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7e Congrès de l'Internationale communiste
(25 juillet - 21 août 1935)

Georgi Dimitrov ‑ Rapport :
L'Offensive du fascisme et les tâches de l'IC dans la lutte
pour l'unité de la classe ouvrière contre le fascisme
(Extraits)

 

 

Source:

VIIe congrès mondial de l'Internationale communiste. 25 juillet‑21 août 1935. Compte rendu sténographique, La Correspondance internationale, 1935 [1].

 

 

 

 

 

 

 

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L'IC et la question de la tactique ‑ Sommaire

 

 

 

 

 

 

[...]

Le gouvernement de front unique.

Nous nous orientons résolument, hardiment vers le front unique de la classe ouvrière, et nous sommes prêts à le mettre en pratique avec tout l'esprit de suite nécessaire.

À la question de savoir si, sur le terrain du front unique, nous, communistes, pour préconisons seulement la lutte pour les revendications partielles, ou si nous sommes prêts à partager les responsabilités même au moment où il s'agira de former un gouvernement sur la base du front unique, nous répondrons, pleinement conscients de nos responsabilités: oui, nous envisageons l'éventualité d'une situation telle que la formation d'un gouvernement de front unique prolétarien ou de Front populaire antifasciste devienne non seulement possible, mais indispensable dans l'intérêt du prolétariat. Et, dans ce cas, nous interviendrons sans aucune hésitation pour la formation d'un tel gouvernement.

Je ne parle pas ici du gouvernement qui peut être formé après la victoire de la révolution prolétarienne. Evidemment, la possibilité n'est pas exclue que, dans un pays quelconque, aussitôt après le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie, un gouvernement soviétique puisse être formé sur la base d'un bloc gouvernemental du Parti communiste avec tel autre parti (ou son aile gauche) qui participe à la révolution. On sait qu'après la Révolution d'Octobre, le Parti des bolchéviks russes vainqueur a fait aussi entrer dans la composition du gouvernement soviétique les représentants des socialistes révolutionnaires de gauche. Telle fut la partie du premier gouvernement soviétique constitué après la victoire de la Révolution d'Octobre.

Il ne s'agit pas d'un cas de ce genre, mais de la formation possible d'un gouvernement de front unique à la veille de la victoire de la révolution soviétique et avant cette victoire.

Qu'est-ce que ce gouvernement? Et dans quelle situation peut-il en être question?

C'est avant tout un gouvernement de lutte contre le fascisme et la réaction. Ce doit être un gouvernement qui prend naissance comme fruit du mouvement de front unique et ne limite en aucune manière l'activité du Parti communiste et des organisations de masse de la classe ouvrière, mais, au contraire, prend des mesures résolues contre les magnats contre-révolutionnaires de la finance et leurs agents fascistes.

Au moment propice, en s'appuyant sur le mouvement grandissant de front unique, le Parti communiste du pays donné interviendra pour la formation d'un tel gouvernement sur la base d'une plate-forme antifasciste déterminée.

Dans quelles conditions objectives la formation d'un tel gouvernement sera-t-elle possible? À cette question, on peut répondre sous la forme la plus générale: dans les conditions d'une crise politique, le jour où les classes régnantes ne sont plus en état de maîtriser le puissant essor du mouvement antifasciste de masse. Mais ce n'est là que la perspective générale sans laquelle il ne sera guère possible en pratique de former un gouvernement de front unique. Seule, la présence de conditions particulières déterminées peut inscrire à l'ordre du jour la question de former ce gouvernement comme une tâche politiquement indispensable. Il me semble qu'en l'occurrence les conditions suivantes méritent la plus grande attention:

Premièrement, que l'appareil d'Etat de la bourgeoisie soit suffisamment désorganisé et paralysé, en sorte que la bourgeoisie ne puisse empêcher la formation d'un gouvernement de lutte contre la réaction et le fascisme.

Deuxièmement, que les grandes masses de travailleurs, et particulièrement les syndicats de masse, se dressent impétueusement contre le fascisme et la réaction, mais sans être encore prêtes à se soulever pour lutter sous la direction du Parti communiste pour la conquête du pouvoir soviétique.

Troisièmement, que la différenciation et l'évolution à gauche dans les rangs de la social-démocratie et des autres partis participant au front unique aient déjà abouti à ce résultat qu'une partie considérable d'entre eux exigent des mesures implacables contre les fascistes et les autres réactionnaires, luttent en commun avec les communistes contre le fascisme et interviennent ouvertement contre les éléments réactionnaires de leur propre Parti hostiles au communisme.

Quand et dans quels pays interviendra en fait une situation de ce genre, avec ces conditions données dans une mesure suffisante, c'est ce qu'on ne saurait dire à l'avance, mais une telle possibilité n'étant exclue dans aucun des pays capitalistes, nous devons en tenir compte, et non seulement nous orienter nous-mêmes vers elle et nous y préparer, mais orienter aussi en conséquence la classe ouvrière.

Si, d'une façon générale, nous mettons aujourd'hui cette question à l'étude, c'est évidemment en rapport avec notre appréciation de la situation et de la perspective de développement immédiat, comme avec le développement réel du mouvement de front unique dans une série de pays dans les derniers temps. Pendant plus de dix années, la situation dans les pays capitalistes a été telle que l'Internationale communiste n'avait pas à examiner des problèmes de ce genre.

Vous vous rappelez, qu'à notre IVe congrès, en 1922 et encore au Ve congrès en 1924, nous avons étudié le mot d'ordre du gouvernement ouvrier ou ouvrier et paysan. En cela, il s'agissait primitivement, au fond, d'une question presque analogue à celle que nous posons aujourd'hui. Les débats qui s'engagèrent alors dans l'Internationale communiste autour de cette question et surtout, les fautes politiques commises dans ce domaine ont maintenant encore de l'importance pour accentuer notre vigilance contre le danger de dévier à droite ou à gauchede la ligne bolchévik dans cette question.

C'est pourquoi je signalerai brièvement certaines de ces fautes, afin d'en tirer les enseignements nécessaires pour la politique actuelle de nos Partis.

La première série de fautes résultait précisément du fait que la question du gouvernement ouvrier n'était pas rattachée clairement et fermement à l'existence d'une crise politique. Grâce à cette circonstance, les opportunistes de droite pouvaient interpréter les choses de façon à faire croire qu'il convient de viser à la formation d'un gouvernement ouvrier soutenu par le Parti communiste dans n'importe quelle situation, comme on dit: dans une situation “normale”. Les ultra-gauches, au contraire, ne reconnaissaient que le gouvernement ouvrier susceptible d'être créé uniquement par le moyen de l'insurrection armée, après le renversement de la bourgeoisie. L'un et l'autre points de vue étaient faux et c'est pourquoi, afin d'éviter la répétition de pareilles erreurs, nous mettons aujourd'hui si fortement l'accent sur le décompte exact des conditions concrètes particulières de la crise politique et de l'essor du mouvement de masse dans lesquelles la création d'un gouvernement de front unique peut s'avérer possible et politiquement indispensable.

La deuxième série de fautes résultait du fait que la question du gouvernement ouvrier n'était pas liée au développement d'un vaste mouvement combatif de front unique du prolétariat. C'est pourquoi les opportunistes de droite avaient la possibilité de déformer la question en la ramenant à une tactique sans principe de blocage avec les Partis social-démocrates sur la base de combinaisons purement parlementaires. Les ultra-gauches, au contraire, criaient: "Aucune coalition avec la social-démocratie contrerévolutionnaire!" en considérant, par essence, tous les social-démocrates comme des contre-révolutionnaires.

L'un et l'autre points de vue étaient faux; et maintenant nous soulignons, d'une part, que nous ne voulons pas le moins du monde d'un “gouvernement ouvrier” qui soit purement et simplement un gouvernement social-démocrate élargi. Nous préférons même renoncer à la dénomination de “gouvernement ouvrier” et nous parlons d'un gouvernement de front unique, qui, par son caractère politique, est tout à fait différent, différent en principe, de tous les gouvernements social-démocrates qui ont coutume de s'intituler “gouvernement ouvrier”. Alors que le gouvernement social-démocrate représente une arme de la collaboration de classe avec la bourgeoisie dans l'intérêt de la conservation du régime capitaliste, le gouvernement de front unique est un organisme de collaboration de l'avant-garde révolutionnaire du prolétariat avec les autres partis antifascistes dans l'intérêt du peuple travailleur tout entier, un gouvernement de lutte contre le fascisme et la réaction. Il est clair que ce sont là deux choses foncièrement différentes.

D'un autre côté, nous soulignons la nécessité de voir la différence qu'il y a entre les deux camps distincts de la social-démocratie. Comme je l'ai déjà indiqué, il existe un camp réactionnaire de la social-démocratie, mais, en même temps, il existe et grandit un camp de social-démocrates de gauche (sans guillemets), d'ouvriers en train de devenir révolutionnaires. La différence décisive qu'il y a entre eux réside pratiquement dans leur attitude à l'égard du front unique de la classe ouvrière. Les social-démocrates réactionnaires sont contre le front unique, ils calomnient le mouvement de front unique, ils le sabotent et le désagrègent, parce qu'il fait échec à leur politique de conciliation avec la bourgeoisie. Les social-démocrates de gauche sont pour le front unique; ils défendent, développent et renforcent le mouvement de front unique. Ce mouvement de front unique étant un mouvement de combat contre le fascisme et la réaction, constituera une force motrice permanente poussant le gouvernement de front unique à la lutte contre la bourgeoisie réactionnaire. Plus ce mouvement de masse se développera puissamment, et plus grande sera la force qu'il pourra mettre à la disposition du gouvernement pour combattre les réactionnaires. Mieux ce mouvement de masse sera organisé à la base, plus vaste sera le réseau des organismes de classe hors-parti du front unique dans les entreprises parmi les chômeurs, dans les quartiers ouvriers, parmi les petites gens de la ville et de la campagne, et plus on aura de garantie contre la dégénérescence possible de la politique du gouvernement de front unique.

La troisième série de points de vue erronés qui est apparue dans les débats précédents, concernait précisément la politique pratique du “gouvernement ouvrier”. Les opportunistes de droite estimaient que le “gouvernement ouvrier” doit se tenir “dans le cadre de la démocratie bourgeoise”; que, par conséquent, il ne doit entreprendre aucune démarche débordant de ce cadre. Les ultra-gauches, au contraire, se refusaient en fait à toute tentative de former un gouvernement de front unique.

En Saxe et en Thuringe, on a pu voir, en 1923, un tableau très édifiant de la pratique opportuniste de droite du “gouvernement ouvrier”. L'entrée des communistes dans le gouvernement de Saxe avec les social-démocrates de gauche (groupe de Zeigner) n'était pas une faute par elle-même; au contraire, la situation révolutionnaire de l'Allemagne justifiait pleinement cette démarche. Mais, faisant partie du gouvernement, les communistes auraient dû utiliser leurs positions avant tout pour armer le prolétariat. Ils ne l'ont pas fait.

Ils n'ont pas même réquisitionné un seul des appartements des riches, bien que la pénurie de logements chez les ouvriers fût si grande que beaucoup d'entre eux, avec leurs enfants et leur femme, restaient sans abri. Ils n'ont rien entrepris non plus pour organiser le mouvement révolutionnaire des masses ouvrières. Ils se conduisaient en général comme de vulgaires ministres parlementaires “dans le cadre de la démocratie bourgeoise”. C'était là le fruit, comme on le sait, de la politique opportuniste de Brandler et de ses partisans. Il en est résulté une telle banqueroute que, maintenant encore, nous nous voyons obligés de nous référer au gouvernement de Saxe comme à un exemple classique de la façon dont les révolutionnaires ne doivent pas se conduire au gouvernement.

Nous exigeons de chaque gouvernement de front unique une tout autre politique. Nous exigeons de lui qu'il réalise des revendications révolutionnaires radicales, déterminées, répondant à la situation. Par exemple, le contrôle de la production, le contrôle des banques, la dissolution de la police, son remplacement par la milice ouvrière armée, etc.

Il y a quinze ans, Lénine nous appelait à concentrer toute notre attention sur la "recherche des formes de transition ou de rapprochement conduisant à la révolution prolétarienne". Le gouvernement de front unique s'avérera peut-être, dans une série de pays, une des principales formes de transition. Les doctrinaires “de gauche” ont toujours passé outre à cette indication de Lénine; tels des propagandistes bornés, ils ne parlaient que du “but”, sans jamais se préoccuper des "formes de transition". Quant aux opportunistes de droite, ils tendaient à établir un certain “stade intermédiaire démocratique” entre la dictature de la bourgeoisie et la dictature du prolétariat, pour inculquer aux ouvriers l'illusion d'une paisible promenade parlementaire d'une dictature à une autre. Ce “stade intermédiaire” fictif, ils l'intitulaient aussi “forme transitoire”, et ils se référaient même à Lénine! Mais il n'était pas difficile de dévoiler cette filouterie; car Lénine parlait d'une forme de transition et de rapprochement conduisant à la “révolution prolétarienne”, c'est-à-dire au renversement de la dictature bourgeoise, et non pas d'on ne sait quelle forme de transition entre la dictature bourgeoise et la dictature prolétarienne.

Pourquoi Lénine attribuait-il une importance aussi considérable à la forme de transition conduisant à la révolution prolétarienne?

Parce qu'il avait en vue la "loi fondamentale de toutes les grandes révolutions", la loi d'après laquelle la propagande et l'agitation seules ne peuvent remplacer pour les masses leur propre expérience politique, lorsqu'il s'agit de faire ranger véritablement les grandes masses de travailleurs aux côtés de l'avant-garde révolutionnaire, sans quoi la lutte victorieuse pour le pouvoir est impossible. La faute ordinaire d'acabit gauchiste, c'est l'idée que, dès que surgit une crise politique (ou révolutionnaire), il suffit à la direction communiste de lancer le mot d'ordre de l'insurrection révolutionnaire pour que les grandes masses le suivent. Non, même quand il s'agit d'une crise de ce genre, les masses sont loin d'y être toujours préparées. Nous l'avons vu par l'exemple de l'Espagne. Aider les masses innombrables à comprendre le plus vite possible, par leur propre expérience, ce qu'il leur faut faire, où trouver l'issue décisive, quel parti mérite leur confiance: voilà pourquoi sont nécessaires entre autres les mots d'ordre transitoires, ainsi que les "formes" particulières "de transition ou de rapprochement conduisant à la révolution prolétarienne". Sinon, les grandes masses populaires, soumises à l'influence des illusions et des traditions démocratiques petites-bourgeoises, peuvent, même en présence d'une situation révolutionnaire, hésiter, temporiser et errer sans trouver la voie de la révolution, ‑ pour tomber ensuite sous les coups des bourreaux fascistes.

C'est pourquoi nous envisageons la possibilité de former dans les conditions d'une crise politique, un gouvernement de front unique antifasciste. Dans la mesure où ce gouvernement engagera réellement la lutte contre les ennemis du peuple, accordera la liberté d'action à la classe ouvrière et au Parti communiste, nous, communistes, nous le soutiendrons par tous les moyens et, en soldats de la révolution, nous nous battrons en première ligne. Mais nous le disons ouvertement aux masses: ce gouvernement-là ne peut pas apporter le salut définitif. Il n'est pas en mesure de renverser la domination de classe des exploiteurs, et c'est pourquoi il ne peut pas non plus écarter définitivement le danger de la contre-révolution fasciste. En conséquence, il est nécessaire de se préparer pour la révolution socialiste. Le salut ne viendra que du pouvoir soviétique, de lui seul!

En appréciant le développement actuel de la situation mondiale, nous voyons qu'une crise politique mûrit dans tout un ensemble de pays. Et c'est là ce qui détermine la haute actualité et la haute importance de la ferme résolution prise par notre congrès sur la question du gouvernement de front unique.

Si nos Partis savent utiliser, à la manière bolchévik, la possibilité de former un gouvernement de front unique, la lutte autour de sa formation, de même que l'exercice du pouvoir par un tel gouvernement, pour la préparation révolutionnaire des masses, on aura là, également, la meilleure justification politique de notre orientation vers la création d'un gouvernement de front unique.

[...]

 

 

 

 

 



[1]. Cf. le texte complet .