Analyses

Accueil

 

Agitprop

English

Art

Français

Références

Español

Présentation

Plan site

 

 

 

 

 

Français   >   Analyses   >

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Question nationale et mondialisation[1]

 

 

Le texte reproduit ci-dessous a été publié par le CEMOPI.

 

 

 

 

 

 

Bulletin international
Nouvelle série n° 12‑13 (94‑95), troisième et quatrième trimestres 1999
édité par le CEMOPI
(Centre d'étude sur le mouvement ouvrier et paysan international),
France

Version imprimable
Impérialisme et question nationale: quelques réflexions - Sommaire

 

 

 

 

 

 

Introduction

Mondialisation, globalisation

 

La tâche propre de la société bourgeoise, c'est l'établissement du marché mondial,
du moins dans ses grandes lignes, et d'une production fondée sur cette base.

K. Marx, Lettre à Fr. Engels du 8 octobre 1858.

Introduction

Le thème proposé pour cette Conférence est excessivement vaste. Il y avait plusieurs choix à faire et il ne nous est pas paru possible de traiter tous les aspects inclus dans ce thème.

Nous avons récemment publié un article dans notre revue, le Bulletin international, exposant les bases marxistes-léninistes de la question nationale, de Marx à Staline. On doit considérer que ce texte constitue la Première Partie de notre intervention.

Une analyse de la mondialisation/globalisation nous aurait conduits trop loin et aurait exigé une somme de connaissances au niveau mondial que nous ne pourrions réunir qu'après un long travail, sauf à reproduire tableaux et statistiques sans en tirer la véritable substance.

Un exemple, pour indiquer la complexité des problèmes que nous devrons affronter, celui de ce que l'on appelle la "délocalisation". Le bas prix du travail n'en est pas le facteur unique aujourd'hui, du moins pas exclusivement. De plus les "délocalisations" présentent un double aspect: qu'il y ait exportation de capitaux en vue de la création d'unités de production, soit que les pays eux-mêmes créent ces entreprises important alors la technologie et les cadres techniques. De même la production ainsi réalisée peut être destinée à l'exportation (retour vers le pays capitaliste avancé) ou bien être destinée à la consommation intérieure, ou bien encore être destinée au marché régional. On peut indiquer que les "délocalisations" s'exercent de plus en plus entre grandes puissances, avec la recherche de marchés intérieurs. Dans d'autres cas encore il y a "re-localisation", c'est-à-dire retour vers le pays d'origine. Certaines entreprises (Nike par exemple) choisissent également de changer de continent, de l'Asie du Sud-Est en Afrique.

Les conséquences de ces politiques sont multiples, soit qu'elles concernent les pays nouvellement intégrés dans la production capitaliste, soit qu'elles concernent la classe ouvrière internationale: il y avait concurrence entre les ouvriers à l'intérieur du même pays, cette concurrence est maintenant internationale.

Devant la complexité de la situation financière, économique nous avons choisi d'axer notre contribution sur des aspects plus politiques, aspects concernant l'action que nous devons mener face également aux aspects équivoques de la lutte contre la mondialisation. Qu'en est-il par exemple de la "longue marche" à propos de la rencontre internationale de l'OMC prévue à Seattle fin novembre?

Cette lutte contre la mondialisation se pose très concrètement pour nous en Europe, et bien entendu en France, pays qui demeure, paraît-il, une des cinq grandes puissances mondiales.

Mondialisation, globalisation[2]

Aujourd'hui derrière les termes mondialisation/globalisation il y a de multiples définitions, et elles sont induites par les analyses effectuées par les économistes, qu'ils soient anglo-saxons ou, en ce qui nous concerne, de langue française. En effet il ne s'agit pas d'un moment achevé du développement du capitalisme. Pour simplifier on pourrait dire que s'opposent deux "écoles": celle du libéralisme[3] intégral et celle d'un libéralisme mâtiné d'interventionnisme étatique. Et plus ou moins d'intervention a bien entendu son importance immédiate pour les exploités et les asservis, et d'importance à court ou moyen terme pour les capitalistes.

Mondialisation

La mondialisation a tout d'abord un caractère géographique, cela s'entend bien. Mais il est tout aussi évident que dans le cadre d'un mode de production aujourd'hui unique, le capitalisme, les deux cents et quelques nations qui composent l'aréopage de l'ONU ne jouent pas le même rôle dans cette mondialisation présentée par les libéraux comme représentant les aspirations du tiers monde et comme garantie des droits démocratiques, "en particulier de ce droit précieux entre tous: celui de vaquer en paix à ses occupations". La perte de la liberté individuelle "passe par la répression des désirs naturels des individus et par un maquis toujours plus dense de réglementation, de législation, de criminalisation de l'activité économique naturelle et de politisation des décisions quotidiennes". Le même Peter Martin, rédacteur en chef de l'édition internationale du Financial Times, écrit également: "L'économie libérale du marché est par nature globale. Elle constitue ce qu'il y a de plus achevé dans l'aventure humaine." Pour ceux-la, l'ennemi, c'est l'État, "indispensable pour éliminer les possibilités de choix transfrontières"[4]. Des nations sans États, mais des États quand même pour mettre en œuvre la déréglementation!

Le marché dont il est question, c'est celui de l'argent, qu'il s'agisse du capital industriel, commercial, ou du capital financier. Mais le terme mondialisation concerne plus particulièrement la dominante financière, caractérisée comme prédominante dans le processus actuel d'accumulation.

À l'origine de cette libéralisation et déréglementation financière (un retour au début de ce siècle) on trouve la politique initiée par Ronald Reagan et Margaret Thatcher, politique qui est devenue mondiale du fait de la puissance de Wall Street et de la City. Faut-il rappeler qu'elle avait été précédée par la mise au pas des syndicats et l'échec de grandes grèves, en Angleterre celle des mineurs. Il faut souligner que c'est en toute liberté de décision que les dirigeants des pays européens se sont alignés sur cette politique libérale, qu'ils soient socialistes ou non.

Globalisation

Le dirigeant d'un très grand groupe industriel européen (ABB) a bien défini en 1995 ce qu'il entendait par globalisation:

la liberté pour mon groupe d'investir où il veut, le temps qu'il veut, pour produire ce qu'il veut, en s'approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales[5].

Mis en avant dans les Business management schools le terme de globalisation doit être principalement entendu dans son sens économique concernant tout à la fois les marchandises matérielles et immatérielles (biens et services): il caractérise une approche et une démarche "globales". Pour A. Mattelard il s'agit d'une "conception cybernétique de l'organisation de la planète en logique managériale d'organisation des entreprises[6]".

Décrire les effets de la mondialisation/globalisation est une chose, mais lutter contre ses effets, qui sont ceux du capitalisme et de l'impérialisme ne serait pas d'une grande aide: lutter contre les effets, c'est du réformisme. Et chacun sait, mais mieux vaut le répéter, qu'il faut s'attaquer aux causes pour supprimer les effets. Quant au réformisme, dans le contexte même de la mondialisation et de la globalisation, il est en train de vivre ses derniers instants.

La mise en avant des effets a cependant son utilité: elle permet de reconnaître si, qualitativement, ils sont différents de ce qu'ils étaient avant la mise en avant de ce nouveau concept. Et si le contenu de ce concept recouvre une nouvelle réalité.

Ce que l'on peut essayer de décrire c'est la forme actuelle que prend le capitalisme international. Y a-t-il ou non rupture ou simplement développement exponentiel de formes indiquées par Marx et Engels, analysées par Lénine et qui, aujourd'hui, après l'autodestruction du monde communiste, tendent à s'imposer comme modèle définitif d'un seul monde, le monde capitaliste.

1

Pour le mouvement communiste international, l'étude de Lénine, L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, est restée longtemps un texte de référence.

Ce texte, aujourd'hui, peut-il encore servir de base à notre étude de l'impérialisme capitaliste dans ses nouvelles formes (sinon entièrement nouvelles, du moins en voie d'achèvement)?

Le concept même d'impérialisme est remis en cause. Pour Marshall McLuhan le monde est un "village global" et c'est l'impératif technologique qui décide du réaménagement politique de la planète[7]. Pour Zbigniew Brzezinski, un des fondateurs de la Trilatérale, la "révolution technétronique" consacre les États-Unis comme "première société globale de l'histoire" et présentant au monde un "modèle global de modernité". Exit l'impérialisme: c'est la fin de l'idéologie, des classes. Avec Francis Fukuyama, c'est l'annonce de la "fin de l'histoire". En somme, c'est le grand retour de l'American way of life, le modèle anti-communiste de la Guerre froide. Et tout ceci au nom de la mondialisation de l'information, si l'on entend également par là ce que nous, nous appellerons l'impérialisme culturel. Culture signifiant ici les produits culturels de toute nature, c'est-à-dire le marché mondial de la culture[8]. Ce refus de la qualification d'impérialisme a suscité de nombreux débats il y a quelques décennies, mais sous une forme différente; la question posée était la suivante: Est-ce que l'économie des États-Unis a besoin de l'impérialisme? De fait ceux qui posaient la question se référaient uniquement aux rapports entre nations riches et nations pauvres. Ce qu'ils négligeaient notamment était le conflit pour la domination monétaire, les conflits inter-impérialistes[9].

En France, le révisionniste René Gallissot aboutit à une conception négationniste de l'impérialisme quand il écrit comme phrase finale de son étude: "La conception de l'impérialisme n'appartient plus à l'économie politique, si tant est qu'elle y ait jamais appartenu, mais à l'explication historique et sociologique[10]."

Faut-il dire que nous ne partageons pas cette "exécution", fondée sur le renforcement de "la double fonction étatique, celle de relais international en inégale subordination au pouvoir de décision plus au moins conjointe des principales puissances, des oligopoles agissant à échelle mondiale et du “capital financier”, et celle de gestion interne et d'assistance de masse".

De notre point de vue, il est nécessaire de prendre appui sur Lénine et les débats qui eurent lieu au début de ce siècle[11].

2

Dans les années qui précèdent la Première Guerre mondiale une grande controverse va agiter la social-démocratie européenne: ce qui est en question, c'est la nature de l'impérialisme. Un certain nombre d'écrits importants ont provoqué, puis jalonné la discussion jusqu'à la fin des années 20, qu'ils soient le fait d'économistes bourgeois, comme Hobson, ou de socialistes et communistes tels que Hilferding, Rosa Luxemburg, Karl Kautsky, Boukharine[12].

L'assentiment donné à une analyse plutôt qu'à une autre ne constitue pas un enjeu uniquement théorique. Cet assentiment va déterminer des positions et des actions dans le domaine politique soit que l'on pense que l'impérialisme va dans le sens de l'unité des intérêts capitalistes au niveau mondial, unité qui serait un facteur de paix universelle, soit que l'on pense que le stade économique de l'impérialisme ne va pas diminuer les contradictions entre les différents impérialismes, contradictions qui aboutiront à de nouvelles guerres inter-impérialistes.

Faire référence à ces débats a-t-il encore raison d'être? L'impérialisme capitaliste constitue-t-il toujours le stade suprême du capitalisme? Si oui, n'est-il que la concrétisation, le simple développement des tendances qui étaient les siennes au début de ce siècle ou bien s'agit-il d'un nouveau stade? Ce que l'on décrit aujourd'hui sous le terme de mondialisation constitue-t-il ce nouveau stade ou bien ne s'agit-il pas, tout simplement, d'une traduction moderne d'impérialisme capitaliste, traduction qui aurait le mérite, aux yeux de la bourgeoisie, d'évacuer les termes d'impérialisme et de capitalisme?

Après l'autodestruction de ce qui subsistait encore du régime socialiste, resurgit une situation semblable à celle qui régnait avant la Première Guerre mondiale et la Révolution d'Octobre 1917, celle d'un marché mondial unique où l'impérialisme capitaliste avait toute liberté d'action. La situation actuelle, toutes proportions gardées, est celle que caractérisait Lénine[13]. Et cette hypothèse est renforcée par une situation internationale traversée de conflits monétaires, militaires, économiques, conflits qui n'ont pas cessé avec la remise en place d'un marché mondial unique. Ce marché en effet, pas plus aujourd'hui qu'hier, ne supprime les conflits entre les différents impérialismes, ni ne s'oppose aux regroupements régionaux de pays impérialistes: la construction de l'Europe en est une démonstration évidente. Il serait en effet unilatéral de réduire la question de l'impérialisme à la dénonciation d'un impérialisme particulier, celui des États-Unis, de la France, de l'Allemagne, etc. Et à quand l'invocation du "péril impérialiste jaune", brandi déjà entre les deux guerres? Il s'agit d'un système mondial, comme son fondement, le mode de production capitaliste.

La reconnaissance de cette réalité conduit à des positions divergentes, et c'est le sens de la dénonciation, et de la réfutation par Lénine des thèses de Karl Kautsky et de Rosa Luxemburg.

Qu'écrivait Kautsky[14]?

La politique impérialiste actuelle ne peut-elle pas être supplantée par une politique nouvelle, ultra-impérialiste, qui substituerait à la lutte des capitaux financiers nationaux entre eux l'exploitation de l'univers en commun par le capital financier uni à l'échelle internationale? Cette nouvelle phase du capitalisme est en tout cas concevable. Est-elle réalisable? Il n'existe pas encore de prémisses suffisantes pour nous permettre de trancher la question.

Cette illusion concernant la substitution aux conflits inter-impérialistes d'un état de paix universelle n'est pas du seul fait de Kautsky. Elle va concerner nombre de dirigeants socialistes et les entraîner qui sur la voie du révisionnisme, qui sur la voie du réformisme.

Il faut d'abord qualifier l'impérialisme. Lénine cite Hobson[15]:

Le nouvel impérialisme se distingue de l'ancien, premièrement, en ce qu'il substitue aux tendances d'un seul Empire en expansion la théorie et la pratique d'Empires rivaux, guidés chacun par les mêmes aspirations à l'expansion politique et au profit commercial; deuxièmement, en ce qu'il marque la prépondérance sur les intérêts commerciaux des intérêts financiers ou relatifs aux investissements de capitaux.

L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme[16] va l'élargir:

L'impérialisme a surgi comme le développement et la continuation directe des propriétés essentielles du capitalisme en général. Mais le capitalisme n'est devenu l'impérialisme capitaliste qu'à un degré défini, très élevé, de son développement, quand certaines des caractéristiques fondamentales du capitalisme ont commencé à se transformer en leurs contraires, quand se sont formés et pleinement révélés les traits d'une époque de transition du capitalisme à un régime économique et social supérieur. Ce qu'il y a d'essentiel au point de vue économique dans ce processus, c'est la substitution des monopoles capitalistes à la libre concurrence capitaliste. La libre concurrence est le trait essentiel du capitalisme et de la production marchande en général; le monopole est exactement le contraire de la libre concurrence, mais nous avons vu cette dernière se convertir sous nos yeux en monopole, en créant la grande production, en éliminant la petite, en remplaçant la grande par une plus grande encore, en poussant la concentration de la production et du capital à un point tel qu'elle a fait et fait surgir le monopole: les cartels, les syndicats patronaux, les trusts et, fusionnant avec eux, les capitaux d'une dizaine de banques brassant des milliards. En même temps, les monopoles n'éliminent pas la libre concurrence dont ils sont issus; ils existent au-dessus et à côté d'elle, engendrant ainsi des contradictions, des frictions, des conflits particulièrement aigus et violents. Le monopole est le passage du capitalisme à un régime supérieur.

Si l'on devait définir l'impérialisme aussi brièvement que possible, il faudrait dire qu'il est le stade monopoliste du capitalisme. Cette définition embrasserait l'essentiel, car, d'une part, le capital financier est le résultat de la fusions du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le capital de groupements monopolistes d'industriels; et d'autre part, le partage du monde est la transition de la politique coloniale, s'étendant sans obstacle aux régions que ne s'est pas encore appropriées aucune puissance capitaliste, à la politique coloniale de la possession monopolisée de territoires d'un globe entièrement partagé.

Mais les définitions trop courtes, bien que commodes parce que résumant l'essentiel, sont cependant insuffisantes, si l'on veut en dégager des traits fort importants de ce phénomène que nous voulons définir. Ainsi, sans oublier ce qu'il y a de conventionnel et de relatif dans toutes les définitions en général, qui ne peuvent jamais embrasser les liens multiples d'un phénomène dans l'intégralité de son développement, devons-nous donner de l'impérialisme une définition englobant les cinq caractères fondamentaux suivants:

1. Concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé, qu'elle a créé les monopoles dont le rôle est décisif dans la vie économique;

2. Fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création sur la base de ce "capital financier", d'une oligarchie financière;

3. L'exportation des capitaux, à la différence de l'exportation des marchandises, acquiert une importance particulière;

4. Formation d'unions internationales capitalistes monopolistes se partageant le monde, et

5. Achèvement du partage territorial du globe par les plus grandes puissances capitalistes.

L'impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s'est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l'exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s'est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes.

Ce partage du globe, bien entendu, n'est pas stable, comme l'a démontré l'histoire de ce siècle. Sur quelles bases peut s'opérer le repartage?

Comme l'écrit Lénine[17]:

Le capital financier et les trusts n'affaiblissent pas, mais renforcent les différences entre le rythme de développement des divers éléments de l'économie mondiale. Or le rapport des forces s'étant modifié, où peut résider, en régime capitaliste, la solution des contradictions, si ce n'est dans la force?

Il semble évident que cette analyse correspond à la situation mondiale actuelle. La multiplication des conflits et des guerres depuis 1945 a de toute façon rendu caduques les peurs mises en avant dans les années 60 selon lesquelles les risques de guerre nucléaire obligeaient à la paix universelle[18].

3

Comme la bourgeoisie avait été progressiste à la fin du XVIIIe siècle en s'affranchissant des derniers liens de la féodalité et, avec la naissance du capitalisme, en mettant en scène la classe des prolétaires, la politique capitaliste moderne pouvait apparaître comme également progressiste dans le nouveau stade du capitalisme, l'impérialisme.

Le stade où il en est arrivé aujourd'hui, avec la disparition du système socialiste est il toujours progressiste?

Hilferding pouvait écrire au début de ce siècle[19]:

Ce n'est pas l'affaire du prolétariat d'opposer à la politique capitaliste plus progressive la politique dépassée du libre échange et de l'hostilité envers l'État. La réponse du prolétariat à la politique économique du capital financier, à l'impérialisme, ne peut être le libre échange, mais seulement le socialisme. Ce n'est pas le rétablissement de la libre concurrence, devenu maintenant un idéal réactionnaire, qui peut être aujourd'hui le but de la politique prolétarienne, mais uniquement l'abolition complète de la concurrence par la suppression du capitalisme.

Et Lénine[20]:

Le capitalisme arrivé à son stade impérialiste conduit aux portes de la socialisation intégrale de la production; il entraîne en quelque sorte les capitalistes, en dépit de leur volonté et sans qu'ils en aient conscience, vers un nouvel ordre social, intermédiaire entre l'entière liberté de la concurrence et la socialisation intégrale. La production devient sociale, mais l'appropriation reste privée.

Qu'en est-il aujourd'hui de la socialisation de l'économie? On peut penser que deux facteurs ont essentiellement joué dans l'accélération de ce processus engagé au début du siècle: les nécessités d'une économie de guerre, que cela soit lors de la Première ou de la Deuxième Guerre mondiale, et les innovations technologiques qui souvent ont été le produit dérivé des guerres. La période de la Guerre froide a prolongé et accentué ce qui n'était qu'une parenthèse, ce que l'on a appelé le capitalisme monopoliste d'État.

Ce à quoi on assiste aujourd'hui c'est plutôt à une "désocialisation" des moyens de production, qu'il s'agisse des pays où la social-démocratie est (ou était) au gouvernement[21] ou des pays ex-socialistes[22]. Elle se manifeste à différents niveaux, plus ou moins stables, complémentaires et permanents, qu'il s'agisse des secteurs traditionnels de la production et de ce que l'on peut peut-être appeler une nouvelle matière première, que l'on peut englober sous le terme d'information[23].

Si les fonctions traditionnelles des États s'amenuisent du fait de la mondialisation ou de la création de blocs économico-politiques pour défendre, autant que faire se peut, des intérêts nationaux ou régionaux, du moins une des fonctions traditionnelles des États va se trouver magnifiée en l'absence ou au rabaissement des autres, celle du maintien de l'Ordre. Mais cet Ordre ne s'oppose pas au désordre provoqué par le capitalisme, l'impérialisme capitaliste[24]. Pour rendre le désordre "tolérable" il faut assurer l'Ordre. Et plus grand sera le désordre plus l'Ordre sera nécessaire et violent.

Comme l'écrivait un économiste allemand en exil il y a près de soixante ans: "L'ordre international présuppose l'ordre national". Et quand règne l'ordre national peu importe pour les capitalistes si le régime qui le maintient est une démocratie bourgeoise, un régime de dictature civil ou militaire.

La fonction de cet Ordre intérieur a un double aspect: celui de permettre le développement pacifique des firmes capitalistes et des capitaux internationaux investis dans un pays donne[25], et celui non moins important d'attirer ces investissements. Pour que ceux-ci viennent s'établir il faut que le pays d'accueil soit attractif, c'est-à-dire que les intérêts escomptés ne soient pas menacés par des mouvements sociaux déstabilisateurs de la production elle-même ou des voies de communication destinées à exporter les produits, que ces voies soient matérielles (la route et le rail, les bateaux) ou qu'il s'agisse de produits dits immatériels[26].

4

Depuis dix ans le rapport de forces au niveau mondial est en pleine transformation. Une de nos erreurs, certainement, a été de ne considérer cette période que d'un point de vue idéologique, de ne voir principalement dans les événements qui se sont succédés, au mieux, que l'implosion matérielle du système socialiste, de fait l'autodestruction d'un impérialisme bâtard, ni complètement capitaliste, ni socialiste.

S'il était relativement facile d'analyser la dégénérescence des différents pays se réclamant du socialisme, et principalement l'URSS, le jeu des rapports internationaux était faussé à nos yeux par un concept erroné, celui des superpuissances[27]. C'était ne pas tenir compte d'un aspect essentiel, celui de l'impérialisme comme aboutissement actuel du capitalisme et négliger le rôle particulier des autres puissances tendant tout autant que les États-Unis à leur propre impérialisme[28]. Ce qui faussait également notre compréhension c'était la survivance dans les pays socialistes de formes spécifiques dans les rapports de production (des survivances du régime de dictature du prolétariat) et dans le discours idéologique anti-impérialiste qui n'était en fin de compte que la traduction d'un projet également hégémonique[29]. Cette ambiguïté majeure, ce faux-semblant ont conduit à la situation actuelle, où ces pays se sont intégrés de fait dans le système mondial de l'impérialisme capitaliste. Et s'estompent avec plus ou moins de rapidité, plus ou moins de résistances, les caractères spécifiques qui avaient fait la différence entre les régimes sociaux différents au niveau mondial.

Lénine pose ainsi la question[30]:

Est-il possible de modifier par des réformes les bases de l'impérialisme? Faut-il aller de l'avant pour accentuer et approfondir les antagonismes qu'il engendre, ou en arrière pour les atténuer? Telles sont les questions fondamentales de la critique de l'impérialisme. Les particularités politiques de l'impérialisme étant la réaction sur toute la ligne et le renforcement de l'oppression nationale, conséquence du joug de l'oligarchie financière et de l'élimination de la libre concurrence[31], l'impérialisme voit se dresser contre lui, dès le début du XXe· siècle, une opposition démocratique petite-bourgeoise à peu près dans tous les pays impérialistes.

Cette opposition petite-bourgeoise, Lénine la qualifie de "réformiste, réactionnaire, quant au fond, sur le plan économique". En effet, l'impérialisme n'est pas une forme du capitalisme, mais un stade. Et ce stade n'est pas réversible: il ne peut qu'être détruit.

Lutter contre l'impérialisme sans lutter contre le capitalisme dans son propre pays est une hypocrisie. Dénoncer aujourd'hui, en France, l'impérialisme américain, allemand, etc., sans dénoncer l'impérialisme français n'est pas seulement une hypocrisie: de fait cela revient à défendre ce dernier[32].

Que propose aujourd'hui ce que Lénine appelait "l'opposition démocratique petite-bourgeoise"? Le retour à Keynes ou la fragmentation des nations en communautés de plus en plus décentralisées.

5

L'impérialisme renforce les tendances à la domination.

Dans son étude Lénine fait cette citation d' Hilferding[33]:

Pour ce qui est des pays nouvellement découverts, le capital importé y intensifie les antagonismes et suscite contre les intrus la résistance croissante des peuples qui s'éveillent à la conscience nationale; cette résistance peut facilement aboutir à des mesures dangereuses dirigées contre le capital étranger. Les anciens rapports sociaux sont foncièrement révolutionnés; le particularisme agraire millénaire des "nations placées en marge de l'histoire" est rompu; elles sont entraînées dans le tourbillon capitaliste. C'est le capitalisme lui-même qui procure peu à peu aux asservis les voies et moyens de s'émanciper. Et la création d'un État national unifié, en tant qu'instrument de la liberté économique et culturelle, devient aussi le leur. Ce mouvement d'indépendance menace le capital européen dans ses domaines d'exploitation les plus précieux, ceux qui lui offrent les plus riches perspectives; et il ne peut maintenir sa domination qu'en multipliant sans cesse ses forces militaires.

L'illusion d'Hilferding c'est de penser que la "création d'un État unifié" est un "instrument de la liberté économique et culturelle". Son autre illusion réformiste est de penser que le capital organisé conduira à une démocratie pacifique, à la fin des guerres. Lénine a réfuté clairement ces deux illusions[34].

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, malgré la reconnaissance en cascade de nouveaux États indépendants après la Deuxième Guerre mondiale, la décolonisation et plus récemment l'implosion de l'URSS et de la Fédération yougoslave, reste formel. Le drapeau national de ces États, aux mains de la bourgeoisie, n'est qu'une feuille de vigne, un cache misère. Dans les faits ils sont annexés. Leur indépendance, pourrait-on dire, n'a qu'un caractère géographique: elle n'a de réalité que sur les planisphères et, symboliquement, lors des Assemblées générales de l'ONU[35].

Les caractères de l'impérialisme capitaliste définis par Lénine se sont renforcés mais ils ne sont pas remis en cause. Les tentatives de régulation mises en place au niveau mondial, qu'il s'agisse du FMI, de l'Organisation mondiale du commerce, de l'AMI n'atténuent en rien les contradictions inter-impérialistes. Leur fonction est tout à la fois de privilégier les intérêts du capitalisme américain face aux États concurrents, que ceux-ci soient également impérialistes ou qu'il s'agisse des autres États capitalistes.

De manière idéaliste l'ONU avait établi en 1975 une Charte qui devait servir de guide pour l'établissement d'un Nouvel Ordre Économique Mondial fondé sur l'égalité des Nations, de toutes les Nations[36].

Les textes adoptés à la IVe Conférence au Sommet des pays non alignés (Alger, septembre 1973) par les 75 États présents sont à l'origine de la Charte des droits et devoirs des États adoptée par consensus après la VIe Assemblée Générale extraordinaire de l'ONU (avril-mai 1974), le 12 décembre 1974.

L'Article 2 dispose que

chaque État détient et exerce librement une souveraineté entière et permanente sur toutes ses richesses, ressources naturelles et activités économiques, y compris la possession et le droit de les utiliser et d'en disposer.

De même il était reconnu aux États le droit de réglementer les investissements étrangers dans les limites de leur juridiction nationale et d'exercer sur eux leur contrôle, de même les États pouvaient nationaliser, exproprier ou transférer la propriété des biens étrangers, auquel ils devraient verser une indemnité adéquate compte tenu de leurs lois et règlements et de toutes les circonstances jugées pertinentes[37]. Quant aux prix des matières premières, ils devaient "être stables, justes et rémunérateurs".

Le seul ennui, si l'on peut dire, avec cette Charte, c'est qu'elle n'était pas de nature contraignante opposable aux États membres de l'ONU! Un chiffon de papier. Face au gouvernement décidé à faire respecter ses droits la ressource des pays impérialistes (et non seulement les États-Unis) est bien entendu de provoquer un chaos économique, de fomenter un coup d'État et de mettre au pouvoir un dictateur de paille. Un exemple remarquable a été celui du Chili: on est passé de la grève des camionneurs, qui a déstabilisé l'économie, à la préparation du coup d'État fomenté par ITT sous la houlette de Kissinger.

Cette dépendance toujours plus grande qui s'exprime dans le domaine monétaire, économique, militaire, etc., doit-elle remettre en question l'existence des Nations? La mondialisation doit-elle rendre caduque la thèse de Lénine sur le "maillon faible de la chaîne impérialiste"?

6

La question nationale se pose bien entendu de manière différente selon le contexte de chaque époque. Comme le Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a été et est mis en avant au nom d'intérêts distincts, et plus essentiellement d'un point de vue de classe. Le mettre en cause comme une émanation bourgeoise est bien entendu unilatéral et ne sert qu'à justifier la pérennité d'une politique de domination particulière[38]. C'est également considérer comme nulle et non avenue l'analyse de Marx selon laquelle "un peuple qui en opprime un autre ne peut être un peuple libre". De fait, soutenir une lutte ou une guerre d'indépendance nationale constitue à la fois le soutien à une revendication dont on peut certes analyser la légitimité et les implications internationales quant aux intérêts du prolétariat mondial, et un soutien au peuple ‑ on dira plus justement à la classe ouvrière[39] ‑ du pays oppresseur. Qu'est-ce qui est le plus important, dans une situation donnée. Ne peut-on, dans certains cas, soutenir une lutte avec pour objectif principal la libération même de la classe ouvrière du pays oppresseur?

Quant aux implications internationales, si elles aboutissent à aggraver les contradictions inter-impérialistes, elles ont un aspect positif[40].

Pour ne parler que des époques récentes, celle de la Guerre froide, de la coexistence pacifique version révisionniste et aujourd'hui de la mondialisation, la question nationale s'est posée et se pose de manière différente. Mais que faut-il entendre par question nationale?

Il y a par exemple une double question nationale en France: la remise en cause de l'unité constituée lors de la Révolution de 1789[41], et celle qui se développe aujourd'hui dans le contexte de la construction de l'Europe. Il y a une question nationale dans les pays indépendants asservis financièrement et économiquement par une puissance étrangère. La question se pose également dans les nouveaux pays issus de la décolonisation dans des frontières imposées à la fin du siècle dernier: c'est le cas de l'Afrique[42]. Il y a enfin la question nationale issue d'annexions brutales ou non (en Europe celles notamment qui ont été le produit du tracé des frontières après les deux guerres mondiales), annexions qui, fort anciennes pour certaines, n'ont jamais été acceptées, celles issues des ratés de la décolonisation. Et enfin celles qui surgissent suite à l'éclatement des Fédérations: c'est le cas de l'ex-URSS et de la Yougoslavie deuxième manière, celle qui a été instaurée à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Ce tableau mérite certes d'être affiné, mais il montre déjà que parler de la question nationale en général en ne se référant qu'aux principes qui sont les nôtres, et qui doivent nous guider est singulièrement insuffisant. De plus le soutien à une lutte plutôt qu'à une autre dépend également de critères qui n'ont rien à voir parfois avec sa légitimité.

C'est un de ces critères qu'il faut envisager maintenant, celui de la place d'une lutte ou d'une guerre d'indépendance nationale dans le cadre de notre lutte contre le capitalisme et l'impérialisme, aujourd'hui. On donnera d'abord une définition certes partielle de la mondialisation en tant que nouvelle époque économico-politique. Cette époque, c'est celle de la disparition du deuxième monde, celui des États construisant le communisme, et principalement de l'URSS.

Les formes bien entendu existaient mais elles ne pouvaient s'épanouir en toute impunité. Le prétendu Monde Libre devait offrir un visage "attrayant" face au communisme, à ce qu'il appelait communisme. Le monde libre était une construction idéologique: les oppositions inter-impérialistes se manifestaient, mais elles présentaient un caractère contradictoire dans la mesure où existait entre ces pays une alliance objective contre le communisme, principalement incarné dans l'URSS. Un exemple significatif, la livraison par les États-Unis de napalm au corps expéditionnaire français au Vietnam avant l'intervention directe des États-Unis.

7

Les rapports entre pays impérialistes ou/et capitalistes ne sont pas stables. Comme le souligne Lénine[43]:

Les cartels internationaux montrent à quel point se sont développés aujourd'hui les monopoles capitalistes et quel est l'objet de la lutte entre les groupements capitalistes. Ce dernier point est essentiel; lui seul nous révèle le sens historique et économique des événements, car les formes de la lutte peuvent changer et changent constamment pour des raisons diverses, relativement temporaires et particulières, alors que l'essence de la lutte, son contenu de classe, ne saurait vraiment changer tant que les classes existent. [...] Or, les forces changent avec le développement économique et politique; pour l'intelligence des événements, il faut savoir quels problèmes sont résolus par le changement du rapport des forces; quant à savoir si ces changements sont "purement" économiques ou extra-économiques (par exemple, militaires), c'est là une question secondaire qui ne peut modifier en rien le point de vue fondamental sur l'époque moderne du capitalisme. Substituer à la question du contenu des luttes et des transactions entre les groupements capitalistes la question de la forme de ces luttes et de ces transactions (aujourd'hui pacifique, demain non pacifique, après-demain de nouveau non pacifique), c'est s'abaisser au rôle de sophiste.

Après deux guerres mondiales qui ont opposé entre autres la France et l'Angleterre à l'Allemagne, c'est un moment de transactions pacifiques (on pourrait dire de tractations) dans le cadre de la construction de l'Europe.

En ce qui concerne l'Europe Lénine cite ce texte d'Hobson envisageant à l'époque le partage de la Chine[44]:

Telles sont les possibilités que nous offre une plus large alliance des États d'Occident, une fédération européenne des grandes puissances: loin de faire avancer la civilisation universelle, elle pourrait signifier un immense danger de parasitisme occidental aboutissant à constituer un groupe à part de nations industrielles avancées, dont les classes supérieures recevraient un énorme tribut de l'Asie et de l'Afrique et entretiendraient, à l'aide de ce tribut, de grandes masses domestiquées d'employés et de serviteurs, non plus occupés à produire en grandes quantités des produits agricoles et industriels, mais vendant des services privés, ou accomplissant, sous le contrôle de la nouvelle aristocratie financière, des travaux industriels de second ordre. [...]

Les influences qui régissent à l'heure actuelle l'impérialisme de l'Europe Occidentale s'orientent dans cette direction, et si elles ne rencontrent pas de résistance, si elles ne sont pas détournées d'un autre côté, c'est dans ce sens qu'elles joueront.

Et Lénine écrit[45]:

L'auteur a parfaitement raison: si les forces de l'impérialisme ne rencontraient pas de résistance elles aboutiraient précisément à ce résultat. La signification des "États-Unis d'Europe" dans la situation actuelle, impérialiste, a été ici très justement caractérisée. [...] L'impérialisme, qui signifie le partage du monde et une exploitation ne s'étendant pas uniquement à la Chine, et qui procure des profits de monopole élevés à une poignée de pays très riches, crée la possibilité économique de corrompre les couches supérieures du prolétariat; par là même, il alimente l'opportunisme, lui donne corps et le consolidé.

Sur le terrain de chasse impérialiste un nouveau prédateur, déjà dénoncé au début du XXe siècle, allait bientôt jouer un rôle déterminant en même temps que s'affirmait l'existence d'un véritable Nouveau Monde, l'URSS.

Aujourd'hui, avec la disparition du camp socialiste, la situation internationale a été radicalement changée, en deux étapes: une première fois avec l'émergence du révisionnisme khrouchtchévien en 1956 et une deuxième fois avec l'éclatement de l'URSS et le ralliement du "système socialiste" au marché unique capitaliste.

Pendant des décennies les anti-révisionnistes se prétendant marxistes-léninistes avaient pu se focaliser sur les "deux super-puissances", qu'ils adoptent ou non les thèses du Parti communiste chinois sur la "théorie des trois mondes".

Aujourd'hui tend à se substituer une position tout aussi erronée et dangereuse, celle qui consiste à vouloir mettre en place un Front uni mondial contre les États-Unis, la superpuissance par excellence dans la mesure où, selon les analyses chinoises ‑ et les déclarations faites à ce sujet ‑, est impérialiste une puissance qui tend à l'hégémonie mondiale[46].

Dans cette perspective, bien entendu il faut rallier contre les États-Unis toutes les forces possibles: et ces forces vont des autres pays "impérialistes", qu'ils soient démocratiques bourgeois (selon des échelles très variables!) ou ouvertement réactionnaires, aux partis communistes ou autres, révisionnistes, réformistes, bruns-rouges, trotskystes, maoïstes, etc. Du moment qu'ils affichent le label anti-américain.

Cette déclaration de guerre au "superimpérialisme" américain ne peut prendre un caractère concret, aujourd'hui, que par des voies indirectes à moins qu'il ne s'agisse de créer au niveau mondial une organisation qui attaquerait de front les intérêts américains par la voie du terrorisme, que ces intérêts soient masqués ou non masqués. De fait, si l'on excepte quelques rares exceptions, il ne s'agit que de prendre parti, d'agir sur l'opinion publique[47], de défiler devant les ambassades et de brûler quelques bannières étoilées. Et quand on réduit l'impérialisme capitaliste américain à des symboles tels que Coca Cola, MacDonald ou encore Microsoft, ce n'est pas au capitalisme que l'on s'oppose, mais à l'un de ses représentants, aujourd'hui majeur, les États-Unis. De fait c'est défendre son propre impérialisme, le capitalisme de son propre pays (que l'on croit encore "purement" national). Dont on réclame, au mieux, qu'il adopte un visage plus humain, après avoir mis en avant pendant des générations ce fameux "socialisme à visage humain" dont la seule humanisation a été de dégénérer en capitalisme.

Qu'en serait-il, dans cette perspective de lutte contre un impérialisme unique, des intérêts du prolétariat international, de la question nationale, des luttes de libération nationales?

Il est bien entendu évident que l'impérialisme capitaliste des États-Unis se revendique comme hégémonique et qu'il a, au nom de ses intérêts, ensanglanté le siècle[48]. Mais il est tout aussi évident que d'autres impérialismes, à prétention hégémonique ou non, ont également commis des crimes équivalents. La spirale de dénonciations dans laquelle l'on pourrait ainsi se laisser entraîner a certes des fonctions agitatoires qui ont leur utilité. Mais de notre point de vue, c'est-à-dire de notre position de classe, ces dénonciations sont insuffisantes. Vu la non-existence, aujourd'hui, d'un État socialiste dans le monde où s'exerce la dictature du prolétariat cette dénonciation n'a même pas la fonction d'opposer à la calomnie la nature même de ceux qui calomnient[49]. Il est d'autant plus important de poser ce problème que la dénonciation des États-Unis provient de bords très différents, pour ne pas dire opposés, qu'il s'agisse d'États, de partis, organisations, individus. Dans cette constellation se retrouvent en effet démocraties bourgeoises, régimes autoritaires, dictatures, pays capitalistes et pays émergents ou non, pacifistes, trotskystes, anarchistes (Noam Chomsky), bruns-rouges européens, partis et organisations communistes, révisionnistes ou non, pour ne pas parler, Last but not least, des victimes directes des États-Unis.

Chacun trouve son compte dans cette dénonciation, quel que soit le masque adopté: celui de l'anti-impérialisme, du nationalisme, de l'humanisme, d'opinions religieuses soi-disant anti- matérialistes, etc. Cette dénonciation multilatérale a le grand avantage de porter le champ de la lutte au sein même du système capitaliste, au nom de la Justice et de la Démocratie. Mobilisation dont l'intérêt, en ralliant les couches de la petite bourgeoisie et des secteurs productifs ou non menacés dans leurs intérêts, est d'isoler de plus en plus ceux dont l'objectif est justement la destruction du système.

La nécessité absolue est de tracer une ligne de démarcation entre les différentes forces qui attaquent les États-Unis, leur impérialisme hégémonique et nous. Cette ligne de démarcation tient en un seul mot: capitalisme. Les États-Unis ne sont pas une exception, mais participent au mode de production capitaliste aujourd'hui mondial, et notre objet est la destruction de ce système, non pas la destruction de la puissance américaine au profit d'un autre hégémonisme capitaliste (mondial ou régional). Quant à la destruction du capitalisme américain et la naissance des États-Unis comme pays communiste de dictature du prolétariat, elle ne peut s'accomplir que par la lutte du prolétariat, de la classe ouvrière américaine et de leurs alliés intérieurs et extérieurs, dans ce cas de leurs alliés de classe.

Dans le contexte des intérêts contradictoires entre le capitalisme américain et les autres, ce à quoi l'on peut contribuer c'est à l'affaiblissement de l'impérialisme américain. Là se pose une alternative: cet affaiblissement peut-il être effectué par le biais d'un Front uni mondial anti-américain qui favoriserait l'émergence d'autres hégémonismes ou par l'exacerbation des contradictions entre les États-Unis et les autres puissances impérialistes? Du choix tactique qui se pose dépend notre position quant à la question nationale sous ses différents aspects et dans les situations différentes où elle est posée.

8

Une fois affirmée notre position de classe fondamentale: la destruction du capitalisme comme mode de production mondial, comment va se manifester notre action. Comment définir une stratégie internationale alors qu'il n'y a plus de centre, de parti communiste mondial comme l'était la IIIe Internationale. Se rallier autour du slogan US GO HOME comme signe de ralliement universel c'est se mettre à la remorque d'intérêts contradictoires dans la mesure même où l'on ne peut aujourd'hui prétendre diriger un tel mouvement et où les intérêts économiques et financiers sont de plus en plus entrelacés[50]. De fait c'est prendre fait et cause pour une nation particulière, adopter une tactique au niveau national sans stratégie globale.

La difficulté majeure, dans la situation de faiblesse et de particularisme où se trouvent les différents partis et organisations se réclamant du marxisme-léninisme, c'est de ne pas sombrer dans le nationalisme alors même que notre obligation est de faire la révolution dans nos pays respectifs. En accordant aux différents partis une autonomie par rapport à la IIIe Internationale, le VIIe Congrès de 1935 allait favoriser les tendances nationalistes. En l'absence même de toute Internationale la tendance ne peut que donner libre cours à cette déviation. Faut-il aujourd'hui se résoudre à une atomisation du mouvement communiste international, c'est-à-dire accepter la réalité de cette atomisation, ou au mieux n'avoir en vue que des regroupements régionaux (Europe, Amérique latine, etc.)? La mise en place d'un Front uni mondial contre l'impérialisme américain est une fausse réponse, comme on l'a vu. Et c'est également dans cette perspective "internationaliste" qu'il faut comprendre la réaction de ceux qui espèrent la renaissance de l'URSS (ou de la Chine) comme adversaires des États-Unis, adversaires légitimes si l'on s'illusionne sur le caractère socialiste que ces deux pays (la Russie actuelle et la Chine) peuvent retrouver vu leur passé. Pour l'instant il ne s'agit que d'une vue de l'esprit, l'espérance d'un refuge, étant donné, effectivement, les difficultés concrètes auxquelles nous sommes affrontés. Mais il n'y a plus de "grand frère". Et nous ne sommes pas nostalgiques.

Faut-il par contre souhaiter, face aux États-Unis, l'émergence de grandes puissances offensives, qu'il s'agisse de la Chine, du Japon, de la Russie? Pour tirer "les marrons du feu" faudrait-il encore que nous soyions suffisamment organisés et que, dans la classe ouvrière et ses alliés potentiels, nous ayions eu potentiellement raison du révisionnisme et du réformisme.

L'assimilation faite par nos ennemis entre communisme et révisionnisme soviétique, par exemple, et la vulgarisation de cette assimilation au sein même de la classe ouvrière, doit nous rendre encore plus vigilants quant aux conséquences du soutien accordé à tel ou tel parti russe ou autre sans véritable examen de sa nature et des perspectives qu'il met en avant.

Établir une ligne de démarcation entre nous et nos ennemis est une chose: cela concerne tout à la fois le renforcement de nos partis et organisations pour eux-mêmes, c'est une étape nécessaire, et l'établissement de rapports structurés entre nos partis et organisations. Mais ce n'est pas contradictoire avec la nécessité d'être investis dans la lutte contre la mondialisation/globalisation dans la mesure même où il s'agit de préserver la structure nationale à l'intérieur de laquelle nous devons et pouvons lutter. En termes clairs cela implique de participer aux différentes formes de lutte engagées contre la destruction des fonctions assurées jusqu'à maintenant par les États dits démocratiques, au nom justement de la mondialisation. Bien entendu pas de toutes les fonctions! Mais la lutte pour la démocratie n'est pas une fin en soi, c'est se créer un terrain plus favorable pour la destruction de cet État. Il est clair qu'il ne s'agit pas de suivre les différents mouvements au nom de la défense d'intérêts dont certains sont en contradiction avec ceux du prolétariat, de la classe ouvrière, mouvements qui présentent aussi parfois des aspects réactionnaires.

L'utopie réaliste est de prendre des mains de la petite bourgeoisie et des réformistes/révisionnistes la direction de ces luttes, ce qui sous-tend d'y participer et dans la mesure de nos forces de les radicaliser, c'est-à-dire de leur donner un sens politique; non pas dans l'espoir qu'un changement de gouvernement supprimerait les "inégalités": elles sont structurelles au capitalisme, quel que soit son visage. Au mieux certaines couches sociales peuvent être temporairement favorisées, mais au détriment d'autres couches et plus particulièrement aujourd'hui de la classe ouvrière qui n'a plus a être "ménagée" en l'absence d'un parti de classe révolutionnaire et de tout "modèle" vivant. La politique qu'il faut mettre en avant, sans la dissimuler, c'est celle dont l'objectif est la destruction des causes qui produisent les effets contre lesquels s'insurgent plus ou moins pacifiquement ceux qui les subissent. Ces causes peuvent apparaître multiples (et l'intérêt de la bourgeoisie comme des réformistes/révisionnistes est de les diversifier), ce qu'il faut montrer c'est qu'il n'y a qu'une seule cause, le capitalisme. Le capitalisme détruit, c'est la destruction de l'impérialisme.

La réalisation de cette tâche s'est éloignée objectivement et subjectivement. Le nier serait mentir. On connaît les raisons principales de cet éloignement, du moins les raisons qui peuvent indûment nous paraître uniquement extérieures. Ce qui est en cause c'est la manière dont nous avons réagi face à la montée sauvage du révisionnisme, aux engouements divers (Chine, Cuba) qui ont marqué les trente dernières années et qui nous ont détournés ou ralentis dans notre travail.

Pour nous le Mythe de Sisyphe, celui d'un éternel recommencement, est un mythe réactionnaire qui nous conduirait à renoncer à notre conception du monde.

9

S'il est clair que notre époque est toujours celle de l'impérialisme capitaliste les formes dans lesquelles il s'exerce se sont diversifiées, complexifiées. Ses moyens d'action sont à la fois des moyens déjà connus, directs et brutaux, et l'utilisation de procédures élaborées dont les résultats sont tout aussi brutaux.

Les effets de la mondialisation/globalisation touchent tout à la fois les États (anciens et nouveaux) dans le cadre du système capitaliste, que ce soit dans des situations de guerre ou de paix, et ces effets se situent bien entendu dans la perspective de la contradiction antagonique entre bourgeoisie et prolétariat, pesant dans le rapport de forces entre les deux classes fondamentales.

Il est évident que le rapport de forces, aujourd'hui, est en faveur de la bourgeoisie. Ceci n'exclut naturellement pas l'émergence de luttes de toute nature: mais elles sont principalement dirigées contre les effets de l'impérialisme capitaliste, du capitalisme en général. Elles peuvent prendre des formes plus ou moins violentes, contrecarrer à un moment ou à un autre tel ou tel projet capitaliste: de fait, dans le meilleur des cas, elles se résument à une revendication générale de Justice et de Démocratie pour l'ensemble du globe. C'est évidemment illusoire. Les bons sentiments, l´"honnêteté " même de ceux qui luttent effectivement pour ces objectifs, tout cela en revient objectivement à détourner les exploités et les dominés de la seule violence en fin de compte nécessaire, celle qui leur permettra de détruire le système qui permet de les exploiter et de les dominer. Il ne s'agit pas, comme cela a été mis en avant, notamment après 1968, de juxtaposer ces luttes et ces révoltes pour donner à ceux qui les mènent l'illusion d'une communauté de destin qui n'aurait effectivement d'autre objectif que de satisfaire des revendications et des désirs contradictoires.

Le capitalisme ne se suicidera pas. Sa destruction n'est pas inéluctable. Ce serait un rêve d'impuissance que d'attendre cette heure bénie où, suite à une multitude de piqûres d'aiguilles, le mode de production capitaliste s'effondrerait, de crise en crise. Ce serait avoir une vue idéaliste de ce que l'on appelle généralement Crise. Les Crises sont inhérentes au système lui-même: qu'une Crise puisse aboutir à la disparition (complète ou relative) d'une grande puissance en tant que puissance hégémonique est une chose, d'autres puissances sont prêtes et se préparent à assurer la relève. Et à échouer, comme s'est effondrée l'Allemagne national-socialiste et son Mythe du Vingtième siècle[51]. De ses cendres se déploie une autre Allemagne qui, de sa situation géopolitique et de sa puissance économique, tend démocratiquement à assumer un vieux rêve dont Hitler n'avait été que le "repreneur" après la guerre de 14‑18 et la disparition de Guillaume II. Il ne s'agit pas de répétition, mais de continuité impérialiste capitaliste sous des formes différentes.

Ce que l'on peut déjà souligner c'est que la mondialisation/globalisation, par un marché mondial, une déréglementation (même encore limitée), la liberté donnée aux investissements de toute nature, etc., favorise l'épanouissement au niveau mondial des tendances à l'impérialisme, qu'il s'agisse des grandes ou des petites nations. C'est ainsi que les effets du système iront en s'aggravant faute d'une réponse appropriée au niveau national, et également "multinationale" avant d'être internationale.

Une description clinique de ces effets, vécus au jour le jour par des centaines et des centaines de millions de ce que certains osent appeler les citoyens du monde, constitue un tableau que les adjectifs les plus forts ne peuvent pas encore qualifier à sa mesure. Mais cette description n'a rien de nouveau. Et il ne servirait à rien d'expliquer à ceux qui meurent de faim que c'est de la faim qu'ils vont mourir. On est encore dans la préhistoire de l 'Humanité, sa barbarie, sur laquelle la bourgeoisie tendait encore hier de jeter, comme des exorcismes, les mots démocratie, justice, liberté, égalité entre autres hochets dans la mesure où elle se sentait menacée. Les maques tendent à tomber. Quant aux religions elles n'ont eu comme office que d'adoucir les mœurs des victimes pour le plus grand profit des bourreaux, qu'ils soient en col blanc ou sous quelque déguisement que ce soit.

Sur le plan des sentiments, au-delà de tout adjectif, ce que cette situation doit provoquer, aujourd'hui comme elle la provoquait hier, c'est notre haine de classe.

Ce bon sentiment ne se suffit pas à lui-même. Ce qui lui donne toute sa force c'est qu'il se fonde sur notre conception du monde. Et cette conception du monde prend sa source, son inspiration des analyses marxistes et léninistes, analyses qu'il nous appartient de rendre vivantes dans la situation actuelle.

 

Collectif CEMOPI (Centre d'Étude sur le Mouvement Ouvrier et Paysan International)

20 octobre 1999


Notes

 

 

 

 



[1]. Contribution du CEMOPI à la troisième conférence organisée par International Struggle Marxist-Leninist, Paris, 23‑24 octobre 1999.

[2]. On a repris ici comme titre général le thème proposé pour la conférence.

[3]. Aux États-Unis le terme "libéral" n'a pas le même sens qu'en français: il désigne les Démocrates.

[4]. Reproduit dans Le Monde diplomatique, juin 1997. http://www.monde-diplomatique.fr/1997/06/MARTIN/7767.

[5]http://www.er.uqam.ca/nobel/oei/SMDD-Poljur03-msfinal1.pdf. Deux exemples récents en France: Renault et la fermeture de l'usine de Vilvoorde en Belgique, Michelin et le principe de non concordance entre les résultats financiers et le nombre des salariés de l'entreprise. Autant Michelin a augmenté ses bénéfices, autant il entend réduire en France le nombre de ses salariés. Il est bien connu que l'annonce de licenciements augmente la valeur des actions en Bourse, ce qui n'a manqué. Une fraction des nouveaux chômeurs français va être "compensée" par l'embauche d'ouvriers américains dans un nouveau site aux États-Unis. Plus récemment encore la fusion Renault-Nissan va s'accompagner du licenciement annoncé de près de 20 000 salariés au Japon, tandis que des unités de production japonaises en France ferment leurs portes.

[6]. A. Mattelard, La Mondialisation de la communication, Paris, 1996, PUF, p. 86.

[7]. Il avait raison sur un point: c'est la conjonction de deux facteurs, le coût bas de la main d'oeuvre et la percée technologique qui a permis à certains pays, pour un temps, d'être qualifiés d'émergents.

[8]. Quand le président du Conseil Léon Blum se rendit aux États-Unis pour négocier l'application à la France du Plan Marshall, il s'en revint avec l'obligation de diffuser sans réserve les films américains.

[9]. La réponse de l'économiste américain Harry Magdoff est pertinente sur ces points, comme sa mise en cause des thèses de Rosa Luxemburg. (Harry Magdoff, L'Impérialisme de l'époque coloniale à nos jours, Paris, 1979, Ed. Maspero, pp. 265 sqq.)

[10]. Article "Impérialisme" dans le Dictionnaire critique du marxisme, sous la direction de Georges Labica et Gérard Bensussan, Paris, 1985, PUF. Deuxième édition.

[11]. Il faut souligner que le texte de Lénine (L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme) et un certain nombre de débats ont eu lieu avant la Révolution d'Octobre, c'est-à-dire dans les conditions d'un monde unique. Sinon dans leurs conclusions, certains auteurs bourgeois ou réformistes peuvent avoir des analyses justes, et Lénine ne craint pas de les utiliser à l'appui de ses propres analyses. C'est une méthode de travail qui implique d'étudier ses ennemis; elle a été généralement abandonnée depuis des décennies : c'est un frein au développement de nos propres analyses. Le travail préparatoire de Lénine a été publié sous le titre de Cahiers de l'impérialisme, il fait la matière du tome 39 des Oeuvres.

[12]. Le cas de Boukharine est intéressant. Lénine a préfacé avec éloges son livre L'Économie mondiale de l'Impérialisme (Lénine, Oeuvres, tome 22, p. 109 sqq), mais violemment attaqué les positions prises par Boukharine, qualifiées par Lénine de tendance à l´"économisme impérialiste": "On assiste actuellement à la naissance d'un nouvel “économisme”, qui raisonne en faisant deux pirouettes analogues: “vers la droite” ‑ nous sommes contre le “droit de libre disposition”, (c'est-à-dire que nous sommes opposés à la libération des peuples opprimés, à la lutte contre les annexions ‑, cela n'est pas encore conçu ni affirmé clairement). “Vers la gauche” ‑ nous sommes contre le programme minimum (c'est-à-dire contre la lutte pour les réformes et la démocratie), car cela est “en contradiction” avec la révolution socialiste." (Lénine, Oeuvres, tome 23, pp. 9 sqq.) On conçoit de ces deux aspects de Boukharine qu'il soit revendiqué par certains économistes avec Rosa Luxemburg et par d'autres avec Lénine. Les trotskystes ont également un faible pour Boukharine dont ils ont republié le travail sur l'Impérialisme, tout comme d'ex-maoïstes qui ont travaillé dans la mouvance de Bettelheim.

[13]. De notre point de vue le travail d'analyse des différentes positions exprimées devrait être entrepris dans les conditions actuelles du développement du capitalisme en rapport avec le discours économique actuel.

[14]Neue Zeit, 30 avril 1915. Cité par Lénine, L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, Oeuvres, tome 22, p. 317.

[15]. Hobson, Imperialism, London, 1902, p. 324. Cité par Lénine, op. cit., p. 290.

[16]. Lénine, op. cit., pp. 286‑287. Il faut remarquer que le chapitre est intitulé: "L'Impérialisme, stade particulier du capitalisme".

[17]Idem, p. 295.

[18]. Du Parti communiste français au Parti communiste italien en passant par la Ligue communiste yougoslave.

[19]. Rudolf Hilferding, Le capital financier, Paris, 1970, Ed. de Minuit, 498 p., p. 492. Cité par Lénine, op. cit., p. 312, traduction légèrement différente. Première édition, Vienne, 1910.

[20]. Lénine, op. cit., p. 223.

[21]. En France, sous les deux Présidences de François Mitterrand on a assisté après une politique de nationalisations, à une période de privatisation "modérée" (ni-ni) pour aboutir à une vague de privatisations en même temps qu'était entrepris le démantèlement du service public. Sur ce dernier point l'Europe est un atout véritable pour le libéralisme tant qu'il n'a devant lui qu'une social-démocratie et de pseudos partis communistes intégrés dans le système capitaliste lui-même.

[22]. Les processus sont bien entendu différents dans les deux séries de pays et entre les pays eux-mêmes.

[23]. Ce terme d'information englobe à nos yeux ce qui touche à ''l'intelligence économique", à tous les types de données, qu'elles soient liées à la production ou indépendantes de toute production matérielle et également la transmission de l'information. Il s'agit maintenant d'un élément omniprésent au sein du système économique et qui en traverse toutes les composantes, à tous ses stades. Ce qu'il y a peut-être de qualitativement nouveau c'est que l'information est matérialisée sous forme de divers supports relevant des technologies modernes et que, de cette façon, elle peut apparaître autant comme matière première que produit intermédiaire et final, et cela indépendamment du caractère productif (au sens de création de valeur) ou non de la sphère concernée.

[24]. Par désordre il faut tout aussi bien entendre le syndicalisme de revendication, les grèves, les manifestations, l'insécurité, la corruption et jusqu'à l'humanisme quand il prétend s'appliquer à l'intérieur des frontières, etc. De fait ce qui "dérange" l'Ordre public.

[25]. Voir l'AMI.

[26]. Ceci concerne l'investissement en capital matériel. L'investissement dit en portefeuille (prises d'actions) peut se retirer d'un instant à l'autre. C'est la pratique des Fonds de pension. Le poids des grèves pacifiques reste toujours important dans certains de ces domaines comme l'ont montré en France, ces dernières années, les grèves de chemin de fer, de camionneurs ou de transports aériens.

[27]. Le terme a été "inventé" à la fin de la Deuxième Guerre mondiale par un auteur américain. Il a été repris à usage de propagande par la Chine après sa rupture avec l'URSS, et adopté généralement comme tel par les "marxistes-léninistes". Cf. notre dénonciation, Plateforme de Combat Communiste (Marxiste-Léniniste), Paris, 1979, NBE (Nouveau Bureau d'Édition), pp. 26‑30. De fait la mise en émergence de l'Amérique et de la Russie est fort ancienne. Napoléon qualifiait ces deux pays de "géants en sommeil". Dans une lettre à la Grande Catherine, le Baron de Grimm pouvait écrire en 1790: "Deux empires se partageront [...] tous les avantages de la civilisation, de la puissance, du génie, des lettres, des arts, des armes et de l'industrie: la Russie du côté de l'Orient et l'Amérique, devenue libre de nos jours, du côté de l'Occident, et nous autres, peuples du noyau, seront trop dégradés, trop avilis, pour savoir autrement que par une vague et stupide tradition ce que nous avons été."

[28]. Une déviation très grave du concept d'impérialisme est apparue après la Deuxième Guerre mondiale: celle qui tend à ne considérer comme pays impérialistes que ceux qui ont comme projet l'hégémonie mondiale. Cette déviation a conduit à la mise en avant des "deux superpuissances", l'URSS et les États-Unis et à la théorie des trois mondes. L'une de ces "superpuissances" ayant disparu du champ de l'histoire (momentanément ou non), la tendance actuelle est la formation d'un Front uni mondial contre l'impérialisme américain. C'est une accommodation maoïste à la nouvelle situation internationale. Elle implique d'affirmer que tous les pays impérialistes sont en quelque sorte les vassaux des États-Unis. (Voir article de Ernest Leroux.)

[29]. La contribution sur cette question du Parti du Travail d'Albanie, tant dans son analyse de l'URSS que de la Chine, nous a certes préservés de nombre d'illusions. Voir Bulletin international, n° 11.

[30]. Lénine, op. cit., p. 309.

[31]. C'est une question à examiner en tant que telle. Les démêlés de Bill Gates (Microsoft) avec le gouvernement américain au nom de la Loi Taft-Harley antitrust (1947) et la question de l'AMI montre en effet que la libre concurrence tout à la fois peut être revendiquée pour des raisons politiques et économiques dans la perspective d'éliminer justement des concurrents, d'en privilégier certains. Dans le cadre même de la défense de ses intérêts les États-Unis doivent montrer (ou essayer de montrer) aux yeux du monde que la libre concurrence existe aussi à l'intérieur de ses frontières.

[32]. C'est cette politique que le Parti communiste français a mise en avant pendant des décennies.

[33]. Hilferding, op. cit., p. 487. Cité par Lénine, op. cit., pp. 320‑321.

[34]. Lors d'un discours à la Chambre des députés, le 20 décembre 1911, Jean Jaurès a résumé les principales thèses d'Hilferding après avoir déclaré: "Il y a dans le monde aujourd'hui, une autre force de paix, c'est le capitalisme le plus moderne à l'état organisé." Oeuvres de Jean Jaurès, publiées par Max Bonnafous, tome 7, pp. 430‑431. Jaurès ajoute: "La vie internationale du monde se règle sur l'évolution du fait fondamental en tous les pays, et le fait fondamental, c'est la propriété."

[35]. Les résolutions progressistes adoptées par l'ONU au cours de son existence ont rarement été suivies d'effet. Qu'en est-il aujourd'hui, par exemple, de la Résolution condamnant le sionisme comme racisme!

[36]. Il est très juste de souligner que l'ONU n'est pas l'Organisation des Nations mais celle des États.

[37]. La conception des pays dits développés était bien entendu opposée. Pour eux, l'indemnité devait être "juste, adéquate et disponible". Disponible de la part de pays endettés, en quête d'emprunts, soumis au FMI!

[38]. L'exemple de la Serbie et du Kosovo illustre cette pratique.

[39]. Le contenu du concept de peuple est variable.

[40]. On pourrait minimiser cette appréciation à la mesure des menaces de chauvinisme, de xénophobie, que développent les conflits inter-impérialistes, de quelque nature qu'ils soient.

[41]. Voir par exemple Patrick Kessel, La nuit du 4 août 1789, Paris, 1969, Arthaud.

[42]. Conférence de Berlin, 1885.

[43]. Lénine, op. cit., pp. 273‑274.

[44]. Hobson, op. cit., p. 386. Lénine, op. cit., pp. 302‑303.

[45]. Lénine, Idem, p. 303.

[46]. C'était le sens de la reformulation par le Parti communiste chinois de l'Appel de Marx et Engels au prolétariat dans le Manifeste, appel dont Lénine avait accepté qu'il soit étendu aux peuples opprimés. Le PCC avait rajouté, au prolétariat et aux peuples opprimés, les nations opprimées.

[47]. En 1972 Pierre Bourdieu pouvait écrire dans Les Temps Modernes un texte intitulé: "L'opinion publique n'existe pas". L'autorisation de republier ce texte dans le Bulletin international nous a été refusée par l'auteur. De fait le problème posé est celui de la construction d'une opinion publique, de la réalité de cette construction, de sa permanence et du contenu qui lui est assigné, que cette opinion publique soit convoquée à court terme (pour des opérations ponctuelles) ou à long terme comme facteur englobant.

[48]. Cette revendication à l'hégémonie a été posée depuis le début de ce siècle.

[49]. Répondre au livre sur les Crimes du communisme par un autre livre sur les Crimes du capitalisme c'est jouer au ping-pong. C'est se faire plaisir mais n'entame en rien la portée du livre auquel on s'oppose: les deux livres n'auront pas les mêmes lecteurs. C'est bien sûr affirmer sa propre identité anti-capitaliste. Une illustration de la période de construction du socialisme en URSS aurait plus de valeur éducative ainsi que l'analyse des méfaits criminels causés par le révisionnisme.

[50]. La France est l'un des pays où il y a le plus d'investissements étrangers, notamment américains.

[51]. Titre du livre d'Arthur Rosenberg, idéologue du National-Socialisme, publié en 1935.