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Français > Analyses > |
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"Réussir les 35 heures", |
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Le texte reproduit ci-dessous a été publié par le CEMOPI. |
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Source: Bulletin international |
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Le slogan d'une réduction massive du temps de travail, après avoir traversé les affres de l'Union de la gauche, a resurgi grâce au retour aux affaires du Parti socialiste, à l'issue des élections législatives de juin 1997. Il est vrai que les défenseurs du partage du travail, tels que Alain Lipietz[1] et autres, n'avaient jamais perdu leur foi en ce remède supposé face au chômage omniprésent. Cependant, le gouvernement actuel s'en trouve fort embarrassé d'avoir à donner suite à une promesse électorale que la Gauche avait été amenée à formuler dans le souci de séduire les électeurs. Bien entendu, le capital n'a jamais voulu qu'on lui impose une telle mesure. Même au plus fort de la crise, les employeurs ont recours à d'autres moyens, préférables de leur point de vue, pour restreindre la production en fonction de la conjoncture, du manque de débouchés. Y compris en supposant un maintien du taux de plus-value par le biais d'une réduction proportionnelle des salaires, une réduction générale du temps de travail par voie législative, sans être absolument irréversible, est source de complications lorsqu'il s'agit, dans une phase d'expansion ultérieure, d'augmenter le volume de marchandises. Les accords conclus dans le cadre de la "loi Robien" notamment, évitent cette "rigidité" tant pourfendue par le patronat. Ainsi, par exemple, à la société Turbomeca, la direction a signé ultérieurement un avenant suspendant un accord de réduction du temps de travail conclu en 1996, en arguant d'une reprise des commandes[2]. C'est ce qui motive l'opposition de principe manifestée par le patronat, d'abord autour de la conférence tripartite convoquée par le gouvernement en septembre 1997, ensuite tout au long des débats parlementaires. Cela dit, que le gouvernement ait maintenu l'instauration des 35 heures ne signifie nullement une défaite du capital. Simplement, on a assisté pendant cette période à un jeu de rôles permettant au gouvernement de sauver la face tout en orientant le cours des choses à l'avantage des employeurs. Ceux-ci, sous couvert de se voir imposer les 35 heures, obtiennent la possibilité d'avancer à pas de charge dans l'attaque qu'ils mènent depuis les années 80 afin de mettre en oeuvre la flexibilité sous tous ses aspects, notamment l'annualisation du temps de travail. Le PCF tente de faire apparaître son soutien à la "loi Aubry" sous un jour favorable. Entre autre, le groupe communiste à l'Assemblée nationale a soumis un amendement visant à majorer l'aide aux entreprises qui créent plus d'emplois que le minimum obligatoire ou prennent des engagements envers les publics en situation difficile, amendement qui d'ailleurs a été retenu[3]. Ce type de disposition ne modifie pas pourtant le caractère nocif global de la loi; bien au contraire, en l'occurrence il s'agit encore et toujours d'apporter des fonds aux employeurs, et l'apparence "sociale" du critère ne sert que d'enjoliveur. Ce petit jeu des amendements prétendument "progressistes" frise parfois le ridicule. La loi stipule que, dans le cas où l'entreprise est dépourvue de délégué syndical et n'est pas couverte par un accord de branche organisant le mandatement, un salarié de l'entreprise peut être mandaté par une organisation syndicale représentative pour négocier l'accord de réduction du temps de travail. À ce propos, un amendement introduit par le PCF prévoit que ce salarié peut se faire accompagner d'un collègue de son choix pour négocier avec la direction[4]. L'intérêt de ce genre de disposition est minime, la seule motivation de la démarche étant de faire en sorte que la caution apportée par le PCF à la Loi n'apparaisse pas trop ouvertement comme une compromission. Indépendamment des présentations publicitaires, l'élément essentiel réside dans le contexte créé par la période de négociation de deux ans à laquelle la loi‑cadre de printemps 1998 donne le coup d'envoi. Les employeurs sont mis en situation on ne peut plus favorable pour imposer leurs conditions. Ces négociations entreprise par entreprise sont faites pour désarmer la classe ouvrière. Pourtant, certains parmi ceux qui avaient autrefois dénoncé à juste titre diverses dispositions législatives adoptées au fil du temps pour saboter la force syndicale, capitulent maintenant tout en tenant des discours soi-disant offensifs sur la question en général ("réussir les 35 heures") et en particulier sur celle des mandatements. Au sujet de ce dernier point, on peut noter que la direction de la CGT effectue un virement complet. Pour le dissimuler, elle pousse de nouveaux pions, en application du principe qu'elle défend ardemment, qui consiste pour le syndicat à "se mettre au service des salariés". C'est ce qu'exprime par exemple Maryse Dumas, secrétaire de la CGT, de la manière suivante: Nous voulons affirmer auprès de tous les salariés, d'entreprises, organisées syndicalement ou pas, notre disponibilité pour construire avec eux et elles des propositions revendicatives et de luttes pour créer des emplois, revaloriser les salaires, transformer le travail à l'occasion de la mise en œuvre des 35 heures. C'est ainsi que nous abordons la question des mandatements, en termes offensifs et de syndicalisations nouvelles, solidarisant les efforts de tous, dans une dynamique de parrainage et de construction revendicative inédite[5]. Il vaut la peine de citer quelques échantillons représentatifs des formules alambiquées employées pour essayer de convaincre, formules qui laissent transparaître l'embarras. En parlant des salariés travaillant dans des entreprises où la présence syndicale fait défaut, Gérard Delahaye, secrétaire de la CGT, explique que la CGT ne peut se désintéresser de la situation qui sera faite à ces salariés, ni des conséquences que cela entraînera pour tous. Ce mandatement ouvre également une formidable possibilité pour implanter l'organisation syndicale CGT dans des milliers de lieux de travail en apportant la preuve de son utilité et de son efficacité sur le terrain revendicatif, de la démocratie, du rapport de force[6]. Comme toujours, la CGT est en l'occurrence obnubilée par l'idée selon laquelle la participation aux négociations serait le but ultime des syndicats, et elle en est d'autant plus imprégnée qu'il s'agit de négociations patronnées par une loi. De fait, elle considère ainsi que "l'utilité" de l'organisation syndicale consiste à fournir à l'employeur un interlocuteur lui permettant d'endormir la classe ouvrière avec des palabres empoisonnés autour de la table de négociation. Voici comment s'exprime Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, au sujet de la question du mandatement: Qu'on le veuille ou non, le mandatement est une opportunité extraordinaire pour aller au débat avec tous ces non-syndiqués, dans toutes ces entreprises où les salariés ne sont pas syndiqués. [...] Il faut que la CGT se manifeste pour faire savoir à ces salariés qu'elle est disponible pour les aider à se faire entendre et pas seulement pour les assister[7]. En disant "qu'on le veuille ou non", il pense manifestement "que cela plaise ou non à ceux qui ne sont pas d'accord, on ne changera pas de position". Et la différence entre "les assister" et "les aider à se faire entendre" reste obscure. Parallèlement, afin d'aller jusqu'au bout dans ses efforts de faire passer les projets du gouvernement, la direction de la CGT offre ses services de cheval de Troie aux autres organisations syndicales, notamment à la CFDT, qui pourtant défend le plus ouvertement les intérêts du capital. Ainsi, Louis Viannet déploie des trésors de rhétorique pour faire paraître les démarches vers l'unité avec la CFDT sous un jour favorable. Selon lui il y a "des perspectives sérieuses de rapprochement" avec la CFDT, puisque "Nicole Notat a adopté [le 12/5/1998, lors de la réunion publique organisée au stade de Charlety] un ton beaucoup plus offensif. Elle a marqué une volonté beaucoup plus affirmée d'aller aux négociations en créant un rapport de force." Et il en conclut que "dans la perspective de trois ou quatre mois, on peut aller vers une initiative de mobilisation unitaire[8]." La CFDT offensive? Peut-être bien, mais à sa manière, pour pousser à l'annualisation. En effet, de manière générale, Nicole Notat joue le fer de lance: Négociée, la flexibilité n'est pas taboue. Ce qui compte, c'est la réalité à laquelle les entreprises doivent faire face. Lorsque des contraintes sont loyalement présentées par le chef d'entreprise comme des données irréfutables, mieux vaut réfléchir ensemble à la meilleure organisation du travail que subir des décisions venues d'en haut[9]. Pendant ce temps, le patronat enfonce le clou. Par exemple, Eric Hayat, président du Syntec (qui rassemble les sociétés de services et de conseil), a réclamé la pluriannualisation ‑ et non la simple annualisation ‑ de la durée hebdomadaire du travail pour les "salariés dont les tâches ne sont pas commutatives[10]". Et le Centre des jeunes dirigeants (CJD) souhaite que la loi ne fixe "pas une norme hebdomadaire de 35 heures par personne, mais un volume annuel de 1600 heures (équivalent aux 35 heures), non par personne, mais en moyenne sur l'effectif de l'entreprise[11]". Pourtant, Louis Viannet s'aventure à des prises de position qui ouvrent largement la porte à la flexibilité, sous forme de travail de nuit ou de week-end, etc.: Le passage aux 35 heures [...] va-t-il déboucher sur une remise en chantier de l'organisation du travail, sur une meilleure efficacité des équipements par la création d'équipes supplémentaires [...][12]. L'enjeu des négociations dans le cadre de la "loi Aubry", qui avaient démarrées notamment avec l'UIMM (Union des industries minières et métallurgiques, au sein du CNPF), fin juin 1998, est double. Pour le patronat, il s'agit d'une part de baisser les salaires, d'autre part de faire disparaître les contraintes d'un horaire hebdomadaire. Pour ce qui est de l'objectif de la diminution des salaires, l'éventualité d'une réduction du temps de travail ne sert que de prétexte. Il est évident que pour les employeurs une baisse du temps de travail est inconcevable sans baisse proportionnelle des salaires; mais à l'inverse, une baisse du temps de travail accompagnée au cas par cas d'une telle baisse des salaires n'intéresse pas en soi le capital puisqu'elle laisserait le taux d'exploitation inchangé. Tout cela n'a de sens que si la baisse des horaires permet un accroissement du taux de profit d'une part, c'est-à-dire une utilisation plus intensive et extensive des équipements, et d'autre part, une pression vers la baisse du niveau général des salaires (c'est-à-dire du taux auquel est rémunérée la force de travail) ‑ ce qui est effectivement le cas. Dans la pratique, c'est ce que constatent d'ores et déjà les ouvriers confrontés concrètement à la mise en place de la réduction du temps de travail. Étant donné que souvent l'horaire légal est dépassé, l'abaissement de ce même horaire légal ne fera qu'accroître l'écart entre horaire légal et horaire effectif. Cependant, les défenseurs officiels des salariés, tout en dénonçant cette situation, ne font que maintenir une confusion qui empêche de la combattre efficacement. En effet, les discours de la "gauche plurielle" adoptent l'interprétation conforme à l'idéologie de la bourgeoisie, qui prétend que le salaire rémunère le travail et non pas la force de travail. La question de l'écart entre horaire légal et horaire effectif devient ainsi un problème secondaire: il s'agirait simplement toutes choses égales par ailleurs de revendiquer le paiement de ces "heures supplémentaires gratuites". La confusion est poussée à l'extrême lorsque par exemple Louis Viannet affirme qu'"en matière de durée du travail, les cadres sont ceux auxquels aujourd'hui on impose le plus de travail gratuit[13]". Confusion en effet, le "travail gratuit" étant la partie du travail total constituant du surtravail, c'est-à-dire celui effectué au-delà de la limite jusqu'à laquelle la création de valeur ne fait que compenser la valeur de la force de travail. Il ne s'agit donc nullement de décompter le nombre d'heures non comptabilisées sur la fiche de paie. La formule relative au "partage de la valeur ajoutée", quant à elle, est doublement erronée. D'une part, la notion de valeur ajoutée désigne la différence comptable entre le produit de la vente et le coût des biens et services utilisés. C'est donc le montant des revenus générés par la production et la mise sur le marché des marchandises. Il n'y a qu'un rapport très indirect avec la masse de valeur nouvellement créée au cours du processus de production concerné. En parlant de valeur ajoutée, on mesure la valeur produite sous une forme monétaire, de valeur d'échange. En tant que telle, sa quantité est le résultat de multiples péripéties affectant les échanges commerciaux d'acquisition des équipements et des matières premières, de la vente des produits ainsi que de diverses opérations effectuées dans le domaine bancaire et des services. Par contre, la quantité de valeur nouvellement créée est déterminée par la masse de travail mise en œuvre et ainsi, sa mesure est égale à la différence entre les valeurs mesurées en temps de travail, d'une part du produit, et d'autre part du capital constant employé, lequel se décompose en capital circulant (matières premières, etc.) et le prorata du capital fixe (installations, etc.) intégré dans le produit. Ces quantités de valeurs ne découlent d'ailleurs pas immédiatement du temps de travail effectivement dépensé au cours des processus de production respectifs, puisque les valeurs à prendre en compte sont fonction du travail socialement nécessaire. La différence fondamentale entre les deux notions ressort en considérant les activités improductives qui ne sont pas sources de valeur mais auxquelles s'applique néanmoins, tout autant qu'aux autres, la notion de valeur ajoutée. D'autre part, en parlant de "partage", on applique l'analyse bourgeoise qui prétend que la valeur ajoutée est composée des contributions des "facteurs de production", dont le capital et le travail. Il faudrait donc distribuer à chacun de ces facteurs la part qui lui revient, notamment aux travailleurs sous forme de salaire. À partir de là, le problème pour les salariés serait effectivement d'obtenir un "partage" qui leur soit favorable autant que possible. En réalité, le salaire est déterminé par la valeur de la force du travail. Les ouvriers reçoivent sous cette forme l'équivalent de la masse de valeur qui correspond à la valeur de leur force de travail. La plus-value est alors déterminée par ce qui reste de la valeur nouvellement créée, déduction faite de la valeur rémunérant la force du travail. Il est vrai que l'exigence du maintien des salaires lors du passage aux 35 heures est souvent mise en avant, mais en général avec des argumentations qui sèment la confusion. Ceux qui voient tout à travers le prisme de la "répartition des richesses", réclament un partage plus équitable de la valeur ajoutée. Selon eux, au fur et à mesure qu'augmente la "valeur ajoutée" en fonction de l'amélioration de la productivité du travail humain, devraient soit augmenter les salaires, soit diminuer les horaires, de manière à répercuter l'augmentation de la productivité au bénéfice des salariés. La mystification consiste à faire croire que, si cela n'est pas le cas, c'est simplement parce que le partage est injuste ‑ ce qui présuppose comme juste le principe d'un "partage". À titre d'exemple on peut encore citer Louis Viannet: Le CNPF réclame à cor et à cri la compensation salariale des 35 heures. [...] avec l'augmentation de la productivité, la pression sur les salaires qui s'exerce depuis des années, l'extension de la précarité, les salariés ont payé la réduction du temps de travail par anticipation. Ils sont en droit aujourd'hui de réclamer leur dû. [...] Nous avons un niveau de chômage qui coûte très cher à la société! En revanche, il est utilisé par le patronat comme un atout [...] pour peser sur une ligne de partage de la valeur ajoutée qui se traduise par une situation plus défavorable pour le monde du travail. En fait, les entreprises déversent sur la société les dégâts de leur gestion des entreprises[14]. En résumé, la position exprimée revient à dire que les salariés "ont déjà payé" les 35 heures, que la réduction des salaires ne se justifient pas dans la mesure où les salariés ont déjà subi dans le passé une érosion du pouvoir d'achat. La réduction du temps de travail constituerait ainsi en quelque sorte un rajustement rétroactif remettant en correspondance niveau de salaire et durée du travail. Ainsi Louis Viannet affirme qu'"il faut corriger la dérive constatée depuis une dizaine d'années, qui aboutit à un partage de la valeur ajoutée alimentant les résultats florissants des entreprises au détriment de l'emploi et des salaires[15]". Remarquons que les positions des trotskistes sont similaires; la LCR par exemple annonce: Certains parlent de partager. Mais les salariés ont déjà partagé. En dix ans, les richesses créées dans le travail ont été de plus en plus accaparées par les revenus des rentiers. [...] Les 35 heures immédiatement [...] C'est l'appropriation du résultat des richesses nouvelles créées dans le travail[16]. Disant cela, on raisonne comme s'il y avait un pourcentage "normal", "juste" de la valeur ajoutée qui devrait revenir aux salariés. Constatant qu'au cours de la période récente les "gains de productivité" sont allés de pair avec un accroissement des revenus du capital, on conclut alors qu'il est temps de "rajuster" les proportions et que le passage aux 35 heures sans perte de salaire aurait précisément cet effet-là. Or comme nous venons de l'expliquer cette notion de distribution de la plus-value selon certaines proportions est erronée. Sous l'influence des lois régissant la production capitaliste, les gains de productivité (résultant notamment des facteurs techniques) ne se répercutent sur les salaires (et d'ailleurs dans le sens d'une baisse) que dans la mesure où ils concernent la production des marchandises entrant dans la détermination de la valeur de la force de travail. En aucun cas, l'évolution de la valeur d'un produit due à l'efficacité accrue du processus de production, ne se répercute directement sur le salaire des ouvriers concernés. Ceux-ci ne sont nullement rémunérés au prorata de la somme des prix de vente des objets produits. Ceux qui exigent un "rajustement" du partage de la plus-value, ne font que demander en quelque sorte une "participation aux bénéfices" généralisée. Parfois les formulations poussent jusqu'à l'extrême l'absurdité du raisonnement. Ainsi lorsque le PCF explique pourquoi il "propose une augmentation substantielle des petits et moyens salaires" en arguant qu'"aujourd'hui, les salariés sont de plus en plus nombreux à avoir le sentiment de faire les frais de la rigueur. Avec raison, ils veulent leur part de la reprise annoncée, leur part des profits[17]." Selon ce point de vue, il s'agit d'une revendication purement circonstancielle. "Nous sommes à un moment de notre histoire où il faut, comme cela s'est fait en d'autres périodes, procéder à un relèvement des revenus du travail, notamment les petits et moyens salaires, a dit Robert Hue[18]." Dès lors, en s'inscrivant dans la perspective du développement du capitalisme, dont les progrès devraient "équitablement" profiter à tout le monde, la question des salaires n'est plus qu'une question de "coup de pouce" similaire à celui que le PCF et la CGT réclament de temps à autre pour le SMIC (en oubliant en passant la revendication quand même plus précise du SMIC à 8 500 francs, qui ‑ majorité plurielle oblige ‑ se transforme pudiquement en "augmentation substantielle"). En outre, il faut noter que malgré l'insignifiance politique de ses positions, le PCF prend peur à l'idée qu'il pourrait déranger les capitalistes. Il prend immédiatement soin de se faire rassurant. "Faire payer les profiteurs, les accapareurs, les affairistes, ce n'est que justice! ça ne les mettrait pas sur la paille! [...] explique Robert Hue[19]." On est loin des slogans tonitruants de Robert Hue candidat à la présidence de la République, faisant miroiter une augmentation de 1 000 francs de tous les salaires inférieurs à 15 000 francs. On se demandait bien au moyen de quelle baguette magique un président de la république pourrait obtenir la satisfaction d'une telle promesse (à moins d'avoir une fois de plus recours à des subventions publiques financées au bout du compte par les salariés). En tout cas les membres PCF de la majorité plurielle ont voté pour une loi sur les 35 heures qui ne dit rien sur la question des salaires. Seul l'exposé des motifs précise que "chacun doit apporter sa part" et qu'il est "souhaitable de ne pas baisser les rémunérations compte tenu de la situation sociale et de la conjoncture économique"[20]. Quant au gouvernement, c'est au prix de quelques contorsions de langage qu'il tente de faire comprendre tout en la couvrant d'un voile pudique, la réalité du dispositif qu'il met en place. Martine Aubry annonce d'emblée que "dans l'avenir, les évolutions salariales devront tenir compte de la baisse de la durée du travail"[21]. Elle évoque le sort d'une partie des salariés qui devraient consentir "une baisse de 0,5 % à 1 % pendant un ou deux ans"[22]. Nicole Notat lui fait écho, en affirmant que l'expérience "prouve que, partout où la négociation s'est engagée [...], [les salariés] étaient prêts non pas à baisser leur salaire, mais à réfléchir différemment sur la corrélation entre la progression de leur salaire et la situation de l'emploi"[23]. Certains dirigeants d'entreprise n'hésitent pas de pointer du doigt l'hypocrisie qui caractérise l'attitude du gouvernement. Voici comment s'exprime Guy Rousselin, Directeur général de Gas Control Equipement: Il ne faut pas s'y tromper: baisser relativement les salaires signifie que ceux-ci progressent moins vite que l'inflation et qu'ils diminuent donc en francs constants, d'où perte de pouvoir d'achat pour les salariés. L'inflation étant de l'ordre de 1 %, cela revient à dire que les chefs d'entreprise doivent quasiment bloquer les salaires et ce pendant plusieurs années de suite pour s'en sortir. C'est sur ce point que se situe, en fait, la mauvaise foi des promoteurs de la loi sur les 35 heures. Tout le monde le sait, dans ce pays, pour réduire le chômage en réduisant le temps de travail, il faut réduire proportionnellement les salaires. [...] Seulement, comment faire (et expliquer!) cela quand on est un gouvernement de gauche [...]. Eh bien, on annonce au pays que les 35 heures seront généralisées sans perte de pouvoir d'achat et, par toutes sortes de relais plus ou moins occultes, on fait dire aux chefs d'entreprise qu'ils n'ont qu'à "baisser relativement les salaires" pour s'en sortir, l'État les subventionnant sur la durée probable de l'opération. La tâche ingrate en matière salariale est ainsi habilement renvoyée au chef d'entreprise, le pouvoir prenant bien soin d'avancer masqué sur le sujet[24]. Le guide pour les négociations édité par la CFDT, quant à lui, envisage clairement l'acceptation éventuelle d'une baisse des rémunérations: La question clé du coût de la RTT [réduction du temps de travail] est abordée sous un jour nouveau. L'objectif emploi justifie l'effort de la collectivité nationale, c'est notre proposition d'un financement public. [...] À ce financement public, s'ajoutent les contributions des entreprises et des salariés. La CFDT n'a jamais fait de la participation des salariés un absolu. Elle ne la considère pas pour autant impossible a priori. C'est un point clé de la négociation qui doit prendre en compte des paramètres différents selon les branches et les entreprises [...][25]. Certaines déclarations de la CGT affirment résolument, en termes explicites, l'opposition à toute baisse des rémunérations et aussi à l'idée d'une "modération salariale". Cependant, l'opportunisme a tendance à prendre le dessus dans la pratique, à travers des louvoiements variés. Ainsi la CGT a‑t‑elle signé l'accord avec l'UIT (organisation du patronat dans la branche du textile), lequel stipule: En tout état de cause, les parties signataires de l'accord invitent à rechercher au niveau des entreprises les meilleures solutions pour l'emploi, pour le développement de la compétitivité des entreprises et à créer ainsi les conditions pour que la réduction du temps de travail puisse se réaliser sans nuire au pouvoir d'achat des salariés[26]. À ce propos, Christian Larose, secrétaire général de la Fédération textile, habillement, cuir de la CGT affirme: "On fait une appréciation positive de cet accord, pour ce qu'il contient sur la garantie du pouvoir d'achat [...][27]." Parler de "garantie" n'est manifestement pas conforme aux termes de l'accord; à cela s'ajoute le fait que l'accord entérine implicitement le principe de l'annualisation du temps de travail instituée dans la branche en 1996, puisqu'il ne pose aucune restriction à cet égard et renvoie au niveau des entreprises la négociation de l'aménagement du temps de travail. En outre, il est bien entendu incompatible avec les intérêts de la classe ouvrière de s'engager sur le terrain de la compétitivité des entreprises. Par ailleurs, sachant que les positions au sein de la CGT sont néanmoins quelque peu variées, ses dirigeants s'embourbent dans des déclarations dépourvues de principes, visant à ménager la chèvre et le chou. Ainsi Maryse Dumas, secrétaire de la CGT: Il ne peut y avoir de grille pour ce qui serait signable ou ne le serait pas: tout est affaire de situation, de rapports de forces, de potentialités, appréciés par les salariés et les syndiqués concernés. Signer ne veut pas dire avaliser[28]! Le problème du salaire est évidemment étroitement lié à celui des allocations-chômage et du RMI. Sur ce terrain aussi, le patronat avance ses pions, avec la complicité, en particulier, de Nicole Notat. En 1993 déjà, Édouard Balladur avait tenté de mettre en pratique l'idée de baisser le niveau des salaires pour maintenir l'emploi, avec une compensation partielle accordée par l'État aux salariés[29]. En 1996, le RPR a renouvelé l'attaque avec le projet d'un "contrat premier emploi" entièrement pris en charge par l'État[30]. En élargissant le domaine d'application du principe, le programme du RPR présenté fin janvier 1998 par Philippe Séguin propose la mise en place d'un "mécanisme d'impôt négatif, par lequel l'État donnerait aux citoyens occupant les emplois les moins qualifiés un complément de salaire leur permettant d'atteindre un salaire minimum garanti"[31]. Cela, évidemment, ravit les employeurs, au nom desquels Ernest-Antoine Seillière, président du CNPF[32] propose d'offrir aux chômeurs et aux jeunes "de nouveaux emplois, rémunérés par les entreprises à hauteur de ce que peuvent payer leurs clients, et assortis, le cas échéant, d'un complément de revenu de solidarité"[33]. E.‑A. Seillière saisit ainsi la balle que Nicole Notat venait de lui lancer sous la forme d'une lettre adressée au CNPF, lui proposant d'engager des pourparlers sur une "offre de travail rémunérée en complément des minima sociaux aux détenteurs de l'ASS [allocation de solidarité spécifique] et du RMI [revenu minimum d'insertion]"[34]. C'est précisément sur la question des salaires que s'appuie FO pour jouer son propre jeu. En pointant du doigt l'attitude des autres syndicats en la matière, il se présente comme seul opposant véritable au principe du "partage du travail et des revenus". "Toute réduction de la durée du travail doit se faire avec maintien des salaires, sans gel, ni modération[35]." Marc Blondel insiste lourdement sur ce point, considérant se démarquer ainsi non seulement de la CFDT mais aussi de la CGT: Nous ne nous sommes jamais fait d'illusion sur l'effet mécanique sur l'emploi des 35 heures, convaincus que la lutte contre le chômage passe d'abord par une relance de l'activité et de la consommation, donc des salaires, retraites, pensions, allocations et minima sociaux[36]. Or FO ne fait que remplacer une tricherie par une autre, en signant l'accord avec l'UIMM sous prétexte que le patronat de la métallurgie se dit prêt à maintenir et étendre le dispositif ARPE qui vise à organiser des départs en préretraite allant de pair avec l'embauche de jeunes, ce qui précisément constitue une version parmi d'autres du partage du travail (entre jeunes et âgés) et du revenu (les jeunes embauchés étant notoirement rémunérés à un taux plus bas). La CGT et la CFDT justifient leur refus de signer l'accord en invoquant l'absence de créations d'emplois. Daniel Sanchez, chargé de la négociation pour la CGT, remarque que "nulle part, l'UIMM ne s'est engagée sur l'emploi. C'est pourtant l'objectif des 35 heures[37]." Robert Bonnand, secrétaire général de la fédération CFDT de la métallurgie, constate que l'accord "ne créera aucun emploi car il ne réduit pas la durée effective du travail"[38]. Il est globalement mensonger de faire croire que la réduction du temps de travail puisse créer des emplois au sens plein du terme, c'est-à-dire qu'elle puisse produire une diminution du taux de chômage. L'hypocrisie des prises de position est de toute façon criante, comme par exemple lorsque Nicole Notat commente l'accord conclu dans la branche de fabrication de sucre: L'accord signé dans le sucre est bon pour ce secteur confronté à des restructurations à venir où étaient inscrites des suppressions d'emploi à grande échelle. Personne ne rêve que dans ce type de situation, la réduction du temps de travail parvienne, par un effet magique, à créer des emplois. Par contre, elle aura au moins l'avantage d'en sauver[39]. En définitive, ce chassé-croisé de fausses oppositions vis-à-vis du patronat met en lumière surtout le rôle spécifique que s'assigne chacun des syndicats. Marc Blondel vitupère ‑ à juste titre ‑ la CFDT qui "s'inscrit dans une logique d'accompagnement des politiques économiques et des gouvernements successifs en voulant faire du syndicalisme une structure institutionnelle de gestion sociale, les délégués syndicaux devenant en quelque sorte DRH ou co-DRH"[40]. Mais FO à son tour ne fait qu'adopter une position similaire; il n'y a que le partenaire qui diffère. En parlant du tripartisme, Marc Blondel explique: Le patronat est décidé à faire le ménage dans tout cela. Il semble d'accord avec nous pour garder sous notre contrôle direct toute une série de choses, qui risqueraient à plus ou moins long terme d'être avalées par les orientations gouvernementales[41]. C'est dans cet esprit que la fédération des métaux de FO vient de fêter ses 50 ans d'existence, avec comme invités toute une brochette de représentants du patronat, parmi lesquels Denis Gautier-Sauvagnac (vice-président délégué général de l'UIMM qui a conduit pour l'UIMM la négociation de l'accord sur le temps de travail dans la branche), François Ceyrac (ancien président du CNPF), Pierre Guillen (ancien délégué général de l'UIMM), Dominique de Calan (délégué adjoint de l'UIMM)[42]. Pendant ce temps, la CGT, tout en niant vouloir instaurer une coopération privilégiée avec la CFDT, s'efforce de fait à créer une sorte de nébuleuse bilatérale en minimisant les différences. Cette attitude est en premier lieu basée sur le raisonnement de bureaucrates avertis qui savent que la survie de leurs organisations est menacée. Louis Viannet explique en quoi un comportement de rivalité vis-à-vis de la CFDT lui semble dépassé: On n'en est plus à polémiquer pour 10 000 syndiqués de plus ou de moins. C'est à une tout autre échelle que se posent les défis du syndicalisme. J'ai noté que Nicole Notat dit en gros la même chose. Si les positions des syndicats se rapprochent, si des initiatives communes favorisent un courant de syndicalisation, je serais le premier à m'en féliciter[43]. Entre opportunistes, c'est donnant-donnant. La mise en œuvre de cet objectif implique les habituels débats savants sur le plan sémantique pour trouver les bonnes formules qui ‑ dans le "respect de l'identité" de chacun ‑ permettent de procéder aux reniements nécessaires sans le dire franchement. Du côté de la CFDT, l'opposition interne se plaît à mettre en relief les formalités accomplies. Ainsi, au 44e Congrès de la CFDT qui vient de se tenir, Claude Debons, secrétaire général de la Fédération générale de l'équipement et des transports, membre de Tous ensemble, a cité notamment comme "avancée" l'"affirmation selon laquelle le syndicalisme doit assumer l'ensemble de ses fonctions: contestation et propositions, mobilisation et négociation"[44]. La CGT de son côté apporte sa propre variation sur le même thème, comme l'expose par exemple Louis Viannet: Nous devons faire disparaître les pratiques qui fonctionnaient à partir d'une grille d'appréciation strictement interne à l'organisation. Avant, on considérait que tout ce qui n'entrait pas dans cette grille n'était pas "signable". Aujourd'hui, nous considérons qu'une signature ne met pas un terme à l'action. C'est un moment du débat, de la mobilisation, dont les négociations font partie. C'est le sens de la formule "passer d'un syndicalisme de contestation à un syndicalisme de proposition"[45]. * Bref, le patronat a avec lui, FO comme collaborateur direct, la CFDT comme collaborateur indirect par l'intermédiaire du gouvernement, et la CGT dans le rôle du faux opposant qui brouille les pistes tout en bloquant la résistance de la classe ouvrière aux moments opportuns. Avec un tel éventail de dispositifs, le capital dispose de toute la variété d'options nécessaire, qu'il peut faire jouer à tour de rôle pour mettre en œuvre avec succès sa stratégie. Telle est la situation actuelle, dont la classe ouvrière devra s'affranchir. Et il ne s'agit pas simplement d'une question de syndicalisme, mais de l'élévation de la conscience de la classe ouvrière et de sa constitution en force politique.
Ernest Leroux. |
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[1]. Économiste, représentant des Verts, auteur de nombreux ouvrages.
[2]. Le Monde, 20/6/1998.
[3]. Le Monde, 7/2/1998.
[4]. Le Monde, 8‑9/2/1998.
[5]. Le Peuple, n° 1478, 29/4/1998. p. 11.
[6]. Le Peuple, n° 1475/1476, 25/3/1998. p. 7.
[7]. Idem, p. 82.
[8]. Le Monde, 15/5/1998.
[9]. Le Point, 21/2/1998.
[10]. Le Monde, 28/1/1998.
[11]. Idem.
[12]. Le Monde, 1‑2/2/1998.
[13]. Idem.
[14]. L’Humanité, 28/1/1998.
[15]. Le Monde, 1‑2/2/1998.
[16]. Tract Ligue Communiste Révolutionnaire, 3/1994.
[17]. Tract PCF, 11/1994.
[18]. Idem.
[19]. Idem.
[20]. Les Échos, 9/2/1998.
[21]. Les Échos, 29/1/1998.
[22]. Les Échos, 30‑31/1/1998.
[23]. Les Échos, 6/7/1998.
[24]. Les Échos, 3/2/1998.
[25]. CFDT, Réduction du temps de travail ‑ Le guide du négociateur R.T.T., 6/1998. Introduction de Jean-René Masson, Secrétaire national.
[26]. Les Échos, 19/10/1998.
[27]. Libération, 28/10/1998.
[28]. Le Peuple, n° 1491, 25/11/1998. p. 24.
[29]. Tribune Desfossés, 27/5/1993.
[30]. Les Échos, 10/12/1996.
[31]. Les Échos, 4/3/1998.
[32]. Aujourd'hui: MEDEF (Mouvement des Entreprises de France).
[33]. Le Monde, 5/3/1998.
[34]. Le Monde, 4/3/1998.
[35]. Les Échos, 17/8/1998.
[36]. Les Échos, 31/7‑1/8/1998.
[37]. Le Monde, 30/7/1998.
[38]. Idem.
[39]. Le Monde, 28/8/1998.
[40]. Les Échos, 27/5/1998.
[41]. Le Monde, 28/5/1998.
[42]. Les Échos, 24/9/1998.
[43]. Libération, 6/11/1998.
[44]. Les Échos, 9/12/1998.