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Stefanaq Pollo De la lutte antifasciste de libération nationale |
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Source: Questions de la Lutte antifasciste de libération nationale du peuple albanais et de l'édification socialiste en RPS d'Albanie (recueil de textes), Éditions "8 Nëntori", Tirana, 1983 (édition en français). |
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Notre peuple a lutté des siècles durant contre l'exploitation dont il a été l'objet de la part des classes dominantes ainsi que contre le joug étranger, mais, suivant la loi générale du développement progressif de la société, ce combat a vu, à chaque période historique donnée, ses propres traits définis par des facteurs économiques, sociaux, politiques et culturels. De ce point de vue, la Lutte antifasciste de libération nationale s'est développée, elle aussi, conformément à cette loi générale. Mais à la différence des autres luttes menées par notre peuple, cette Lutte a marqué non seulement une étape supérieure des mouvements révolutionnaires populaires du pays, mais aussi, par son triomphe, un tournant radical et décisif dans la destinée même de ce dernier. Ce tournant tient à ce que cette Lutte apporta non seulement la libération nationale, mais encore un bouleversement dans les rapports sociaux, un bouleversement d'une ampleur sans précédent, un bouleversement non seulement des rapports patriarcaux et féodaux, mais aussi des rapports capitalistes, qui furent remplacés par des rapports nouveaux, socialistes. Quelles furent les prémisses et les facteurs qui déterminèrent ce tournant? Pour pouvoir répondre à cette question, il est nécessaire de nous arrêter brièvement à l'histoire antérieure à la révolution populaire. Au cours des dernières décennies, depuis le début du mouvement national jusqu'au triomphe de la révolution populaire, la société albanaise n'avait pas subi de profondes transformations économiques et sociales. Comme l'a souligné le camarade Enver Hoxha, "l'Albanie était restée entre deux périodes historiques, la chute du féodalisme et le développement du capitalisme [...]"[1]. Toutefois, bien que notre pays fût resté un pays agraire arriéré, le développement, quelque restreint qu'il fût, des rapports capitalistes eut d'importantes conséquences sociales. Parallèlement à la paysannerie, qui constituait toujours la grande majorité de la population, parallèlement à la bourgeoisie et aux gros propriétaires fonciers, une nouvelle classe, la classe ouvrière, qui devait jouer un rôle historique important, avait dé formée et elle se consolidait en tant que classe à part. La connaissance de la situation socio-économique et de la physionomie politique des classes qui constituaient la société albanaise d'avant la Libération permet de comprendre les causes du profond marasme et du grand retard qui pesaient sur le dos des masses populaires; d'autre part, cela permet de comprendre ce qui engendrait l'énergie révolutionnaire potentielle de ces masses, énergie qui était, certes, refoulée, mais qui ne demandait qu'à jaillir et constituait une des prémisses les plus importantes de la situation révolutionnaire que connaîtrait notre pays. Depuis longtemps déjà les grands propriétaires terriens albanais étaient devenus une classe profondément parasitaire, anachronique, dégénérée, hostile au peuple et à la patrie. Ils s'étaient discrédités aux veux des masses travailleuses en tant que promoteurs d'une sauvage oppression économique et politique et de la collaboration avec l'occupant étranger afin de préserver leurs intérêts de classe. Ces propriétaires terriens s'étaient aliéné une fois pour toutes même le peu d'influence que certains de leurs représentants s'étaient acquise pendant la Renaissance nationale albanaise, par leur participation, en certaines occasions, au mouvement national. Cette classe était destinée à aller contre l'histoire, elle allait donc en être rejetée. Quart à la bourgeoisie, l'autre classe dominante du pays, elle s'était relativement consolidée du point de vue économique, mais pas autant qu'il l'aurait fallu pour qu'elle jouât un rôle indépendant dans la vie politique du pays. Par conséquent, la collaboration et le partage du pouvoir avec les grands propriétaires terriens étaient et demeurèrent des traits caractéristiques de toute son activité. Nombre de ses représentants d'avant-garde arborèrent pendant la Renaissance nationale albanaise le drapeau du nationalisme et de la démocratie, devenant ainsi des dirigeants et des idéologues de la lutte pour la libération nationale et soutenus en cela par les masses populaires patriotiques du pays. Les milieux démocratiques de la bourgeoisie albanaise firent preuve d'un particulier élan révolutionnaire pendant les années 1920‑1924. Mais le caractère hésitant, tronqué, de l'action politique de cette bourgeoisie, qui s'était déjà manifesté au cours de la lutte pour la libération nationale, apparut surtout durant la période de la lutte des masses populaires pour l'instauration d'un régime démocratique, période où, loin de résoudre la question agraire, problème fondamental de l'époque, la bourgeoisie fut effrayée par l'élan révolutionnaire des masses paysannes. La bourgeoisie se rapprocha du régime antipopulaire et antinational du roi Zog et plus tard collabora étroitement et se fondit complètement avec lui. Ainsi, ses énergies révolutionnaires s'épuisèrent, elle devint une classe réactionnaire, contre-révolutionnaire. La paysannerie albanaise, la classe la plus nombreuse du pays, qui avait été un puissant appui et la force motrice principale de la lutte pour la libération nationale, avait connu une profonde différenciation politique: ses couches aisées avaient joui du soutien des régimes féodalo-bourgeois de l'État albanais indépendant et étaient devenues un puissant appui social du régime zoguiste. L'autre partie de la paysannerie, la plus nombreuse, loin de voir se réaliser ses aspirations sociales dans l'État albanais indépendant, devînt elle-même l'objet d'une farouche exploitation féodalo-bourgeoise et fut abandonnée à sa misère, à son retard et à son ignorance. Or ces masses paysannes avaient de brillantes traditions de combat. Leurs mouvements révolutionnaires remplissent des pages entières de l'histoire moderne et contemporaine du pays. Elles étaient les principales porteuses des traditions non seulement de la lutte pour la liberté et l'indépendance, mais aussi de la lutte contre l'exploitation féodalo-bourgeoise et pour l'instauration d'un régime démocratique. Mais les mouvements paysans avaient échoué. Leurs aspirations séculaires à la terre n'avaient pas été réalisées. Ainsi, loin de pactiser avec le régime zoguiste, les masses paysannes lui étaient profondément hostiles. La classe ouvrière et en particulier les communistes, ses représentants, étaient les alliés naturels des masses paysannes. Bien que peu nombreuse et portant la marque du retard général du pays, la classe ouvrière albanaise, du fait de sa position sociale, du caractère de son activité, de son regroupement dans les villes, etc., avait la possibilité, à travers l'action menée par les communistes, de se développer et de se préparer plus vite sur le plan idéologique et politique. Le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière pendant les années '30 avait dominé, à certains moments, par ses grèves et ses manifestations la vie politique et sociale du pays. Mais dans sa lutte contre la politique antinationale et antipopulaire du régime zoguiste et contre la pénétration du fascisme en Albanie, la classe ouvrière albanaise était restée isolée des masses paysannes. Les communistes, s'ils dirigèrent le mouvement ouvrier, ne réussirent guère à promouvoir dans les campagnes l'alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie. Voilà quelles étaient les forces de classe du pays et leur physionomie à la veille de la catastrophe nationale du 7 avril 1939. L'instauration d'un régime fasciste d'occupation en Albanie y créa un rapport de classe et politique qui eut d'importantes conséquences sur la suite des événements. Non contents d'avoir assuré aux grands propriétaires terriens l'inviolabilité de leurs propriétés et donné à la bourgeoisie la possibilité de s'enrichir sur le clos des masses travailleuses, les envahisseurs fascistes conférèrent aux représentants de ces classes des postes importants dans l'administration fasciste. Ces classes réactionnaires en général devinrent partie intégrante du régime fasciste d'occupation. C'était là l'aboutissement logique de la voie suivie historiquement par elles, pour qui la liberté et l'indépendance de la patrie avaient perdu toute signification. Par conséquent, la lutte contre les envahisseurs fascistes ne pouvait ne pas être aussi, objectivement, une lutte contre les grands propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie. C'était là, sur le plan historique, la première prémisse importante de la transformation de la Lutte antifasciste de libération nationale du peuple albanais en révolution populaire. L'instauration du régime fasciste dans le pays mit d'autre part à l'épreuve toutes les forces nationales saines auxquelles l'histoire assignait des taches importantes et urgentes, elle mit à l'épreuve la conscience, la maturité politique et le patriotisme des individus, des classes et des diverses couches sociales. La conscience, on le sait, est déterminée par les conditions matérielles et les intérêts de classe, et le patriotisme, ce sentiment si profondément enraciné depuis des millénaires, revêt à chaque époque de l'histoire un contenu social et de classe bien défini. Le régime fasciste d'occupation instauré en Albanie provoqua un grave traumatisme psychologique parmi les larges masses populaires rurales et urbaines. "La perte de la liberté et de l'indépendance nationale ébranla le peuple albanais, toucha profondément ses sentiments traditionnels d'ardent patriotisme et de fierté nationale[2]." La politique de fascisation et d'italianisation du pays, les féroces mesures policières que prirent les occupants dès le début contre les patriotes antifascistes, la ruine massive des artisans locaux du fait de la forte concurrence de l'industrie italienne, la dure exploitation des ouvriers albanais et leur discrimination par rapport aux ouvriers italiens, la ruine graduelle et systématique de la paysannerie travailleuse provoquée par l'action des lois capitalistes du fascisme et l'expropriation des terres pour satisfaire les besoins militaires de l'occupant, etc., aggravèrent le mécontentement et attisèrent la haine du peuple à son encontre, créant ainsi un terrain favorable au développement du mouvement antifasciste de libération nationale. Si la classe ouvrière albanaise et ses représentants, les communistes, s'opposèrent dès le début au régime d'occupation, ce fut pour des raisons idéologiques, politiques et économiques. Étant la classe la plus progressive de la société albanaise, dotée d'une certaine expérience politique, d'une idéologie avancée inspirée par ses dirigeants communistes, la classe ouvrière, bien que numériquement petite, avait pour tâche non seulement de poursuivre avec plus de force et sur une plus large échelle la lutte antifasciste qu'elle menait depuis les années '30, mais aussi d'assumer son rôle de promoteur et d'organisateur du mouvement de libération nationale. Dans les conditions concrètes de l'Albanie d'alors, aucune autre classe à part elle, n'était en mesure de prendre la direction du mouvement populaire antifasciste. Par conséquent, aucune autre idéologie à part l'idéologie marxiste-léniniste ne pouvait représenter les intérêts nationaux et sociaux vitaux du peuple albanais, ni devenir le drapeau qui inspirerait et orienterait les larges masses dans leur lutte de libération. La fondation, en novembre 1941, du Parti communiste d'Albanie, en tant que parti de la classe ouvrière, fut une condition subjective très importante pour l'accomplissement de cette tâche. C'étaient là de nouveaux facteurs sociaux, idéologiques et organisationnels que n'avaient pas connus les étapes antérieures de la lutte de libération de notre peuple et qui feraient connaître à cette lutte de nouvelles méthodes et prendre d'autres proportions, qui la doteraient d'une forme et d'un contenu nouveaux, qui joueraient enfin un rôle décisif dans la transformation de la Lutte de libération nationale en révolution populaire. L'heureux accomplissement de cette tâche historique complexe et considérable exigeait en premier lieu l'application créatrice du marxisme-léninisme dans les conditions d'un pays agraire arriéré comme l'était l'Albanie. Mais il ne pouvait y avoir, pour ce faire, ni modèles ni schémas tout faits. Appliquer le marxisme de façon dogmatique et sans aucun égard aux conditions historiques concrètes, aurait voulu dire renoncer à la lutte pour la libération nationale et sociale et faire ainsi tout à fait le jeu de l'occupant fasciste. C'est à quoi conduisaient les vues erronées de certains communistes selon lesquels il fallait se dresser dans une action non pas de libération nationale mais socialiste et cela après la création et la croissance du prolétariat albanais. Notre Parti et le camarade Enver Hoxha eurent le grand mérite de rejeter avec courage ces vues et de suivre la voie révolutionnaire de la Lutte de libération nationale dictée par la situation concrète du pays. Et l'histoire montra que c'était là la seule voie juste. Notre Parti sut appliquer avec justesse et conformément aux conditions socio- politiques intérieures et internationales la théorie marxiste-léniniste du mouvement national, de la révolution démocratique et socialiste, du pouvoir d'État, de la lutte des classes, de la guerre populaire de partisans et de l'insurrection armée. Le programme du Parti communiste d'Albanie approuvé en novembre 1941 et complété au cours de la lutte, marquait une victoire sur le dogmatisme, le sectarisme et l'opportunisme, il définissait une ligne politique qui répondait aux aspirations nationales et sociales des masses populaires. La lutte pour la libération nationale et celle pour la libération sociale étaient deux aspects fondamentaux de l'activité du Parti et elles exercèrent une très grande influence sur le cours des événements, sur la différenciation de classe et politique du mouvement de libération. Le PCA s'en tint fidèlement et jusqu'au bout aux exigences de la lutte pour la libération nationale. Afin de mener à bon terme cette lutte, il était nécessaire en premier lieu et avant tout de rallier au Front antifasciste de libération nationale et de mobiliser en son sein toutes les forces vives du pays, tous les courants politiques, toutes les classes et couches sociales hostiles à l'occupation du pays. D'autre part, le PCA n'était pas contre la formation d'autres partis politiques ni contre la collaboration avec eux, à condition toutefois qu'ils mènent jusqu'au bout une lutte intransigeante contre le fascisme. Mais, par ailleurs, le PCA n'était pas favorable à n'importe quelle lutte nationale ni à un mouvement national bourgeois. Les temps, les conditions concrètes et les rapports de classe avaient changé. La lutte n'était plus menée, comme dans les étapes antérieures, par la bourgeoisie nationale, mais par la classe ouvrière et son Parti communiste qui prévoyait dans son programme la création d'une Albanie non seulement entièrement libre et indépendante, mais aussi démocratique et populaire. En plus, tout en menant une lutte nationale et démocratique, le PCA veillait à l'intégrité de son individualité en tant que parti marxiste-léniniste. "Nous ne sommes pas des opportunistes, écrivait le camarade Enver Hoxha, dirigeant du Parti, en février 1943, et nous n'avons pas oublié nos tâches à long terme, mais avant d'atteindre cette étape, nous devons accomplir nos tâches les plus immédiates: la Lutte de libération nationale[3]." Le PCA avait donc pour objectif non seulement de transformer la lutte pour la libération nationale en révolution populaire, mais aussi, une fois les conditions favorables réunies, de la poursuivre et de la promouvoir au niveau d'une révolution socialiste. Le mouvement de libération nationale revêtait ainsi un contenu nouveau: le mouvement ‘mur s'affranchir du joug étranger ne fit qu'un avec le mouvement pour la réalisation des aspirations sociales non pas de la bourgeoisie nationale, comme on avait tenté de le faire pendant la Renaissance nationale albanaise, mais des classes opprimées, c'est-à-dire de la classe ouvrière et de la paysannerie travailleuse. La fondation du PCA, son affirmation en tant que dirigeant de la Lutte de libération nationale et l'acceptation de son programme, comme plate-forme politique et idéologique de cette lutte, constituaient la seconde pré- misse importante en vue de la transformation de la Lutte de libération nationale en révolution populaire, anti- impérialiste et démocratique. Placé à la tête du mouvement antifasciste, le Parti devait, pour le mener jusqu'au bout, rassembler sous Sa bannière les larges masses populaires, les unir et, conformément à son programme, leur faire prendre conscience. Le Parti se fixa pour tâche de réaliser d'abord ce que les premiers groupes de communistes albanais n'avaient pu faire: se lier étroitement avec la paysannerie. "Dans les conditions de notre pays, a dit le camarade Enver Hoxha, la victoire irait à la classe qui aurait la paysannerie avec elle[4]." La classe ouvrière et la paysannerie se doteraient, chacune pour sa part, de ce qui manquait à l'autre: la première, à travers son Parti communiste, donnerait à la seconde une direction politique, idéologique et organisationnelle, une direction avancée, fidèle jusqu'au bout à la cause de la libération nationale et sociale, alors que la seconde, qui "plus que toute autre classe ou couche sociale en Albanie possédait de saines traditions patriotiques de combat[5]", donnerait à la première et au mouvement antifasciste de libération nationale dans son ensemble des forces physiques massives. Et le PCA atteignit son objectif. Grâce aux efforts inlassables de ses membres, grâce à sa détermination, à son courage et à sa bravoure dans la lutte armée, le PCA réussit à convaincre la paysannerie de la justesse de sa propre ligne. Au cours de cette lutte, la paysannerie vit dans le Parti de la classe ouvrière son unique dirigeant, son propre Parti. De réserve de la bourgeoisie qu'elle avait été dans tous les mouvements révolutionnaires antérieurs, la paysannerie devint, au cours de la Lutte antifasciste de libération nationale, la réserve de la classe ouvrière, d'une classe exploitée, qui aurait l'hégémonie dans l'alliance qu'elle constituerait avec elle. C'est donc dans la lutte que furent jetés les fondements de l'alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie, ce qui fut d'une importance positive incalculable pour l'avenir de la révolution. L'union de ces deux classes dota le patriotisme populaire d'une force exceptionnelle. Éduquée par le Parti, la paysannerie devint non seulement la principale armée du mouvement de libération nationale, mais aussi une grande force idéologique et politique consciente et profondément démocratique du sein de laquelle sortirent des milliers de communistes qui grossirent les rangs du Parti ainsi que de nombreux cadres militaires expérimentés. Cela influa beaucoup dans le sens de la profonde démocratisation du mouvement de libération nationale. En histoire, comme on le sait, il est impossible, de tirer des lignes toutes droites ou de traiter les événements simplement en noir et blanc. L'histoire des peuples, des classes et des individus est très complexe et se développe en zigzag. Cela est particulièrement vrai dans des situations révolutionnaires. Les prises de position et l'orientation politiques des classes sociales, dans des situations historiques données, n'excluent pas les écarts ou les déviations partielles, en général déterminés par les conditions de vie matérielles et des facteurs politiques et psychologiques. Tel est le cas de l'attitude observée par la jeunesse scolaire et la paysannerie riche envers le mouvement populaire de libération nationale dirigé par le Parti communiste d'Albanie. La jeunesse scolaire et la jeunesse estudiantine étaient essentiellement d'origine bourgeoise. Elles provenaient en majeure partie des rangs de la moyenne et petite bourgeoisie des villes et de la paysannerie riche. Cette jeunesse, qui avait hérite de saines traditions patriotiques avait été déçue par le régime de Zog et sa politique. Elle s'était donc opposée au régime féodalo-bourgeois. Vu son jeune âge et ses grandes énergies, elle voulait passer à l'action révolutionnaire. Elle avait besoin d'un idéal progressiste, d'un exemple à suivre qui fût à la hauteur de ses aspirations. Or les idéaux bourgeois ne la satisfaisaient plus. La classe bourgeoise ou bien s'était totalement ralliée au régime de Zog, comme c'était le cas de la grande bourgeoisie et de la paysannerie riche, ou bien elle s'était retirée de la vie politique et était tombée en léthargie, comme c'était le cas de la moyenne bourgeoisie des villes. Les idées communistes propagées et les actions révolutionnaires accomplies par la classe ouvrière attirèrent la jeunesse scolaire albanaise et lui firent prendre une part active aux événements. Cette jeunesse ressentit tout de suite et très profondément la trahison du roi Zog et de son régime qui avait saboté par tous les moyens sa lutte armée contre les agresseurs fascistes, elle fut donc très sensible à la perte de la liberté et de l'in- dépendance de sa patrie. Les grèves déclenchées par les ouvriers, les actions antifascistes menées par les communistes, leur idéologie avancée et révolutionnaire dotèrent la jeunesse scolaire albanaise de ce qu'elle cherchait, en lui donnant un idéal, un exemple à suivre, un mode d'action. Elle fut une des premières à faire siennes avec enthousiasme les idées communistes, à former, en même temps que la jeunesse ouvrière, les premières unités de la jeunesse communiste et du Parti communiste lui-même, à se dresser de toutes ses forces dans la Lutte de libération nationale. Elle devint une propagatrice énergique de la ligne du Parti communiste parmi les larges masses du peuple, servant aussi d'intermédiaire à l'influence du Parti sur le milieu social dont elle provenait, sur des couches de la moyenne et petite bourgeoisie des villes qui rallièrent le mouvement de libération ou du moins ne s'y opposèrent pas. Les aspirations de la jeunesse à une idéologie révolutionnaire et le facteur national qui fit jaillir avec force son patriotisme dressèrent la plus grande partit des jeunes, sans distinction de classe, dans la lutte pour la libération nationale en tant que communistes ou ardents sympathisants du Parti communiste. Quant à la paysannerie aisée elle observa, dans son ensemble, une attitude tout à fait différente envers le mouvement populaire de libération nationale. Et pourtant elle avait pris une part active aux luttes antérieures pour la libération nationale et y avait joué un important rôle positif. Toutefois, pendant la Lutte antifasciste de libération nationale, elle ne se joignit pas à l'immense majorité de la paysannerie, mais observa même envers cette Lutte une attitude hostile. Les raisons de cette attitude sont à rechercher dans la position de classe de la paysannerie aisée avant l'occupation du pays ainsi que dans l'activation des grands propriétaires terriens et de la bourgeoisie réactionnaire au sein de l'opposition au mouvement de libération nationale. La paysannerie riche avait conservé et renforcé ses liens avec la bourgeoisie des villes, elle avait bénéficié du soutien des régimes féodalo-bourgeois et en particulier de celui du régime zoguiste, devenant ainsi, comme on l'a évoqué plus haut, son appui social le plus sûr et le plus massif. D'autre part, des liens solides la rattachaient étroitement à la bourgeoisie des villes et aux grands propriétaires fonciers en raison de la position qu'elle occupait en tant que classe exploiteuse qui utilisait des méthodes d'exploitation semi-féodales et semi-bourgeoises. Ces conditions ne pouvaient donc ne pas tendre à former en elle une conception du monde et une mentalité profondément conservatrices, réactionnaires et contre-révolutionnaires. L'affirmation, en un bref laps de temps, du Parti communiste en tant que dirigeant du mouvement de libération nationale surtout à partir de la Conférence de Peza en septembre 1942, le ralliement de la paysannerie pauvre et moyenne sous le drapeau du Parti communiste, inquiétèrent à l'extrême les propriétaires terriens et la bourgeoisie réactionnaire qui avaient fait cause commune avec l'occupant fasciste. Ils se rendirent vite compte qu'il ne s'agissait pas seulement d'un simple mouvement de libération dirigé contre les envahisseurs étrangers comme il en avait été dans le passé où le peuple albanais avait versé son sang et c'étaient eux qui avaient cueilli les fruits de la victoire. Cette fois, il s'agissait bel et bien d'un mouvement national et social antifasciste, anti-impérialiste et profondément démocratique déclenché par les classes opprimées et dirigé par le parti de ces mêmes classes, le Parti communiste d'Albanie. Leur flair de classe leur fit sentir le péril qui menaçait leurs positions dominantes et ils se rendirent compte que la chute du fascisme et la libération du pays amèneraient inévitablement leur propre chute en tant que classes dominantes ou tout au moins un affaiblissement marqué de leurs positions. Les appels incessants que leur adressait le Parti communiste pour qu'ils rejoignent les rangs du Front de libération nationale et mènent une lutte intransigeante contre l'occupant, même comme un parti à part et jouissant du droit de conserver leur propre individualité, demeurèrent sans réponse. En tant que classes politiquement dégénérées, incapables de combattre et de consentir des sacrifices au nom de la liberté et de l'indépendance du pays, préoccupées seulement de garder intacts leurs liens et leur collaboration étroite avec les envahisseurs fascistes, les grands propriétaires terriens et la bourgeoisie réactionnaire du pays tentèrent de trouver d'autres voies afin d'être prêts à toute éventualité peur pouvoir conserver à l'avenir également leurs positions. Dans les nouvelles conditions créées par le mouvement de libération nationale et à la suite de son influence grandissante parmi les masses, les projets des grands propriétaires terriens et de la bourgeoisie réactionnaire ne pouvaient pas se réaliser au nom du fascisme et d'un régime étranger fondé sur la servitude. Ils choisirent alors pour arme l'idéologie anticommuniste et la démagogie nationaliste, ils créèrent également leurs organisations politiques, le "Balli kombëtar" et le "Legaliteti" qui avaient pour mission de donner l'impression, fausse bien entendu, de ne pas dépendre du fascisme, d'étendre leur influence parmi les larges masses du peuple, de les détacher du Front de libération nationale et de faire d'elles leurs propres réserves, d'isoler puis de liquider le Parti communiste d'Albanie. Le "Balli kombëtar" et le "Legaliteti", dans leurs calculs, avaient tenu compte également de la situation internationale. Ils avaient fondé de grands espoirs, au reste pas injustifiés, sur l'aide des Anglo-Américains qui, malgré l'intérêt militaire qu'ils portaient à la lutte contre le fascisme, n'oubliaient à aucun moment leurs intérêts politiques impérialistes dans les pays asservis par le fascisme et faisaient tout pour regrouper et organiser les forces réactionnaires anticommunistes de ces pays, même s'il s'agissait de forces ouvertement collaboratrices. Mettant à profit leurs liens traditionnels et leur influence, ces organisations traîtresses réussirent, par leur démagogie, à tromper et à gagner à leur cause des groupes de paysans aisés et de montagnards politiquement non formés. La paysannerie aisée se lia consciemment à ces organisations réactionnaires et en devint le principal appui social. Ses traditions patriotiques s'effacèrent et passèrent au dernier plan devant son conservatisme, devant sa haine des communistes et sa peur de la “plèbe” qui s'était dressée dans la révolution et dirigeait le mouvement de libération nationale. La déviation de la paysannerie riche par rapport à a voie que suivait l'immense majorité de la paysannerie, son ralliement inconditionné à la réaction et son passage à une lutte ouverte et armée, de concert avec les gros propriétaires fonciers et la bourgeoisie réactionnaire, aux côtés des envahisseurs fascistes, contre le Front de libération nationale, marquèrent encore plus profondément la différenciation des forces de classe dans le pays et renforcèrent le caractère populaire démocratique du mouvement de libération nationale. C'était là une autre importante prémisse de la transformation de la Lutte de libération nationale en révolution populaire et, dans le même temps, une prémisse du passage immédiat à la révolution socialiste. Par leur ralliement aux envahisseurs étrangers et par leur lutte ouverte à leurs côtés centre le mouvement de libération nationale, les grands propriétaires terriens et la bourgeoisie réactionnaire des villes et la paysannerie riche imposèrent à ce mouvement une guerre civile. Démantelant militairement ces forces sociales réactionnaires dans le cours même de la Lutte de libération nationale et les éliminant ainsi de la scène politique, les forces populaires révolutionnaires, dirigées par le Parti communiste, facilitèrent considérablement le développement ininterrompu de la révolution, le pas- sage à la révolution socialiste ainsi que l'accomplissement des transformations démocratiques et socialistes dans le domaine économique également. * * * La transformation de la Lutte antifasciste de libération nationale en révolution populaire était un processus social et politique qui se reflèterait nécessairement aussi dans les organismes de cette lutte, tels que l'armée et les conseils de libération nationale, qui devinrent, de leur côté, d'importants facteurs de l'accentuation de ce processus. Tout mouvement libérateur, toute révolution a triomphé de ses ennemis en recourant à la violence. L'histoire ne connaît pas d'exemples où les gouvernements étrangers ou les classes exploiteuses aient abandonné volontairement les positions qu'ils occupaient. Le mouvement antifasciste albanais de libération nationale ne pouvait pas faire exception à cette règle. il fallait donc, pour vaincre l'ennemi par la violence, créer l'armée destinée à la réalisation de cet objectif. C'est ce que fit le Parti communiste albanais et c'est sous sa conduite que cette armée grandit, se trempa et devint le facteur primordial de la lutte pour la libération nationale et sociale. Cette armée fut le produit du Parti communiste et du peuple travailleur. Né de leur sein, composée, comme la souligné le camarade Enver Hoxha, "des meilleurs fils du peuple qui ont profondément ressenti l'oppression exercée par les occupants et les traîtres[6]", dirigée par le Parti communiste, l'armée de libération nationale devait immanquablement acquérir des traits moralo-politiques reflétant le profond caractère populaire de la lutte et de la révolution, des traits qui avaient fait défaut à toutes les armées libératrices du passé. Certes, pendant la Renaissance nationale albanaise, à la bataille de Vlore de 1920 ou au cours de la Révolution de Juin 1924, c'est les masses populaires et en premier lieu la paysannerie qui avaient constitué la force armée de l'insurrection. Mais la bourgeoisie nationale qui les dirigeait les utilisa comme Sa propre réserve, comme des instruments pour assurer la libération nationale ou pour surmonter le~' obstacles dressés par ~es féodaux, et non pas pour réaliser leurs profondes aspirations sociales. Une armée populaire révolutionnaire devient trop dangereuse pour la domination de la bourgeoisie, aussi celle-ci abandonne-t-elle très vite les forces populaires qui l'ont portée ail pouvoir, les disperse pour pouvoir créer à leur place une autre armée, dotée de ses propres traits moraux et politiques capable de préserver sa domination. C'est ce qui est arrivé dans notre pays au cours des mouvements libérateurs et démocratiques de 1912, 1920 ou 1924. Ainsi, les forces populaires insurgées, mais politiquement non formées, après avoir remporté une victoire que s'appropriaient aussitôt les classes dominantes déposaient leurs armes et rentraient chez eux en espérant que leurs aspirations sociales seraient réalisées par les classes au pouvoir. Un cas significatif à cet égard est celui de la bataille de Vlore en 1920 à l'issue de laquelle, comme l'a affirmé un des participants au IIIe Congrès du Front démocratique d'Albanie, "[...] après avoir remporté la victoire, les combattants se virent donner à chacun une toque blanche et furent renvoyés chez eux". L'armée dirigée par le PCA était une armée de type nouveau. Le Parti la mit sur pied pour réaliser non seulement la libération nationale, mais aussi la libération sociale. Il étendit le réseau de ses membres à tous les postes dirigeants des formations de partisans attribuant ainsi aux communistes un râle dirigeant dans l'armée. Le Parti mena une vaste activité politique et idéologique parmi les masses des combattants afin de leur faire prendre pleinement conscience de leur mission et conserver jusqu'au bout, même quand les rangs de l'aimée eurent très rapidement grossi, son caractère populaire révolutionnaire. Cette année, composée dans son immense majorité par les classes opprimées et exploitées, dirigée par le Parti de la classe ouvrière, était l'arme la plus efficace non seulement pour assurer la liberté et l'indépendance du pays, mais aussi pour détruire jusque dans ses fondements le pouvoir féodale-bourgeois, porter le peuple au pouvoir et défendre ce même pouvoir. L'armée de libération nationale albanaise, en tant qu'armée populaire révolutionnaire, joua un rôle extrêmement important dans la transformation de la lutte antifasciste en révolution populaire. Contrairement à ce qui s'était produit dans le passé, le Parti ne dispersa pas, mais conserva et consolida son armée pour en faire un puissant appui indispensable au développement in- cessant et victorieux de la révolution populaire, à sa transformation en révolution socialiste, à la défense de ses victoires face aux visées et aux agissements hostiles de la réaction intérieure, des impérialistes et des révisionnistes modernes. * * * La mise sur pied d'un pouvoir démocratique populaire entièrement nouveau fut le résultat logique, inévitable, aussi bien de la Lutte de libération nationale et sociale du peuple albanais, dirigée par un seul parti, le PCA, que des rapports de classe et politiques créés dès le début de cette Lutte et qui se développèrent par la suite. On sait que la question essentielle de toute révolution est la question du pouvoir d'État. Ce pouvoir, dans les conditions historiques concrètes de notre pays, ne pouvait être qu'un pouvoir nouveau par sa forme comme par son contenu, et en tant que tel, il devait être la pure négation de l'ancien pouvoir. Aussi les conseils de libération nationale n'avaient-ils rien qui rappela l'ancienne forme des communes, des sous-préfectures, des mairies, etc., et encore moins leur contenu. Leur nouveau contenu devait inévitablement correspondre en tous points au caractère même de la révolution. Ces conseils seraient donc des organes profondément démocratiques dirigés par le Parti et qui combattraient pour une application fidèle de sa ligne. L'action du PCA en vue de mettre sur pied et d'étendre les conseils de libération nationale à tout le pays, de les renforcer sur le plan organisationnel et en particulier d'assumer entièrement et sans partage leur direction, revêtait une importance décisive pour le sort de la lutte et de la révolution. La création, l'extension et la mobilisation de ces conseils pour résoudre les problèmes politiques, économiques et sociaux à l'ordre du jour, étaient également des facteurs importants qui conduisirent à une différenciation de classe et politique toujours plus marquée du mouvement de libération, conférèrent à la révolution populaire un caractère démocratique, antiféodal et anti-impérialiste de plus en plus prononcé et créèrent ainsi la prémisse fondamentale du passage de la révolution de l'étape démocratique à une étape supérieure, socialiste. Si ces conseils s'acquittèrent de leur mission historique en tant que "fondements du régime démocratique et véritables organismes de la Lutte de libération nationale[7]", c'est en premier lieu parce qu'ils conservèrent jusqu'au bout leur caractère révolutionnaire et populaire. Le Parti communiste et son dirigeant, le camarade Enver Hoxha, ont eu le mérite d'avoir su apprécier â leur juste valeur l'importance colossale des conseils de libération nationale en tant que puissants leviers dans les mains du Parti et de leur avoir fait appliquer leur ligne politique. À la suite des succès remportés par le mouvement antifasciste dans toutes les régions du pays, la IIe Conférence de Labinot prit, en septembre 1943, une décision historique aux termes de laquelle les conseils de libération nationale devaient être reconnus comme l'unique pouvoir du peuple en Albanie. Un mois plus tard, en octobre 1943, le camarade Enver Hoxha donnait aux comités régionaux du Parti des instructions catégoriques: "Seul le pouvoir des conseils de libération nationale doit exister et aucun autre; sur cette question il ne saurait y avoir ni compromis, ni dualité". Par cette décision, le PCA sanctionnait les attributions exclusives des conseils de libération nationale en tant qu'organes de pouvoir et barrait la route à toute tentative et à tout espoir des organisations traîtresses du "Balli kombëtar" et du "Legaliteti" de partager le pouvoir avec lui. Ainsi, les fondements étaient jetés et les perspectives ouvertes pour la transformation des conseils, d'organes de la dictature des masses révolutionnaires qu'ils étaient, en organes de la dictature du prolétariat. Voilà pourquoi le camarade Enver Hoxha écrivait que le pouvoir qui s'édifiait était "[...] tout l'avenir de notre pays et de notre peuple[8]". * * * Les rapports de notre révolution populaire avec les puissances de la coalition antifasciste et les mouvements de libération nationale des peuples opprimés expriment également son contenu antiféodal, anti-impérialiste et démocratique. Trois grands États à système politique et social différent s'étaient engagés dans la lutte contre le fascisme: un pays socialiste, l'Union soviétique, et deux pays capitalistes, l'Angleterre et les États-Unis. Du point de vue de la stratégie militaire, ces États avaient un objectif commun: vaincre les agresseurs fascistes allemands, italiens et japonais. C'était là le fondement même de l'alliance anglo-soviéto-américaine. Notre Parti fit une très juste appréciation de cette alliance "la jugeant comme une alliance militaire requise par les circonstances pour sauver le monde du péril de la servitude fasciste[9]". Mais vu la grande différence de système politique et social entre l'Union soviétique, d'une part, et la Grande-Bretagne et les États-Unis, de l'autre, leur rôle dans la guerre et les buts finals de leur politique et stratégie n'étaient pas identiques. Les peuples soviétiques, qui constituaient la force principale de la coalition antifasciste, se battaient non seulement pour défendre la liberté et l'indépendance de leur patrie socialiste et instaurer une paix juste et durable dans le monde, mais aussi pour aider à la libération des peuples asservis par le fascisme et dresses dans la lutte pour la liberté, afin de leur créer les conditions nécessaires pour qu'ils décident librement de leur destinée et choisissent le régime politique qui leur conviendrait le mieux. Les États-Unis et l'Angleterre, pour leur part, en tant qu'États impérialistes, visaient à liquider leurs concurrents capitalistes, à affaiblir autant que possible l'Union soviétique, à restaurer des régimes politiques réactionnaires dans les pays libérés et à établir après la guerre leur domination sur le monde. Il était donc naturel que, dans ces circonstances, notre Parti, qui dirigeait la révolution populaire chez nous, fît une appréciation différente du rôle rempli par chacun de ces trois États dans la guerre et définît à leur égard une attitude différenciée. L'Union sovi4tique était la principale force de la coalition antifasciste et offrait un gage sûr de la victoire sur les forces ténébreuses du fascisme. Avec son engagement dans la guerre, • notre peuple prît conscience que le sang versé ne le serait pas en vain[10]". L'Union soviétique, dirigée par le Parti communiste avec à sa tête J. Staline, était, aux veux des ouvriers et des paysans de notre pays dressés dans la révolution, non seulement un allié de guerre, mais aussi un allié de classe. Les deux partis communistes qui conduisaient ces pays avaient une idéologie commune et, chacun dans son propre pays, poursuivaient les mêmes objectifs immédiats et à plus long terme. Les principes de la politique étrangère soviétique concordaient entièrement avec les aspirations des masses populaires albanaises et le programme de notre mouvement de libération nationale. Aussi notre Parti considéra-t-il l'Union soviétique comme l'alliée fidèle et sincère du peuple albanais. C'est ce qui explique le vaste travail de propagande en vue de populariser l'Union soviétique, ses grandes réalisations socialistes, la lutte héroïque de l'Armée rouge, etc. Cette popularisation était nécessaire, dit le camarade Enver Hoxha, pour que le peuple se persuadât que c'était l'Union soviétique qui défendrait également les intérêts et la liberté des petits peuples contre les vagues de la réaction[11]. En pays impérialistes qu'ils étaient, les États-Unis et l'Angleterre avaient toujours suivi une politique hostile au peuple albanais. Or, maintenant, la lutte contre le fascisme rangeait notre peuple sur le même front qu'eux. Mais notre Parti les considérait comme des alliés temporaires. Il ne relâcha jamais sa vigilance ni n'oublia son devoir sacré qui consistait à défendre jusqu'au bout les intérêts vitaux de la révolution populaire contre toute ingérence des Anglo-Américains portant atteinte à ces intérêts. "Nous savons qui sont les Anglo-Américains, écrivait le camarade Enver Hoxha en octobre 1943, et nous n'oublions en aucun moment que ce sont des capitalistes, qu'ils sont hostiles au communisme, au socialisme, et que pas plus que nous n'oublions qui ils sont, ils n'oublient qui nous sommes[12]." L'activité de la mission militaire soviétique et les menées des missions anglo-américaines en Albanie pendant la guerre confirmèrent au mieux les prévisions de notre Parti et la justesse de son attitude envers elles. Le développement et l'approfondissement de la révolution populaire dans notre pays fit apparaître au grand jour les visées des États-Unis et de l'Angleterre. La polarisation des forces politiques du pays conduisit d'autre part à une claire définition de deux orientations dans les rapports de ces forces avec les grands États de la coalition antifasciste: le mouvement de libération nationale s'orienta vers l'Union soviétique, alors que le "Balli kombëtar", le "Legaliteti" et toute la réaction albanaise se rapprochèrent des États-Unis et de l'Angleterre. Les diverses forces politiques du pays observèrent également des attitudes diff4renciées envers la résistance antifasciste des peuples asservis. Le Parti communiste d'Albanie et les organes dirigeants du pouvoir populaire exprimèrent plus d'une fois leur entière solidarité avec les mouvements antifascistes de libération nationale des peuples opprimés par le fascisme, en particulier des peu- pies voisins, avec lesquels ils nouèrent d'étroits liens fraternels. Ces liens se traduisirent avec une grande force dans les actions militaires communes contre les envahisseurs fascistes et surtout dans les combats héroïques que menèrent les Ve et VIe divisions de l'Armée de libération nationale albanaise aux côtés des partisans yougoslaves en décembre 1944 et en janvier-février 1945 au Monténégro, au Sandjak et dans 1a partie sud de la Bosnie pour la libération des peuples de Yougoslavie. Dans les pays voisins, tout comme en Albanie, les forces réactionnaires avaient créé leurs organisations et forces armées. C'est justement avec ces forces de la réaction balkanique que le "Balli kombëtar" tenta d'établir des contacts et de coordonner son action pour réprimer les mouvements populaires révolutionnaires. * * * La Lutte antifasciste de libération nationale fut une grande épreuve historique pour la maturité politique, les capacités d'organisation et le courage de notre Parti et de notre peuple. La victoire remportée fut payée très chère. Des milliers de fils et de filles de notre peuple donnèrent leur vie dans le feu de la lutte en jetant grâce à leur sang versé les fondements inébranlables de la liberté et de l'indépendance du pays, de l'Albanie socialiste. À la suite de cette victoire sur les ennemis, non seulement l'Albanie fut libérée du joug des envahisseurs fascistes et des traîtres au pays, mais aussi "tout le pouvoir passa complètement et définitivement dans les mains du peuple travailleur, sous la direction du Parti communiste, rendant ainsi possible le progrès du pays dans la voie radieuse du socialisme"[13]. Notre mouvement antifasciste de libération nationale marque donc une étape supérieure par rapport aux mouvements de libération antérieurs et un tournant radical dans l'histoire du pays et ce, non seulement parce qu'il se développa dans de nouvelles conditions intérieures et extérieures, qu'il était plus massif, mieux organisé et plus conscient, mais aussi parce que durant la lutte eurent lieu d'importants processus politiques et sociaux qui étaient sans précédent dans l'histoire du pays. Ces processus conférèrent graduellement au mouvement de libération les traits d'une révolution populaire antiféodale, anti-impérialiste et profondément démocratique au sein de laquelle se firent jour des éléments socialistes. Ces éléments se développèrent en revêtant une forme et un contenu clairement définis à la libération totale du pays et surtout à l'adoption de la première Constitution de la République populaire d'Albanie en mars 1946. À cette époque "fut achevé le processus d'organisation politique du système de démocratie populaire en tant qu'État de dictature du prolétariat"[14]. Les prémisses d'un développement ininterrompu de la révolution furent donc créées au cours même de la Lutte de libération nationale. La grande victoire politique du 29 novembre 1944 en fut le facteur déterminant. Avec la libération complète du pays commença la phase supérieure de la révolution populaire, qui plongeait ses racines dans la Lutte de libération nationale, mais qui se dota d'un contenu nouveau. La lutte contre les ennemis intérieurs et les classes renversées, qui persistaient dans leur résistance désespérée, ainsi que contre les ennemis extérieurs, les impérialistes et leurs instruments, passait maintenant au second plan pour laisser la place à une lutte tout aussi difficile sinon plus, pour la reconstruction de la patrie détruite par la guerre et l'édification de la société socialiste. Mener jusqu'au bout la révolution démocratique dans le domaine économique également et, parallèlement, amorcer des transformations à caractère socialiste, devint une nécessité historique, car le pouvoir nouveau, révolutionnaire ne pouvait pas se maintenir sur une base économique et sociale ancienne. Ces transformations furent favorisées, entre autres, par les nouveaux rapports politiques et de classe qui existaient à la fin de la guerre. Grâce à sa juste ligne, à sa ferme lutte et à sa fidélité à la cause de la patrie et du peuple, le Parti communiste d'Albanie jouissait d'une très grande autorité auprès de la classe ouvrière, mais aussi parmi la paysannerie et le~ couches de la moyenne et petite bourgeoisie des villes. Reconnu par l'immense majorité du peuple, comme le dirigeant unique et incontestable, se fondant sur l'enthousiasme populaire qui jaillit et se développa au cours de la lutte et après la victoire totale sur l'ennemi, et vu que les gros propriétaires terriens, la bourgeoisie réactionnaire des villes et la paysannerie riche avaient été politiquement démantelés, notre Parti se mit à appliquer sur-le-champ et avec courage une politique de profondes transformations démocratiques et socialistes dans le domaine de l'économie et de la culture. Ces transformations devraient liquider non seulement le capital étranger, les accords asservissants conclus avec les impérialistes par le régime zoguiste et les survivances féodales, mais aussi les rapports capitalistes, en créant ainsi des conditions favorables à la construction du socialisme dans les villes comme dans les campagnes. La socialisation des principaux moyens de production et la réforme agraire, réalisées dans les années qui suivirent la Libération, apportèrent des changements radicaux dans la structure économique et sociale du pays. L'économie du pays revêtit trois formes principales: la forme socialiste qui, en 1947, couvrait 95 pour cent de la production industrielle globale, la forme de la petite production qui englobait la plus grande partie des masses travailleuses et représentait environ 90 pour cent du volume total de l'économie nationale, et la forme capitaliste, dont la part dans le volume global de l'économie nationale était d'environ 5 pour cent. Des trois classes sociales qui correspondaient à ces trois formes d'économie, la classe ouvrière et la paysannerie travailleuse devinrent les deux classes principales de la société albanaise, alors que la bourgeoisie alla disparaissant. C'étaient là des transformations colossales, réalisées en un laps de temps relativement court. Mais, en ce qui concernait les perspectives d'avenir, ces transformations ne firent que jeter les fondements d'un développement socialiste plus poussé du pays. L'édification du socialisme dans un pays économiquement et culturellement arriéré ou prédominait la petite production agricole et qui avait une population essentiellement petite-bourgeoise, constituait une tâche très difficile dont la solution exigeait non moins de sagesse et de clairvoyance, de travail inlassable et héroïque que pendant la Lutte de libération nationale. Notre Parti sut remplir avec succès cette tâche historique. L'industrialisation socialiste du pays qui entraîna la croissance, l'extension et la modernisation de l'industrie, dota par ailleurs la classe ouvrière albanaise de nouveaux traits. Cette dernière augmenta numériquement en tant que classe et sa conscience socialiste se raffermit; par conséquent, la classe ouvrière commença à réaliser son hégémonie dans la révolution socialiste non seulement à travers son Parti, comme il en fut pendant la Lutte de libération nationale, mais aussi par elle-même, par son nombre. Le rôle toujours plus prépondérant de la classe ouvrière dans la vie politique et économique du pays était, d'autre part, un facteur important dans l'accélération des rythmes de construction socialiste. Mais l'aspect le plus difficile et le plus complexe de l'édification de la société socialiste, c'était la coopération des paysans et des artisans. Il fallait employer ici une méthode tout à fait différente de celle utilisée lors de l'industrialisation du pays. Il fallait changer le caractère de la propriété, transformer la propriété privée ai propriété coopérative et, par conséquent, bouleverser la tradition, la mentalité et la spontanéité petites-bourgeoises enracinées depuis des siècles. À la différence de l'industrie qui avait appartenu a la bourgeoisie exploiteuse, dans l'artisanat et l'agriculture, les propriétaires des moyens de production étaient les artisans et la paysannerie travailleuse, qui avaient pris une part active à la Lutte de libération nationale et représentaient la majeure partie de la population. La paysannerie riche ne posait aucun problème, car les fondements de sa domination économique avaient été sérieusement ébranlés au cours même de la Lutte de libération nationale. Par conséquent, le principe de base de la coopération dans les campagnes comme dans les villes ne pouvait être que le principe du libre consentement. Mais il fallait mener un grand travail politique et idéologique pour convaincre les paysans et les artisans de la supériorité de la propriété coopérative sur la propriété privée. Il fallait donc déclencher une véritable révolution dans les rapports économiques et sociaux. Dirigée par le Parti, cette révolution aussi fut accomplie à la suite du triomphe de l'ordre coopératif dans les campagnes comme dans les villes. Cette victoire transforma la nature petite-bourgeoise des paysans et des artisans. La paysannerie coopérée devint, à cette nouvelle étape de la construction socialiste, l'alliée de la classe ouvrière. Ces deux classes principales, dotées de traits nouveaux, déterminent aujourd'hui la physionomie de notre société socialiste. Quant aux autres couches sociales, ou bien elles ont disparu en tant que telles, ou bien elles se sont intégrées ou sont en train de s'intégrer dans les deux classes principales, ou bien encore elles proviennent de ces deux classes. La construction de la base économique du socialisme qui fut achevée en 1960, les nouvelles tâches fixées pour la construction complète de la base matérielle et technique du socialisme, ainsi que les nouvelles conjonctures internationales créées après la dégénérescence révisionniste d'un certain nombre de pays socialistes rendirent nécessaires l'intensification et l'extension sur un large front de la lutte contre les survivances de l'idéologie patriarcale, féodale, bourgeoise et petite-bourgeoise afin de créer les conditions nécessaires au triomphe complet de l'idéologie et de la morale communistes. Notre société socialiste est en train de vivre cette étape qui se caractérise par la révolutionnarisation plus poussée des coeurs et des esprits, de toute la vie du pays. Le programme de la reconstruction et de la construction socialiste du pays, élaboré par notre Parti, est, dans son orientation générale comme dans ses composantes, un programme fondé sur les principes marxistes-léninistes et qui tient compte de la situation concrète intérieure et internationale du pays. Les voies suivies pour la réalisation de ce programme dans les domaines politique, économique, idéologique et culturel, ainsi que leur appréciation à partir de positions rétrospectives et perspectives historiques, revêtent une grande importance. Les enseignements du Parti et du camarade Enver Hoxha, de même que l'expérience de la construction socialiste du pays, constituent une précieuse contribution à l'application créatrice du marxisme-léninisme et enrichissent la pratique révolutionnaire des peuples qui édifient le socialisme chez eux. |
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[1]. Enver Hoxha, Rapport sur le rôle et les tâches du Front démocratique dans sa lutte pour la victoire totale du socialisme en Albanie, éd. alb., Tirana, 1967, p. 10.
[2]. Histoire du Parti du Travail d’Albanie, éd. alb., Tirana, 1968, p. 58.
[3]. Enver Hoxha, Oeuvres, éd. alb., t. 1, p. 230.
[4]. Enver Hoxha, Discours prononcé à la réunion solennelle tenue à l’occasion du 15e anniversaire de la libération de la patrie, éd. alb., Tirana, 1959, p. 9.
[5]. Histoire du Parti du Travail d’Albanie, op. cit., pp. 186‑187.
[6]. Enver Hoxha, Oeuvres, op. cit., t. 2, p. 241.
[7]. Idem, p. 19.
[8]. Idem, p. 427.
[9]. Histoire du Parti du Travail d’Albanie, op. cit., p. 79.
[10]. Idem, p. 68.
[11]. Enver Hoxha, Oeuvres, op. cit., t. 2, pp. 10‑11.
[12]. Enver Hoxha, Oeuvres, op. cit., t. 1, p. 435.
[13]. Enver Hoxha, Vingt années d’Albanie nouvelle, socialiste, éd. alb., Tirana, 1964, p. 11.