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Vladimir I. Lénine

L'État et la révolution

(Extraits)

 

 

Cette page est associée au texte Aux sources de la social-démocratie: Ferdinand Lassalle, qui fait référence au livre dont nous reproduisons ici des extraits.

 

 

 

 

 

 

Source:

Vladimir I. Lénine: Oeuvres, Tome 25
Paris, Éditions sociales, 1957, p. 424‑427

 

 

 

 



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Chapitre I : La société de classes et l'État

[...]

3. L'État, instrument pour l'exploitation de la classe opprimée

Pour entretenir une force publique spéciale, placée au-dessus de la société, il faut des impôts et une dette publique.

"Disposant de la force publique et du droit de faire rentrer les impôts, écrit Engels, les fonctionnaires, comme organes de la société, sont placés au-dessus de la société. La libre estime qu'on témoignait de plein gré aux organes de l'organisation gentilice [clanale] ne leur suffit point, même en supposant qu'ils pourraient en jouir..." Des lois d'exception ont été décrétées proclamant la sainteté et l'inviolabilité des fonctionnaires. "Le plus vil policier a plus d´"autorité" que le représentant du clan, mais même le chef militaire d'un État civilisé peut envier au représentant d'un clan l´"estime spontanée" dont il jouissait dans la société.

Le problème de la situation privilégiée des fonctionnaires en tant qu'organes du pouvoir d'État se trouve ainsi posé. L'essentiel est de savoir ce qui les place au-dessus de la société. Nous verrons comment cette question de théorie fut résolue dans la pratique par la Commune de Paris en 1871, et estompée dans un esprit réactionnaire par Kautsky en 1912.

"Comme l'État est né du besoin de refréner des oppositions de classes, mais comme il est né, en même temps, au milieu du conflit de ces classes, il est, dans la règle, l'État de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée." Non seulement l'État antique et l'État féodal furent les organes de l'exploitation des esclaves et des serfs, mais "l'État représentatif moderne est l'instrument de l'exploitation du travail salarié par le Capital. Exceptionnellement, il se présente pourtant des périodes où les classes en lutte sont si près de s'équilibrer que le pouvoir de l'État, comme pseudo-médiateur, garde pour un temps une certaine indépendance vis-à-vis de l'une et de l'autre." Telle la monarchie absolue des XVIIe et XVIIIe siècles, tel le bonapartisme du Premier et du Second Empire en France, tel le régime de Bismarck en Allemagne.

Tel, ajouterons-nous, le gouvernement Kérenski dans la Russie républicaine, après qu'il a commencé à persécuter le prolétariat révolutionnaire, à un moment où les Soviets, du fait qu'ils sont dirigés par des démocrates petits-bourgeois, sont déjà impuissants, tandis que la bourgeoisie n'est pas encore assez forte pour les dissoudre purement et simplement.

Dans la république démocratique, poursuit Engels, "la richesse exerce son pouvoir d'une façon indirecte, mais d'autant plus sûre", à savoir: premièrement, par la "corruption directe des fonctionnaires" (Amérique); deuxièmement, par l´"alliance entre le gouvernement et la Bourse" (France et Amérique).

Aujourd'hui, dans les républiques démocratiques quelles qu'elles soient, l'impérialisme et la domination des banques ont "développé", jusqu'à en faire un art peu commun, ces deux moyens de défendre et de mettre en oeuvre la toute-puissance de la richesse. Si, par exemple, dès les premiers mois de la république démocratique de Russie, pendant la lune de miel, pourrait-on dire, du mariage des "socialistes" ‑ socialistes-révolutionnaires et menchéviks ‑ avec la bourgeoisie au sein du gouvernement de coalition, M. Paltchinski a saboté toutes les mesures visant à juguler les capitalistes et à refréner leurs exactions, leur mise au pillage du Trésor par le biais des fournitures militaires; et si ensuite M. Paltchinski, sorti du ministère (et remplacé naturellement par un autre Paltchinski, tout pareil), est "gratifié" par les capitalistes d'une sinécure comportant un traitement de 120 000 roubles par an, qu'est-ce donc que cela? De la corruption directe ou indirecte? Une alliance du gouvernement avec les syndicats capitalistes, ou des relations amicales? Quel rôle jouent les Tchernov et les Tsérétéli, les Avksentiev et les Skobélev? Sont-ils les alliés "directs" ou seulement indirects des millionnaires dilapidateurs des deniers publics?

La toute-puissance de la "richesse" est plus sûre en république démocratique, parce qu'elle ne dépend pas des défauts de l'enveloppe politique du capitalisme. La république démocratique est la meilleure forme politique possible du capitalisme; aussi bien le Capital, après s'en être emparé (par l'entremise des Paltchinski, Tchernov, Tsérétéli et Cie), assoit son pouvoir si solidement, si sûrement, que celui-ci ne peut être ébranlé par aucun changement de personnes, d'institutions ou de partis dans la république démocratique bourgeoise.

Il faut noter encore qu'Engels est tout à fait catégorique lorsqu'il qualifie le suffrage universel d'instrument de domination de la bourgeoisie. Le suffrage universel, dit-il, tenant manifestement compte de la longue expérience de la social-démocratie allemande, est:

"... l'indice qui permet de mesurer la maturité de la classe ouvrière. Il ne peut être rien de plus, il ne sera jamais rien de plus dans l'État actuel."

Les démocrates petits-bourgeois tels que nos socialistes-révolutionnaires et nos menchéviks, de même que leurs frères jumeaux, tous les social-chauvins et opportunistes de l'Europe occidentale, attendent précisément quelque chose "de plus" du suffrage universel. Ils partagent eux-mêmes et inculquent au peuple cette idée fausse que le suffrage universel, "dans l'État actuel", est capable de traduire réellement la volonté de la majorité des travailleurs et d'en assurer l'accomplissement.

Nous ne pouvons ici que relever cette idée fausse, en indiquant simplement que la déclaration absolument claire, précise et concrète d'Engels est altérée à chaque instant dans la propagande et l'agitation des partis socialistes "officiels" (c'est-à-dire opportunistes). La suite de notre exposé des vues de Marx et d'Engels sur l'État "actuel" explique en détail toute la fausseté de la conception que réfute ici Engels.

Voici en quels termes celui-ci donne, dans son ouvrage le plus populaire, le résumé d'ensemble de ses conceptions:

"L'État n'existe donc pas de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui se sont tirées d'affaire sans lui, qui n'avaient aucune idée de l'État et du pouvoir d'État. À un certain stade du développement économique, qui était nécessairement lié à la division de la société en classes, cette division fit de l'État une nécessité. Nous nous rapprochons maintenant à pas rapide d'un stade de développement de la production dans lequel l'existence de ces classes a non seulement cessé d'être une nécessité, mais devient un obstacle positif à la production. Ces classes tomberont aussi inévitablement qu'elles ont surgi autrefois. L'État tombe inévitablement avec elles. La société, qui réorganisera la production sur la base d'une association libre et égalitaire des producteurs, reléguera toute la machine de l'État là où sera dorénavant sa place: au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze."

On ne rencontre pas souvent cette citation dans la littérature de propagande et d'agitation de la social-démocratie contemporaine. Mais, même lorsqu'elle se rencontre, on la reproduit le plus souvent comme si l'on voulait s'incliner devant une icône, c'est-à-dire rendre officiellement hommage à Engels, sans le moindre effort de réflexion sur l'étendue et la profondeur de la révolution qu'implique cette "relégation de toute la machine de l'État au musée des antiquités". La plupart du temps, il ne semble même pas que l'on comprenne ce qu'Engels veut dire par machine de l'État.

[Fin du sous-chapitre 3]

 

 

 

 

 

Notes