Quelques déformations dans l'interprétation
de l'expérience historique révolutionnaire

Écrit:
février 2010


Ceci est la version imprimable de:
http://321ignition.free.fr/pag/fr/ana/pag_009/pag.htm

La révolution russe de 1917, événement primordial

Le mouvement vers la révolution socialiste mondiale est marqué par des jalons abondamment cités. Le "Manifeste du Parti communiste[1]" (1848) affirme "le but immédiat des communistes" comme étant "constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat", et que les communistes "proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé". Il y eut l'expérience de la Commune de Paris (entre mars et mai 1871), "qui, pendant deux mois, mit pour la première fois aux mains du prolétariat le pouvoir politique" et qui a démontré que "la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l'Etat et de la faire fonctionner pour son propre compte"[2].

Vint enfin, en novembre 1917, la victoire de la révolution en Russie, dirigée par le Parti bolchevik. "Sur le plan historique et mondial, le “pouvoir des Soviets” est le deuxième pas, ou la deuxième étape, du développement de la dictature du prolétariat. La Commune de Paris en avait été le premier pas[3]." À l'approche de cette révolution, Lénine constata que "sans révolution violente, il est impossible de substituer l'Etat prolétarien à l'Etat bourgeois" et que "quant à nous, nous romprons avec les opportunistes; et le prolétariat conscient sera tout entier avec nous dans la lutte, non pour un “déplacement du rapport de forces”, mais pour le renversement de la bourgeoisie, pour la destruction du parlementarisme bourgeois, pour une république démocratique du type de la Commune ou une République des Soviets des députés ouvriers et soldats, pour la dictature révolutionnaire du prolétariat[4]." Et les soviets constituent un des éléments essentiels de cette deuxième expérience historique de l'établissement d'un pouvoir politique détenu par le prolétariat:

L'instauration de la dictature national-socialiste en Allemagne marqua un contexte mondial particulier qui conduisit l'Internationale communiste à adopter une ligne programmatique fixant aux partis communistes la tâche d'oeuvrer dans les différents pays en faveur du front unique prolétarien antifasciste ainsi que du front populaire antifasciste, comme pas intermédiaire vers la révolution socialiste. C'est effectivement ainsi qu'en Albanie le PTA, non seulement conduisit la classe ouvrière et le peuple vers la victoire sur les forces d'occupation nazi-fascistes, mais surtout établit un état incarnant le pouvoir de la classe ouvrière, et entreprit la construction de la société socialiste.

Les succès remportés par le mouvement révolutionnaire mondial comportent de riches enseignements, que les organisations et militants marxistes-léninistes doivent assimiler et prendre en compte, afin d'oeuvrer au progrès ultérieur de ce combat. Or, inévitablement, les analyses basées sur une vision déformée de la réalité ne manquent pas. Ce problème se manifeste à l'égard de toutes les étapes historiques, de la Commune de Paris jusqu'à aujourd'hui; nous allons nous limiter ici à la question de la révolution russe de 1917.

La question du double pouvoir

Parmi les aspects de ce cheminement historique du mouvement communiste international, qui sont pris comme référence en appui à des positions largement répandues mais erronées, on relève en particulier la situation du "double pouvoir" qui s'était produit en Russie après la révolution de février 1917.

Lénine énonce comme une "loi fondamentale de la révolution, confirmée par toutes les révolutions et notamment par les trois révolutions russes du XXème siècle", le fait suivant[5]:

Pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l'impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C'est seulement lorsque "ceux d'en bas" ne veulent plus et que "ceux d'en haut" ne peuvent plus continuer de vivre à l'ancienne manière, c'est alors seulement que la révolution peut triompher.

L'erreur d'interprétation que nous examinerons ici, repose fondamentalement sur une mise en parallèle abstraite, artificiellement généralisée, entre le constat cité ci-dessus et la situation de double pouvoir en question. Certes, l'existence de deux pouvoirs était l'expression de ce rapport entre "ceux d'en bas" et "ceux d'en haut". Mais il n'y  pas d'équivalence intrinsèque entre les deux aspects ‑ impossibilité en haut et volonté en bas d'une part, existence de deux pouvoirs de l'autre ‑, c'est-à-dire oeuvrer à atteindre une situation conforme à la "loi fondamentale" décrite par Lénine ne signifie pas viser à établir un double pouvoir tel qu'il a caractérisé concrètement la période précédant la révolution d'octobre 1917 en Russie.

Or ce schéma est couramment adopté par des organisations politiques se voulant marxistes révolutionnaires. Voici un exemple typique, provenant du Parti des travailleurs socialistes (Partido de los Trabajadores Socialistas, PTS) d'Argentine, qui fait partie d'un regroupement international intitulé Fraction trotskiste - Quatrième Internationale (Fracción Trotskista - Cuarta Internacional, FT-CI)[6].

Ainsi, la "Révolution de Février" laissa posé un problème profond autour de la question de savoir qui détenait le pouvoir, mais ne la résolut pas, aboutissant au surgissement d'une situation de "double pouvoir". Cette situation sera la source de l'instabilité permanente du régime jusqu'à la révolution d'Octobre. Les soviets armés étaient inconciliables avec le pouvoir étatique. Les deux pouvoirs rivalisaient inévitablement et se préparaient en vue de l'affrontement futur.

Nous pouvons donc dire que le régime du double pouvoir apparaît là où les luttes révolutionnaires ont brisé les forces du régime et de l'État, mais n'ont pas encore formée un autre pouvoir, alternatif, pour succéder à l'ancien. Dans cette situation transitoire, dans laquelle la souveraineté politique est disputée, deux pouvoir rivalisent, mesurent leurs forces, arrivent à des accords provisoires, uniquement pour ensuite reprendre le chemin vers la confrontation et l'instabilité, et ainsi, l'abîme entre les deux s'agrandit encore plus. Cet abîme dépend en dernière instance du fait que la base sociale des deux pouvoirs est inconciliable.

L'analyse ainsi formulée part d'une description d'évènements déterminés, situés dans le temps: entre mars (février) et novembre (octobre) 1917, en Russie, "les deux pouvoir rivalisaient". Elle enchaîne avec des affirmations de portée générale: "Le régime de double pouvoir apparaît là où..."; "deux pouvoirs rivalisent..." Conjointement avec l'article en question, se trouve d'ailleurs une citation de Léon Trotsky opérant précisément cette généralisation en parlant de "la dualité des pouvoirs de toute révolution"; ce paragraphe extrait de l´"Historie de la Révolution Russe" se termine ainsi[7]:

La préparation historique d'une insurrection conduit, en période prérévolutionnaire, à ceci que la classe destinée à réaliser le nouveau système social, sans être encore devenue maîtresse du pays, concentre effectivement dans ses mains une part importante du pouvoir de l'État, tandis que l'appareil officiel reste encore dans les mains des anciens possesseurs. C'est là le point de départ de la dualité de pouvoirs dans toute révolution.

Les trotskistes reprennent à leur compte cette formule, comme par exemple Alex Callinicos (dirigeant du Socialist Workers Party, organisation de Grande-Bretagne constituée à l'origine autour de Tony Cliff, et qui fait partie d'un groupement international intitulé International Socialist Tendency)[8]:

Ce modèle ‑ la co-existence de deux formes de pouvoir de classe dans le cadre d'un seul et même état ‑ a émergé sous des formes plus ou moins développées au cours des grandes luttes des ouvriers du 20e siècle, de la Russie en 1905 à la Pologne en 1980.

Il est certain que par nature les soviets (ou des organes équivalents) doivent être constitués et édifiés comme instruments du pouvoir de la dictature du prolétariat, et ceci dès avant la victoire de la révolution, au cours de l'insurrection qui y conduit. Lénine écrit[9]:

Mais, demandera-t-on, que doivent faire les Soviets des députés ouvriers? Ils "doivent être considérés comme les organes de l'insurrection, comme les organes du pouvoir révolutionnaire", écrivions-nous dans le n° 47 du Social-Démocrate de Genève, daté du 13 octobre 1915.

Mais si Lénine insiste sur ce point, c'est parce qu'il a en vue la nécessité pour le prolétariat victorieux, de briser l'appareil d'état bourgeois et de le remplacer par une structure de pouvoir propre[10]:

Nous avons besoin d'un pouvoir révolutionnaire, nous avons besoin (pour une certaine période de transition) d'un Etat. [...] Le prolétariat, lui, s'il veut sauvegarder les conquêtes de la présente révolution et aller de l'avant, conquérir la paix, le pain et la liberté, doit "démolir", pour nous servir du mot de Marx, cette machine d'Etat "toute prête" et la remplacer par une autre, en fusionnant la police, l'armée et le corps des fonctionnaires avec l'ensemble du peuple en armes. En suivant la voie indiquée par l'expérience de la Commune de Paris de 1871 et de la révolution russe de 1905, le prolétariat doit organiser et armer tous les éléments pauvres et exploités de la population, afin qu'eux-mêmes prennent directement en main les organes du pouvoir d'Etat et forment eux-mêmes les institutions de ce pouvoir.

L'édification poussée de ces organes du pouvoir prolétarien n'est pas un préalable à la révolution, contrairement à ce que tendent à considérer certaines interprétations de la citation de Lénine concernant "ceux d'en bas" qui "ne veulent plus" et "ceux d'en haut" qui "ne peuvent plus continuer". Les caractéristiques du mûrissement de la situation révolutionnaire ne doivent pas être envisagées essentiellement en rapport avec des institutions établies formellement, fussent-elles de nature révolutionnaire comme les soviets. Il faut plutôt évaluer le rapport de forces tel qu'il découle d'un ensemble de facteurs multiformes. Qui plus est, il serait vain d'imaginer que cette observation de la réalité aboutira simplement à un moment donné au constat que, voilà, le patient travail d'édification des institutions est allé à son terme, ça y est, la balance penche en fait du côté de nouveau pouvoir, il suffit de le proclamer. Bien au contraire, l'enjeu de l'analyse de la situation objective sera de déterminer le moment opportun pour lancer l'attaque décisive[11]:

[...] il faut encore savoir si les forces historiquement agissantes de toutes les classes, absolument de toutes les classes sans exception, d'une société donnée, sont disposées de façon que la bataille décisive soit parfaitement à point, ‑ de façon:

1. que toutes les forces de classe qui nous sont hostiles soient suffisamment en difficulté, se soient suffisamment entre-déchirées, soient suffisamment affaiblies par une lutte au-dessus de leurs moyens;

2. que tous les éléments intermédiaires, hésitants, chancelants, inconstants ‑ la petite bourgeoisie, la démocratie petite-bourgeoise par opposition à la bourgeoisie ‑ se soient suffisamment démasqués aux yeux du peuple, suffisamment déshonorés par leur faillite pratique; qu'au sein du prolétariat un puissant mouvement d'opinion se fasse jour en faveur de l'action la plus décisive, la plus résolument hardie et révolutionnaire contre la bourgeoisie.

Et Lénine termine ainsi[12]:

 C'est alors que la révolution est mûre; c'est alors que, si nous avons bien tenu compte de toutes les conditions indiquées, sommairement esquissées plus haut, et si nous avons bien choisi le moment, notre victoire est assurée.

Ce que conçoit le PTS est très différent. Nous citerons des extraits d'un texte autre que celui auquel nous nous sommes référés jusqu'ici; il émane de la FT-EI, le regroupement international auquel appartient le PTS et, ayant comme sujet précisément la situation en Argentine, il prend pleinement le relais des positions examinées du PTS. On y lit que le prolétariat doit passer par la "mise à l'épreuve dans l'exercice du pouvoir politique propre déjà dans l'antichambre de la révolution, dans la dualité des pouvoirs"[13]:

La lutte pour un nouveau type d'État implique la tendance à l'élimination de la division sociale du travail, la participation active de millions à l'administration de l'État et pour cela l'élévation de la culture générale des masses populaires. Ce n'est que de cette manière que l'on peut concevoir l'élévation du prolétariat à la position de classe dominante, c'est-à-dire comme sujet conscient de son propre destin. Mais cette condition exceptionnelle ne surgit pas du jour au lendemain, elle s'établit dès la veille de la révolution, progresse en mûrissant sur le terrain de sa propre expérience, se féconde au moyen de l'éducation pratique et politique que les organisations révolutionnaires aient réussi à dispenser au cours de l'étape préalable et avant tout est mise à l'épreuve dans l'exercice du pouvoir politique propre déjà dans l'antichambre de la révolution, dans la dualité des pouvoirs, en exerçant le contrôle des entreprises, de la distribution de la nourriture, de l'autodéfense, et en sélectionnant au nom de ce tribunal le programme et la stratégie politiques les plus adaptés au progrès de la perspective révolutionnaire. Sans toute cette expérience préalable le gouvernement des travailleurs n'est qu'une caricature de peu de valeur, et est soumis à l'autorité d'une bureaucratie toujours plus indépendante de la classe travailleuse elle-même.

C'est dans cette perspective qu'est fixée l'orientation de l'action politique en Argentine, actuellement[14]:

En cohérence avec la caractérisation selon laquelle la période actuelle est traversée par une crise du pouvoir bourgeois, nous qui nous revendiquons de l'héritage du marxisme révolutionnaire, avons misé sur le développement d'organismes de démocratie directe de la classe ouvrière comme embryons de double pouvoir, c'est-à-dire d'un pouvoir nouveau, ouvrier et populaire.

Le contrôle ouvrier comme substitut au pouvoir politique

Les auteurs en question ne sont pas prolixes pour définir plus en détail ce que peuvent être ces "organismes de démocratie directe de la classe ouvrière comme embryons de double pouvoir", en ce qui concerne les moyens dont ils pourraient disposer et les actions qu'ils pourraient entreprendre pour exercer leur part de ce double pouvoir, sur le plan politique. L'exposé bifurque plutôt vers le domaine économique, selon un argument qui en lui-même est sensé[15]:

Mais dans la "société du travail" la démocratie basée sur des assemblées, sans le contrôle des moyens de production, aussi directe soit-elle, ne peut manquer d'être formelle. Car, si l'exercice de la démocratie de masses a un sens quelconque, c'est celui d'établir ‑ en s'appropriant toutes les ressources productives et l'information ‑ le pouvoir de décision, de planification, de contrôle, vérification et correction de la reproduction de la vie social à son bénéfice propre.

On est ainsi ramené dans un premier temps à la perspective des conseils sous différentes formes[16]:

Nous nous trouvons alors devant le fait que les capacités pour exercer ce contrôle se situent donc au sein de la production capitaliste, dans les usines, les entreprises, les bureaux. Toute grève, et plus encore si elles s'étendent aux branches fondamentales de l'économie, met directement en question le capital. Quand une fraction de la classe ouvrière - sans parler de l'éventualité que le mouvement couvre la totalité de l'appareil productif - se rejoint pour s'organiser sur les lieux de travail et se coordonner localement et nationalement afin de faire avancer, avec de plus grandes possibilités de succès, une lutte sérieuse contre le capital, alors tendent à surgir, comme l'a démontré toute l'expérience historique, des organismes d'autodétermination ouvrière, conseils d'usine, comités, coordinations, et leur expression la plus englobante, les soviets, comme en Russie, qui posent immédiatement l'enjeu de savoir qui tient les rênes de l'économie, du pouvoir, de l'état.

Alors de là directement à la révolution? Ah, pas si vite, ça manquerait de préparation... À partir de la "mise en question directe du capital", le texte amène le lecteur aux nationalisations posées comme revendication fondamentale. La nationalisation est vue comme la voie vers un élargissement du domaine de contrôle ouvrier, lequel est considéré comme une forme de double pouvoir. Progressivement, au-delà des entreprises nationalisées prises séparément, il revêtira un caractère de gestion économique au niveau de la société toute entière[17]:

Le contrôle ouvrier ou la gestion ouvrière directe dans les entreprises nationalisées seront une école de contrôle et d'administration socialiste, éduqueront les travailleurs dans les matières qui auparavant leur étaient interdites par les patrons, et par là créeront dans les entreprises elles-mêmes les organes de double pouvoir. [...] le prolétariat [...] revendique pour lui la propriété de tous les moyens de production, c'est-à-dire du pouvoir d'état. Dans la mesure où cela n'est pas possible de manière immédiate, la façon de généraliser une telle expérience ne peut se présenter qu'à travers l'extension du contrôle ouvrier à toutes les branches de la production [...]. Le programme des céramistes qui pose la revendication du contrôle ouvrier, d'un plan de travaux publiques pour donner du travail aux sans-emploi et intégrer le procès de production entre les travailleurs de la construction, les écoles, les hôpitaux etc., a pour objectif la participation généralisée des travailleurs et des masses aux tâches immédiates, de trouver une solution au chômage, et en général de la planification économique placée au-dessus du profit capitaliste.

Notons en passant une formule étrange mais caractéristique de ce "programme de transition"[18]:

Mais le fait de poser la revendication de la nationalisation de ces entreprises ne prétend pas retourner à la vielle histoire, mais à l'exercice du contrôle exercé sur elles, de la part des travailleurs et des usagers, et va de pair avec une série de revendications programmatiques anticapitalistes et anti-impérialistes, c'est-à-dire un programme que seul un gouvernement des travailleurs pourrait réaliser. C'est-à-dire, c'est une revendication de nationalisation d'un non-état capitaliste et sur la base d'une lutte révolutionnaire des masses.

Cette référence à un "non-état capitaliste " est sans doute un symptôme indirect d'un certain embarras à imaginer concrètement une transition, amorcée avant la révolution, du capitalisme vers le socialisme. À l'écart de l'état capitaliste mais avant l'établissement de l'état socialiste, il y aurait un état qui ne serait plus capitaliste. Laissant entrevoir une sorte de "trou noire", cette tentative de "clarification" n'arrange rien, bien au contraire.

Chez les organisations trotskistes, les positions de ce type sont répandues, mais les trotskistes n'en ont pas l'exclusivité. On peut mentionner par exemple l'organisation française URCF, qui considère que "Staline fut le principal défenseur, continuateur et praticien du plan léniniste d'édification du socialisme"[19]. Elle s'est fixé comme conduite pratique la participation à des comités ou collectifs "anti-libéraux" du type de ceux qui se sont constitués en rapport, notamment, avec la question du "traité de constitution européenne" et l'appel au vote négatif lors du référendum à ce sujet, en 2005. Elle y voit une étape préparatoire pour la formation de soviets "en cas de crise révolutionnaire"[20]:

La créativité des masses aboutit à la création d'organes parallèles antiparlementaires (communes, soviets, comités populaires) Le travail dans les comités de base, le soutien à tout ce qui développe la démocratie directe constitue un début de rupture objective avec les traditions parlementaires et délégataires particulièrement fortes dans le mouvement ouvrier français (cf. Front populaire et Résistance).

Ces comités de base ‑ locaux et d'usine ‑ (là les réformistes seront absents) travailleront au développement des luttes: grève, occupations d'usine, actions "coups de poing", grève générale. Sur cette base, en cas de crise révolutionnaire, ils peuvent constituer des organes de double pouvoir puis des comités de prise du pouvoir organisant la grève générale politique et le soulèvement populaire pour la révolution socialiste.

La question des nationalisations en 1917

Lénine écrit en avril-mai 1917[21]:

Il faut absolument exiger et, autant que possible, réaliser par la voie révolutionnaire, des mesures comme la nationalisation du sol, de toutes les banques et de tous les syndicats capitalistes ou, à tout le moins, un contrôle immédiat des Soviets des députés ouvriers et autres sur ces établissements [...].

Puis vers mi-septembre 1917 il réitère l'énumération d'une série de moyens et mesures de contrôle à mettre en oeuvre, notamment les suivants[22]:

La fusion de toutes les banques en une seule dont les opérations seraient contrôlées par l'État, ou la nationalisation des banques.

La nationalisation des syndicats capitalistes, c'est-à-dire des, groupements monopolistes capitalistes les plus importants (syndicats du sucre, du pétrole, de la houille, de la métallurgie, etc.).

[...]

La cartellisation forcée, c'est-à-dire l'obligation pour tous les industriels, commerçants, patrons en général, de se grouper en cartels ou syndicats.

Il synthétise cette position début septembre 1917 en affirmant[23]:

Le contrôle ouvrier de la production et de la répartition peut seul sauver la situation.

Au vu de ces extraits, les militants qui préconisent les nationalisations comme point de passage privilégié vers le mûrissement du processus révolutionnaire se sentiront peut-être confortés dans leurs positions. Mais si l'on examine en détail le contexte, c'est-à-dire tant la situation que la teneur d'ensemble des écrits de Lénine, à l'époque, il en ressort une perspective fortement différente.

Lénine souligne que "le contrôle ouvrier de la production et de la répartition peut seul sauver la situation", mais dans le même texte il déclare que "la classe ouvrière, ayant conquis le pouvoir, pourra seule mettre un terme à la débâcle économique et à la menace de famine". Ainsi selon la position défendue par Lénine la mise en oeuvre des mesures citées plus haut est intrinsèquement liée à la prise du pouvoir par la classe ouvrière.

Quant à la nature de ces mesures, il est vrai que Lénine insiste sur le fait qu'elles "ne constituent que les premiers pas vers le socialisme", qu'elles sont "réalisées dans bien des cas pendant la guerre par un certain nombre d'Etats bourgeois". Il ne les considère pas pour autant comme une étape préparatoire, précédant la révolution. Bien au contraire, ce sont certes des "premiers pas", mais qui ne pourront être effectués que par un gouvernement représentant le pouvoir prolétarien, donc issu de la révolution victorieuse[24]:

Nous verrons qu'il aurait suffi à un gouvernement intitulé démocratique révolutionnaire autrement que par dérision de décréter (d'ordonner, de prescrire), dès la première semaine de son existence, l'application des principales mesures de contrôle, d'établir des sanctions sérieuses, des sanctions d'importance, contre les capitalistes qui essaient de se soustraire frauduleusement à ce contrôle, et d'inviter la population à surveiller elle-même les capitalistes, à veiller à ce qu'ils se conforment scrupuleusement aux décisions sur le contrôle, pour que celui-ci soit depuis longtemps appliqué en Russie.

"Il aurait suffi", mais si rien n'a été décrété, c'est que le gouvernement en place n'est pas réellement "démocratique révolutionnaire". Il est donc vain de lui demander d'appliquer les mesures nécessaires. C'est ce que Lénine résume ainsi[25]:

Les ouvriers et les paysans de Russie n'ont absolument aucune autre issue que la lutte la plus résolue et la victoire sur les grands propriétaires fonciers et la bourgeoisie, sur le parti cadet, sur les généraux et les officiers sympathisant avec ce parti. Seule la classe ouvrière des villes pourra conduire le peuple, c'est-à-dire l'ensemble des travailleurs, dans cette lutte et vers cette victoire, si elle prend possession du pouvoir d'Etat et si elle est soutenue par les paysans pauvres.

Autrement dit, la prise du pouvoir par la classe ouvrière est le préalable nécessaire pour effectuer les premiers pas vers le socialisme, et non l'inverse (les mesures indispensables d'abord, pour préparer la voie vers la prise du pouvoir). On peut noter ici que cette conception est à l'opposé de l'idée des revendications de transition chère aux trotskistes. Ceux-ci, en adressant aux gouvernements bourgeois des revendications minimales, partielles, mais considérées comme incompatibles avec le capitalisme, prétendent alimenter une dynamique de luttes où les travailleurs d'abord s'affrontent aux gouvernements puis acquièrent la conscience de la nécessité de la révolution. Lénine, lui aussi, en formulant un programme, se limite à quelques points fondamentaux urgents. Mais il insiste d'emblée, vis-à-vis des travailleurs, sur l'idée que ceux-ci s'égareraient à vouloir obtenir la satisfaction de ces revendications par le gouvernement bourgeois en place ‑ bien que Lénine lui-même souligne d'ailleurs le fait que certaines de ces mesures sont parfaitement compatibles avec le capitalisme. C'est le pouvoir prolétarien qui mettra effectivement en oeuvre ce programme, et c'est dans cette perspective qu'il est conçu.

Capitalisme monopoliste et socialisme

Ce décalage d'interprétation se manifeste aussi au sujet de la question du capitalisme d'état. L'URCF par exemple se place dans une perspective de transition passant par la radicalisation du mouvement anti-libéral et débouchant sur la révolution, et se réfère à Lénine[26]:

Nous ne cachons pas que dans le mouvement anti-libéral, nous voulons construire l’aile anticapitaliste et anti-impérialiste de ce Front populaire de résistance. Quand bien même les axes de luttes que nous préconisons, seraient appliqués, leur problématique ne pourrait être que transitoire, ou comme le disait Lénine, le capitalisme d’Etat constitue "l’antichambre du socialisme".

En effet Lénine écrit[27]:

[...] le capitalisme monopoliste d'État est la préparation matérielle la plus complète du socialisme, l'antichambre du socialisme, [...].

Cependant, il souligne ainsi le fait d'une préparation non pas à venir, mais déjà effectuée, aboutie. Son argumentation vise à réfuter les objections de ceux qui sabotent la marche en avant vers le socialisme[28]:

Nous ne sommes pas encore mûrs, dit-on, pour le socialisme; il est trop tôt pour l´"instaurer"; notre révolution est bourgeoise.

Ce à quoi il oppose le constat contraire[29]:

Que le capitalisme, en Russie également, soit devenu monopoliste, voilà ce qu'attestent assez le "Prodougol", le "Prodamet", le syndicat du sucre, etc. Ce même syndicat du sucre nous fournit un exemple saisissant de la transformation du capitalisme monopoliste en capitalisme monopoliste d'État. [...] la guerre [...] a extraordinairement accéléré la transformation du capitalisme monopoliste en capitalisme monopoliste d'État [...].

C'est ici qu'il synthétise son analyse des rapports entre capitalisme et socialisme par l'image concernant "l'antichambre"[30]:

Car le socialisme n'est autre chose que l'étape immédiatement consécutive au monopole capitaliste d'État. Ou encore: le socialisme n'est autre chose que le monopole capitaliste d'État mis au service du peuple entier et qui, pour autant, a cessé d'être un monopole capitaliste. [...] le capitalisme monopoliste d'État est la préparation matérielle la plus complète du socialisme, l'antichambre du socialisme [...], l'étape de l'histoire qu'aucune autre étape intermédiaire ne sépare du socialisme.

Et il conclut[31]:

Or, aujourd'hui, le socialisme est au bout de toutes les avenues du capitalisme contemporain, le socialisme apparaît directement et pratiquement dans chaque disposition importante constituant un pas en avant sur la base de ce capitalisme moderne.

Voilà ce que Lénine constatait dans la Russie de 1917, tandis que les puissances impérialistes aujourd'hui incarnent évidemment de manière mille fois amplifiée cette situation d'antichambre du socialisme, antichambre qui ainsi ne constitue pas une étape de l'histoire à traverser encore pendant un certain temps, mais le point terminal du capitalisme. C'est l'acte d'en sortir qu'il faut mettre en oeuvre. Pousser à plus de nationalisations pour faire traverser aux travailleurs l'expérience du capitalisme monopoliste d'état en participant à sa perfection, signifie conduire la lutte dans des impasses, des égarements qui ramènent toujours au point de départ, tout en épuisant les énergies subjectivement mises au service du combat pour "une société meilleure".

Les soviets comme organe du pouvoir

Lénine lui-même insiste constamment sur le fait que la situation de double pouvoir ne marque pas un contexte typique mais constitue bien au contraire une situation particulière.

Par exemple[32]:

La particularité essentielle de notre révolution [...], c'est la dualité du pouvoir qui s'est établie au lendemain même de la victoire de la révolution.

Ou encore[33]:

Cette situation extrêmement originale, qui ne s'est encore jamais présentée sous cet aspect dans l'histoire, [...]

L'originalité de cette dualité du pouvoir s'explique par le fait qu'elle est issue d'une autre dualité, fondamentale, celle de révolutions[34]:

L'origine sociale de cette dualité du pouvoir et sa signification de classe, c'est que la révolution russe de mars 1917 n'a pas seulement balayé la monarchie tsariste et remis tout le pouvoir à la bourgeoisie, mais qu'elle touche de près à la dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie. [...] a donné lieu à un enchevêtrement, à un amalgame de deux dictatures : la dictature de la bourgeoisie [...] et la dictature du prolétariat et de la paysannerie [...].

Aujourd'hui, autant dans les pays impérialistes dominants, comme les USA ou la France, que dans les pays capitalistes dominés intégrés dans le système impérialiste mondial, comme l'Argentine, une perspective semblable ‑ celle d'une révolution bourgeoise à laquelle la révolution prolétarienne pourrait se trouvée superposée ‑ est historiquement dépassée. Il est donc vain de vouloir reproduire le cheminement à travers le double pouvoir tel qu'il s'est produit en Russie.

Certes, les organes du futur pouvoir prolétarien devront exister avant la prise du pouvoir au moyen de l'insurrection révolutionnaire. Mais il faudra les construire comme tels, non pas comme des organes expérimentaux de l'exercice du pouvoir et de la gestion dans le cadre de l'état et de l'économie capitalistes. Cela est évident si l'on pense à des institutions de cogestion consensuel, mais c'est vrai de façon générale, quelque soit le degré de conflictualité que les acteurs comptent faire assumer à ces organes.

Voici quelques citations de Lénine qui mettent en lumière la caractérisation des soviets à cet égard.

En janvier 1917, au sujet de la révolution de 1905[35]:

Une organisation de masse d'un caractère original se forma dans le feu du combat: les célèbres Soviets de députés ouvriers, assemblées de délégués de toutes les fabriques. Dans plusieurs villes de Russie, ces Soviets de députés ouvriers assumèrent de plus en plus le rôle d'un gouvernement révolutionnaire provisoire, le rôle d'organes et de guides des soulèvements. On tenta de créer des Soviets de députés de soldats et de matelots, et de les associer aux Soviets de députés ouvriers.

Certaines villes de Russie devinrent alors de minuscules "républiques" locales où l'autorité du gouvernement avait été balayée et où les Soviets de députés ouvriers fonctionnaient réellement comme un nouveau pouvoir d'État. Par malheur, ces périodes furent trop brèves, les "victoires" trop faibles et trop isolées.

En 1915[36]

Les Soviets des députés ouvriers et autres institutions analogues doivent être considérés comme des organes insurrectionnels, comme des organes du pouvoir révolutionnaire. C'est seulement en liaison avec le développement de la grève politique de masse et avec l'insurrection, et à mesure que celle-ci se préparera, se développera et remportera des succès, que ces institutions peuvent être réellement utiles.

En septembre 1917[37]:

Or, un des grands mérites des Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans, c'est qu'ils représentent un nouveau type de l'appareil d'Etat, infiniment supérieur, incomparablement plus démocratique. [...] Qu'ils aient honte, ceux qui disent: «nous n'avons pas d'appareil susceptible de remplacer l'ancien, qui tend inévitablement à défendre la bourgeoisie. » Car cet appareil existe: ce sont les Soviets.

Il y a toutes sortes de "révolutions"

Certains en arrivent même à inverser la chronologie de la perspective historique, en rapport avec la question de la dualité du pouvoir. Ils se basent sur une utilisation extrêmement floue du terme "révolution". L'exemple du Venezuela est typique à cet égard. Voyons l'analyse développée par le International Marxist Tendency, un regroupement international qui avait été constitué à l'initiative notamment des trotskistes britanniques Ted Grant et Alan Woods, et dont ce dernier ‑ Ted Grant étant décédé ‑ reste le principal protagoniste aujourd'hui. Ce mouvement considère que l'arrivée de Hugo Chávez à la présidence en 1999 constitua une "révolution", qui depuis "a fait des pas géants en avant"[38]. Mais il n'est nullement précisé clairement en quoi l'événement de 1999 aurait un contenu révolutionnaire, au-delà de l'allégation qu´"en entamant la révolution bolivarienne, Hugo Chávez lança un défi à la vieille oligarchie"[39]. Or, cette affirmation sert de point de départ pour une vision qui reproduit le schéma de la dualité du pouvoir... après la révolution. "Leur pouvoir [de l'ancien oligarchie] a été contesté mais pas complètement renversé[40]." L'interprétation prend ainsi le contre-pied de la théorie et pratique marxistes selon laquelle la révolution prolétarienne est l'acte de l'instauration du pouvoir par les forces révolutionnaires. Certes, le pouvoir prolétarien établi en Russie en novembre 1917 a dû ensuite livrer une lutte armée pour mettre en échec les attaques contre-révolutionnaires. Or l'enjeu de ce combat n'était pas d'achever la conquête du pouvoir, mais de défendre le pouvoir conquis.

Selon Alan Woods, la "révolution bolivarienne" n'a fait que reprendre l'état tel qu'il existait[41]:

L'ancien état de la IVe République était un état conçu pour défendre le status quo et les intérêts des exploiteurs, un état capitaliste. Il était basé sur la corruption et la violence contre le peuple, un vaste monstre bureaucratique servant les intérêts des riches et puissants. Voilà ce qu'était l'état que la révolution bolivarienne a repris.

Et à partir de là, l'auteur enchaîne tout l'expose sur la dualité du pouvoir[42]:

Toute révolution dans l'histoire trouve son aboutissement en répondant à la question: qui détient le pouvoir? Qui est le maître de la maison? Tant que cette question reste sans réponse, la révolution n'est pas achevée. [...] Une lutte colossale a débuté, qui n'a toujours pas être tranché dans un sens ou dans l'autre. C'est de la résolution de ce combat que tout dépend. À la base, la question du pouvoir peut être ramenée à une chose: qui contrôle le pouvoir d'état? Voilà ce qu'est la question décisive.

Sentant peut-être que quelque chose cloche, il tente de présenter la réalité concrète d'une façon qui pourrait rendre les arguments théoriques censés[43]:

L'état vénézuélien est-il un état bourgeois? Tant que la bourgeoisie reste la classe régnante, tant qu'elle continue à posséder et contrôler les points-clés de l'économie, tant que son pouvoir économique n'a pas été brisé, Venezuela reste un pays capitaliste, et l'état par conséquent reste un état bourgeois. [...] L'état est toujours un état bourgeois, mais c'est un état bourgeois avec des caractéristiques particulières. La caractéristique la plus particulière est que la bourgeoisie a perdu ‑ du moins temporairement ‑ le contrôle de parties clés de son propre état.

A. Woods mentionne notamment le fait que des parties de l'armée soutiennent le régime de H. Chávez. Mais s'il peut conclure de là que la bourgeoisie a perdu partiellement le contrôle de l'armée, c'est parce qu'il écarte l'idée que Chávez représente lui-même certaines secteurs de la bourgeoisie. Toujours est-il que, les choses étant vues ainsi, on est donc ramené à la question de la formation de "soviets"[44]:

La seule façon de faire avancer la révolution consiste à partir de la base. Une forme et une expression organisées doivent être données au mouvement de masse. Cela peut être accompli uniquement à travers l'établissement de comités d'action, élus démocratiquement sur chaque lieu de travail, quartier ouvrier, bureau, raffinerie de pétrole et village. Les comités doivent être reliés entre eux à tous les niveaux ‑ local, régional, national. Uniquement de cette façon les bases peuvent être jetées pour un nouveau pouvoir dans la société: le pouvoir des ouvrier.

À cela est jointe toute la rengaine sur le contrôle ouvrier, comme le montre par exemple un texte de l'organisation de l'IMT au Venezuela, Courant marxiste révolutionnaire (Corriente marxista revolucionaria, CMR)[45]:

Notre tâche devrait être de pousser effectivement la cogestion dans la direction du contrôle ouvrier et de là vers l'édification d'un état des ouvriers. [...] établir un front en défense de la cogestion afin de rassembler toutes les usines occupées. Ce front devrait être en fait étendu à toutes les sociétés et institutions qui sont propriété de l'état.

Mais rappelons que les auteurs nous invitent par ailleurs à penser qu'au Venezuela la révolution a déjà été entamée et qu'il faut maintenant rattraper le passage du "Février" à l´"Octobre" vénézuélien. Outre la confusion temporelle ainsi introduite, il faut dire aussi qu'il serait erroné de poser une analogie entre la situation au Venezuela en 1999 et la révolution bourgeoise de février 1917 en Russie. Pourtant, en lisant les développements d'A. Woods, on frise le sentiment qu'il procède à un "copier-coller" des arguments formulés par Lénine à l'approche immédiate de la révolution russe ‑ "ceux d'en haut ne peuvent plus continuer de vivre à l'ancienne manière", "la révolution est mûre", la caractérisation des moyens de "conjurer la catastrophe imminente"[46]:

En réalité, la situation au Venezuela est complètement mûre pour le transfert du pouvoir à la classe ouvrière. La bourgeoisie a révélé sa complète incapacité de gouverner. D'autre part, la révolution n'a pas été menée à son terme. La seule conséquence possible de cela est le chaos. La révolution a avancé jusqu'à un point où le fonctionnement normal du capitalisme est impossible. Les capitalistes retirent leur argent et organisent la grève du capital. Seul l'accident heureux du prix du pétrole en hausse permet au gouvernement de maintenir un semblant de vie économique normale. Mais cette situation hautement instable ne peut durer. La lutte entre les classes menace de produire stagnation et effondrement. Elle doit être tranchée de manière décisive dans un sens ou dans l'autre.

L'auteur, pour donner une vigueur militante à son interprétation, insiste sur l'idée que "cette situation hautement instable" "doit être tranchée". Quoi qu'il en soit, en attendant que la confrontation trouve une issue, s'affronteraient de façon prolongée le socialisme et le capitalisme, tenant chacun à sa manière un pouvoir partiel, les deux étant engagés dans une sorte de jeu de Go, sur le terrain non pas spatial mais socio-économique. Et lorsque des intellectuels professionnels, adeptes de Trotsky, s'inspirent de la même approche, la lutte de classe au Venezuela ‑ supposée consister désormais à défendre la révolution déjà en cours ‑ prend une allure quasi routinière. Voici ce qu'écrit Guillermo Almeyra, professeur-chercheur à l'Université nationale autonome de Mexico, sous le titre "Le pouvoir populaire au Venezuela"[47]:

Tout ce qui est conquis, il faut de nouveau le reconquérir de jour en jour, parce que la société est une relation instable résultant des conflits de classe sur tous les terrains et, par conséquent, les rapports de force sont changeants. [...] En un mot: il ne suffit pas que surgisse, dans la lutte, un germe de double pouvoir, c'est-à-dire, le début d'un pouvoir populaire confronté à celui de l'état; il est nécessaire de le développer dans le combat quotidien pour l'indépendance face à l'état et aussi pour la suppression de l'influence culturelle délétère du capitalisme. C'est que celui-ci se reproduite quotidiennement au moyen du marché et de l'hégémonie culturelle, tandis que l'anticapitalisme doit être fortifié aussi quotidiennement au moyen d'une lutte tenace et constante de préparation idéologique et de développement des relations solidaires.


Notes



[1]. Karl Marx & Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, Marx-Engels, Oeuvres choisies, Moscou, Éditions du Progrès, 1970, tome 1, pp. 111‑142. Ici, p. 23 et p. 142.

[2]. Karl Marx & Friedrich Engels, Préface à l'édition allemande de 1872 du Manifeste du Parti communiste, op. cit., pp. 100‑101.

[3]. Vladimir I. Lénine, "Lettre aux ouvriers d'Europe et d'Amérique", Oeuvres, tome 28, Editions Sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1973, p. 453.

Lettre aux ouvriers d'Europe et d'Amérique.

[4]. Vladimir I. Lénine, L'Etat et la révolution, Oeuvres, tome 25, Editions Sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1971, p. 529.

[5]. Vladimir I. Lénine, La maladie infantile du communisme, Oeuvres, tome 31, Editions Sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1961, p. 80.

[6]. "Los soviets y el “doble poder” en los comienzos de la Revolución Rusa", La Verdad Obrera, n° 227, 22 mars 2007, Buenos Aires.

http://www.pts.org.ar/spip.php?article6513.

[7]Cita de León Trotsky en Historia de la Revolución Rusa, capítulo XI, La Verdad Obrera, n° 227, 22 marzo 2007, Buenos Aires.

Reproduit ici selon l'édition française de Histoire de la Révolution russe.

http://www.pts.org.ar/spip.php?article6513;

http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrrsomm.htm.

[8]. "“Dual Power” in our hands", Socialist Worker, n° 2032, 6 janvier 2007.

Traduit de l'Anglais par nous.

http://www.socialistworker.co.uk/art.php?id=10387.

[9]. Vladimir I. Lénine, "Lettres de loin, Lettre 3: De la milice prolétarienne", Oeuvres, tome 23, Editions Sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1974, pp. 353.

Lettres de loin, Lettre 3: De la milice prolétarienne.

[10]. V. I. Lénine, "Lettres de loin...", op. cit., pp. 53‑54.

[11]. V. I. Lénine, La maladie infantile..., op. cit., p. 90

[12]Idem, pp. 90‑91.

[13]Jorge Sanmartino, "A un año de las Jornadas Revolucionarias en Argentina - Un balance de las estrategias políticas en la izquierda", Estrategia Internacional, n° 19, janvier 2003, Buenos Aires.

Traduit de l'Espagnol par nous.

http://www.ft.org.ar/estrategia/ei19/ei19argentina.htm.

[14]Idem.

[15]Idem.

[16]Idem.

[17]Idem.

[18]Idem.

[19]. "Le XXe congrès du PCUS: la revanche du social-démocratisme", Intervention Communiste, n° 75, juillet-août 2006.

http://www.urcf.net/uniondesrevolutionnairescommunistesdefrance_journal_75interventioncommunistejuilletaout.htm.

[20]. "URCF: Réflexions sur “la question électorale et les positions des communistes”", s. d.

http://www.urcf.net/uniondesrevolutionnairescommunistesdefrance_theorie_nospublications_laquestionelectorale.htm.

[21]. Vladimir I. Lénine, "Les tâches du prolétariat dans notre révolution", Oeuvres, tome 24, Editions Sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1966, p. 66.

Les tâches du prolétariat dans notre révolution.

[22]. Vladimir I. Lénine, "La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer", Oeuvres, tome 25, Editions Sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1971, p. 357‑358.

La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer.

[23]. Vladimir I. Lénine, "Projet de résolution sur la situation actuelle", Oeuvres, tome 25, Editions Sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1971, p. 346.

Projet de résolution sur la situation actuelle.

[24]. V. I. Lénine, "La catastrophe imminente...", op. cit., p. 357.

[25]. V. I. Lénine, "Projet de résolution. ...", op. cit., p. 343.

[26]. "Programme de l'URCF - Le socialisme: seule alternative au capitalisme!", adopté par le 2e Congrès, 3‑4 mars 2007.

http://www.urcf.net/uniondesrevolutionnairescommunistesdefrance_theorie_nospublications_programmedelurcf.htm.

[27]. V. I. Lénine, "La catastrophe imminente...", op. cit., p. 390.

[28]Idem, p. 388.

[29]Idem, p. 388 et p. 390.

[30]Idem, pp. 389‑390.

[31]Idem, p. 390.

[32]. V. I. Lénine, " Les tâches du prolétariat...", op. cit., p. 52.

[33]Idem, p. 53.

[34]Idem, p. 52.

[35]. Vladimir I. Lénine, "Rapport sur la Révolution de 1905", Oeuvres, tome 23, Editions Sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1974, pp. 271‑272.

Rapport sur la Révolution de 1905.

[36]. Vladimir I. Lénine, "Quelques thèses de la rédaction", Oeuvres, tome 21, Editions Sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1973, p. 417.

Quelques thèses de la rédaction.

[37]. Vladimir I. Lénine, "Une des questions fondamentales de la révolution, Oeuvres, tome 25, Editions Sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou, 1971, p. 402.

Une des questions fondamentales de la révolution.

[38]. "Statement of the International Marxist Tendency on Venezuela", adopté au Congrès mondial de l'IMT, août 2006.

Traduit de l'Anglais par nous.

http://www.socialistappeal.org/content/view/257/72/.

[39]. Alan Woods, "Theses on revolution and counterrevolution in Venezuela", 20 mai 2004.

Traduit de l'Anglais par nous.

http://www.marxist.com/theses-counterrevolution-venezuela1.htm.

[40]Idem.

[41]Idem.

[42]Idem.

[43]Idem.

[44]Idem.

http://www.marxist.com/theses-counterrevolution-venezuela2.htm.

[45]Corriente Marxista Revolucionaria, "The Venezuelan Revolution and the struggle for socialism", 2 août 2006.

http://www.marxist.com/venezuela-labour-movement.htm.

[46]Alan Woods, "Theses...", op. cit.

http://www.marxist.com/theses-counterrevolution-venezuela2.htm.

[47]. http://www.jornada.unam.mx/2007/04/15/index.php?section=politica&article=018a2pol.