Aux sources de la social-démocratie:
Ferdinand Lassalle





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Bulletin international
Nouvelle série n° 14‑15 (96‑97), premier et deuxième trimestres 2000
édité par le CEMOPI
(Centre d'étude sur le mouvement ouvrier et paysan international),
France

 

Introduction

Autrefois, l'opposition entre l'idéologie de défense du capitalisme et l'idéologie révolutionnaire montrant la voie de la lutte pour le communisme trouvait une expression ouverte, explicite, diffusée à grande échelle. Parallèlement, le révisionnisme prétendait se placer dans la perspective d'une société communiste mais visait à faire croire que celle-ci pouvait être établie sans renversement du pouvoir bourgeois. À cet égard, il était primordial de combattre les révisionnistes, et un point essentiel de ce combat est de montrer en quoi il s'agit en fait de prolongations ou de résurgences de l'idéologie réformiste telle que Marx et Engels devait l'affronter dès la formulation initiale de leur théorie.

Alors qu'à l'origine, au 19e siècle, le terme "social-démocratie" désignait des partis ayant un programme communiste, une distinction doit être établie par la suite entre ceux qui restaient fidèles au marxisme et ceux qui se transformaient progressivement en soutiens indirects de la bourgeoisie. Finalement, l'usage courant désigne comme social-démocratie les partis socialistes tels que notamment ceux qui, comme le PS (successeur de la SFIO) adhèrent à l'Internationale socialiste actuelle. C'est de cette social-démocratie-là, ennemie de la classe ouvrière, que F. Lassalle est l'ancêtre.

Aujourd'hui, il n'y a pas d'État de dictature du prolétariat, ni de parti politique marxiste-léniniste ‑ du moins au sens plein du terme parti, à la différence d'organisations, cercles, groupements politiques ne pouvant prétendre à cette qualification. Dans les pays impérialistes et ailleurs, les partis comme le PCF, après avoir traversé toutes les étapes de la dégénérescence du révisionnisme vers le réformisme, ne rentrent même plus à proprement parler dans cette catégorie. Malgré quelques fictions résiduelles affichant une volonté de transformer la société, elles se situent essentiellement sur le terrain des mesures "d'urgence", comme par exemple le "moratoire" sur les licenciements. Certes, au sens le plus banal du mot, n'importe qui peut faire des réformes comme M. Jourdain de la prose, mais ce n'est pas cela qui nous intéresse ici. Nous entendons la notion de "réformes" comme faisant référence à des objectifs censés toucher les bases de la société. C'est le cas pour le révisionnisme et le réformisme ans la mesure où ils prennent comme point de départ, ou du moins ne nient pas, que la société capitaliste est basée sur le mode de production qui lui est propre et sur la domination politique de la bourgeoisie, laquelle détient le pouvoir à travers l'appareil d'État.

Même en présence de ces conditions, le combat idéologique doit, bien sûr, continuer à avoir pour cible le révisionnisme, puisque, d'une part, rien ne peut rendre superflue l'étude de notre histoire, et que d'autre part, le révisionnisme continue à infester les organisations se réclamant du marxisme-léninisme aujourd'hui. En présentant quelques-unes des caractéristiques principales de la position de F. Lassalle, nous soulignerons à quel point depuis lors rien de fondamentalement nouveau en matière de réformisme n'a été inventé par les ennemis de la classe ouvrière.

Cela dit, vis-à-vis de l'ennemi direct, la bourgeoisie, il s'agit également de discerner et de montrer, comment l'idéologie de défense du capitalisme s'est installée en vainqueur ‑ temporaire, cela s'entend! ‑ à tous les niveaux, y compris au sein de la classe ouvrière. Le révisionnisme est un courant idéologique (en fait, il s'agit d'un ensemble de courants variés qui participent chacun à sa manière à l'entreprise de falsification du marxisme et du léninisme) dont se saisit la bourgeoisie à mesure qu'elle se sent directement menacée par l'influence des idées révolutionnaires, du marxisme et du léninisme. Mais compte tenu de la faiblesse extrême du mouvement marxiste-léniniste actuel, cet aspect du combat idéologique préoccupe pour l'instant relativement peu la bourgeoisie. Plutôt que de s'efforcer à dénaturer frauduleusement le contenu du marxisme-léninisme, la bourgeoisie s'emploie surtout dans le contexte actuel à diffuser tout un arsenal idéologique dont l'objectif est d'enraciner l'idée selon laquelle la théorie de Marx et d'Engels est dépourvue de pertinence. Diverses approches peuvent concourir en ce sens, qu'il s'agisse de la sape opérée par le reliquat de partis sur leurs propres fondements théoriques et leur pratique antérieure, ou d'études universitaires extirpant du cadre global certains aspects partiels tout en mettant le marxisme sur le même plan que toutes sortes d'autres doctrines y compris d'extrême droite, ou encore qu'on ait à faire à une utilisation de l'image des représentants historiques du mouvement communiste pour des spots commerciaux.

Les différentes versions du révisionnisme et le réformisme en tant que doctrines jouant le rôle de cheval de Troyes au sein du mouvement ouvrier ont ainsi été relégués au second plan derrière une autre version camouflée de l'idéologie bourgeoise qui se distingue en particulier par le fait qu'elle évacue sans détours la question du caractère de classe du pouvoir d'État. Cette nouvelle forme du combat idéologique de la bourgeoisie rompt avec F. Lassalle et ses héritiers en rapport avec deux aspects essentiels: la caractérisation des "privilèges", et la position de la classe ouvrière vis-à-vis du pouvoir d'État. D'une part, du point de vue traité ici, il n'est plus question de la position particulière revenant à la bourgeoisie relativement au pouvoir d'État en tant que tel. Suivant cette optique, les riches jouissent certes de privilèges, mais simplement parce qu'avec l'argent on peut tout acheter. Et selon certains, les privilèges à dénoncer se trouvent plutôt chez des travailleurs s'accrochant égoïstement à des avantages abusivement acquis. D'autre part, il ne s'agit plus d'arriver à ce que la société soit dirigée dans l'intérêt des travailleurs puisqu'il faut reléguer au rayon des antiquités la notion d'emploi, les travailleurs apparaissant comme une espèce en voie de disparition. En définitive la société moderne demande simplement à chacun "tous ensemble" de se concevoir comme citoyen.

Le point de vue de F. Lassalle concernant les privilèges liés à "l'Idée" dominant l'État, que nous exposerons ci-dessous, a été rendu inopérant par le discours qui prévaut actuellement au sujet des rôles respectifs des capitalistes et des managers. Autrefois, le détenteur des capitaux était aussi "patron"; toutefois il apparaissait clairement que son pouvoir de commandement était surtout fondé sur sa position de propriétaire des moyens de production et non pas tant sur sa fonction technique. La séparation progressive qui s'est faite entre les deux faces de la médaille a donné lieu à l'émergence des théories sur la "technocratie" qui prétendent que le pouvoir n'appartient plus aux capitalistes. Depuis, le processus s'est poursuivi et a abouti à une situation où "tout est dans tout": le rôle de manager s'est bel et bien constitué en fonction autonome et n'a de toute façon plus grand-chose à voir avec la compétence technique du métier. Mais d'un autre côté son imbrication avec la propriété capitaliste, loin de disparaitre, s'est bien entendu pérennisée, par l'intermédiaire du "marché": les dirigeants sont actionnaires, qu'il s'agisse de stock-options, ou simplement d'investissements divers et variés visant à faire fructifier leurs rémunérations. Il est vrai que de par le caractère diffus du capital ils ne sont pas à la solde de telle ou telle personne bien identifiée qui leur prescrirait ce qu'ils doivent faire, et simultanément, les "riches" ne sont plus, en général, propriétaires directs d'un ensemble de moyens de production constituant une unité de production déterminée. Mais moyennant la situation que reflète naturellement la théorie rabâchée de la "création de valeur", la boucle est bouclée; les managers ‑ qu'ils soient ou non détenteurs de capitaux ‑, gérant le patrimoine qui leur est confié en bons pères de famille, ont comme souci essentiel de faire croitre la valeur des actions (c'est-à-dire les dividendes). L'État, lui, du point de vue du libéralisme triomphant n'a rien à voir dans tout cela. Le statut privilégié du couple propriétaire d'entreprise / pouvoir politique semble s'être évaporé du fait de cet éloignement du capitaliste des moyens de production qui se cumule avec la distance apparente des entreprises relativement à l'État.

En rapport avec les mouvements de restructuration de l'époque récente, bouleversant des secteurs économiques entiers, transparaissent les ravages que fait cette vision des choses. Le point de vue courant finit par considérer que les responsables des licenciements (sous-entendu: les managers) sont "des salariés comme les autres" (certes, on leur en veut d'autant plus, mais le fond du problème est ainsi obscurci), et la propagande selon laquelle tout n'est qu'une question de "logique" ("logique du profit" vs "une autre logique") fait tache d'huile.

À nous, marxistes-léninistes, il revient de maintenir vivant l'idéologie révolutionnaire, ce qui implique deux tâches. Évidemment, nous devons diffuser le marxisme-léninisme, tout en combattant les interprétations révisionnistes. Mais pour maintenir et élargir le cercle des militants ayant la volonté d'assimiler les idées du marxisme-léninisme, il est nécessaire aussi de démasquer constamment cette vision que veut imposer la bourgeoisie et qui fait obstacle: il faut démonter les prétendues évidences distillées par les idéologues bourgeois et qui inhibent l'émergence d'une réflexion prenant en considération le marxisme-léninisme.

I. L´"État populaire" de F. Lassalle - une mystification tenace

1. F. Lassalle et l'État populaire

Ferdinand Lassalle (1825‑1864) était contemporain de Marx et d'Engels et il entretenait avec eux des contacts qui s'avéraient conflictuels (nous en donnerons plus loin un aperçu). Il prétendait s'inspirer du "Manifeste du Parti communiste" et entreprit en 1862 une activité d'agitation politique conduisant à la création, le 23 mai 1863, de l'Association générale des travailleurs[1] allemands. C'est au cours de cette période, le 12 avril 1862, qu'il prononça un discours, désigné depuis comme "programme des travailleurs". Le programme de l'Association générale concentre les orientations défendues par F. Lassalle[2].

Sous le nom d'Association générale des ouvriers allemands (Allgemeiner deutscher Arbeiterverein), les soussignés fondent, dans les États confédérés allemands, une association qui, partant de la conviction que, seul, le suffrage universel égal et direct peut assurer une représentation convenable des intérêts sociaux de la classe laborieuse allemande ainsi que l'élimination des antagonismes de classes, poursuit le but d'agir, par la voie pacifique et légale et particulièrement en gagnant à lui l'opinion publique, pour l'établissement du suffrage universel égal et direct.

[Citation dans l'original ]

Au congrès rassemblant, à Eisenach, du 7 au 9 aout 1869, les social-démocrates d'Allemagne, d'Autriche et de Suisse fut fondé le Parti ouvrier social-démocrate d'Allemagne, placé sous la direction d'August Bebel et Wilhelm Liebknecht. Tout en étant plus proche des positions révolutionnaires, le programme de ce parti était néanmoins fortement influencé par les idées de F. Lassalle[3].

Le Parti ouvrier social-démocrate poursuit l'établissement de l'État populaire libre. [...] La dépendance économique vis-à-vis du capitalisme constitue, pour le travailleur, la base de la servitude sous toutes ses formes, et la social-démocratie cherche à donner à chaque travailleur le produit intégral de son travail, par l'abolition du mode actuel de production (salariat) et par l'organisation du travail sur une base coopérative.

[Citation dans l'original ]

Du 22 au 25 mai 1875 eut lieu à Gotha le Congrès d'unification entre l'Association générale des ouvriers allemands et le Parti ouvrier social-démocrate d'Allemagne, aboutissant à la constitution du Parti ouvrier socialiste d'Allemagne. À son congrès de Halle, tenu du 12 au 18 octobre 1890, ce parti devint Parti social-démocrate d'Allemagne (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD), et au Congrès d'Erfurt, en 1891, fut adopté un nouveau programme plus conforme aux orientations marxistes.

La conception de F. Lassalle concernant l'"État populaire libre" constitue l'archétype d'une position qui, de son élaboration, traverse sous différentes variantes l'histoire du réformisme social-démocrate et du révisionnisme, ancien et moderne. En formulant ses idées, F. Lassalle mange largement au râtelier de l'idéalisme de Hegel. En effet, F. Lassalle met au centre de sa vision le "principe vital de l'histoire" qui pour lui relève du domaine de "l'Idée", et il considère que la spécificité de la classe ouvrière consiste en ce qu'elle incarne ce principe[4].

En effet, je parlerai de la relation spéciale qui s'établit entre le caractère de l'époque historique actuelle, dans laquelle nous nous trouvons, et l'idée de l'ordre[5] des travailleurs.

[...] nous avons donc montré [...] comment, depuis que par la Révolution française la bourgeoisie a établi sa domination, maintenant c'est son élément, la propriété bourgeoise, qui est transformé en principe dominant de toutes les institutions sociales; comment la bourgeoisie [...] imprime à toutes les institutions de la société l'empreinte dominante et exclusive de son principe particulier de la propriété bourgeoise ou capitaliste, l'empreinte de son privilège.

[...] Vous voyez, Messieurs, si la Révolution de 1789 fut la révolution du Tiers-état, du troisième état, alors cette fois, c'est le quatrième état, qui en 1789 était encore caché dans les plis du troisième état et semblait coïncider avec lui, qui veut maintenant élever son principe en principe dominant de la société et en imprégner ses institutions.

[...] Or, dans la mesure et pour autant que les classes inférieures de la société visent à établir l'amélioration de leur situation en tant que classe, l'amélioration de leur sort de classe, pour autant et dans cette mesure, cet intérêt personnel [...] coïncide plutôt de par son orientation tout à fait [...] avec la victoire de l'Idée, avec les progrès de la culture, avec le principe vital de l'histoire elle-même, laquelle n'est rien d'autre que le développement de la liberté.

[...] Messieurs, l'histoire est un combat avec la nature; avec la misère, l'ignorance, l'impuissance et partant l'absence de liberté de toute sorte, dans laquelle nous nous trouvions lorsque le genre humain apparût au début de l'histoire. La victoire progressive sur cette impuissance ‑ c'est cela le développement de la liberté, laquelle représente l'histoire.

[Citation dans l'original ]

Un des aspects les plus importants de la position de F. Lassalle est la fonction assignée à l'État, celle de réaliser ce "principe vital de l'histoire"[6]:

C'est l'État qui a pour fonction d'accomplir ce développement de la liberté, ce développement du genre humain vers la liberté.

[Citation dans l'original ]

Selon F. Lassalle, il s'agit de réaliser ces objectifs au moyen d'élection[7].

Le moyen formel de la mise en œuvre de ce principe [le principe de la classe ouvrière] est le suffrage universel et direct, déjà examiné. [...] Le peuple devra donc à chaque instant considérer le suffrage universel et direct comme son moyen de lutte indispensable, comme la plus fondamentale et importante parmi ses revendications.

[Citation dans l'original ]

Son interprétation des évènements de 1848 illustre ce point de vue[8].

Le 24 février 1848 s'est levé le premier aube d'une nouvelle époque historique. En effet, ce jour-là en France, dans ce pays où au cours de ses immenses luttes internes les victoires de même que les défaites de la liberté signifient des victoires et des défaites pour l'humanité entière, éclata une révolution, qui appela un ouvrier au sein du gouvernement provisoire, déclara comme finalité de l'État l'amélioration du sort de la classe travailleuse et proclama le suffrage universel et direct, par lequel chaque citoyen ayant atteint sa 21ème année, sans considérations relatif à des conditions de propriété, reçut une part égale à la domination sur l'État, à la détermination de la volonté étatique et de la finalité étatique.

[Citation dans l'original ].

C'est donc là que réside selon lui l'objectif fondamental que doit se fixer le parti politique représentant les travailleurs[9].

L'ordre travailleur doit se constituer en tant que parti politique autonome et faire du suffrage universel égal et direct le mot d'ordre de principe et la bannière de ce parti. La représentation de l'ordre ouvrier dans les corps législatifs d'Allemagne ‑ c'est cela seul qui peut, au point de vue politique, satisfaire ses intérêts légitimes. Entamer une agitation pacifique et légale en faveur de cela, avec tous les moyens légaux, cela est et doit être le programme du parti ouvrier au point de vue politique. [...]

Or, comment mettre l'État en mesure de procéder à cette intervention?

Et ici la réponse apparaitra immédiatement clair comme le soleil devant les yeux de vous tous: cela ne sera possible que par le suffrage universel et direct. Si les corps législatifs d'Allemagne procèdent du suffrage universel et direct ‑ alors et seulement alors vous pourrez amener l'État à se soumettre à ce devoir. [...]

Or, comment provoquer l'introduction du suffrage universel et direct? [...] Organisez-vous en tant qu'association ouvrière universelle allemande dans le but d'une agitation légale et pacifique mais infatigable, continuelle, en faveur de l'introduction du suffrage universel et direct dans tous les Länder allemands.

[Citation dans l'original ]

2. De K. Kautsky à M. Adler, la théorie de l'équilibre de forces entre les classes

À l'époque, Marx et Engels combattirent comme il le fallait la conception de F. Lassalle et de ses adeptes. Nous reviendrons plus loin sur le rôle joué par F. Lassalle de son vivant. Sa position telle qu'on l'a exposée ci-dessus, revient à mettre en avant la réalisation d'un État "au-dessus des classes", et cela par un processus purement formel, censé conduire, au moyen du suffrage universel, à l'égalité des droits pour tous les citoyens. Or, peu à peu apparut une autre théorie qui tenta de sauvegarder les apparences de la lutte de classe ayant pour enjeu le pouvoir, mais qui prétendait elle aussi qu'on puisse arriver à une situation où l'État ne représente plus la domination d'une classe particulière, dès lors que s'établit l'équilibre des forces entre les classes qui s'opposent dans la lutte. Dans ce qui suit, nous prenons cette question comme fil conducteur pour évoquer les positions de certains personnages considérés à juste titre comme révisionnistes. Ceux-ci ‑ à savoir Karl Kautsky, Eduard Bernstein, Otto Bauer et Max Adler ‑ apparaitront successivement en fonction de la part qu'ils ont prises aux débats particuliers traités ici. Ces exemples mettent en lumière la façon dont chaque fois l'abandon du marxisme conduit au développement d'interprétations qui, bien que nées dans des conditions historiques particulières et à partir de pensées propres à leurs auteurs respectifs, retombent invariablement sur quelques positions fondamentales caractéristiques, présentes déjà dans la doctrine formulée par F. Lassalle.

Karl Kautsky (1854‑1938) naquit à Prague et après des études à Vienne il s'installa à Zurich, puis à Londres, où il était en contact avec Marx et Engels. Il participa à la rédaction du programme du Parti social-démocrate d'Allemagne adopté au congrès d'Erfurt en 1891. Après avoir pendant un certain temps défendu des positions marxistes, il s'en écarta progressivement. Il assuma alors un rôle important à la tête du courant centriste, au plan national aussi bien qu'international, et finit comme ennemi juré des bolcheviks et du mouvement communiste.

Dans le texte cité ci-dessous, K. Kautsky dresse un tableau des perspectives telles qu'elles s'offrent selon lui au mouvement ouvrier. Il ne formule pas explicitement la vision d'une situation d'équilibre entre classe capitaliste et classe ouvrière; néanmoins l'exposé repose essentiellement sur l'idée que la classe ouvrière aurait atteint une telle position de force qu'elle pourrait contrecarrer efficacement les efforts de la classe capitaliste de maintenir sa domination comme avant, voire obliger celle-ci à s'en remettre à elle pour frayer le chemin de l'histoire.

Dans un manifeste rédigé par K. Kautsky en 1883 et destiné à être publié en Allemagne et en Hongrie, on lit[10]:

Aujourd'hui, elle [la classe ouvrière] est d'ores et déjà un facteur politique avec lequel on doit compter, dont le mécontentement inspire la crainte, et dont on fait jouer volontiers la force contre l'adversaire. Aucune innovation importante ne peut aujourd'hui s'accomplir dans la vie de l'État sans concessions aux ouvriers. [...] Or, bien que cela puisse paraitre bizarre, il est dans l'intérêt des classes dominantes de donner aux ouvriers toutes les possibilités d'organisation et d'information, car ainsi la forme de la lutte de classe devient plus tempérée. Et pas seulement cela! Aujourd'hui ce ne sont pas les ouvriers seuls qui menacent les classes dominantes, mais également la petite paysannerie et la petite bourgeoisie. Plus le processus de décomposition auquel elles sont soumises actuellement, avance, plus ces deux classes se manifesteront de manière violente. [...]

[...] Les petits paysans et les artisans se soulèveront et entraineront avec eux les ouvriers inorganisés ‑ à moins que les ouvriers organisés, c'est-à-dire la social-démocratie, ne soient assez forts pour mettre le mouvement sur d'autres voies. Les adversaires réactionnaires du capitalisme, les paysans et les petits bourgeois, se retournent contre des personnes, ils se déchargeront de toute la somme de haine et de désespoir, sécrétée en eux par la société moderne, contre les personnes, les capitalistes; la social-démocratie révolutionnaire au contraire se retourne contre le système du capitalisme, et non pas contre la personne du capitaliste.

Ainsi le renforcement de la social-démocratie offre-t-il la possibilité d'éviter les évènements sanglants auxquels nous nous attendons. Il en offre la seule possibilité, car l'effondrement que nous prédisons ne pourra pas être arrêté. [...]

Alors la social-démocratie devra montrer si elle sera à la hauteur de sa tâche, alors elle devra montrer si elle sera en mesure d'organiser un nouveau mode de production à la place de l'ancien qui s'écroule, ou si à la place de celui-ci on permettra au chaos de s'installer. Rendre la social-démocratie apte à cette tâche, organiser, faire de l'agitation, former ‑ c'est cela notre tâche actuelle, et de même notre tâche actuelle est d'imposer la liberté d'organisation, d'information. Or il est dans l'intérêt des classes dominantes de nous accorder cette liberté, car un tournant proche ne fait aucun doute. Il ne s'agit pas de savoir si oui ou non il viendra, non plus de savoir quand, mais uniquement de savoir comment cela se passera. Le tournant doit-il conduire à un changement du système productif ou seulement à un prochain pillage et à l'assassinat des possédants? La réponse que donnera l'histoire mondiale à cette question dépendra de l'attitude des possédants eux-mêmes.

[Citation dans l'original ]

Eduard Bernstein (1850‑1932) fut désigné membre du comité directeur du Parti ouvrier socialiste d'Allemagne, au Congrès de celui-ci tenu à Gotha en 1875. Lorsqu'en 1878 l'activité du parti devint illégale, il s'exila en Suisse. Il entra en contact avec K. Kautsky, ainsi qu'avec Marx et Engels à Londres, où il s'installa après avoir été expulsé de Suisse en 1888. En 1896, il entreprit la publication d'une série d'articles sur les "Problèmes du socialisme", ouvertement révisionnistes. Au congrès du parti tenu en 1898 à Stuttgart, une motion fut adoptée qui lui demanda d'énoncer plus complètement sa pensée. De là son livre Les Présupposés du socialisme, et la réponse de K. Kautsky sous le titre Le Marxisme et son critique Bernstein, tous deux publiés en 1899. W. Liebknecht, la même année au congrès d'Hanovre, constata que le révisionnisme d'E. Bernstein "transformerait la social-démocratie en parti réformiste bourgeois"[11] [citation dans l'original ]. L'ouvrage de Rosa Luxemburg intitulé Reforme ou révolution? (publié en 1898-1899) contient également une réfutation des positons d'E. Bernstein. En 1901 E. Bernstein retourna en Allemagne. Suite à la prise en main de la direction du Parti social-démocrate d'Allemagne par son aile droite, à laquelle se joignit le centre, l'opposition de gauche fut exclu du parti et constitua les 6 et 7 avril 1917 à Gotha le Parti social-démocrate indépendant d'Allemagne (Unabhängige sozialdemokratische Partei Deutschlands, USPD) tandis que l'ancien parti fut communément désigné comme MSPD (Mehrheitliche SPD, c'est-à-dire majoritaire). E. Bernstein y adhéra, de même que K. Kautsky, mais également Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. En décembre 1918, afin de donner l'exemple en faveur de la réunification, nécessaire selon sa conviction, des deux partis social-démocrates, E. Bernstein rejoignit de nouveau le (M)SPD, sans quitter le USPD. Il justifia son attitude dans le journal Die Freiheit, n° 76, du 27 décembre 1918, par le danger qui émanait selon lui de la Ligue Spartakus et préconisait une attitude commune du (M)SPD et de l'USPD contre la politique des Spartakistes. Or une décision du (M)SPD lui rendit impossible la double adhésion, et il se décida finalement pour l'appartenance à celui-ci[12]. K. Kautsky le rejoindra en 1922 lors de la réunification de l'USPD avec le (M)SPD, tandis que le 29 décembre 1918 avait été fondé le Parti communiste d'Allemagne (KPD)[13].

Notons qu'E. Bernstein publia une édition des oeuvres complètes de F. Lassalle en 1891, et qu'il lui consacra plusieurs ouvrages. Il caractérisa notamment le "Programme des travailleurs" comme "une introduction éminente à la pensée du socialisme" et une "transcription, adaptée à l'époque et aux circonstances, du Manifeste communiste"[14] [citation dans l'original ].

Pour la petite histoire, on peut mentionner également que pendant son séjour à Londres il rencontra notamment George Bernard Shaw, l'un des principaux représentants de la Société fabienne, fondée en 1883 pour "reconstruire la société selon les plus hautes possibilités de la morale". Cette société a contribué à fonder en 1900 le Comité de représentation du travail, qui devait devenir en 1906 le parti travailliste. (Nous aborderons plus loin le thème de la "morale".)

Alors que K. Kautsky met encore la question du rapport de forces en relation avec la transformation du mode de production, E. Bernstein s'intéresse simplement à la réalisation de la démocratie par l'établissement d'une "égalité dans les privilèges" entre les classes, fixant le cadre de marchandages où chaque partie se montrera suffisamment "raisonnable" pour ne pas mettre en cause le statu quo[15].

La démocratie est l'absence de domination de classe, c'est-à-dire un état social où nulle classe ne dispose à elle seule du privilège politique. [...] Dans la démocratie, en revanche, les partis et les classes qu'ils représentent mesurent rapidement les limites de leurs forces: en chaque circonstance, ils ne livrent que les seuls batailles qu'ils espèrent raisonnablement mener à bien. Il arrive que leurs revendications dépassent légèrement ce qu'ils jugent possible d'obtenir: c'est pour mieux faire des concessions lors de ces inévitables compromis dont la démocratie est l'école.

[Citation dans l'original ]

La position théorique et pratique d'E. Bemstein condense ainsi tout l'éventail des divers degrés du crétinisme parlementaire, qui passe par deux stades essentiels. Dans un premier temps, il consiste à fixer l'obtention de la majorité pour la social-démocratie comme objectif central. Sous sa forme la plus achevée, il conduit à rechercher à tout prix la constitution d'une alliance avec d'autres forces politiques de maniéré à détenir ipso facto la majorité. La façon dont E. Bernstein interprète les évènements de 1918/19 en Allemagne est imprégnée de cette vision des choses[16].

La situation économique et la structure sociale de l'Allemagne rendirent impossible un bouleversement conduisant ce pays immédiatement vers une communauté intégralement socialiste. Outre la paysannerie qui avait un poids considérable et avec laquelle la république ‑ encore moins que les bolcheviks avec les moujiks russes ‑ ne pouvait agir à sa guise, il y avait aussi des millions d'artisans et commerçants, dont elle ne pouvait pas plus se passer. Même dans des conditions normales, eu égard à de telles circonstances, l'exclusion de l'ensemble de la bourgeoisie de la participation au gouvernement aurait été une erreur, qui se serait bientôt sévèrement vengé. Très bientôt se serait avéré ce qui se trouve exprimé par Lassalle dans son exposé brillant au sujet du domaine constitutionnel, à savoir que des classes sociales indispensables ou qu'on ne peut pas supprimer sont "aussi un élément de constitution"[17]. D'autant plus cela s'appliquait aux terribles conditions économiques, que l'empire, comme séquelle de son infâme politique de pouvoir et de prestige, avait laissé en héritage à la république. La république pouvait certes engager le combat contre certains partis et classes bourgeois, mais pas contre tous, sans se placer dans une situation intenable. Elle ne pouvait supporter la lourde charge qui lui incombait, que si elle suscitait l'intérêt de parties considérables de la bourgeoisie pour sa pérennité et son développement prospère. Même si la social-démocratie avait obtenu aux élections à l'assemblée nationale la majorité numérique, l'inclusion des partis bourgeois-républicains dans le gouvernement aurait été un impératif du point de vue de la république, au nom de sa propre préservation. Or, une telle participation était en même temps aussi une nécessité vitale pour l'Allemagne en tant que nation.

[Citation dans l'original ]

L'appréciation que livre E. Bemstein au sujet de la révolution d'Octobre en Russie ne constitue que l'autre face de la même médaille[18].

Sans doute la doctrine bolchévique n'est-elle marxiste que dans la phraséologie, mais blanquiste dans son essence.

[Citation dans l'original ]

Cela dit, même ceux qui fondamentalement déterminent leur position en fonction des tractations électorales, ressentent néanmoins le besoin de donner à l'opportunisme une apparence de justification matérialiste, et invoquent donc des conditions objectives. Sur un plan général, la référence à l'insuffisant murissement de la société intervient en ce sens; E. Bemstein lui-même raisonne de cette manière[19].

En effet, le système des bolchéviques signifie la mort des acquis de la révolution, leur système a entrainé la désorganisation, la dislocation, la ruine du pays. [...] C'est une interprétation erronée d'une phrase de Marx, qui guide les bolcheviks. Alors que Marx a caractérisé une théorie déterminée en cours de développement, qui dans un certain sens signifie la dictature du prolétariat, les bolchéviques ont pris cette plante et l'ont greffée sur une situation qui était beaucoup moins mure, qui n'était absolument pas adaptée à ce que les bolchéviques voulaient faire en Russie. Et parce qu'ils ont fait cela, parce qu'ils ont voulu sur un corps affaibli faire des expériences que même le corps le plus solide ne peut guère supporter, ils ont complètement ruiné et détruit ce corps.

[Citation dans l'original ]

Plus concrétèrent, le même type d'argumentation sera appliqué à l'Allemagne, plus particulièrement sous l'angle économique. K. Kautsky affirme[20], le 17 novembre 1918: "Nationaliser actuellement, c'est créer une situation où la production capitaliste n'est plus possible, et où la production socialiste ne l'est pas encore [...] Autant dire qu'on arrête purement et simplement la production." [Citation dans l'original ] Et le 28 novembre 1918[21]: "Ne nous faisons aucune illusion. Il nous faut laisser aux capitalistes la gestion de leurs entreprises." De façon similaire, Carl Legien, Président de la Commission générale des syndicats libres, le 10 décembre 1918[22]: "La socialisation d'une économie nationale ébranlée et désorganisée par l'économie de guerre n'est pas possible." [Citation dans l'original ]

Otto Bauer, dont nous parlerons plus longuement par la suite, voit dans la perturbation de l'économie une donnée durable, et y propose une solution purement réformiste[23].

[L'expropriation] ne doit pas prendre la forme de la confiscation brutale de la grande propriété capitaliste et immobilière, qui ne pourrait s'accomplir qu'au prix d'une terrible destruction des moyens de production, jetterait à la rue les masses populaires et épuiserait les sources de la richesse nationale. L'expropriation des expropriateurs [sic] doit plutôt se passer dans l'ordre et selon les règles de façon à ne pas détruire l'appareil de production de la société, et à ne pas empêcher le développement de l'industrie et de l'agriculture. L'instrument essentiel de cette expropriation dans les  règles réside entièrement dans la fiscalité.

[Citation dans l'original ]

La crise de 1929 servira de prétexte de la même façon que la situation à l'issue de la guerre, en 1918. Fritz Tarnow, dans son rapport "L'anarchie économique capitaliste et la classe ouvrière", au congrès du SPD tenu en 1931 à Leipzig, explique[24]:

En effet, il me semble que nous sommes condamnés à la fois à être le médecin qui veut s'appliquer à guérir, et à maintenir malgré tout le sentiment que nous sommes des héritiers qui veulent prendre en charge plutôt aujourd'hui que demain tout l'héritage du système capitaliste. [...] Ce n'est pas tellement le patient lui-même qui nous fait pitié, mais les masses qui se trouvent derrière. Quand le patient est à l'agonie, les masses dehors subissent la famine. Quand nous savons cela, et nous connaissons un remède, alors ‑ même si nous ne sommes pas convaincus qu'il guérit le patient, mais qu'il atténue au moins son agonie de sorte que les masses dehors mangent mieux à nouveau ‑ nous lui administrons le remède et, sur le moment, ne pensons pas tellement à ce que nous sommes en fait des héritiers et que nous sommes dans l'attente de sa fin rapprochée.

[Citation dans l'original ]

En 1867 fut fondée l'Association éducative viennoise des travailleurs. Elle se trouva à l'origine d'un certain nombre de cercles à partir desquelles naquit dans les décennies suivantes, par voie de fusion, le Parti ouvrier social-démocrate d'Autriche (SPÖ), dont le congrès fondateur eut lieu à Hainfeld du 30 décembre 1888 au 1er janvier 1889. Otto Bauer (1882‑1938), né à Vienne, participa en 1903 à la fondation de l'Association "Die Zukunft" qui institua la première École ouvrière viennoise et centralisa l'activité d'exposés du Parti ouvrier social-démocrate d'Autriche. K. Kautsky disait d'O. Bauer[25]: "C'est ainsi que je me représente le jeune Marx." [Citation dans l'original ] O. Bauer fut l'un des instigateurs de la tentative de réunification entre la IIe Internationale social-traitre et la IIIe Internationale communiste (par l'intermédiaire de l'Union de Vienne désignée par le sobriquet "Internationale deux et demi"). Au congrès du Parti ouvrier social-démocrate d'Autriche tenu à Linz en 1926, O. Bauer fut avec entre autres K. Kautsky membre de la commission de programme; c'est lui qui fut chargé de l'élaboration d'un projet de programme. Signalons que le fils de K. Kautsky, Benedikt (1894‑1960) fut, après la Première Guerre mondiale, secrétaire d'O. Bauer et qu'il fut l'un des principaux auteurs du programme du Parti social-démocrate d'Autriche adopté en 1958.

C'est O. Bauer qui formule explicitement la théorie de "l'équilibre de forces entre les classes" qui soi-disant enlève à l'État son caractère d'appareil de domination au service d'une classe[26].

Quand aucune classe n'est plus en mesure d'infliger une défaite à l'autre et de la réprimer, le pouvoir d'État cesse d'être un instrument de domination d'une classe sur une autre.

[...] Ainsi [avec l'établissement de la République en Autriche, en 1918] toutes les classes du peuple prenaient-elles réellement leur part au pouvoir d'État, et les effets produits par l'État étaient-ils réellement la résultante des forces de toutes les classes du peuple; c'est pourquoi nous pouvons appeler cette république une république populaire.

[Citation dans l'original ]

Certes, O. Bauer mentionne l'aspect économique de la question, et ceci pour souligner que l'équilibre en question est instable[27].

En effet un tel état d'équilibre ne peut satisfaire durablement aucune des classes. Chaque classe, au-delà de l'état d'équilibre des forces de classes, s'efforce d'atteindre un état où elle peut exercer sa domination.

[Citation dans l'original ]

Mais en ce qui concerne l'issue de la situation, il la voit dans la "conquête" par la classe ouvrière, de la république qui forme le terrain-même à l'intérieur duquel se déroule cette lutte à la corde[28].

Puisque le processus économique lui-même déplace constamment les rapports de pouvoir entre les classes, en fin de compte viendra inévitablement le moment où le rapport d'équilibre aura été supprimé et où ne restera plus que le choix entre le retour sous la domination de classe de la bourgeoisie ou la conquête du pouvoir politique par le prolétariat.

[Citation dans l'original ]

Et dans le programme politique à la rédaction duquel avaient participé O. Bauer et Max Adler, adopté au Congrès du Parti ouvrier social-démocrate d'Autriche tenu du 30 octobre au 3 novembre 1926 à Linz, on lit[29]:

D'autre part, la république démocratique a donné à la classe ouvrière l'égalité des droits politiques et la liberté de mouvement, elle a énormément développé ses forces intellectuelles et sa conscience de soi. La classe ouvrière lance l'assaut contre la domination de classe de la bourgeoisie dans la république.

L'histoire de la république démocratique, c'est l'histoire des luttes de classes entre la bourgeoisie et la classe ouvrière, pour la domination dans la république. [...]

Dans la république démocratique la domination politique de la bourgeoisie ne repose plus sur des privilèges politiques, mais sur le fait qu'au moyen de son pouvoir économique, au moyen du pouvoir de la tradition, au moyen de la presse, de l'école et de l'église elle est capable de tenir la majorité du peuple sous son influence spirituelle. Si le parti ouvrier social-démocrate réussit à surmonter cette influence, à unir les ouvriers manuels et intellectuels dans les villes et à la campagne et à gagner comme alliés de la classe ouvrière les couches qui lui sont proches de la petite paysannerie, de la petite bourgeoisie, de l'intelligentsia, alors la social-démocratie gagne la majorité du peuple. Elle conquiert le pouvoir d'État par la décision du suffrage universel.

Ainsi, dans la république démocratique, l'issue des luttes de classe entre bourgeoisie et classe ouvrière se décide par la compétition de ces deux classes pour gagner l'âme de la majorité du peuple.

Au cours de ces luttes de classes peut arriver le cas où la bourgeoisie n'est plus assez forte, et la classe ouvrière pas encore assez forte, pour exercer seule la domination sur la république. Mais la coopération entre classes ennemies, à laquelle une telle situation oblige ces dernières, ne mettra pas longtemps à voler en éclats sous l'effet des oppositions de classes qui ne peuvent pas être supprimées à l'intérieur de la société capitaliste. Après chaque épisode de ce genre la classe ouvrière retombera sous la domination de la bourgeoisie, si elle ne réussit pas de conquérir elle-même la domination dans la république. Une telle coopération des classes ne peut donc être qu'une phase de développement transitoire dans la lutte de classes pour le pouvoir d'État, mais pas l'objectif de cette lutte.

Alors qu'au cours de la première époque de sa lutte le parti ouvrier social-démocrate a conquis la république démocratique, désormais elle a la tâche d'utiliser les moyens de lutte démocratiques pour rassembler la majorité du peuple sous la direction de la classe ouvrière et de renverser ainsi la domination de classe de la bourgeoisie, de conquérir en faveur de la classe ouvrière la domination dans la république démocratique.

Le Parti ouvrier social-démocrate vise à la conquête de la domination dans la république démocratique, non pas pour supprimer la démocratie, mais pour la mettre au service de la classe ouvrière, pour adapter l'appareil d'État aux besoins de la classe ouvrière.

[Citation dans l'original ]

On remarque en particulier la tentative de se référer implicitement à Lénine, à travers l'analyse concernant la bourgeoisie "plus assez forte" et la classe ouvrière "pas encore assez forte". Or quand Lénine parle en ces termes de la situation qui avait précédé la Révolution d'Octobre[30], il a en vue l'existence d'un double pouvoir, et non pas deux prétendants se disputant un seul et unique pouvoir, celui représenté par la "république démocratique".

Max Adler (1873‑1937), né à Vienne, participa en 1903, avec O. Bauer, à la fondation de l'association "Die Zukunft", mentionnée plus haut. À cette époque, il s'efforça à se rapprocher de K. Kautsky, qui finit par prêter attention à ses prises de position politiques. En 1926, au Congrès de Linz du Parti ouvrier social-démocrate d'Autriche, il participa à la commission de programme, cette fois encore aux côtés d'O. Bauer et de K. Kautsky. Mais dans un article du journal Kampf il prit publiquement position contre le projet de programme. Dans la période consécutive, de 1929 à 1931, il ne participa que peu aux discussions internes au parti social-démocrate autrichien, mais s'activa plutôt dans le cadre des conflits au sein de la social-démocratie allemande, avec laquelle il entretenait des relations depuis la Première Guerre mondiale.

À l'époque de la publication des textes d'O. Bauer cités plus haut, M. Adler prit la défense de ce dernier, tout en essayant de cacher le caractère contrerévolutionnaire des positions en question. Dans ce but, il met en avant l'aspect transitoire de l'équilibre envisagé, et va jusqu'à battre en retraite, en confinant l'effet de l'équilibre au plan politique, tandis qu'il admet le caractère de classe de l'État sur le plan économique[31]. (Pour une reproduction plus extensive du texte d'Adler cité ici, cf. .)

La doctrine marxiste de l'État et de la démocratie, telle que nous l'avons exposée jusqu'ici, a subi au cours de la dernière décennie des attaques étranges tendant à la présenter comme dépassée. C'est qu'on la considère comme réfutée par le développement étatique moderne, puisque celui-ci a conduit le prolétariat à s'intéresser toujours plus à l'État. On prétend que cette constatation, correcte en elle-même, équivaut à celle concernant l'affaiblissement de l'opposition entre les classes, voire la nécessité de la conciliation entre ces dernières. Et cette conception se voit maintenant aussi être soutenue, entre autre, par une doctrine importante, la doctrine de l'équilibre de forces entre les classes, à laquelle elle ne peut pourtant se référer que sur la base d'un malentendu considérable. [...]

Ce sont principalement deux malentendus profonds qui conduisent à retourner carrément la doctrine de l'équilibre des classes en son contraire: l'un pensant que l'équilibre des forces de classe renferme l'effacement des oppositions entre classes, l'autre pensant que la phase de l'équilibre des forces de classe est un état durable, qui n'est que l'expression du niveau atteinte par la démocratie, de sorte que cette phase se développera toujours plus vers une époque de l'harmonie sociale et par là, de la transition vers le socialisme. [...]

Et en fin de compte c'est cela qui est décisif, et qui constitue la nature bien comprise de l'état d'équilibre des forces de classe, à savoir qu'il ne peut être un état durable, mais qu'il est justement poussé en permanence vers l'un ou l'autre des côtés, par les forces qui se tiennent en échec.

[Citation dans l'original ]

En résumé[32]:

L'essence de la démocratie politique réside dans la dictature d'une classe sur une autre au moyen de la décision majoritaire.

[Citation dans l'original ]

Notons en passant que l'inspiration puisée chez Hegel par F. Lassalle n'aura pas été démentie par ceux qui par la suite ont repris les idées défendues par ce dernier, comme le montre la façon dont M. Adler, en 1926 encore, retrace la continuité historique dans laquelle il place ses propres positions[33].

Donc, au fond, ce qui enflammait du feu de l'idéalisme politique la revendication du suffrage universel et de la république en tant qu´"État populaire", a toujours été ce que nous exposons dans ce livre comme la signification véritable de la démocratie, l'idée de la démocratie sociale, de la société solidaire. Il en était déjà ainsi au cours du premier mouvement ouvrier en faveur du suffrage universel, du Chartisme, qui par là devint le premier mouvement de masse socialiste, et ainsi à nouveau dans l'agitation de Lassalle, chez qui l'idée du suffrage universel signifiait en même temps l'appel à la transformation de l'État au moyen de "l'idée de la classe ouvrière".

[Citation dans l'original ]

3. György Lukács et la notion de "dictature démocratique"

György Lukács (1885‑1971), né à Budapest, adhéra au Parti communiste d'Hongrie en 1918. De mars à aout 1919, il fut commissaire du peuple à la culture dans le gouvernement de la République des Conseils, dirigé par Béla Kun. Après la défaite du mouvement, il fut arrêté à Vienne, puis libéré à la fin de l'année. En 1920, il fut rédacteur en chef de la revue Kommunismus. Il y publia notamment un article intitulé "Zur Frage des Parlamentarismus" ("À propos de la question du parlementarisme", il y eut d'ailleurs à ce sujet une note critique de Lénine[34]). En 1921, il fut délégué pour la Hongrie au 3e Congrès mondial de l'Internationale Communiste, à Moscou. En 1930‑1931, il séjourna à Moscou en tant que collaborateur de l'Institut Marx-Engels-Lénine. Envoyé à Berlin, il occupa la fonction de vice-président du groupe berlinois de l'Union internationale des écrivains révolutionnaires, de 1931 à 1933. Il émigra ensuite en URSS, où il fut collaborateur de l'Académie des Sciences de Moscou. En 1944, il retourna en Hongrie, et devint en 1945 membre du parlement hongrois, ainsi que membre du Conseil mondial de la Paix. En 1956, il devint membre dirigeant du cercle Petöfi, tout en faisant partie du groupe Nagy-Losoncsy. Il entra au comité central du Parti communiste de Hongrie et fut nommé ministre de la Culture dans le gouvernement Nagy.

Nous nous référons ici à un texte de G. Lukács désigné comme les "thèses Blum", pseudonyme sous lequel il l'avait préparé pour le 2ème congrès du Parti communiste hongrois dirigé par Béla Kun, en 1928. En 1929, il fut critiqué dans une "Lettre ouverte du Comité exécutif de l'Internationale communiste aux membres du Parti communiste de Hongrie". Il affirmera 40 ans plus tard que "le cours ultérieur de l'histoire confirme complètement les thèses Blum"[35].

En ce qui concerne la question de "l'équilibre des forces de classe", G. Lukács retrouve, avec une terminologie légèrement différente, les idées d'O. Bauer et de ceux qui les partageaient. Ceux-ci voulaient mener la lutte "dans la république démocratique"; G. Lukács pense que le "champ de bataille" est constitué par la "dictature démocratique"[36].

Il faut agir parmi les travailleurs contre le nihilisme à l'égard de la démocratie bourgeoise, né de la déception provoquée par la politique du Parti social-démocrate. La conception du marxisme - à savoir que la démocratie bourgeoise est le champ de bataille le plus valable pour le prolétariat - doit être popularisée parmi les membres du parti. Il faudrait comprendre que l'établissement d'un tel champ de bataille nécessite des affrontements sérieux, révolutionnaires. [...]

[...] la dictature démocratique, réalisation achevée de la démocratie bourgeoise, est au sens strict un champ de bataille, un champ où se déroule le combat décisif entre bourgeoisie et prolétariat.

[Citation dans l'original ]

Pour ce qui est de l'équilibre lui-même, G. Lukács utilise une terminologie philosophique particulière en parlant de "forme dialectique de transition". Mais l'idée de partage du pouvoir, de l'instabilité de cette situation ainsi que des deux issues possibles au bout de la transition (c'est-à-dire quand l'équilibre est rompu), tout cela peut bel et bien être rapproché de la doctrine de "l'équilibre des forces de classe"[37].

Par conséquent, et bien que dans son contenu concret immédiat elle ne transgresse pas la société bourgeoise, la dictature démocratique est une forme dialectique de transition vers la révolution du prolétariat - ou bien vers la contrerévolution. [...]

C'est pourquoi il faut faire comprendre très exactement aux membres du parti les fonctions opposées de la démocratie bourgeoise. Il faut distinguer nettement si, dans cette démocratie, la bourgeoisie est la classe politiquement dominante ou si - tout en maintenant l'exploitation économique - elle abandonne au moins en partie le pouvoir aux larges masses des travailleurs. Dans le premier cas, une fonction de la démocratie est de disperser, d'égarer et de désorganiser les masses travailleuses; dans le second cas de saper, de désorganiser le maintien du pouvoir politique et économique de la bourgeoisie et d'organiser les masses travailleuses en vue de leur action autonome.

[Citation dans l'original ]

Certains n'hésitent pas à voir une filiation directe entre les thèses de G. Lukács et la ligne adoptée par la suite par l'Internationale communiste[38].

Ainsi, avec plusieurs années d'avance, Lukács préconisait une stratégie de Front populaire qu'il faudra des années à Dimitrov, se fondant en particulier sur l'exemple concret de la France, pour faire admettre à une Internationale réticente, sans le moindre encouragement de la part de Staline (qui a, au mieux, laissé faire), ce qui était dans les faits une rupture avec le "stalinisme".

L'enjeu idéologique était évidemment fondamental à l'époque. Mais en outre, il semble qu'on touche ici à une des sources des positions "autogestionnaires" adoptées beaucoup plus tard par le PCF. Un rapprochement allant dans ce sens est d'ailleurs mis en lumière dans la suite du texte cité ci-dessus[39].

Elles [les "Thèses Blum"] proposent une stratégie concrète, la "dictature démocratique", pour contraindre, par une large politique d'alliances, la démocratie bourgeoise à accomplir les potentialités qui découlent de ses déclarations de principe, remontant aux Lumières et au passé révolutionnaire, plébéien-démocratique, d'une bourgeoisie alors classe montante.

Si donc, d'une part, les positions formulées par G. Lukács en 1928 sont importantes en tant que jalon dans l'évolution du révisionnisme, il est d'autre part instructif de se référer à la façon dont celui-ci souligne rétrospectivement en 1956 ‑ et il sait de quoi il parle ‑ la parenté entre les positions révisionnistes liées à la lutte contre le fascisme, et celles concernant la "coexistence pacifique"[40].

Si nous voulons comprendre l'histoire de ces dernières décennies - en maintenant le point de vue que l'opposition fondamentale de notre époque, sur le plan de l'histoire mondiale, est celui entre capitalisme et socialisme ‑, alors nous sommes maintenant obligés de nous apercevoir que, depuis la mort de Lénine, il y a eu deux périodes au cours desquelles la stratégie de la lutte pour le progrès n'était pas directement déterminée par cette question. Peu après la mort de Lénine se dessina partout dans le monde le front séparant le fascisme et l'antifascisme. [...] une période [...] dont problème stratégique fondamental n'était pas la lutte immédiate pour le socialisme, mais une épreuve de force entre fascisme et antifascisme. [...]

Après la Deuxième Guerre mondiale, après la défaite du fascisme, surgit une fois de plus un nouveau problème ayant ce même caractère. [...] il est question de paix et de guerre, d'empêcher la guerre, du problème de la coexistence. De cela découlent les questions stratégiques fondamentales de notre époque.

[Citation dans l'original ]

4. Georges Dimitrov et la "république démocratique de type nouveau"

Le 17 mars 1936, le secrétariat du Comité exécutif de l'Internationale communiste recommanda à la direction du KPD d'examiner, outre la question principale de savoir comment renverser la dictature fasciste, celle aussi de savoir quel système politique devait lui succéder. Georges Dimitrov incita le bureau politique à élaborer une plateforme du front populaire, et soumit des propositions en ce sens. Le 16 mai, le secrétariat du Comité exécutif de l'Internationale communiste, à la suite d'un rapport de la direction du KPD, souligna une nouvelle fois qu'il était nécessaire d'arriver à une alliance avec toutes les forces qui prennent fait et cause pour une Allemagne démocratique. À sa session élargie tenue du 10 au 24 juin à Paris, à laquelle participèrent aussi trois permanents d'Allemagne, le bureau politique du KPD adopta des "lignes directrices pour l'élaboration d'une plateforme politique pour le front populaire allemand". Dans ce texte le KPD déclara[41] que l'État allemand:

[...] sera une république démocratique dans le cadre de laquelle le peuple décide librement de toutes les questions de l'économie, de la politique intérieure et extérieure du pays, et où le gouvernement est désigné selon la décision prise par le peuple travailleur au moyen du suffrage universel, égal, secret et direct.

[Citation dans l'original ]

Cette problématique fut également discutée les 18 et 19 septembre au secrétariat du Comité exécutif de l'Internationale communiste. Selon Dimitrov, la république pour laquelle luttait le peuple espagnol ne serait pas une république démocratique de type ancien[42]. (Pour une reproduction plus extensive du texte cité ici, cf. .)

À l'étape de transition actuelle des conditions internationales, [...] cette république sera un État particulier avec une démocratie populaire véritable. Ce ne sera pas encore un État soviétique mais un État antifasciste orienté à gauche auquel participera la partie orientée véritablement à gauche de la bourgeoisie. [...] Ici se pose la question de l'organisation de la production en l'absence de l'abolition définitive de la propriété privée capitaliste. L'organisation de la production sous participation et contrôle de la classe ouvrière et de ses alliés dans la lutte contre le fascisme, c'est-à-dire de la petite-bourgeoisie et de la paysannerie. Théoriquement, pour être exact, on devrait peut-être désigner cela comme une forme particulière de la dictature démocratique de la classe ouvrière et de la paysannerie à l'étape actuelle. C'est cela qu'on doit faire ressortir, et ne pas parler par contre de l'élimination des propriétaires fonciers et, encore moins parler de l'élimination des industriels en tant que classe, etc. Cela, vous devez l'expliquer infatigablement parce que, à mon avis, ce qui se passe actuellement en Espagne peut arriver demain ou après-demain, dans la période la plus proche, dans d'autres pays aussi, en France, en Belgique et peut-être aux Pays-Bas.

[Citation dans l'original ]

Dimitrov intervint aussi lors d'une délibération entre des dirigeants de l'Internationale communiste et des représentants du bureau politique du Comité central du KPD, le 17 octobre 1937.

Du 30 janvier au 1er février 1939 eut lieu, à Draveil, au Sud de Paris, une conférence du Parti, que la direction du KPD avait préparée depuis novembre 1938 et qui, pour des raisons de clandestinité, fut appelée conférence de Berne. Selon une déclaration adoptée à cette occasion[43],

[...] la politique du Parti Communiste d'Allemagne est orientée fermement et en suivant une voie rectiligne, dans la plus étroite communauté avec tous les Allemands épris de paix et de liberté, vers l'objectif de renverser Hitler et de remplacer la dictature de Hitler par un gouvernement populaire élu librement par tout le peuple, dans le cadre d'une république nouvelle, démocratique.

La conférence de Berne du KPD déclare que le salut de l'Allemagne face à la politique catastrophique du régime de Hitler exige la subordination des intérêts particuliers de tous les opposants à Hitler, à l'intérêt général de la nation allemande.

[...] La politique du front populaire et la création d'une république nouvelle, démocratique ne signifient pas le renoncement de la classe ouvrière à la lutte pour le socialisme. Dans une Allemagne de front populaire les ouvriers socialistes et communistes et leurs organisations auront la pleine liberté de gagner la majorité du peuple à l'objectif socialiste.

[Citation dans l'original ]

II. Marx et Engels au sujet de F. Lassalle

Dans la première partie, nous avons examiné un point particulier, central, des positions développées par F. Lassalle. Pour bien situer ces observations dans le cadre général de l'opposition entre marxisme et révisionnisme, nous présentons ici de manière succincte l'analyse que faisaient Marx et Engels au sujet de F. Lassalle.

Dans la préface à la première édition allemande du premier livre du Capital, datée de 1867, Marx indique: "Pour ce qui est de l'analyse de la substance de la valeur et de sa quantité, je me suis efforcé d'en rendre l'exposé aussi clair que possible et accessible à tous les lecteurs." Il précise dans une note à ce sujet[44]:

Ceci m'a paru d'autant plus nécessaire que, même l'écrit de F. Lassalle contre Schulze-Delitsch, dans la partie où il déclare donner la "quintessence" de mes idées sur ce sujet, renferme de graves erreurs. C'est sans doute dans un but de propagande que F. Lassalle, tout en évitant d'indiquer sa source, a emprunté à mes écrits, presque mot pour mot, toutes les propositions théoriques générales de ses travaux économiques sur le caractère historique du capital, par exemple, sur les liens qui unissent les rapports de production et le mode de production, etc., et même la terminologie créée par moi.

Dans une lettre adressée à Ludwig Kugelmann en 1865, Marx écrit[45]:

Tout d'abord permettez-moi de vous exposer brièvement mes rapports avec Lassalle. Pendant toute son agitation nos relations furent suspendues: 1° à cause de ses fanfaronnades et de ses vantardises doublées du plagiat le plus honteux de mes oeuvres; 2° parce que je condamnais sa tactique politique, et 3° parce que je lui avais déclaré et "démontré" avant même qu'il ait commencé son agitation dans le pays, que c'était un non-sens de croire que l´"État prussien" pourrait exercer une action socialiste directe. Dans les lettres qu'il m'adresse, de 1848 à 1863, ainsi que dans nos entrevues personnelles, il s'était toujours prononcé pour le Parti que je représente. Mais dès qu'il se fut convaincu à Londres (fin 1862) qu'il ne pourrait poursuivre son petit jeu avec moi, il décida de se poser en "dictateur ouvrier" contre moi et contre le vieux Parti. [...] Cependant, il s'avéra très vite ‑ nous en reçûmes bientôt la preuve ‑ que Lassalle en fait avait trahi le Parti. Il avait conclu un véritable contrat avec Bismarck (et naturellement sans recevoir aucune garantie de son ).

Dans une circulaire intitulée Les prétendues scissions dans l'Internationale, datée de 1872 et signée conjointement par Marx et Engels, on lit[46]:

La première phase dans la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie est marquée par le mouvement sectaire. Il a raison d'être à une époque où le prolétariat n'est pas encore assez développé pour agir comme classe. Des penseurs individuels font la critique des antagonismes sociaux, et en donnent des solutions fantastiques que la masse des ouvriers n'a qu'à accepter, à propager et à mettre en pratique. [...] Ces sectes, leviers du mouvement à leur origine lui font obstacle dès qu'il les dépasse; alors elles deviennent réactionnaires; témoins, les sectes en France et en Angleterre et dernièrement les Lassalliens en Allemagne qui, après avoir entravé pendant des années l'organisation du prolétariat, ont fini par devenir simples instruments de police.

Marx résume cette appréciation en 1875 dans les Gloses marginales au programme du parti ouvrier allemand[47]:

Lassalle savait par coeur le Manifeste communiste, de même que ses fidèles savent les saints écrits dont il est l'auteur. S'il le falsifiait aussi grossièrement, ce n'était que pour farder son alliance avec les adversaires absolutistes et féodaux contre la bourgeoisie.

Enfin, dans une lettre adressée à K. Kautsky en 1891, Engels écrit[48]:

Si haut que l'on puisse estimer les services rendus par Lassalle au mouvement, son rôle historique reste équivoque. Le socialiste Lassalle est accompagné pas à pas par le démagogue Lassalle. [...] Jusqu'en 1862, il fut très nettement un démocrate vulgaire marqué par son origine prussienne avec, dans la pratique, de fortes tendances bonapartistes [...]; il évolua ensuite brusquement pour des raisons strictement personnelles et commença son agitation; et deux ans ne s'étaient pas écoulés, qu'il affirmait que les ouvriers devaient s'unir au Parti royaliste contre la bourgeoisie et qu'il intriguait avec Bismarck, dont le caractère ressemblait au sien, d'une façon qui l'aurait conduit à une véritable trahison du Parti s'il n'avait pas, heureusement pour lui, été tué. Dans la propagande écrite de Lassalle, les vérités qu'il empruntait à Marx sont mêlées de façon si constant et si intime à ses fausses déductions personnelles qu'il est difficile d'en séparer la vérité de l'erreur.

Il ne s'agit pas ici de faire une analyse exhaustive des positions de F. Lassalle. Toutefois, rappelons le constat de Marx au sujet du projet de programme préparé en vue du Congrès de Gotha du SAPD, à propos de la référence à l´"État libre" qui constitue l'un des points cruciaux[49]:

Le Parti ouvrier allemand ‑ du moins s'il fait sien ce programme ‑ montre que les idées socialistes ne sont pas même chez lui à fleur de peau; au lieu de traiter la société présente (et cela vaut pour toute société future) comme le fondement de l'État présent (ou futur pour la société future), on traite au contraire l'État comme une réalité indépendante, possédant ses propres fondements intellectuels, moraux et libres.

Pour ce qui est de la défiguration des écrits de Marx et Engels, nous nous contentons de donner quelques rapides exemples.

La vision de F. Lassalle préfigurait déjà ce rôle de porteur des valeurs universelles attribué aux travailleurs, position amplement diffusée depuis[50].

Ce quatrième ordre, qui ne porte en son sein plus aucun germe d'un nouveau privilège, est précisément pour cela identique avec le genre humain tout entier. Son affaire est pour cela, en vérité, l'affaire de l'humanité toute entière, sa liberté est la liberté de l'humanité elle-même, son pouvoir est le pouvoir de tous.

[Citation dans l'original ]

Ici, comme avec certaines autres formulations, F. Lassalle peut paraitre adhérer au marxisme quand ce dernier affirme que son objectif est la destruction de l'exploitation de l'homme par l'homme. Or, Marx et Engels ne se contentent pas de cette "formule". Tout d'abord, pour eux il n'est pas question de libérer "l'humanité" de l'existence de "privilèges", mais de mettre fin à une certaine réalité sociale marquée par des rapports d'exploitation. La classe ouvrière ne représente pas "l'humanité toute entière"; elle a ceci de particulier qu'en prenant le pouvoir, elle ne constituera pas une nouvelle classe exploiteuse, mais abolira toute exploitation d'une classe par une autre. Ceci n'est certainement pas dans l'intérêt des bourgeois qui pourtant, indéniablement, font partie de "l'humanité"[51].

L'idée fondamentale et directrice du Manifeste, ‑ à savoir que la production économique et la structure sociale qui en résulte nécessairement forment, à chaque époque historique, la base de l'histoire politique et intellectuelle de cette époque; que par suite (depuis la dissolution de la propriété commune du sol des temps primitifs) toute l'histoire a été une histoire de luttes de classes, de luttes entre classes exploitées et classes exploitantes, entre classes dominées et classes dominantes, aux différentes étapes de leur développement social; mais que cette lutte a actuellement atteint une étape où la classe exploitée et opprimée (le prolétariat) ne peut se libérer de la classe qui l'exploite et l'opprime (la bourgeoisie), sans libérer en même temps et à tout jamais, la société entière de l'exploitation, de l'oppression et des luttes de classes [ ... ].

Surtout, cette position particulière de la classe ouvrière n'émane pas de sa subjectivité, mais des caractéristiques du mode de production capitaliste. Ce sont ces conditions matérielles objectives et non pas une quelconque "pensée universaliste" qui déterminent le caractère globale de la révolution que la classe ouvrière sera amenée à réaliser[52].

Nous sommes arrivés aujourd'hui au point que les individus sont obligés de s'approprier la totalité des forces productives existantes non seulement pour parvenir a manifester leur moi mais avant tout pour assurer leur existence. Cette appropriation est conditionnée, en premier lieu, par l'objet qu'il s'agit de s'approprier, ici donc les forces productives développées jusqu'au stade de la totalité et existant uniquement dans le cadre d'échanges universels. Déjà sous cet angle, l'appropriation doit nécessairement présenter un caractère universel correspondant aux forces productives et aux échanges. [...]. Cette appropriation est en outre conditionnée par les individus qui s'approprient. Seuls les prolétaires de l'époque actuelle, totalement exclus de toute manifestation de soi, sont en mesure de parvenir à une manifestation de soi totale, et non plus bornée, qui consiste dans l'appropriation d'une totalité de forces productives et dans le développement d'une totalité de facultés que cela implique. Toutes les appropriations révolutionnaires antérieures étaient limitées. Des individus, dont la manifestation de soi était bornée par un instrument de production limité et des échanges limités, s'appropriaient cet instrument de production limité et ne parvenaient ainsi qu'á une nouvelle limitation. [...] Dans toutes les appropriations antérieures, une masse d'individus restait subordonnée à un seul instrument de production; dans l'appropriation par les prolétaires, c'est une masse d'instruments de production qui est nécessairement subordonnée à chaque individu, et la propriété qui l'est à tous [...].

F. Lassalle note que "nous sommes tous des travailleurs", en un sens atemporel au-dessus des classes[53].

L'ordre ouvrier n'est qu'un ordre parmi les autres, qui tous composent la société bourgeoise. En outre, des travailleurs, il y en a eu à toutes époques. [...] Des travailleurs, nous en sommes tous, dans la mesure où nous avons tout simplement la volonté de nous rendre utile d'une manière ou d'une autre pour la société humaine!

[Citation dans l'original ]

Marx et Engels donnent bien au contraire un sens précis au terme d'ouvrier, en rapport avec l'exploitation capitaliste, c'est-á-dire la production de plus-value, Et s'ils mettent en avant la prépondérance numérique des forces potentiellement révolutionnaires au sein de la population, ce n'est qu'en lien avec la tendance à une extension progressive de la c1asse ouvrière. Cette perspective est d'ailleurs susceptible d'être nuancée, eu égard à l'évolution historique que nous pouvons observer depuis le 19e siècle, mais en partant forcément toujours de la même caractérisation des traits distinctifs de la classe ouvrière, qui n'ont rien à voir avec la volonté ni avec l'utilité[54].

Tous les mouvements historiques ont été, jusqu'ici, accomplis par des minorités ou au profit de minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l'immense majorité au profit de l'immense majorité.

Ou encore[55]:

C'est la force motrice de l'anarchie sociale de la production qui transforme de plus en plus la grande majorité des hommes en prolétaires et ce sont à leur tour les masses prolétariennes qui finiront par mettre un terme à l'anarchie de la production.

En réaménageant à sa façon des idées de Marx et Engels, F. Lassalle prêchait en fait le fatalisme[56].

On ne peut jamais faire une révolution; ce que l'on peut faire uniquement, c'est lorsqu'une révolution est déjà entrée dans les faits au niveau des conditions réelles caractérisant une société, lui donner en outre une reconnaissance légale extérieure et une mise en oeuvre conséquente.

[Citation dans l'original ]

Ceci rappelle manifestement le constat que font Marx et Engels au sujet du rôle joué par les conditions objectives. On ne peut certes pas "faire la révolution" si l'on entend par là le remplacement des conditions matérielles existantes par d'autres que l'on inventerait de toutes pièces. Marx et Engels insistent bien entendu sur cet aspect fondamental[57].

À un certain stade de leur développèrent, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. [...] Une formation sociale ne disparait jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir.

De même[58]:

Lors même qu'une société est arrivée à découvrir la piste de la loi matérielle qui préside à son mouvement, [...] elle ne peut ni dépasser d'un saut ni abolir par des décrets les phases de son développement naturel; mais elle peut abréger la période de gestation, et adoucir les maux de leur enfantement.

Or F. Lassalle, lui, mélange deux aspects de la question en faisant se dissoudre la révolution politique dans les "faits établis", alors que pour Marx et Engels ce processus précédant la révolution se situe sur le plan économique: il s'agit du développement de forces productives rendant à la fois possible et nécessaire la fondation de rapports de production nouveaux. La révolution politique, c'est-à-dire la prise du pouvoir par le prolétariat, sera bel et bien à faire, en tant qu'acte intentionnel visant à modifier profondément les rapports de domination dans la société. Ce n'est qu'á partir de là que seront traitées, parmi d'autres, les questions du cadre légal ainsi que de la mise en oeuvre pratique des objectifs poursuivis.

Pour clore cet aperçu, voici un passage à titre d'exemple qui montre à quel point F. Lassalle, inspiré par sa vision de la révolution, trouvait des accents quasiment lyriques[59].

Donc, celui qui invoque l'idée de la classe ouvrière comme principe dominant de la société, au sens où je vous l'ai exposé, ne pousse pas un cri qui scinde et sépare les classes au sein de la société; celui-là pousse plutôt le cri de la réconciliation, un cri qui englobe toute la société, le cri de équilibrage de toutes les oppositions au sein de la société, le cri de l'union auquel devraient se joindre tous ceux qui ne veulent pas de privilèges ni d'oppression du peuple par des ordres privilégiés, un cri d'amour qui, depuis qu'il a jailli pour la première fois du coeur du peuple, restera pour toujours le véritable cri du peuple et qui sera, de par son contenu, un cri d'amour même lorsqu' il résonnera en cri de bataille du peuple.

[Citation dans l'original ]

III. La "communauté solidaire", un camouflage de l'appareil d'état

Les aspects retracés jusqu'ici concernent un processus de révision progressive de la théorie formulée par Marx et Engels. Cependant, on peut également trouver chez F. Lassalle des formulations qui se rapprochent directement d'une certaine vision humanitaire et moralisante plus ou moins à la mode selon les périodes. Ces idées, telles qu'elles sont présentées aujourd'hui, ne sont en rien révisionnistes puisqu'elles ne prétendent nullement s'inspirer du marxisme. Bien au contraire, elles se rattachent au contexte idéologique dominant qui veut reléguer Marx aux oubliettes.

F. Lassalle oppose la moralité du peuple à l'immoralité de la bourgeoisie[60].

Dès l'époque [au début de l'époque moderne au cours des 16ème-18ème siècles] s'est développé, entièrement en concordance avec ces bouleversements [évoqués plus haut] un matérialisme, une compétition vorace, avide pour argent et biens, dans le cadre de laquelle toute idée morale voire, ce qui hélas chez les ordres privilégiés est en règle générale encore plus significatif, même tous les préjugés d'ordre avaient valeur purement vénale.

[...] La raison véritable et la solution de cette contradiction paraissant à premier vue tellement surprenante est la suivante.

Depuis longtemps, comme nous l'avons vu, le développement des peuples, le souffle de l'histoire, sont tournés vers une abolition toujours plus étendue des privilèges qui garantissent aux ordres supérieurs cette position qui est la leur en tant qu'ordres supérieurs et dominants. Le désir de maintenir ces derniers ou l'intérêt personnel, amènent donc d'emblée chaque membre des ordres supérieurs qui ne s'est pas une fois pour toutes par une grande vision élevé au-dessus de toute son existence personnelle, n'est pas passé outre celle-ci [...] à une position de principe hostile envers le développement du peuple, envers l'extension de la formation et de la science, envers les progrès de la culture, envers toutes les souffles et victoires de la vie historique.

C'est cette opposition entre l'intérêt personnel des ordres supérieurs et le développement culturel de la nation qui engendre l'immoralité prononcée et inévitable des ordres supérieurs. […] C'est une vie continuelle comme en territoire ennemi - et cet ennemi est la communauté morale de son propre peuple, dans laquelle on vit et où toute véritable moralité consiste dans le fait de déployer ses efforts en faveur de cette communauté morale. [...]

C'est cette opposition, Messieurs, entre l'intérêt personnel et le développement culturel de la nation, qui pour leur bonheur, manque aux classes inférieures de la société. [...]

Or dans la mesure et pour autant que les classes inférieures de la société visent à établir l'amélioration de leur situation en tant que classe, l'amélioration de leur sort de classe, pour autant et dans cette mesure, cet intérêt personnel au lieu de s'opposer au mouvement historique et se trouver condamné par là à cette immoralité, coïncide plutôt de par son orientation tout à fait avec le développement du peuple tout entier, [...]. Ou, comme nous l'avons déjà vu plus haut, son affaire est l'affaire de l'humanité toute entière.

[Citation dans l'original ]

Dans cette citation, il faut en particulier noter deux points. F. Lassalle présente l'abolition de "privilèges" comme un processus progressif, "toujours plus étendu". Il ignore ainsi les bouleversements qualitatifs nécessaires pour mettre fin à la domination de la bourgeoisie. Et il punit les bourgeois pour leur "immoralité" en les mettant au ban de la nation en tant que "communauté morale" dont ils sont exclus. De telles distinctions ont été reprises couramment depuis, notamment sous la forme de l'acte d'accusation dressé contre les "grands monopoles" considérés comme "traitres à la nation".

Selon F. Lassalle, l'immoralité n'a pas pour source la propriété bourgeoise. Cependant, si elle prévaut c'est parce que l'État a pour finalité la protection de la propriété bourgeoisie, sous prétexte de protection des individus[61].

Que le grand bourgeois [citoyen[62]] jouisse dans son salon des considérables agréments et avantages qu'implique une importante propriété bourgeoise pour le possédant ‑ il n'y a rien de plus simple, de plus naturel et de plus légitime que cela. [...]

Or lorsque le grand bourgeois [citoyen], non content de l'agrément réel d'une importante propriété veut en plus poser la propriété bourgeoise, le capital, comme condition pour participer à la domination sur l'État, à la détermination de la volonté de l'État et de la finalité de l'État, alors seulement le grand bourgeois [citoyen] devient bourgeois, alors il transforme le fait de la propriété en condition légale de la domination politique, alors il se caractérise comme nouvel ordre privilégié au sein du peuple, qui dès lors veut imprimer le sceaux dominant de son privilège à toutes les institutions sociales aussi bien que l'a fait la féodalité au moyen âge, comme nous l'avons vu, avec le privilège de la propriété terrienne.

[Citation dans l'original ]

La façon dont F. Lassalle pose ici le problème des "idées dominantes" n'a évidemment rien à voir avec la conception matérialiste, telle que la posent Marx et Engels dans L'Idéologie allemande. En effet, du point de vue du marxisme, ce n'est pas l'État qui décide quelles sont les idées dominantes. Ce sont les rapports de production qui, à la fois, déterminent la nature de l'État et celle des idées dominantes[63].

Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle [...]. Les pensées dominantes ne sont pas autre chose que l'expression idéale des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants saisis sous forme d'idées, donc l'expression des rapports qui font d'une classe la c1asse dominante; autrement dit, ce sont les idées de sa domination.

L'approche de F. Lassalle l'amène tout naturellement à stipuler le respect de la propriété privée[64].

Aussi autorisé que soient le travailleur et le petit bourgeois, en un mot toute la classe ne possédant pas de capital, de demander à l'État qu'il oriente toutes ses préoccupations vers la question de savoir comment améliorer la situation déplorable et misérable des classes travailleuses, [...] autant le travailleur ne doit jamais oublier et n'oubliera jamais, que toute propriété une fois légalement acquise est totalement intangible et légitime.

[Citation dans l'original ]

Pour agir en faveur des classes travailleuses, l'essentiel, selon F. Lassalle, est l'abolition des privilèges, la promotion de la solidarité[65].

L'idée morale de la bourgeoisie est celle-là, que de manière exclusive rien d'autre ne doive être garanti à chacun que le libre exercice de ses propres forces.

Si nous étions tous forts au même degré, intelligents au même degré, formés au même degré et riches au même degré, alors cette idée pourrait être considérée comme une idée suffisante et morale.

Or puisque nous ne sommes pas ainsi et ne pouvons pas l'être, alors cette idée n'est pas suffisante et conduit donc dans ses conséquences nécessairement à une immoralité profonde. Car elle conduit à ce que le plus fort, le plus intelligent, le plus riche exploite le plus faible et le mette dans sa poche.

L'idée morale de l'ordre des travailleurs par contre est celle, que l'exercice sans entrave et libre, des forces individuelles par l'individu ne suffit pas encore, mais qu'à cela, dans une communauté structurée moralement, doit encore se joindre: la solidarité des intérêts, la communauté et la réciprocité du développement.

[Citation dans l'original ]

Ici, tout en critiquant la conception "bourgeoise" du libéralisme, F. Lassalle ne remet pas en cause le principe de base de la doctrine libérale ‑ la liberté individuelle ‑, il y superpose une exigence de moralité collective. C'est ainsi que bon nombre de défenseurs des rapports d'exploitation capitalistes, ceux qui visent à en atténuer les effets sans toucher à la cause, envisagent la question, aujourd'hui comme hier.

F. Lassalle va jusqu'au bout de sa logique. Il ne préconise pas l'abolition de la propriété bourgeoise, mais bien au contraire l'extension à tous de l'accès à cette même propriété bourgeoise[66].

La limitation du salaire moyen au besoin vital exigé habituellement au sein du peuple pour assurer son existence et reproduction ‑ c'est donc cela, je le répète ‑ la loi d'airain cruelle, laquelle domine le salaire sous les conditions actuelles. [...]

Comment donc? Le principe de l'association individuelle libre des travailleurs ne serait pas en mesure de produire l'amélioration de la société de l'ordre travailleur?

Bien entendu, il en est en mesure ‑ mais uniquement par son application et extension à la grande production de fabrique.

Faire de l'ordre travailleur son propre entrepreneur ‑ c'est cela le moyen, par lequel ‑ et par lequel seul ‑ comme vous le voyez maintenant tout de suite vous-mêmes, serait écartée cette loi d'airain cruelle qui détermine le salaire!

Lorsque l'ordre travailleur est son propre entrepreneur, alors la séparation entre salaire et profit d'entrepreneur tombe, et avec elle le simple salaire en général, et le résultat du travail prend sa place en tant que rémunération du travail!

[Citation dans l'original ]

La méthode envisagée par F. Lassalle pour mettre en œuvre ses conceptions consisterait à donner à l'État une nouvelle finalité, en conformité avec l'objectif affirmé[67].

Conformément à cette distinction la bourgeoisie conçoit la finalité morale de l'État ainsi: elle consisterait exclusivement et uniquement dans la protection de la liberté personnelle de chacun ainsi que de sa propriété. [...]

Le quatrième ordre, Messieurs, conçoit tout à fait différemment la finalité de l'État, à savoir, il la conçoit telle qu'elle est en vérité. [...]

C'est l'État qui a pour fonction d'accomplir ce développement de la liberté, ce développement du genre humain vers la liberté.

L'État est cette unité des individus au sein d'un tout moral, une unité qui accroit par millions les forces de chacun parmi ceux qui sont inclus dans cette unité, qui multiplie par millions les forces dont ils disposeraient tous séparément.

La finalité de l'État n'est donc pas de protéger pour le compte de chacun sa liberté personnelle et sa propriété desquelles, selon l'idée de la bourgeoisie, il est prétendument déjà pourvu en entrant dans l'État; la finalité de l'État est plutôt précisément celle, de donner à chacun par cette unification la faculté d'atteindre de telles finalités, un tel niveau de l'existence, qu'ils ne peuvent atteindre séparément, de leur donner la faculté d'atteindre une somme de formation, de pouvoir et de liberté, qui serait tout simplement inatteignable pour eux tous séparément.

[Citation dans l'original ]

Il marie ainsi la place prépondérante qu'il attribue à l'État comme incarnation de "l'Idée", avec la conception des rapports sociaux propres aux anarchistes. En effet, de ses derniers il prend à son compte le principe de l'auto-organisation collective, tandis que, contrairement au rejet de l'État qui caractérise l'anarchisme, il charge l'État avec la tâche de donner aux individus la capacité de s'organiser ainsi eux-mêmes[68].

C'est précisément pour cela qu'il relève de l'État en tant que tâche, de vous donner la possibilité à cela, de prendre en main la promotion et le développement de la grande cause de l'association individuelle libre de l'ordre travailleur et de considérer comme son devoir le plus sacré de vous offrir les moyens et la possibilité de cette auto-organisation et auto-association.

[Citation dans l'original ]

Sous différents aspects, des approches contemporaines sont similaires, certaines ouvertement libérales, d'autres se prétendant antilibérales. Toutefois, cette façon de faire de l'État ‑ de l'État existant ‑ le maitre d'oeuvre de la mise en place du règne des travailleurs s'accordait à l'époque avec les relations étroites que F. Lassalle entretenait avec le Président du Conseil de la Prusse, Otto von Bismarck. Celui-ci, dans son effort de centralisation de l'empire germanique sous l'hégémonie de la Prusse, appliquait une politique d'interventionnisme étatique qui se concrétisait notamment par l'étatisation des principales lignes de chemins de fer ainsi que par l'introduction d'un système d'assurances sociales. Plus précisément, la vision autogestionnaire de F. Lassalle ouvrit la voie à toutes les variations ultérieures de l'idée qu'on pourrait abolir le capitalisme au moyen des nationalisations. En 1882 déjà, K. Kautsky s'engage dans cette orientation en posant la revendication suivante[69]:

Promotion étatique de toutes les entreprises autonomes coopératives partant des travailleurs et arrêt de l'exploitation capitaliste privée des entreprises se trouvant sous direction étatique, tels que chemins de fer, mines, fabriques.

[Citation dans l'original ]

Références bibliographiques[70]

Sauf indication contraire, les citations en français ont été établies par le Bulletin International à partir des textes originaux en allemand.

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Institut für Marxismus-Leninismus beim ZK der SED (Hg.)
Berlin, Dietz

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Wien, Wiener Volksbuchhandlung


Notes



[1]. De manière générale, nous traduisons Arbeiter par travailleur, sauf dans des tournures bien établies, telles que parti ouvrier pour Arbeiterpartei. En effet, rigoureusement, au terme ouvrier correspond l’allemand Lohnarbeiter, c’est-à-dire travailleur salarié. Certes, selon le contexte Arbeiter est souvent entendu implicitement comme Lohnarbeiter. Cependant, adopter systématiquement la traduction ouvrier reviendrait parfois à masquer une ambigüité dont la responsabilité incombe à l’auteur. C’est particulièrement vrai, justement, pour F. Lassalle.

[2]Dieter Dowe, Kurt Klotzbach (Hg.): Programmatische Dokumente der deutschen Sozialdemokratie, Bonn, J. H. W. Dietz Nachf., 1973, p. 137‑139. Ici p. 138.

Pour la citation en français: Marx-Engels, Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, Paris, Éditions sociales, 1966, p. 145.

[3]D. Dowe, K. Klotzbach: Programmatische Dokumente..., p. 165‑170. Ici p. 166.

Pour la citation en français: Marx-Engels, Critique des programmes..., p. 145.

[4]Ferdinand Lassalle: Das Arbeiterprogramm ‑ über den besonderen Zusammenhang der gegenwärtigen Geschichtsperiode mit der Idee des Arbeiterstandes. Vortrag, gehalten in Berlin am 12. April 1862.

In: Ferdinand Lassalle, Gesammelte Reden und Schriften (Eduard Bernstein, Hg.) (Band 2), Berlin, Paul Cassirer, 1919, p. 144‑202. Ici pp. 147, 179, 185‑186, 193‑194, 196.

Dans toutes les citations tirées de l´"Arbeiterprogramm", les italiques correspondent à des mots imprimés en lettres espacées dans l’original.

[5]Dans ce texte, F. Lassalle utilise tantôt le terme Klasse, tantôt Stand, Arbeiterstand. Stand correspond à état, comme dans Tiers-état.

[6]F. Lassalle: Das Arbeiterprogramm. Ici p. 197.

[7]F. Lassalle: Das Arbeiterprogramm. Ici p. 187‑188.

[8]F. Lassalle: Das Arbeiterprogramm. Ici p. 185.

[9]Ferdinand Lassalle: Offenes Antwortschreiben an das Zentralkomitee zur Berufung eines Allgemeinen deutschen Arbeiterkongresses zu Leipzig. 1. März 1863.

In: Ferdinand Lassalle: Gesammelte Reden und Schriften ((Eduard Bernstein, Hg.) (Band 3), Berlin, Paul Cassirer, 1919, p. 39‑92. Ici pp. 47, 88‑89, 90.

En 1862, la direction de l’Association ouvrière de Leipzig s’était adressée à F. Lassalle en le priant de formuler les tâches et les objectifs du mouvement ouvrier. De là, la "Lettre ouverte".

[10]. Karl Kautsky, Manifeste, rédigé en 1883, non publié à l'époque.

In: Klaus Berchtold (Hg.): Österreichische Parteiprogramme 1868‑1966, München, Oldenbourg, 1967, p. 130‑134. Ici p. 132‑134.

[11]. Protokoll über die Verhandlungen des Parteitages der Sozialdemokratischen Partei Deutschlands, Hannover, 9. bis 14. Oktober 1899. Berlin, Expedition der Buchhandlung Vorwärts, p. 152.

[12]Eduard Bernstein, Die deutsche Revolution von 1918/1919 (Berlin, 1921) (Heinrich August Winklre, Hg.), Bonn, 1998, J. H. W. Dietz Nachf., p. 184 et note p. 306.

[13]. Rappelons que le texte de Lénine, "La maladie infantile du communisme (le ‘gauchisme’)", datant de juin 1920 [Oeuvres ‑ tome 31, Paris-Moscou, 1961, p. 11] concerne les questions évoquées ici. Nous en donnons deux extraits:

"[...] les chefs révolutionnaires de la IIème Internationale, tels que Kautsky en Allemagne, Otto Bauer et Friedrich Adler en Autriche [...] se sont révélés des réactionnaires, les défenseurs du pire opportunisme et de la social-trahison." [p. 16.]

"L’histoire, soit dit en passant, a confirmé aujourd’hui, sur une vaste échelle, à l’échelle mondiale, l’opinion que nous avons toujours défendue, à savoir que la social-démocratie révolutionnaire d’Allemagne (remarquez que dès 1900‑1903 Plékhanov réclama l’exclusion de Bernstein, et les bolcheviks, continuant toujours cette tradition, dénoncèrent en 1913 la bassesse, la lâcheté et la trahison de Legien), ‑ la social-démocratie révolutionnaire d’Allemagne, dis-je, ressemblait le plus au parti dont le prolétariat révolutionnaire a besoin pour vaincre. Maintenant, en 1920, après toutes les faillites honteuses et les crises de l’époque de la guerre et des premières années qui la suivirent, il apparaît clairement que de tous les partis d’Occident, c’est la social-démocratie d’Allemagne qui a donné les meilleurs chefs, qui s’est remise sur pied, s’est rétablie, a repris des forces avant les autres. On peut le voir dans le Parti spartakiste et dans l’aile gauche, prolétarienne, du Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne, qui mène sans défaillance la lutte contre l’opportunisme et le manque de caractère des Kautsky, des Hilferding, des Ledebour et des Crispien." [p. 28.]

[14]Eduard Bernstein: Ferdinand Lassalle ‑ eine Würdigung des Lehrers und Kämpfers, Berlin, Paul Cassirer, 1919, p. 160‑161.

[15]Eduard Bernstein: Die Voraussetzungen des Sozialismus und die Aufgaben der Sozialdemokratie (1899), Stuttgart, J. H. W. Dietz Nachf., 1902, p. 122, 126.

Pour la citation en français: Les présupposés du socialisme et les taches de la social-démocratie, Paris, 1974, Éditions du Seuil, p. 172, 176.

[16]Eduard Bernstein: Die deutsche Revolution (Ihr Ursprung, ihr Verlauf und ihr Werk) (Band 1: Geschichte der Entstehung und ersten Arbeitsperiode der deutschen Republik), Berlin, Verlag Gesellschaft und Erziehung, 1921, p. 197‑198.

Les italiques correspondent à des mots imprimés en lettres espacées dans l’original.

[17]Ferdinand Lassalle: Über Verfassungswesen (Ein Vortrag).

In: Ferdinand Lassalle, Gesammelte Reden und Schriften (Eduard Bernstein, Hg.) (Band 2), Berlin, Paul Cassirer, 1919, p. 7‑61. Ici p. 17.

[18]E. Bernstein: Die deutsche Revolution... (Band 1), p. 21‑22.

[19]. E. Bemstein au cours de la discussion sur la question de la dictature et de la démocratie, lors de la 2e Conférence de travailleurs et socialistes à Bern, 3‑10/2/1919.

In: Gerhard Albert Ritter, Konrad von Zwehl: Die II. Internationale 1918/1919 (Protokolle, Memoranden, Berichte und Korrespondenzen), J. H. W. Dietz Nachf., 1980, p. 552‑553.

[20]Karl Kautsky: Der Sieger im Weltkrieg, In: Die Freiheit, 17 novembre 1918, cité d'après: Sozialistische Monatshefte, 1918, p. 1123.

[21]. Cité d'après: Gilbert Badia, Histoire de l'Allemagne contemporaine, tome 1er (1917‑1933), Paris, Éditions Sociales, 1964, p. 115‑116. Citation originale en allemand non disponible.

[22]Cf. Eberhard Kolb (Hg.): Vom Kaiserreich zur Weimarer Republik, Köln, Kiepenheuer & Witsch, 1972, p. 163, note 102.

[23]Otto Bauer: Der Weg zum Sozialismus, Berlin, 1919.

In: Otto Bauer, Werkausgabe (Band 2), Wien, Europaverlag, 1976, p. 91‑131. Ici p. 124.

[24]Fritz Tarnow: Bericht auf dem Parteitag der SPD de 1931 ("Kapitalistische Wirtschaftsanarchie und Arbeiterklasse").

In: Protokoll der Verhandlungen des Parteitages der Sozialdemokratischen Partei Deutschlands, 31. Mai‑5. Juni 1931 in Leipzig, Berlin, J. H. W. Dietz Nachf. p. 32‑52. Ici p. 45‑46.

[25]. Cf. le discours de Friedrich Adler à l'occasion de l'enterrement d'Otto Bauer.

In: Der sozialistische Kampf (Auslandsvertretung der Österreichischen Sozialisten, Hg.), Paris, 1938, p. 84.

[26]Otto Bauer: Die Österreichische Revolution, Wien, Wiener Volksbuchhandlung, 1923, p. 242‑248 (§ 16 ‑ Die Volksrepublik).

[27]O. Bauer: Die Österreichische Revolution. Ici p. 245‑246.

[28]Otto Bauer: "Das Gleichgewicht der Klassenkräfte".

In: Der Kampf, Wien, Wiener Volksbuchhandlung, Band 17, février 1924, p. 56‑67. Ici p. 66‑67.

[29]K. Berchtold (Hg.): Österreichische Parteiprogramme..., p. 251‑252.

[30]. "Pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l'impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C'est seulement lorsque "ceux d'en bas" ne veulent plus et que "ceux d'en haut" ne peuvent plus continuer de vivre à l'ancienne manière, c'est alors seulement que la révolution peut triompher."

(Vladimir I. Lénine, La maladie infantile du communisme, Oeuvres, tome 31, Editions Sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1961, p. 80.) [Note 321Ignition]

[31]Max Adler: Politische oder soziale Demokratie (ein Beitrag zur sozialistischen Erziehung), Berlin, Laub'sche Verlagsbuchhandlung, 1926, pp. 112, 114, 130.

[32]Max Adler: "Zur Diskussion des neuen Parteiprogramms".

In: Der Kampf, Wien, Wiener Volksbuchhandlung, Band 19, novembre 1926, p. 490‑498. Ici p. 493.

[33]M. Adler: Politische oder soziale Demokratie..., p. 13‑14.

[34]. V. I. Lénine, Le Communisme, texte du 12/6/1920, Oeuvres ‑ tome 31, Paris-Moscou, 1961, p. 167.

[35]. Georg Lukács: "The Twin Crises", New Left Review, I/60, March‑April 1970 (interview datant de 1968).

"In fact, the course of later history vindicated the Blum Theses completely."

[36]György Lukács: Thesenentwurf über die politische und wirtschaftliche Lage in Ungarn und über die Aufgaben der KPM(S) [Tézistervezet a magyar politikai és gazdasági helyzetrôl és a KMP feladatairól] (janvier 1929).

In: Politische Aufsätze ‑ Band 5 (Demokratische Diktatur, 1925‑1929), Frank Benseler (Hg.), Neuwied, Luchterhand, 1979, p. 139‑197. Ici p. 170‑171.

Traduction française (Extraits) in: György Lukács - Textes (Claude Prévost, Hg.), Paris, Messidor - Éditions Sociales, 1985. Ici p. 155.

[37]G. Lukács: Thesenentwurf... Ici p. 171‑172. Pour la traduction française: ici p. 156.

[38]. György Lukács - Textes (Claude Prévost, Hg.), Paris, Messidor - Éditions Sociales, 1985, p. 34.

[39]ibidem.

[40]György Lukács: Der Kampf des Fortschritts und der Reaktion in der heutigen Kultur. Exposé présenté en juin 1956 à l'Académie politique du KPM(S). Publié dans: Aufbau 9/1956, p. 761‑776.

In: György Lukács, Werkauswahl, Band 2, Neuwied, Luchterhand, 1967, p. 603‑632. Ici p. 607‑608.

[321Ignition:] Voici une autre citation, où G. Lukács se réfère explicitement à la notion de démocratie populaire:

"[...] à l'époque de la grande Révolution française la structure de la société était de nature telle, que tous les efforts héroïques des masses travailleuses ne pouvaient servir qu'à la destruction du cadre féodal-absolutiste, à la création des conditions préalables pour le développement capitaliste. Les expressions démocratiques directes des grands mouvements de masse (les Clubs des Jacobins, les interventions directes des Arrondissements parisiens dans la politique de la Convention etc.) influèrent de façon décisive sur le déroulement de la Révolution française, rendirent possible là ‑ et seulement là ‑ la destruction totale du féodalisme; cependant les objectifs sociaux de ces mouvements de masse étaient à l'époque irréalisables dans leur contenu économique, étaient utopiques. Or aujourd'hui sont présentes les conditions préalables autant économiques, que sociales et de pouvoir politique, pour que la lutte héroïque du peuple travailleur en vue du renversement du fascisme engendre des résultats plus sérieux que la simple transition vers le rétablissement de l'ordre démocratique formel de l'avant-guerre. Aujourd'hui sont présentes les conditions préalables pour que le peuple, qui dans ce combat luttait et vainquit seul (qui de même en 1830, 1848, 1918-1919 luttait seul pour la liberté), préserve et fortifie sa domination, sans que cette domination revête des formes socialistes. Cela est aujourd'hui la question centrale de la situation de la démocratie en Europe (bref: la question de la création d'une démocratie populaire d'un type nouveau)." [Citation dans l'original ]

("Literatur und Demokratie", texte de 1946, in: Ausgewählte Schriften (Band 4: Marxismus und Stalinismus ‑ Politische Aufsätze), Reinbek, Rowohlt, 1970), p. 94‑109. Ici p.  100.

[41]Die Internationale, Prag, 1937, Nr. 1/2, p. 75‑82.

In: Wilhelm Pieck: Gesammelte Reden und Schriften (Band 5 ‑ Februar 1933 bis August 1939) (Institut für Marxismus-Leninismus beim ZK der SED, Hg.), Berlin, Dietz, 1972, p. 356‑373.

http://321ignition.free.fr/pag/de/lin/pag_007/1936_06_yy_KPD_ZK_Richtlinien.htm

[42]Georgi Dimitrow: Diskussionsrede zur spanischen Frage in der Sekretariatssitzung des Exekutivkomitees der Kommunistischen Internationale, 18 septembre 1936.

In: Beiträge zur Geschichte der Arbeiterbewegung, Institut für Marxismus-Leninismus beim ZK der SED (Hg.), Berlin, Dietz, 14. Jahrgang, 1972, Heft 3, p. 459.

http://321ignition.free.fr/pag/de/lin/pag_007/1936_09_18_EKKI_Dimitrow.htm

[43]Berner Parteikonferenz der Kommunistischen Partei Deutschlands, Resolution: "Der Weg zum Sturze Hitlers und der Kampf um die neue, demokratische Republik", 1er février 1939.

In: Institut für Marxismus-Leninismus beim ZK der SED (Hg.): Zur Geschichte der Kommunistischen Partei Deutschlands, Berlin, Dietz, 1955, p. 393‑410.

http://321ignition.free.fr/pag/de/lin/pag_007/1939_02_01_KPD_Bern_Resolution.htm

[44]. Marx/Engels, Oeuvres choisies (tome 2), Moscou, 1970, p. 87. Les italiques figurent dans l'original. Quant au texte mentionné de F. Lassalle, il s'agit du troisième chapitre de son ouvrage "Herr Bastiat ‑ Schulze von Delitsch, der ökonomische Julien, oder: Capital und Arbeit", Berlin, 1864. Traduction française en 1904.

[45]Idem, tome 2, p. 432‑433. Les italiques figurent dans l'original.

[46]Idem, tome 2, p. 286‑287.

[47]Idem, tome 3, p. 17. Les italiques figurent dans l'original.

[48]. Idem, tome 3, p. 36‑37.

[49]. Marx, Gloses marginales au programme du parti ouvrier allemand (1875). In: Marx-Engels, Critique des programmes de Gotha et d'Erfurt, op. cit., p. 43.

[50]F. Lassalle, Arbeiterprogramm. Ici p. 186‑187.

[51]. Marx‑Engels, Manifeste du Parti communiste (1848), Paris, Éditions sociales, 1966, p. 11‑12. Préface de F. Engels. 1883.

[52]. Marx-Engels, L'idéologie allemande ‑ première partie (Feuerbach), Paris, Éditions sociales, 1968, p. 116‑117.

[53]F. Lassalle, Arbeiterprogramm. Ici pp. 148, 186.

[54]. Marx‑Engels, Manifeste du Parti communiste, op cit., p. 49‑50.

[55]. F. Engels, Socialisme utopique el socialisme scientifique (1880), Paris, 1969, Éditions sociales, p. 102.

[56]F. Lassalle, Arbeiterprogramm. Ici p. 165.

[57]. Marx, Contribution à la critique de l'économie politique (1859), Paris, Éditions sociales, 1957, p. 4‑5.

[58]. Marx, Le Capital ‑ préface à la première édition allemande (1867). Livre premier ‑ tome l, Paris, Éditions sociales, 1975, p. 19‑20.

[59]F. Lassalle, Arbeiterprogramm. Ici p. 187.

[60]F. Lassalle, Arbeiterprogramm. Ici pp. 156, 157, 158, 191‑194.

[61]F. Lassalle, Arbeiterprogramm. Ici pp. 172‑174.

[62]. Selon le contexte, le terme Bürger se traduit par citoyen ou bourgeois. Dans le cas de Großbürger, grand bourgeois s’impose, et nous préciserons entre crochets lorsqu’il faut comprendre citoyen.

[63]. Marx‑Engels, L'Idéologie allemande, op. cit., p. 75.

[64]F. Lassalle, Arbeiterprogramm. Ici p. 173‑174.

[65]F. Lassalle, Arbeiterprogramm. Ici p. 195.

[66]F. Lassalle: Offenes Antwortschreiben... Ici pp. 58‑59, 69.

[67]F. Lassalle, Arbeiterprogramm. Ici p. 195‑198.

[68]F. Lassalle: Offenes Antwortschreiben... Ici p. 70.

[69]. Résolution adoptée aux "Assises ouvrières" de Brünn, le 15 octobre 1882, rédigée pour l’essentiel par K. Kautsky.

K. Berchtold (Hg.): Österreichische Parteiprogramme..., p. 129‑130. Ici p. 130.

[70]. [321Ignition:] Nous avons revu et précisé les sources des citations. Les références bibliographiques ont été modifiées en conséquence.