle est innocente? N'a-t-elle pas le droit de se défendre contre ces actes inhumains?

Les Albanais de Yougoslavie doivent avoir tous ces droits et la République populaire socialiste d'Albanie les soutient lorsque, ceux-ci leur sont niés et surtout lorsqu'ils sont étouffés dans le sang, comme ce fut le cas ces derniers temps dans toute la Kosove.

Vous qualifiez ces vérités que nous proclamons et ces droits que nous défendons publiquement d´"ingérence dans les affaires intérieures de la Yougoslavie", d´"organisation subversive de Tirana", etc. Non, messieurs, cela est faux et personne n'ajoute foi à vos dires. Le peuple albanais qui vit en Yougoslavie est intelligent et il sait lui-même ce qu'il fait. Il n'a pas besoin que nous, Albanais de la République populaire socialiste d'Albanie, lui apprenions comment il doit agir et que nous l'y incitions. Il est courageux et loyal, il sait demander ce qu'il lui revient, comme il sait lui-même se défendre. Appréciez justement, messieurs les dirigeants yougoslaves, les hautes vertus de cette partie de la nation albanaise qui vit en Yougoslavie, n'en faites pas une ennemie en foulant aux pieds les droits qui lui reviennent, ce n'est ni dans votre intérêt ni dans le sien.

La nation albanaise est une, elle a une seule histoire,
une seule culture et une seule langue

Les relations dans les domaines éducatif, culturel et scientifique que la République populaire socialiste d'Albanie a entretenues, au premier chef avec la Kosove, mais aussi, à un degré moindre (et cela non pas parce que la bonne volonté a fait défaut de notre part), avec la République socialiste de Macédoine et celle du Monténégro, ont été à notre sens très normales, fructueuses, utiles et correctes de part et d'autre. Ces rapports se sont développés sur la base de conventions bilatérales et avec le consentement de nos deux gouvernements.

Nous pensons que le Gouvernement de la République socialiste fédérative de Yougoslavie a donné son consentement aussi bien à la Région autonome de Kosove qu'aux deux autres républiques fédérées où vivent des Albanais. Mais c'est là une question qui ne nous concerne pas. Ce qui intéresse les deux parties, c'est le fait que ces relations se développaient dans une juste voie, qu'elles ne revêtaient pas un caractère politique, qu'elles n'excitaient ni le nationalisme, ni le chauvinisme, ni l'irrédentisme. Il n'y a eu aucune réclamation pour un éventuel manque de correction, pour infraction aux lois de l'une ou l'autre république par les personnes voyageant d'un pays à l'autre, pas le moindre incident, fût-ce de peu d'importance.

Nous sommes pleinement convaincus que ces relations, comme vous vous plaisez à le répéter souvent, ont servi de pont au renforcement des rapports entre le peuple albanais et les peuples de Yougoslavie.

Ces relations économiques, commerciales, éducatives et culturelles entre la République populaire socialiste d'Albanie et la Région autonome de Kosove, après les troubles qui s'y sont produits non pas de notre fait et sans la moindre instigation ou intervention de notre part, ont été considérées par la direction de la Fédération de Yougoslavie comme équivalant à "une ingérence dans les affaires intérieures de la Yougoslavie, à une incitation au chauvinisme grand-albanais, à des revendications territoriales irrédentistes". Elle a qualifié ces relations qui se développent depuis longtemps au grand jour et non pas dans des coins obscurs, comme étant fondamentalement inspirées par le nationalisme albanais, importé de Tirana par nos hommes de science, nos professeurs, académiciens, chanteurs et danseurs. Ce jugement calomnieux et hostile n'avait jamais été exprimé jusqu'ici par la partie yougoslave ni sous forme de critique ni sous forme d'observation.

Nous tenons à souligner au contraire que des personnalités majeures de la direction albanaise dans la Fédération et la région, qui se sont montrées des plus farouches contre les manifestants de Prishtine et d'ailleurs, ont constamment cité en exemple nos gens de l'art et de la culture qui se rendaient en Kosove, elles ont fait leur éloge et les ont remerciés publiquement de leur courtoisie.

La direction yougoslave oublie que la nation albanaise est une, indépendamment du fait qu'une partie en vit dans la République populaire socialiste d'Albanie et l'autre dans trois régions de la Yougoslavie fédérative. Elle a ici et là la même histoire, la même culture et la même langue, elle a ses héros, ses poètes, ses peintres, ses musiciens et ses artistes communs. C'est là un grand trésor qu'elle garde, qu'elle cultive et développe. Ce sont là les traits principaux d'une nation.

Les Yougoslaves estiment-ils qu'il faut effacer ces traits de la nationalité albanaise, qu'il faut les regarder comme des signes et des phénomènes "d'un nationalisme romantique suranné et d'un chauvinisme blâmable"?

Peut-on considérer l'échange d'idées entre les Albanais de l'Albanie socialiste et les Albanais vivant en Yougoslavie sur l'enrichissement de la langue albanaise, sur la genèse du peuple albanais, sur l'histoire de leurs ancêtres, sur les sciences sociales et naturelles, comme une incitation au chauvinisme et à l'irrédentisme albanais? Peut-on considérer nos danses et nos chants populaires présentés en Yougoslavie comme une incitation au chauvinisme et à l'irrédentisme? C'est là notre trésor commun, le trésor de tous les Albanais, et de la République populaire socialiste d'Albanie en particulier. Nous vous avons soumis à l'avance nos plans de coopération culturelle et éducative et nos programmes de représentations de nos groupes artistiques et vous les avez approuvés. Ils ont été très appréciés et applaudis par le public. Tout le monde aime ce qui est beau et sain.

Nos ensembles artistiques se sont rendus partout. Ils ont été reçus et applaudis avec une grande sympathie et un vif enthousiasme par le peuple de Grèce et ses dirigeants, par les amateurs d'art et par la presse de ce pays. Nos danses et nos chants populaires ont également beaucoup plu au peuple turc et à ses dirigeants de tout rang. Ils ont été accueillis de la même façon en France, en Italie, en Algérie, en Tunisie, dans les pays nordiques et partout ailleurs. Personne ne nous a accusés de nationalisme ni de chauvinisme. Ces publics ont respecté nos sentiments et nous avons respecté les leurs.

Nous posons la question: pourquoi les dirigeants yougoslaves ont-ils adopté cette attitude? Qu'est-ce qui les inquiète dans leur esprit et leurs sentiments? Pourquoi n'ont-ils pas la conscience tranquille? Jugent-ils que ce double courant de visiteurs entre nos deux pays a été numériquement à notre avantage? Les statistiques prouvent le contraire et nous nous en réjouissons.

Ou bien cherchent-ils un prétexte pour restreindre ces rapports, pour réduire les échanges dans les sciences, la culture, les arts et le mouvement de visiteurs entre nos deux pays? C'est ce qu'a donné à entendre Monsieur Dušan Ristić, président de l'Assemblée de Kosove, lorsqu'il a dit que "tous les protocoles sur la coopération entre les institutions et les organisations culturelles et éducatives, etc., de Kosove et d'Albanie devaient cesser d'être appliqués".

La Fédération et les autres organes compétents peuvent, s'ils le veulent, agir comme le recommande Ristić. C'est leur droit. Nous ne forçons pas les portes des autres. Pour notre part, nous garderons toujours nos portes ouvertes à tous nos amis sincères, d'où qu'ils soient et en particulier à nos frères albanais qui vivent en Yougoslavie. Cela leur permettra de voir l´"enfer albanais", comme l'appellent les principaux dirigeants de la Région autonome de Kosove, et de la République socialiste fédérative de Yougoslavie et de le comparer avec le "paradis yougoslave", comme nous disons.

Mais nous exprimons notre jugement à l'avance: si les Yougoslaves prennent ces mesures nationalistes, chauvines, ce sera une grave erreur de leur part. Les Albanais de Yougoslavie et tout le peuple albanais les dénonceront et diront à juste titre que les Yougoslaves ont peur du développement de la culture albanaise et qu'ils n'ont pas peur de la culture décadente!

Mais nous disons en toute amitié aux Yougoslaves que de telles mesures ne tranquilliseront pas l'opinion albanaise en Kosove et dans les autres régions de Yougoslavie. Nous sommes convaincus que l'opinion yougoslave saine et l'opinion mondiale dénonceront elles aussi cet acte.

Nous avons une nouvelle fois pour devoir de dire aux dirigeants yougoslaves de garder leur calme dans leurs idées et dans leurs actions. Que la direction yougoslave considère avec l'esprit de justice le plus rigoureux les besoins des Albanais de Yougoslavie, qu'elle ne les moleste pas ni ne les soumette à aucune discrimination, qu'elle examine avec sérieux et objectivité les revendications légitimes des Kosoviens, qu'elle ne touche ni ne maltraite l'héroïque jeunesse albanaise, particulièrement la jeunesse estudiantine, les instituteurs, les professeurs et toute l'intelligentsia de Kosove et des autres régions de Yougoslavie, qu'elle ne considère pas l'Université de Prishtine et les écoles primaires et secondaires albanaises comme des foyers d'ennemis, de contre-révolutionnaires, de chauvins, etc., qu'elle n'ampute, pas l'Université de Prishtine parce qu'elle aurait soi-disant une surproduction de diplômés et qu'elle n'éparpille pas les étudiants albanais dans toutes les universités de Yougoslavie. Personne ne s'y trompe et tous comprennent fort bien pourquoi on agit ainsi. L'Albanais n'oublie pas "le pays où il est né et où il est honoré". Ne tentez pas de couper la tête de la jeunesse, de la belle fleur albanaise de Kosove, car les Albanais n'ont jamais épargné leur sang pour le savoir et pour la liberté.

Si la production s'accroît dans la Kosove à la fois riche et pauvre, il ne saurait jamais y avoir une surproduction de diplômés. Mais pour assurer ce développement de Kosove, il convient de prendre des mesures sérieuses, et vous pouvez bien clamer tant que vous voulez qu'en République populaire socialiste d'Albanie "le peuple n'a pas à manger, qu'il n'y a pas de liberté, pas d'églises ni de mosquées".

Le mineur de fond albanais de Kosove n'accepte pas que son sous-sol soit exploité et son sol abandonné, que ses frères soient appauvris ou tombent sous les balles.

Nous disons ces vérités à certains dirigeants yougoslaves qui sont raisonnables, afin qu'ils en tiennent compte, car la course qu'ont entamée certains autres dirigeants insensés, brutaux et antialbanais, peut causer des catastrophes encore plus néfastes, auxquelles il sera, plus tard, difficile de remédier.

Nous ne voulons pas vous donner de conseils ni nous ingérer dans vos affaires intérieure, mais nous vous disons cela pour le bien commun de nos deux pays, car vous avez beaucoup envenimé les choses avec les Kosoviens et les Albanais des autres régions ainsi qu'avec les émigrants économiques albanais hors de Yougoslavie. Vous semez la division parmi ces derniers. Ce ne sont pas les "agences diplomatiques de la RPSA" à l'étranger, monsieur Minić, qui créent cette division, mais vous.

Nous sommes pleinement convaincus que la Kosove ne peut être pour la sape de la Fédération. Mais la Fédération doit étudier et résoudre dans un esprit de justice la grande question des droits des Albanais de Kosove que ceux-ci ont mise sur le tapis, et que Tito, Moša Pijade, Miladin Popović eux-mêmes ont traitée sous l'aspect théorique et pratique.

La Kosove doit être apaisée, mais elle ne peut l'être par la destitution d'un Mahmut Bakalli[4], et la nomination à sa tête d'un Mahmut Çakalli[5]. La Kosove s'apaisera, si on lève l'état de siège, si l'armée et la police punitive serbes sont retirées, si la situation est normalisée, si tous les innocents qui remplissent les prisons sont libérés, si les corps des manifestants tombés sont rendus à leurs familles, car c'est là une question sacrée et humanitaire. Penchez-vous attentivement et dans un esprit de justice sur la demande du peuple de Kosove d'accéder au statut de république, réglez de façon juste ses problèmes économiques. C'est seulement ainsi que la Kosove sera apaisée, c'est seulement ainsi qu'elle sera une amie des autres républiques, au sein de la République socialiste fédérative de Yougoslavie.

La Kosove réclame le statut de république au sein de la Fédération yougoslave. Ce statut représente l'aspiration d'un grand peuple qui demande à juste titre le "statut de souveraineté" et non pas celui de "minorité nationale" qui lui avait été injustement attribué a Jajce. Milovan Djilas, ce grand-serbe et ennemi de la République socialiste fédérative de Yougoslavie a, dans ses récents écrits, mis à nu les raisons de cette injustice que malheureusement l'actuelle direction yougoslave n'a jamais démenties.

La demande de Kosove d'accéder au statut de république fédérée est juste. Elle l'a mérité par la lutte qu'elle a menée aux côtés des autres peuples de Yougoslavie contre le fascisme. Le chauvinisme grand-serbe a gravement ensanglanté la Kosove et créé une situation à laquelle on ne peut guère remédier par des expédients.

Souhaitez-vous, messieurs les dirigeants yougoslaves, que ce mal tourne en gangrène? Réfléchissez-y, mais pour notre part nous ne voulons pas d'une pareille chose. Ce mal doit être soigné immédiatement, judicieusement et avec courage.

On ne peut guérir la plaie par des manœuvres, des combinaisons, des tours de passe-passe, des menaces pour obliger les gens à dire ce qu'on leur dicte. La fraternité ne peut être instaurée que dans la franchise et la sincérité, avec des hommes que le peuple albanais de Kosove aime et à qui il fait confiance. Ce sont eux qui peuvent et doivent combler le grand fossé qui a été creusé non par la faute du peuple albanais de Kosove.

Nous estimons de notre devoir de vous dire ces vérités amicalement. Vous pouvez, si vous le voulez, les rejeter, nous appliquer n'importe quelle épithète de votre choix. Que le monde avancé nous juge et nous et vous.

Les peuples de Yougoslavie et le peuple albanais veulent l'amitié entre eux, mais cette amitié doit être assise sur des fondements solides.

L'"ethnie pure", la "petite Albanie" et la "grande Albanie"

La levée de boucliers contre nous de la part de la direction yougoslave avait certainement pour but de cacher quelque chose d'horrible et de condamnable qui s'est produit dans les rues des villes et des villages de Kosove, où le sang du peuple a coulé à flots.

Combien y a-t-il eu de tués et comment ont-ils trouvé la mort? Là-dessus on garde le secret. Mais le peuple albanais de Kosove sait bien quels sont ses fils et filles que l'on a tués, torturés, fait disparaître et emprisonnés. Plus on essaie de cacher la vérité, plus elle devient dangereuse. Le sang ne s'efface pas facilement! Il ne faut pas l'oublier. L'entière vérité sur la tragédie de Kosove se fera jour, elle sera effrayante et lourde de conséquences.

Dans une interview à des journalistes étrangers sur les événements de Kosove, monsieur Stane Dolanc a déclaré entre autres que "la République populaire socialiste d'Albanie n'a aucune part dans ces évènements". Monsieur Dolanc est l'un des dirigeants principaux, sinon le principal, au sein du Comité central de la Ligue des communistes de Yougoslavie. Ce qu'il a dit là est fondé, étayé par des faits.

Mais qui a gonflé le mensonge? Qui a faussé la vérité? Qui avait intérêt à accuser la République populaire socialiste d'Albanie d'être pour quelque chose dans les troubles de Kosove? Il appartient à la direction yougoslave, à monsieur Minić et à monsieur Vidić de répondre à cela, mais ce qui a été monté là est un acte monstrueux, un ouragan de haine, qui a creusé un tel fossé que tout Yougoslave politiquement immature peut mettre le signe d'égalité entre l'appellation d´"Albanais" et la 'qualité d´"ennemi des peuples de Yougoslavie". Ceux qui ont creusé ce fossé en sont responsables devant leurs peuples, y compris ici les Albanais qui vivent en Yougoslavie. Ils en sont responsables devant l'histoire.

Le Comité central de la Ligue des communistes de Yougoslavie a, unanimement, condamné injustement les événements de Kosove, il a dénoncé les Kosoviens, il a dénoncé les Albanais de Yougoslavie, il a dénoncé la République populaire socialiste d'Albanie comme étant l'instigatrice de ces troubles.

Mais nous savons aussi faire la différence entre ceux qui ont pris la parole à cette haute instance de la Ligue des communistes de Yougoslavie. Nous avons constaté que les principaux dirigeants des républiques voisines du Monténégro et de Macédoine, mais aussi ceux de Croatie et de Slovénie, bien qu'ils aient condamné les événements de Kosove, se sont montrés plus calmes, plus circonspects, plus perspicaces en ce qui concerne l'évolution de la situation entre Albanais et Yougoslaves, entre, la République socialiste fédérative de Yougoslavie et la République populaire socialiste d'Albanie.

Nous ne pouvons en dire autant des principaux dirigeants de la Serbie, comme messieurs Minić, Vidić, Stambolić. Leurs discours sont marqués par une férocité sans frein, par une veine chauvine grand-serbe inouïe hostile au peuple albanais qui vit en Yougoslavie et à la République populaire socialiste d'Albanie.

Quant aux "dirigeants albanais" qui ont pris la parole à cette haute instance de la Ligue des communistes de Yougoslavie ou en dehors de cette instance, leurs discours se sont caractérisés par une hystérie aussi intense que servile, au service de leurs maîtres Vidić, Minić, Stambolić, etc. Il va de soi que ces gens-là ne peuvent pas apaiser la Kosove. Le peuple de Kosove hait ces "dirigeants" fantoches.

À toutes les réunions des hautes instances de l'État et du parti en République socialiste fédérative de Yougoslavie et au sein de la Ligue des communistes de Yougoslavie des voix se sont fait entendre qui disaient: "Il faut revoir nos rapports avec l'Albanie, etc." Par deux fois en l'espace de trente ans vous avez coupé les ponts avec l'Albanie socialiste.

Espérez-vous nous intimider? Croiriez-vous que la République populaire socialiste d'Albanie respire grâce à vous? Vous vous trompez! Vous êtes obnubilés par votre mégalomanie grand-yougoslave.

Nous avons la tête froide et le cœur ardent.

Nous pouvons nous arranger même avec les restrictions que vous pensez susciter dans les rapports entre nos deux pays. Vous pouvez même rompre ces rapports, nous ne nous en porterons pas plus mal.

Pour notre part, nous ne le souhaitons nullement et ce n'est pas nous qui avons créé les graves situations actuelles en Kosove et dans toute la Yougoslavie. C'est bien vous. Nous n'y sommes pour rien. Aussi les accusations que vous portez contre nous ne sont-elles qu'un prétexte pour justifier artificiellement ces tristes événements.

Nous vous disons encore une fois: faites attention! Ne perdez pas votre calme! Ne tournez pas vos propres fautes en un conflit avec la République populaire socialiste d'Albanie, car ce conflit serait dans l'intérêt de nos ennemis.

Monsieur Minić s'est livré, au Comité central de la LCY, à une dangereuse provocation en affirmant que "la direction albanaise, par le truchement de ses personnalités, de sa diplomatie, y compris son ambassade à Belgrade et ses agences, a encouragé les groupes irrédentistes albanais, qui avaient pour but de déstabiliser et de désintégrer la Yougoslavie". Nous estimons que cette personnalité ne parle pas au nom du gouvernement de la RSFY, car, si les choses étaient comme le prétend monsieur Minić et que une ou deux personnes ou une ambassade entière se livrent à des menées subversives, alors le gouvernement yougoslave serait en droit, comme le seraient aussi le gouvernement albanais et tout autre gouvernement en des cas analogues, de déclarer ces gens-là personae non gratae, et même de rompre les relations diplomatiques.

Cela, ni le gouvernement yougoslave ni le gouvernement albanais ne l'ont fait, car une pareille activité n'existe pas.

Cette pratique, monsieur Minić la connaît. Mais il invente tout cela pour défendre une cause perdue.

Malgré tout, du discours de monsieur Minić nous avons conclu qu'il aurait mis sous contrôle toutes nos ambassades dans divers pays, et bien sûr l'ambassade d'Albanie à Belgrade. C'est ce qu'a confirmé le ministre de l'Intérieur de Yougoslavie, Franjo Herlević, qui, accusant lui aussi les représentations diplomatiques albanaises dans diverses capitales et à Belgrade d'avoir attisé les événements de Kosove, a révélé en fait que nos ambassades seraient partout placées sous le contrôle de la police secrète yougoslave. Cela montre que les services secrets yougoslaves, en épiant les ambassades albanaises, se livrent aussi à leurs agissements dans d'autres pays, violant ainsi la souveraineté de ces pays et les lois internationales. Ces agissements sont intolérables et condamnables.

Les allégations de Herlević sont des inventions de ses services, des calomnies malveillantes faisant le jeu des milieux réactionnaires intérieurs et extérieurs, qui ont intérêt à voir les relations entre la République socialiste fédérative de Yougoslavie et la République populaire socialiste d'Albanie se dégrader et se rompre.

Le Serbe Peter Stambolić a parlé en grand-serbe incorrigible qu'il est. Il a su défendre les intérêts serbes sur le dos des Albanais et il a dit entre autres que "la lutte pour la pureté ethnique conduit objectivement au nationalisme". Et il a qualifié cette lutte de fasciste.

Nous demandons à monsieur Stambolić: le peuple serbe ne constitue-t-il pas une ethnie? Ne considère-t-il pas le peuple albanais aussi comme une ethnie? Sans nul doute, ces deux peuples constituent deux ethnies.

Si monsieur Stambolić ne considère pas le peuple serbe comme une "ethnie pure", du fait que des Albanais, des Monténégrins, des Bosniaques et des Turcs vivent aussi avec lui, le peuple albanais ne constitue pas davantage une "ethnie pure", car en Kosove, où l'immense, majorité de la population est de nationalité albanaise, vivent avec elle des minorités serbe, monténégrine et turque.

Dans ces circonstances analogues, monsieur Stambolić se livre à un tour de passe-passe: l'ethnie albanaise serait nationaliste, fasciste, l'ethnie serbe, elle, ne le serait pas. Mais ce tour de passe-passe ne réussit pas, car ou bien les deux ethnies conduisent "au nationalisme et au fascisme", ou bien ni l'une ni l'autre n'y conduit. Mais il est absolument impossible que l'une y conduise et l'autre non.

Pourquoi monsieur Stambolić ne dit-il pas plus ouvertement que la plus grande ethnie doit dominer la plus petite, que la première doit être souveraine dans la Constitution et la seconde non, cela étant dans l'intérêt de la bourgeoisie de la plus grande ethnie qui exploitera la plus petite?

Ce théoricien grand-serbe qui suit la même ligne ultraréactionnaire que l'académicien Čubrilović de triste mémoire, en avançant la thèse selon laquelle la notion d´"ethnie pure" conduit au fascisme, au nationalisme, veut dire pratiquement qu´"il faut anéantir l'ethnie albanaise, lui faire perdre ses traits nationaux, la faire dégénérer, car elle est devenue pour nous une écharde au pied".

Selon monsieur Stambolić, seule l'ethnie serbe peut vivre en amitié avec les autres peuples, qu'il considère de troisième, ou de quatrième importance, alors que l'ethnie albanaise souveraine en Kosove ne peut pas vivre, elle, en amitié avec les minorités serbe, monténégrine et turque de Kosove.

"Les rapports entre Albanais, Serbes et Turcs ont été gravement affectés", reconnaît monsieur Stambolić. Cela est vrai, mais ces rapports ont été ébranlés seulement entre Serbes et Albanais et non pas entre Albanais, Monténégrins et Turcs.

Pourquoi les rapports entre Serbes et Albanais ont-ils été troublés? Lisez la fable de La Fontaine "Le Loup et l'Agneau", monsieur Stambolić, et vous y trouverez l'explication.

De la réunion du Comité central de la Ligue des communistes de Yougoslavie, les attaques contre la République populaire socialiste d'Albanie et le Parti du Travail d'Albanie se sont étendues à diverses réunions publiques en République de Serbie, avec, cette fois, une virulence sans précédent. Quelque orateur animé d'un esprit grand-serbe et fasciste enragé est allé jusqu'à dire qu'il faut "démanteler le régime stalinien d'Albanie".

Ce nouveau Caton crie sur les "places serbes" "Delenda est Carthago". Or la République populaire socialiste d'Albanie n'est pas Carthage, et le Scipion grand-serbe capable de détruire l'Albanie n'a pas encore vu le jour.

Nous avons tout conquis au prix de notre sang, criait ce nouveau Caton. Et l'Albanie, comment a-t-elle conquis ses libertés? Sans verser son sang? Non, elle les a conquises seulement au prix de son sang. Et ce sang, elle l'a versé aussi pour la liberté des peuples de Yougoslavie. Nous ne l'avons jamais regretté et ne le regretterons jamais. Nous sommes prêts à verser encore notre sang en cas de besoin. La République populaire socialiste d'Albanie est en bonne santé 'et pleine de dynamisme. C'est une autre qui est la malade des Balkans.

Les nouveaux Catons de Serbie nous accusent, nous Albanais, de haïr le peuple serbe. C'est une calomnie monstrueuse. Nous avons aimé et nous aimons le peuple serbe. Nous haïssons seulement le chauvinisme serbe, le chauvinisme albanais et tout autre chauvinisme, car nous sommes des marxistes-léninistes, des internationalistes.

Afin de masquer leur chauvinisme, les chauvins grand-serbes nous qualifient, nous Albanais, de grand-Albanais. C'est l'Italie fasciste de Mussolini qui lança ce slogan et l'on connaît ses visées expansionnistes-agressives et celles des "ballistes" et des tchetniks serbes. Nos deux peuples ont lutté ensemble héroïquement et ils ont vaincu leurs ennemis communs.

L'après-guerre devait régler les rapports enter amis et alliés albanais et yougoslaves. Pour notre part, nous avons rempli notre devoir internationaliste. Nous avons combattu aux côtés des partisans yougoslaves pour la libération de la Yougoslavie. Quant au devoir qui vous incombait à vous, afin d'apporter une juste solution au problème de la Kosove, vous ne l'avez pas rempli. Comme nous l'avons déjà évoqué, vous avez parlé en principe des droits des Albanais de Yougoslavie, mais dans la pratique vous avez fait le contraire et vous continuez de faire de la démagogie.

Ce n'est ni la Rome des César, ni les Slaves de Stefan Dušan, ni les sultans ottomans, ni l'Italie fasciste de Mussolini qui ont donné le jour au peuple albanais. Le peuple albanais a son histoire pluriséculaire, émaillée de luttes pour sa liberté, pour son existence. Ses ennemis ont tenté de le supprimer, mais ils n'y ont pas réussi. Le peuple albanais s'est battu et a vécu dans les siècles. Il a survécu comme une ethnie compacte, bien qu'il ait été divisé et morcelé. Qui nie cette réalité, non seulement fait sourire, mais encore montre ses farouches sentiments chauvins.

Les Albanais de la "petite Albanie" de près de trois millions d'habitants ou de la "grande Albanie" (appellation utilisée par l'occupant italien et que vous aussi employez maintenant pour nous taxer de chauvins) de plus de cinq millions, sont tous et au même titre des Albanais. À cela vous ne pouvez rien, messieurs les chauvins serbes. Il existe bien deux Allemagnes, une de l'Est et une de l'Ouest, de même qu'il existe deux Corées, une du Nord et une du Sud. Mais personne ne doute qu'il n'existe qu'un seul peuple et une seule nation allemande, de même qu'il n'existe qu'un seul peuple et une seule nation coréenne.

Les Albanais sont une ethnie, un peuple, qu'on veuille l'appeler "petite Albanie" ou "grande Albanie". Les Albanais de cette Albanie "petite" ou "grande", qui constituent un peuple compact et qui ont tous les traits d'une vraie nation, n'ont jamais usurpé les terres ni jamais empiété sur les droits d'autrui. Ils n'ont revendiqué que leurs droits, ils les ont défendus et ils les défendront. Vous jugez cela hors nature, vous qualifiez cette attitude de "grand-albanaise", de "nationaliste", voire de "fasciste". Lorsque la Kosove réclame le statut de république au sein de la Fédération pour laquelle se sont battus cinquante mille partisans, vous avez eu le front de qualifier cette revendication d'acte contre-révolutionnaire, de nationalisme albanais et de lui appliquer une foule d'autres épithètes de ce genre.

Vous tombez en contradiction manifeste avec les principes proclamés et les déclarations faites par vos principaux dirigeants, dont vous chantez les louanges jour et nuit. Vous êtes en contradiction avec les principes du droit international, avec les principes du bon voisinage, aussi ne pouvez-vous pas espérer avoir de votre côté l'opinion mondiale progressiste et sensée.

Les solutions que la direction yougoslave cherche à donner au problème de Kosove et aux difficultés dans lesquelles est plongé le pays montrent qu'elle agit avec une grande précipitation et dans un désarroi complet. Les attitudes qu'elle observe et les actions qu'elle entreprend ne répondent aux intérêts ni de la Yougoslavie, ni de l'Albanie, ni de la sécurité balkanique, ni de la sécurité européenne, à propos de laquelle les dirigeants yougoslaves, se posant en promoteurs de l'esprit d'Helsinki, mènent un grand tapage. Par de tels agissements, la direction yougoslave ne renforce pas la position de la RSFY, elle l'affaiblit.

 

Zëri i popullit, 17 mai 1981


Notes

 

 

 

 



[1]. "Pourquoi a-t-on recouru à la violence policière et aux chars contre les Albanais de Kosove?", À propos des événements de Kosove, Editions "8 Nëntori", Tirana, 1981, p. 5; "Qui attise l'inimité entre les peuples de Yougoslavie?, idem, p. 21.

[2]. Conseil antifasciste de libération nationale de Yougoslavie.

[3]. Services secrets yougoslaves.

[4]. En albanais: épicier.

[5]. En albanais: chacal.