La Troisième Internationale, la Palestine
et le Parti communiste de Palestine, 1920‑1932

Nadab:
"Le premier congrès arabe en Palestine
et la lutte anti-impérialiste dans les pays arabes"
(1930)





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Bulletin international
n° 55‑58, juillet-octobre 1982
édité par le CEMOPI
(Centre d'étude sur le mouvement ouvrier et paysan international),
France

 

Nadab
Le premier congrès arabe en Palestine
et la lutte anti-impérialiste dans les pays arabes
[1]

Le 23 août 1929, une insurrection anti-impérialiste éclatait en Palestine; le 11 janvier 1930 se réunissait à Haïfa le premier congrès ouvrier arabe. Entre ces deux événements, il existe une liaison très étroite. Sans l'insurrection d'août, il n'y aurait pas eu de congrès; à son tour, le congrès aura une grande influence sur le développement de la lutte de classe et de la lutte anti-impérialiste en Palestine. Et pas seulement en Palestine. La petite colonie britannique est fortement liée avec le Liban, la Syrie, l'Irak et l'Égypte, et cette liaison s'est manifestée de façon orageuse au cours de l'insurrection d'août. C'est pourquoi ce congrès mérite une attention spéciale de la part du prolétariat international révolutionnaire; il ne doit pas être considéré comme un événement local, mais comme le commencement d'une nouvelle étape de la lutte anti-impérialiste des masses ouvrières et paysannes des pays arabes.

1. La situation des ouvriers et le mouvement ouvrier dans les pays arabes

Dans tous les pays arabes que nous avons énumérés (sauf l'Égypte), le capitalisme n'a commencé à se développer que relativement depuis peu de temps. Dans tous ces pays les éléments féodaux sont très forts dans l'économie. La classe ouvrière arabe est très jeune. Les ouvriers agricoles en constituent le groupe le plus important. Le prolétariat industriel est faiblement développé et très fortement (comme tous les ouvriers urbains) lié à la paysannerie. Exploités par l'impérialisme, les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, les paysans arabes se paupérisent rapidement et émigrent dans les villes à la recherche de travail. L'industrie, dont le développement est freiné par l'impérialisme, ne peut absorber une partie tant soit peu considérable de l'“excédent” de la population rurale. La réserve de main-d'œuvre dans les pays arabes est énorme. Tout cela entraîne une situation économique extrêmement pénible pour les ouvriers arabes, dont le nombre a augmenté considérablement, surtout depuis la guerre.

Avant la guerre, abstraction faite des unions purement corporatives, il n'y avait presque pas de syndicats dans les pays arabes. Après la guerre, sous l'influence de la crise révolutionnaire, des syndicats commencèrent à s'organiser en Égypte, puis en Syrie et en Palestine. Les syndicats les plus puissants furent, il va de soi, créés en Égypte, où en 1921 eut lieu un congrès des syndicats révolutionnaires auquel fut constitué une Confédération englobant plusieurs dizaines de milliers d'ouvriers. Née de le poussée révolutionnaire, mais n'ayant ni cadres syndicaux ni direction politiquement formée (le parti communiste égyptien était alors très faible) cette Confédération ne tarda pas à s'effondrer (1924). Elle fut remplacée par des syndicats jaunes (tabacs, textiles, tramways, dockers) qui se trouvent entièrement entre les mains de la bourgeoisie égyptienne. Les ouvriers syriens commencèrent à s'organiser après les ouvriers égyptiens, quoiqu'une grève du premier mai eût déjà eu lieu à Beyrouth en 1913. Peu nombreux et faibles, n'ayant jamais pratiqué une politique ouvrière combative, les syndicats (tabacs, typographes, chauffeurs) sont, à l'heure actuelle, dirigés par les éléments nationaux-réformistes, au profit de la bourgeoisie syrienne. En Palestine, en 1923‑24, un grand capitaliste organisa le “Parti ouvrier arabe à Nablous”; en 1924, fut créée l'Union des ouvriers arabes à Haïfa; en 1927, se constituèrent les syndicats du Livre et des cochers-charretiers. Les organisations ouvrières arabes de Palestine étaient beaucoup plus faibles que celles de Syrie. Elles n'existèrent que peu de temps et firent peu parler d'elles. Au moment du congrès, l'organisation de Nablous ainsi que les syndicats du Livre et des cochers-charretiers, créés par le Parti communiste de Palestine, avaient disparu.

Malgré l'absence presque complète d'organisations syndicales, malgré l'extrême faiblesse et l'opportunisme des rares syndicats existants, il s'est produit, ces dernières années, dans les pays arabe, des grèves relativement fréquentes, grèves qui éclataient spontanément, qui se déroulaient ordinairement sans direction ou sous la direction des nationaux-réformistes et qui, dans la plupart des cas, se terminaient par la défaite des ouvriers ou par un compromis pourri. Une partie de ces grèves, surtout en Égypte, avaient un caractère très orageux et étaient accompagnées de sérieuses bagarres avec la police. Ces batailles de classe démontrèrent les qualités combatives des ouvriers et l'absence complète d'une organisation tant soit peu capable de lutte. Il était très difficile aux faibles partis communistes d'Égypte, de Syrie et de Palestine, travaillant dans des conditions extrêmement pénibles, de créer des organisations syndicales de classe indépendantes, et ce n'est que ces tout derniers temps que le PC de Palestine a réussi à obtenir quelques succès sous ce rapport.

2. Les masses ouvrières arabes et la révolution nationale

Les ouvriers arabes ont pris part aux batailles anti-impérialistes révolutionnaires, non comme une force organisée indépendante, mais comme une masse amorphe, suivant spontanément une direction n'ayant rien d'une direction prolétarienne.

Ni dans le mouvement révolutionnaire de l'Irak en 1920‑22, ni en Palestine en 1919‑26, ni pendant la révolution syrienne de 1925‑27, les ouvriers arabes n'intervinrent en tant que facteur indépendant. Si les revendications paysannes trouvaient tout au moins une expression déformée dans les revendications posées par les nationalistes, les revendications ouvrières non seulement étaient complètement passées sous silence par les nationalistes, mais n'étaient même pas posées par les ouvriers eux-mêmes. Ceux-ci ne se sentaient pas encore une classe à part ‑ et ce fut là, précisément, le phénomène le plus caractéristique de l'époque des batailles anti-impérialistes de 1919 à 1927. À la tête des masses insurgées marchaient alors des groupes bourgeois (Égypte) et bourgeois-féodaux (Syrie, Irak, Palestine), sans qu'il y eût une organisation ouvrière indépendante tant soit peu importante. Et il faut dire que les groupes bourgeois, féodaux savaient très bien se servir des masses ouvrières, auxquelles elles faisaient tirer les marrons du feu pour le Capital.

Les partis bourgeois ont parfaitement compris l'utilité qu'ils peuvent retirer de l'exploitation politique du prolétariat. Ainsi, en Égypte, après son coup d'État, le dictateur Mohammed Mahmoud fit une large publicité autour des réformes qu'il allait soi-disant accomplir: construction de logements pour les ouvriers, législation ouvrière, aide sanitaire, etc. Aucune de ces promesses ne fut tenue. Mohammed Mahmoud espérait, au moyen de promesses et de gestes solennels enlever au Wafd les organisations existantes en Égypte et, sinon les gagner à sa cause, du moins les neutraliser.

À partir de 1925‑1927 (dans certains pays tôt, dans d'autres plus tard) la bourgeoisie arabe s'est orientée ouvertement vers un rapprochement avec l'impérialisme. Le Wafd égyptien, qui n'avait jamais été un parti révolutionnaire, a cherché à s'entendre définitivement avec l'Angleterre. Le Comité exécutif arabe en Palestine a renoncé effectivement depuis 1926 au mot d'ordre de la non-coopération; les milieux dirigeants bourgeois-féodaux de Syrie, après la défaite de l'insurrection, ont fait tous leurs efforts pour obtenir la paix. Les raisons qui déterminèrent les nationalistes à adopter cette orientation réformiste furent:

1) L'expérience chinoise;

2) La crainte que les ouvriers et les paysans de leurs pays respectifs ne s'éveillent et ne manifestent une activité excessive;

3) Certaines faveurs économiques et promesses politiques de la part des impérialistes.

Cependant, l'entente entre la bourgeoisie nationale, les féodaux et l'impérialisme ne signifie nullement une atténuation des antagonismes existants entre la masse fondamentale de la population coloniale et les impérialistes. Bien au contraire. Le rapprochement des bourgeois et des propriétaires fonciers arabes avec l'impérialisme est la preuve incontestable de l'aggravation de ces antagonismes. À l'heure actuelle, après l'explosion de la crise américaine et sa transformation en crise mondiale, après l'aggravation de la crise agraire, après les troubles révolutionnaires qui ont ou lieu dans une série de colonies, il n'est pas douteux que nous sommes en présence d'une nouvelle ascension de la vague révolutionnaire dans les colonies.

Oui donc dirigera cette reprise du mouvement révolutionnaire? Seuls des opportunistes avérés peuvent espérer en la mentalité révolutionnaire de la bourgeoisie. Peut-être la petite-bourgeoisie (et. avant tout, les intellectuels), en la personne des groupes radicaux de gauche, conduira-t-elle les masses à la bataille?

Dans les pays arabes, ce qui saute aux yeux, c'est la faiblesse extrême des groupements nationalistes de gauche et leur indépendance extrêmement limitée. En Égypte, malgré une situation politique des plus tendues, malgré une différenciation politique assez marquée, malgré la trahison complète du Wafd, il n'existe pas de parti nationaliste de gauche capable de combattre. Le “Parti national”, qui prétend au titre d'extrême-gauche, est une secte non viable à la tête de laquelle se trouvent des éléments féodaux. Durant la dictature de Mohammed Mahmoud pacha, elle s'est définitivement discréditée par des intrigues ténébreuses avec l'émissaire de l'Angleterre.

En Palestine, le groupe nationaliste de gauche Hamfi-Hussein, qui a joué un rôle de façade dans la lutte anti-impérialiste, est faible au point de vue organisation. En Syrie et dans l'Irak, il en est de même. En Transjordanie, les nationalistes de gauche constituent un groupe de la haute noblesse féodale. (Dans ce pays, plus arriéré que ses voisins, la haute noblesse féodale n'a pas encore évolué de la non-collaboration à la collaboration complète avec l'impérialisme.)

Cette faiblesse extrême, ce manque d'indépendance des nationalistes de gauche dans les pays arabes, n'est pas un phénomène fortuit. Il faut en chercher les raisons dans l'origine sociale des intellectuels nationalistes, qui forment les cadres directeurs des éléments radicaux petits-bourgeois. Dans les pays arabes (tout au moins en Syrie et dans l'Irak), les intellectuels viennent de l'aristocratie appauvrie déclassée. Liés par des liens de parenté aux seigneurs terriens, ils possèdent encore de petits lopins de terre qu'ils donnent à bail à des fellahs. Souvent ils sont liés aux grands propriétaires fonciers par le vacouf familial. En outre, beaucoup d'entre eux étant fonctionnaires au service de l'impérialisme, il s'ensuit que le radicalisme petit-bourgeois dans les pays arabes est extrêmement timide, qu'il manque d'indépendance et est incapable de diriger les batailles révolutionnaires.

La seule classe capable, en vertu de sa situation objective, de jouer un rôle dirigeant dans le mouvement révolutionnaire, c'est le prolétariat. Mais subjectivement, il n'est pas encore prêt à s'acquitter de ce rôle, car il ne fait encore que de s'éveiller à la conscience de classe. La classe ouvrière des pays arabes aura-t-elle le temps de s'organiser au moment, ou tout au moins à la première étape des batailles révolutionnaires? Si oui, l'insurrection spontanée des millions de fellahs, insurrection dont chaque jour nous rapproche, pourra être transformée en révolution victorieuse: sinon, cette insurrection dégénérera en émeute disséminée que les impérialistes réprimeront avec une facilité relative. La réponse à cette question est donnée par les derniers événements de Palestine: l'insurrection d'août et le congrès ouvrier de janvier, qui sont le prélude de formidables batailles révolutionnaires dans les pays arabes.

3. L'insurrection d'août et les ouvriers

Les ouvriers arabes de Palestine n'étaient pas préparés à l'insurrection d'août. À ce moment, ils n'étaient ni organisés, ni politiquement indépendants. La conscience de la nécessité de la lutte de classe, de la lutte contre la bourgeoisie indigène, la conscience de la nécessité d'une intervention indépendante contre l'impérialisme ne se fit jour que parmi des milieux très restreints d'ouvriers. Le PC de Palestine, au moment de l'insurrection, se trouvait extrêmement faible; par suite de sa composition nationale, il était isolé des masses arabes et n'était nullement préparé à l'insurrection. Bien plus, en raison de son isolement des masses (en particulier des fellahs) et de certaines fautes de droite commises par lui, le PC de Palestine n'avait pas du tout prévu les événements qui allaient se produire; aussi, signalant en général l'aggravation de la situation politique, il n'avait rien fait de concret pour se préparer à l'insurrection.

Par suite, les masses se trouvèrent dirigées par des bourgeois et des seigneurs féodaux qui se donnèrent pour but de torpiller l'intervention anti-impérialiste des fellahs, des bédouins et des éléments pauvres des villes, en la canalisant dans le lit de la lutte nationale arabo-juive. Cette manoeuvre contre-révolutionnaire échoua. Dans le pays éclata un mouvement insurrectionnel. Mais la masse des bédouins et des fellahs, qui formait le gros des insurgés et qui se trouvait sans direction révolutionnaire, fut battue par le bloc contre-révolutionnaire des impérialistes, des sionistes et des réformistes nationaux.

Cependant, immédiatement après l'écrasement du soulèvement des bédouins et des paysans, il apparut que cette défaite, loin de mettre fin au mouvement, ne faisait qu'en marquer le début. Après la répression sauvage de l'insurrection, ce ne fut pas une réaction sociale, une passivité, une apathie des masses, mais une recrudescence de l'activité de ces dernières et l'afflux de nouvelles couches dans le mouvement[2]. Particulièrement profonde fut l'influence de l'insurrection d'août sur les ouvriers arabes. Les masses ouvrières devinrent plus actives et se révolutionnèrent. L'insurrection mit plus nettement en lumière non seulement l'absence de droits politiques, mais aussi l'exploitation économique des ouvriers. L'accroissement d'activité politique et sociale des groupes bourgeois féodaux et petits-bourgeois contribua également à exciter la masse ouvrière. En même temps, la trahison manifeste de la direction bourgeoise-féodale discrédita cette dernière aux yeux de la masse ouvrière et, par contre, poussa les ouvriers à s'organiser eux-mêmes de façon indépendante. De la sorte si les premiers jours de l'insurrection d'août ressemblèrent jusqu'à un certain point aux soulèvements arabes précédents (masse révolutionnaire des fellahs et de la petite bourgeoisie urbaine, direction féodale trahissant tôt ou tard), de novembre à janvier on observa, dans les événements, un nouveau courant: de très nombreux ouvriers commencèrent à se détacher de la direction nationaliste, la différenciation des classes s'accentua, l'on aspira de plus en plus fortement à une organisation indépendante.

L'ouvrier arabe de Palestine qui n'avait pas eu le temps de se préparer à l'insurrection, commença après l'écrasement de cette dernière, à rattraper les événements.

4. Le congrès ouvrier arabe.

Seule l'insurrection donna au mot d'ordre de la convocation d'un congrès ouvrier arabe de l'actualité et un terrain solide. Le désir d'une organisation ouvrière indépendante avait si fortement augmenté qu'en décembre déjà l'organisation ouvrière réformiste nationaliste de Haïfa décidait de convoquer le congrès.

Non seulement les ouvriers de Palestine, mais aussi ceux des pays voisins furent informés officiellement du congrès. En Palestine, commença une large campagne préparatoire au congrès. Au moyen d'assemblées légales et illégales, d'appels lancés par les syndicats, de propagande individuelle, on réussit à toucher des couches assez importantes d'ouvriers dans une série de villes (Jérusalem, Jaffa, Haïfa, Loud, Akko, Nazareth) et de villages (Ein-Karem, Beth-Safafa, Toura, Chafamer). Au total vinrent au congrès 61 délégués représentant de 4 à 6 mille ouvriers arabes. Les communistes prirent une part des plus actives à la campagne électorale et eurent au congrès un groupe assez fort. Les nationalistes, au début, se montrèrent assez bienveillants, persuadés qu'ils étaient de leur complète hégémonie. L'écrasante majorité des délégués étaient des ouvriers; il y avait également quelques petits patrons et intellectuels. Au congrès, il devait y avoir une délégation des syndicats de Syrie, délégation déjà élue. Mais le gouvernement syrien ayant refusé les visas nécessaires, deux ouvriers syriens seulement assistèrent illégalement au congrès.

L'ouverture du congrès attira l'attention des ouvriers de Haïfa, qui se pressaient devant la salle des séances, trop petite pour les contenir tous. Le gouvernement n'avait autorisé le congrès qu'à la condition qu'il ne s'occuperait pas du tout de politique. À l'ordre du jour étaient les questions suivantes:

1) ‑ Situation de la classe ouvrière internationale et situation des ouvriers palestiniens;

2) ‑ Discussion et propositions;

3) ‑ Élection du CC.

Du début à la fin du congrès, une lutte acharnée se déroula entre les communistes et les nationalistes, qui se disputaient l'influence sur les ouvriers sans parti. La discussion porta sur les questions suivantes:

1) ‑ Des interventions politiques sont-elles admissibles au congrès?

2) ‑ Attitude envers la bourgeoisie arabe et ses revendications;

3) ‑ La journée ouvrière de huit heures et l'augmentation des salaires;

4) ‑ Journal ouvrier;

5) ‑ Salut aux ouvriers de l'Inde.

Les communistes firent une déclaration politique combative, dans laquelle ils apprécièrent l'insurrection, décrivirent le rôle traître des réformistes nationaux, appelèrent à la lutte non seulement contre la déclaration Balfour (sur la création d'un foyer national juif), mais aussi contre le mandat anglais, exhortèrent à la révolution agraire, montrèrent la nécessité de soutenir les détachements de partisans et demandèrent de proclamer le mot d'ordre du gouvernement ouvrier et paysan. Les droites demandèrent de priver de la parole le député communiste, alléguant que le gouvernement avait interdit de s'occuper de politique. Après une longue obstruction le rapport politique fut retiré, par 35 voix contre 22. Les nationalistes avaient vaincu, mais uniquement en faisant craindre aux délégués une intervention gouvernementale. L'écrasante majorité des ouvriers était pour la “politique” (politique égal anti-impérialisme). Quand l'orateur communiste, après le vote, termina son discours par le mot d'ordre “Vive la fédération ouvrière et paysanne des pays arabes”, les ouvriers répondirent par des cris d'enthousiasme et un tonnerre d'applaudissements.

Dans la deuxième question, les nationalistes réussirent également à remporter une victoire partielle. Une série de leurs propositions tendant à la défense des intérêts matériels de la bourgeoisie arabe furent écartés, il est vrai, mais ils firent adopter leurs résolutions sur la transmission des concessions aux capitalistes arabes, sur la répartition proportionnelle des travaux publics entre les ouvriers arabes et juifs, etc. Mais sur les autres questions, les droites furent battues. À notre mot d'ordre de la journée ouvrière de huit heures, elles opposèrent la revendication de la journée de 14 heures “pour fortifier l'industrie nationale”. Cette revendication, accueillie par des cris d'indignation, fut repoussée.

Quant à la question de l'édition d'un journal ouvrier, les nationalistes proposèrent que l'organisation ouvrière se joignit simplement à un des journaux nationalistes existants. À une majorité écrasante, le congrès décida de procéder à l'édition d'un journal ouvrier indépendant.

Après des débats mouvementés, nous fîmes également adopter notre proposition d'envoyer les salutations du congrès aux ouvriers de l'Inde, notre revendication du régime politique pour les détenus politiques, une protestation contre la terreur impérialiste (contributions, condamnations à mort, etc.).

En somme, on peut dire que les nationalistes dominèrent au congrès et qu'ils lui donnèrent une tendance nettement nationaliste (et réformiste) dans toutes les questions où ils pouvaient se retrancher derrière une phraséologie nationaliste, jouer sur les instincts chauvins des délégués, ou bien menacer d'une intervention du gouvernement. Mais dans une série de questions dont la signification de classe était évidente, les délégués révolutionnaires battirent les nationalistes.

En dépit de tous ses défauts, le congrès est un pas important vers la création d'une organisation indépendante des ouvriers. L'espoir des nationalistes d'obtenir encore une organisation auxiliaire fut déçu, et c'est là l'événement important du congrès. La création d'une organisation ouvrière indépendante accentuera encore la différenciation de classe et poussera le prolétariat à une lutte économique et politique plus ardente.

5. La lutte après le congrès.

Immédiatement après le congrès, une lutte acharnée s'est engagée autour de l'organisation ouvrière. Les nationalistes arabes ont compris que le développement de l'union dans le sens indiqué au congrès était gros pour eux de danger.

La presse nationaliste a engagé une campagne contre le congrès et contre le Comité central de l'organisation ouvrière arabe élu à ce congrès. “Au congrès dominaient les sionistes et les communistes”: tel est le mot d'ordre sous lequel est menée cette campagne. Particulièrement furieux sont les nationalistes de gauche, qui ont senti le danger direct pour eux.

Les sionistes non plus ne restent pas inactifs. Ils s'efforcent de discréditer le congrès devant les ouvriers juifs, en le leur représentant comme une machination de la réaction nationaliste arabe; d'un autre côté, ils communiquaient au gouvernement qu'“au congrès on sentait la main de Moscou”.

D'ailleurs l'administration palestinienne de Macdonald n'a pas besoin d'encouragement spécial. Immédiatement après le congrès, commencèrent les filatures policières, de nombreuses perquisitions chez les “suspects” et des arrestations. On licencia 80 ouvriers des carrières de pierre nationales où, avant le congrès, il y avait eu une campagne électorale très vive.

La lutte s'est engagée également à l'intérieur des syndicats. Les nationalistes, pour renforcer leurs positions, tâchent d'introduire des patrons et même des policiers dans les syndicats. En même temps, ils sabotent par tous les moyens la création de nouveaux syndicats et l'action de ceux qui existent déjà. Quelques membres des directions réformistes syndicales se sont abouchés avec les bureaucrates syndicaux sionistes, qui s'emploient à désagréger l'organisation ouvrière arabe. Toutes ces attaques, du dehors et du dedans, sont jusqu'à présent repoussées avec succès par les ouvriers.

Le congrès a suscité un enthousiasme formidable dans la masse ouvrière. Des centaines de nouveaux ouvriers s'affilient aux syndicats. De nouvelles organisations sont créées à Jaffa, à Haïfa et à Nazareth. En outre, des interventions économiques ont commencé: le surlendemain du congrès une grève partielle (120 hommes) éclatait à la grande fabrique de tabac Mabrouk; à Jérusalem, les ouvriers occupés aux grands travaux de construction du gouvernement se mettaient en grève. Dans la carrière de pierre nationale d'Aklit, un des ouvriers renvoyés a tiré sur l'Anglais qui dirigeait le travail. L'état d'esprit des ouvriers est de plus en plus combatif.

Le congrès a suscité un grand intérêt parmi les ouvriers syriens. Malgré la campagne de calomnies des journaux nationalistes, les représentants des syndicats syriens ont déclaré qu'ils saluaient le congrès de Palestine et s'apprêtaient à suivre ses traces.

L'insurrection a amené les ouvriers arabes de Palestine à s'occuper de l'organisation de la lutte révolutionnaire. Les ouvriers d'Égypte, et peut-être aussi ceux de Syrie, en cas de crise révolutionnaire suivront la même voie encore plus rapidement et plus résolument que les ouvriers de Palestine.

6. Les tâches du Parti communiste de Palestine.

L'organisation rapide des ouvriers arabes, organisation qui s'effectue au milieu d'une lutte intérieure acharnée, alors que la situation politique est extrêmement tendue, que les impérialistes exercent leur terreur, que l'effervescence révolutionnaire s'accroît parmi les fellahs (début d'un mouvement de partisans), que les réformistes nationaux trahissent complètement, cette organisation, disons-nous, impose des tâches extrêmement importantes au PC de Palestine. Bornons-nous à les énumérer:

1) ‑ Lutter pour la consolidation organique et la ramification de l'organisation ouvrière de Palestine;

2) ‑ Chasser définitivement des syndicats les petits patrons;

3) ‑ Combattre l'influence des réformistes nationaux, et surtout des nationalistes de gauche;

4)  ‑ Lutter pour l'union internationale des ouvriers arabes et juifs et contre les intrigues et les manoeuvres des sionistes amsterdamiens;

5) ‑ Arriver à établir un contact entre l'organisation ouvrière et la masse des fellahs appauvris;

6) ‑ S'efforcer de créer une fédération syndicale des pays arabes.

 



[1]L'Internationale communiste, 11, 1930.

[2]. Cela démontre une fois de plus que l'insurrection d'août n'est pas un événement local fortuit, mais la première vague de la révolution montante dans les pays arabes. [Note Nadab.]