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“Convergence des luttes” :
Vers quel point de référence ? En direction de quel objectif ?

 

 

L'absence du parti communiste révolutionnaire, avant-garde du prolétariat, est actuellement un fait. La mise en avant de la “convergence des luttes” nourrit l'idée pernicieuse selon laquelle la classe ouvrière pourrait réaliser l'objectif d'abolir le système capitaliste, simplement en organisant un rassemblement des travailleurs en lutte au niveau de la base.

 

 

 

 

 

 

Écrit: octobre 2010

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Depuis une dizaine d'années le principe de la "convergence des luttes" constitue l'un des principaux points que bon nombre d'acteurs des mouvements sociaux placent au centre de leurs préoccupations. De par son caractère extrêmement flou, il est susceptible d'être invoqué à des titres divers et variés. Toutefois, il est en général l'expression de l'acceptation ‑ consciente ou inconsciente, volontaire ou subie ‑ d'un contexte caractérisé par le fait que la résistance contre la domination de la bourgeoisie, et notamment les luttes revendicatives des travailleurs, se développent en majeure partie de façon isolée, morcelée, en absence d'un parti ayant la volonté et la capacité de structurer ce combat contre le système capitaliste.

Il n'y a là, certes rien d'original.

En mars 2003, un certain nombre d'organisations syndicales lancèrent un appel qui déclare entre autre[1]:

[...] nous devons, en plus de continuer à résister et à rendre les coups boîte par boîte (privé, public), construire les convergences de luttes nécessaires qui nous permettront d'imposer une alternative à la politique antisociale menée conjointement par le patronat et le gouvernement. C'est uniquement de cette façon que nous pourrons gagner et ouvrir des perspectives de changement de société.

Le texte est signé exclusivement par des organisations syndicales, principalement divers syndicats de base d'entreprises subissant des réductions d'effectifs ou fermetures: Aventis Romainville, Lu-Danone Evry, ACT Angers, Daewoo Lorraine, et d'autres. En traçant une route directe de la "convergence des luttes" au "changement de société", il se place dans la perspective habituelle du syndicalisme révolutionnaire. Mais si l'on se réfère à d'autres adeptes de la convergence des luttes, on peut noter une tendance prononcée à formuler des objectifs plus limités. C'est le cas notamment en ce qui concerne le mot d'ordre très répandu exigeant "l'interdiction des licenciements". À titre d'exemple, voici ce qu'en dit le syndicat CGT de Philips EGP à Dreux[2]:

C'est par l'extension et par la convergence des luttes que nous pourrons changer le rapport de force en faveur des salariés, afin que nous ne vivions plus avec la crainte de tomber au chômage. C'est par le "tous ensemble" que nous interdirons les licenciements et les suppressions d'emplois.

Cette orientation est notamment reprise en rapport avec le mouvement de grève organisé en février 2010 chez Total à partir du site de Dunkerque. Voici un extrait d'un appel lancé à ce sujet[3]:

En apportant notre soutien actif aux camarades de Total Dunkerque nous manifesterons notre volonté de:

- défendre nos propres revendications qui vont toutes dans le même sens de défendre nos emplois, nos salaires ou nos retraites;

- faire converger les luttes de tous les travailleurs dont l'entreprise est menacée de fermeture ou de réduction d'effectifs, que ce soit par des licenciements ou des départs soi-disant naturels ou volontaires.

Ensemble, autour des camarades de Total Dunkerque, nous pouvons faire du 8 mars [rassemblement organisé devant l'ancien siège de Total à La Défense] une étape vers cette convergence qui permettra de cesser de nous battre seuls le dos au mur. Unis, nous sommes une force pour dire que nous voulons imposer [...]:

- l'arrêt des suppressions d'emplois à Total et ailleurs,

- la fin des fermetures des sites industriels ou tertiaires,

- l'interdiction des licenciements.

Le texte est signé par des organisations syndicales ainsi que des syndicalistes et autres personnes à titre individuel. On peut citer: Intersyndicale CGT-CFDT-CFTC Freescale Toulouse (Haute-Garonne), SUD Goodyear Amiens (Somme), CGT Philips EGP Dreux (Eure-et-Loir).

À la même époque les travailleurs de Continental à Clairoix étaient en lutte contre leur licenciement du fait de la fermeture annoncée du site. Xavier Mathieu, délégué syndical CGT et un des principaux animateurs de la lutte, évoque aussi la perspective de l'interdiction des licenciements[4]:

[...] nous savions que seule une lutte commune, nous rassemblant par dizaines de milliers, et même beaucoup plus, pourrait être en mesure de mettre en échec les plans patronaux en leur imposant par la force, le seul moyen réaliste, l'interdiction des licenciements collectifs et la réquisition de la fortune amassée par les actionnaires pour garantir le salaire et l'emploi de tous.

Mais il a une vision plutôt lucide au sujet du degré de pertinence de la démarche visant à la convergence des luttes. À la question "Est-ce que les rencontres que vous avez faites pendant ces derniers mois peuvent aboutir à une coordination des luttes?", il répond[5]:

Je ne sais pas. Tant que ça ne sont que les gens qui sont dans la merde qui appellent à l'aide, ça n'aboutit pas. Ça bougera quand ce seront les gens qui n'ont pas de problèmes qui viendront aider. En plus, je vois bien que quand on était dans notre lutte, on avait d'autres choses à faire que d'aller organiser des coordinations avec d'autres boîtes.

Par la suite ces efforts de faire converger les luttes se sont concrétisés dans la constitution d'un “Collectif contre les patrons voyous”. Voici un extrait d'un texte exposant les objectifs de ce collectif[6]:

Face à la gravité de la situation, la convergence de toutes nos luttes devient une question vitale. C'est le rapport de force que l'ensemble des salariés pourra établir qui permettra de mettre en œuvre et d'appliquer un plan de sauvetage, non pas des banquiers et des grands actionnaires de l'industrie, cette fois, mais des travailleurs et de toutes les couches populaires.

Toutes ces mesures de sauvegarde des intérêts des salariés et de toutes les couches populaires,

- l'interdiction des licenciements,

- un emploi stable et un revenu minimum décent pour tous,

- la fin de la précarité,

- l'augmentation générale des salaires,

- les embauches massives dans les services publics,

- la reconversion des industries polluantes et destructrices en production sociales utiles,

n'ont rien d'utopique.

"Plan de sauvegarde", "interdiction des licenciements": on est ramené au programme "minimal" prétendument porteur d'une dynamique de "transition". Pour faire la promotion de cette orientation, le texte présente des argumentations qui contournent délibérément l'énoncé clair et franc de la question du pouvoir de classe bourgeois et du système économique capitaliste. Les explications ne peuvent donc qu'être tortueuses[7]:

Il suffirait finalement de peu de chose pour que [...] les règles du jeu de la société, celles qui permettent de savoir qui décide quoi, changent du tout au tout. Pour que toutes nos revendications, plus exactement nos exigences, deviennent réalité. [...] C'est en nouant le fil des luttes, que s'allumera la mèche. C'est un tel embrasement social qui donnera aux salariés et à la population les moyens de dicter leurs exigences, d'interdire les licenciements, et de remettre en cause la propriété privée des patrons récalcitrants. En un mot, ce seront les travailleurs mobilisés et organisés qui feront la loi.

Il est question de "changer la société". Comment? En faisant "reculer" les patrons et le gouvernement, qui cèderont pour ne pas "tout perdre". Comprenne qui peut, ou qui veuille bien faire semblant de comprendre... [8]:

Oui, il est possible non seulement d'imposer le maintien des salaires, mais d'aller au-delà d'indemnités extra-légales et d'interdire les licenciements. À condition de faire converger toutes les luttes déjà existantes et celles à venir en un vaste mouvement d'ensemble. C'est dans de telles circonstances que les patrons comme le gouvernement préfèrent reculer, de peur de tout perdre. C'est dans de telles circonstances que les travailleurs et les couches populaires ont enfin les moyens de changer la société.

L'un des principaux initiateurs de ce collectif est Guy Eyermann, ex-délégué syndical CGT de New Fabris à Châtellerault (Vienne), site fermé en juillet 2009. Il se trouve qu'aux élections régionales de mars 2010, il figurait sur la liste présentée par le PS en Poitou-Charentes, avec Ségolène Royal en tête[9]. Signalons en passant que Denise Parise, délégué CGT chez Molex à Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne), où s'est déroulée en 2009 une lutte contre la fermeture du site, figurait aux mêmes élections régionales sur la liste présentée par le PS en Midi-Pyrénées.

Le texte du Collectif contre les patrons voyous évoque la question des partis politiques dans les termes suivants[10]:

Si ceux qui luttent contre les licenciements trouvent le moyen de nouer des contacts et de rassembler les pièces du puzzle de leurs luttes, leur force commune représentera le centuple de celle de leurs combats éparpillés. [...] Ils auront du même fait les moyens de s'adresser efficacement aux organisations syndicales et politiques en vue d'une unité bien comprise en faveur des intérêts des exploités et de leur victoire.

Par son engagement derrière Ségolène Royal, Guy Eyermann s'est donc d'ores et déjà "adressé" aux organisations politiques, par anticipation, en attendant que le "vaste mouvement d'ensemble" que l'appel voit venir, établisse le rapport de forces censé donner les moyens pour "l'efficacité" en la matière.

De toute façon il est certain que l'encrage dans les syndicats de base, affiché comme caractéristique de la démarche de la convergence des luttes, n'est en rien incompatible avec un afflux de forces politiques soucieuses de choyer ces précieux bourgeons annonciateurs d'un "changement", d'une "alternative", d'un monde "meilleur" qui est "possible". En effet, les forces politiques dites de gauche se bousculent pour converger également. Voici à titre d'exemple des extraits d'une déclaration adoptée en avril 2009[11]:

[...] Le 1er Mai peut constituer une étape supplémentaire dans la convergence et la généralisation de mobilisations sociales dont le mouvement des Antilles, notamment, a montré l'efficacité. [...]

Le gouvernement loin d'apporter une quelconque réponse aux urgences sociales du pays, une quelconque réponse efficace à la crise, [...]

Cela concerne notamment [...] la réorientation des richesses vers le développement de productions et de services susceptibles d'engager notre pays dans un tout autre mode de développement fondé sur la satisfaction des besoins sociaux dans le respect des équilibres écologiques. [...]

La question de l'emploi devient cruciale. Face à des groupes qui sacrifient leurs salariés au profit de la rémunération des actionnaires et des plus hauts dirigeants patronaux, il est temps de stopper au plus vite les licenciements et d'éliminer toute conséquence du chômage partiel pour les salarié-e-s.

Nos organisations, comme elles l'ont fait lors des précédents rendez-vous de mobilisation sociale, appellent à la réussite d'un 1er mai 2009 historique. Elles seront aux côtés des salarié-e-s, de tous les travailleurs, de toute la population pour amplifier la mobilisation populaire afin d'obtenir les changements de cap politiques nécessaires.

Signataires: Les Alternatifs, le NPA, le PCF, le PS, La Gauche Unitaire, Le PG, Le MRC, Le PCOF, La Fédération, ADS, Alter-Ekolos-Ecologie Solidaire, La CNCU.

Ici, il ne s'agit ni de syndicalisme révolutionnaire, ni de variations sur le thème des revendications de transitions, mais du réformisme le plus banal.

*   *

*

L'absence du parti communiste révolutionnaire, avant-garde du prolétariat, est actuellement un fait. Et il est évident que les travailleurs doivent malgré tout mener sans relâche la lutte contre la classe capitaliste et contre l'exploitation qu'ils subissent. Mais il est indispensable aussi que les militants marxistes-léninistes, tout en oeuvrant pour la construction du Parti, combattent l'idée pernicieuse, diffusée et nourrie notamment à travers la mise en avant de la "convergence des luttes", selon laquelle la classe ouvrière pourrait réaliser l'objectif d'abolir le système capitaliste ‑ ou plutôt en l'occurrence, son remplacement en sous-main par quelque chose dont on n'entrevoit que très vaguement la nature ‑, simplement en organisant un rassemblement des travailleurs en lutte au niveau de la base.

 

 

 

 

 



[1]. "Appel pour l'unité d'action contre les suppressions d'emplois et la précarité: Privé-public tous à Paris le 21 mars 2003!".

http://cgtldc.chez.com/Appel%20d%E9finitif%2021%20mars%202003.rtf.

[2]. 23 février 2010.

http://cgt-egp-dreux.over-blog.com/article-philips-dreux-2emejour-de-travail-apres-la-levee-du-lockout-a-philips-dreux-45542894-comments.html.

[3]. "Avec les salariés de Total Dunkerque - Pour la convergence des luttes". 28 février 2010.

http://www.collectifcontrelespatronsvoyous.com/IMG/pdf/appel_convergence_avec_total.pdf.

[4]. Intervention de Xavier Mathieu à la Fête de l'Humanité, 12 septembre 2009.

http://www.frontsyndical-classe.org/article-36112270.html.

[5]. Xavier Mathieu, délégué CGT de Continental Clairoix: "La CGT a laissé ses propres délégués dans la merde". 26 août 2009.

http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/08/26/la-cgt-a-laisse-ses-propres-delegues-dans-la-merde_1232267_3234.html.

[6]. "Coordonnons nos luttes ! Oui, les travailleurs ont les moyens, tous ensemble, d’interdire les licenciements." 4 octobre 2009.

http://www.collectifcontrelespatronsvoyous.com/spip.php?article13.

[7]ibid.

[8]ibid.

[9]. "Des syndicalistes s'engagent aux régionales." 8 février 2010.

http://www.segoleneroyal-meag.com/article-des-syndicalistes-s-engagent-aux-regionales-44522094-comments.html.

[10]. "Coordonnons nos luttes !...", op. cit.

[11]. "Déclaration unitaire: pour un grand 1er mai de convergence des luttes!" Avril 2009.

http://www.npa2009.org/content/d%C3%A9claration-unitaire-pour-un-grand-1er-mai-de-convergence-des-luttes.