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Osip Aronovič Pjatnickij
La situation actuelle en Allemagne

Juillet 1933

 

 

Source:

O. Piatnitski: La situation actuelle en Allemagne; Paris, Bureau d'éditions, 1933 [1].

 

 

 

 

 

 

Établi: octobre 2017

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Documents de l'Internationale communiste ‑ Sommaire

 

 

 

 

 

 

Note de l'auteur

La présente brochure "La situation actuelle en Allemagne" a pour base le rapport que j'ai fait à ce sujet le 11 avril de cette année à la réunion générale des étudiants de l'École léniniste.

Cependant l'évolution rapide des événements en Allemagne a fourni une nouvelle et abondante documentation, tant sur la terreur fasciste contre les organisations ouvrières que sur la lutte croissante de la classe ouvrière allemande, guidée par le P.C.A., et sur le travail héroïque de ce dernier. Sur la base de cette documentation, le compte rendu sténographique du rapport a été complété en con séquence.

Moscou, le 2 juillet 1933.

I. - Introduction historique

Quelles charges le traité de "paix" de Versailles a-t-il imposées à l'Allemagne?

Après la guerre impérialiste, la France a arraché à l'Allemagne l'Alsace-Lorraine (minerai de fer) et le bassin houiller de la Sarre. L'Alsace-Lorraine "pour toujours", le bassin de la Sarre pour 15 ans, délai après lequel la population aura, paraît-il, la possibilité de se prononcer par un referendum et de décider si elle veut rester allemande ou passer à la France. En attendant, les Français se sont emparés des mines de houille de la Sarre, qui devaient garantir l'exécution par l'Allemagne des conditions du traité de Versailles et le versement des réparations. Ce charbon fut de bonne prise pour la France qui, en Alsace-Lorraine, s'était emparée du minerai de fer.

Une partie du territoire allemand avec accès à la mer a été transformée en "corridor polonais" qui isole maintenant une partie de la Prusse Orientale. Quand un Allemand va de Berlin à Koenigsberg, il doit traverser un territoire appartenant à la Pologne. Il doit traverser ce territoire soit dans un wagon plombé, soit avec un visa polonais. Cela agace beaucoup les Allemands. Comme la Pologne n'avait pas accès à la mer, on l'autorisa à construire un port militaire (le port de Gdynia) à côté de la ville allemande de Dantzig, devenue "ville libre". Les Polonais s'installèrent à Dantzig comme chez eux. Une partie de la Haute-Silésie (houille et fer) passa également à la Pologne. Le port de Memel, dont la population est en majeure partie allemande, passa à la Lithuanie. C'est aux dépens de l'Allemagne que furent refaites les frontières de la Belgique, et le Schleswig du Nord revint, d'après le traité de Versailles, au Danemark.

Les vainqueurs ont enlevé à l'Allemagne ses colonies, qu'ils se sont partagées. Le capital allemand a été en même temps refoulé des sphères d'influence qu'il avait conquises avant la guerre. La lutte pour les marchés extérieurs est devenue beaucoup plus difficile pour l'Allemagne que pour ses concurrents,

Le traité de Versailles interdit à l'Allemagne d'entretenir une armée et une flotte de guerre, ne lui accordant que 100.000 hommes de la Reichswehr et quelques navires de guerre. Ses forces navales et aériennes ont été en partie détruites, en partie confisquées. Le traité de Versailles a imposé à l'Allemagne des réparations pour la somme totale de 132 milliards de francs-or. Lorsqu'il devint évident que l'Allemagne n'était pas en état d'effectuer les paiements prévus par le traité, les vainqueurs, dans leur propre intérêt, réduisirent à deux reprises, et cela avant l'avènement de la crise économique, les paiements des réparations (plan Dawes, et ensuite plan Young). Même d'après le plan Young, l'Allemagne devait encore payer, pendant 59 ans, 1.900 millions de marks annuellement. D'après les milieux officiels allemands, elle aurait déjà payé 67 milliards de marks-or en espèces, en nature et en biens confisqués.

Lorsque, dans les premières années, l'Allemagne manqua au paiement des contributions imposées, les Français, les Anglais et les Belges, recourant aux "sanctions" prévues par le traité de Versailles, occupèrent le bassin houiller de la Ruhr et la région du Rhin. L'Allemagne dut, par-dessus le marché, payer les frais de l'occupation.

Pour pouvoir payer les réparations et les dettes extérieures, elle fut obligée d'augmenter sans cesse ses exportations. Même avant la crise économique mondiale, elle ne pouvait le faire qu'en renforçant l'exploitation de la classe ouvrière et en réduisant les salaires par rapport aux autres pays capitalistes. Il n'y a rien d'étonnant que la crise économique mondiale se soit abattue avec plus de force sur l'Allemagne que sur la France et les autres pays vainqueurs.

Le rôle du Parti social-démocrate dans l'étouffement de la révolution.

Comment expliquer, dans l'Allemagne actuelle, la désagrégation rapide des partis bourgeois et du Parti social-démocrate, accompagnée du renforcement des partis extrêmes, des nationaux-socialistes d'une part et des communistes d'autre part?

En Allemagne, après la défaite de la guerre de 1914-1918, commença la révolution prolétarienne. Sous l'influence de la révolution d'Octobre en Russie, des conseils d'ouvriers, de soldats et de marins surgirent spontanément en Allemagne. La social-démocratie réussit à s'emparer de la direction de la révolution et à la trahir. Le Parti communiste allemand n'existait pas encore. Il n'y avait qu'un petit groupe, Spartacus, qui avait lutté pendant la guerre, mais qui n'était pas encore lié aux masses. Ce n'est qu'après le commencement de la révolution, en décembre 1918 et au début de janvier 1919, que se tint le congrès au cours duquel fut constitué le Parti communiste d'Allemagne.

S'étant emparé de la direction de la révolution, le Parti social-démocrate, en accord avec la bourgeoisie, se mit à combattre impitoyablement les communistes et les ouvriers révolutionnaires, partisans du renversement de la bourgeoisie et de l'instauration du pouvoir soviétique en Allemagne. La social-démocratie organisa la défaite sanglante de la révolution et fusilla des milliers d'ouvriers révolutionnaires et leurs chefs: Liebknecht et Rosa Luxembourg.

Au lieu de renforcer le pouvoir des Soviets, elle imposa au congrès des Soviets la résolution de convoquer une Assemblée constituante. Elle ne cherchait même pas à instaurer la République, et celle-ci n'a été proclamée que sous la pression des masses révolutionnaires qui soutenaient le mot d'ordre du groupe Spartacus: instauration de la République des Soviets.

Les ouvriers influencés par la révolution d'Octobre ont poussé le gouvernement à introduire la journée de 8 heures, les assurances sociales contre tous les risques (sans versements ouvriers pour l'assurance-chômage), des comités d'usine sans l'assentiment desquels aucun ouvrier ne pouvait être congédié, les contrats collectifs obligatoires, les libertés constitutionnelles, etc.

Aux élections à la Constituante, la social-démocratie, bien qu'elle fût le parti le plus fort, n'obtint pas à elle seule la majorité. À la tête du gouvernement se trouva une majorité dite "Coalition de Weimar" (on appelle la Constitution de la République allemande, adoptée à Weimar, "Constitution de Weimar"), composée de la social-démocratie, du centre catholique et des démocrates.

Dans cette coalition, la social-démocratie faisait bon ménage non seulement avec la bourgeoisie, mais également avec les hobereaux et même avec les princes. Elle soutenait entre autres le paiement d'une rente annuelle à la maison des Hohenzollern qui avaient quitté l'Allemagne au début de la révolution.

Les gouvernements de coalition qui se sont succédé en Allemagne jusqu'au début de 1932 ont tous été le résultat d'une combinaison de ces trois partis. En 1930, lorsque la social-démocratie fut évincée du gouvernement et que le cabinet Brüning fut constitué, la social-démocratie restait encore au pouvoir en Prusse. Elle soutenait au Reichstag le centre catholique, et celui-ci la soutenait au Landtag de Prusse.

La crise économique aggrava la situation de l'économie bourgeoise, et la bourgeoisie et son gouvernement accentuèrent leur offensive contre le niveau de vie des travailleurs. La coalition de Weimar abolit l'un après l'autre tous leurs droits politiques; le Parlement perdit tout pouvoir réel dans les questions les plus importantes; les grèves étaient sévèrement réprimées ; les journaux communistes interdits; les organisations ouvrières révolutionnaires dissoutes (le Front Rouge, les Sans-Dieu, etc.). On dispersait les réunions, on tirait sur les manifestations révolutionnaires. Le gouvernement inaugurait ouverte ment le règne des décrets et des tribunaux d'exception. Il introduisit les prélèvements sur les salaires pour le fonds des assurances-chômage. Au fur et à mesure qu'augmentait le nombre de chômeurs, on diminuait leurs allocations. Les jeunes et les femmes furent radiés des listes des secourus. Les assurances d'in validité et de maladie subirent également des diminutions. Les salaires et le niveau de vie de la classe ouvrière tombaient constamment, surtout si l'on tient compte du nombre croissant de chômeurs par professions.

 

Salaires hebdomadaires en marks allemands

 

 

Septembre 1931

Janvier 1932

Octobre 1932

 

 

 

 

Métallurgie

25.70

20,05

18,20

Industries chimiques

29.45

22,65

22,45

Textile

18.70

16,15

15,60

Bâtiment

22.45

13,86

12,05

Imprimerie

33,35

27,25

25,40

 

La moyenne des salaires hebdomadaires d'un ouvrier allemand était pour l'année 1929 de 42,2 marks, pour 1932 de 21,06 tandis que le minimum indispensable pour vivre, établi officiellement, était pour la même année de 38,4 marks. D'après les données de l'Institut de Conjoncture de Berlin, la somme totale des salaires des ouvriers et des appointements des employés est tombée, dans le premier trimestre de l'année 1933, de 6 % par rapport au quatrième trimestre de l'année 1932. Les salaires tombaient, et la productivité et l'intensité du travail augmentaient. En prenant comme base de comparaison le coefficient 100 de l'année 1913, les chiffres exprimant la productivité du travail sont: pour l'année 1928 de 113; pour l'année 1929 de 120; pour l'année 1931 de 127.

En janvier 1932, le gouvernement par une loi d'exception décréta la réduction générale de 10 % des salaires, des appointements et des allocations. Au cours des deux dernières années de crise, les salaires des fonctionnaires ont été également diminués.

D'après les données de l'Institut de Conjoncture, la somme totale des salaires payés aux ouvriers et aux employés a été en 1929 de 47,5 milliards de marks, et en 1933 seulement de 25,7 milliards. La diminution est donc de 42,4 %.

La crise agraire a provoqué une baisse particulièrement sensible des prix sur les produits agricoles. Prenant comme base de comparaison le coefficient 100 de l'année 1913, la somme totale des prix sur les produits agricoles s'exprimera par les chiffres suivants: 132,5 pour l'année 1928, et 80,75 pour janvier 1933, c'est-à-dire que la diminution par rapport à l'année 1928 est de 41,85 %. C'est la petite et la moyenne paysannerie qui a, bien entendu, le plus souffert de cette chute des prix.

La vente des principaux produits agricoles a rapporté, dans l'année 1928-29, un peu plus de 10 milliards de marks, et en 1931-32 un peu plus de 7 milliards.

Ainsi, la petite bourgeoisie souffrait, elle aussi, de Versailles, de la crise économique mondiale et de la politique appliquée par le gouvernement de la coalition de Weimar.

Le gouvernement de Brüning fit cadeau aux gros propriétaires fonciers de la Prusse Orientale, de 2 milliards de marks sous forme de dotation. Il s'est chargé de couvrir le déficit des banques. Il a accordé aux capitalistes dans la gêne des subsides sous forme d'achat d'actions de leurs konzerns. Il a diminué leurs impôts et leur a fourni des crédits à bon marché. Sous des prétextes différents, il a libéré la bourgeoisie des impôts.

Tout cela ne suffisait pas à la bourgeoisie, et, pour rejeter sur les épaules des travailleurs le poids de la crise, elle a exigé une pression toujours plus forte sur les ouvriers et les paysans, des avantages toujours plus considérables pour elle-même.

La social-démocratie et le centre catholique, voyant leur échapper les ouvriers qui subissaient de plus en plus l'influence du P.C.A., ne pouvaient plus répondre aux exigences toujours croissantes de la bourgeoisie. Celle-ci chassa alors ses valets avec d'autant moins de scrupules que l'influence de la coalition de Weimar sur les larges masses allait en diminuant.

Les partis de la coalition de Weimar ont obtenu aux élections à la Constituante, en 1919, 23.406.000 voix. Le Parti ouvrier indépendant qui, lui aussi, avait voté pour le traité de Versailles, a obtenu 2.317.000 voix. La coalition de Weimar et le Parti ouvrier indépendant avaient donc ensemble 25.723.000 voix sur 30.400.000 votants.

Les partis opposés au traité de Versailles et à la Constitution de Weimar ont obtenu 4.667.000 voix. Le P.C.A. n'a pas participé aux élections.

Ces deux groupes de partis bourgeois - pour et contre Weimar - ont obtenu en novembre 1932: le premier, 13.314.000 voix, et le deuxième 15.357.000. Le Parti communiste luttant contre le front uni des social-démocrates et de la bourgeoisie et contre la coalition de Weimar, obtint, en novembre 1932, 5.980.000 voix. En 1932, 13.314.000 électeurs ont donc voté pour la coalition de Weimar et 21.337.000 ont voté contre. Les partisans de Weimar ont perdu 12.409.000 voix, et ses adversaires en ont gagné 16.670.000. Un des trois partis composant la coalition de Weimar, le Parti démocrate, qui avait obtenu aux élections à la Constituante 5 millions de voix, n'en a obtenu que 350.000 en novembre 1932.

Voilà à quelle allure se démasquait aux yeux des masses la politique de la coalition de Weimar, à la tête de laquelle se trouvait la social-démocratie!

II. - lie Parti social-démocrate a fait le lit du fascisme

La démagogie fasciste et !a vague de chauvinisme

La paupérisation et le désespoir des masses, résultat des charges inouïes imposées par le traité de Versailles et par la crise économique mondiale, ainsi que la politique d'offensive contre tous les travailleurs, exercée par la coalition de Weimar, ont permis aux nationaux-socialistes d'étendre leur influence sur les masses. Ils excitaient le chauvinisme des masses. Tous les maux venaient, selon eux, non pas du système capitaliste mais du traité de Versailles. Leur démagogie n'avait pas de li mites. Avec un cynisme inégalable, ils adaptaient leurs mots d'ordre aux réunions où ils parlaient. Aux ouvriers ils promettaient une augmentation des salaires; aux chômeurs, des allocations complètes ou du travail; à la petite bourgeoisie, l'expropriation des banques et la liquidation du gros commerce; aux ouvriers agricoles et aux paysans pauvres, la terre. Il va sans dire qu'ils se chargeaient d'assurer à la bourgeoisie et aux propriétaires fonciers la main-d'oeuvre aux meilleurs prix possibles, des subsides, des avantages de toutes sortes, des tarifs douaniers prohibitifs, des prix élevés sur les produits agricoles, etc. Ces promesses-là, ils les donnaient non pas dans des réunions publiques, mais dans des pourparlers secrets avec les représentants des banquiers, des trusts et des hobereaux; elles n'étaient pas destinées à tromper les masses, mais à être tenues. Lorsque fit faillite la première grande banque, la Danat, et que les petits dépositaires, faisant queue dans la rue, assaillaient les caisses de cette banque et réclamaient leur argent, il faut reconnaître que les nationaux-socialistes furent les premiers à travailler parmi eux. Ils expliquaient la faillite de la banque par les intrigues des capitalistes étrangers qui retiraient leurs capitaux, tandis qu'en réalité une grande partie des capitalistes allemands avaient eux aussi largement contribué à ce retrait de fonds. Le travail de notre parti (sans parler de celui des social-démocrates) ne se faisait pas sentir. Le P.C.A. ne réagit aux événements que quelques jours plus tard, bien que la crainte de ne pas être payé provoquât une très grande effervescence dans les entreprises.

Les nationaux et les nationaux-socialistes déclarèrent en 1928 qu'ils voulaient par un referendum obtenir l'abolition du plan Young. Pour forcer le gouvernement à accepter le referendum, il fallait rassembler 5,5 millions de signatures. Tous les autres partis bourgeois, y compris la social-démocratie, raillaient les nationaux-socialistes et étaient persuadés que personne ne prendrait au sérieux leur appel. Notre parti a compris la situation aussi mal que les autres. Il déclara: "Nous prendrons les noms de tous ceux qui donneront leur signature à ces fascistes". La Rote Fahne lança un mot d'ordre particulièrement néfaste dans la circonstance: "Battez les fascistes où vous les trouvez". Qu'est-il arrivé en réalité? Les nationaux et les nationaux-socialistes ont rassemblé, même avant le délai prévu, 6 millions de signatures.

Notre parti a sous-estimé ce mouvement. Le mot d'ordre lancé par la Rote Fahne: "Battez les fascistes où vous les trouvez" fit croire aux masses, qui étaient pour l'abolition du plan Young, que le P.C.A. défendait le plan Young. Le P.C.A. n'a pas tenu compte de cela, et c'était une grave erreur.

On entend encore aujourd'hui des déclarations de ce genre: si le Parti n'avait pas renoncé à ce mot d'ordre, et si les membres du Parti s'étaient réellement mis à battre les fascistes, ceux-ci ne seraient pas au pouvoir maintenant (les bagarres avec les fascistes n'ont d'ailleurs pas cessé même après l'abandon de ce mot d'ordre). Cette opinion est complètement fausse. C'était une erreur de la part de la Rote Fahne d'avoir lancé ce mot d'ordre, et de la part du Parti communiste d'avoir en général sous-estimé le mouvement des masses petites-bourgeoises contre le traité de Versailles. Nous avons par là permis aux nationaux-socialistes de se faire une base dans la petite bourgeoisie qui a pris au sérieux leur promesse de lutter contre le plan Young et contre le traité de Versailles. Et cependant, quand notre parti déposait au Parlement le projet de l'abolition du plan Young, les nationaux-socialistes quittaient la salle des séances ou s'abstenaient du vote.

Pour tourner les clauses du traité de Versailles qui interdisaient à l'Allemagne de s'armer, le gouvernement, ayant à sa tête la social-démocratie, encourageait la création des organisations semi-militaires. Ainsi furent créés: l'Association de la Bannière Républicaine composée en majeure partie des social-démocrates; le Casque d'Acier des nationalistes; la Défense Bavaroise du centre catholique. En face de ces multiples organisations semi-militaires, la bourgeoisie n'osait pas d'abord interdire le Front Rouge organisé par le Parti communiste. Mais dès que cette organisation entreprit un large travail de masse et la lutte contre le fascisme, elle fut dissoute. C'est le ministre social-démocrate Severing qui se chargea de l'interdire.

Les nationaux-socialistes purent en conséquence organiser tout à fait légalement leurs troupes d'assaut qui réussirent même à s'approvisionner en armes dans les arsenaux d'État.

Les fascistes touchaient de leur bourgeoisie une aide financière très généreuse. Certains barons houillers leur payaient même un pourcentage sur la production du charbon. Ils étaient financés par Deterding et d'autres magnats financiers de l'étranger. Ils paient maintenant leur dette directement à Deterding, en détruisant les dépôts de pétrole soviétiques.

Les fascistes ont absorbé dans leurs rangs des hommes très doués de la petite bourgeoisie et ont développé une agitation de grande envergure, beaucoup mieux organisée que celle du Parti communiste. L'agitation des fascistes pénétrait partout: au travail ou à domicile, elle vous poursuivait partout. On entendait partout leurs discours, on voyait partout leur littérature. Leur agitation exploitait savamment les erreurs de la social- démocratie et des autres partis, y compris le nôtre. Ils corrompaient certaines couches de chômeurs en leur jetant des miettes; quant à ceux qui consentaient à entrer dans les rangs des troupes d'assaut, ils les logeaient dans les casernes, leur donnaient des bottes, les nourrissaient, etc. Ils organisaient des soupes à bon marché pour les chômeurs sympathisants. L'appui financier que la bourgeoisie leur prêtait était suffisamment important pour leur permettre de pénétrer de cette façon même dans les milieux du prolétariat non occupé dans l'industrie et dans celui des chômeurs.

Au fur et à mesure qu'augmentait le mécontentement des larges masses, l'influence des fascistes s'étendait, comme le montrent les chiffres suivants: leur candidature au Reichstag apparaît pour la première fois en 1924, à l'époque de l'inflation, de la débâcle économique et du mécontentement des masses. Ils obtinrent 1.918.000 voix. En décembre de la même année, lorsque apparaissent déjà les premiers indices de la stabilisation partielle (et avant tout la stabilisation de la monnaie), les nationaux-socialistes perdent d'un coup 1.011 mille voix. Mais parallèlement, tombe l'influence du P.C.A. En mai 1924, le P.CA.. obtient 3.693.000 voix, et en décembre de la même année, il en perd 974.000. Le Parti social-démocrate, au contraire, n'obtient en mai 1924, lors de la situation révolutionnaire, que 6 millions de voix, et en décembre 1924, lors que se fait déjà sentir la stabilisation partielle, 7.881.000 voix.

Quand en mai 1924, les nationaux-socialistes apparurent pour la première fois sur la scène politique, ils obtinrent 1.918 mille voix. Et en juillet 1932, ils en obtenaient déjà 13.732.000.

Ils ont profité du mécontentement croissant des masses, et avant tout de celui de la petite bourgeoisie, pour prendre le pouvoir.

Les sources d'influence du Parti social-démocrate

On entend souvent les membres de notre parti demander: Comment se fait-il que le Parti social-démocrate d'Allemagne, malgré toutes ses trahisons, ait encore une si grande influence sur les masses? Comment se fait-il qu'il ne l'ait pas encore perdue? Il faut chercher la réponse à cette question dans le fait qu'avant la guerre, le Parti social-démocrate était le seul parti de masse du prolétariat. Il soutenait les réformes dans le domaine de la législation sociale, et l'extension des droits politiques du prolétariat. En 1914, avant la guerre, il avait 90 journaux tirés au total à 1.288.092 exemplaires, et comptait 1.085.905 membres.

Aux élections parlementaires de 1912, quand les soldats et les femmes ne votaient pas encore, il obtint 4.236.000 voix (tous les partis bourgeois ensemble ont reçu alors 12.188.000 voix). Il dirigeait les syndicats de masse (les syndicats comptaient avant la guerre 2,5 millions d'adhérents), les coopératives ouvrières, les organisations sportives et culturelles du prolétariat.

Le Parti social-démocrate jouissait d'un très grand prestige dans la classe ouvrière. Il en profita pour soutenir l'impérialisme allemand pendant la guerre, pour envoyer les ouvriers au front, et pour briser les grèves. Après la guerre, il sauva la bourgeoisie en écrasant la révolution. Mais les larges masses ouvrières, - je ne parle pas de l'avant-garde - ne le voyaient pas, parce que, tout en fusillant les ouvriers révolutionnaires, la social-démocratie, sous la pression des masses révolutionnaires influencées par la révolution d'Octobre, a dû réaliser une législation sociale qui, dans les premières années de l'après- guerre, soulagea la situation de la classe ouvrière par rapport à l'avant-guerre.

Les larges masses ouvrières ne voyaient pas que la social-démocratie était poussée à la réalisation de ces réformes par la révolution, par l'avant-garde révolutionnaire; elles croyaient que la social-démocratie donnait de bon gré ces réformes au prolétariat. C'est pourquoi, ces larges masses étaient encore fortement attachées à la social-démocratie et ne comprenaient pas que celle-ci les avait trahies pendant la guerre et pendant la révolution. C'est par des syndicats de masses, des coopératives, des organisations sportives, des associations telles que la Bannière républicaine, le Front d'airain qui, avec leurs millions d'adhérents, s'opposaient au front unique révolutionnaire de lutte du prolétariat, que la social-démocratie tenait la classe ouvrière allemande.

Dans l'appareil d'État, dans les communes, les syndicats, le parti et les coopératives, dans les prud'hommes, les caisses d'assurance et les comités d'usine, au Reichstag, dans les Land tag, les municipalités, etc., partout la social-démocratie installait ses fonctionnaires bien payés dont le nombre montait jusqu'à 400.000 et qui, venant des milieux ouvriers, assuraient la liaison avec les larges masses ouvrières. Il faut y ajouter de nombreux membres du Parti social-démocrate qui étaient propriétaires de petits cafés-restaurants où les ouvriers passaient la plupart de leurs loisirs. C'est par l'intermédiaire de ceux-ci et de ceux-là que la social-démocratie influençait les larges masses ouvrières.

Les syndicats social-démocrates étaient extrêmement centralisés. Le sommet réglait la question des grèves. S'il était opposé à la grève, il interdisait de payer les allocations aux grévistes. Et cependant, l'ouvrier allemand était depuis 50 ans habitué à toucher des allocations pendant la grève. D'après la loi sur les comités d'usine, les ouvriers ne pouvaient être congédiés qu'avec l'assentiment du comité. Profitant de cette loi, les comités d'usine réformistes[2] sanctionnaient en premier lieu le congédiement des ouvriers inorganisés et s'opposaient à celui des ouvriers organisés (sauf, bien entendu, les communistes et les membres de l'O.S.R., que les social-démocrates inscrivaient eux-mêmes sur les listes des congédiés). Ils ont ainsi constitué dans les entreprises un ferme noyau de syndiqués qui soutenaient la bureaucratie syndicale, empêchaient les grèves et sabotaient la lutte à laquelle appelaient l'O.S.R.[3] et le Parti communiste.

Avec le chômage, les syndicats introduisirent des allocations pour leurs membres, ainsi que des secours aux malades et aux invalides. Ce sont les cotisations des membres qui constituaient la majeure partie des fonds de secours, mais pour les syndicats qui, dans la plupart des cas, ne défendaient pas les intérêts de leurs membres, ces fonds avaient une très grande importance, car ils empêchaient les ouvriers de quitter les syndicats. Une somme de 123,5 millions de marks du budget syndical de 1930 a été dépensée pour diverses allocations et, entre autres, 77,7 millions pour les chômeurs en sus de ce qu'ils touchaient de l'État.

Dans cette période, le Parti social-démocrate et la bureaucratie syndicale savaient très bien manœuvrer devant les ouvriers. Ils déclaraient vouloir lutter contre les diminutions de salaires et contre les décrets-lois. En réalité, ils soutenaient les unes et les autres. Ils allaient jusqu'à accuser dans leur presse le Parti communiste de ne pas lutter contre le fascisme qu'ils étaient, selon eux, seuls à combattre. Ils élaboraient des projets de loi qui devaient fournir du travail aux chômeurs, expliquant en détail où et comment se procurer les fonds pour la réalisation de ces projets, leur faisant une grosse réclame dans leurs réunions et dans leur presse. Ils déposaient même certains de ces projets au Parlement, mais après avoir voté la dissolution du Parlement pour un temps indéfini, afin d'éviter la discussion de leurs propres projets. Aux ouvriers ils disaient que le Parlement, en renvoyant indéfiniment la discussion de ces projets, les empêchait de les réaliser. C'est ainsi que pour masquer sa trahison, la social-démocratie élaborait des projets de loi radicaux. C'est ainsi qu'elle dupait les masses ouvrières. La direction syndicale manœuvrait elle aussi. Souvent, derrière le dos des ouvriers, elle se mettait d'accord avec le patronat pour diminuer les salaires.

Puis, commençait le jeu suivant : le patron annonçait une diminution, disons de 12 %, cependant qu'il s'était déjà en tendu avec la bureaucratie syndicale pour une diminution moins importante. La direction syndicale, après avoir fait mine de lutter, "obtenait" une diminution seulement de 8 %. Et ce résultat, une diminution de 8 %, était salué dans sa presse, dans les réunions syndicales, etc., comme une victoire du syndicat qui avait su défendre contre l'offensive du patronat 4 % des salaires. La bureaucratie syndicale se livrait à ce travail avec grand bruit et fracas. Malheureusement, le P.C.A. et l'O.S.R. ne savaient pas toujours démasquer à temps ces machinations.

La participation de la social-démocratie à l'offensive de la bourgeoisie contre les ouvriers

Dans la période de la stabilisation partielle, la social-démocratie réussissait à duper les masses avec d'autant plus de facilité que, grâce à l'essor économique momentané et surtout grâce à la productivité et l'intensité du travail, accrues sur la base de la rationalisation capitaliste, l'aggravation de l'exploitation de la classe ouvrière prenait le plus souvent des formes dissimulées. Cela ne veut pas dire qu'à l'époque de la coalition de Weimar, la situation de la classe ouvrière ne s'aggravait pas et qu'on ne lui enlevait pas l'une après l'autre toutes ses conquêtes de l'après-guerre. Seulement, cela ne se faisait pas aux mêmes rythmes et sous les mêmes formes que pendant la crise. L'exploitation accrue était due moins à la diminution directe des salaires nominaux qu'à l'intensification extrêmement rapide du travail et à la condensation du temps de travail. Cela permettait aux économistes bourgeois et social-démocrates de cacher aux ouvriers la situation réelle en s'adonnant à de vains exercices de statistiques. C'est ainsi que la social-démocratie réussit à semer parmi les ouvriers cette illusion que leur situation matérielle dépendait directement de la capacité de concurrence de l'industrie allemande sur le marché mondial. Elle évoquait l'exemple des États-Unis qui auraient trouvé "le secret des hauts salaires" basés sur la rationalisation du travail. Les social-démocrates ont créé la théorie de la "démocratie économique" qui devait compléter "la démocratie politique déjà réalisée" pour ouvrir la voie vers "l'intégration pacifique au socialisme" basée sur la collaboration avec la bourgeoisie.

La crise économique réfuta toutes ces théories mensongères. Non seulement l'exploitation s'accroît à une cadence accélérée, mais cet accroissement revêt un caractère de plus en plus évident en s'exprimant par des diminutions des salaires nominaux et réels, par une aggravation sans précédent du chômage qui condamne la classe ouvrière à la famine et à la mort lente. Continuant à servir la bourgeoisie pendant comme avant la crise, la social-démocratie participe plus ouvertement à l'offensive impitoyable contre les conditions de vie des ouvriers, à toutes les formes de diminution des salaires, de liquidation des assurances sociales. Elle a non seulement soutenu tacitement les mesures du gouvernement Brüning contre les salaires et les allocations de chômage, mais elle a fait de l'agitation en leur faveur. Ainsi en janvier 1932, lorsque les salaires, les appointements et les allocations ont été diminués par une loi, la social-démocratie a soutenu cette loi. Elle disait aux ouvriers que, au cas où cette loi serait promulguée, les prix sur les objets de consommation et sur les produits de première nécessité tomberaient également de 10 %. Il y a quelque temps, elle a dû reconnaître que ses prévisions ne se sont pas réalisées; elle ajoutait que les prix sur les objets d'usage courant et sur les produits de première nécessité ont baissé seulement de 4 %. Mais cela aussi est inexact. Les prix sur certains produits de première nécessité ont même augmenté.

Cependant, ses mensonges sur la baisse future des prix réussirent à détourner la lutte de la classe ouvrière contre la diminution des salaires.

Aux dernières élections présidentielles, le P.C.A. a lancé le mot d'ordre: "Qui vote pour Hindenburg, vote pour Hitler". La social-démocratie répliqua en disant: "Qui vote pour Thaelmann, vote pour Hitler". C'est un fait indéniable, que l'élection de Hindenburg par une énorme majorité est due précisément aux social-démocrates, et qu'ils ont été suivis en l'occurrence par une partie importante de la classe ouvrière. Les ouvriers peuvent maintenant se convaincre par leur propre expérience douloureuse de la justesse de notre mot d'ordre: ce contre quoi nous les avions mis en garde s'est réalisé. Malheureusement, pendant la campagne électorale, le P.C.A. n'a pas su trouver les moyens de convaincre les larges masses de la justesse de ce mot d'ordre.

Malgré toutes ses trahisons et malgré tous les efforts faits par le P.C.A. pour les démasquer, la social-démocratie continuait à entraîner derrière elle la majorité de la classe ouvrière. Il faut le reconnaître ouvertement. Cela ne veut pas dire, bien entendu, qu'elle ne perdait pas son influence sur la classe ouvrière. Rien que les changements dans la répartition des voix entre le Parti social-démocrate et le Parti communiste aux élections parlementaires au cours des 13 dernières années prouvent le contraire. En 1919, la social-démocratie, comme nous l'avons déjà indiqué, a obtenu, avec le Parti ouvrier indépendant, 13.826.000 voix, et en novembre 1932, seulement 7.237.000 voix. C'est une perte considérable. Les syndicats réformistes qui après la guerre comptaient 9 millions d'adhérents, et à la veille du coup d'État fasciste n'en comptaient que 4 millions, y compris les employés, ont également perdu une partie importante de leurs effectifs. Néanmoins, la social-démocratie réussit à empêcher le Parti communiste d'organiser une résistance effective au moment de l'avènement de Hitler au pouvoir.

III. - Inactivité du Parti communiste d'Allemagne avant son passage à l'illégalité

Le développement de l'influence du Parti et les principales faiblesses de son travail

Le Parti communiste a été, comme on sait, constitué en 1918. À son premier congrès, une grave erreur avait été commise qui eut des répercussions sur tout son développement ultérieur. À son premier congrès, le Parti s'était prononcé contre la participation aux élections parlementaires et contre le travail dans les syndicats réformistes. Bien que le congrès suivant fût revenu sur cette décision, on n'a jamais réussi dans la pratique à faire entrer tous les membres du Parti dans les syndicats réformistes, malgré de nombreuses décisions de l'I.C. et du P.C.A. Il n'existait pas, et il n'existe pas encore, de syndicats organisés par le P.C. à l'échelle nationale; quant aux communistes adhérant aux syndicats réformistes, ils ne faisaient pas de bon et énergique travail à l'intérieur de ces syndicats. C'est ainsi que les réformistes ont pu pratiquer leur politique du "moindre mal" au préjudice de la classe ouvrière, sans rencontrer de résistance de la part des communistes à l'intérieur des syndicats. Le travail de masse du P.C.A. fut en conséquence insuffisant bien que, sans nul doute, son influence sur la classe ouvrière allât en augmentant, surtout dans les dernières années. Si nous prenons les élections au Reichstag allemand - et nous n'avons pas de meilleur indice - et que nous comparions le nombre de voix obtenu par le P.C.A. en 1920 d'une part, et en 1932 d'autre part, nous verrons que l'influence du P.C.A. sur la classe ouvrière a considérablement augmenté. En 1920, le P.C.A. n'obtint que 590.000 voix, tandis qu'en novembre 1932 il en obtenait 5.900.000 appartenant incontestablement aux ouvriers.

Mais dans les syndicats, c'est-à-dire là où se décidait la lutte contre l'offensive de la bourgeoisie s'attaquant aux conditions de vie de la classe ouvrière, nous étions encore faibles; là, les réformistes pouvaient réaliser leur politique de trahison. Nous devons le reconnaître ouvertement. Toutes les tentatives faites en 1923 pour créer des syndicats parallèles n'ont abouti à rien, car même alors que les ouvriers sortaient en masse des syndicats réformistes, ils n'adhéraient pas à ces nouveaux syndicats. Cependant, sans travailler dans les organisations de masse et avant tout dans les syndicats, le P.C.A. ne pouvait ni conquérir la majorité de la classe ouvrière, ni, encore moins, consolider son influence par voie d'organisation. Les événements de 1923 l'ont démontré.

Pour étendre et consolider l'influence du Parti à l'intérieur des syndicats réformistes, une opposition syndicale fut créée qui s'est donné pour tâche:

1° L'organisation et la direction indépendante des grèves. Car les réformistes empêchaient l'organisation des grèves, mais lorsque, sous la pression des masses, ils les décrétaient et en prenaient la direction, c'était pour les mener à la défaite, ou pour les résoudre par un compromis derrière le dos et aux dépens des ouvriers ;

2° Le renforcement du travail dans les syndicats réformistes. Chercher à y faire pénétrer tous les membres du P.C.A. et les ouvriers révolutionnaires. S'étant affermis dans les syndicats réformistes, nos camarades devaient mobiliser leurs membres pour soutenir la lutte de l'opposition syndicale, qui comprenait aussi les ouvriers inorganisés, contre l'offensive du Capital;

3° La création d'un appareil parallèle à celui des syndicats réformistes, pour que, en cas de large mouvement de mécontentement des masses, les organisations de l'opposition syndicale puissent se transformer en syndicats indépendants.

Pour faciliter à l'opposition syndicale le recrutement parmi les ouvriers inorganisés, le 5e Congrès de l'I.S.R. prit la résolution de suspendre pour l'Allemagne le mot d'ordre "Allez dans les syndicats réformistes".

À la fin de l'année 1932, l'opposition syndicale comptait déjà 310.000 membres. Elle dirigeait les grèves, elle avait mis sur pied un appareil parallèle, mais elle ne travaillait pas, ou travaillait mal, dans les syndicats réformistes.

Le Parti communiste réussit à mettre sur pied toute une série d'organisations de masse : comités de chômeurs, S.R.I., organisations sportives, les Sans-Dieu, l'Union des locataires, etc. Tout cela élargissait l'influence du P.C., mais l'existence de ces organisations ne rendait pas moins nécessaire le travail dans les syndicats réformistes, travail que le Parti communiste aurait pu renforcer par l'intermédiaire des membres des organisations de masse, dont beaucoup étaient en même temps des membres des syndicats réformistes. Mais le P.C. n'a pas su profiter de cette possibilité. Quant à ces organisations, elles ne pouvaient pas par elles-mêmes remplacer le travail dans les syndicats réformistes, et ce travail restait délaissé.

Notre parti a enregistré de grands succès. Non seulement il augmentait le nombre de voix qu'il obtenait aux élections, mais il est devenu une grande force d'attraction pour les ouvriers révolutionnaires. De janvier 1931 à avril 1932, le Parti a presque doublé ses effectifs; en janvier 1931, il ne comptait que 180 mille membres, et un an plus tard, en avril 1932, il en comptait déjà 332.000. Les organisations ouvrières de masses influencées par le Parti ont également augmenté leurs effectifs. Cependant, toute une série de graves faiblesses de son travail de masse n'étaient pas encore surmontées. La faiblesse principale était l'insuffisance du travail dans les entreprises. Le Parti n'arrivait pas à se créer des points d'appui dans les entreprises, sans lesquels ne peut travailler aucun parti communiste. Il est vrai que le travail dans les entreprises présentait des difficultés considérables, surtout pendant les années de crise, quand, avec les congédiements en masse, les ouvriers révolutionnaires et en particulier les communistes, se voyaient renvoyés les premiers. Mais un parti bolchévik doit apprendre à surmonter ces difficultés. On peut affirmer qu'avant l'avènement de Hitler, le nombre de communistes travaillant dans les entreprises, et encore n'était-ce pas dans les entreprises les plus importantes, ne dépassait pas 11 % du total des adhérents du P.C.

Les mêmes difficultés se présentaient dans les syndicats, d'où les ouvriers révolutionnaires se voyaient également très fréquemment exclus. Mais là aussi, le parti a manqué de fermeté dans le travail. L'organisation du travail dans les syndicats n'était pas satisfaisante; l'O.S.R., comme le Parti, n'a pas su s'enraciner dans les entreprises. Cela devait avoir les répercussions les plus fâcheuses sur l'influence du P.C.A. dans les larges masses ouvrières et, par conséquent, sur le développement de l'essor révolutionnaire en Allemagne.

D'autre part, dans l'application du travail de masse, le P.C.A. ne tenait pas suffisamment compte de la nécessité de convaincre les ouvriers socialistes. Notre travail d'agitation a été particulièrement faible là où nous approchions les masses qui subissaient encore l'influence de la bourgeoisie et de ses agents. Nous nous occupions beaucoup de politique, ce qui est juste, mais ce qui n'est pas juste, c'est que nous négligions le vrai travail de masse. Nous organisions des réunions qui rassemblaient jusqu'à 25.000 personnes, et nous nous contentions de pouvoir parler à ces masses. Mais qui fréquentait nos réunions? C'étaient des ouvriers révolutionnaires qui étaient déjà avec nous. Et notre presse, que faisait-elle? Peut-on dire qu'elle pénétrait vraiment dans les masses laborieuses, qu'elle leur tenait le langage qu'elles comprenaient; qu'elle s'occupait des questions de leurs luttes quotidiennes qui les intéressaient? Nos journaux d'usine pouvaient-ils intéresser par leur contenu tous les ouvriers de l'usine donnée ? Non. Ces journaux suivaient une routine; ils empruntaient leur matériel à la presse politique quotidienne du Parti, le retournaient, le paraphrasaient et le servaient réchauffé. Ces journaux ne reflétaient pas la vie des entreprises, ne commentaient pas les événements qui s'y étaient produits, n'entraînaient pas les ouvriers de la base à apporter et à élaborer ensemble leur matériel.

Les faiblesses du travail de masse du P.C.A. ont permis aux réformistes de détourner les ouvriers de la lutte.

La pression sur la classe ouvrière a été en Allemagne plus forte que dans les autres grands pays capitalistes, et cependant, le nombre de grèves pendant la crise a été moins important qu'ailleurs. Dans la période de 1929-1931, 1.304 grèves englobant 637 mille ouvriers, et avec une perte totale de 10.145.900 journées de travail, eurent lieu en Allemagne. Dans la même période, en Angleterre eurent lieu 1.468 grèves auxquelles 1.404.400 ouvriers ont participé et ont perdu au total 20.321.000 journées de travail. En Amérique, le nombre de grèves a été pour la même période de 2.700, le nombre d'ouvriers qu'elles englobaient, 761.000, et le nombre de journées de travail perdues de 20.934.100. Même en France, où la crise a commencé beaucoup plus tard et où la pression sur les ouvriers se faisait au début moins sentir, les grèves étaient plus nombreuses: dans la même période, il y eut 3.601 grèves englobant 2.108.000 ouvriers. C'est l'année 1931 qui fut en Allemagne la plus pauvre en grèves.

Amélioration du travail de masse, direction des grèves, application de la tactique du front unique

À partir du milieu de 1932, le travail de masse commence à s'améliorer. Les cas de direction indépendante et de préparation des grèves par le Parti communiste deviennent plus fréquents. Les grèves des mineurs dans la Ruhr (janvier 1932) et des transports à Berlin (novembre 1932) ont été dirigées par les syndicats rouges et par l'opposition syndicale. La bureaucratie syndicale fit tout pour les faire échouer et eut même recours à la police. La grève des mineurs fut réprimée avec une férocité jusqu'alors inconnue en Allemagne, et dans la grève des transports qui englobait aussi des membres des syndicats réformistes, les seuls briseurs de grèves étaient les membres du Parti social- démocrate.

Seul le Parti communiste et l'opposition syndicale ont mené la lutte contre les décrets d'exception qui imposaient de nouvelles charges particulièrement pénibles à la classe ouvrière; la social-démocratie et les chefs réformistes sabotaient cette lutte. Le décret impudent de Papen qui autorisait les patrons à réduire les salaires jusqu'à 50 %, échoua grâce à la lutte des ouvriers, organisée par le Parti communiste tout seul. Les décrets précédents ne s'étant pas heurtés à la résistance des ouvriers, Papen, en promulguant ce nouveau décret, espérait que les patrons réussiraient à le faire appliquer. Le gouvernement comptait que ce décret aurait le même sort que les précédents. Il se trompait dans ses calculs. En promulguant cette loi, Papen dut abolir les contrats collectifs sur lesquels s'appuyait la bureaucratie syndicale pour briser les tentatives de la part de l'opposition révolutionnaire et du Parti communiste d'organiser les grèves. Dans la mesure où le décret autorisait chaque patron à violer ces contrats collectifs en réduisant les salaires de 50 %, le P.C.A. et l'O.S.R. purent de leur côté passer par-dessus la bureaucratie syndicale et engager une lutte contre ce décret dans les entreprises. Le P.C.A. et l'O.S.R. profitèrent de la situation créée par ce décret pour le combattre.

Comme Papen ne pouvait pas assurer l'application du décret, tous les partis bourgeois, à l'exception des nationalistes, y compris les social-démocrates, ont voté au Reichstag contre le décret et contre le gouvernement de Papen, qui dut céder sa place à Schleicher. Si dans la période qui précéda l'avènement de Hitler au pouvoir, le Parti communiste réussit à pénétrer dans les larges masses et à acquérir même une certaine influence parmi les ouvriers social-démocrates, les membres des syndicats réformistes et de l'Association la Bannière républicaine, c'est parce qu'il a su organiser la lutte contre le décret d'exception. Le prestige du Parti montait sensiblement, et les membres des syndicats réformistes commençaient à participer aux grèves dirigées par l'O.S.R. et par les communistes (dans le comité de grève des travailleurs des transports de Berlin, les membres des syndicats réformistes et même les nationaux-socialistes siégeaient à côté des communistes).

Les premiers pas de la lutte commune des communistes et des ouvriers social-démocrates contre les fascistes eurent un très grand retentissement parmi les ouvriers social-démocrates. Tout en soutenant la lutte des chômeurs, tout en cherchant à organiser cette lutte sur la base d'un large front unique, le P.C.A. et l'Opposition syndicale, en avril 1932, adressèrent à toutes les organisations ouvrières une proposition de lutter ensemble contre toute diminution des salaires au moment du renouvellement des contrats collectifs. Cette proposition fut accueillie par les masses ouvrières avec une très grande sympathie. Pour la première fois depuis de longues années, les ouvriers de toutes les tendances se mirent à discuter librement sur la proposition, bravant la volonté du Parti social-démocrate et de la bureaucratie syndicale.

Cette proposition jeta les bases d'une assez large lutte commune des ouvriers communistes et social-démocrates.

Le deuxième pas dans cette direction fut fait le 20 juillet, lorsque Papen chassa les social-démocrates du gouvernement de Prusse. Le P.C.A. proposa alors aux syndicats réformistes (A.D.G.B.) et au Comité central du Parti social-démocrate de décréter une grève générale pour l'abolition des décrets-lois et la dissolution des troupes d'assaut. La social-démocratie déclara que seuls des provocateurs pouvaient appeler à la grève générale. Ils recommandaient aux ouvriers, au lieu de se mettre en grève, de voter pour les social-démocrates aux élections au Reichstag du 31 juillet, et de "parer ainsi au danger de fascisme". Quant à l'A.D.G.B., elle déclara dédaigneusement qu'elle savait quand décréter les grèves et n'avait pas besoin d'être conseillée par le P.C.A. Bien que le sabotage de l'A.D.G.B. et du Parti social-démocrate empêchât le déclenchement d'une grève de masse, la tactique du P.C.A. fut néanmoins juste. Cette proposition a montré aux ouvriers social-démocrates que les communistes, bien qu'ils fussent, avec tous les ouvriers révolutionnaires, des adversaires du gouvernement social-démocrate de Prusse qui servait la bourgeoisie et combattait le mouvement ouvrier, et bien qu'ils n'eussent jamais cessé de démasquer les réformistes et les social-démocrates, leur proposaient maintenant, lorsque le danger de fascisme menaçait directement la classe ouvrière, de lutter ensemble contre l'ennemi.

La deuxième proposition de front unique de lutte, faite par le Parti communiste aux syndicats réformistes et au Parti social-démocrate, le 30 janvier 1933, c'est-à-dire après l'avènement de Hitler au pouvoir, a produit une impression encore plus forte sur les ouvriers social-démocrates.

On peut en juger d'après la démagogie à laquelle dut se livrer l'organe central du Parti social-démocrate, le Vorwaerts, pour justifier aux yeux des ouvriers son refus d'accepter les propositions des communistes. Cette fois, abandonnant son attitude du 20 juillet, le Vorwaerts répondit à la proposition par toute une série d'articles. À la place d'un front unique de lutte, l'organe central du Parti social-démocrate proposait la conclusion d'un pacte de non-agression entre communistes et social-démocrates, qui en réalité ne cherchait qu'à nous empêcher de démasquer la politique de trahison de la social-démocratie et son rapprochement du fascisme. Faire la grève, quand Hitler est venu au pouvoir légalement, c'était, à l'avis du Vorwaerts, tirer en l'air. Ce sera une autre affaire, déclarait le journal, si Hitler essaie de sortir du cadre de la Constitution de Weimar. Alors - oh! alors - la social-démocratie se dressera résolument contre lui.

Ce jeu malpropre de la direction social-démocrate inclina une partie des ouvriers social-démocrates vers le P.C.A. La lutte commune dans les rues contre les fascistes qui massacraient sans distinction non seulement les communistes, mais aussi les ouvriers social-démocrates, contribua fortement à cela. Au fur et à mesure que les attaques des fascistes contre les maisons syndicales, les coopératives et les établissements non seulement communistes mais également social-démocrates, se multipliaient, les ouvriers de toutes les tendances commençaient de plus en plus souvent à s'unir pour répondre aux agressions des fascistes. Les communistes ont même défendu l'exécrable édifice du Vorwaerts, le même dont s'étaient emparés en 1919 les Spartakistes, en luttant contre la trahison du gouvernement Scheidemann et pour l'instauration de la dictature du prolétariat. Ce front unique de lutte des communistes et des ouvriers social-démocrates était réalisé, dans certains endroits, à la base, par les masses elles-mêmes, malgré les chefs social-démocrates.

Si l'appel à la grève générale lancé par le Parti communiste le 20 juillet n'a eu aucun retentissement, le front unique qui commença à se constituer à la base après le 20 juillet, attirait, au contraire, les larges masses ouvrières. C'est ainsi qu'après l'avènement de Hitler au pouvoir, dans tous les centres importants d'Allemagne des manifestations, et dans certains endroits même des grèves, se déroulèrent à l'appel du Parti communiste. Des manifestations et des grèves particulièrement importantes eurent lieu à l'occasion des obsèques des victimes de la terreur fasciste. Au cours de ces journées, le mouvement de front unique s'est si puissamment développé que la social-démocratie ne pouvait plus s'en débarrasser à l'aide des vieilles méthodes. Elle déclarait maintenant que le front unique contre le fascisme était nécessaire, qu'il fallait l'organiser - il s'agissait seulement de choisir le moment propice. Mais les chefs social-démocrates s'empressaient d'ajouter que le moment n'était pas favorable pour une déclaration de grève générale, qu'il valait mieux attendre, que plus tard peut-être la grève serait plus opportune.

Le Parti social-démocrate ne pouvait plus se borner à proférer des calomnies et à nous accuser de provocation; pour saboter le front unique, il était obligé de recourir maintenant à d'autres moyens. Le 1er mars, après l'incendie du Reichstag, alors qu'une terreur sans précédent s'était abattue sur les ouvriers et sur tous les travailleurs, le P.C.A. proposa à nouveau au Parti social-démocrate et à l'A.G.D.B. de lancer un appel à la grève générale. Les social-démocrates et la bureaucratie syndicale laissèrent cette proposition sans réponse. Après les élections du 5 mars, ils déclarèrent: "Hitler est venu au pouvoir par la voie légale, Hindenburg l'a nommé, et maintenant cette nomination est confirmée par la majorité du peuple; il a la possibilité de gouverner dans le cadre de la Constitution de Weimar. Quant à nous, nous passerons dans les rangs de l'opposition légale et nous attendrons que le peuple nous appelle de nouveau au pouvoir."

Il est indéniable qu'au cours de ces dernières années, l'influence du P.C.A. dans les masses s'est considérablement développée aux dépens de la social-démocratie. Cela peut être confirmé par les chiffres des élections de 1930 et de 1932. Au cours de ces deux années, les social-démocrates ont perdu 1.338.000 voix, et le P.C.A. en a gagné 1.384.000. C'est surtout dans les grands centres industriels que ce déplacement des voix était à observer. Les communistes se renforçaient aux dépens de la social-démocratie. Cela est indiscutable. Mais ils se renforçaient trop lentement par rapport au développement des forces fascistes en Allemagne. La conquête de certains membres des syndicats réformistes et du Parti social-démocrate; l'organisation dans certains endroits, malgré le sabotage des chefs social-démocrates et réformistes, du front unique de lutte qui réussit à repousser le décret de Papen, augmentèrent le prestige du P.C.A. dans les larges masses ouvrières. D'autre part, avec le développement rapide du fascisme, précipité par la politique de trahison de la social-démocratie, ce prestige même provoqua une attaque féroce contre le P.C.A.: la calomnie au sujet de l'incendie du Reichstag; la terreur inouïe; l'extermination sanglante des effectifs de base des organismes locaux du P.C.A., - attaque d'une telle violence que la classe ouvrière s'est avérée insuffisamment préparée pour la repousser immédiatement.

Les provocations fascistes et la terreur n'arriveront pas à couper le Parti communiste des masses

Le Parti communiste allemand s'attendait à être dissous par le fascisme au pouvoir, il s'attendait également que le prétexte de cette dissolution serait fourni par quelque provocation. Mais il n'avait pas prévu que la terreur serait si sauvage, ni la provocation si éhontée. L'incendie du Reichstag - plan soigneusement élaboré par les fascistes - l'accusation lancée immédiatement contre le Parti communiste, l'interdiction de toute la presse communiste en une seule nuit, l'interdiction même de la presse social-démocrate, l'interdiction de tout journal bourgeois qui ose laisser entendre que l'incendie est organisé par les fascistes, des "découvertes" au cours des perquisitions dans les locaux des organisations révolutionnaires, des faux relatant comment les communistes, se préparant à l'insurrection immédiate, projettent d'empoisonner les puits et dressent des listes de personnes à fusiller, etc., - tout cela dans l'atmosphère de la terreur la plus féroce, savamment organisée, des tortures infligées aux emprisonnés, des assassinats "au cours d'une tentative d'évasion" - c'est dans de pareilles conditions que Hitler déclencha son offensive contre le P.C.A.

Si l'on veut chercher dans le passé des analogies, on pourra, sous de grandes réserves, comparer la provocation de Hitler à la calomnie lancée par la bourgeoisie russe en juillet 1917 contre les bolchéviks et contre Lénine, qu'on accusait de s'être "vendu aux Allemands". Si insensée et grossière que fût alors cette provocation, la bourgeoisie, les menchéviks, les socialistes-révolutionnaires et le gouvernement provisoire réussirent, dans ces journées de juillet, à dresser la petite bourgeoisie terriblement excitée contre le Parti bolchévik. C'est seulement par un travail dévoué, inlassable, ingénieux et courageux dans les masses, le travail bolchévik de tout le parti dirigé par son Comité central, avec Lénine à sa tête, qu'on a pu arriver en quatre mois, dans les conditions, il est vrai, d'une crise révolutionnaire, non seulement à déjouer la provocation de la bourgeoisie, mais à étendre et à consolider l'influence bolchévik sur les masses laborieuses les plus larges, à conquérir la majorité de la classe ouvrière et à mener les masses d'ouvriers, de soldats et de paysans à l'insurrection armée pour le pouvoir des Soviets.

Quelle était la situation en Allemagne après la provocation fasciste? Les calomnies des fascistes n'ont pas troublé les rangs des communistes allemands et des masses ouvrières. Et pourtant il faut tenir compte de la terreur inouïe qui s'acharnait contre les communistes et les ouvriers et que les bolchéviks n'avaient pas connue en juillet 1917. Prenons les élections du 5 mars 1933. Dans quelles conditions ont voté les ouvriers ? Ils ne déposaient pas simplement leur bulletin de vote cacheté dans une enveloppe comme cela se faisait d'habitude. Là où votaient des ouvriers communistes et des révolutionnaires, c'est- à-dire dans les quartiers ouvriers, les sections d'assaut nationales- socialistes. montaient la garde auprès des urnes avec un objectif spécial. Les nazis connaissaient personnellement les ouvriers révolutionnaires de leur quartier, et dès qu'un d'eux approchait, ils le saisissaient, le traînaient dans leurs casernes, le maltraitaient ou l'assassinaient. Les ouvriers le savaient, et pourtant le P.C.A., d'après les chiffres officiels, c'est-à-dire hitlériens, a obtenu près de 5 millions de voix. Il est hors de doute que les fascistes volaient des voix aux communistes. Il est maintenant établi que les hitlériens s'ajoutaient des voix en nombre assez considérable. Ainsi, en Poméranie, le nombre de "votants" dépassait de 62.000 celui des listes électorales, et en Prusse Orientale, où la participation au vote a toujours été de 5% au-dessous de la moyenne du reste du pays, le nombre de votants est brusquement monté jusqu'à 97 %. Un camarade qui revient de la Prusse Orientale où il travaillait parmi les paysans, raconte que dans l'une des grandes propriétés qui constituait une circonscription électorale, aux élections de novembre 1932, toutes les voix allèrent au Parti communiste, bien que tous les ouvriers agricoles y fussent par obligation inscrits au Casque d'Acier. Ce n'était un secret pour personne que les trois voix données pour le Casque d'Acier appartenaient au propriétaire, à sa femme et à l'inspecteur. Et voilà que le 5 mars 1933, toutes les voix de cette circonscription vont aux nationaux-socialistes! Dans les circonscriptions de ce genre, quand un des électeurs manquait, un membre des sections d'assaut votait pour lui. C'est ainsi que les nationaux-socialistes obtinrent leurs "17 millions de voix".

Les résultats des élections montrent que la partie du prolétariat qui a suivi le P.C.A. le considère véritablement comme son dirigeant: cette partie ne le lâchera pas et continuera à lutter sous ses drapeaux, à moins que le P.C.A. ne commette de graves erreurs. Cela prouve que le Parti est étroitement lié à la partie la plus consciente, la plus révolutionnaire de la classe ouvrière.

IV. - La situation était-elle révolutionnaire en Allemagne en janvier 1933?

Les conditions de la situation révolutionnaire

On sait comment Lénine définissait une situation révolutionnaire[4]:

Pour une révolution, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l'impossibilité de vivre comme par le passé et réclament des changements; pour une révolution, il est indispensable que les exploiteurs ne puissent plus vivre et gouverner comme par le passé. Seulement quand "en bas" on ne veut plus du passé, et quand "en haut" on ne peut plus vivre comme par le passé, la révolution peut être victorieuse. En d'autres termes: la révolution est impossible sans une crise nationale générale (qui touche les exploités ainsi que les exploiteurs). Pour qu'une révolution ait lieu, il faut donc d'abord que la majorité des ouvriers (ou tout au moins la majorité des ouvriers conscients, des ouvriers qui réfléchissent, qui sont politiquement actifs) comprenne jusqu'au bout sa nécessité et soit prête à mourir pour elle; et qu'ensuite, les classes dirigeantes traversent une crise gouvernementale qui entraîne dans la vie politique les masses les plus arriérées (la croissance rapide dans les masses laborieuses et opprimées, jusqu'alors apathiques, du nombre des hommes prêts à la lutte politique, nombre devenu dix fois, cent fois plus important, est un indice de toute révolution véritable), qui affaiblisse le gouvernement et permette aux révolutionnaires de le renverser promptement.

Est-ce que toutes ces conditions existaient en Allemagne en janvier 1933? Non. Devant la menace de la révolution prolétarienne, toute la bourgeoisie, malgré tout ce qui la divisait, s'unit contre le prolétariat révolutionnaire. L'énorme majorité de la petite bourgeoisie suivait la bourgeoisie dans la personne de Hitler qui promettait de restaurer la "grande" Allemagne d'autrefois où sa vie était relativement supportable. Le prolétariat était divisé par la social-démocratie qui en traînait encore derrière elle la majorité de la classe ouvrière. Par conséquent les exploiteurs pouvaient encore vivre et gouverner, pouvaient encore, à l'aide des nouvelles méthodes fascistes, se livrer à la même exploitation de la classe ouvrière.

La situation révolutionnaire en 1923 et la direction opportuniste

En 1923, la situation en Allemagne était une situation révolutionnaire.

Qu'est-ce qui s'y passait?

L'Exécutif de l'I.C., qui en janvier 1924 donna une analyse détaillée de la situation en Allemagne, caractérisait de la façon suivante, dans le deuxième chapitre "La crise révolutionnaire en Allemagne", les indices de la situation révolutionnaire qui existait alors:

Les grèves puissantes et la lutte dans la Ruhr en mai-juin, les grèves de la Haute-Silésie, celles des métallurgistes à Berlin, les luttes à Erzgebirge, à Vogtland et la grève politique de masse en août 1923 qui a eu pour effet la chute du ministère Cuno, tout cela indiquait qu'en Allemagne commençait une nouvelle montée révolutionnaire.

L'aggravation rapide de la situation s'exprimait par la cherté croissante de la vie, l'inflation, les charges fiscales monstrueuses, la crise du parlementarisme, par la contre-attaque vigoureuse du capital qui suivit l'offensive encore faible du prolétariat, par la crise alimentaire, par la diminution des salaires, l'annulation graduelle des conquêtes sociales de la classe ouvrière, le développement des mouvements séparatistes et particularistes, la paupérisation croissante des couches moyennes, anciennes et nouvelles, par le discrédit croissant des partis démocratiques du centre. C'est le prolétariat et les couches moyennes, de plus en plus prolétarisées, qui durent payer les frais de la résistance dans la Ruhr [la Ruhr était occupée par les troupes des Alliés]. L'aggravation des antagonismes de classe se développait aux mêmes rythmes accélérés que la décomposition de l'économie de l'Allemagne capitaliste, coupée de ses points d'appui.

Dans de nombreuses provinces, la population s'armait et allait en groupe chercher des vivres dans les champs. Les larges couches moyennes, désespérées, oscillaient entre les deux pôles extrêmes qui leur indiquaient une issue - entre les communistes et les fascistes. Dans les grandes villes, les cambriolages, des manifestations d'affamés, des bagarres sanglantes, devenaient choses très fréquentes.

Dans les mois qui ont précédé l'hiver 1923, le rapport des forces de classes en Allemagne s'est modifié constamment en faveur de la révolution prolétarienne. Dès le début de l'occupation de la Ruhr, 18-20 millions de prolétaires sont restés en dehors de la vague montante de nationalisme [souligné par nous].

Les 6-7 millions de petits bourgeois des villes et les 4-5 millions de petits paysans et de fermiers étaient profondément ébranlés.

La tâche suivante consistait à battre l'influence des fascistes et à transformer l'état d'esprit nationaliste en volonté d'union avec le prolétariat pour la lutte contre les gros capitalistes allemands et, en même temps, contre les impérialistes français. Le Parti communiste a abordé ce travail avec succès. La journée antifasciste du 29 juillet 1923 en donne la meilleure preuve. Les larges couches de la population petite-bourgeoise sympathisaient déjà avec le Parti communiste, qui réussit dans une très grande mesure à leur faire comprendre l'hypocrisie de la propagande "sociale" des fascistes, leur rôle objectif de soutien de la grande bourgeoisie qui trahissait la nation, la coïncidence des intérêts de la petite bourgeoisie avec ceux du prolétariat.

La décomposition dans le camp de la bourgeoisie allait en progressant toutes les semaines. La confiance dans le Parti communiste progressait parallèlement. Il fallait organiser cette confiance et préparer toutes les forces au coup décisif.

Le P.C.A. et l'Exécutif, dans des réunions avec les représentants des cinq plus grands partis, arrivèrent en septembre à la conclusion que la crise révolutionnaire en Allemagne était mûre et que le coup décisif, le renversement de la bourgeoisie et l'instauration de la révolution prolétarienne, était une question de quelques semaines.

La situation de la classe ouvrière en 1923 était terrible, malgré l'absence de chômage. L'inflation (un mark-or valait un trillion de marks-papier) dépréciait tellement vers la fin de la semaine les salaires fixés au début de la semaine, que l'ouvrier n'avait même pas de quoi s'acheter une livre de pommes de terre. En outre, le Parti social-démocrate, qui "est effectivement entré dans la voie d'une entente étroite avec les représentants de l'industrie lourde et de la clique militaire réactionnaire" (chapitre II), était tellement affaibli qu'il ne pouvait même plus retenir ses fonctionnaires, faute d'argent pour les payer. La situation était encore plus précaire dans les syndicats réformistes. Ils avaient perdu 5 millions d'adhérents. Ces syndicats qui avaient renoncé à la lutte de classes ne pouvaient plus rien offrir à leurs membres. L'appareil syndical se désagrégeait complètement.

Les conditions furent rarement aussi favorables pour un parti révolutionnaire. Les grèves, les manifestations, les journées antifascistes organisées au printemps et en été 1923, ne laissaient aucun doute sur les dispositions du prolétariat allemand: il voulait et était prêt à s'engager dans une lutte décisive. La classe ouvrière était disposée à mener la lutte la plus acharnée si une direction ferme et non opportuniste du P.C.A. l'avait appelée à cette lutte. Mais c'est précisément cette direction ferme qui faisait défaut en 1923. Le fait que sur l'ordre de la direction brandlérienne, transmis par des courriers (ces premiers courriers furent suivis par d'autres qui annulèrent l'ordre d'engager l'action), l'insurrection commença à Hambourg (le deuxième courrier y était arrivé trop tard) où les organismes du Parti et les ouvriers se procurèrent très vite les armes, ce fait prouve que la direction révolutionnaire aurait pu organiser une insurrection victorieuse. Si l'insurrection avait alors commencé dans les centres industriels d'Allemagne, elle aurait été soutenue par les larges masses ouvrières dans tout le pays. Il y avait lieu de compter aussi sur les marins de quelques navires de guerre allemands. Les marins qui se trouvaient à Hambourg lors de l'insurrection de 1923, ne marchaient pas contre les insurgés. Ils attendaient.

Toutes les conditions d'une insurrection victorieuse étaient réalisées. Il ne manquait que la direction révolutionnaire résolue, et une bonne liaison avec les entreprises.

On laissa échapper une situation révolutionnaire favorable.

Le rapport des forces de classes en janvier 1933

Avions-nous une situation semblable en 1933 ? Non, nous ne l'avions pas. Le Présidium de l'I.C. a analysé d'une façon très détaillée cette question dans son dernier document sur "la situation en Allemagne":

Dans ces circonstances, le prolétariat s'est trouvé dans une situation où il ne pouvait - et où il n'a pu en réalité - organiser une riposte immédiate et décisive contre l'appareil d'État qui, pour combattre le prolétariat, s'était incorporé les formations de combat de la bourgeoisie fasciste, les sections d'assaut, le Casque d'Acier, la Reichswehr. La bourgeoisie a pu, sans rencontrer une résistance sérieuse, transmettre le pouvoir aux nationaux-socialistes qui combattaient la classe ouvrière par les moyens de la provocation, de la terreur sanglante et du banditisme politique.

Lénine, analysant les conditions de l'insurrection victorieuse du prolétariat, a dit:

On peut considérer le moment venu pour la bataille décisive si toutes les forces de classe qui nous sont hostiles se sont suffisamment embrouillées, suffisamment querellées entre elles, suffisamment affaiblies par une lutte au-dessus de leurs forces, si tous les éléments intermédiaires, hésitants, vacillants, instables, c'est-à-dire la petite bourgeoisie, la démocratie petite-bourgeoise, contrairement à la bourgeoisie, se sont suffisamment démasqués aux yeux du peuple, s'ils se sont suffisamment couverts de honte par leur banqueroute pratique, si dans le prolétariat a commencé un courant puissant de masse en faveur du soutien des actes révolutionnaires les plus résolus, les plus intrépides contre la bourgeoisie. C'est alors que la révolution est mûre, c'est alors, pourvu que nous tenions exactement compte des conditions que nous venons d'indiquer et que nous choisissions exactement le moment, que notre victoire est certaine.

Une particularité caractéristique de la situation au moment du coup d'État de Hitler, c'est que ces conditions de l'insurrection victorieuse n'avaient pas encore eu le temps de mûrir et n'existaient qu'en germe.

L'avant-garde du prolétariat - le Parti communiste - ne désirant pas se lancer dans une aventure, ne pouvait évidemment compenser ce facteur manquant par ses actes à elle seule.

"Avec l'avant-garde seule, on ne peut pas vaincre", disait Lénine. "Jeter aux combats décisifs l'avant-garde seulement, alors que toute la classe ouvrière, alors que les grandes masses n'ont pas encore pris une position de soutien direct de l'avant-garde ou tout au moins de neutralité bienveillante, serait non seulement une sottise, mais aussi un crime."

Telles sont les circonstances qui ont déterminé la retraite de la classe ouvrière et la victoire du parti des fascistes contre-révolutionnaires.

Ainsi, l'instauration de la dictature fasciste est, en fin de compte, la conséquence de la politique social-démocrate de collaboration avec la bourgeoisie durant toute l'existence de la République de Weimar.

Pourquoi le Présidium a-t-il analysé si soigneusement la question de savoir s'il y avait une situation révolutionnaire en Allemagne au début de 1933? Parce qu'il se trouve des gens qui, sans faire la moindre tentative d'analyser la situation, répandent des légendes sur la situation révolutionnaire en Allemagne "ratée" par le Parti communiste. Pour le P.C.A., ces bavardages absurdes ont une signification particulière, car en 1923, il avait en effet commis une grave erreur en laissant échapper la situation révolutionnaire. Les dirigeants du Comité central ont été alors, et à juste raison, destitués de leurs fonctions. Ces bavardages absurdes sur la prétendue situation révolutionnaire de 1933 que le Parti n'aurait pas su utiliser, ont pour but d'ébranler la confiance dans le C.C. du P.C.A. Le document du Présidium met fin à cette campagne irresponsable et profondément fausse. Le prestige dont jouit la direction du P.C.A. doit être soutenu plus que jamais. La répression de 1923 ne peut même pas être comparée à la terreur qui règne en Allemagne actuellement. Bien qu'en 1923 le Parti ait été également obligé de passer à l'illégalité, la répression dont il était victime n'était qu'un jeu d'enfant comparée à ce qui se passe maintenant. Les fascistes ne se contentent pas d'emprisonner les cadres du Parti, ils les exterminent physiquement. Le prestige absolu de la direction du Parti prend maintenant une importance capitale. Ne pas soutenir cette direction qui a su donner une juste appréciation de la situation et appliquer une juste tactique, serait un crime.

Les conditions indispensables d'une insurrection victorieuse

Pourquoi le Présidium de l'Exécutif a-t-il plus spéciale ment étudié la question de savoir si le Parti devait commencer l'insurrection même si la situation n'était pas révolutionnaire et sachant d'avance que l'avant-garde du prolétariat, se jetant seule dans la bataille décisive, serait battue? Parce que dans le parti allemand, comme dans tous les partis ayant subi une défaite momentanée, une opinion erronée sur cette question se fait jour. Certains se demandent encore maintenant comment il se fait qu'un parti entraînant derrière lui presque 6 millions d'ouvriers qui avaient voté pour lui dans des conditions particulièrement difficiles, n'essaie pas de livrer la bataille, même sans aucune chance de succès.

C'est pourquoi le document souligne que dans la situation dans laquelle se trouvait l'Allemagne le 1er mars 1933, appeler à l'insurrection armée aurait été de la part du P.C.A. une aventure et un crime. Le Parti communiste a fait tout pour mobiliser les masses pour une lutte décisive contre le fascisme. Ainsi, quand Hindenburg a appelé Hitler au pouvoir, le P.C.A., et ceci est à mon avis tout à fait juste, non seulement a recommandé aux ouvriers de repousser les agresseurs fascistes et de s'armer aux dépens des bandes fascistes, mais il a appelé les ouvriers à la grève générale. Avant le 1er mars, durant tout le mois de février, les membres du P.C.A., du Front Rouge et tous les ouvriers révolutionnaires ont repoussé vigoureusement les bandes fascistes et s'armaient avec les armes qu'ils leur enlevaient. Cette lutte continue dans certains endroits même actuellement.

En même temps, le P.C.A. faisait tout pour organiser des grèves politiques dans divers centres industriels.

Le 1er mars, le P.C.A. appela les ouvriers à la grève générale qui devait entraîner les larges masses ouvrières dans la lutte révolutionnaire contre le fascisme. Si le prolétariat allemand avait répondu à son appel, une grève victorieuse de ce genre entraînant dans la lutte une grande partie des chômeurs aurait pu, dans les circonstances favorables, se transformer en insurrection armée. La social-démocratie et la bureaucratie syndicale ont réussi à empêcher le déclenchement de la grève. Cela montra que le P.C.A. n'était encore suivi que par la minorité de la classe ouvrière. Ce rapport de forces entre le P.C.A. et la social-démocratie ne permettait même pas l'organisation d'une grève politique, sans parler de l'insurrection armée. Cela revient à dire qu'en janvier 1933, la situation en Allemagne n'était pas révolutionnaire, et que le P.C.A. ne pouvait pas empêcher Hitler de prendre le pouvoir. La majorité de la classe ouvrière suivait encore la social-démocratie et la bureaucratie syndicale; presque toute la petite bourgeoisie regardait le Parti communiste avec hostilité, livrant les communistes et les ouvriers révolutionnaires aux fascistes, aidant ceux-ci dans leur chasse aux communistes, dénonçant les appartements où on pouvait trouver la littérature communiste, etc. Les troupes d'assaut, le Casque d'Acier et la Reichswehr étaient prêts à se jeter contre les insurgés. Il est évident que dans de pareilles conditions l'insurrection était condamnée d'avance à l'insuccès. Un appel à l'insurrection aurait été néfaste pour le Parti communiste, et par conséquent pour le prolétariat allemand tout entier. Certains qui se croient très "gauches" prétendent que le P.C.A. n'avait pas besoin de remettre l'insurrection, qu'il aurait pu conquérir la majorité de la classe ouvrière "au cours de la lutte". C'est un point de vue dangereux et injustifié. Il est vrai que l'influence et les forces du P.C.A. s'affirment dans la lutte, mais dans quelles conditions? Seulement si le Parti a su tenir compte du rapport des forces et bien choisir le moment pour mener le prolétariat vers la lutte décisive. Prenons l'exemple des insurrections de Bulgarie et d'Esthonie, en 1923 et en 1924. Les camarades bulgares et esthoniens se sont jetés dans la bataille sans que la situation soit mûre. Mais en Bulgarie, on a, d'une part, laissé passer le moment propice pour l'insurrection en juillet; d'autre part, le Parti et les masses ouvrières des principaux centres industriels, par suite de la capitulation d'une partie de la direction, n'y ont pas participé.

Un appel à l'insurrection en janvier 1933 aurait eu pour résultat la défaite de l'avant-garde prolétarienne non suivie par les masses. Le mouvement révolutionnaire aurait été retardé de plusieurs années. Or, actuellement, le P.C.A. s'est ressaisi et commence un large travail dans les masses. Cela prouve que la tactique du Parti était juste. Le document du Présidium de l'Exécutif commence par souligner la justesse de la ligne politique, de la tactique et de l'organisation du Parti communiste d'Allemagne.

Le Parti communiste ne pouvait pas et ne devait pas appeler à l'insurrection s'il voulait conserver ses forces combatives dont le prolétariat a déjà dès maintenant besoin. Mais il en aura besoin encore davantage quand l'accalmie momentanée aura cessé, que les ouvriers social-démocrates se détacheront de plus en plus de leurs chefs, et que la petite bourgeoisie des villes et des villages comprendra que les nationaux-socialistes l'avaient dupée. Les éléments de la direction du P.C.A. qui, se disant "révolutionnaires" et s'opposant aux "opportunistes", reprochent au P.C.A. de ne pas avoir appelé à l'in surrection le 1er mars 1933, font objectivement le jeu des fascistes.

Il faut dire toute la vérité aux ouvriers social-démocrates

En évoquant la trahison des chefs social-démocrates, qui sabotèrent consciemment et à dessein les propositions faites par les communistes de front unique de lutte contre le fascisme, contre l'offensive capitaliste, nous ne devons pas fermer les yeux sur cette circonstance que la grande masse des ouvriers social- démocrates, n'avaient pas non plus accepté la proposition communiste de front unique. Le document du Présidium du C.E. de l'I.C. le dit avec toute la précision voulue. C'est ce qui trouble certains camarades et impose, par conséquent, une explication complémentaire.

Le fait est que le P.C.A., en son temps, avait eu parfaitement raison de mener la lutte contre les gauchistes, les gauches entre guillemets, contre les phraseurs qui identifiaient les chefs social-démocrates avec la masse des adhérents. Or les camarades qui s'étaient automatiquement assimilé cette vérité qu'on ne peut identifier les chefs social-démocrates avec les adhérents, ont peine à comprendre pourquoi le document du Présidium du C.E. de l'I.C., aujourd'hui, relève une accusation aussi écrasante contre les ouvriers social-démocrates. Tous les camarades ne comprennent pas que la tactique des bolchéviks doit être souple, que le changement de situation impose une modification correspondante de la tactique; que ce qui est juste dans certaines conditions n'est pas toujours applicable dans une situation nouvelle.

Le Comité exécutif de l'Internationale communiste et le P.C.A. avaient concentré, en temps opportun, leurs attaques contre la tendance visant à identifier les ouvriers social-démocrates avec les chefs traîtres, parce que dans une série de pays, parmi lesquels l'Allemagne, on usait largement de phrases gauchistes qui traitaient les ouvriers social-démocrates dans les fabriques, dans les bourses du travail, etc., de petits "Zörgiebel", de "fascistes". Cette tactique freinait la venue des ouvriers social-démocrates vers les communistes et rendait difficile l'instauration du front unique de lutte révolutionnaire. Le P.C.A. s'est élevé contre ces méthodes d'« action de masse». Cette tactique était juste à ce moment et le demeure encore aujourd'hui. Est-ce à dire que nous devons méconnaître les éléments nouveaux qui caractérisent les derniers événements en Allemagne? Le document du Présidium du C.E. de l'I.C., dans son appréciation de ces événements, a dit toute la vérité, telle qu'elle est. Est-il exact que les communistes se soient toujours adressés aux ouvriers social-démocrates pour leur proposer le front unique? Oui, c'est exact. Bien plus, dans tous les cas où les ouvriers social-démocrates déclenchaient la lutte, les communistes se sont toujours mis dans les premiers rangs des combattants, s'exposant aux coups les plus durs de l'ennemi de classé. Les communistes doivent-ils dire ce qui en a été, à savoir qu'ils ont appelé les ouvriers social-démocrates à établir le front unique et que la grande masse de ces derniers n'a pas accepté cette proposition? Évidemment oui.

D'autre part le document du Présidium explique pourquoi la masse des ouvriers social-démocrates n'a pas répondu à la proposition de front unique faite par les communistes: parce qu'ils étaient paralysés par leurs dirigeants, en qui ils avaient encore une confiance aveugle.

Le document de l'Internationale communiste explique aux communistes et aux ouvriers révolutionnaires les raisons qui ont provoqué le recul momentané du P.C.A. et la victoire des fascistes contre-révolutionnaires. La cause principale, c'est que les ouvriers social-démocrates suivaient encore leurs dirigeants qui, appuyant le front réactionnaire de la bourgeoisie, refusaient d'accepter la proposition des communistes relative au front unique révolutionnaire. Le P.C. allemand ne pouvait organiser la lutte victorieuse contre les fascistes, le Parti social-démocrate ayant réussi, après avoir divisé la classe ouvrière, à empêcher ses adhérents d'établir le front unique avec les communistes. Quel est le premier coupable de la victoire momentanée des fascistes? Naturellement les chefs social-démocrates qui ont trahi consciemment la lutte des ouvriers au profit de la bourgeoisie. Mais pouvons-nous dire que la masse des ouvriers social-démocrates ne supporte aucune responsabilité politique pour son refus de participer pratiquement au front unique de lutte contre le fascisme? Évidemment non. Les communistes se doivent de le dire ouvertement aux ouvriers social-démocrates. Tout en accentuant leur agitation parmi ces derniers, il appartient aux communistes de leur montrer ouvertement la grave faute qu'ils ont commise et qui a entraîné de si lourdes conséquences pour la classe ouvrière. Cela est d'autant plus nécessaire que les chefs social-démocrates peuvent encore se livrer à des manoeuvres "gauchistes" et créer des organisations "illégales" pour tromper une fois de plus les ouvriers social-démocrates et les empêcher de rallier le Parti communiste d'Allemagne.

V. - Le gouvernement hitlérien gardera-t-il le pouvoir ?

Pourquoi la bourgeoisie a-t-elle appelé Hitler au pouvoir ?

Ce gouvernement est celui de l'offensive la plus implacable contre la classe ouvrière, offensive sans précédent par sa violence et ses proportions. Nous avons déjà noté plus haut que le gouvernement fasciste de Papen est tombé pour avoir été incapable d'assurer une pression plus intense sur la classe ouvrière. En appelant Schleicher, qui s'appuyait sur la Reichswehr, au gouvernement, la bourgeoisie espérait qu'il saurait créer une base massive en vue de réaliser le programme Papen. Le général "social" Schleicher essaya de s'entendre avec le centre catholique et les syndicats réformistes pour opérer, par l'entremise de G. Strasser, la scission du Parti national-socialiste. Cela ne lui ayant pas réussi, la bourgeoisie n'avait plus rien d'autre à faire que de remettre le pouvoir aux nationaux-socialistes. Elle ne le fit pas du premier coup, n'étant pas certaine que les nazis sauraient réaliser un programme de pression encore plus intense sur la classe ouvrière et les travailleurs, sans accélérer en même temps la maturation de la crise révolutionnaire.

Funk, le théoricien du Parti national-socialiste, prenant la parole, dès avant le coup de force, au "Herrenklub", où il n'avait pas besoin de voiler son programme, a défini les tâches de son parti dans les termes suivants: établir les plus bas salaires, détruire le système des contrats collectifs, forcer les exportations à l'étranger, sans tenir compte des répercussions que ces mesures auraient sur le niveau de vie des masses travailleuses.

Abolition des contrats collectifs

Pour ce qui est de forcer les exportations, la bourgeoisie peut se convaincre que, même le fascisme aidant, ce ne sera pas chose aisée. Par contre, la suppression des contrats collectifs marche à plein. Par exemple, à Kottbus, l´"Organisation des entreprises ouvrières" N.S.B.O. (organisation fasciste) a conclu pour les ouvriers du bâtiment un contrat collectif avec les employeurs, en vertu duquel l'ancien système des contrats collectifs est aboli et les tarifs pratiqués peuvent être supérieurs ou inférieurs à ceux du contrat. La nouvelle forme des "contrats collectifs" fascistes à Kottbus établit ainsi des taux de salaire pour chaque ouvrier en particulier, alors que jusqu'ici les contrats collectifs intervenaient entre syndicats et patrons, non seulement pour les ouvriers organisés, mais aussi pour les inorganisés, et que la violation du contrat collectif était punie par la loi. Apparemment, les fascistes ont l'intention de généraliser dans tout le pays ce qui a été commencé à Kottbus.

La Rote Fahne, déjà illégale, annonce qu'à l'usine Gumm et Müller de Berlin, une grève avait éclaté contre la réduction des salaires de 10 %, et que les ouvriers de toutes tendances, y compris les nationaux-socialistes, avaient débrayé d'un accord unanime Au cours d'une assemblée des grévistes on vit arriver la 54e section d'assaut qui, au nom des chefs de l´"organisation national-socialiste des usines", somma les ouvriers de finir 1a grève. Sur le refus de ces derniers, les gardes d'assaut se mirent à matraquer tous les ouvriers, y compris les membres de leur parti, après quoi ceux-ci déclarèrent abandonner le Parti national-socialiste. Ces exemples sont assez nombreux dans maintes usines et fabriques.

Suppression des assurances sociales et militarisation des chômeurs

Le Vorwärts du 22 juin 1932 a publié la documentation relative à l'établissement d'un programme-minimum fasciste. Les fascistes essayèrent alors de démentir l'exactitude des informations du Vorwärts. Que contenait ce document?

On y lit :

Il faut montrer nettement aux masses laborieuses que l'idée des assurances a perdu, au point de vue marxiste, son actualité, que la tendance humaine à l'inertie ne doit pas être stimulée et que les conséquences de cette idées ont contribué à corrompre et à assoupir les Allemands.

Pour les invalides, ce programme prévoyait un secours de 60 pfennigs par jours; encore n'était-ce que pour ceux qui auraient été examinés par une commission créée par les nationaux-socialistes.

Dès avant la venue de Hitler au pouvoir, les secours de chômage avaient été fortement réduits en Allemagne. En 1928, 60 % de tous les chômeurs touchaient l'allocation; en 1932, 29 % seulement. En mars 1933, déjà en régime fasciste, ne bénéficiaient de l'allocation que 12 % des chômeurs officiellement inscrits. Le secours de chômage avait été réduit, dès avant l'arrivée des fascistes au pouvoir, de 50 %. Autrefois, la durée du paiement des secours était de 48 semaines; aujourd'hui, elle est de 6 semaines seulement; passé ce délai, on pratique ce qu'on appelle l'enquête d'indigence, et ceux qui se présentent à la commission sont simplement rayés des listes.

Or, comme on sait, le chômage grandit en Allemagne. Pour le mois de janvier 1933 le nombre des ouvriers occupés dans l'industrie est tombé, par rapport au mois de décembre 1932, de 42,1 % à 40,2 %. Ceux qui sont restés à travailler en janvier 1933 n'ont fait que 33,3 heures par semaines, au lieu de 36,1 heures par semaine en décembre 1932.

Avant les élections du 5 mars les nationaux-socialistes avaient augmenté le secours de chômage de 2 marks par mois. Ce faisant, les fascistes voulaient montrer que leur gouvernement est le seul qui, venu au pouvoir après 1928, loin de réduire les secours aux chômeurs, les augmente quelque peu. Cette circonstance a exercé une certaine influence sur une partie des chômeurs inconscients. Le but des fascistes était donc ainsi de porter la discorde parmi les chômeurs et de préparer la suppression des assurances sociales. Par là ils feront au patronat un généreux cadeau d'un milliard de marks par an.

Les assurances, en Allemagne, sont établies de telle sorte que patrons et ouvriers versent au fonds des A.S. un certain pourcentage de leur revenu; de son côté l'État y ajoute sa part.

Maintenant les fascistes entendent établir, en guise d'assurance-chômage, le service du travail obligatoire, le travail forcé pour les chômeurs. Le but principal des camps qu'ils organisent pour les sans-travail est d'en faire une armée. Comme, d'après le traité de Versailles, l'Allemagne ne peut avoir que 100.000 hommes dans la Reichswehr, le gouvernement fasciste, par l'entraînement de la jeunesse dans les camps et par le travail forcé pour les chômeurs, entend préparer une armée nombreuse. Comptant organiser annuellement l'entraînement militaire de 600.000 jeunes chômeurs en âge d'être soldats, les fascistes entendent créer en deux ans une armée forte de un million deux cents mille hommes. Jusqu'à présent ce plan ne leur avait pas réussi, parce qu'ils ne savaient où se procurer l'argent pour aménager ces camps.

Tout en créant, sous prétexte d'aide aux chômeurs, une armée pour le cas de guerre, les fascistes, dès à présent, envoient travailler chez les hobereaux, en qualité de main-d'oeuvre d'un bon marché exceptionnel, les chômeurs des camps du " service du travail volontaire", organisés précédemment par les municipalités. Ces chômeurs font les travaux qui étaient exécutés auparavant par les ouvriers du bâtiment, les terrassiers, les bûcherons, etc., contre un salaire naturellement bien plus bas.

Suivant les "conditions", ils doivent toucher par jour 38 pfennigs en espèces et 24 pfennigs de "pécule", somme qui ne leur est pas délivrée, mais qui est portée à leur compte. Les municipalités qui subventionnent les camps paient, par chômeur, 1,79 mark par journée de travail de 6 heures et quelques heures d'entraînement par-dessus le marché. En fait, on ne dépense journellement par chômeur que 1,73 mark, puisque l'administration des camps compte 1,23 mark de subsistance par jour, 18 pfennigs pour le lit dans la caserne et 23 pfennigs pour le vêtement protecteur. Il ne reste donc que 9 pfennigs pour le paiement en espèces et le "pécule". Ce salaire, si l'on compte même 1,79 mark par jour, est inférieur à la moitié de celui que touchaient les ouvriers non qualifiés fin 1932.

Telle est la rétribution du travail des chômeurs dans les "camps de travail volontaire". Qu'en sera-t-il des camps hitlériens de travail obligatoire? Les fascistes voulaient, dans ces camps, pratiquer surtout l'entraînement militaire et ne consacrer que 2 heures par jour à la production. Cela ne les empêchera certes pas d'essayer d'utiliser cette armée comme briseurs de grève. Voilà donc ce que les fascistes veulent substituer à l'assurance sociale contre le chômage. Avant d'appliquer le service du travail obligatoire dans toute une série de provinces d'Allemagne, les gouvernements fascistes ont procédé à une forte réduction des secours aux chômeurs, ce qui a eu pour effet de provoquer parmi eux de grands mouvements d'effervescence.

Le projet de programme-minimum prévoit en outre que les fonctionnaires d'État n'adhérant pas au Parti national-socialiste seront relevés de leurs postes. Cette mesure est d'ores et déjà pleinement appliquée. Les nazis ont bouté dehors les employés et les fonctionnaires de l'État et des municipalités, non seulement les social-démocrates mais aussi les partisans du centre catholique et les démocrates, de même que les sans-parti.

La fascisation des syndicats et la politique du fouet

Par ailleurs nous lisons dans cette même documentation: "Les syndicats ouvriers doivent être remplacés par des syndicats nationaux, avec représentation paritaire des patrons et des ouvriers."

Les fascistes ont déjà mis la main sur l'appareil des syndicats. Ils entendent grouper tous les syndicats en un "syndicat unique", et bien que les dirigeants social-démocrates des syndicats réformistes leur apportent tout leur concours, les fascistes, non contents de chasser beaucoup d'entre eux des syndicats, les arrêtent même.

Les syndicats des employés se sont déjà dissous. Maints dirigeants des syndicats réformistes ayant démissionné, on a procédé aussitôt, d'accord avec les nationaux-socialistes, à l'élection de nouveaux dirigeants fascistes. Les leaders réformistes n'ont pas hésité à détruire les syndicats qu'ils avaient gardés même pendant la guerre.

Dans ce matériel-programme il est même un paragraphe relatif à la presse. On y prévoit qu'à Berlin seront interdits tous les journaux se plaçant plus à gauche que la Deutsche Allgemeine Zeitung, qui est un des journaux les plus ignobles et les plus corrompus. Cette mesure est déjà appliquée. Même le Berliner Tageblatt, journal allemand le plus populaire à l'étranger, ne continue d´"exister" que parce qu'il est passé aux fascistes.

Il y avait là encore un paragraphe disant que le P.C.A. serait saccagé et la maison Karl Liebknecht transformée en caserne pour les gardes d'assaut. La maison Karl Liebknecht est aujourd'hui le siège de la police politique des fascistes. Ainsi la "documentation pour l'établissement d'un programme-minimum" est devenue le programme que les fascistes ont mis en pratique, à quelques modifications près. Ce programme donne justement la mesure du gouvernement social.

Aumônes à la petite-bourgeoisie

Avant les élections, les fascistes avaient limité l'importation des produits agricoles. Les droits d'entrée furent majorés sur certains de ces produits jusqu'à 500 %, notamment en ce qui touche les produits consommés par les grandes masses populaires, tels que la viande congelée d'Argentine, le beurre, le lard, etc. Les fascistes avaient ordonné cette mesure pour obtenir aux élections les suffrages de la population rurale. Les dispositions prises en ce sens avantagent principalement les propriétaires fonciers, mais en partie aussi les gros paysans et les paysans moyens. En effet, les fascistes ont gagné à leur cause la majorité des campagnes.

Le gouvernement sera-t-il à même, à l'avenir, de corrompre de la sorte la paysannerie par un système de contingentement et de tarifs susceptible de maintenir artificiellement les prix élevés sur les produits agricoles, pendant que les salaires des ouvriers et les appointements des employés sont en baisse cons tante; que les secours de chômage sont de plus en plus rognés; que la masse des chômeurs non bénéficiaires d'allocations augmente sans cesse? Évidemment non. Ce système appelle et continuera d'appeler des contre-mesures de la part des autres gouvernements; quant aux prix élevés sur les produits alimentaires, ils ont provoqué et ne manqueront pas de provoquer aussi le mécontentement de la petite-bourgeoisie citadine, sur laquelle les nationaux-socialistes s'appuient principalement dans les villes.

Pour gagner à soi la campagne, surtout les propriétaires fonciers, les koulaks et les petits patrons indépendants, la bourgeoisie a établi un moratoire pour les dettes agricoles jusqu'à octobre 1933. Une partie de la bourgeoisie était contre le moratoire, en particulier les banques, mais elle l'a accepté momentanément pour des raisons politiques. Le moratoire a eu pour effet de remédier provisoirement aussi à la situation des paysans, puis qu'il suspendait la vente de leurs biens pour dettes. Ces mesures ont permis aux hitlériens de s'affermir à la campagne. Mais les banques, ne recevant pas les sommes que leur doivent même les débiteurs en mesure de payer, exercent une vigoureuse pression. Il est peu probable que le moratoire des dettes agricoles se maintienne jusqu'à octobre 1933. Les paysans se demandent, dès à présent, ce qu'ils vont faire quand le moratoire sera annulé.

Qu'est-ce que les hitlériens peuvent donner à la petite bourgeoisie urbaine? Sont-ils en mesure de fournir à toute la petite bourgeoisie sans-travail - employés, fonctionnaires, anciens officiers, etc. - des postes municipaux et d'État, vacants depuis qu'en ont été chassés les social-démocrates, les partisans du centre catholique et les démocrates? Évidemment non. Les postulants aux bonnes petites places sont légion. Or le nombre de ces places est limité. Les fascistes les distribueront surtout à leurs partisans directs.

On compte en Allemagne 6 millions d'employés et de fonctionnaires, dont 42 % de chômeurs. La bourgeoisie entend imposer une nouvelle réduction des appointements aux employés, et les hitlériens devront y consentir. Le gouvernement hitlérien ne peut rien donner à la petite bourgeoisie des villes. Rien d'étonnant à ce que, çà et là, une certaine partie des électeurs fascistes commence à voir clair. Ainsi, à Wetzlar, près de Francfort-sur-le-Main, les nationaux-socialistes ont recueilli aux élections communales, à la mi-mars, 2.683 suffrages contre 4.092 aux élections parlementaires du 5 mars 1933.

Inutile de démontrer que le régime hitlérien ne peut rien donner à la classe ouvrière que la famine, une exploitation atroce et une oppression sanglante.

Aggravation de la crise économique et financière

En même temps, la situation économique et financière de l'Allemagne est catastrophique. Si l'on suppose la production industrielle de 1928 égale à 100, elle était en 1929 de 101 %, en 1932 de 57,4 % seulement, soit une diminution de 43,6 %.

Toutes les entreprises industrielles fonctionnaient en janvier 1933 à 33,3 % de leur capacité.

De juillet 1931 à juillet 1932, 1.711 sociétés par actions avec un capital de 17,2 milliards de marks sur 10.000 sociétés avec un capital de 24,5 milliards de marks, ont publié leurs comptes rendus. Ces derniers accusent un déficit de 1.256 millions de marks pour une année. Les autres n'ont pas publié leurs comptes rendus, leur situation étant assurément encore plus grave.

L'industrie, l'agriculture, la propriété immobilière des villes, certains États provinciaux et municipalités ont, en Allemagne, une dette intérieure à longue échéance s'élevant à 63,1 milliards de marks, une dette à brève échéance de 28,1 milliards, soit au total 91,2 milliards de marks.

La dette extérieure de l'Allemagne, en dehors des réparations, s'évalue à 15 milliards de marks.

Le déficit du budget d'État allemand augmente d'année en année. Au cours de l'exercice 1932-33, il a atteint 1.808 millions de marks (y compris le déficit non couvert des années précédentes).

En fait, outre le déficit visible, il existe encore un déficit "invisible". Le rapporteur des finances du Reichsrat Brechte, dans un article publié par la Vossische Zeitung, évalue ce déficit "invisible" à deux milliards de marks.

Le produit des impôts payés par la bourgeoisie est toujours en baisse; le gouvernement ne manquera pas de renforcer encore la pression fiscale, déjà bien assez intense, sur les travailleurs. Le vol de ces derniers, sous toutes les formes, telle est la politique du fascisme. Cette politique ne saurait être appliquée sans un renforcement de la terreur la plus effrénée.

Mais le gouvernement ne peut, par la seule terreur, se maintenir longtemps même dans les pays agraires arriérés, à plus forte raison en Allemagne où l'on compte 15 millions de prolétaires qui ont l'expérience de la révolution prolétarienne et un parti communiste dressé au combat.

Politique extérieure d'aventures et de catastrophes

Les mesures de contingentement prises par le gouvernement en matière de politique extérieure ont provoqué la résistance des autres pays importateurs de marchandises allemandes.

L'exportation allemande, qui avait fortement fléchi pendant les années de crise, accuse une baisse rapide. Il en est de même pour l'importation. Voici quelques chiffres: en 1928, l'Allemagne exportait pour 14 milliards de marks de marchandises; en 1932, cette somme est tombée à 5.739 millions de marks. L'Allemagne importait en 1928 pour 12,2 milliards de marks; aujourd'hui, pour 4.677 millions de marks seulement.

En décembre 1932 il a été importé pour 423 millions de marks et exporté pour 491 millions; ainsi le solde actif au profit de l'Allemagne se chiffrait à 68 millions de marks.

En février 1933 il a été importé pour 347 millions de marks, et exporté pour 374 millions de marks. En deux mois le commerce extérieur avait diminué de 193 millions de marks. Le solde au profit de l'Allemagne n'était plus, en février, que de 27 millions de marks; or elle devait payer 100 millions de marks par mois, rien que pour les intérêts de sa dette extérieure.

L'habituelle animation saisonnière du printemps n'a que très peu amélioré la situation du commerce extérieur. En mars, il a été exporté pour 426 millions de marchandises, et il en a été importé pour 362 millions; ainsi le solde au profit de l'Allemagne se chiffrait à 64 millions de marks. Le mois d'avril a marqué de nouveau une forte réduction du commerce extérieur les entrées sont tombées à 321 millions de marks, soit une diminution de 41 millions de marks, ou 11 %, par rapport au mois de mars; les sorties sont tombées à 382 millions de marks, soit une diminution de 44 millions, ou 10 %, contre le mois de mars.

Par leur agressivité en matière de politique extérieure, en réclamant le droit de s'armer et en poursuivant d'autorité leur course folle aux armements, en affirmant la volonté de placer leurs voisins devant un "redressement" des frontières, etc., les fascistes ont aggravé violemment les rapports entre l'Allemagne d'une part, la France, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Yougoslavie et la Pologne, d'autre part.

Par leurs provocations et leur terreur inouïe à l'égard de cous les travailleurs, des intellectuels, des minorités nationales, à l'égard surtout des Juifs, ils ont suscité une haine parfaitement méritée dans le monde entier. Jamais les ouvriers de tous les pays, quelles que soient leurs opinions politiques, ne se sont élevés avec autant d'unanimité et de décision qu'ils l'ont fait contre le fascisme hitlérien. Les fascistes peuvent s'embarquer dans une aventure, ils peuvent se décider, en dépit des protestations des rapaces impérialistes plus puissants, à rattacher l'Autriche à l'Allemagne, mais il est peu probable qu'ils se déci dent à faire la guerre, d'autant plus que, par leurs actes de sauvagerie, ils se sont isolés même de ceux qui ont toujours été contre le traité de rapine de Versailles et pour l'égalité des droits à l'Allemagne.

Mais pour obtenir l´"égalité des droits" dans les conditions actuelles, l'Allemagne fasciste n'a pas d'autre voie que celle de la guerre; or celle-ci ne pourrait la conduire qu'à une catastrophe. Pendant dix ans, les fascistes avaient promis à la petite bourgeoisie le retour à l'Allemagne d'avant-guerre, forte et jouissant de l'égalité des droits. L'impuissance des fascistes en matière de politique extérieure portera la décomposition au sein de la petite bourgeoise qui les a jusqu'à présent soutenus.

Les bagarres dans le camp des fascistes

Les grandes divergences qui se manifestent à l'intérieur du bloc gouvernemental entre nationalistes et hitlériens, entre le "Casque d'acier" et les gardes d'assaut, reflètent les intérêts contradictoires au sein de la bourgeoisie elle-même. Avant l'arrivée de Hitler au pouvoir, nationaux-socialistes et nationalistes se dressaient ouvertement et violemment les uns contre les autres. Cependant, devant la gravité de la situation, la bourgeoisie insista pour que ces deux partis "fissent la paix", établissent un programme unique pour le mettre en pratique.

En effet, au moment de la prise du pouvoir, les deux partis semblaient s'être accordés. Mais, déjà à l'époque, ils entendaient se tromper et s'anéantir réciproquement. Le 5 mars, jour des élections, les nationaux-socialistes, encouragés par le fait d'avoir réussi la provocation de l'incendie du Reichstag et la mise à sac des organisations ouvrières, s'apprêtaient à écarter les nationalistes et à s'emparer du pouvoir pour régner sans partage. Mais les nationalistes, ayant appris le coup qui se préparait contre eux, avaient mandé de province leurs détachements et, au jour des élections, 25.000 hommes du "Casque d'acier" défilèrent dans les rues de Berlin. Cela eut pour effet d'ajourner l'expulsion des nationalistes du gouvernement. Au fur et à mesure que le gouvernement hitlérien en venait à réaliser son programme, les divergences s'aggravèrent entre nationaux-socialistes et nationalistes. Un conflit ouvert éclata à Brunswick, au cours duquel les chefs du "Casque d'acier" furent arrêtés. On arrêta de même 1.200 personnes venues présenter une demande d'adhésion au "Casque d'acier". On comptait parmi ces 1.200 personnes des ouvriers social-dêmocrates, notamment des ouvriers appartenant à l'organisation "la Bannière républicaine". Dans les rues la foule frappait les nationaux-socialistes, des voix clamaient: "Vive Moscou! À bas Hitler!"

Des conflits de ce genre se déroulèrent aussi en Thuringe. En guise de réplique, Goering interdit à Berlin aux nouveaux membres du "Casque d'acier" de prêter serment. À noter qu'une partie des ouvriers, assurément sous l'influence de la social-démocratie, choisissent le "moindre mal"; ils adhèrent au "Casque d'acier" qui leur semble meilleur que les sections d'assaut fascistes. C'est là l'opinion surtout des membres de l'organisation social-démocrate "la Bannière républicaine", qui espèrent, évidemment, pouvoir utiliser les possibilités "légales" au sein du "Casque d'acier".

Quel que soit le caractère de l´"armistice" intervenu entre hitlériens et nationalistes, entre gardes d'assaut et "casques d'acier", dans telle ou telle phase, il ne pourra conjurer l'accentuation inévitable de la lutte que se livrent réciproquement les "vainqueurs". Les divergences entre les différents groupes de capitalistes (qui d'une part travaillent pour l'exportation et, de l'autre, pour le marché national, etc.), entre ces groupes capitalistes et les propriétaires fonciers, entre ces derniers et les banquiers, etc., ces divergences, momentanément refoulées à l'arrière-plan par la menace d'une révolution prolétarienne, reprendront de plus belle lorsque, d'un côté, le danger aura diminué ne serait-ce que provisoirement, de l'autre quand la crise financière et économique se sera aggravée en Allemagne.

Dressons le bilan. Hitler a été porté au pouvoir par les vagues déferlantes de la crise en pleine ascension. Son parti ne peut rien donner aux travailleurs. Au contraire, la pression formidable exercée sur eux par la bourgeoisie sera renforcée par les fascistes. Le chauvinisme qui a élevé Hitler sur le pavois, se retournera contre lui lorsque les masses petites-bourgeoises se convaincront que les fascistes les avaient trompées en leur pro mettant le retour à l'Allemagne d'avant-guerre. Les masses ne manqueront pas de s'écarter des fascistes et de se dresser contre eux. Ce qui décidera en l'occurrence, ce sera la radicalisation accrue de la classe ouvrière et le changement du rapport des forces entre le Parti communiste et la social-démocratie. Le parti hitlérien ne pourra sauver la bourgeoisie allemande. Au contraire, les fascistes ne feront que hâter sa mort. Ils mènent la bourgeoisie allemande à la catastrophe.

VI. - La social-démocratie sous Hitler

Pourquoi les fascistes battent les social-fascistes

Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi les nationaux-socialistes, une fois maîtres du pouvoir, battent aussi la social-démocratie, pourquoi Hitler a non seulement interdit la presse social-démocrate, mais fait également pression sur les bureaucrates syndicaux. Les nazis n'ont-ils pas, durant dix années, marché contre le Parti social-démocrate, parce que celui-ci avait pris la tête de la révolution de 1918-1919, bien que ce fût pour la trahir, et parce que, s'agrippant à la coalition de Weimar, il leur avait rendu difficile l'accession plus rapide au pouvoir? Les fascistes avaient besoin, pour les distribuer à leurs partisans, des 400.000 bonnes petites places occupées par les social-démocrates. Or, ce n'était point chose facile, même pour les fascistes, de bouter dehors les fonctionnaires et policiers social-démocrates qui avaient, avec tant de ferveur et pendant tant d'années, défendu la bourgeoisie. Pour cela, il fallait associer, ne fût-ce que pour quelques jours, la social-démocratie à Van der Lubbe, interdire en sous-main sa presse, - pour le cas où elle s'avise rait de démasquer les provocations et actes de sauvagerie fascistes, - et chasser du même coup les social-démocrates des institutions municipales et d'État.

Les fascistes exploitent les social-démocrates pour pénétrer, par leur entremise, au sein de la classe ouvrière. Or, plus on les frappe, et plus la chose devient facile. Les fascistes savent que plus brutale sera leur pression sur les chefs du Parti social-démocrate, et plus ces derniers mettront d'empressement et de bonne volonté à aller au-devant des fascistes. Ceux-ci ne se sont pas trompés dans leur calcul.

Les fascistes ont besoin des syndicats: maîtres de ces derniers, il leur sera plus aisé de réaliser leur programme d'asservissement sanglant des ouvriers. Les leaders social-démocrates et les bureaucrates syndicaux se sont agenouillés devant les fascistes, les aidant à mettre la main sur les syndicats. Avant le coup d'État fasciste, les bureaucrates syndicaux avaient transféré à l'étranger les deniers ouvriers, qu'ils avaient accumulés à titre de cotisations. Les fascistes leur proposèrent de faire revenir ces fonds, leur laissant entendre qu'alors ils garderaient leurs postes syndicaux. Les bureaucrates, sans consulter les ouvriers, se firent transférer les fonds en question. Et maintenant que l'argent est aux mains des fascistes, ils ont chassé leurs laquais réformistes. Les dirigeants des syndicats réformistes allemands ne demandent plus s'ils doivent abandonner ou non l'Internationale d'Amsterdam, vu qu'ils sont déjà chassés par les fascistes, après les avoir aidés par toute leur activité à s'approprier l'appareil, les biens et les ressources des syndicats. D'ailleurs ceux-ci n'existent plus sous leur forme antérieure: ils sont remplacés par le Front ouvrier en formation, organisation du patronat dont les dirigeants sont nommés par les fascistes.

Le Parti social-démocrate d'Allemagne est, en fait, déjà sorti de la 2e Internationale. Le Bureau de l'Internationale syndicale d'Amsterdam s'est enfui de Berlin où il avait son siège. Les dirigeants social-démocrates des syndicats quitteront également l'Internationale d'Amsterdam, lorsque les nationaux-socialistes les sommeront de le faire. Toute la presse social-démocrate des adversaires de la révision du traité de Versailles s'est maintenant abattue sur la social-démocratie allemande, pour la seule raison que les socialistes de l'Entente comme les social-démocrates allemands soutiennent la politique impérialiste de leur bourgeoisie.

Tout comme en 1914-1918, la social-démocratie se partage nettement en deux camps hostiles, à savoir les partisans de l'orientation allemande et les partisans du traité de Versailles.

La presse social-démocrate et bourgeoise de l'Entente fait semblant de ne pouvoir comprendre que le Parti social-démocrate, qui avait des syndicats aussi solides et toutes autres organisations prolétariennes de masse, loin d'opposer une résistance à Hitler, ait mis tant d'empressement à aller au-devant de lui. Pour nous, communistes, la chose n'était pas inattendue. Nous disions aux ouvriers que la social-démocratie allemande, au cours de la révolution de novembre 1918 et après celle-ci, jusqu'à l'accession de Hitler au pouvoir, était un parti bourgeois. Elle l'est restée jusqu'ici. Elle a aidé la bourgeoisie dans tous les moments difficiles de la vie. Maintenant que le bloc bourgeois s'est formé autour du parti fasciste, la social-démocratie ne peut se dispenser d'être là où est la bourgeoisie, parce qu'elle a toujours réalisé la politique de cette dernière.

La social-démocratie est-elle déjà liquidée en Allemagne?

Cette nouvelle trahison restera-t-elle sans conséquences pour la social-démocratie et les bureaucrates syndicaux? Évidemment non. La lutte à l'intérieur de la social-démocratie est inévitable, les symptômes en sont déjà là. À Wedding (quartier ouvrier de Berlin) la social-démocratie, au lendemain du coup d'État, comptait encore 9.000 membres. Dans ce rayon elle détient 150 groupes répartis en 12 sous-rayons. Les jeunes adhérents au Parti social-démocrate, arguant de la nécessité pour l'organisation de rentrer dans l'illégalité, ont renouvelé leur direction, en ont chassé les vieux fonctionnaires des 12 sous-rayons, ainsi que de 63 groupes. Il en est de même à Luchtenberg et dans les autres rayons, où les organisations social-démocrates de base renouvellent leur direction.

Le comité berlinois du Parti social-démocrate avait interdit de convoquer des réunions de parti et d'engager des discussions, sous prétexte que cela pourrait fournir aux fascistes l'occasion de dissoudre le Parti social-démocrate. En réalité, les chefs n'avaient interdit les discussions et les réunions que parce qu'ils craignaient le mécontentement formidable qui se manifestait dans les organisations de base. Il est arrivé que des organisations social-démocrates avaient noué contact avec les organisations communistes et les cellules, s'informant ainsi de ce qui se pas sait à Berlin; çà et là elles avaient participé à la publication par les communistes de' tracts antifascistes. Influencées par les communistes, les organisations syndicales de base commencent, par endroits, à opposer une résistance à la fascisation. Ces faits vont sans doute se multiplier chaque jour davantage.

Au fur et à mesure du développement de cet état de choses, un nombre croissant d'ouvriers social-démocrates, mécontents de la politique traîtresse de leur direction, quitteront les rangs de la social-démocratie; certains d'entre eux, faisant confiance aux "phrases radicales" des hypocrites de "gauche", tenteront de créer une nouvelle organisation social-démocrate, peut-être même illégale. Quant aux ouvriers vraiment révolutionnaires, ils passeront de la social-démocratie au Parti communiste.

Pourtant, ce serait une grosse erreur de croire que la social-démocratie en Allemagne est déjà liquidée. Les fascistes vont lui restituer peu à peu sa presse, et puis ils l'autoriseront à poursuivre la démagogie qu'elle avait pratiquée avant l'accession de Hitler au pouvoir.

À l'heure actuelle la dictature fasciste est encore trop faible pour risquer cette manoeuvre. Dans la mesure où se développent les évènements, la situation devient telle qu'à défaut d'une couverture de "gauche" il sera impossible au fascisme de tenir bon. C'est alors qu'il exploitera la social-démocratie à titre de parti "gauche" pour empêcher les ouvriers de passer aux communistes.

Le P.C.A. aura un gros effort à fournir pour convaincre les ouvriers social-démocrates que la social-démocratie porte la responsabilité de la venue des fascistes au pouvoir en Allemagne. Quiconque s'imagine que les circonstances objectives s'acquitteront elles-mêmes de cette tâche, en dehors de l'action systématique, courageuse et pleine d'abnégation, du P.C.A., se trompe lourdement.

VII. - La lutte révolutionnaire en Allemagne fasciste

Le P.C. à l'oeuvre

Seul le camarade Thaelmann, de la direction du P.C.A., a été saisi par les fascistes.

Ont eu à souffrir surtout les militants de base, qui avaient discuté directement et lutté contre les fascistes et que ces derniers connaissaient personnellement. Les cadres moyens du Parti, aussi, ont été partiellement atteints.

Si graves que soient ces pertes, la direction centrale et régionale du P.C. n'est pas désorganisée.

La liaison entre le centre, les comités régionaux, les comités de rayon et, par l'intermédiaire de ceux-ci, les cellules de rue et d'usine - est, désormais, rétablie en grande partie. Les organisations du Parti, celles de la base surtout, ont procédé au travail en toute indépendance, elles font preuve d'activité, en particulier elles travaillent au lancement de tracts et de journaux. Jamais encore il n'a paru autant de tracts émanant des organisations communistes de base qu'en ces derniers temps, ce qui tient avant tout à l'absence de journaux. Bien que laissant à désirer au point de vue de la présentation matérielle (ils ne sont pas toujours imprimés en typographie), ces tracts peuvent être lus. Les membres du Parti développent une activité d'envergure. L'abandon du Parti par des adhérents instables, contrairement aux appréhensions, est très peu important. Au contraire, le P.C. attire à lui tous les éléments ouvriers révolutionnaires du Parti social-démocrate.

La Rote Fahne, organe central du P.C.A., paraît à nouveau. Le premier numéro a été diffusé en 300.000 exemplaires. Comme on sait, la Rote Fahne légale, paraissant quotidiennement, tirait en moyenne à 36.000 exemplaires seulement (l'ensemble du tirage des journaux communistes en Allemagne, avant l'interdiction, se montait à 180.000 exemplaires). Il faut obtenir que la Rote Fahne illégale paraisse périodiquement et atteigne réellement les lecteurs ouvriers.

Les correspondants étrangers informent que le premier numéro de la Rote Fahne pouvait être acheté sans difficulté; par endroits le journal était même vendu ouvertement dans les rues. Tandis que le Parti social-démocrate n'a pas son journal et ne cherche pas même à éditer de la littérature illégale, le P.C. allemand s'entretient systématiquement avec les ouvriers dans des tracts et journaux, et cela, bien que le seul fait de diffuser des publications communistes entraîne des années d'emprisonnement, voire la mise à mort sur place.

Outre la Rote Fahne, organe central, toute une série de journaux communistes ont commencé à paraître: la Hamburger Volkszeitung à Hambourg; Ruhr Echo dans la région industrielle de la Ruhr; à Bade, la Rote Fahne pour Bade et le Palatinat; Suddeutsche Arbeiterzeitung dans le Wurtemberg.

Outre les journaux régionaux, il en paraît aussi dans les divers rayons, sous-rayons et aux entreprises.

Dans le sixième rayon de Hambourg, il a été édité ces derniers temps quatre journaux et quatre tracts.

Dans tout un ensemble de rayons de Bade-Palatinat (Mannheim-Neckarau, Rheinau, Lindenhof, Waldhof, etc.) des journaux locaux ont été publiés.

Le comité du sous-rayon de Wandsbeck a déjà publié trois numéros de journal, avec un tirage toujours accru.

À Brandfeld, le journal paraît trois fois par semaine. Son tirage est supérieur de 300 % à celui de la presse légale du même sous-rayon.

À la fabrique de papier de Feldmülle, le journal Rote Volkswacht a repris à titre de journal de fabrique. Le premier numéro a été tiré à 300 exemplaires, le deuxième à 500 et le troisième à 1.000.

On pourrait multiplier ces exemples.

Bien que les fascistes aient menacé de renvoyer de l'entreprise quiconque ne se présenterait pas à la démonstration du 1 er mai et malgré le contrôle sévère au pointage des ouvriers, la grande masse des ouvriers des grandes fabriques et usines ne s'est pas présentée à la "fête du travail".

Sans l'action systématique du P.C.A. et de l'O.S.R., une telle résistance massive des ouvriers à la démonstration fasciste du 1er mai eût été impossible.

Les données dont nous disposons établissent que dans les grandes entreprises de Berlin 25 % au maximum des ouvriers ont participé aux réjouissances fascistes du 1er mai.

Outre la résistance passive, le P.C. allemand a réussi à organiser des manifestations indépendantes le jour du 1er mai. Ainsi, à Berlin, des démonstrations se sont déroulées sous la conduite des communistes; trois d'entre elles avaient commencé aux points de ralliement désignés par les fascistes. Lorsque les colonnes fascistes eurent disparu, on vit défiler aussi les communistes, drapeaux déployés, avec pancartes et au chant de l'Internationale. 13.000 ouvriers prirent part à ces trois démonstrations.

De graves conflits eurent lieu. Une démonstration imposante se déroula également à Spandau. Des manifestations du 1er mai furent montées par les organisations du P.C.A. dans bien des districts: Wasserkant (Hambourg), Halle-Mersebourg (Saxe), Thuringe, Wurtemberg, Bas-Rhin et Ruhr. Sous l'influence des communistes, les ouvriers, en de nombreuses réunions d'usines, adoptèrent la résolution de ne pas participer à la fête fasciste du 1er mai.

Tout cela doit forcément élever considérablement l'autorité du P.C.A. dans les masses.

Ces derniers temps, l'action illégale du P.C.A. s'est accentuée. Témoin les démonstrations, - peu nombreuses encore, il est vrai, pour l'instant, - organisées par le P.C.A.; la publication fréquente de journaux, de gazettes de fabrique, de tracts, d'affiches avec mots d'ordre, etc. Les tracts sont, de nouveau, diffusés à domicile. Dans les cours, apparaissent des chœurs qui lancent avec ensemble les mots d'ordre du Parti et qui, pour terminer, exécutent l'Internationale. Des orateurs communistes prennent la parole à différentes occasions.

La propagande communiste commence, d'ores et déjà, à prendre un caractère plus précis: aux entreprises la propagande du P.C. exhorte à la lutte contre les réductions de salaires, pour la défense des contrats de tarifs, pour la protection des syndicats contre les fascistes, l'expulsion des mouchards fascistes du conseil d'usine. Sur les places des marchés, un travail d'agitation est fait auprès des ménagères. La propagande est dirigée contre la hausse des prix des produits alimentaires. Dans les maisons, l'agitation est faite contre la politique des propriétaires fascistes d'immeubles, etc.

Outre les instructions orales et le contrôle de la mise en pratique des décisions, le Comité central du P.C.A. édite du matériel imprimé sous forme de lettres d'information. Celles-ci donnent une appréciation générale de la situation, les directives concrètes touchant les préparatifs et la conduite des grèves et dé monstrations; il s'y fait l'échange de l'expérience accumulée au cours de l'action.

Dans ses indications, le Comité central pose nettement la question relative à la conquête de la majorité de la classe ouvrière, à la réalisation du front unique, à l'action du Parti dans les entreprises, au travail à faire dans les syndicats, parmi les ouvriers agricoles, les paysans, etc.

Le C.C. des J.C. d'Allemagne déploie aussi une activité énergique. Dans les camps de travail " volontaire", il a réussi à monter tout une série de grèves parmi les jeunes chômeurs.

La résistance accrue aux fascistes

Le prolétariat allemand se remet petit à petit des coups fascistes. Les faits démontrent que la résistance aux fascistes grandit.

À titre d'illustration, j'en citerai quelques-uns.

À Coblentz, à la suite des perquisitions, plusieurs centaines d'ouvriers ont été arrêtés. Pour protester contre ces arrestations les ouvriers cessèrent le travail dans de nombreuses entreprises et manifestèrent, avec leurs femmes et leurs enfants, devant la prison, exigeant la mise en liberté immédiate des détenus. Les manifestants opposèrent, pendant longtemps, une résistance opiniâtre à la police fasciste auxiliaire, qui fut obligée en fin de compte de relaxer une grande partie des arrêtés.

A Plauen, après la saisie par les fascistes de la maison des syndicats, les ouvriers déclarèrent la grève et, avec les chômeurs, assaillirent le siège des syndicats dont ils délogèrent les fascistes.

À Berlin, à l'usine A.E.G. (Compagnie générale d'Électricité), à Hennigsdorf, près de 3.000 tracts communistes furent diffusés parmi les ouvriers. 70 gardes d'assaut nationaux-socialistes et 80 agents de police firent irruption dans l'usine afin d'arrêter les ouvriers diffuseurs de tracts. Le conseil d'usine mit la direction en demeure d'éloigner immédiatement les gardes d'assaut nationaux-socialistes et la police; les ouvriers avaient déclaré que si au bout de dix minutes cette revendication n'était pas satisfaite, ils arrêteraient le travail. L'action unanime de plusieurs milliers d'ouvriers contraignit la direction de l'usine à éloigner les policiers et les gardes d'assaut. Dans cette même usine les gardes d'assaut avaient tenté de diffuser leurs tracts à eux, mais les ouvriers avaient refusé d'en prendre connaissance. Comme les gardes d'assaut les menaçaient de leurs revolvers, un groupe d'auto-défense ouvrière les chassa, de même que trois autres détachements venus à la rescousse. Alors la police opéra quelques arrestations parmi les membres du conseil d'usine. Une délégation composée de communistes, de social-démocrates et d'ouvriers sans-parti, se rendit au poste de police pour demander la mise en liberté des camarades. La police ayant refusé de faire droit à cette mise en demeure, les ouvriers cessèrent le travail, obligeant ainsi à relâcher les membres du conseil d'usine.

Dans la nuit du 18 au 19 mars, l'insigne fasciste avait été découpé dans le drapeau flottant au-dessus du siège du P.C. (maison Karl Liebknecht), saisi par les fascistes ; et de nouveau le drapeau rouge avait été hissé.

À Merfelden, près de Francfort, où les communistes détiennent la majorité à la municipalité, une fusillade eut lieu entre la population ouvrière et les détachements de gardes d'as saut fascistes venus en ces lieux.

À Altona, près de Hambourg, on avait distribué des proclamations du C.C. du Parti. Les nationaux-socialistes tirèrent sur les diffuseurs de proclamations. Les communistes ripostèrent. Les fascistes, refoulés dans un quartier ouvrier, virent toute la population courir à l'aide des communistes et chasser la police et la police auxiliaire. Une bataille en règle se produisit.

À l'usine "Osram", malgré l'interdiction des fascistes de présenter la liste d'opposition, l'O.S. n'en présenta pas moins sa liste qui recueillit 768 voix et 5 mandats contre 875 aux réformistes et 336 aux fascistes. Pour apprécier cette issue des élections, il faut tenir compte de la terreur qui règne à l'usine. Tous les ouvriers portés sur la liste de l'opposition syndicale ont été arrêtés.

À Dresde, un national-socialiste avait été embauché à la manufacture de cigarettes Ienidze, en qualité de contremaître. Les ouvrières cessèrent le travail. Après une grève de deux heures, le contremaître national-socialiste partait. À Dresde et dans toute la Saxe, il faut noter, faits dont la presse ne dit rien, maintes actions contre les nationaux-socialistes et d'importantes collisions avec ces derniers.

À Stuttgart, ainsi que l'annonce la presse communiste hollandaise, les nationaux-socialistes, épaulés par la Compagnie des Tramways, organisèrent une réunion générale des ouvriers du tram. En dépit de tout le travail d'agitation préalable, il n'y vint que 500 personnes; encore convient-il de dire que les discours des nationaux-socialistes ne rallièrent pas les sympathies. Un ouvrier, prenant la parole à la réunion, proposa un ordre du jour réclamant la mise en liberté immédiate de tous les détenus politiques, motivant sa proposition par le fait que les membres révolutionnaires des conseils d'usine arrêtés par les hitlériens avaient toujours défendu les intérêts des ouvriers.

Pour empêcher que cette résolution fût votée, le rapporteur promit "qu'une enquête serait effectuée au sujet des membres arrêtés du conseil d'usine".

Cependant, sous la pression des assistants, la résolution fut mise aux voix et adoptée à l'unanimité.

A la caoutchouterie de Berlin, une grève de protestation de courte durée éclata, pour demander la libération du cama rade Thaelmann. Dans l'appel qu'ils ont lancé, les ouvriers exhortent les autres entreprises à suivre leur exemple.

Le personnel d'un trust de margarine à Berlin a nommé une délégation qui s'est rendue auprès du préfet de police pour demander la mise en liberté des ouvriers arrêtés.

À Hambourg, au cours d'une démonstration récente des ouvriers, le chef d'un détachement de police, un national-socialiste, fit tirer sur les manifestants. Mais les agents, au lieu de viser la foule, tirèrent en l'air, ce qui amena la menace du chef de tirer sur eux. C'est là une preuve du mécontentement qui règne parmi les agents eux-mêmes. Depuis les élections à Hambourg on a opéré 80 arrestations parmi les agents de police.

Du 25 mars au 10 avril on enregistre 100 grèves, dont la plupart.se sont terminées heureusement. Ces grèves avaient éclaté contre les diminutions de salaires, contre la suppression des contrats collectifs, contre les répressions, contre la pénétration des nazis dans les entreprises, etc. Ces mouvements revendicatifs furent dirigés par le P.C. et l'opposition syndicale.

Ces grèves ne rallient pas encore beaucoup de combattants et sont de brève durée, mais elles inquiètent les fascistes, parce qu'éclatant sur presque tous les points du pays.

Voici quelques exemples concrets.

À l'usine de contre-plaqué de Hambourg 1.500 ouvriers se mirent en grève pour protester contre la conduite d'un membre du conseil d'usine, un fasciste qui les avait menacés de son revolver.

600 ouvriers d'une huilerie de Hambourg débrayèrent pour protester contre l'arrestation d'un membre révolutionnaire du conseil d'usine. La grève se termina par la victoire.

Dans les ateliers de réparation, à Pankov, 1.300 ouvriers ont mis en fuite un détachement fasciste.

Aux chantiers navals de Kiel Germania, à la suite de l'arrestation du conseil d'usine rouge, les ouvriers, en débrayant, obtinrent la mise en liberté des camarades arrêtés.

À Solingen, quatre entreprises débrayèrent contre la terreur fasciste.

À Remscheid, les ouvriers de trois entreprises se mirent en grève pour protester contre l'arrestation des membres des conseils d'usine et demander la libération du camarade Thaelmann.

Des grèves eurent également lieu dans certaines entreprises de Wuppertal et Hefelsberg, à Dusseldorf, dans la grande usine Phénix, et en maints autres endroits.

Le 5 mai, la grève éclatait à l'usine d'accumulateurs Hagen en Westphalie contre l'annonce d'une réduction de salaires. Les grèves du mois de mai portent un caractère plus agressif que celles du mois d'avril.

La plus grande grève du mois de mai fut celle des imprimeries de journaux, à Berlin. Le 12 mai le personnel des imprimeries Ulstein, Mosse, du trust Scherl et de plusieurs autres, débraya pour protester contre la répression massive, l'aggravation des conditions de travail, le contrôle exercé par le commissaire fasciste et pour la réintégration des ouvriers renvoyés. Les revendications ouvrières étaient celles-ci: 1. diminution des émoluments des directeurs; 2. retrait de la diminution de 10 % imposée l'année d'avant aux salaires, et 3. renvoi des administrateurs supérieurs, membres du Parti national-socialiste, qui s'étaient signalés par leur conduite scandaleuse à l'égard des ouvriers.

Pour masquer le caractère véritable de cette grève, la direction fasciste déclara qu'elle visait les employés juifs des trusts de journaux, exigeant le licenciement des juifs.

À la suite de cette grève, 50 typographes connus de l'opposition furent arrêtés à Berlin.

Les faits montrant que les ouvriers ripostent aux fascistes, en dépit de la terreur incroyable, se multiplient chaque jour.

VIII. - Les tâches du P.C. dans les conditions nouvelles

L'initiative des organisations de base

Le P.C. allemand devait se regrouper sur le pied de l'illégalité. C'est ce qu'il a fait. Le P.C. allemand se doit de donner libre cours à la vaste initiative de ses organisations locales et il s'est attaqué dès à présent à la solution de ce problème. Auparavant les organisations du Parti attendaient d'ordinaire que le centre leur envoyât des tracts, que la direction définît son attitude à l'égard de tels ou tels événements, que leur parvinssent des instructions touchant tous les problèmes et des résumés pour orateurs. Attendre et ajourner n'est plus possible aujourd'hui.

Les directions centrale et régionales ne pouvaient plus distribuer aussi vite et avec la même régularité instructions, résumés, tracts, etc., surtout dans les premiers temps de l'illégalité du Parti, parce qu'un échelon (cadres moyens et de base) était momentanément presque paralysé, et la liaison avec les groupes locaux et cellules rompue. Mais c'est justement dans ces conditions difficiles que les cellules (de rue et d'entreprise) ont montré qu'elles-mêmes étaient capables de développer une excellente initiative. On ne peut que s'en féliciter, il faut la stimuler de toutes les manières et l'améliorer. Cela permettra au P.C. allemand d'activer le parti tout entier. C'est surtout nécessaire aujourd'hui que la vie même fait figurer la question du travail de masse au centre des préoccupations du P.C. Il faut élargir et fortifier les positions du Parti au sein des entreprises, mener le travail parmi les syndiqués, faire un effort d'agitation concrète auprès des ouvriers social-démocrates, renforcer la lutte contre la terreur fascistes, ne pas manquer une seule occasion d'alerter les masses autour de la lutte pour leurs revendications quotidiennes, contre l'offensive politique et économique du Capital. Cela en présence de la terreur sauvage continuellement exercée par le fascisme et du passage ouvert de la social-démocratie à ses côtés.

Ce n'est que lorsque chaque membre du Parti fera preuve d'une activité pleine d'abnégation à l'entreprise, au syndicat, à la Bourse du travail, etc.; lorsque les organisations communistes de base réagiront en toute indépendance, dûment et sans délai aux événements en cours, que ces tâches pourront être menées à bien.

Le travail à l'entreprise

La décision relative à l'accentuation du travail dans les entreprises ne doit pas seulement rester sur le papier, comme ç'a été malheureusement le cas jusqu'ici. Pourquoi n'avons-nous pas réussi jusqu'à présent à appliquer la décision demandant que dans chaque entreprise la cellule fasse un bon travail? On a invoqué à ce sujet une foule de prétextes divers; par exemple, on disait que cela entraînait de nombreux sacrifices, que le communiste ne pouvait se maintenir à l'usine, etc. Mais tous ces "arguments" tombent; aujourd'hui les communistes allemands ont démontré qu'ils ignorent la peur: ils descendent dans les rues, ils présentent ouvertement leurs candidatures aux élections pour les conseils d'usine, en dépit de la terreur fasciste, etc.

En 1923 le P.C.A. avait subi la défaite, entre autres, parce qu'il n'avait qu'une faible liaison avec les masses ouvrières des entreprises et qu'il ignorait par suite l'état d'esprit de ces masses. Malheureusement, aujourd'hui encore, le Parti, bien qu'ayant poussé son travail dans l'entreprise, ne l'a fait que dans une faible mesure. Si la moitié ou même un tiers de l'héroïsme dont les communistes d'Allemagne ont fait preuve dans les combats de rues contre les fascistes, avait été consacré aussi au travail dans les syndicats, dans les entreprises, le P.C.A. aurait désormais, derrière lui, la majorité de la classe ouvrière.

Or, dans les conditions actuelles de dictature fasciste, les communistes ne peuvent pas le moins du monde conserver leur liaison avec les grandes masses, sans reporter le gros de l'action au sein des entreprises. Dès maintenant, les fascistes dirigent sur les usines leurs meilleurs agitateurs et organisateurs, pour y constituer leurs organisations. Devant la crise crois sante et l'extension du chômage, une partie des ouvriers se rallie aux organisations d'usine des nationaux-socialistes, espérant ainsi se maintenir dans les entreprises. Si les communistes ne se hâtent pas de rattraper le temps perdu en matière de travail à l'usine, s'ils n'étouffent pas dans l'oeuf l'influence des fascistes; s'ils ne se mettent pas à expliquer avec méthode, intelligence et d'une façon accessible à l'entendement des ouvriers, pourquoi ces derniers ne doivent pas adhérer aux organisations d'usine nationales-socialistes, les fascistes pourront momentanément, en exerçant la terreur et la démagogie, prendre solidement pied au sein des entreprises.

Tout en déployant un vaste effort sur les lieux du travail, le P.C. doit en même temps envoyer les camarades les plus sûrs, ceux qui ne sont pas encore repérés, dans les organisations d'usine nationales-socialistes, afin de les décomposer du dedans, de dénoncer les fascistes dans leurs propres organisations. Si les communistes n'appliquent pas le maximum d'efforts à cette besogne, ils laisseront échapper une occasion extrêmement importante. Le travail à l'entreprise acquiert aujourd'hui une importance encore plus grande qu'auparavant, ce qui fait que tous les efforts des communistes doivent viser à accomplir cette tâche. Ils doivent s'efforcer par tous les moyens de pénétrer et de prendre pied dans les entreprises, et adapter, en particulier, aussi les cellules de rue à cet objectif essentiel.

La double expérience de 1923 et 1932 doit convaincre les communistes allemands que, sans s'être solidement ancrés dans les entreprises, ils ne pourront s'acquitter de la tâche essentielle nécessaire à l'organisation des forces en vue de renverser le fascisme et de réaliser victorieusement la révolution prolétarienne.

La tactique syndicale du P.C.A. dans les conditions nouvelles

Ce qui vient d'être dit est vrai aussi pour l'action à mener dans les syndicats.

Chaque membre du P.C.A. verra aujourd'hui le préjudice causé à la classe ouvrière par le fait d'avoir laissé les syndicats réformistes aux mains des bureaucrates. Les communistes se doivent de militer au sein des organisations syndicales de base contre leur fascisation. Cela ne veut point dire que les communistes peuvent jurer qu'ils ne procéderont pas à l'organisa tion de syndicats illégaux.

La solution de ce problème dépend de la situation concrète.

Les événements se déroulent en Allemagne à une telle allure, la situation des syndicats se modifie avec une telle rapidité, qu'il convient aux communistes d'avoir une tactique souple pour l'appliquer conformément au changement des conditions.

Si Hitler parvient à fasciser intégralement les syndicats, comme l'a fait Mussolini en Italie, c'est-à-dire si chaque ouvrier est tenu d'adhérer au syndicat fasciste, et que la "cotisation syndicale" soit automatiquement prélevée sur son salaire par l'employeur, les communistes devront rester et mener le travail dans ces syndicats où tous les ouvriers seront poussés de force.

Il va de soi que les communistes allemands y militeront mieux que ne l'ont fait les camarades italiens. L'Internationale communiste et l'I.S.R. n'ont pu, cinq années durant, convaincre les camarades italiens de la nécessité de militer dans les syndicats fascistes. Et lorsqu'ils s'y sont enfin décidés, l'expérience a démontré qu'il est possible de réaliser certains progrès.

Mais il peut également se faire qu'en Allemagne les fascistes, après s'être emparés des syndicats, ne réussissent pas à imposer aux ouvriers l'adhésion syndicale obligatoire et le prélèvement automatique des cotisations sur leurs salaires; ou que les organisations syndicales de base n'opposent pas une résistance suffisante à la fascisation, de sorte qu'elles aussi auront à subir le contrôle des commissaires hitlériens.

Dans l'un et l'autre cas, il est possible que, compte tenu de toutes autres conditions et du rapport des forces en présence, nous disions aux larges masses ouvrières: Quittez les syndicats fascistes, constituez vos propres syndicats illégaux. Mais avant que les communistes se décident à adopter cette tactique, il leur faut mobiliser les plus vastes contingents possible des ouvriers pour combattre la fascisation des syndicats. C'est là la tâche essentielle de notre action syndicale pour aujourd'hui.

Mais en cas d'organisation de syndicats illégaux, les communistes auront à militer aussi parmi les ouvriers qui seront restés dans les syndicats fascistes, et ils ne devront pas en retirer tous les éléments révolutionnaires. En même temps, nous pourrons nous assigner pour tâche d'organiser les grandes masses ouvrières dans les syndicats illégaux. Cette possibilité n'est pas exclue.

Si la première expérience prouvait que nos syndicats illégaux sont capables de conduire les grèves, de constituer des caisses de secours mutuels pendant les grèves, de faire preuve d'activité au combat, de mener derrière eux les masses, est-ce que nous ne chercherions pas à les élargir? Si, évidemment.

L'Allemagne de 1933 n'est pas l'Italie de 1922. Les fascistes italiens ont accédé au pouvoir au début de la stabilisation relative; dans les premières années de leur dictature ils pouvaient même, en certains cas, dans un but de démagogie, venir en aide aux ouvriers dans leur lutte antipatronale.

Il n'en va pas de même pour l'Allemagne.

Le fascisme allemand est venu au pouvoir justement parce que la bourgeoisie n'aperçoit pas d'autre issue à la crise que celle d'une offensive toujours plus implacable contre le niveau de vie des ouvriers. C'est dire que la lutte des ouvriers d'Allemagne contre les fascistes doit forcément devenir plus âpre.

Devant cette situation, il n'est pas exclu que le P.C. allemand ait la possibilité de constituer des syndicats illégaux et semi-illégaux qui lutteront pour la défense des intérêts des ouvriers, à l'opposé des syndicats fascistes, d'autant plus que ces derniers n'arriveront pas à déguiser le fait qu'ils servent le patronat.

Il ne s'ensuit pas que nous devions, dès à présent, procéder à la constitution de syndicats illégaux ou à la formulation du mot d'ordre: "Quittez les syndicats fascistes".

À nous de peser toutes ces possibilités et d'établir notre tactique en conformité avec l'évolution ultérieure des événements.

Aux communistes et aux membres de l'O.S.R. de prendre toutes les mesures pour empêcher les fascistes de fasciser les organisations syndicales de base. Dans celles où des commissaires seront désignés, les communistes et les membres de l'O.S.R. se doivent d'engager les adhérents de ces organisations syndicales de base à choisir une direction qui travaillera sur le terrain légal, semi-légal, voire illégal, si besoin est. Les syndiqués payeront leurs cotisations à leurs directions anti fascistes, et non point aux commissaires fascistes.

La dénonciation des fascistes

Il importe éminemment que les communistes développent, sans délai, une énergique agitation, orale et écrite, en vue de démasquer les fascistes. Ces derniers recourent à toute sorte de provocations et d'intrigues pour semer la désorganisation et le désarroi dans les rangs du Parti communiste.

Ainsi, ils annoncent que l'Internationale communiste a relevé le camarade Thaelmann, qu'elle a remplacé par le camarade Neumann.

Les fascistes savent que le camarade Neumann avait été écarté en son temps du travail en Allemagne, parce qu'une lutte de fractions s'était manifestée au sein du Parti; par leur information mensongère, les fascistes escomptent provoquer cette lutte au sein du P.C.A.

Mobilisant toutes les forces révolutionnaires, le Parti communiste doit élargir son influence sur toutes les couches de travailleurs et pénétrer dans les masses de la paysannerie et de la petite bourgeoisie. En qualité de points d'appui, à la campagne, il constituera des comités paysans.

Il est nécessaire aussi de mener un travail habile parmi les gardes d'assaut, où l'on trouve, bien qu'en petit nombre, des ouvriers honnêtes trompés par la démagogie national-socialiste.

Les nationaux socialistes ont su diriger leur mécontente ment non contre le capital en général, non pas même contre le capital juif, mais contre la petite bourgeoisie juive - employés, médecins, avocats, cadres techniques, etc. - en faisant passer l'excitation pogromiste contre la petite bourgeoisie juive pour la lutte contre la bourgeoisie.

Les communistes peuvent et doivent arracher ces ouvriers aux fascistes.

Aux communistes d'accentuer le travail dans la Reichswehr, où le mécontentement ne manquera pas d'éclater contre le gouvernement fasciste.

Les conditions de travail en Allemagne se modifient dès maintenant, et se modifieront à l'avenir avec encore plus de rapidité, dans le sens d'une amélioration.

La petite-bourgeoisie enragée qui, aujourd'hui, livre les communistes aux gardes d'assaut, se convaincra bientôt qu'elle a été trompée: elle se tournera vers nous, nous concédera des logements et nous rendra bien d'autres services. Sans compter les ouvriers que la dictature fasciste convainc chaque jour que nous avions raison dans notre jugement politique sur la situation actuelle, dans notre tactique, dans notre travail d'organisation.

Les événements de chaque jour montrent et montreront aux ouvriers que le P.C. est le seul parti qui défende réellement les intérêts du prolétariat et qui l'organise pour la victoire sur la bourgeoisie et pour l'édification du socialisme. Le P.C. allemand a démontré, après le coup d'État, qu'il saura organiser la classe ouvrière dans la lutte pour la prise du pouvoir.

L'organisation de la victoire

De ce que le mot d'ordre de l'insurrection armée, en tant que mot d'ordre d'action, aurait eu des conséquences néfastes pour l'avant-garde prolétarienne en mars 1933, et qu'à plus forte raison il est exclu à l'heure actuelle, il ne faut pas le moins du monde conclure que nous devons écarter l'orientation vers les préparatifs d'une insurrection armée. Ce sont là deux choses absolument différentes.

En présence de la maturation de la crise révolutionnaire dans le pays, le processus de révolutionnement des masses peut s'effectuer très rapidement.

Rappelons-nous les journées de juillet 1917 en Russie.

Peut-être les bolchéviks détenaient-ils alors la majorité à Pétersbourg, mais ils ne l'avaient pas dans tout le pays.

À Moscou, au début de juillet, les bolchéviks ne pouvaient pas déclencher des manifestations; mais en août, ils réalisèrent la grève générale pendant la Conférence d'État à Moscou, en dépit de la décision du plénum du Soviet de cette ville, qui exhortait le prolétariat à ne pas faire grève sur l'appel des bolchéviks.

Or, pendant la révolution d'Octobre, l'immense majorité du prolétariat avait rallié les bolchéviks. Pourtant, quelques mois seulement séparaient l'insurrection armée d'Octobre des journées de juillet.

Il va sans dire que je ne mets pas en parallèle juillet 1917 (situation révolutionnaire) et avril 1933, alors qu'il n'existait pas encore en Allemagne de situation révolutionnaire. Néanmoins, les choses peuvent également y prendre la même tournure. Au fur et à mesure que mûrira la crise révolutionnaire, les grandes masses se rallieront au P.C. allemand.

Le recul momentané de la classe ouvrière, qu'on ne saurait nier sans s'abuser, ne signifie cependant pas que la maturation de la crise révolutionnaire soit arrêtée.

Grâce à la juste tactique du Parti communiste, la classe ouvrière d'Allemagne n'a pas encore accepté le combat décisif contre la bourgeoisie. Son avant-garde - le Parti communiste - n'est pas écrasée; elle ne s'est pas coupée des masses. Le P.C. allemand vit, il a engagé la lutte dans de nouvelles conditions, manifestant ses capacités de manœuvre, son esprit de sacrifice, sa fermeté en cette lutte.

L'influence et l'autorité du Parti communiste au sein des masses ouvrières grandissent, alors que s'affirment pleinement la décadence et la dégénérescence politiques et morales du camp de la social-démocratie.

D'autre part, dans le chapitre "Le gouvernement hitlérien gardera-t-il le pouvoir?" nous avons indiqué les facteurs objectifs qui rendent inévitable la politique d'aventures, intérieure et extérieure, du fascisme, politique le rapprochant de la catastrophe.

Comme un fauve frappé d'un coup, non mortel encore, il est vrai, la bourgeoisie allemande se démène en tous sens, cherchant à fuir le chasseur, et finit par tomber dans ses mains.

La crise révolutionnaire précipitera la fin du fascisme allemand.

Travaillant à gagner à eux la majorité de la classe ouvrière; à concentrer leur action dans les principales industries, dans les plus grosses fabriques et usines; à obtenir un revirement dans l'état d'esprit de la petite bourgeoisie et à la couper du fascisme; à utiliser enfin les désaccords qui se manifestent au sein même de la bourgeoisie, les communistes ne cachent pas qu'ils s'orientent vers le renversement, par les armes, de la dictature fasciste.

À mesure que le P.C. allemand arrachera la majorité des ouvriers à l'influence de la social-démocratie et les conduira à la lutte contre les fascistes, on verra se former des conditions où l'insurrection armée, de mot d'ordre de propagande, se transformera en mot d'ordre d'action, où le Parti procédera à la réalisation pratique.

La révolution prolétarienne est inévitable en Allemagne. Au P.C. allemand de faire tout son possible pour gagner la majorité de la classe ouvrière, organiser la révolution, en prendre la tête et la conduire à la victoire complète.

 

 

 

 

 

Notes



[1].     [321ignition] Les annotations sont formulées par nous en tenant compte d'éventuelles notes figurant dans la source.

[2].     En 1930, les entreprises où travaillaient 5,9 millions de membres de conseils d'usine, appartenant aux syndicats réformistes, comptaient 89,9 % de tous les membres de conseils d'usine. [O.P.]

[3].     L'Opposition syndicale révolutionnaire. [NdE]

[4].     Lénine, Oeuvres complètes, t. xxv, p. 222, éd. russe. [NdE]